LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 4 novembre 2025
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
La sénatrice Michèle Audette (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : [mots prononcés en innu-aimun] En innu‑aimun, une langue que j’apprends, la langue de ma nation, je remerciais le peuple anishinabe de nous accueillir sur leur territoire et d’accepter qu’on marche tous les jours dans leur espace qui accueille plusieurs nations depuis des siècles : des Premières Nations, des Métis, des Inuit ainsi que l’ensemble de l’Île de la Tortue.
[Traduction]
Je vous rappelle que nous devons faire attention aux interprètes. Veillons à ne pas être trop près du microphone lorsque nous utilisons des oreillettes afin d’éviter une rétroaction sonore dans leurs oreilles. Si vous ne les utilisez pas, vous pouvez les placer ici, sur le gros autocollant.
[Français]
Je me présente. Je suis Michèle Audette, Innue et présidente de ce comité, sénatrice pour la région de [mots prononcés en innu-aimun], au Québec.
[Traduction]
Je vais maintenant demander à mes collègues de se présenter.
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire micmac.
Le sénateur McNair : Bienvenue. John McNair, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Pate : Bienvenue. Je suis Kim Pate et je vis ici sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinaabe.
La sénatrice McCallum : Bienvenue au Sénat. Nous sommes ravis de vous avoir parmi nous. Je suis Mary Jane McCallum, d’origine crie, du territoire du Traité no 10, région du Manitoba.
Le sénateur Tannas : Bonjour. Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Francis : Bonjour. Brian Francis, d’Epekwitk, Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, du territoire du Traité no 7, parc national Banff, Alberta.
La présidente : Merci.
Je tiens également à remercier les membres du service des ressources humaines — bienvenue à ce comité — et aux étudiants de l’Université Carleton, les leaders d’aujourd’hui et de demain, qui collaborent avec le professeur Randy Boswell.
Aujourd’hui est une journée spéciale. Quelqu’un célèbre la vie. Il assumera la présidence car, comme vous le savez, quand nous avons entamé l’étude de ce projet de loi, le projet de loi S-2, je me suis récusée.
[Français]
Nous allons continuer notre étude sur le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
En tant que marraine de ce projet de loi, je vous rappelle que je me suis récusée à titre de présidente pour l’ensemble des réunions du comité où l’on étudiera ce projet de loi. Je souhaite aussi, par ce geste, faire honneur à la neutralité de la présidence d’un comité sénatorial.
[Traduction]
Lorsque la sénatrice Greenwood est absente, nous avons convenu que le sénateur Prosper préside la réunion.
Le sénateur Paul Prosper (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président suppléant : Merci, sénatrice Audette, de vos aimables paroles. C’est un honneur et un privilège de présider cette réunion très importante aujourd’hui.
J’aimerais maintenant présenter nos premiers témoins. Nous accueillons, avec vidéoconférence, de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, le chef Francis Verreault-Paul, et à la table avec nous aujourd’hui, de la Première Nation O’Chiese, la chef Phyllis Whitford, et James Cook, gardien du savoir traditionnel autochtone et intervenant en santé mentale, à titre personnel. Merci à vous tous de vous joindre à nous aujourd’hui.
Nos témoins feront des déclarations liminaires d’environ cinq minutes. Veuillez en prendre note. Elles seront suivies d’une séance de questions et de réponses avec les sénateurs.
J’invite maintenant le chef Verreault-Paul à faire sa déclaration liminaire.
[Français]
Chef Francis Verreault-Paul, Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador : [mots prononcés dans une langue autochtone] Merci. Monsieur le président [Difficultés techniques]...
[Traduction]
Le président suppléant : Excusez-moi. Je suis désolé, chef.
M. Verreault-Paul : Oui?
Le président suppléant : Nous sommes en train de résoudre un problème avec l’interprétation. Nous vous demandons de patienter un instant pendant que nous réglons ces détails logistiques. Merci.
M. Verreault-Paul : Sans problème. Parfait.
Le président suppléant : Nous allons céder la parole à la prochaine intervenante pendant que nous réglons ces problèmes. J’invite maintenant la chef Phyllis Whitford à faire sa déclaration liminaire.
Chef Phyllis Whitford, Première Nation O’Chiese : Bonjour. Je veux tout d’abord remercier tous les ministres et toutes les personnes dans la salle de nous avoir invités à parler des droits de notre génération future.
Je tiens à signaler que je suis une visiteuse sur ce territoire. Je m’appelle Phyllis Whitford. Je suis une Anishinaabe de la Première Nation O’Chiese. Nous vivons dans les contreforts occidentaux des Rocheuses, en Alberta. Je suis également ici au nom de nos alliés, la nation crie d’Onion Lake et la nation crie de Sturgeon Lake. Nos nations sont ici depuis bien avant la création de l’État du Canada et de ses provinces.
Quand la Proclamation royale de 1763 a été promulguée par le roi George III, elle portait sur les droits de la collectivité. Elle constituait le fondement de la paix et de la coexistence entre les premiers occupants du territoire et les colons qui arrivaient sur l’île de la Tortue. Depuis sa création en 1867, le Canada s’efforce de transformer nos droits collectifs en droits individuels.
Ce comité s’est principalement concentré sur les droits individuels et non pas sur les droits issus de traités des nations sur l’île de la Tortue. Nous reconnaissons que le comité s’est concentré sur les droits individuels plutôt que sur les droits collectifs. Les modifications législatives qui ont été proposées ne régleront pas le problème actuel, à savoir que les enfants visés par le paragraphe 6(2) ne sont pas enregistrés à l’heure actuelle et ne le seront pas non plus à la suite de cette modification législative.
Le processus initial de la Loi sur les Indiens visait à déterminer qui était un Autochtone, et il violait nos droits issus de traités. Les droits issus de traités trouvent leur origine dans nos droits, et ils ne découlent pas de la Loi sur les Indiens.
Le Canada a également contredit sa position sur l’appartenance. Par exemple, la Première Nation O’Chiese exerce son droit par l’entremise de la loi sur l’appartenance depuis 1987. Toutefois, le ministère des Affaires autochtones continue de traiter les demandes sans faire référence à la loi sur l’appartenance de la Première Nation O’Chiese. Il s’agit là d’une véritable violation de la loi.
Dans notre collectivité, l’individu est protégé. Nous ne sommes pas seulement des nations signataires de traités, mais nous sommes aussi les premiers occupants de ce territoire. Nous sommes les dirigeants qui représentent tous nos membres, des plus jeunes aux plus âgés. Je reconnais que ce comité a concentré son attention sur les organisations, mais je tiens à préciser que nous ne sommes pas une organisation, et cela viole également nos droits issus de traités.
Au moment de conclure le traité, le commissaire aux traités, au nom de la Couronne, a demandé aux dirigeants, « Qui sont les membres de votre peuple? » C’est à partir de cette question très simple que nos listes de paiement au titre des traités ont été créées. Par la suite, l’État du Canada a créé ses propres règles et restrictions sur nos droits issus de traités pour déterminer notre appartenance. Je tiens à souligner que l’appartenance est un droit issu de traités dans nos nations.
Le Canada a également une responsabilité fiduciaire envers les Premières Nations signataires d’un traité. Cependant, il continue d’octroyer du financement insuffisant, calculé selon des formules et des mécanismes désuets. Je recommande dans cette étude que le financement soit soutenu par un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Les Premières Nations ont été représentées à de nombreuses occasions aux Nations unies, plus particulièrement au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Ce comité a demandé au Canada de valider notre consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Toutefois, il a été reconnu que le Canada a choisi d’accorder du financement à des organisations et d’appeler cela une consultation. C’est une autre violation à l’égard des titulaires de droits issus de traités.
Le dernier discours du Trône prononcé par Sa Majesté le roi Charles III a fait précisément référence à notre consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Nous demandons à ce comité de reconnaître et de mettre en œuvre nos droits issus de traités dans le cadre de cette étude du projet de loi S-2. Je mets au défi ce comité de mettre en œuvre le programme du Canada visant à valider les mécanismes équitables et le financement basé sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. C’est une occasion de déterminer et de revitaliser nos structures naturelles conformément à nos lois naturelles sur la famille et l’appartenance.
Pour conclure, je suis convaincue qu’il existe des solutions pour obtenir du financement adéquat afin d’exercer nos droits. Merci.
Le président suppléant : Merci.
James Cooke, gardien du savoir traditionnel autochtone et intervenant en santé mentale, à titre personnel : Bonjour. Tansi [mots prononcés en langue autochtone]
Je suis aujourd’hui devant vous en portant l’esprit de ma grand-mère. Mon nom officiel, comme tout le monde peut le voir, est James Cooke. Je viens ici aujourd’hui pour honorer l’esprit de ma grand-mère, ma nookomis, parce que c’est elle qui m’a amené ici aujourd’hui. Je dis cela parce que c’est une femme que je n’ai jamais rencontrée, une femme qui est décédée quand j’avais deux ans. Elle est morte d’alcoolisme. Elle a perdu ses droits en tant que femme anishinaabe il y a longtemps. Il m’a fallu 30 ans pour recoller les morceaux et renouer avec ma famille. Ce processus n’a pas été facile, car lorsque j’ai commencé à découvrir qui était ma grand-mère, j’ai communiqué avec les gouvernements, les agences, tout le monde, pour qu’on me réponde ceci : « Cette personne n’existe pas; elle ne figure sur aucun registre. »
Je crois sincèrement que c’est son esprit qui m’a amené à faire ces démarches. Si je dis cela, c’est que quand une porte se fermait, une autre s’ouvrait. En tant que peuple anishinaabe, nous cherchons toujours à aller de l’avant de la meilleure façon possible. Comment, collectivement, pouvons-nous trouver le meilleur moyen d’obtenir les meilleurs résultats possibles en fonction de qui nous sommes? C’est ce qu’on m’a toujours enseigné : ne jamais regarder en arrière. Il faut toujours aller de l’avant.
Dans ma quête pour découvrir qui était ma grand-mère — comme je l’ai dit, il m’a fallu 30 ans —, au cours de ces 30 ans, je me suis heurté à de nombreux obstacles différents. Tout d’abord, j’ai dû aller au-delà de ce que je pensais savoir pour obtenir des renseignements.
Quand on repense aux années 1960 et 1970, le pensionnat où ma grand-mère a étudié a brûlé en 1966. Tous ces renseignements ont été détruits. Soudainement, j’ai eu une nouvelle révélation, guidée encore une fois par l’esprit, et on m’a présenté à un homme, le père Maurice. Il venait de Thunder Bay, en Ontario, et détenait les archives des chemins de fer du CN et du CP. Il a pu m’orienter dans mes recherches. Quand je lui ai demandé de l’aide, il a enfin accepté. Toutefois, il a également dit : « Je ne pourrai jamais répondre à toutes les demandes qu’on m’envoie parce que vous n’êtes pas le seul à chercher des réponses concernant votre héritage anishinaabe et votre identité. Mais je lui ai demandé, « Pourriez-vous m’expliquer la voie à suivre? Comment puis-je m’y retrouver dans ces archives? Comment puis-je m’y retrouver pour faire ce que je dois faire? ».
Je savais que j’étais Anishinaabe avant même que je retrouve mes droits issus de traités. Je le savais. Il y avait quelque chose en moi, et j’ai toujours été conscient de cet esprit et je l’ai respecté. Bref, j’ai pu consulter des documents et des archives, et remonter à l’histoire de ma famille en 1874. Ce n’était pas un cheminement facile, mais je devais le faire. Je devais comprendre la langue anglaise et la façon dont elle était présentée, avec toutes ces fautes d’orthographe et tous les renseignements qui n’étaient jamais documentés correctement. Je me suis débrouillé. Je pense que ce qui me motivait, c’était ma perte d’identité, la perte de qui j’étais. J’essayais de comprendre qui j’étais en tant qu’homme anishinaabe, pour ma famille — et j’ai une grande famille. Nous voici aujourd’hui, acceptant enfin nos racines anishinaabes. J’ai parcouru ce chemin avec ma famille pendant plus de 30 ans, comme je l’ai dit, avant que quiconque ne le reconnaisse.
Mon cheminement m’a toujours amené à côtoyer différents éléments. L’un des grands obstacles auxquels je me suis heurté était les batailles que je devais mener et toutes les portes closes. Une chose que j’ai apprise, lorsque j’ai commencé à travailler pour le gouvernement — je travaille pour le Service correctionnel du Canada —, c’est que la paperasse a ses limites. Je dis cela parce qu’il fallait apprendre à s’exprimer. Il fallait apprendre à bien s’exprimer. Il fallait apprendre à poser les bonnes questions.
J’ai travaillé dans un système, au sein du Service correctionnel du Canada, avec un groupe d’hommes. J’ai aussi travaillé avec des femmes, mais à un niveau différent. C’est un système qui, à mon avis, était une nouvelle version des pensionnats indiens à notre époque. C’est une nouvelle façon de nous convertir en tant qu’Anishinaabe. Je dis cela parce que j’ai été embauché en tant que personne, en fonction de mes qualifications, de ma culture et de mon esprit, pour qu’on essaie ensuite de redéfinir qui je suis. On a essayé de me changer au point qu’on m’a demandé de partir à plusieurs reprises. J’ai enfin dû le faire en raison du racisme, de la discrimination et du harcèlement. Je suis resté et je me suis battu autant que j’ai pu parce que je comprenais les histoires des hommes incarcérés — cette perte d’identité, de raison d’être et de compréhension de qui ils étaient et de leurs liens. La majorité d’entre eux n’avaient aucune idée de qui ils étaient et de leur appartenance à une communauté quelconque. Je connaissais trop bien ce sentiment.
Je suis fier d’appartenir à la Première Nation de Long Lake no 58. Il m’a fallu beaucoup de temps pour établir ce lien. J’ai toujours été conscient que ce qui m’a mené là où j’en suis aujourd’hui, c’est ma grand-mère. J’espère que les mots que je prononce sont ceux qu’elle aurait prononcés, même si je le fais un peu différemment. Elle aurait peut-être été un peu plus polie. Je n’en ai aucune idée.
Lorsqu’on va de l’avant, quand je regarde l’inscription, je sais que le processus a été difficile pour moi. Je savais aussi que c’était difficile pour les hommes incarcérés d’obtenir leur soi‑disant identité et d’être reconnus comme Anishinaabe dans le cadre de la carte de statut et du gouvernement. En faisant ce que j’ai fait, cela a ouvert — comment dire, de tant de façons différentes — un canal...
Le président suppléant : Monsieur Cooke, je suis désolé, mais vous devez conclure vos remarques.
M. Cooke : D’accord, pas de problème. Meegwetch.
Le président suppléant : Merci.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous disposez chacun de quatre minutes, ce qui inclut les questions et les réponses. Je vous avertirai 30 secondes à l’avance pour que tout le monde puisse avoir l’occasion de poser au moins une question.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos déclarations. Je veux vous remercier tous les deux de ce que vous nous avez appris aujourd’hui, pour les personnes incarcérées qui ont perdu leur identité et qui ont probablement été oubliées dans cette conversation. Je remercie la cheffe d’avoir demandé, « Qui sont les membres de notre peuple? », lorsque vous avez obtenu les droits issus de traités.
Je veux parler du droit coutumier. En plus de reconnaître le droit à un environnement naturel sain dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ce droit peut avoir d’autres répercussions dans le contexte des droits ancestraux et issus de traités. Bien que la portée et la nature de ces droits varient, les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que les peuples autochtones ont le droit d’être protégés de toute mesure gouvernementale qui les priverait de manière substantielle de leurs terres, de leurs ressources, de leurs pratiques traditionnelles, de leurs coutumes et traditions, y compris leur identité, et que le droit coutumier a été reconnu. Dans vos deux communautés, existe-t-il une pratique pour le droit coutumier? Pourrions-nous l’utiliser pour faire avancer les discussions d’aujourd’hui?
Mme Whitford : L’une des choses qui comptent beaucoup à mes yeux, non seulement en tant que cheffe de notre nation, mais aussi en tant que mère, grand-mère et câpân, c’est que nous sommes une nation qui maîtrise encore très bien sa langue et qui reste profondément attachée à ses cérémonies, à sa culture et à tout ce que nous sommes comme peuple de la nation O’Chiese. L’une des principales préoccupations de notre peuple est de veiller à ce que nos enfants naissent avec une identité, une langue et des pratiques qui leur permettent d’assumer leur appartenance au peuple des Premières Nations.
Je peux m’utiliser comme exemple. L’anishinaabe est ma langue maternelle, le cri, ma deuxième langue, et l’anglais, la troisième. Je ne connais aucun autre mode de vie que celui des O’Chiese : notre façon de nous comporter, notre façon de vivre et d’aborder la vie et notre façon d’équilibrer les deux mondes dans lesquels nous évoluons. Je crois que nos enfants doivent avoir cette possibilité de continuer à vivre selon ce mode de vie.
Il est vrai que nous n’avons pas été touchés par le système des pensionnats indiens. Nous avons tout de même subi les effets de l’assimilation et de la colonisation. Nous avons ressenti l’oppression. Cependant, nous sommes aujourd’hui à un moment où il est essentiel de veiller à ce que nos enfants restent connectés et de protéger leur identité et leur esprit en tant que membres du peuple O’Chiese. Nos cérémonies en sont le reflet, tout comme nos pratiques.
Je crois qu’on m’a posé une question : que se passe-t-il avec les enfants qui sont perdus dans le système d’appartenance, qui ne sont plus considérés comme ayant un statut? Je tiens vraiment à vous dire que vous serez les personnes qui formuleront les recommandations pour nous. Je vous prie de penser à ces enfants. De cette façon, ils seront attachés et liés à qui nous sommes en tant que peuple visé par les traités. Merci.
Le sénateur Francis : Les dispositions discriminatoires sur l’inscription dans la Loi sur les Indiens, plus particulièrement celles sur l’exclusion après la deuxième génération, ont été édictées pour réduire le nombre de membres inscrits des Premières Nations au fil du temps et pour que s’amenuise, par le fait même, la population envers laquelle le Canada a des obligations fiduciaires et des obligations prévues dans les traités. Divers témoins ont relevé dans cette loi des intentions d’assimilation, voire de génocide. Partagez-vous ce point de vue? Le Canada se sert-il des dispositions sur l’inscription de la Loi sur les Indiens, notamment les dispositions sur la restriction après la deuxième génération, pour continuer à détruire les « Indiens » en totalité ou en partie? Le comité devrait-il faire le nécessaire immédiatement pour modifier le projet de loi S-2 afin d’obliger le Canada à mettre fin à la discrimination une fois pour toutes et à assurer l’existence perpétuelle des Premières Nations au titre de la règle du parent unique?
M. Cooke : J’adore cette question.
À propos de notre identité comme membre de la nation anishinabe, nous ne nous considérons pas comme des hommes et des femmes d’une même souche. Les démarches qu’il faut entreprendre pour devenir Anishinaabe conformément à la loi sont très rébarbatives. Il faut fournir une preuve d’identité et comprendre ses origines de même que connaître sa généalogie et ses liens familiaux. Ce processus est réducteur pour ceux qui sont nés Anishinabe dans leur esprit et dans l’amour et qui réunissent toutes les composantes. Qui sommes-nous pour dire qui est Anishinabe et qui ne l’est pas? La ligne est vraiment mince.
Les efforts nécessaires pour prouver son appartenance au peuple anishinabe sont considérables. C’est un parcours très difficile. Par exemple, des personnes que je connais ont du mal à prouver qui elles sont parce qu’elles ne trouvent pas les documents sur leur généalogie qui pourraient l’attester. Une multitude de personnes sont exclues parce qu’elles ne peuvent pas prouver leur identité, même si elles se savent Anishinabe dans leur for intérieur.
Ce processus est-il discriminatoire? J’en suis convaincu.
Mme Whitford : Je voudrais revenir à la Proclamation royale. Essentiellement, ce texte jette les fondements de la paix et de la coexistence, mais qu’est-ce que cela signifie? Tout d’abord, nous sommes les premiers habitants du territoire. Avant l’arrivée des colons, nous avions notre propre système de gouvernance, nos propres structures et notre propre organisation qui encadraient notre fonctionnement comme premiers habitants.
Toutefois, comme je le disais à mes collègues — les dames qui travaillent avec moi —, nous avons essayé d’accomplir l’impossible pendant des siècles. Il faut convenir que nous ne cadrons pas dans le système colonial. Par conséquent, depuis que nous avons été battus — coincés dans une impasse —, nous subissons les effets de l’oppression, du racisme et de la discrimination inscrits dans la loi. Les 100 dernières années confirment que nous ne pouvons pas fonctionner dans le système. En fait, nous n’entrerons jamais dans le moule.
La Première Nation des O’Chiese a été très chanceuse de pouvoir conserver ses lois naturelles en harmonie avec le fonctionnement de nos familles, de notre appartenance à la nation et de notre collectivité. Notre conception de la famille est plus large que la conception occidentale fondée sur le modèle « deux parents, deux enfants et un chien ». Nous faisons partie d’une immense famille. Nous honorons nos grands-mères, nos arrière-grands-mères, nos tantes, nos oncles, nos neveux et nos nièces. Nos collectivités sont soutenues par ce système encore très fort et très valide, et cette organisation doit être reconnue.
Le sénateur Francis : Merci.
La sénatrice Pate : Merci aux témoins d’être avec nous. C’est un plaisir de vous voir tous les deux.
Nous avons été pressés d’adopter ce projet de loi sans apporter d’amendements pour corriger la situation des personnes qui seraient exclues. J’aimerais entendre vos suggestions.
Mme Whitford : Nous nous attendions à cette question.
Il faut remonter au traité original et à la signification que donnait mon grand-père aux traités, dont la finalité était, selon lui, la coexistence. Selon le principe de coexistence, les colons venus sur l’île de la Tortue devaient accepter qui nous étions — notre identité, nos systèmes et notre organisation naturelle. Je crains pour l’intégralité de notre nation — et de notre territoire. La Loi sur les Indiens oblige le Canada à assumer sa responsabilité fiduciaire, et je vois des étrangers prendre des décisions pour mes petits-enfants. Ce sont mes inquiétudes qui m’ont amenée ici pour parler au nom de ces enfants. Des gens prennent des décisions pour nous. Je suis ouverte au dialogue et je serais très reconnaissante d’y participer. Les quatre ou cinq minutes qui nous sont allouées devant le comité ne sont pas suffisantes pour dire tout ce que nous avons à dire pour nous assurer que la voix de nos enfants et de ceux qui ne sont pas encore nés est entendue. Je veux que les prochaines générations aient le même avenir que nous et que leurs droits et leur identité soient encore reconnus — et que se réalise la promesse de la nature même des traités. La nation O’Chiese interprète les traités comme un moyen d’assurer notre coexistence avec les colons et le respect mutuel de nos différences. Les traités rappellent aussi que nous sommes les premiers habitants.
M. Cooke : Lorsque je réfléchis à cette question, plusieurs choses me viennent à l’esprit.
Les membres de la nation anishinaabe ont ce qu’ils appellent leurs lois traditionnelles, qui gouvernent le fonctionnement dans nos collectivités. Nos lois traditionnelles assurent notre cheminement dans la vie. À sa naissance, chaque enfant est considéré comme un cadeau par ses parents. Le plus rapidement possible, une cérémonie est organisée autour de lui pour l’accueillir. On lui donne un nom et un clan et on lui confie un parcours et une mission. Là d’où je viens, tout ce que nous faisons commence par une cérémonie — par une reconnaissance de la terre et de l’eau — pour souligner notre progression dans le bon sens.
En regardant notre parcours — je suis d’accord avec ma collègue assise à mes côtés —, il est triste de constater que les savoirs, les enseignements et les valeurs que nous avons communiqués ont ensuite été déformés par des gens qui essaient de nous montrer comment faire les choses différemment. Il est temps de faire entendre la voix des aînés et des gardiens du savoir parce que ce sont eux qui possèdent l’expérience et la grande connexion au bien-être naturel. Je crois sincèrement que cela nous aidera à avancer.
Il faut aussi montrer un grand respect pour ce que j’appelle l’esprit. Personnellement, j’essaie toujours de trouver la bonne manière de faire les choses. Ma grand-mère disait tout le temps que les bonnes pensées et les bonnes actions produisent de bons résultats. En quelques mots, il faut mobiliser les gens.
La sénatrice Pate : Monsieur Cooke, lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, vous faisiez du travail admirable avec les détenus à l’établissement de Stony Mountain. Pourriez-vous parler des conditions d’incarcération dans ces établissements qui sont décrits comme de nouveaux pensionnats? Quelle serait la vie de bon nombre de ces hommes s’ils avaient eu la possibilité de faire partie de la communauté et d’être reconnus de la manière préconisée par le projet de loi?
M. Cooke : J’ai travaillé à l’établissement de Stony Mountain pendant environ 17 ans. J’ai quitté mon poste il y a environ six ans. À ce moment-là, 75 % de la population carcérale était autochtone. Bon nombre de ces hommes n’avaient aucune idée de leurs origines. Sans identité et sans but dans la vie, ils trempaient dans toutes sortes de situations et d’événements et s’affiliaient à toutes sortes d’individus et de gangs. Le plus triste dans tout cela, c’est de voir que les établissements de Service correctionnel du Canada sont devenus, à mon humble avis, les nouveaux pensionnats parce qu’ils mettent en place des règles et des règlements et formulent des idées qui selon eux répondent le mieux aux besoins des détenus. Un des programmes mis sur pied il y a quelques années est le Modèle de programme correctionnel intégré. Cette solution passe-partout ne tient pas compte selon moi de l’identité de chaque individu.
Parlons des cérémonies. Ceux d’entre nous qui organisaient des cérémonies dans l’établissement ont été privés de cette activité. On leur a dit que les pratiques rituelles étaient interdites. Nous n’étions pas autorisés à entreprendre de processus de guérison avec les détenus. Chaque activité qui comptait une composante de guérison devenait soudainement un problème. Je vais essayer de présenter les choses poliment. J’étais un agent du programme autochtone, mais à un certain point, tous les postes vacants dans notre domaine devaient être pourvus par des non‑Autochtones. Je n’ai rien contre les non-Autochtones, mais l’intégration de cette composante entraînait une énorme réaction et une détérioration du traitement des détenus parce que les agents ne parlaient pas la langue et ne connaissaient ni la culture ni l’identité des détenus. Pourtant, ils essaient de nous apprendre comment être Anishinaabe.
Le sénateur Tannas : Je remercie les témoins de leur présence parmi nous.
Cheffe Whitford, je voulais vous poser deux questions sur les commentaires que vous avez formulés à propos de ce qui oppose, d’une part, le statut accordé par le gouvernement, et d’autre part, l’appartenance à votre collectivité et aux personnes que vous connaissez qui en font partie. Si j’ai bien compris, vous avez parlé d’un décalage qui vous préoccupe concernant les personnes qui ont obtenu un statut, mais qui ne sont pas membres de votre communauté. Vouliez-vous signaler un problème, ou aurais-je mal interprété vos propos?
Par ailleurs, nous avons beaucoup discuté de l’urgence de régler la question de l’exclusion après la deuxième génération, surtout que la communauté compte des enfants de membres inscrits au titre du paragraphe 6(2), qui ne possèdent donc ni statut ni financement. Ils doivent pourtant aller à l’école ou à la garderie et recevoir des soins de santé. Cette situation a-t-elle une incidence financière dans la communauté, à moins que ce ne soit pas encore ou pas du tout un problème?
Mme Whitford : Ce sont des questions très importantes.
Je vais remonter un peu dans le temps. À la question de savoir si le financement est devenu un problème, je répondrais que cela a toujours été difficile. Prenons l’exemple de la nation O’Chiese. Le financement est établi par rapport à la population et aux statistiques sur les effectifs. Aujourd’hui, le peuple O’Chiese compte environ 1 500 membres, mais Services aux Autochtones Canada nous octroie un financement pour 800 membres, ce qui correspond aux données datant de 10 ou de 20 ans. Le financement est franchement désuet. J’ai vérifié quelles sommes nous recevions pour le logement. Le financement est fondé sur des données démographiques obsolètes qui ne correspondent pas à la situation actuelle. Ce problème a toujours existé. Je vous exhorte, honorables sénateurs, à réviser cette politique. Les données dans le système accusent encore un retard de 10, de 20 ou de 30 ans. Nous mettons à jour les statistiques sur nos effectifs chaque année, chaque mois et chaque trimestre. Nous fournissons tout le soutien que nous pouvons pour aider les familles à répondre à leurs besoins allant du logement à la santé en passant par les services à l’enfance et à la famille de même qu’à l’éducation. Malheureusement, il y a un écart abyssal, car le financement ne tient pas compte de notre population actuelle.
Quant à l’exclusion après la deuxième génération, c’est de toute évidence une question urgente. Ce l’était il y a 100 ans, le jour où la Loi sur les Indiens a dicté comment nous allions décider de l’appartenance à nos collectivités. Je reviens encore une fois à nos systèmes — nos systèmes naturels qui encadrent les familles et les membres de nos collectivités. Les critères de notre appartenance et la généalogie, les relations et les liens ne cadrent pas avec la Loi sur les Indiens, dont l’objet est d’imposer un système colonial qui détermine mon identité en tant que femme. Suis-je Anishinabe, Indienne inscrite ou personne visée par un traité?
Ces questions exigent un débat. Je le demande instamment à chacun d’entre vous — vous êtes les décideurs — puisque vous formulerez les recommandations. Parlez-en entre vous, mais je pense que toutes les personnes venues témoigner veulent avoir la capacité de prendre les meilleures décisions pour nos enfants, pour les personnes visées par le paragraphe 6(2) et ceux qui ne sont pas encore nés. Merci.
Le sénateur Tannas : Merci.
La sénatrice Audette : Merci beaucoup de nous faire part de vos observations, de vos paroles et de vos histoires. Merci de votre présence parmi nous.
Je voudrais comprendre quelque chose. Vous avez mentionné, cheffe Whitford, que 800 membres étaient reconnus. Je vais employer les termes de la Loi sur les Indiens, mais ce n’est pas de gaieté de cœur. Je veux seulement comprendre. Ottawa a reconnu seulement 800 membres de vos effectifs, même si vous êtes plus nombreux?
Mme Whitford : Par exemple, j’ai demandé à notre département du logement, notre administrateur, d’examiner notre financement, et j’ai demandé aux agents de Services aux Autochtones Canada de dire quelle était la formule employée pour financer nos services. Une des formules se fonde sur les effectifs. Le ministère utilise les chiffres qui étaient valides il y a 10 ou 15 ans, lorsque la nation O’Chiese comptait 800 membres, alors que nous sommes 1 500 aujourd’hui. Ces données périmées expliquent le décalage aberrant du financement par rapport à la réalité.
La sénatrice Audette : Mon autre question s’adresse à vous deux.
Il y a 40 ans, nos mères étaient assises à votre place pour dénoncer la Loi sur les Indiens — il y avait quelques hommes, mais la plupart de ces personnes étaient des femmes — et certaines d’entre nous aujourd’hui prennent le flambeau. Récemment — depuis les 10 dernières années —, on entend de plus en plus souvent cette idée que ce sont les chefs, et non pas le gouvernement qui devraient décider, contrôler et agir. Selon ce que j’ai entendu dernièrement, un grand nombre de chefs et d’anciens chefs affirment qu’ils n’étaient pas prêts il y a 20 ans, mais qu’ils le sont maintenant. Que devons-nous proposer à l’autre Chambre? C’est un projet de loi du gouvernement. De nombreux chefs sont prêts. Ils invoquent l’obligation de consulter, qui n’est pas explicitée dans certains projets de loi. Qu’en pensez-vous? Êtes-vous prête comme cheffe de vous occuper de votre peuple et d’en reconnaître les membres?
Mme Whitford : J’ai beaucoup à dire à ce sujet, mais je vais me retenir.
En tant que leader de ma communauté, le processus que je dois suivre consiste à consulter les aînés et à discuter avec nos membres. C’est notre façon de procéder. Dans le cadre de ce processus, je dois leur rendre compte. J’ai été choisie comme leader, mais je dois leur rendre compte. Je prends des décisions, mais en suivant le processus, en les consultant, de membre à membre, en tant que matriarche au sein de la communauté, pour tout ce que je fais au sein de la communauté. Je dois être vigilante sur la façon de procéder.
Je trouve que le système commence à se fissurer. Nous avons maintenant des chefs qui sont des chefs « exécutifs ». Personnellement, je ne pourrais jamais parler au nom d’un autre chef. Personnellement, je ne pourrais jamais prendre une décision pour une autre communauté. Dans ma déclaration préliminaire, j’ai mentionné nos alliés. Nous travaillons avec deux autres Premières Nations, et les leaders travaillent ensemble pour que tout ce que nous demandons pour protéger nos enfants et les droits issus de traités de nos nations résonne plus fort.
Au sujet des organisations, il semble que ce soit le lieu où les gens vont consulter. Les vraies consultations doivent se tenir au sein des communautés. On entend et observe des gens contester le paragraphe 6(2). On entend des gens que vous n’entendez pas normalement ici. Les vraies consultations doivent se tenir au cœur même des communautés, auprès des gens. Merci.
Le président suppléant : Nous approchons de la fin, alors je vais vous demander, sénateur Francis, de vous en tenir à deux minutes en tout pour la question et la réponse.
Le sénateur Francis : Quand on a demandé à la ministre Gull-Masty combien de mois de plus ou même d’années il faudra au gouvernement fédéral pour éliminer toutes les autres formes de discrimination, y compris l’inadmissibilité de la seconde génération, elle n’a donné aucune date. Le fait est que même si elle l’avait fait, la ministre ne peut pas, malgré ses meilleures intentions, garantir que le Canada éliminera la discrimination avant qu’il y ait un remaniement du Cabinet ou des élections fédérales. Pourquoi devrions-nous la croire en ce moment?
Mme Whitford : Voulez-vous répondre à cette question?
M. Cooke : Ce n’est vraiment pas une question facile.
Ce que je trouve intéressant actuellement et qui me trotte toujours dans la tête, c’est le fait que nous, en tant que membres du peuple anishinabe, devons constamment prouver qui nous sommes, pendant que nous voyons des gens et des organisations s’identifier faussement et progresser plus rapidement que nous ne le faisons. Y a-t-il une part de discrimination dans tout cela? Oui, et je pourrais continuer sur ce sujet pendant un bon bout de temps, parce qu’il y a tellement d’écarts dans les façons de faire les choses. Alors, oui. Par où faut-il commencer? Nous aurons besoin de plus de trois minutes pour en discuter.
Mme Whitford : J’aimerais ajouter que l’urgence est d’avoir un amendement pour renforcer les dispositions sur l’appartenance, et vos recommandations, j’ose espérer, viseront à protéger nos membres et à interdire l’inadmissibilité. Nous nous exposons en vous demandant de parler en notre nom, et j’ai besoin d’avoir confiance que vous allez prendre soin de nos enfants, et que cela ira au-delà des inadmissibilités aux paragraphes 6(1) et 6(2). Supprimez cela et améliorez les choses.
Le président suppléant : Honorables sénateurs, nous sommes arrivés à la fin du temps prévu avec ce groupe de témoins. Je les remercie tous d’avoir été avec nous aujourd’hui. Si vous avez d’autres mémoires à nous soumettre, veuillez les faire parvenir par courriel à notre greffier.
J’aimerais maintenant présenter les membres de notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons, par vidéoconférence, du Conseil des Premières Nations du Yukon, la Grande Cheffe Math’ieya Alatini. Nous avons avec nous à la table, de l’Organisation des chefs du Sud, le Grand Chef Jerry Daniels, qui est accompagné de Sandra Hodzic, conseillère du chef, Affaires politiques, Bureau du Grand Chef; et du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke, nous avons le Chef Jeremiah Johnson. Bienvenue à tous.
Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Nos témoins nous présenteront leurs déclarations préliminaires d’environ cinq minutes chacune, après quoi nous passerons à la période des questions des sénateurs.
Math’ieya Alatini, Grande Cheffe, Conseil des Premières Nations du Yukon : Bonjour, sénateurs. [Mots prononcés dans une langue autochtone.]
Je m’appelle Math’ieya Alatini, Grande Cheffe du Conseil des Premières Nations du Yukon et Cheffe régionale de l’Assemblée des Premières Nations. Je suis membre de la Première Nation de Kluane, une Première Nation autonome qui se trouve ici, dans le Sud-Ouest du Yukon.
Je parle aujourd’hui au nom des Premières Nations du Yukon — dont 11 sont signataires de traités modernes et 3 sont encore régies par la Loi sur les Indiens — qui portent à la fois la promesse et le fardeau des lois canadiennes. Je vais parler des modifications à l’une de ces lois qui feraient en sorte de vraiment respecter l’honneur de la Couronne et les garanties d’égalité de tous devant la loi prévues dans la Charte.
Je veux saluer les propos de la Cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations. Elle a expliqué clairement les changements techniques dans le projet de loi S-2. Je ne vais pas les répéter. Par contre, je vais souligner deux éléments qu’elle a mentionnés. Premièrement, l’émancipation était un outil d’assimilation, et deuxièmement, la discrimination existe encore. Mon objectif aujourd’hui est de vous montrer où elle persiste et comment vous pouvez y mettre fin.
Ma famille a fait l’expérience de la Loi sur les Indiens. Ma grand-mère de 96 ans est une femme des Premières Nations inscrite, bénéficiant du plein statut, qui a eu des enfants en vivant en union libre avec un homme des Premières Nations non inscrit. Comme cet homme, comme bien d’autres, était ciblé par l’agent des Indiens et désigné par le prêtre catholique de l’endroit pour avoir eu des enfants hors mariage, il a fait une déclaration solennelle pour en reconnaître la paternité. En vertu de la loi à l’époque, ma grand-mère et ses enfants ont donc perdu leur statut indien. Ma mère et mon oncle ont fait partie des enfants qui ont été émancipés, non pas parce qu’ils étaient moins dénés ou kluanes que les autres, mais parce qu’une disposition arbitraire de la Loi sur les Indiens ciblait les enfants des Premières Nations nés hors mariage dans les années 1950. La déclaration solennelle a été déposée sans que ma grand-mère soit consultée. Cette mesure législative irréfléchie n’a été en place que quelques années, puis a été modifiée, mais sans que le statut des enfants touchés ait été rétabli.
Ma mère a tenté de retrouver son statut au début des années 1970 avec l’aide d’un conseiller juridique de ce qui s’appelait alors la Fraternité des Autochtones du Yukon. Cette tentative a échoué en raison de la déclaration solennelle de notre père, membre non inscrit d’une Première Nation, et de la disposition de la Loi sur les Indiens qui précisait que le statut était laissé à la discrétion du surintendant des Affaires indiennes ou devait faire l’objet d’une recommandation de la bande indienne, mais celle de Kluane n’a pas eu de chef ou de conseil reconnus avant 1964.
La Loi sur les Indiens a fait d’une affaire de famille un outil d’assimilation. Ce qui devait être une source d’appartenance est devenu une cause d’effacement. Ma mère a plus tard retrouvé son statut aux termes du projet de loi C-31 et du paragraphe 6(1), et moi, aux termes du paragraphe 6(2). En vertu des dispositions de report, le statut s’éteint avec moi, à moins que l’autre parent de mes enfants ait aussi le statut, ce qui n’est pas le cas. Ce n’est pas ce qu’on appelle de la réconciliation. C’est une extinction légiférée à retardement.
Les Premières Nations du Yukon appuient l’abrogation des alinéas 6(1)d) et 6(1)e) pour remédier aux torts persistants de l’émancipation. Ceux qui ont été exclus doivent avoir la possibilité de transmettre leur statut sur un pied d’égalité avec ceux qui n’ont jamais fait l’objet d’une telle exclusion. Cette proposition est conforme à l’article 15 de la Charte et aux principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
L’inadmissibilité de la seconde génération et le système à deux volets 6(1) et 6(2) continuent de diviser nos familles en ceux qui ont le statut et ceux qui en sont privés. Ces règles techniques touchent à l’appartenance communautaire et sont conçues pour réduire graduellement le nombre d’Indiens inscrits au fil du temps. Dans la pratique, elles divisent les cousins, rendent inadmissibles les petits-enfants aux programmes et services et transforment l’identité en formalités administratives.
Si le projet de loi S-2 vise vraiment la réconciliation, et n’est pas simplement un outil pour gérer les litiges, nous devons alors remédier à toutes les formes connues de discrimination maintenant, et non reporter cela. Un report n’est pas neutre, car chaque année écoulée veut dire que plus d’enfants sont privés de leur statut.
Au Yukon, nous le voyons tous les jours dans le système de santé et celui de l’éducation, et dans les sports, où les jeunes des Premières Nations non inscrits paient des frais que leurs cousins inscrits n’ont pas à payer, ou encore sont exclus de tournois qui leur servent à bâtir des liens et leur fierté. Nous le voyons dans la vie citoyenne, car des membres de la famille non inscrits ne peuvent pas voter ou devenir leader dans leur nation d’origine, ce qui affaiblit leur identité et leur sentiment d’appartenance à la communauté. Nous le voyons dans le domaine de la santé et la sécurité publiques, et dans un contexte où les intoxications aux opioïdes et la violence font des ravages, car tout ce qui coupe les liens entre nos jeunes et leurs communautés accroît les risques pour eux. Nous le voyons aussi dans la mobilité transfrontalière. De nombreuses familles yukonaises chevauchent la frontière entre le Yukon et l’Alaska, et on nous demande encore de fournir notre pourcentage de sang indien ou des lettres confirmant notre statut pour faire l’aller-retour.
La justice exige des échéanciers, comme nous le rappelle la Commission de vérité et réconciliation. La réconciliation est un verbe, et elle exige des mesures concrètes à partir du moment où la vérité est connue.
Au Yukon, la plupart des Premières Nations sont autonomes. Nous établissons la citoyenneté en vertu de notre constitution et des ententes finales. Nous servons tous nos citoyens — inscrits et non inscrits —, mais les formules et les programmes fédéraux sont encore basés sur le nombre d’Indiens inscrits, ce qui veut dire que les règles d’inscription d’Ottawa ont des répercussions directes sur notre capacité à servir nos gens. L’autonomie gouvernementale n’a pas annulé l’obligation fiduciaire du Canada, ses obligations en vertu de la Charte ou ses engagements liés à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Nous vous demandons d’adopter les correctifs liés à l’émancipation prévus dans le projet de loi S-2, afin de garantir que les personnes qui voient leur statut rétabli puissent le transmettre aussi à leurs descendants; de remplacer l’inadmissibilité de la seconde génération par la règle du parent unique et de rétablir le statut de ceux déjà exclus; de corédiger un plan de mise en œuvre avec les Premières Nations pour moderniser l’inscription; de respecter la citoyenneté basée sur la nation; de réformer les formules de financement afin que les nations ne soient pas pénalisées pour les retards fédéraux et de rendre publics les rapports sur les progrès et les écarts à combler; de supprimer le langage discriminatoire et dépassé; et de faire en sorte que la désinscription volontaire ne puisse pas être utilisée comme forme d’émancipation. Ces étapes ne minent pas l’autonomie gouvernementale; elles la renforcent en rétablissant la cohérence et la dignité au sein des communautés.
Je veux répondre à deux préoccupations courantes, d’abord le coût. La réconciliation a un prix. L’assimilation aussi, et nous l’avons payé : perte de vies, perte de nos langues et perte de notre sentiment d’appartenance. La prudence en matière financière ne peut pas justifier la discrimination juridique.
Ensuite, certains ont dit que le projet de loi S-2 n’a jamais été censé être aussi ambitieux, mais comme la Commission de vérité et réconciliation nous l’a appris, quand vous voyez de l’injustice et avez le pouvoir d’y mettre fin, l’honneur de la Couronne exige que vous agissiez.
En terminant, quand ma mère a retrouvé son statut aux termes du projet de loi C-31, c’était un retour au bercail — partiel, conditionnel et bureaucratique, mais tout de même un retour au bercail —, mais la même loi me dit maintenant que tout s’éteint avec moi et que mes enfants et petits-enfants pourraient être des étrangers au sein de leur propre peuple pour des raisons de statut.
Sénateurs, la réconciliation vous invite à travailler de bonne foi avec les peuples autochtones. Le projet de loi S-2 vous donne la chance de passer de la réparation du passé à la protection de l’avenir. Mettez un terme à ce qui reste de l’émancipation. Mettez un terme à l’inadmissibilité de la seconde génération. Faites le choix d’avoir une loi qui garde les familles ensemble et d’honorer les nations qui vivent dans ce pays.
Gunalchéesh, Shäw níthän, Kwänäschis, Mahsi’.
Le président suppléant : Je vous remercie, Grande Cheffe Alatini.
Jerry Daniels, Grand Chef, Organisation des chefs du Sud : Aniin, Boozhoo. Honorables membres du comité, monsieur le président, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole devant vous et de vous faire part de notre point de vue sur le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens.
Je m’appelle Jerry Daniels. Je suis le grand chef de l’Organisation des chefs du Sud qui représente 32 Premières Nations dans le Sud du Manitoba, les traités nos 1, 2, 3, 4 et 5, y compris les nations dakotas, soit 87 000 citoyens des Premières Nations.
À l’Organisation des chefs du Sud, notre travail trouve sa source dans les relations fondées sur les traités et les droits inhérents à nos nations. Nous sommes guidés par le principe qu’aucun enfant des Premières Nations ne devrait perdre son identité ou ses droits simplement parce que des dispositions coloniales restreignent l’inscription au statut.
On constate un déséquilibre dans les inscriptions lorsqu’on examine des systèmes comme celui de la protection de l’enfance, où de nombreux registres de naissance ne mentionnent qu’un seul parent. De ce fait, ces enfants perdent leur statut et deviennent soit visés par le paragraphe 6(b), soit perdant tout simplement leur statut. Il s’agit d’une situation très particulière créée par le colonialisme et qui continue d’avoir des répercussions sur les enfants des Premières Nations.
Les répercussions persistantes de la Loi sur les Indiens ont divisé les familles, nié l’identité de leurs membres et érodé les liens communautaires pendant des générations, et elles sont le fruit d’une histoire cruelle de génocide culturel qui se poursuit ici même, au Canada, aujourd’hui. Nous ne pouvons plus accepter les visions paternalistes du Canada à l’égard de notre identité, et nous réclamons une réforme substantielle qui n’a que trop tardé.
L’Organisation des chefs du Sud appuie, en principe, de nombreuses mesures dans le projet de loi S-2, et les considère comme une étape en vue d’éliminer la discrimination dans le processus d’inscription de la Loi sur les Indiens. Cependant, il ne prévoit pas de solution pour la règle d’inadmissibilité de la seconde génération, la règle des deux parents introduite en 1985 dans le cadre du projet de loi C-31, qui empêche les enfants et petits-enfants des titulaires de statut de s’inscrire si, pendant deux générations consécutives, un seul parent a le statut. Nulle part ailleurs dans le monde, vous ne voyez des citoyens de pays comme le Canada, par exemple, où si vous avez un enfant avec un non-Canadien, vous empêchez cet enfant d’avoir la citoyenneté canadienne. Il devrait en être de même pour les Premières Nations, et la compétence des Premières Nations devrait prévaloir dans ce cas.
Nous appuyons certaines dispositions, mais elles ne vont pas assez loin. Nous saluons les efforts visant à éliminer la discrimination et les inégalités fondées sur le sexe qui subsistent pour l’inscription, mais nous devons aussi voir que ces modifications s’inscrivent dans un débat plus large sur l’autodétermination en matière de citoyenneté et d’identité. De nombreux programmes et services fédéraux destinés aux Premières Nations reposent encore sur l’inscription de nos membres. L’exclusion continue de citoyens en raison de la règle de l’inadmissibilité perpétue cette injustice.
La réforme fondée sur la loi n’est qu’une étape sur le chemin de la réconciliation. La véritable justice exige que nos nations participent de manière concrète aux décisions relatives à leurs membres et que nos systèmes de citoyenneté, d’identité et d’appartenance reposent sur le droit inhérent et les relations fondées sur les traités, et non uniquement sur la loi fédérale. L’organisation insiste sur le fait que la véritable réconciliation passe par le transfert du statut d’Indien du contrôle fédéral à l’autorité inhérente des Premières Nations, afin que nous puissions définir la citoyenneté et l’appartenance selon nos propres lois, traditions et systèmes de gouvernance.
Au nom de ses 32 nations membres, l’organisation soumet respectueusement les recommandations suivantes concernant le projet de loi S-2.
La première concerne le contrôle de la citoyenneté par les Premières Nations. Une véritable réconciliation implique d’aller au-delà des modifications fragmentaires du cadre colonial. Nos nations doivent ultimement retrouver leur plein pouvoir de déterminer leur identité, conformément à leurs lois et traditions. Le projet de loi ne règle pas le problème de l’inadmissibilité de la seconde génération, mais il remédie à de nombreuses injustices de longue date qui doivent être corrigées, sans toutefois aller assez loin. Le temps que nous perdons coûte des vies, nous fait rater une occasion d’avancer et crée de nombreux obstacles. Nous recommandons donc de pousser plus loin l’examen du projet de loi, car le fait de ne pas inclure un véritable amendement pour remédier au problème de l’inadmissibilité de la deuxième génération constituerait une occasion ratée.
Afin de garantir que les citoyens admissibles des nations membres de l’organisation puissent demander leur statut de membre, le Canada doit s’engager à financer et à fournir les ressources nécessaires au fonctionnement d’un bureau d’inscription et d’autres services de soutien communautaires.
Dans le même ordre d’idées, l’organisation souhaite demander l’abolition immédiate de la règle de l’inadmissibilité de la seconde génération, et son remplacement par la règle du parent unique. Cette mesure serait conforme à la Loi sur la citoyenneté et aux principes fondamentaux d’égalité.
L’organisation demande que le droit de transmettre le statut soit accordé à tout parent qui y a droit, car nous ne pouvons pas demander à nos citoyens d’attendre plusieurs années avant que cela ne change.
Problèmes de capacité et reddition de comptes :
L’élargissement de l’admissibilité en vertu du projet de loi S-2 créera des pressions administratives importantes pour les communautés qui manquent déjà de ressources. Nous demandons à Services aux Autochtones Canada de fournir des fonds et du soutien afin que les Premières Nations puissent gérer les nouvelles demandes d’inscription et veiller à ce que le financement des services, du logement et de l’éducation reflète l’augmentation réelle de la population qui en découle, et cela comprend aussi un engagement à l’égard d’une mise en œuvre transparente — notamment l’échange de données et la consultation des nations concernées — afin de garantir que personne ne sera laissé pour compte. L’organisation demande que les indicateurs, les échéanciers et les rapports Ce que nous avons entendu soient rendus publics et régulièrement mis à jour afin que les nations puissent suivre les progrès et demander des comptes au gouvernement.
Enfin, le comité devrait surveiller les engagements pris par le Canada dans le cadre du Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, y compris pour ce qui est de la réforme de l’inscription.
En conclusion, ce projet de loi est une étape importante, mais elle ne peut être la dernière. Nous devons aller vers un avenir où ce sont nos nations, et non une loi coloniale, qui définissent qui sont nos citoyens.
L’Organisation des chefs du Sud tient à être claire : aucun enfant d’un parent autochtone inscrit ne devrait être exclu de son appartenance ou privé de la capacité de se reconnecter, de préserver sa culture ou d’accéder à ses droits et services. Il faut mettre fin à la règle des deux parents.
Au nom des chefs et des citoyens des 32 nations, je demande au comité d’encourager une réforme qui respecte nos droits inhérents et nos relations découlant des traités. Nous demandons au Canada de nous aider à créer un avenir où nos enfants et nos petits-enfants seront pleinement reconnus, pleinement connectés et pleinement intégrés.
Au nom de l’Organisation des chefs du Sud, je me réjouis à l’idée de poursuivre ce dialogue avec le comité et Services aux Autochtones Canada dans les semaines et les mois à venir. Meegwetch. Pidamaya ye. Merci.
Le président suppléant : Merci, grand chef Daniels.
Chef Jeremiah Johnson, Conseil des Mohawks de Kahnawàke : Merci beaucoup. [Mots prononcés en langue autochtone]
Shekon wa’tkanonhweraton sewakwekon.
Ratsénhaienhs Jeremiah Johnson Iontiats.
Je m’appelle Ratsénhaienhs Jeremiah Johnson, du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke. Je comparais devant vous aujourd’hui en tant que représentant du Conseil des Mohawks et du peuple de Kahnawà:ke pour vous faire part de notre position sur le projet de loi S-2.
Permettez-moi de commencer par dire clairement que Kahnawà:ke s’oppose au projet de loi S-2. Même si le projet de loi peut être présenté comme un pas vers la réconciliation, il perpétue une tendance de longue date à l’ingérence fédérale dans des questions qui relèvent intrinsèquement des Premières Nations : qui est reconnu comme Onkwehonwe, qui appartient à nos communautés. Depuis des générations, la Loi sur les Indiens impose des définitions de l’identité qui divisent nos familles, effacent nos histoires et minent notre gouvernance. Même s’il vise à corriger des injustices comme l’émancipation involontaire et un langage désuet, le projet de loi S-2 s’inscrit toujours dans un cadre colonial. Il ne démantèle pas le système, il change simplement son vocabulaire.
Le projet de loi propose d’ajouter environ 3 500 personnes au Registre des Indiens, dont certaines pourraient chercher à résider dans nos collectivités. Pourtant, il n’y a pas eu de véritable consultation avec Kahnawà:ke... Pas de dialogue sur la façon dont cet afflux pourrait avoir une incidence sur nos logements, nos services, notre gouvernance ou nos lois. Encore une fois, on s’attend à ce que nous absorbions les conséquences des décisions prises sans un engagement significatif ou notre consentement.
À Kahnawà:ke, nous avons notre propre loi Kanien’kehá:ka de Kahnawà:ke, établie en 1981 et modifiée de nouveau en 2019. Cette loi a été adoptée dans le cadre d’un processus décisionnel communautaire consensuel et ancré dans nos coutumes et notre volonté collective. Nous avons le registre Kahnawà:ke Kanien’kehá:ka, qui est fondé sur la lignée. Nous ne reconnaissons pas la Loi sur les Indiens à titre d’autorité pour déterminer qui est notre peuple. Il revient aux Onkwehonwe de déterminer qui est Onkwehonwe.
Kahnawà:ke a toujours maintenu fermement que le Canada devait cesser d’ajouter des personnes à la liste de la bande de Kahnawà:ke après avoir accordé le statut d’Indien, et plutôt maintenir un registre général distinct du statut d’Indien et respecter la compétence de Kahnawà:ke sur ses propres membres. Cette position a été maintenue par Kahnawà:ke à la table des relations Kahnawake-Canada pendant plusieurs années et elle est conforme aux principes d’autodétermination.
Le projet de loi S-2 ne s’attaque pas non plus à des problèmes systémiques plus profonds, comme l’exclusion après la deuxième génération et les seuils de vote prévus à l’article 10, qui continuent de priver notre peuple de son droit de vote. Il ne s’agit pas simplement de problèmes techniques; il s’agit de violations de notre droit à l’autonomie gouvernementale.
Nous comprenons que ce projet de loi répond aux litiges en vertu de la Charte, mais la conformité juridique ne devrait pas se faire au détriment de la compétence autochtone. La solution n’est pas de rafistoler continuellement une loi défaillante; il faut respecter nos lois et notre droit de gouverner nos propres affaires.
Nous exhortons le comité à tenir compte des répercussions plus larges du projet de loi S-2. Si la réconciliation est son réel objectif, le Canada doit cesser de légiférer sur qui nous sommes. Il doit plutôt soutenir nos efforts visant à nous définir, à nous gouverner et à prendre soin de notre peuple selon nos propres conditions.
En terminant, je vous demande de vous rappeler que l’identité n’est pas une catégorie bureaucratique. Il ne s’agit pas simplement de cocher une case sur un formulaire. Il s’agit d’un lien culturel sacré entre une personne, sa communauté et sa nation. Ce lien ne peut pas être légiféré par Ottawa. Il doit être reconnu, respecté et protégé par ceux qui prétendent suivre la voie de la réconciliation.
Nia:wen kó:wa. Je vous remercie de m’avoir écouté. J’ai terminé.
Le président suppléant : Merci, chef Johnson.
Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. Honorables collègues, vous disposerez chacun de quatre minutes pour vos interventions, ce qui comprend le temps consacré à la question et à la réponse. Je vous aviserai lorsqu’il vous restera 30 secondes.
Le sénateur Francis : Je vous remercie tous de vos témoignages ce matin. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Je vais poser une question que j’ai posée au premier groupe de témoins. Lorsque les sénateurs ont demandé combien de mois, voire d’années, il faudra au gouvernement fédéral pour remédier à toutes les formes de discrimination restantes, y compris l’exclusion après la deuxième génération, la ministre Gull-Masty n’a pas fixé de date. Pourtant, même si elle le faisait, la ministre ne peut pas, malgré ses meilleures intentions, garantir que le gouvernement du Canada mettra fin à la discrimination. Il pourrait y avoir un remaniement ministériel ou d’autres élections fédérales, par exemple. Ma question est donc la suivante : pourquoi devrait-on croire que cette fois-ci sera la bonne, que le Canada agira rapidement pour mettre fin à toutes les formes de discrimination restantes et que les Premières Nations n’attendront pas et ne se battront pas pendant des années, voire des décennies, pour l’égalité et la justice?
M. Johnson : Je ne sais pas s’il y aura une fin à cela un jour. Nous luttons depuis des centaines d’années contre la discrimination, et je crois que nous devrons nous battre encore très longtemps. J’ai pris le relais de ma grand-mère, une aînée qui s’est battue de la même façon que moi en ces endroits, pour nos droits et notre capacité à définir qui nous sommes. Elle m’a dit qu’elle ne verrait pas la fin de la discrimination de son vivant, et que moi non plus, je ne la verrais pas. C’est ce que je crois aussi. Je serai là pour me battre jusqu’à ce que la prochaine génération prenne le flambeau.
M. Daniels : Le problème avec les gouvernements, c’est qu’ils n’ont jamais fait les choses de la bonne façon, à mon avis. Les Premières Nations n’auraient jamais dû être assujetties à la législation canadienne. Nos gouvernements auraient dû continuer d’exister et être respectés pour leur indépendance et leur souveraineté. Quand on examine le statut socioéconomique des Premières Nations, on constate qu’elles sont désavantagées de façon disproportionnée. C’est nous qui sommes en prison. C’est nous qui avons de faibles résultats en matière d’éducation. C’est nous qui vivons dans la pauvreté et qui sommes aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Une grande partie de la structure fonctionne au détriment de nos Premières Nations. Ce sont les faits. Je ne vois pas beaucoup de dirigeants au pays qui sont prêts à se lever pour contester le système existant, et c’est très malheureux.
Mme Alatini : Je ne suis pas certaine de comprendre votre question. Est-ce que vous demandez combien de temps il faudra au gouvernement pour mettre fin à la discrimination?
Le sénateur Francis : Oui, et croyez-vous que le gouvernement actuel abordera la question pour mettre fin à la discrimination et au génocide qui dure depuis des années?
Mme Alatini : J’espère que le projet de loi sera adopté. Je crois qu’au point où nous en sommes, le mieux que nous puissions espérer, ce sont des améliorations progressives. Je ne crois pas qu’il y aura des changements radicaux. Je n’ai pas de baguette magique. Je serais heureuse si le projet de loi était adopté. Je crois qu’il reste beaucoup de travail à faire.
Le président suppléant : Avez-vous une autre question?
Le sénateur Francis : Oui. Je voulais demander à la grande cheffe son opinion au sujet de l’amendement de l’exclusion en vertu du paragraphe 6(2)
Mme Alatini : Selon ce que je comprends, il permet aux personnes visées par l’exclusion du paragraphe 6(2), dont je fais partie, d’être admissibles à la réintégration ou à leurs enfants d’avoir le statut. Je crois qu’il s’agit d’une situation assez commune. Ce serait un geste de réconciliation que de modifier la loi afin de permettre à mes enfants, qui sont Autochtones, d’avoir ce statut. Tous leurs cousins l’ont, mais comme ma mère était visée par le paragraphe 6(1), mes enfants ne l’ont pas.
La sénatrice Audette : Je remercie tous les témoins de leur présence. Vous nous avez parlé de votre vérité et aussi de votre vision pour nos enfants et nos petits-enfants. J’ai eu le privilège de rencontrer Mary Two-Axe Earley il y a très longtemps de cela, et j’ai pu comprendre pourquoi elle a défendu votre territoire et votre communauté. Chef Johnson, j’aimerais comprendre. Si vous avez votre loi depuis 1981, est-ce que le projet de loi S-2 va la changer ou l’affecter?
M. Johnson : Non, les dispositions de la Loi sur les Indiens n’ont aucune incidence sur notre loi relative à l’appartenance.
La sénatrice Audette : D’accord. Quelle est la disposition de votre code d’appartenance relative aux femmes de votre nation qui se marient à un non-Indien? Nous savons que certains hommes ont marié des femmes canadiennes, mais ont été inscrits en 1981. Où est la justice si les hommes sont inscrits, mais pas les femmes? Est-ce toujours le cas aujourd’hui?
M. Johnson : Ce n’est pas le cas pour nos membres. Nous utilisons le code coutumier. Les enfants issus d’une relation entre un Onkwehonwe et un non-Onkwehonwe ont le demi-statut. Ils peuvent épouser un Onkwehonwe ou épouser un non-Indien. Les hommes comme les femmes. Il n’y a pas de discrimination sexuelle.
La sénatrice Audette : Quelle est cette liste? Vous avez dit qu’il y avait une liste fédérale ou qu’Ottawa avait une liste?
M. Johnson : Oui. La liste fédérale des registraires des Indiens doit être maintenue séparément. Lorsqu’une personne obtient le statut d’Indien, elle est automatiquement assignée à une communauté, comme Kahnawake.
La sénatrice Audette : Je vous remercie pour cette précision.
La sénatrice McCallum : Nous vous remercions pour vos témoignages.
Ma question s’adresse au grand chef. Comment voyez-vous la progression de la relation avec le gouvernement et les modifications qui sont apportées? La situation de l’Organisation des chefs du Sud diffère grandement de celle du reste du Canada, et on ne peut appliquer une solution universelle. On tient des consultations, mais je ne sais pas sur quoi elles portent. Selon vous, quelle est la meilleure façon de procéder dans le cadre des discussions avec le bureau de la ministre?
M. Daniels : Je crois que nous devons tenir compte de ce que l’histoire nous a appris : que les Premières Nations n’ont jamais accepté d’être privées de leurs droits dans le cadre de cette relation. C’était une politique coloniale. Elle ne reflétait pas la véritable relation. Pendant des années, les Premières Nations ont toujours respecté leur part de l’entente. Pour moi, la solution réside dans une règle de descendance monoparentale. Il n’y a aucune société dans le monde qui accepterait qu’un enfant puisse être exclu uniquement parce que son père ou sa mère n’est pas membre des Premières Nations. Je pense que dans toute société, peu importe laquelle, les enfants font partie de leur communauté; cela ne change pas. Si c’est le père qui s’occupe de l’enfant, il fait partie de sa communauté. Si c’est la mère qui s’en occupe, alors il fait partie de la communauté de sa mère.
Le Canada essaie de se soustraire à son obligation de respecter les promesses qui ont été faites et qui étaient censées durer aussi longtemps que le soleil brillera, que l’herbe poussera et que les rivières couleront.
La sénatrice McCallum : En tant que groupe, comment allez-vous entreprendre un changement dans vos communautés? J’essaie de me faire une idée du processus et de ce que doivent faire les collectivités, les leaders.
M. Daniels : Nous devons avoir le contrôle des terres qui ont été promises dans le Traité. Il nous faut notre propre système de soins de santé et notre propre système de garde d’enfants. Nous devons avoir accès à nos propres ressources. Il faut éliminer les obstacles qui empêchent les économies des Premières Nations d’être concurrentielles et d’obtenir les investissements des entités étrangères qui pourraient travailler avec nous. C’est ainsi que notre pays a été bâti. Il n’y a aucune raison pour que les Premières Nations ne puissent pas se bâtir de la même façon. Nous avons été exclus de nombreuses façons, et nous pourrions gérer bon nombre de ces éléments nous-mêmes. Nous n’avons tout simplement pas eu l’occasion de le faire.
La sénatrice McCallum : Est-ce que quelqu’un d’autre souhaite répondre?
Mme Alatini : Vous soulignez une situation unique où nous avons des titulaires de traités modernes et où, dans les 11 nations autonomes, tout le monde a sa propre constitution et ses propres codes de citoyens, qu’il s’agisse d’un code traditionnel ou d’un code qui est quasi touché par la Loi sur les Indiens. Nous tenons principalement deux listes de citoyens distinctes. Nous avons la liste de citoyens qui reconnaît tous nos membres, puis nous avons le statut d’Indien inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous obtenons du financement en vertu de nos ententes définitives pour ceux qui sont inscrits, et nous fournissons des services à tous les citoyens, qu’ils soient inscrits ou non, étant donné notre situation de Premières Nations, en fonction de notre registre matrilinéaire. Cela crée un écart parce que nous cherchons à fournir des services pour lesquels nous ne recevons pas d’argent. En ce qui concerne mes enfants, pour qui nous fournissons des services, nous ne recevons pas de financement dans le cadre de nos accords de transfert financier avec le Canada et de nos accords définitifs, parce qu’ils n’ont pas le statut. Puisque les accords de transfert sont souples, nous pouvons dépenser ces fonds comme bon nous semble, mais les nations qui sont assujetties à la Loi sur les Indiens n’ont pas cette souplesse et ne disposent pas des mêmes types de ressources financières pour fournir des services ou des avantages aux citoyens ou aux membres de leur communauté qui ne sont pas inscrits. Cela finit par créer un fossé entre nos nations, et par créer deux camps.
Le président suppléant : Merci, grande cheffe. Les ballons que vous voyez sont pour souligner mon anniversaire.
Mme Alatini : Joyeux anniversaire.
Le président suppléant : Merci.
La sénatrice Clement : Je vous remercie de votre témoignage.
Je tiens à dire bonjour et [mots prononcés dans une langue autochtone] en particulier au chef Johnson. Je viens de Cornwall, en Ontario, sur le territoire traditionnel mohawk d’Akwesasne. Je vous salue de façon particulière.
Grande cheffe Alatini, vous avez parlé de votre mère et de sa réintégration; vous avez parlé d’un retour à la maison partiellement bureaucratique pour exprimer tous les sentiments qui étaient attachés à cet événement. C’est une bonne chose, mais c’est aussi le constat que le gouvernement a rectifié un geste qu’il n’aurait pas dû poser en premier lieu. Ce que vous avez dit était très puissant.
On nous dit d’appuyer le projet de loi S-2. Certains témoins font valoir que c’est une bonne mesure législative, mais qu’elle ne va pas assez loin. Nous subissons également des pressions pour ne pas aller de l’avant. On nous a dit d’attendre et de laisser les consultations avoir lieu. Que répondez-vous à cela? J’aimerais aussi avoir vos commentaires sur les consultations. C’est ce qu’on entend. Vous dites que la question continue de diviser les collectivités, et que ce changement progressif maintiendra cette division.
Mme Alatini : En tant que personne directement touchée, je sais que les tribunaux ont entendu assez d’affaires qui montrent que la discrimination à l’égard des femmes, de la société matriarcale, est maintenue par cette loi. Il est temps de la modifier, ne serait-ce que ce petit passage. Pour les nations matrilinéaires, c’est extrêmement important, car nous parlons de la capacité des nations à recevoir une reconnaissance pour ces citoyens auxquels elles offrent des services, dans notre cas au Yukon. Cela corrige une injustice. Le fait est que des femmes ont perdu leurs droits à la discrétion d’un prêtre. À quel autre endroit au Canada avons-nous cette situation? Si cette injustice était corrigée, ce serait un pas de plus vers la réconciliation.
Je sais que ce n’est pas un changement en profondeur. Nos nations d’un bout à l’autre du Canada ne seront pas d’accord pour modifier ou abolir la Loi sur les Indiens. Il est donc très important de la démanteler petit à petit. J’encourage l’adoption du projet de loi S-2.
La sénatrice Clement : À propos des consultations, avez‑vous d’autres commentaires?
Mme Alatini : À propos des consultations, les Premières Nations du Yukon s’attendent à avoir des discussions de gouvernement à gouvernement et de nation à nation et à ce qu’on respecte la mise en œuvre des traités modernes signés avec le Canada, le Yukon et les Premières Nations. Il est indispensable de pouvoir tenir ces discussions et de reconnaître les codes de citoyenneté et les positions de gouvernance uniques de nos Premières Nations. Je peux comprendre que c’est difficile. Au bout du compte, on mène 694 consultations différentes d’un bout à l’autre du Canada, et comment peut-on concilier le tout dans une loi fédérale? Il y a des traités modernes qui doivent être respectés ainsi que des traités historiques.
La sénatrice Clement : Monsieur Daniels, vous avez dit que nous devrions aller plus loin dans le projet de loi S-2.
M. Daniels : Nous croyons fermement à la pratique exemplaire, et nous pensons qu’il est dans l’intérêt de l’enfant d’avoir ces valeurs dans notre communauté. Nous croyons que nos aînés, nos grands-pères et nos grands-mères n’auraient jamais accepté qu’un enfant soit laissé pour compte. Ce sont ces principes qui orientent notre raisonnement et nos valeurs.
Quand je pense au processus de consultation, je me dis qu’on ne peut pas exclure l’accommodement des Premières Nations et le droit d’inclusion de leurs enfants dans ce qu’elles sont. Il est très regrettable que le Canada continue de penser que c’est acceptable, car c’est le reflet d’un génocide. Cela revient à tuer l’Indien dans l’enfant. C’est juste fait en procédant très lentement. C’est une mort à petit feu. On essaie essentiellement de se défaire d’une responsabilité, et dans ce cas-ci, d’une responsabilité financière. Lorsqu’on lie tous les éléments, on voit la véritable intention.
Nous sommes en faveur de changements graduels, mais nous ne sommes pas d’accord. Nous comprenons pourquoi vous le faites, mais nous pensons encore qu’à la base, cela demeure répréhensible.
La sénatrice Clement : Merci.
Le sénateur Francis : Monsieur le grand chef, pour être certain de bien comprendre, dites-vous que nous devrions adopter le projet de loi S-2, mais avec un amendement qui vise l’exclusion après la deuxième génération et d’autres formes de discrimination? Je crois que c’est ce que vous avez dit, mais je veux le confirmer pour le compte rendu.
Mme Alatini : Oui.
Le sénateur Francis : Merci.
Le président suppléant : On a beaucoup discuté de l’inadmissibilité de la deuxième génération. On a employé des termes comme « assimilation forcée », « génocide » et d’autres mots de ce genre. Est-ce que chacun de vous peut dire ce que cela signifie pour les enfants et les familles dans la communauté? Quelle est l’incidence de cette situation lorsqu’ils cherchent à obtenir certains avantages ou qu’ils interagissent avec d’autres membres de leur communauté? Pouvez-vous nous parler d’expériences vécues, nous donner des précisions ou nous dire ce que vous savez à ce sujet?
M. Daniels : Je pense que le système d’aide à l’enfance est unique. Beaucoup d’enfants n’ont qu’une seule signature sur leur certificat de naissance, et ils n’ont donc pas droit aux services pédagogiques et de santé ainsi qu’à beaucoup d’autres possibilités et avantages attribuables au fait que les Premières Nations se sont battues pour défendre ce pays et pour maintenir leur propre identité.
Nous ne devons pas oublier que la relation fondée sur les traités et les droits inhérents à cette relation sont le reflet des croyances et des valeurs de notre société. Nous avons l’armoire à médicaments parce que c’est ainsi que nous nous gouvernons. Nous avons dû nous occuper de tout le monde. Nous n’avons pas exclu qui que ce soit. Nous avons fait la même chose pour ce qui est de l’éducation. Une grande partie des dispositions portaient sur la volonté des Premières Nations de non seulement en profiter elles-mêmes, mais aussi d’être de véritables partenaires et d’aider à rendre ce pays formidable. Les enfants qui sont exclus et qui n’ont pas ces possibilités finissent plus rapidement en marge sur le plan socioéconomique et ils ont moins de chance de s’en sortir.
M. Johnson : Pour ma communauté, l’inadmissibilité de la deuxième génération revient essentiellement à imposer la politique de quelque d’autre à notre nation. C’est ainsi que nous percevons cette règle. C’est comme si les États-Unis disaient au Canada qui sont ses citoyens. Qui est le Canada pour décider de qui nous sommes? C’est à nous de le faire. La politique a été conçue pour réduire notre population et faire disparaître le « problème indien », pour ainsi dire. Bien entendu, nous nous y opposons, car nous voulons être plus nombreux. Nous ne voulons pas disparaître. Nous sommes d’avis que les dispositions de la Loi sur les Indiens qui portent sur l’appartenance, le lieu de résidence et l’enregistrement nous sont toutes imposées par quelqu’un d’autre.
Mme Alatini : Il y a des exemples.
J’apprécie vraiment les commentaires du grand chef Jerry Daniels, car lorsqu’on pense au bien-être mental et à la crise des drogues toxiques à laquelle nous faisons face, on constate que lorsque les jeunes peuvent pratiquer un sport, cela contribue à leur bien-être mental. Nous organisons un grand tournoi de hockey ici. Il faut être un Indien inscrit pour pouvoir participer. Il ne suffit pas d’être citoyen d’une Première Nation; il faut être inscrit. Ma fille ne peut pas jouer à défaut d’être inscrite, peu importe si elle est membre de la Première Nation de Kluane. Cela nuit à leur bien-être. Ce sont ces infractions mineures, si je puis dire, qui finissent par éroder leur identité et leur sentiment d’appartenance.
Je suis parfaitement d’accord pour dire que la loi a été conçue de manière à réduire pour le Canada le poids du fardeau financier associé aux services offerts aux Indiens inscrits. Il n’est pas question du patrimoine ou d’assurer le bien-être des gens dans les communautés autochtones. Le but est vraiment de réduire le « problème indien » et le fardeau financier qu’il représente.
La sénatrice Audette : En tant que marraine du projet de loi, je veux vous remercier. Je pense que c’est la première fois qu’on nous dit clairement de totalement rejeter le projet de loi. Merci d’avoir eu le courage de venir ici pour le dire. Cela montre que nous n’exerçons aucune influence sur les personnes qui comparaissent ici et sur leurs propos. Je le souligne.
De plus, si j’ai bien compris, selon le code d’appartenance, lorsqu’une femme accouche et qu’aucun père ne signe, l’enfant est reconnu par votre nation, n’est-ce pas?
M. Johnson : Oui.
La sénatrice Audette : Merci beaucoup. J’espère que ce sera écrit noir sur blanc dans le rapport.
Est-ce qu’Ottawa respecte cette façon de faire? Au moment de transférer le budget à votre communauté, est-ce qu’Ottawa respecte la façon dont votre gouvernement reconnaît vos gens, le nombre ou la statistique — je n’aime pas ces mots?
M. Johnson : Pas vraiment. Nous nous penchons là-dessus à nos réunions avec le gouvernement. Nous avons un écart, car 10 000 personnes sont inscrites sur la liste fédérale, mais il y en a 6 600 sur la liste de Kahnawà:ke Onkwehonwe. C’est la différence entre le nombre de personnes qui ont le statut d’Indien inscrit par rapport au nombre de personnes que nous considérons comme des membres de notre communauté.
La sénatrice Audette : Ce que je veux savoir, c’est si vous reconnaissez les enfants dont le père n’a pas signé?
M. Johnson : Oui.
La sénatrice Audette : Donc, cela augmente votre nombre de citoyens.
M. Johnson : Oui.
La sénatrice Audette : Mais est-ce qu’Ottawa reconnaît et respecte cela au moment de faire un transfert à votre gouvernement et à votre communauté, c’est-à-dire la façon dont la règle sur l’inadmissibilité de la deuxième génération est formulée ici?
M. Johnson : On ne tient pas compte du nombre d’habitants dans le calcul des fonds qui nous sont remis. Le gouvernement ne tient pas compte du nombre de personnes que nous avons sur notre territoire. C’est une somme forfaitaire qui provient d’une entente.
La sénatrice Audette : Je vois, merci. C’est utile.
Le président suppléant : Le temps que nous avions pour ce groupe de témoins est écoulé. Je souhaite remercier encore une fois les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui.
Chers collègues, c’est tout pour aujourd’hui.
(La séance est levée.)