LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 5 novembre 2025
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 52 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
[Français]
Sébastien Payet, greffier du comité : Honorables sénateurs, en tant que greffier du comité, il est de mon devoir de vous informer de l’absence forcée de la présidente et de la vice-présidente et de procéder à l’élection d’un président suppléant.
[Traduction]
Je suis prêt à recevoir la motion à cet effet. Y a-t-il des propositions?
La sénatrice McCallum : Je propose le sénateur Prosper.
M. Payet : L’honorable sénatrice McCallum propose que l’honorable sénateur Prosper assume la présidence du comité. Plaît-il aux honorables sénateurs d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
M. Payet : La motion est adoptée. J’invite le sénateur Prosper à occuper le fauteuil.
Le sénateur Paul (PJ) Prosper (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président suppléant : Chers collègues, c’est un honneur et un privilège de présider cette importante réunion aujourd’hui. Avant de commencer, j’inviterais mes collègues et tous les autres participants présents en personne à consulter les cartes qui se trouvent sur la table. Vous y trouverez des directives visant à prévenir les incidents de rétroaction acoustique. Assurez-vous de garder votre oreillette éloignée de tous les microphones en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la placer face vers le bas sur l’autocollant apposé à cet effet sur la table. Merci à tous de votre collaboration.
J’aimerais tout d’abord reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire ancestral non cédé du peuple algonquin anishinabe, où vivent aujourd’hui de nombreux autres peuples des Premières Nations, Métis et Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je tiens à saluer la délégation néo-zélandaise que nous accueillons aujourd’hui. Je vous remercie d’être des nôtres.
Je rappelle à mes honorables collègues que, lors de notre première réunion publique, le 24 septembre, la sénatrice Michèle Audette, qui a été élue présidente de ce comité et qui est la marraine du projet de loi S-2, s’est récusée de son rôle de présidente pour la durée de cette étude afin d’en préserver l’impartialité.
Je demanderais maintenant aux membres du comité présents de se présenter, en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
Le sénateur McNair : Bienvenue. Je m’appelle John McNair et je viens de la province du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Martin : Bonsoir. Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice McCallum : [Mots prononcés dans une langue autochtone]. Merci d’être venus nous aider dans notre travail. Je m’appelle Mary Jane McCallum, je suis Crie, du Traité no 10, de la région du Manitoba.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, sénatrice de l’Ontario, plus précisément de Cornwall, qui se trouve sur le territoire traditionnel des Mohawks.
La sénatrice Pate : Merci et bienvenue. Je suis heureuse et honorée de vivre ici, sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine anishinabe.
Le sénateur Tannas : Je m’appelle Scott Tannas, sénateur de l’Alberta.
Le sénateur Francis : Brian Francis, Epekwitk, Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, du parc national de Banff, territoire du Traité no 7, en Alberta.
La sénatrice White : Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador. Je tiens à souhaiter tout particulièrement la bienvenue à la délégation néo-zélandaise qui souhaitait entendre et rencontrer notre ministre. Merci.
Le sénateur Dhillon : Bonsoir à tous. Je suis le sénateur Dhillon, de la Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Moreau : Bonsoir. Pierre Moreau, sénateur de la division des Laurentides, au Québec. Je suis représentant du gouvernement au Sénat.
[Traduction]
Le président suppléant : Merci. Aujourd’hui, nous poursuivrons notre étude du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).
J’aimerais maintenant présenter nos témoins d’aujourd’hui. Veuillez accueillir à nouveau à la table l’honorable Mandy Gull-Masty, c.p., députée, ministre des Services aux Autochtones. Merci, madame la ministre Gull-Masty, de vous joindre à nous aujourd’hui.
La ministre est accompagnée de fonctionnaires de Services aux Autochtones Canada. Veuillez également accueillir Mme Gina Wilson, sous-ministre; Mme Catherine Lappe, sous-ministre adjointe du Secteur des services aux individus; Mme Lori Doran, directrice générale de la Direction générale des affaires individuelles, Secteur des services aux individus; M. Stuart Hooft, directeur, Direction générale des affaires individuelles, Secteur des services aux individus; M. Sacha Senecal, directeur général et dirigeant principal des données. Merci à tous de votre présence aujourd’hui.
La ministre sera invitée à faire une déclaration préliminaire, puis nous passerons aux séries de questions avec les membres du comité. J’invite maintenant la ministre Gull-Masty à faire sa déclaration préliminaire.
L’honorable Mandy Gull-Masty, c.p., députée, ministre des Services aux Autochtones : [Mots prononcés dans une langue autochtone].
Bonsoir. Je vous remercie de m’accueillir à nouveau. Je traduis pour les interprètes, qui n’offrent pas l’interprétation en cri ce soir. Je suis ravie d’être ici. Je m’appelle Mandy Gull-Masty, et j’ai été nommée par le premier ministre Mark Carney pour appuyer Services aux Autochtones Canada et travailler pour le ministère. Je suis ravie d’être ici.
[Français]
Merci de me recevoir encore une fois. Je ne crois pas que ce soit le processus normal que de comparaître plus d’une fois devant un comité.
[Traduction]
Je pense qu’il est inhabituel qu’une ministre comparaisse plusieurs fois à titre de témoin devant un comité. Je ne suis donc pas une ministre ordinaire, pourrais-je dire, car je suis une Autochtone qui assume cette responsabilité et qui est en poste depuis peu. Donc, je vous remercie de me recevoir.
[Français]
C’est un plaisir d’être ici et de parler avec vous au sujet du projet de loi S-2. Depuis ma dernière comparution, j’ai eu la chance d’échanger avec plusieurs d’entre vous. Merci de ces conversations importantes. Ce processus m’a beaucoup aidée.
[Traduction]
Le projet de loi S-2 présenté ici constitue une réponse longtemps attendue à la discrimination systémique à l’égard des Premières Nations qui est inscrite dans la Loi sur les Indiens. Cette discrimination a causé des préjudices disproportionnés aux Premières Nations, en particulier aux femmes et à leurs descendants.
[Français]
Nous devons parler ce soir de l’adoption rapide du projet de loi S-2.
[Traduction]
Nous devons avoir cette importante conversation.
Le Parlement a jusqu’au mois d’avril prochain pour adopter les modifications prévues dans le projet de loi S-2. Dans l’arrêt Nicholas, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que certaines dispositions de la Loi sur les Indiens, notamment les dispositions relatives à l’inscription et à l’appartenance à une bande, allaient à l’encontre du droit à l’égalité garanti par la Charte. L’adoption du projet de loi S-2 est nécessaire pour faire respecter ces droits et éviter d’autres préjudices.
Monsieur le président, des témoins ont fait valoir l’importance d’éviter de retarder d’apporter les correctifs nécessaires à la Loi sur les Indiens. Leur message était clair. J’ai écouté leurs témoignages. Leurs droits légitimes ne peuvent plus, ne doivent plus et ne devraient plus leur être refusés. Je tenais absolument à venir ici ce soir pour vous transmettre ce message.
Le projet de loi S-2 rétablirait le droit à l’inscription pour les personnes — et leurs descendants — qui ont perdu ce droit par émancipation, involontairement, dans certains cas. Nous reconnaissons également que bon nombre de ces personnes n’ont pas choisi l’émancipation. Ce n’était pas un véritable choix. Certaines personnes l’ont fait par désespoir, par la nécessité d’empêcher que leurs enfants soient emmenés aux pensionnats, tandis que d’autres ont perdu leur droit simplement parce qu’elles exerçaient une profession — médecin, avocate, ou autres fonctions —, touchant injustement plus de femmes des Premières Nations, perpétuant ainsi les répercussions des dispositions discriminatoires qui subsistent aujourd’hui.
Jusqu’en 1985, une femme pouvait perdre son droit à l’inscription si son père ou son époux perdaient leur droit ou si elle épousait un homme non inscrit. La femme et ses descendants étaient privés non seulement d’une reconnaissance juridique, mais aussi de leur identité, de leur lien vital avec la communauté et, surtout, de leurs droits en tant qu’Autochtones. Beaucoup trop de gens ont toujours cette impression aujourd’hui.
Le projet de loi S-2 vise à corriger ces injustices. Il vise à rétablir le droit à l’inscription pour quelque 3 500 membres des Premières Nations et leurs descendants qui avaient renoncé à ces droits ou avaient perdu ces droits. Ce ne sont pas de simples statistiques sur une page. Ce sont des gens que vous avez entendus : mères, pères, enfants, tantes, oncles et grands-parents. Ce projet de loi a été créé pour rétablir leur identité, leur dignité et leur reconnaissance.
Vous l’avez entendu dans les témoignages. Je vais citer le passage suivant :
Le projet de loi S-2 aidera à rétablir le droit à l’existence du peuple de Michel et avec lui, notre structure de soutien, notre famille et notre communauté. Nous comptons là‑dessus.
La témoin a ajouté ce qui suit :
Nous avons attendu assez longtemps et nous sommes le groupe le plus touché par ce projet de loi. Tout retard supplémentaire donnerait lieu à une parodie de justice, qui consisterait à obliger ces descendants à attendre encore plus longtemps que le Canada se penche sur une question dont il est saisi depuis des décennies. [...] Je vous demande, au nom des milliers de descendants de Michel qui attendent depuis des décennies, de ne pas laisser cela se reproduire.
[Français]
J’écoute les témoignages présentés pendant l’étude du projet de loi, et je reconnais qu’il ne corrige pas toutes les inégalités de la Loi sur les Indiens.
[Traduction]
Je dois le reconnaître.
[Français]
Le projet de loi que nous avons soumis permet de faire des progrès. Il apporte des changements essentiels en collaboration avec les Premières Nations.
[Traduction]
J’ai entendu les préoccupations au sujet de l’exclusion après la deuxième génération. Je suis d’accord et je les appuie pleinement. Je tiens à ce que ce soit très clair : je comprends et j’appuie pleinement les témoignages de toutes les personnes qui sont venues ici pour parler de l’exclusion après la deuxième génération. Ces témoignages étaient exacts et factuels, et ils reflètent la réalité. Je dois aussi préciser qu’il s’agit d’une question cruciale qui doit être réglée de la bonne manière.
Je tiens à réitérer, aujourd’hui, qu’il faut maintenant déterminer si nous le ferons ou non. Je veux m’assurer que cette discussion inclut la façon de le faire. Nous devons nous laisser guider par la communauté. Nous devons veiller, conformément à nos obligations, à ce que la voie à suivre soit décidée par la communauté, non seulement pour que la solution proposée ait l’appui de la communauté, mais aussi pour qu’elle fasse consensus parmi les titulaires de droits.
L’exclusion après la deuxième génération n’est pas le seul obstacle qui subsiste. Plus important encore, de nombreuses nations ont toujours de la difficulté à reprendre le contrôle de l’appartenance à leurs effectifs, un pouvoir qui est prévu à l’article 10 de la Loi. Les seuils de votation sont élevés, trop élevés pour que les nations puissent y remédier. C’est absolument essentiel. Cela fait partie de la solution que je cherche à peaufiner, en tant que ministre. Nous menons actuellement des consultations auprès des titulaires de droits et des organismes des Premières Nations pour obtenir leur avis sur l’approche à adopter et la voie à suivre à cet égard, comme nous l’avons fait pour les modifications à la Loi sur les Indiens et au projet de loi S-2.
Le devoir de consulter n’est pas qu’une simple case à cocher. En tant que ministre, cela fait partie de mon rôle et je compte m’en acquitter pleinement, car il s’agit du fondement d’une solution pour la question de l’exclusion après la deuxième génération.
Nous attendons d’ici le mois de décembre les mémoires des organisations des Premières Nations et des titulaires de droits. L’exclusion après la deuxième génération fait l’objet de discussions selon une approche collaborative, une approche qui vise à encadrer la teneur des consultations.
Il est important pour moi de m’engager à nouveau à revenir au comité pour vous présenter ces renseignements pour vous mettre à jour sur le travail accompli et vous présenter la voie à suivre.
Ces engagements sont la fondation d’un dialogue direct et approfondi avec les Premières Nations sur la façon d’aborder les modifications à la Loi. Présenter un amendement au projet de loi S-2 sans respecter notre obligation juridique fondamentale de consulter ne ferait que répéter des méthodes dépassées, à savoir l’imposition unilatérale de solutions législatives.
Je dois également mentionner que cela mettrait en péril les milliers de personnes qui attendent, dans l’incertitude, l’adoption du projet de loi S-2.
Je tiens à être très claire à ce sujet : le Canada doit respecter son obligation de consultation prévue à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est la responsabilité du gouvernement du Canada, et je prends cela très au sérieux. En tant qu’ancienne grande cheffe de ma nation, en tant que cheffe adjointe de ma communauté, je réaffirme que nous avons l’obligation de veiller à ce que le gouvernement respecte son obligation de consultation, et je continuerai de faire valoir ce message dans mon rôle de ministre. Le message restera le même.
[Français]
Il faut faire des changements qui affectent les peuples autochtones et leurs droits, mais il faut réaliser qu’on doit travailler ensemble. Je suis déterminée à régler la question de l’exclusion après la deuxième génération, mais on doit respecter le fait que ce principe fondamental est basé dans une solution qui doit venir d’eux.
[Traduction]
Je tiens à ce que vous m’entendiez le dire : s’il ne m’est pas possible d’appuyer un amendement sur l’exclusion après la deuxième génération à ce moment-ci, c’est parce que je m’acquitte de mon obligation constitutionnelle et légale de consulter les Premières Nations. Si nous allions de l’avant dans cette voie avant d’avoir entendu la communauté, nous risquerions des conséquences imprévues pour les personnes que nous essayons d’aider. En tant que ministre, ce n’est pas un dénouement acceptable.
[Français]
Le projet de loi est une étape importante pour mettre fin à une discrimination coloniale, mais personnellement, je veux travailler en collaboration avec les nations. La solution doit venir d’elles, et c’est ma responsabilité de les représenter et de les engager dans un processus basé sur les consultations. Merci. Meegwetch.
[Traduction]
Le président suppléant : Merci, madame la ministre. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous aurez chacun droit à une intervention de trois minutes, ce qui comprend la question et la réponse. Je vous aviserai 30 secondes avant la fin pour que tous aient la possibilité de poser au moins une question.
Le sénateur Francis : Bonsoir, madame la ministre. Merci d’avoir pris le temps, encore une fois, de revenir devant notre comité. On a laissé entendre que ce comité — et par extension le Sénat — devrait renoncer à modifier et à améliorer le projet de loi S-2 afin de régler le problème de l’exclusion après la deuxième génération et d’autres iniquités. Toutefois, cela reviendrait à faire fi de notre devoir constitutionnel d’effectuer un second examen objectif et de protéger les droits des groupes sous-représentés. La plupart des témoins qui ont comparu devant notre comité — dans une proportion de 90 %, je dirais, voire plus — nous ont exhortés à saisir cette occasion pour enfin corriger l’exclusion après la deuxième génération et d’autres iniquités, car ces témoins eux-mêmes, leurs enfants, leur famille et leur communauté ne peuvent plus se permettre d’attendre plus longtemps, et ce préjudice grave et irrévocable infligé par le Canada doit prendre fin. Le risque, madame la ministre, c’est que bien que nous sachions que vos intentions sont bonnes, l’histoire nous enseigne que le gouvernement du Canada se sert des consultations pour perpétuer la discrimination et apporte des modifications mineures et limitées seulement lorsque les tribunaux l’y obligent. J’en ai la certitude, puisque j’ai été chef.
Donc, si les sénateurs décidaient d’agir maintenant non seulement pour protéger les droits des personnes touchées par l’émancipation, mais aussi les droits de toutes les personnes lésées par l’exclusion après la deuxième génération et d’autres iniquités, le gouvernement fédéral serait-il prêt à donner la priorité à l’adoption d’un projet de loi S-2 modifié à la Chambre des communes? Cela n’a pas été le cas avec le projet de loi C-38, auquel notre gouvernement n’a pas accordé la priorité, mais c’est ce qui se produit actuellement avec le projet de loi C-3, ce qui prouve que c’est possible, si la volonté est là. Le premier ministre Carney et le reste du cabinet seraient-ils alors prêts à travailler avec nous maintenant pour mettre fin à cette propension à multiplier les retards, au lieu de laisser perdurer la discrimination?
Mme Gull-Masty : Merci, sénateur. Je vais répondre à votre question par une autre question. Nous avons tous deux été chefs. Nous avons tous deux servi notre peuple. Nous avons probablement tous les deux demandé au gouvernement de respecter les droits des Autochtones à être consultés. Nous avons probablement tous les deux lutté pour que ce processus soit mis en place afin que les solutions proposées émanent de nos membres. Je partage cette expérience avec vous.
La création d’une loi requiert effectivement un second examen objectif, et ce second examen devrait s’appuyer sur un projet de loi fondé sur des renseignements découlant de consultations communautaires. Je ne contourne pas — et je ne contournerai pas — l’obligation de consulter les titulaires de droits autochtones. Ce sont eux qui sont à la base des solutions qui les concernent, et je comprends et respecte sincèrement que le Sénat tente de régler quelque chose à ce moment-ci. Je le sais, et je peux le reconnaître. Toutefois, les solutions que l’on examine et qui seraient imposées à la communauté ne respectent pas l’obligation de consulter. Que faut-il faire pour respecter le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et la DNUDPA? Ce sont les valeurs que j’avais en tant que cheffe et que je conserve en tant que ministre, car je sais que si nous voulons que les solutions que nous essayons de mettre en œuvre réussissent, elles doivent venir de la communauté. Encore une fois, je tiens à être claire : je reconnais que le Sénat tente de proposer une solution. Ce que je dois faire valoir encore plus clairement, c’est que la communauté doit définir cette solution pour elle-même. Cela passe par un processus de consultation. C’est là que nous travaillerons véritablement, du côté du gouvernement, avec l’ensemble des dirigeants à la table, pour proposer une solution qui correspond à ce que les nations souhaitent pour elles-mêmes, par elles-mêmes.
Le sénateur Francis : J’aimerais dire quelques mots à ce sujet. En ma qualité d’ancien chef d’une Première Nation, je vous dirais que les consultations durent depuis 1985. Ces consultations durent depuis des années et des années. Les tribunaux ont été saisis, et des jugements ont été rendus. Je ne me souviens pas qu’il y ait eu de véritables consultations quand le gouvernement a déposé le projet de loi C-5. Je sais ce que mon peuple a subi à cause de l’exclusion après la deuxième génération et des traumatismes intergénérationnels qui en ont découlé. Faisons ce qui est juste et faisons-le maintenant.
Le président suppléant : Nous allons passer au sénateur Tannas.
[Français]
Le sénateur Moreau : Madame la ministre, merci d’être présente et merci aussi aux gens qui vous accompagnent.
Vous vous êtes décrite comme « une ministre inhabituelle »; je vous dirais que vous êtes une ministre persévérante, d’une part, et qui est très disponible pour les travaux du Sénat. Je vous en remercie.
Ma compréhension du projet de loi S-2 tel qu’il est proposé — j’ai pu prendre connaissance des témoignages entendus et des positions prises par les membres de la communauté — est qu’il crée, à mon avis, un consensus au sein du groupe. Les sénateurs sont prêts à aller de l’avant et reconnaissent que ce projet de loi est justifié, avec l’avertissement selon lequel il ne va pas assez loin. C’est d’ailleurs l’objet des amendements proposés, c’est‑à‑dire que l’on souhaite aller plus loin et régler la question de l’inadmissibilité après la deuxième génération.
Dans vos remarques d’introduction, vous avez très bien décrit l’importance de la consultation. Ma question porte sur deux aspects. Premièrement, confirmez-vous au comité qu’il y a actuellement un processus de consultation sur les éléments liés à l’exclusion après la deuxième génération?
Deuxièmement, j’aimerais que vous ou vos conseillers puissiez répondre à la question suivante : quel serait l’impact si nous allions de l’avant avec des amendements qui n’ont pas été soumis au processus de consultation? On sait que la consultation représente une obligation constitutionnelle en vertu de l’article 35, comme vous l’avez vous-même soulevé.
Mme Gull-Masty : Merci, monsieur le sénateur.
Premièrement, je veux être très claire dans ma réponse : je suis ici pour parler du projet de loi S-2. Je sens qu’il y a un consensus auprès des membres du Sénat pour le faire avancer. Cependant, je suis aussi ici pour livrer un message : pour moi, comme ministre, il est essentiel que je suive le processus de consultation. Un des messages que j’ai entendus, c’est : « Nous devrons faire cela proprement. » Il est déjà lancé, le processus collaboratif qui définit la méthode de consultation et qui engage plusieurs groupes. C’est un processus qui est déjà commencé et qui reflète la réalité du moment dans lequel nous sommes.
Selon moi, c’est aussi un processus qui permettra d’assurer l’inclusion de la communauté en ce qui a trait à la manière dont elles vont recevoir leurs membres, et c’est important. Il faut que tout le monde autour de la table comprenne que ce n’est pas juste le fait d’« enlever » l’exclusion après la deuxième génération. Il faut aussi créer une manière de préparer la communauté à recevoir ses membres, une manière de susciter l’engagement chez les nouveaux membres et de déterminer comment on peut les aider à les recevoir dans les communautés.
J’ai entendu parler de plusieurs cas de personnes qui ont tout d’un coup reçu un nouveau statut ou qui ont appris leur identité autochtone, qui ont essayé de retourner dans leur communauté et qui, parfois, ont eu une belle expérience, mais parfois une expérience très difficile. On ne peut pas avoir un processus qui ne crée pas cette possibilité de recevoir le monde proprement. Sinon, on va faire plus de mal avec les solutions que l’on tente de créer.
Aussi, je veux que les membres autour de la table comprennent. Enlever l’exclusion après la deuxième génération, cela ne signifie pas seulement de créer un processus, mais de respecter toutes les nations, toutes les communautés pour créer la manière dont elles veulent définir le processus. Ce n’est pas juste une solution pour tout le monde.
Si on veut faire du bon travail, si on veut faire les choses proprement, il faut vraiment donner de l’espace aux personnes qui dirigent leur nation et leur communauté, les personnes élues, les détenteurs de droits, pour faire en sorte que ce sont eux qui définissent l’avenir de leur nation. Ce n’est pas à nous de trouver une solution pour eux et de les consulter sur cette solution. Je n’accepte pas de faire ce travail. Moi, comme ancienne Grande Cheffe, je vais respecter les communautés, leurs droits et leur responsabilité de déterminer l’avenir de leur nation.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Je vous remercie d’être revenue nous parler, madame la ministre. Des témoins nous ont expliqué que de plus en plus d’enfants font partie de la troisième génération. Ces enfants ne sont donc pas inscrits au Registre des indiens. Ils vivent dans leur communauté, qui essaie d’assumer les coûts de leur scolarité, de leurs services de santé, etc. Nous savons que le statué 6(2) le plus âgé a quarante ans, et que nous assistons peut‑être à l’arrivée d’une quatrième génération.
Vous allez réfléchir à ce que vous allez faire par rapport aux mesures prises, sans consultation, par le gouvernement en 1985, et vous allez demander aux communautés ce qu’elles devraient faire. Il se peut qu’elles vous disent de ne pas éliminer l’exclusion après la deuxième génération, mais cela me surprendrait. Quoi qu’il en soit, cette réflexion et ces consultations vont prendre un certain temps. Auriez-vous le pouvoir, entretemps, d’accorder des fonds aux communautés qui ont de la difficulté à assumer les coûts des enfants sans statut? Comme vous le savez, ce ne sont pas toutes les communautés qui peuvent générer leurs propres revenus. En attendant que cette question soit résolue, que cela se résolve rapidement ou non, je me demandais s’il serait possible d’accorder un soutien financier temporaire aux communautés qui ne sont pas financièrement autonomes, notamment pour ces enfants de la troisième et quatrième génération et pour ces jeunes adultes?
Mme Gull-Masty : Merci. Je souhaite rappeler, encore une fois, que je suis là pour parler du projet de loi S-2. C’est le projet de loi que j’ai présenté à la Chambre des communes. On me pose des questions sur l’exclusion après la deuxième génération. Je vais également répondre à ces questions-là, car je veux m’exprimer clairement sur les prochaines étapes, mais je tiens à réaffirmer les principaux changements que propose le projet de loi S-2, y compris sur l’émancipation et la réaffiliation à sa bande natale. Je comprends qu’on ait des questions sur la deuxième génération.
Vous dites que je vais réfléchir à ce que je vais faire. Ce n’est pas du tout ce qu’est une consultation. Consulter, c’est créer un espace où le gouvernement peut collaborer avec les communautés. Ce sont elles qui vont concevoir ces consultations, y compris le calendrier, la méthode de travail, les attentes des communautés et la façon de collaborer. Nous souhaitons, par ces travaux préliminaires, que tous comprennent le résultat escompté. Je ne vais pas imposer ma volonté aux communautés, parce que j’ai l’obligation légale et constitutionnelle de respecter le processus de consultation. Je tiens à le réaffirmer.
Au sujet d’une solution éventuelle au problème que vous avez évoqué, je vais être à l’écoute des communautés. Je comprends que le Sénat soulève la question, mais, en ma qualité de ministre, je vais consulter les titulaires de droits et les laisser me proposer des solutions. Je sais que nombre d’entre vous ont été nommés au Sénat et que vous faites un second examen objectif des projets de loi, mais, à titre de ministre, j’ai l’obligation de respecter le processus de consultation. Ce sont aux titulaires de droits de poser des solutions au projet de loi S-2 ou à l’exclusion de deuxième génération.
Le sénateur Tannas : Je comprends ce que vous avancez, mais soyons francs. Vous êtes là pour une deuxième fois pour nous inviter à ne pas amender ce projet de loi.
Nous avons entendu tous les témoignages. Nous comprenons le projet de loi S-2 et les changements qu’il propose. J’aimerais toutefois savoir si vous auriez une réponse à un problème bien précis, qui s’observe actuellement et qui va croissant. Je vous ai posé une question sur le financement des communautés. Peut‑être m’avez-vous répondu que c’est aux communautés d’en faire la demande elles-mêmes et que vous l’examineriez par la suite. Il y aurait une différence entre une demande faite par les communautés et une demande présentée par un sénateur. D’accord, je comprends. Merci.
La sénatrice Clement : Bonjour, madame la ministre.
[Français]
Merci de revenir nous voir une deuxième fois et de faire les choses différemment.
[Traduction]
Je vais vous poser deux questions, puis je vous cède la parole. Une première question sur les consultations, et une seconde sur le calendrier.
J’ai sous les yeux le mémoire que vous avez fourni au comité. Vous y mentionnez des consultations en plusieurs étapes, lancées en novembre 2023 et dont la forme a été établie en collaboration avec les parties concernées. On y voit une liste de partenaires à qui vous faites appel pour trouver des solutions. Je comprends l’importance des consultations et la responsabilité qui est la vôtre et celle du gouvernement. Il semble toutefois, comme le sénateur Francis l’a indiqué, qu’un grand nombre de ces partenaires ont déjà demandé publiquement qu’on mette fin à l’exclusion de deuxième génération. Ils se sont déjà exprimés sur cette question dans un forum public.
Je ne peux m’empêcher de penser au projet de loi C-5. Les consultations n’ont eu lieu qu’après l’adoption de cette proposition de loi, et je ne comprends pas pourquoi ce serait différent pour ce projet de loi ci. Je m’inquiète également pour la consultation des titulaires de droits. Les femmes sont exclues de la définition des titulaires de droits dans la loi même que nous essayons de corriger. Voilà ce qui me préoccupe, et voici donc ma question : à quoi cela servirait-il de mener d’autres consultations?
Ma seconde question porte sur le calendrier à venir. Lors de votre première audition le mois dernier, en réponse à notre collègue, la sénatrice White, vous avez dit ne pas vouloir presser les communautés. Or, les communautés elles-mêmes veulent savoir que ces problèmes seront résolus rapidement. Pour combien de temps ces problèmes resteront-ils une priorité? Sera‑t‑il difficile de trouver des solutions? Le gouvernement va‑t‑il corriger l’exclusion de deuxième génération l’année prochaine, l’année suivante? Croyez-vous que ces délais sont légitimes, sachant que des personnes non inscrites ont déjà exprimé l’urgence d’agir et qu’elles se sentent exclues de leur propre famille?
J’aimerais savoir quand est-ce que le gouvernement va corriger l’exclusion de deuxième génération. Je comprends que vous êtes là pour parler du projet de loi S-2, mais je souhaitais vous poser ces questions publiquement. Merci.
Mme Gull-Masty : Je vous remercie de me poser cette question et pour la conversation que nous avons aujourd’hui. Vous avez parlé de l’importance des consultations. Je souhaite toutefois rappeler que les consultations sont obligatoires. Le gouvernement a en effet l’obligation légale et constitutionnelle de demander aux communautés de déterminer elles-mêmes quelle sera la solution. Ces consultations ne sont pas seulement importantes, elles sont obligatoires.
J’ai écouté moi aussi le témoignage de vos invités. Ils ont réagi positivement à l’amendement présenté par le Sénat. Ils n’ont toutefois pas réagi à ma proposition, qui contribue pourtant à la solution. Je propose que les communautés puissent décider elles-mêmes qui en sont membres, que je les aide à accueillir de nouveaux membres, qu’elles aient un plan pour les intégrer et qu’elles puissent décider elles-mêmes comment procéder en l’absence de l’exclusion de deuxième génération. Je suis désolé. Loin de moi de vous manquer de respect, mais cette question ne leur a pas été posée.
Les personnes que j’ai entendues lors de cette discussion se sont montrées passionnées et émouvantes. J’ai moi-même versé quelques larmes en les écoutant. Je comprends l’injustice dont souffre la deuxième génération. Certains membres de ma propre famille font face à cette situation. Je tiens à ce que vous sachiez que cet enjeu me touche personnellement et qu’il me tient à cœur. C’est un enjeu dont je parle beaucoup au sein du gouvernement, afin de m’assurer que mes collègues — les ministres qui travaillent avec moi, ainsi que le premier ministre — comprennent l’importance d’éliminer le traitement raciste, systémique, injuste et inégalitaire des Premières Nations dans notre pays. Le fait que le premier ministre m’ait choisie pour accomplir cette tâche témoigne de l’orientation qu’il souhaite donner aux changements visant les peuples autochtones dans notre pays.
Je tiens également à m’exprimer très clairement au sujet du calendrier. L’obligation de consulter est élaborée conjointement avec les communautés des Premières Nations, et ce sont elles qui déterminent le calendrier. Nous nous adapterons et nous travaillerons avec ces communautés si elles sont prêtes à accueillir des personnes à courte échéance, et nous les soutiendrons dans cette démarche. Si elles ont besoin de renforcer leurs capacités ou si elles ont besoin d’outils, nous les aiderons à cet égard. Nous nous adapterons à leurs besoins. Je comprends l’urgence de la situation, mais je tiens à m’assurer que lorsqu’elles trouveront une solution appropriée pour leurs membres, elles pourront agir de leur propre chef, et que nous ne nous précipiterons pas pour créer une solution que tout le monde ici souhaite trouver, mais que nous les laisserons plutôt trouver la solution appropriée pour leur nation et leurs membres.
La sénatrice Clement : Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Je vous remercie encore une fois, madame la ministre, et je remercie vos représentants d’être ici aujourd’hui. J’aimerais reprendre là où la sénatrice Clément s’est arrêtée, car je vous l’ai dit la première fois que vous êtes venue et je l’ai certainement dit à de nombreux autres témoins depuis ce temps-là, mais je tiens à répéter que je ne doute aucunement de votre sincérité. Toutefois, je suis ici depuis quelques années, et j’ai vu la même sincérité chez d’autres ministres. J’ai entendu les mêmes engagements et les mêmes promesses, puis j’ai vu des gens être écartés de ce poste.
J’ai également vu ce qui s’est passé avec le projet de loi C-5 et, aujourd’hui, je vois la réaction des dirigeants autochtones au budget. Je sais que lorsque vous avez des intérêts et des obligations concurrents en vertu de la Charte, vous devez trouver un équilibre, et c’est le cas aujourd’hui. Vous avez parlé de l’obligation de consulter, et je suis d’accord avec vous. Vous avez également l’obligation de mettre fin à la discrimination, en particulier la discrimination raciale et la discrimination fondée sur le sexe. C’est une obligation législative qui vous incombe, à titre de ministre représentant la Couronne. Vous avez une obligation fiduciaire envers ces titulaires de droits.
Je suis donc un peu perplexe. Peut-être faisiez-vous référence à autre chose, mais dans votre lettre, que nous avons reçue aujourd’hui, vous dîtes qu’à ce jour, le gouvernement n’a pas officiellement lancé les consultations avec les Premières Nations sur cette question et qu’elles auront lieu au début de 2026. Cependant, dans votre témoignage du 24 septembre, vous avez dit que ces consultations étaient en cours depuis longtemps. Pouvez-vous apporter des éclaircissements à cet égard?
De plus, comment envisagez-vous de remplir votre obligation de protéger les droits des femmes autochtones et de leurs descendants?
Mme Gull-Masty : Je vous remercie, sénatrice.
J’aborderai d’abord la question du processus de consultation. Pour que la consultation puisse commencer, il faut qu’un cadre soit établi. Cela signifie que c’est à la communauté qu’il incombe de définir les modalités de ce cadre, la forme que prendra le dialogue et le calendrier. Je défendrai toujours le principe selon lequel les titulaires de droits peuvent concevoir leurs propres solutions et choisir la façon de les mettre en œuvre.
La prochaine étape consiste à lancer des consultations officielles. Chaque fois qu’une communauté propose une solution, nous l’écoutons et nous en discutons avec ses membres. Nous veillons à ce qu’il s’agisse bel et bien d’un dialogue, car une consultation ne repose pas sur le principe selon lequel nous mettons au point une solution que nous leur imposons comme étant la bonne solution. Cela ne serait pas une consultation. Je respecterai et honorerai toujours l’obligation de consulter, car je m’attendais à ce qu’on fasse la même chose lorsque j’occupais le poste de grande cheffe. J’ai déjà demandé des comptes au gouvernement à ce sujet. Je ne changerai pas ma position à cet égard. Dans le cadre des événements qui se sont produits dans la communauté, des dirigeants m’ont appelée au sujet de la liste que nous avions présentée. Ils m’ont informée qu’ils engageraient des poursuites judiciaires si l’obligation de consulter n’était pas respectée.
Je sais qu’on tient vraiment à trouver une solution, mais je vais avant tout assumer ma responsabilité à titre de ministre et respecter l’obligation de consulter. Malheureusement, mes commentaires ne seront peut-être pas très agréables, mais lorsqu’on essaie d’imposer une solution à une personne ou à un groupe, si on ne vit pas la réalité de ces personnes, c’est du racisme. Et à titre de ministre, je n’appuierai pas une telle pratique.
La sénatrice Pate : J’ai le plus grand respect pour ce que vous dîtes. Vous dîtes essentiellement que vous avez l’obligation de consulter pour savoir si vous mettrez fin à la discrimination. Ce sera l’enjeu abordé lors de la consultation si vous n’abordez pas cette question. Qu’est-ce que j’ai mal compris?
Mme Gull-Masty : L’intégralité de ma réponse. L’obligation de consulter donne à la communauté le pouvoir de déterminer comment se déroulera l’exclusion après la deuxième génération, quelles seront les répercussions de cette exclusion et comment ces communautés se prépareront à accueillir les membres concernés. Quelle sera la fonction de déploiement de la mise en œuvre, par exemple?
Je soutiens également que le fait de trouver une solution ici, à cette table, puis de me demander d’aller consulter la communauté, alors que cette solution a été proposée par un groupe qui n’est pas d’origine autochtone et qui ne se rend pas compte des répercussions de l’exclusion après la deuxième génération, est en soi du racisme. Je suis désolée, mais je ne ferai pas cela. Les peuples autochtones savent quelles solutions leur conviennent.
La sénatrice Pate : Je vous entends dire que vous comprenez qu’il faut éliminer l’exclusion après la deuxième génération. C’est ce qui entraîne de la discrimination. Plusieurs sénateurs, dont les sénateurs Francis et Tannas, ont demandé si on avait prévu une mesure provisoire, car il semble que vous ayez convenu qu’il fallait l’éliminer. Il s’agit maintenant de déterminer la marche à suivre, et c’est la raison pour laquelle des consultations sont menées. Vous pourriez prendre la décision d’éliminer cette exclusion, puis mener ensuite des consultations sur la manière de procéder.
C’est la question que nous avons soulevée. Il ne s’agit pas de savoir si nous le ferons ou si nous ne mènerons pas de consultations. Quoi qu’il en soit, il semble que nous parlions à contre-courant.
La sénatrice McCallum : Bienvenue au comité, madame la ministre. Je souhaite également la bienvenue à toutes les personnes qui vous accompagnent.
Dans votre allocution, vous avez déclaré que le projet de loi S-2 constitue une étape importante pour remédier aux inégalités qui subsistent dans la Loi sur les Indiens et qu’il propose quatre réformes très importantes. La première consiste à rétablir les droits des personnes et de leurs descendants qui les ont perdus à la suite de leur émancipation, souvent contre leur gré. Vous dîtes ensuite que le projet de loi S-2 représente une étape essentielle vers la résolution des inégalités de longue date dans les dispositions relatives à l’inscription de la Loi sur les Indiens, qui ont profondément affecté les membres et les familles des Premières Nations pendant des décennies. En effet, pendant des décennies, des milliers de personnes ont perdu leur droit à l’inscription et à l’appartenance à leur communauté d’origine.
C’est une description de l’exclusion après la deuxième génération. Lorsque nous parlons de consultations — et nous avons fait appel aux titulaires de droits concernés, à savoir les femmes et les enfants —, ces personnes avaient déjà entamé des consultations. Une famille a même lancé ce processus il y a 54 ans. Nous avons entendu tant d’histoires de différentes personnes qui ont eu des discussions dans leur communauté d’origine, car elles veulent savoir pourquoi certaines personnes ont quelque chose qu’elles n’ont pas.
Les consultations se déroulent avec les membres de la communauté. Elles ne se font pas avec des gens de l’extérieur. Elles ne se font pas avec les chefs. Elles se font avec les gens qui vivent dans la communauté.
Qui définit l’essence même de notre identité? Les femmes et les enfants touchés. Qui définit les préjudices sociaux, politiques, individuels et collectifs causés par la discrimination dans la Loi sur les Indiens en raison de leur expérience? Seules les personnes qui ont vécu cette expérience peuvent expliquer comment elles ont été touchées.
J’ai entendu cela chez moi. Je l’ai entendu dans la Nation crie d’Opaskwayak. Je l’ai entendu à Thompson.
Ces personnes se consultent entre elles, et elles ont déjà commencé. J’ai entendu des gens dire qu’ils étaient prêts à accueillir les nouveaux membres. Je ne sais pas d’où vient cette rumeur. Il existe un livre de la Première Nation de Cowessess qui dit la même chose.
On entend des propos alarmistes selon lesquels on n’aura pas le temps d’adopter ce projet de loi avant avril. Pourtant, nous effectuerons l’étude article par article dans quelques semaines. Le projet de loi sera ensuite renvoyé au Sénat et il devrait être présenté à la Chambre des communes avant Noël. Ensuite, il y a février, mars et avril. Nous avons donc le temps.
À titre de sénateurs…
Le président suppléant : Avez-vous une question, sénatrice?
La sénatrice McCallum : Vous parlez de consultations et d’un calendrier, mais ce processus est déjà en cours. Pourquoi devons-nous maintenant revenir en arrière et refaire cette consultation?
Mme Gull-Masty : Je vous remercie de votre question. J’aimerais répéter ce que j’ai entendu dans votre question, à savoir pourquoi devons-nous revenir en arrière?
La sénatrice McCallum : Vous menez une deuxième ou une troisième série de consultations.
Mme Gull-Masty : Pourquoi devons-nous revenir en arrière et mener des consultations? Dans les fonctions que nous occupons — moi, à titre de représentante de la Couronne et vous, à titre de personne et à titre de sénatrice —, nous n’avons pas le pouvoir de parler au nom des titulaires de droits dans le cadre de la prise de décision au sein de ces institutions gouvernementales. En effet, ce pouvoir appartient à la communauté et aux titulaires de droits.
Je suis tout à fait d’accord avec vous.
Les communautés ont déjà commencé à discuter entre elles du processus de consultation. C’est la raison pour laquelle, lorsque vous vous rendez dans une communauté et que vous parlez aux dirigeants élus, ils s’adressent ensuite aux aînés, aux groupes de femmes et aux jeunes. Ils prennent le temps de faire ce travail au sein de la communauté. Ils prennent le temps de définir les attentes quant aux résultats des questions posées lors de la consultation. C’est la raison pour laquelle nous devons attendre qu’ils aient terminé ce processus. C’est leur travail. Ce n’est pas le travail du Sénat. Ce n’est pas mon travail à titre de ministre.
J’ai le devoir de respecter le fait que ce processus est nécessaire. Cela me touche aussi personnellement, car j’ai déjà occupé cette fonction. J’ai déjà dû rassembler les gens et leur demander leur avis sur un enjeu donné. Parfois, c’était une conversation extrêmement difficile, mais elle a également été source de transformation dans certains cas.
Une fois de plus, je réitère que l’obligation de consulter et de permettre aux communautés de prendre la place qui leur revient dans cette discussion est une obligation qui incombe à tous les membres de la Chambre des communes et du Sénat.
Nous devons respecter les engagements pris dans le cadre du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, du Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations unies et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C’est l’un des points qu’il convient de préciser et d’aborder.
Nous ne pouvons pas passer outre la communauté dans notre recherche d’une solution. Je suis catégorique sur ce point.
J’implore une fois de plus le Sénat de ne pas oublier que le projet de loi S-2 traite de l’urgence de la situation de 3 500 personnes, qui seront immédiatement inscrites et retrouveront ainsi leur statut légitime.
Le président suppléant : Je suis désolé, mais nous n’avons plus beaucoup de temps et nous devons entendre un autre intervenant. Je vous présente toutes mes excuses.
La sénatrice McPhedran : Monsieur le président, pourriez-vous me dire combien de temps il nous reste, s’il vous plaît?
Le président suppléant : Nous devons terminer la réunion vers 19 h 45.
La sénatrice McPhedran : Y a-t-il d’autres intervenants après moi?
Le président suppléant : Un seul intervenant. J’espère pouvoir poser une question.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie. Il reste donc trois minutes?
Le président suppléant : Oui, c’est exact.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie. Je cède donc une minute du temps qui m’est imparti à la sénatrice McCallum pour qu’elle puisse apporter des éclaircissements.
La sénatrice McCallum : Ce que je voulais dire, c’est que lorsque je suis arrivée ici à titre de sénatrice, je ne suis pas venue à titre personnel. J’ai d’abord rencontré les aînés du Manitoba. Voici ce qu’ils m’ont dit: « Vous appartenez désormais au Canada. Vous appartenez à la province. Vous ne nous appartenez plus. »
Je travaille avec des gens de partout au Canada. C’est pour ce collectif que je travaille. Je tenais à le préciser.
La sénatrice McPhedran : Madame la ministre, madame la sous-ministre, mesdames et messieurs les représentants du ministère, je vous remercie d’avoir pris le temps d’être ici.
Madame la ministre, je vous remercie d’avoir pris le temps de rencontrer la sénatrice Clément, la sénatrice Pate et moi-même, il y a quelque temps.
Je vais poser ma question de manière à obtenir des réponses assez brèves, mais elle comporte deux volets. Voici ma question. À titre de ministre de la Couronne, reconnaissez-vous que l’exclusion après la deuxième génération perpétue la discrimination fondée sur le sexe préexistante à l’égard des femmes autochtones et de leurs descendants?
Si vous répondez que vous reconnaissez que l’exclusion après la deuxième génération perpétue la discrimination fondée sur le sexe préexistante et ses effets néfastes sur les femmes visées par le paragraphe 6(2), pourriez-vous expliquer les raisons pour lesquelles vous et le Canada forcez ces femmes et leurs descendants, dont les droits sont actuellement bafoués, à attendre plus longtemps après avoir déjà attendu 40 ans?
Si vous ne reconnaissez pas ce que je vous demande, je vous demande alors de fournir à notre comité sénatorial permanent les avis écrits de votre propre ministère ou du ministère de la Justice qui expliquent votre position.
Permettez-moi de répéter la question. Reconnaissez-vous qu’à l’heure actuelle, l’exclusion après la deuxième génération perpétue la discrimination fondée sur le sexe préexistante à l’égard des femmes et de leurs descendants? De plus, reconnaissez-vous que ces femmes autochtones sont titulaires de droits?
Mme Gull-Masty : Je vous remercie, sénatrice McPhedran. La conversation avec les trois sénatrices était intéressante. Je vous remercie d’avoir pris le temps d’y participer.
La Loi sur les Indiens est injuste pour toutes les personnes qui y sont assujetties. Mais ces préjudices sont visiblement plus graves en ce qui concerne les femmes autochtones des Premières Nations. Je peux l’affirmer, car j’en fais l’expérience dans ma propre vie quotidienne à titre de femme autochtone.
Malheureusement, cette réalité perdure dans certaines parties de la société aujourd’hui. Ce n’est pas seulement la Loi sur les Indiens qui est discriminatoire. Les femmes autochtones font face à de nombreuses injustices au quotidien.
Je veux répondre à votre question. Je vais prendre le temps de le faire.
Je veux qu’on me comprenne bien. Lors de la discussion que nous avons eue, vous m’avez posé des questions que j’ai jugé importantes. Ainsi, lorsque vous m’avez demandé ce qu’était un titulaire de droits lors de cette discussion, alors que vous m’aviez déjà dit avant que vous pensiez connaître la solution à ce problème, vous m’avez clairement démontré que vous ne compreniez pas vous-même ce qu’était un titulaire de droits.
Puis, vous m’avez dit que vous connaissiez la solution au problème de l’exclusion après la deuxième génération et que vous la connaissiez parce que vous travailliez dans ce domaine depuis très longtemps, alors que vous-même n’avez pas vécu la réalité d’une femme autochtone.
Puis, conclure cette conversation en me disant qu’il est de votre devoir d’appliquer la Loi sur les Indiens ne me démontre pas que vous comprenez les dommages que cette loi cause aux gens.
Je veux que ce soit clair.
La sénatrice McPhedran : Vous déformez mes propos.
Mme Gull-Masty : Non, je regrette.
La sénatrice McPhedran : Vous les déformez grandement.
Mme Gull-Masty : D’accord.
La sénatrice McPhedran : Nous avons eu une rencontre privée. Vous déformez mes propos.
Mme Gull-Masty : Je serai juste avec vous et dire que si vous croyez que je déforme vos propos...
La sénatrice McPhedran : C’est ce que vous faites, manifestement.
Mme Gull-Masty : ... et j’ai rédigé et lu les notes d’information de cette réunion, qui indiquent que des groupes de défense vous ont aidé à déterminer la meilleure solution pour la deuxième génération, ce qui est une affirmation juste. C’est ce que vous m’avez dit.
Le président suppléant : Excusez-moi, je vais intervenir. Je vous prie de m’excuser. Je suis sensible à ce dialogue et cette discussion.
Nous essayons tous de faire avancer cette question à l’aide de nos propres moyens et mécanismes. Si je peux me permettre d’utiliser la prérogative de la présidence, j’aimerais poser une question, si cela ne vous dérange pas. Il ne fait aucun doute que je trouve ce dialogue utile.
Nous sommes ici, à titre de sénateurs, pour remplir un devoir constitutionnel, un privilège qui nous est accordé. Nous avons écouté des témoignages importants de gens qui se penchent sur cette question depuis longtemps.
La consultation se décline de nombreuses façons, mais la priorité, c’est l’honneur de la Couronne. C’est ce qui est en jeu ici lorsque nous parlons de consultations. Selon moi, l’enjeu est l’exclusion après la deuxième génération et ce qu’il faut que le gouvernement fasse à ce sujet.
L’histoire est longue. Le sénateur Tannas a parlé de l’année 1985. Où était la consultation relative à l’exclusion après la deuxième génération au départ? Nous avons, désormais, des exigences strictes en matière de consultation, alors qu’il n’y en avait pas du tout au départ?
Pour en revenir à ce point, notre rôle consiste à examiner les témoignages. D’après ces témoignages et le contexte historique — car ces témoins parlent de l’histoire, des rapports et de l’exclusion après la deuxième génération —, j’ai presque l’impression que cette question est examinée dans le vide. On dit : « Il faut aller dans les communautés. C’est le seul mécanisme possible. » Mais tout ce travail a déjà été fait.
À quoi servent ces travaux? Cette question ne mérite-t-elle pas que le gouvernement agisse de façon honorable? En somme, nous parlons de consultations à propos de l’extinction de peuples et de communautés. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?
Mme Gull-Masty : Je sais que nous avons eu des discussions difficiles ce soir. Je le reconnais.
Je tiens à être très claire. Les tentatives précédentes d’exclusion après la deuxième génération reposaient sur une directive de cette ministre. Je ne ferai aucun commentaire sur le travail accompli précédemment. Je vais m’exprimer en tant que ministre, en tant qu’Autochtone qui a une expérience très intime et personnelle de ce que cela veut dire d’être Autochtone. Je suis heureuse de partager cet espace. Certains d’entre vous ont eu des conversations très fructueuses avec moi à ce sujet. Et je peux également dire que toutes les personnes présentes autour de cette table reconnaissent la véracité des témoignages recueillis. Je peux l’affirmer avec certitude.
Ce que je dois souligner, c’est que lorsque l’on parle de consultation, on ne parle pas dans le vide. Les dirigeants autochtones de tout le pays, anciens et actuels, se battent tous les jours pour conserver leur droit d’être consultés.
En ma qualité de ministre responsable de ce dossier, la consultation sera toujours au cœur de la prise de décision. C’est pourquoi mon approche au sujet de l’exclusion après la deuxième génération sera fondée sur des solutions proposées par les communautés. Je respecterai mon obligation de consulter, non seulement parce que c’est mon obligation légale, mais aussi parce que c’est la chose à faire sur le plan moral et que c’est ce que partagent les gens que je rencontre au pays.
Avec l’obligation de consulter, la question n’est pas de savoir comment mener les consultations ou si elles doivent avoir lieu. Ce qui importe, c’est ce que nous faisons ensuite. Comment créer cet espace? Comment créer ces outils? Un élément de la consultation consiste à trouver une solution au problème, mais aussi à faire en sorte que cette solution fonctionne. C’est pourquoi ce processus est important à mes yeux.
Je le répète une fois de plus : l’objectif du projet de loi S-2 est de changer la vie des personnes qui ont été touchées par l’émancipation, qui ont dû renoncer à leur statut, qui ont senti que ce statut était contesté, qui ont souvent estimé qu’il devait l’être ou qu’elles étaient forcées d’y renoncer à cause des circonstances. Ces 3 500 personnes — et leurs descendants — verront leur statut rétabli immédiatement. Elles ont été retirées du système. Elles ont été identifiées. Il existe une liste. J’ai demandé aux fonctionnaires de traiter ces demandes sans tarder, car c’est la bonne chose à faire. Nous avons le pouvoir et la capacité, en adoptant le projet de loi S-2, de veiller à ce que cette exigence soit respectée. Nous devons le faire non seulement pour ces personnes, mais aussi pour respecter le calendrier — la date limite — fixé à la suite de la décision rendue dans l’affaire Nicholas. Je tiens également à réitérer qu’il est extrêmement important pour moi que tout le monde autour de cette table comprenne que je m’engage à soutenir le processus concernant la deuxième génération. Je dois toutefois respecter l’obligation de consulter, car je sais et je comprends que les solutions doivent venir des communautés. Il ne nous appartient pas de prendre cette décision à leur place, pour ensuite leur demander de l’appuyer.
Ce serait la conséquence d’un amendement : on choisirait une solution à leur place. Nous ne pouvons pas faire cela. Nous devons maintenir notre lien avec les communautés. Et je tiens à ce que ce soit être très clair : la solution qui concerne la deuxième génération n’est pas une solution unique que nous pouvons appliquer à l’ensemble du pays. Nous devons la préciser et l’adapter à chaque communauté. Il y a trop de subtilités et trop de cas différents qui sont si complexes. Ainsi, si nous essayons d’adopter une seule approche pour la deuxième génération, nous ne parviendrons pas à répondre aux besoins de ceux que nous voulons aider et nous leur causerons involontairement encore plus de tort. En ma qualité de ministre, je ne peux pas faire cela. Merci.
Le président suppléant : Merci beaucoup. Chers collègues, c’est tout le temps que nous avions avec ce groupe de témoins. Permettez-moi de remercier la ministre Gull-Masty et les fonctionnaires de Services aux Autochtones Canada de leur présence ce soir. Merci d’être revenus une deuxième fois. Nous vous en sommes très reconnaissants. Wela’lin.
Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. J’aimerais vous présenter les témoins qui le composent. Nous accueillons à la table des représentants de Statistique Canada : M. Laurent Martel, directeur, Centre de démographie, qui est accompagné de Mme Gayatri Jayaraman, directrice générale, Direction de la statistique sociale, juridique et autochtone, Statistique sociale de la santé, et du travail. Merci à vous deux de vous joindre à nous aujourd’hui.
M. Martel prononcera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une courte période de questions et de réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant M. Martel à prononcer sa déclaration préliminaire.
[Français]
Laurent Martel, directeur, Centre de démographie, Statistique Canada : Honorables sénateurs et sénatrices, nous tenons d’abord à vous remercier de nous offrir cette occasion de contribuer à vos travaux sur les peuples autochtones du Canada.
Statistique Canada reconnaît que nous sommes ici à Ottawa sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.
Je m’appelle Laurent Martel et je suis directeur du Centre de démographie de Statistique Canada. Je suis accompagné de Gayatri Jayaraman, directrice générale, Direction de la statistique sociale, juridique et autochtone.
Statistique Canada recueille et diffuse de nombreuses données et analyses statistiques sur les peuples autochtones vivant au Canada, souvent en collaboration avec Services aux Autochtones Canada et des organisations autochtones.
Pour ce faire, Statistique Canada s’appuie sur de nombreuses sources de données, y compris le recensement de la population, l’Enquête auprès des peuples autochtones du Canada, d’autres enquêtes sociales et économiques, ainsi que des données administratives.
Parmi les produits développés, Statistique Canada réalise des projections démographiques, dont des projections selon l’identité autochtone autodéclarée au recensement. Les dernières projections sur ce sujet ont été diffusées en 2021 sur notre site Web et couvraient la période de 2016 à 2041.
Statistique Canada répond également à des demandes personnalisées de projections émanant de nombreux clients, dont des ministères et organisations à travers le Canada.
En 2024, nous avons travaillé, pour le compte de Services aux Autochtones Canada, sur des projections de la population du registre des Indiens pour la période de 2021 à 2066. Ces projections comptent une dizaine de scénarios qui indiquent comment la population inscrite au registre pourrait évoluer à l’avenir, selon diverses hypothèses liées à la fécondité, la mortalité, l’exogamie des unions ou à des changements législatifs comme le projet de loi S-3 ou l’ancien projet de loi C-38. Les nombres que j’évoquerai sont tirés de ces projections.
D’abord, rappelons que la taille de la population inscrite au registre des Indiens a plus que triplé entre 1981 et 2021, où elle comptait environ un million de personnes.
Même si, au cours des dernières années, la croissance de la population inscrite a ralenti, nos plus récentes projections montrent que cette population devrait continuer de croître dans les prochaines décennies pour atteindre entre 1,2 et 1,6 million de personnes en 2066. Ces résultats ont été obtenus en appliquant dans nos projections les règles actuelles de la Loi sur les Indiens sur la transmission de l’admissibilité au statut d’Indien.
Dans le cadre de ces projections, nous avons aussi réalisé des scénarios pour connaître l’impact potentiel du retrait de l’exclusion après la deuxième génération parmi les personnes nées à partir de 2021. Le nombre de 300 000 personnes qui s’inscriraient avant 2066 à la suite du retrait de cette exclusion a été mentionné à quelques reprises devant ce comité.
Ce nombre, plus précisément 320 000 personnes, est issu du scénario de croissance forte de la population inscrite et constitue donc le haut de la fourchette de ces projections. Le même exercice, avec un scénario de croissance faible, donne plutôt un nombre total de personnes inscrites supplémentaire de 205 000. C’est le bas de la fourchette. Au total, avec le retrait de l’exclusion, la taille de la population inscrite pourrait se situer entre 1,4 et 1,9 million de personnes en 2066.
Selon nos projections, 90 % de ces personnes supplémentaires naîtraient hors des réserves.
Il est très important de préciser que ces nombres ne concernent que les personnes nées après le début de la projection, soit après janvier 2021. Ils n’incluent pas les personnes nées avant le début de nos projections, soit avant janvier 2021, et qui seraient concernées par un retrait rétrospectif de l’exclusion après la deuxième génération.
Ces personnes s’ajouteraient donc à la fourchette de 205 000 à 320 000 personnes supplémentaires que j’ai évoquée précédemment. Le nombre de personnes concernées par un retrait rétrospectif de l’exclusion est difficile à estimer.
Je termine en rappelant que les projections démographiques ne sont jamais des prédictions. Elles sont plutôt un outil permettant aujourd’hui de comprendre les trajectoires futures possibles de la population canadienne, selon certains scénarios, et sont donc un outil pertinent pour la planification. Les travaux de projections de Statistique Canada bénéficient par ailleurs de l’apport de comités consultatifs, notamment auprès des provinces et territoires.
Je vous remercie de votre attention. Nous nous tenons à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président suppléant : Merci, monsieur Martel. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous disposerez chacun de deux minutes pour poser une question et obtenir une réponse. Je vous aviserai lorsqu’il vous restera 30 secondes.
Le sénateur Francis : Vous pouvez également fournir votre réponse par écrit si vous pensez que cela est plus simple. Êtes‑vous d’accord avec les estimations fournies par Mme Palmater? Si ce n’est pas le cas, combien de personnes s’inscriront, parmi les 300 000 personnes qui pourraient le faire, selon votre ministère? Avec tous les amendements précédents, le nombre de personnes qui se sont ajoutées a été inférieur aux prévisions initiales. Sur quelles hypothèses reposent ces projections?
[Français]
M. Martel : Dans nos projections, on projette d’abord le nombre de personnes admissibles à un changement, et ensuite, on applique des taux d’inscription sur la base de données observées dans le recensement et le registre des Indiens. Donc, ce serait le nombre réel de gens qui pourront s’inscrire.
Il faut bien être conscient qu’il y a un bassin de personnes potentielles, mais ensuite, il y a un certain nombre de personnes qui vont vraiment être inscrites au registre. C’est une nuance très importante.
J’ajoute rapidement que les nombres de 205 000 à 320 000 personnes dont j’ai parlé, donc la fourchette de personnes qui pourraient être inscrites advenant la fin de l’exclusion, sont tirés des scénarios faibles, forts et moyens de nos projections démographiques, auxquelles on applique évidemment les changements qui découleraient de cette feuille d’exclusion si c’était fait au cours des prochaines années.
[Traduction]
Le président suppléant : Y a-t-il d’autres questions?
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de votre déclaration liminaire. Je voulais seulement souligner que lorsque nous examinons notre histoire... Des gens me parlent de la difficulté qu’ils ont à retrouver leurs ancêtres, simplement parce qu’on ne donnait pas de noms aux Autochtones. Ils n’étaient que des Autochtones. J’ai lu des livres. Le prêtre qui a vécu dans ma région pendant 50 ans n’a pas nommé les membres de la communauté. Il disait simplement « une femme autochtone ». Cela entraîne la disparition de nombreux renseignements. Les gens ont donc beaucoup de peine à s’inscrire. Contrairement aux Métis qui peuvent dire : « J’ai trouvé un ancêtre, il y a sept ans. Maintenant, je suis Métis. » C’est de la discrimination. Il leur est donc difficile de retracer leurs origines. Je ne sais pas si vous pouvez en parler.
Selon les projections, ils s’attendent, je pense, à ce que 225 000 personnes ou plus s’inscrivent. À quel point ces projections sont-elles exactes? Je sais que vous venez de dire qu’elles ne l’étaient pas, mais vous savez quoi, on les utilise contre l’exclusion de la deuxième génération. Ils disent : « Trois cent mille personnes vont s’inscrire, et regardez ce que nous devons faire pour elles. » Ce n’est pas juste pour nous, car il s’agit d’une projection. Lorsque les chefs sont venus, on leur a dit... Combien de gens avaient-ils? Dix mille? Oui. Mais ils en avaient 2 000 après avoir consulté leurs membres. C’est une grande différence.
Je ne veux pas que ce chiffre soit utilisé contre la deuxième génération, et je ne sais pas si vous pouvez faire quelque chose pour éclaircir un peu plus ce point.
[Français]
M. Martel : Je vais répondre en deux temps.
Pour ce qui est de l’enjeu que vous soulignez en ce qui concerne les noms des personnes, ce n’est pas un facteur qui peut être considéré sur la base des données dont on dispose pour établir des projections, par exemple le registre des Indiens, comme nous l’a demandé Services aux Autochtones Canada. Actuellement, ce facteur n’est pas pris en considération dans les projections démographiques que fait Statistique Canada.
L’autre chose que je tiens à rappeler, et il est très important de bien comprendre cela, c’est qu’il y a toujours une part d’incertitude liée aux projections démographiques. Il faut les utiliser dans ce contexte. C’est pour cette raison que Statistique Canada diffuse toujours de nombreux scénarios d’évolution future. Nous n’avons pas de boule de cristal. Nous diffusons toujours de nombreux scénarios de projections qui donnent une fourchette possible. Cela aide à comprendre toute l’incertitude qui peut entourer les projections démographiques. Cela vaut dans le cadre des travaux qui sont faits ici, mais aussi dans d’autres domaines. C’est très important. Statistique Canada reconnaît tout à fait l’incertitude liée aux projections.
Je tiens finalement à dire que c’est pour cette raison que Statistique Canada revisite et rétablit des projections régulièrement, pour être en mesure d’adapter ces projections aux changements de société qui surviennent dans la population canadienne. L’incertitude est inhérente à un exercice de projection. En utilisant plusieurs scénarios et en refaisant nos projections régulièrement, on arrive à refléter cette incertitude et à rappeler aux utilisateurs d’être prudents dans l’utilisation des projections.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : On a évoqué le chiffre de 300 000 personnes. Votre estimation minimale est quant à elle de 225 000 personnes. Cela constitue un écart considérable. Pouvez‑vous nous écrire pour nous expliquer quel argument vous avanceriez si cela était utilisé contre vous?
M. Martel : Je me contenterai de rappeler qu’il s’agit de projections qui reposent sur trois scénarios différents. L’estimation la plus basse, celle de 200 000 personnes, dont vous avez parlé, repose sur un scénario de faible croissance qui laisse supposer, par exemple, que le taux de fécondité diminuerait. Personne ne sait quel sera le taux de fécondité au pays dans 25 ou 50 ans. C’est pourquoi nous élaborons des scénarios et des hypothèses. La projection de 320 000 personnes dont nous parlons se fonde sur un scénario de forte croissance, qui suppose des taux de fécondité élevés. C’est ainsi que nous élaborons une telle fourchette et, dans certains cas, l’écart peut effectivement être assez important, car certains éléments sont plus flous que d’autres. Je vous donne un exemple. Il y a parfois beaucoup plus d’incertitude quant à certains éléments, comme la migration, que d’autres, comme le taux de mortalité, car l’espérance de vie augmente généralement lentement d’année en année. C’est plus facile à prévoir; il y a moins d’incertitude à ce sujet. Pour d’autres éléments, toutefois, l’incertitude est plus grande. Certes, les hypothèses que nous avons élaborées pour la question de la deuxième génération peuvent être touchées par de grandes variations.
Gayatri Jayaraman, directrice générale, Direction de la statistique sociale, juridique et autochtone, Statistique sociale, de la santé, et du travail, Statistique Canada : Sénatrice, je vous remercie de cette question. J’ajouterais simplement que M. Martel et son équipe ont produit des estimations et des projections à l’échelle provinciale et territoriale. Cela peut sembler illogique, mais plus le niveau de détail est élevé, plus l’incertitude est grande. Je pense donc qu’il serait intéressant de connaître ces chiffres à l’échelle des réserves, mais l’incertitude y sera encore plus grande. C’est en partie pour cette raison que nous nous en tenons aux estimations à l’échelle nationale et, dans la mesure du possible, à l’échelle provinciale et territoriale.
La sénatrice McCallum : Mais nous parlons de ce qu’il en est à l’échelle des réserves. Vous n’en avez donc vraiment aucune idée, c’est bien ce que vous êtes en train de dire?
Mme Jayaraman : Nous disons que nous avons les renseignements pour l’ensemble du Canada, mais pas précisément pour chaque réserve.
La sénatrice McCallum : D’accord.
La sénatrice Pate : Je ne sais pas si cela aidera à préciser les choses. L’une des réponses que nous avons reçues du ministère était qu’il était difficile de prévoir les chiffres, car l’élimination de l’exclusion après la deuxième génération pourrait entraîner la transmission du statut à perpétuité. Il me semble que c’est la même chose pour tout le monde. Étant donné que je peux transmettre mon statut à perpétuité, quelle sera la taille de la population du Canada, selon vous? Je trouve que c’est une bien étrange façon de présenter les choses. C’est comme si on disait : « Oh, maintenant que nous ne pouvons plus éliminer les peuples des Premières Nations, nous devons les compter? » Mes excuses, je me fais peut-être des idées. C’est peut-être qu’il se fait tard et que je suis trop abasourdie pour pouvoir comprendre quoi que ce soit.
[Français]
M. Martel : Je peux peut-être aider à préciser.
Ce que l’on montre avec les différents scénarios que nous avons établis en partenariat avec Services aux Autochtones Canada, c’est qu’évidemment, s’il y avait cette fin de l’exclusion, la population de personnes inscrites augmenterait plus rapidement que si cette exclusion continuait d’exister. C’est très clair. La population autochtone pourrait atteindre jusqu’à 1,9 million de personnes inscrites en 2066. Si les dispositions actuelles perduraient, ce serait 1,6 million de personnes inscrites. Il y a une différence importante. C’est à cela que conduit la fin de l’exclusion : une croissance plus rapide de la population de personnes inscrites.
Je rappelle également que, dans son ensemble, la croissance démographique canadienne repose sur d’autres facteurs. Par exemple, l’immigration permanente et temporaire joue un rôle particulier dans la croissance démographique canadienne actuellement. Cette croissance a d’ailleurs été très rapide au cours des dernières années.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Quand vous avez dit cela, je me suis souvenue de l’identité autodéclarée. On sait que beaucoup de gens prétendent faire partie des Premières Nations, ce qui peut gonfler les chiffres. Je m’intéresse, entre autres, à cette question des personnes qui prétendent avoir cette identité ou qui déclarent elles-mêmes leur identité. C’est ce que vous avez. Cela ne semble pas être une méthode fiable pour les Premières Nations, alors pourquoi l’utiliser? Pourquoi la méthode n’est-elle pas plus rigoureuse, plus sûre?
[Français]
M. Martel : Nous avons besoin de contributions et de paramètres pour alimenter les projections et considérer tous les facteurs d’évolution. Dans le cadre de nos travaux, il faut se rappeler que nous tentons d’identifier des personnes qui, par exemple, s’il y avait une fin à l’exclusion après la deuxième génération, seraient sujettes à avoir le statut de personne inscrite. Nous identifions des bassins de personnes à travers les informations dont nous disposons dans le registre des Indiens ainsi que dans le recensement de la population en utilisant des variables liées aux Premières Nations, aux gens qui s’identifient comme Autochtones quand ils répondent à la question où ils peuvent s’auto-identifier comme tels. Ils ne se sont pas nécessairement identifiés à des Premières Nations, mais ils ont une ascendance de Première Nation sur la base de l’origine ethnique. Il y a différentes variables qui nous permettent d’identifier des bassins de personnes pertinentes pour alimenter les changements qui pourraient survenir dans les années à venir, notamment la fin de l’exclusion. Cela fonctionne ainsi dans les projections : il y a des bassins qui sont identifiés sur la base du recensement et du registre des Indiens.
[Traduction]
Mme Jayaraman : J’ajouterais aux commentaires de M. Martel, sénatrice McCallum, que les chiffres qu’il a cités sont tirés du registre des Indiens, qui ne repose pas sur l’identité autodéclarée, comme vous le savez bien. Le recensement repose quant à lui sur l’identité autodéclarée. Nous faisons également des projections à partir du recensement, mais les chiffres fournis par M. Martel sont tirés du registre des Indiens, qui est une source de données administratives.
La sénatrice McCallum : ... les personnes qui déclarent elles-mêmes leur identité pourraient donc s’inscrire, avec la fin de l’exclusion après la deuxième génération?
[Français]
M. Martel : J’ai parlé d’une fourchette de 205 000 à 320 000 personnes qui pourraient obtenir le statut de personne inscrite s’il y avait une fin à l’exclusion après la deuxième génération, mais le bassin derrière ces chiffres est plutôt de 250 000 à 390 000 personnes. C’est beaucoup plus, en fait. Il y a un bassin de 250 000 à 390 000 personnes. Dans ce bassin, il y aurait entre 205 000 et 320 000 personnes qui seraient effectivement inscrites au registre. C’est une proportion moindre. C’est cela qu’il faut bien identifier. Les projections nous permettent de procéder en deux étapes, et ce sont les deux étapes.
[Traduction]
Le président suppléant : Merci. Le temps alloué à ce groupe de témoins est écoulé. Je tiens à remercier une fois de plus nos témoins de s’être joints à nous aujourd’hui.
J’aimerais maintenant présenter notre troisième groupe de témoins. Veuillez accueillir, par vidéoconférence, la cheffe Barbara Cote, de la bande Shuswap; et Rochelle King, analyste des politiques, de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Merci à vous deux de votre présence aujourd’hui.
La cheffe Cote prononcera une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une brève séance de questions et de réponses avec les sénateurs.
J’invite maintenant la cheffe Cote à prononcer sa déclaration liminaire.
Barbara Cote, Cheffe, bande Shuswap : Kukwstsétsemc, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir invitée à comparaître. Je m’appelle Kukpi7 Barbara Cote, cheffe élue de la bande Shuswap. Je comparais depuis les territoires non cédés des Musqueam, des Squamish et des Tsleil-Waututh. Je suis ici pour vous présenter les arguments de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, ou APNCB, qui défend les intérêts des 204 Premières Nations de la Colombie-Britannique.
La semaine dernière, l’Assemblée générale des chefs de la Colombie-Britannique a adopté à l’unanimité une résolution demandant au Canada de mettre fin à toute discrimination législative et fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens; d’éliminer le statut prévu au paragraphe 6(2) et l’exclusion après la deuxième génération; de rétablir le statut de toutes les femmes — et leurs descendants — touchées par l’émancipation et de veiller à ce que les femmes et leurs enfants puissent retourner dans leur bande natale sans discrimination; de supprimer les dispositions de non-responsabilité du projet de loi S-2 et des amendements précédents; et de modifier les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’appartenance afin de garantir leur conformité avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA.
Les chefs réclament ces changements depuis de nombreuses années et ont adopté bon nombre de résolutions exhortant le Canada à les mettre en œuvre. Le Canada a fait la sourde oreille.
Je remercie ceux qui ont prononcé des paroles percutantes avant moi. Les nombreux chefs et conseillers, les dirigeants des organisations des Premières Nations, ainsi que les femmes et les jeunes des Premières Nations qui ont comparu devant vous sont tous des titulaires de droits. Je me joins à eux pour appuyer le projet de loi S-2 s’il est modifié de manière à corriger les inégalités qui subsistent concernant le statut d’Indien. Sans les modifications que j’ai mentionnées, les descendants des plaignants dans l’affaire Nicholas seront victimes de la même discrimination et ne pourront transmettre à leurs descendants qu’un statut partiel, voire aucun statut.
Je tiens également à faire une distinction importante entre le statut d’Indien et l’appartenance à une bande. Dans notre nation, nous savons qui sont nos membres, et les Chefs en assemblée ont constamment affirmé et réaffirmé notre droit de déterminer qui sont nos citoyens et nos membres, comme le demande la résolution 05/2025 de la BCAFN, adoptée à l’unanimité la semaine dernière.
Cependant, le statut d’Indien est différent. Le statut représente la relation juridique entre les Indiens et le gouvernement fédéral. Bien que nous n’ayons pas créé la Loi sur les Indiens et que nous n’encouragions pas ses fondements racistes, nous savons qu’elle ne disparaîtra pas de sitôt. Par conséquent, puisque c’est le Canada qui détermine le statut d’Indien et que c’est lui qui a semé la confusion dans les règles relatives au statut d’Indien en tentant de nous assimiler de force, c’est au Canada qu’il incombe de réparer cette confusion. Le Canada doit donc éliminer immédiatement l’exclusion après la deuxième génération et permettre aux femmes et aux hommes des Premières Nations de transmettre l’égalité de statut, avec un seul parent inscrit.
La ministre a déclaré au Sénat qu’il ne pouvait y avoir de solution universelle pour régler la question de l’exclusion après la deuxième génération, mais, sénateurs, l’article 15 de la Charte est universel. Il affirme l’égalité. L’article 15 de la Charte stipule qu’il est interdit de discriminer sur la base du sexe ou de la race, et cela s’applique à tous. L’égalité est pour tout le monde.
La ministre a également déclaré que les réponses doivent venir des communautés. La réponse des communautés de la Colombie-Britannique est claire : 204 des 630 Premières Nations du Canada disent qu’il faut éliminer dès maintenant l’exclusion après la deuxième génération. Cela représente un tiers de toutes les Premières Nations.
La BCAFN fait partie du processus de collaboration de Services aux Autochtones Canada, et on nous a consultés à ce sujet depuis des décennies. Compte tenu du calendrier prévu pour le processus, il faudra attendre quatre ou cinq ans avant que la nouvelle loi supprimant l’exclusion après la deuxième génération puisse entrer en vigueur. Et cela dépendra en plus de la réélection des libéraux.
Sénateurs, nous subissons actuellement les conséquences de l’exclusion après la deuxième génération. Elle doit être immédiatement supprimée, car 27 % de tous les membres des Premières Nations de la Colombie-Britannique sont visés par l’article 6(2). À Shuswap, 40 % des membres sont visés par l’article 6(2). Nos enfants et petits-enfants sont exclus maintenant, pas dans un avenir lointain.
Au sein de la bande Shuswap, nous accueillons tous les enfants rejetés par Services aux Autochtones Canada en raison de l’exclusion après la deuxième génération. Nous utilisons nos propres revenus pour que ces membres de la communauté bénéficient des mêmes programmes et services que les membres inscrits, tels que les sports, l’éducation, la culture et les arts. Nous les incluons dans tout ce qu’obtiendrait un enfant inscrit.
Dans ma propre famille, nous sommes touchés par l’exclusion après la deuxième génération, qui divise nos familles et nos communautés. Lorsque ma mère a retrouvé son statut en 1985, elle n’a pas reçu son numéro de bande, mais plutôt celui de son père, qui était Shuswap, alors qu’elle avait en fait été élevée comme… Cela signifie qu’en tant que femme, elle n’a pas pu pas hériter des terres de sa mère ou de son père, ce sont les enfants de son frère qui en ont hérité.
Il est grand temps de mettre fin à cette discrimination et d’avancer vers une réconciliation réelle fondée sur le respect de nos femmes et de nos enfants.
Merci, sénateurs. Kukwstsétsemc.
Le président suppléant : Merci, cheffe Cote.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Honorables collègues, vous disposerez chacun de deux minutes pour intervenir, questions et réponses comprises, avec un avertissement 30 secondes avant la fin du temps imparti.
Le sénateur Tannas : Merci beaucoup. J’avais une question pour la cheffe Cote. Je ne sais pas si vous avez pu suivre les échanges que nous avons eus ce soir avec la ministre Gull-Masty.
Je constate que votre Première Nation figure sur la liste des 90 communautés et organisations qui sont consultées et que la ministre Gull-Masty estime qu’il est de son devoir de ne pas aller de l’avant maintenant sur ce point, mais de consulter et, à une date ultérieure, éventuellement, de résoudre le problème. En attendant, nous ne devrions en aucun cas envisager un amendement.
Que répondez-vous à cela, compte tenu de votre position unique ici, à un moment où nous avons des décisions difficiles à prendre? Vous faites partie des personnes consultées. Nous devrons prendre une décision dans la semaine qui vient.
Quel conseil nous donneriez-vous, s’il vous plaît?
Mme Cote : Nous traitons les personnes qui n’ont pas de statut comme des membres de la communauté. Nous appuyons les membres sans statut de notre communauté. Nous avons la chance de disposer de nos propres revenus pour le faire. Nous soutenons des activités telles que les loisirs, l’éducation, le hockey, le financement de tournois et de voyages avec nuitée, les expériences formatrices, la promotion d’un mode de vie sain, le sentiment d’appartenance, l’autonomie et l’inclusion. Nous pensons que les membres de notre communauté, qu’ils aient un statut ou non, devraient avoir accès à l’éducation et son financement.
Les accords de contribution de Services aux Autochtones Canada sont conclus en fonction du nombre d’Indiens inscrits, et moins il y a d’Indiens inscrits, moins il y a de financement pour les programmes et les services. Plus il y a d’Indiens inscrits, plus il y a de financement pour la garde d’enfants, l’éducation, des logements sûrs et sains et des infrastructures communautaires robustes. Un financement adéquat, proportionnel au nombre de personnes qui composent notre communauté, ne devrait pas être un sujet de controverse ou une justification pour retarder les choses.
Comme l’a déclaré la ministre au Sénat la semaine dernière, veiller à répondre aux besoins des communautés des Premières Nations et à leur fournir des fonds pour remédier à des années de sous-financement critique n’est pas quelque chose que nous devrions considérer comme nécessitant une justification.
Saisissez l’occasion d’éliminer dès maintenant l’exclusion après la deuxième génération. Vous ne pouvez pas continuer à consulter sur les violations des droits. Vous ne pouvez pas consulter sur l’extinction législative, qui équivaut à un génocide.
Cela fait 40 ans que l’exclusion après la deuxième génération est en vigueur, et selon les Premières Nations de la Colombie-Britannique, il est temps d’arrêter les consultations, de s’attaquer à ces violations des droits et de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe et la race qui sévit depuis 1985.
L’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, ainsi que l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, l’UBCIC, font partie des 90 entités participant au processus de collaboration, et nous estimons que la consultation actuelle devrait porter sur un plan de transition. De quoi avons‑nous besoin? Il y a des questions liées aux ressources. Que peut faire le gouvernement pour soutenir les personnes et les communautés?
La consultation devrait porter sur la manière dont la suppression de l’exclusion après la deuxième génération peut être facilitée et soutenue, ce qui est exactement ce que le gouvernement et la ministre nous ont promis.
Dans le cadre du processus de collaboration, on ne nous a jamais interrogés ni informés au sujet du projet de loi S-2. Personne ne nous a approchés pour nous dire qu’il était possible que nous soyons tous concernés par les modifications apportées par cette loi. Cette duplicité constitue une preuve flagrante. Le gouvernement ne nous accordera jamais nos droits. Nous devrons toujours nous battre pour les obtenir.
La poursuite des consultations n’empêche pas la fin de l’extinction législative des Premières Nations en vertu de la Loi sur les Indiens. Modifier le projet de loi S-2 pour éliminer l’exclusion après la deuxième génération ne prive pas les bandes qui veulent déterminer leurs propres règles d’appartenance, distinctes du statut d’Indien, de leur voix, de leur autorité ou de leur autonomie gouvernementale.
Le sénateur Tannas : Merci, cheffe. Vous avez été très claire. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Le sénateur Francis : Bienvenue, cheffe Cote. Ceux qui s’opposent à l’adoption d’amendements à ce projet de loi ont invoqué la nécessité d’évaluer au préalable le coût potentiel du rétablissement du statut de centaines de milliers de personnes. Que répondez-vous à cela?
Mme Cote : C’est une campagne de peur et c’est totalement faux. Dans ma communauté, nous voulons accueillir tous nos membres et nous sommes prêts à le faire. Statistique Canada prévoit que la suppression de l’exclusion après la deuxième génération permettra à 22 000 personnes d’obtenir immédiatement le statut d’Indien et à environ 320 000 personnes de l’obtenir au cours des 45 prochaines années. Réparties sur 630 Premières Nations, cela représente quelques personnes par an et par bande. Bien entendu, les bandes seront touchées différemment, mais il n’y a manifestement aucune raison de s’alarmer, quelle que soit la façon dont on examine la question. Même si toutes les personnes admissibles présentaient une demande, étaient acceptées et retournaient dans une réserve, ce qui est peu probable, le fardeau financier pour les bandes serait minime. De plus, lors de chaque modification apportée depuis 1985, le nombre de personnes nouvellement admissibles et de personnes inscrites était supérieur au nombre de personnes qui se sont effectivement inscrites.
La sénatrice McCallum : Merci, cheffe, pour votre exposé. Vous avez dit que la majorité des Premières Nations de la Colombie-Britannique sont prêtes à aller de l’avant et qu’elles représentent un tiers de toutes les Premières Nations. Si la majorité est prête, seriez-vous d’accord pour dire qu’un plan de transition sous la forme d’un cadre aiderait les groupes de différents endroits à effectuer la transition?
Par exemple, si la Colombie-Britannique est prête, elle prépare un cadre pour examiner ce que cela signifie pour elle. Ensuite, d’autres pourraient suivre son exemple. Vous comprenez ce que je veux dire? Il y aurait un cadre pour planifier la transition.
Mme Cote : J’espère que je vais répondre à votre question de manière claire. Il n’y a pas de demi-mesure, de compromis ou de solution provisoire qui respecte les droits légaux des femmes des Premières Nations et de nos descendants à ne pas subir de discrimination fondée sur le sexe et la race en matière de statut d’Indien.
Sénateurs, saisissez cette occasion pour mettre fin dès maintenant à l’exclusion après la deuxième génération. Vous avez entendu Sharon McIvor et Jeannette Corbiere Lavell. Mettons fin à la discrimination dès maintenant et cessons de diviser nos jeunes.
La sénatrice McCallum : La raison pour laquelle j’ai soulevé cette question est que le projet de loi ne peut pas être assorti de dépenses. Cela n’est pas permis. Le Sénat ne peut pas faire cela. Lorsque j’ai dit à l’une des femmes que nous allions procéder à l’amendement, elle a répondu : « Et nous déciderons de ce dont nous avons besoin », ce qui exclut le financement d’un amendement. C’est ce que j’essaie de faire ici. C’est pourquoi j’ai parlé de cadre. On ne peut pas vous attribuer de montant d’argent.
Bien sûr, on ne sait pas quel serait ce montant de toute façon. Vous devez encore décider de ce dont vous avez besoin. Cela sera une conversation entre vous et le gouvernement, mais je pensais que s’il y avait un cadre en place — 300 000 dollars, c’est beaucoup d’argent, et ils s’en servent comme tactique d’intimidation.
Si nous passions par différentes provinces ou différents groupes, car certains seront plus prêts que d’autres, alors ils pourraient préparer le cadre en décrivant comment ils ont procédé. C’est pourquoi j’ai soulevé cette question.
Mme Cote : Merci, sénatrice. Je vais prendre le temps de réfléchir et, si possible, je vous répondrai par écrit.
La sénatrice McCallum : D’accord.
Mme Cote : Merci.
Le président suppléant : Cheffe, je crois que vous avez dit qu’un tiers de toutes les Premières Nations ont adopté une position définitive sur ce projet de loi et, entre autres choses que vous avez mentionnées, sur la nécessité de supprimer l’exclusion après la deuxième génération. Qualifieriez-vous ces nations de titulaires de droits?
Mme Cote : Oui, absolument.
Le président suppléant : Merci.
La sénatrice McCallum : La ministre a mentionné l’importance d’entendre directement les chefs locaux sur cette question. Pouvez-nous nous expliquer le processus suivi par la BCAFN pour élaborer sa position sur diverses questions?
Mme Cote : La BCAFN est un groupe auquel tous les chefs de la Colombie-Britannique peuvent participer. Des motions y sont présentées, appuyées, puis soumises au vote. C’est ainsi que je l’expliquerais. Je n’assiste pas à toutes les réunions, mais elles ont lieu tous les mois.
La semaine dernière, les chefs élus réunis en assemblée se sont exprimés au nom de leurs communautés et ont adopté à l’unanimité une résolution demandant la fin immédiate de l’exclusion après la deuxième génération. Une copie de cette résolution peut vous être transmise.
La BCAFN a également des résolutions, datant de 2023 et 2019, sur la question du quota racial introduit dans le projet de loi C-31, affirmant que ce projet de loi compromet la capacité des Premières Nations à maintenir et à protéger le statut juridique et l’existence de leurs citoyens actuels et futurs, et notre partenaire au sein du Conseil des chefs des Premières Nations, l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, en a remontant au moins à 2007.
La sénatrice Clement : Cheffe Cote, je tiens simplement à vous remercier. Je n’ai pas de question à vous poser. Il semble que vous serez la dernière témoin à être entendue sur ce sujet. Vous avez fait du bon travail, un travail difficile, et vous avez été très claire aujourd’hui. Je vous dis merci et Niá:wen, qui signifie merci en mohawk.
Mme Cote : Kukwstsétsemc.
Le président suppléant : Cheffe, avant de conclure, je vous donne la parole, si vous souhaitez ajouter quelque chose avant la fin de la séance.
Mme Cote : Pour conclure, mon message est le suivant : profitez de cette occasion pour éliminer dès maintenant l’exclusion après la deuxième génération. Il ne faut pas continuer à consulter sur les violations des droits. Il ne faut pas consulter sur l’extinction législative, qui équivaut à un génocide. Cela fait 40 ans que l’exclusion après la deuxième génération est entrée en vigueur et, selon les Premières Nations de la Colombie-Britannique, il est temps d’arrêter les consultations, de remédier aux violations des droits et de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe et la race en place depuis 1985.
Le président suppléant : Le temps imparti à ce groupe est écoulé. Je tiens à remercier encore une fois nos témoins et leur personnel de soutien d’avoir participé à notre séance aujourd’hui. Merci beaucoup. Wela’lioq.
Mme Cote : Merci à tous.
Le président suppléant : Chers collègues, cela nous amène à la fin de notre séance d’aujourd’hui. Avant de lever la séance, permettez-moi de vous informer, ainsi que le public, que lorsque nous nous réunirons à nouveau le mardi 18 novembre, le comité procédera à l’examen article par article du projet de loi S-2. À cette fin, le greffier du comité, au nom du comité directeur, enverra demain par courriel une note de service standard à tous les membres du comité, les encourageant à consulter le conseiller parlementaire désigné du Bureau du légiste pour obtenir de l’aide dans la rédaction des amendements.
(La séance est levée.)