LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 22 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier, afin d’en faire rapport, la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.
Le sénateur Clément Gignac (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs et honorables sénatrices. Je m’appelle Clément Gignac, sénateur du Québec et président du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.
Je tiens à souhaiter la bienvenue aux gens qui sont avec nous aujourd’hui ainsi qu’à ceux qui nous écoutent à partir du site Web sur sencanada.ca.
Avant de continuer, je demanderais à mes collègues du comité de bien vouloir se présenter.
[Traduction]
Le sénateur Varone : Sénateur Toni Varone, Ontario.
[Français]
Le sénateur Loffreda : Tony Loffreda, du Québec.
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice McBean : Sénatrice Marnie McBean, Ontario.
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, Ontario.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, Saskatchewan.
[Français]
Le président : Chers collègues, nous continuons aujourd’hui notre étude spéciale portant sur la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.
Je souhaite la bienvenue à nos deux témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence, soit M. Jeremy Read, directeur général de la University of Winnipeg Community Renewal Corporation & UWCRC 2.0 Inc. et M. Derek Ballantyne, directeur général et associé directeur de New Market Funds, Boann Funds.
[Traduction]
Je vous souhaite à tous deux la bienvenue à notre comité. Je vous remercie d’avoir accepté de comparaître devant nous aujourd’hui.
Vous comparaissez devant nous par vidéoconférence. Par conséquent, si vous éprouvez des difficultés techniques, en particulier liées à l’interprétation, veuillez nous en informer et nous suspendrons temporairement la réunion.
Monsieur Read et monsieur Ballantyne, je crois comprendre que vous avez des observations préliminaires à présenter. Vous avez la parole.
Jeremy Read, directeur général, University of Winnipeg Community Renewal Corporation & UWCRC 2.0 Inc. : Avant de commencer, je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie de son invitation. C’est un privilège de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui. J’espère que nos commentaires vous seront utiles dans le cadre de vos travaux.
Je m’appelle Jeremy Read. J’ai été conseiller auprès de plusieurs présidents successifs de l’Université de Winnipeg, fonctionnaire dans les relations intergouvernementales et conseiller auprès d’un premier ministre et de plusieurs ministres provinciaux.
Ces neuf dernières années, j’ai occupé des postes de direction dans deux organismes de développement. Pendant sept de ces années, j’en ai été directeur général. Le premier de ces organismes, la University of Winnipeg Community Renewal Corporation, l’UWCRC, a été constitué en société en 2005 avec pour mandat fondé sur des valeurs de répondre aux besoins de l’Université de Winnipeg en matière d’infrastructures et de contribuer à la revitalisation du centre-ville. Ces infrastructures comprenaient des projets de logements pour étudiants et de logements communautaires.
En 2016, en réponse aux demandes d’autres entités locales à but non lucratif et d’organismes autochtones qui souhaitaient utiliser ses capacités, l’UWCRC a créé un organisme jumeau de développement communautaire, l’UWCRC 2.0.
L’UWCRC 2.0 est un promoteur et un fournisseur de logements à but non lucratif qui s’emploie à promouvoir un développement communautaire inclusif dans le centre-ville de Winnipeg et ailleurs dans la ville et la province. L’UWCRC 2.0 se spécialise dans la création de logements locatifs abordables, de qualité, à revenus mixtes, qui encourage l’inclusion, la durabilité environnementale et l’abordabilité à long terme. Nous nous spécialisons aussi dans le développement d’infrastructures communautaires et sociales. Depuis sa création, l’UWCRC 2.0 est devenu le promoteur de logements à but non lucratif le plus actif de la Société canadienne d’hypothèques et de logement dans l’Ouest canadien et la SCHL lui a décerné le statut de constructeur fréquent. En moins d’une décennie, l’UWCRC 2.0 aura livré un peu moins de 800 logements, dont 60 % abordables. Nous avons près de 700 autres logements en préparation qui seront livrés dans les deux à trois prochaines années.
Nous travaillons en partenariat avec des organismes à but non lucratif et des organismes autochtones qui ont besoin de capacités de développement supplémentaires pour créer de nouveaux logements sociaux, avec une spécialisation croissante dans la fourniture de lits et de logements destinés aux victimes de violence sexiste pour plusieurs de nos clients.
Nous sommes reconnus comme étant des chefs de file en matière de développement durable. Nous sommes convaincus que l’abordabilité et la durabilité ne sont pas des objectifs incompatibles. Deux de nos projets — le Solara Flats, un bâtiment de 21 étages comprenant 214 logements, et le Market Lands South, un bâtiment polyvalent de 95 logements avec 20 000 pieds carrés d’espace commercial destiné à des organismes culturels — sont les premiers immeubles résidentiels carboneutres de grande et moyenne hauteur à être certifiés par le Conseil du bâtiment durable du Canada, ou CBDC. Notre engagement en faveur du développement durable a été récompensé récemment par le prix national Visionnaire du bâtiment durable 2025 du CBDC.
Notre entreprise bénéficie de programmes de financement et d’incitations financières fédéraux, provinciaux et municipaux dans le cadre de différents programmes d’encouragement fiscaux et de remboursement concernant le logement, la culture et la durabilité. Nous pouvons vous parler de ce qui, selon nous, a fonctionné ou fonctionne, de ce qui pourrait être amélioré et de ce qui serait bénéfique pour le secteur du logement abordable, à revenus mixtes et à but non lucratif. Nous avons également une expérience des partenariats à but non lucratif et à but lucratif, des régimes de propriété et des instruments d’investissement d’impact liés à des programmes, notamment ceux de New Market Funds.
Aujourd’hui, nous aimerions nous concentrer sur quelques instruments de financement qui seraient utiles pour accroître la capacité et la base d’actifs du secteur du logement à but non lucratif et, donc, augmenter le nombre brut et le pourcentage global de logements sociaux et abordables sur le marché national du logement.
Nous souhaitons dire au comité qu’en plus des programmes et des outils financiers actuellement disponibles par l’intermédiaire de la SCHL dans le cadre de l’actuelle Stratégie nationale sur le logement, que nous connaissons bien, il existe des possibilités d’introduire de nouveaux instruments financiers qui, premièrement, créeraient plus de liquidité pour les organismes de logement à but non lucratif aux premiers et aux derniers stades du développement et de la réalisation de projets, principalement par des financements relais à court terme avec garanties de prêt fédérales; et, deuxièmement, mobiliseraient des actifs et des capitaux du secteur privé autrement improductifs pour soutenir le secteur du logement à but non lucratif, peut-être au moyen d’une combinaison d’exonération des gains en capital liés au logement abordable et/ou de crédits d’impôt à l’investissement qui permettraient ce que nous appellerions des « transferts de biens d’intérêt public » et qui inciteraient, en outre, le secteur privé à injecter des capitaux propres dans le secteur à but non lucratif, directement ou indirectement.
Le premier instrument, qui est une garantie fédérale de liquidité pour les constructeurs à but non lucratif, pourrait fonctionner comme le Programme de garanties d’exportations d’Exportation et développement Canada, qui partage les risques avec les banques — même concept, mission différente — et compléter les outils de financement actuels de la SCHL en remédiant aux risques liés aux délais par des prêts relais supplémentaires à court terme pour les projets dont l’admissibilité au financement a déjà été évaluée.
Le deuxième ensemble d’instruments, à savoir le transfert de biens d’intérêt public et les incitations fiscales d’intérêt public visant à renforcer les fonds propres, inciterait le secteur privé à transférer des actifs vieillissants au secteur à but non lucratif. Les incitations fiscales proposées pourraient, selon nous, servir trois objectifs interdépendants. Premièrement, elles pourraient libérer des capitaux du secteur privé pour investir ou réinvestir dans l’offre de nouveaux logements. Deuxièmement, elles pourraient accélérer la croissance de la richesse fondée sur les actifs dans le secteur du logement à but non lucratif et, par conséquent, accroître sa capacité de répondre aux besoins en matière de logement abordable. Troisièmement, elles pourraient réduire la demande pesant sur le secteur public en tant que seule source de capitaux propres nécessaires aux organismes à but non lucratif pour fournir et entretenir des logements abordables.
Je me ferai un plaisir de vous donner plus de détails sur ces instruments et sur les problèmes qu’ils visent à résoudre en répondant aux questions des sénateurs pendant le temps qu’il nous reste pour notre discussion cet après-midi.
Le président : Merci, monsieur Read. Nous passons maintenant à M. Ballantyne, qui dispose de cinq minutes pour ses observations préliminaires. Nous ferons ensuite un tour de table de questions.
[Français]
Derek Ballantyne, directeur général et associé directeur de New Market Funds, Boann Funds : Bon après-midi. Je vous remercie de l’invitation à prendre la parole devant le comité aujourd’hui. Je ferai mes remarques en anglais, mais je suis prêt à répondre à vos questions en français, le cas échéant.
[Traduction]
Je m’appelle Derek Ballantyne, je suis associé directeur chez New Market Funds et directeur général de Boann Social Impact, deux plateformes d’investissement à impact social. New Market Funds se concentre particulièrement sur le logement. Nous sommes promoteurs de logements subventionnés et nous levons des capitaux privés pour investir dans le développement et l’acquisition de logements locatifs existants afin d’en faire des propriétés à but non lucratif.
Nous nous trouvons actuellement à un moment très intéressant, car le gouvernement fédéral a annoncé un certain nombre de mesures qui pourraient bien contribuer à atténuer une partie des problèmes d’abordabilité dans ce pays. Maisons Canada en est l’élément structurel et il s’y ajoute, évidemment, un engagement financier en appui à ses activités. Ces mesures n’ont pas encore été entièrement définies, et je pense que c’est là que certains défis pourraient se présenter pour nous.
Trois questions cruciales pour le pays restent à régler. Premièrement, sans aucun doute, nous devons construire plus de logements. Nous devons, selon tous les indicateurs, créer environ 500 000 logements par an et, à mon avis, au moins 10 % de ces logements devraient être des logements subventionnés ou au moins destinés aux ménages à faible revenu, qu’ils soient proposés par le secteur privé ou social. Deuxièmement, je pense que nous devons faciliter la location et l’accession à la propriété dans ce pays, ce qui est évidemment lié au coût d’entrée sur le marché et au type d’offre existant. Troisièmement, je dirais que nous devons améliorer l’accès au logement pour les ménages à faible revenu.
En pourcentage du parc total de logements, nous sommes passés d’un sommet de 7 % à la fin des années 1980 et au début des années 1990 à moins de 4 %, selon mes estimations, encore que ce chiffre soit difficile à confirmer, car nous ne tenons pas de statistiques fiables à ce sujet. Cela signifie que les Canadiens ont actuellement moins accès à des logements abordables.
Les mesures relatives au logement dans le secteur privé et à la manière d’accélérer la construction de logements sont assez connues et ce comité, entre autres, les a examinées — certainement à propos de questions relatives à la TVH, aux redevances d’aménagement perçues par les pouvoirs publics et à d’autres coûts et obstacles liés aux autorisations délivrées par les pouvoirs publics.
Il y a un manque d’accès aux capitaux propres. Sur les grands marchés, il n’y a aucun problème pour en trouver pour construire; c’est simplement une question de structure des coûts. Cependant, sur les marchés secondaires de ce pays, l’accès à des fonds propres et à des capitaux de financement constitue un défi, et c’est l’un des défis auxquels ce comité pourrait vouloir réfléchir et où il aurait peut-être la capacité de persuader ceux qui disposent de capitaux de se lancer et de prendre plus de risques sur ces petits marchés.
En ce qui concerne le logement abordable, M. Read a soulevé des questions relatives au développement, en tout cas à propos d’une série d’outils indispensables pour accélérer le développement du logement social. Des capitaux prévisibles, l’accès à des capitaux à toutes les étapes du développement et l’atténuation des risques pour les capitaux privés prêts à investir sont des éléments essentiels de cette équation.
Jusqu’ici, la plupart des capitaux privés viennent de particuliers et de sources philanthropiques, et nous n’avons pas encore réussi à débloquer les sources plus importantes de capitaux institutionnels, en grande partie à cause du risque perçu ou de l’incapacité à atteindre les seuils de rendement. En agissant de manière à créer une certaine efficacité fiscale pour ces capitaux, on permettrait probablement de les réorienter vers le logement abordable.
Enfin, je tiens à rappeler que le plus grand parc de logements abordables qui existe aujourd’hui est en fait détenu par des propriétaires privés, et que nous le perdons à un rythme très rapide avec l’augmentation des loyers et les transferts d’actifs. Il est essentiel de trouver des mécanismes pour soutenir le transfert d’actifs de la propriété privée à des organismes sociaux, afin de maintenir et d’augmenter ce parc de logements abordables qui est la base de l’accès au logement pour les ménages à très faible revenu dans tout le pays. Que ce soit par des incitations fiscales, comme l’a souligné M. Read, ou en encourageant et en trouvant des moyens d’encourager une augmentation des contributions philanthropiques et individuelles à cette structure de capital, ces deux mesures seraient les bienvenues.
Je serai heureux de répondre à vos questions.
[Français]
Le président : Merci aux témoins. Nous passons maintenant à la période des questions.
[Traduction]
Le sénateur Varone : Messieurs, soyez les bienvenus. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre rapport annuel de 2023. Permettez-moi tout d’abord de vous féliciter. La manière dont vous construisez des logements à but non lucratif est assez ingénieuse, et cela doit vous prendre énormément de temps à cause de toutes les variables. Il semble y avoir ici plus d’éléments mobiles que dans la fabrication d’une montre suisse.
Monsieur Ballantyne, dans votre message du directeur général, vous dites que vous avez engagé 89 intermédiaires que vous avez rencontrés à différentes étapes du développement et de la préparation de l’investissement, et que vous vous êtes engagé à investir 33 millions de dollars dans huit propriétés. Cet argent est-il récupéré ou s’agit-il d’une perte financière pour des capitaux propres investis dans la construction des logements visés?
M. Ballantyne : Merci de votre question. Non. Le modèle que nous utilisons consiste à lever des capitaux et à les investir en étant patient. Dans le logement locatif et la construction de logements locatifs, le temps est un facteur essentiel. Il est décisif pour la rentabilité de nos projets d’être capable de traverser le premier cycle de financement et de trouver des capitaux propres abordables pendant cette période, c’est pourquoi nos capitaux restent immobilisés.
Une partie du rendement de ces capitaux vient sous forme de revenus d’exploitation, mais nous prenons le risque que ces revenus d’exploitation ne soient pas au rendez-vous. Nous travaillons avec de très bons partenaires qui savent comment exploiter un bâtiment et le garder dans le vert. Nous sortons des investissements au refinancement, quand des fonds propres ont été constitués dans le projet. Il est possible de retirer notre financement à ce moment-là, de sorte que ces capitaux rapportent à nos investisseurs, que nous récupérons le capital et que nous pouvons le redéployer.
Le sénateur Varone : Combien dure cette période?
M. Ballantyne : Elle varie de 7 à 10 ans. Dans certains cas, nous pensons qu’elle peut être plus longue. Si les loyers n’augmentent pas à un rythme modéré sur la durée du projet ou s’il y a des coûts imprévus, nous pouvons rester plus longtemps, mais en général, nous nous retirons dans un délai de 10 ans.
Le sénateur Varone : Vous avez mentionné dans vos observations préliminaires que, pour développer vos activités, il est nécessaire de débloquer des fonds d’investisseurs pour le capital d’amorçage. Est-ce exact?
M. Ballantyne : C’est exact. Notre capital provient d’investisseurs privés. Nous sommes limités par le montant de capital que nous pouvons lever. À ce jour, nous avons réussi à lever, sur l’ensemble de la plateforme, environ 100 millions de dollars, mais le problème que nous rencontrons et la possibilité qui s’offre à nous sont bien plus importants que cela. Il est donc évident que le capital est la contrainte à laquelle nous faisons face actuellement.
Le sénateur Varone : Pouvez-vous nous en dire plus sur le secteur privé à but lucratif que le témoin précédent a, me semble-t-il, mentionné? Qu’en est-il?
M. Ballantyne : Du point de vue des mesures qu’il serait important de prendre maintenant?
Le sénateur Varone : Oui.
M. Ballantyne : Je pense qu’il est bien établi que, sur certains grands marchés, les mises en chantier de logements stagnent dans le secteur privé, en grande partie à cause des coûts. Il y a beaucoup de variables dans une formule type, mais peu d’entre elles sont élastiques. Je pense que la réduction de la TVH est un élément essentiel pour permettre à ces projets de fonctionner, de générer un flux de trésorerie initial et de démontrer leur rentabilité afin d’attirer des financements.
La deuxième partie, qui est bien documentée, concerne l’augmentation très rapide des redevances de développement. Je ne conteste pas le fait que les municipalités et les administrations locales doivent financer les infrastructures, mais ces redevances sont largement — à certains égards, de façon disproportionnée — perçues sur de nouveaux aménagements, ce qui a des répercussions sur toutes les catégories de logements en construction.
Je suis d’avis que, sur certains marchés, il est tout simplement nécessaire de trouver des moyens de débloquer des capitaux propres. Je pense à quelqu’un qui m’a présenté un projet de 40 logements à Kelowna, et les calculs sont bons. Si quelqu’un pouvait financer ce projet et obtenir un rendement de 12 %, ce qui correspond au taux du marché, il ne pourrait pas trouver les fonds propres nécessaires, car sur les marchés secondaires plus petits, l’idée est qu’il y a un risque et, par conséquent, on n’y investit pas autant que sur les grands marchés métropolitains. S’agit-il d’un filet de sécurité gouvernemental? Est-ce un moyen d’encourager les investissements à aller dans cette direction? Ce sont peut-être des solutions que nous pouvons envisager.
Le sénateur Yussuff : Je tiens à remercier M. Read et M. Ballantyne d’avoir pris le temps d’être présents pour nous faire part de leur expérience. Monsieur Read, je vais peut-être commencer par vous et vous poser une question très simple : comment pouvons-nous débloquer les capitaux propres pour aider ces projets à avancer un peu plus rapidement et peut-être générer plus de capitaux propres pour le travail que vous essayez de faire et pour fournir le type de logements dont le marché a vraiment besoin en ce moment?
M. Read : Je pense que je commencerai par là, parce qu’il me semble que cela pourrait faciliter la suite de la discussion et la réunion d’aujourd’hui. Selon moi, trois secteurs ont un intérêt collectif à la production de logements, mais peut-être en ayant chacun leur propre lot de préoccupations, de problèmes ou de défis. Dans le secteur privé, il est difficile, à mon sens, de déplacer ou de créer une certaine rotation des actifs liés aux gains en capital. Cela signifie que, dans de nombreux biens immobiliers, les capitaux propres sont bloqués et deviennent improductifs au sens classique d’Adam Smith. Ils s’accumulent, sont immobilisés, mais ils ne sont pas réinjectés dans l’économie et réinvestis à un taux avantageux dans notre économie en général et dans la création d’une nouvelle offre de logements.
Je pense que les gouvernements sont contraints de fournir un financement direct ou des subventions, et qu’ils ressentent de plus en plus la pression, que ce soit sur le plafond de la dette et la capacité d’emprunt ou, à l’inverse, sur la capacité de générer les recettes voulues pour fournir le type de subventions nécessaires à la création de logements sociaux où les loyers sont plus faibles et où le ratio dette-capitaux propres — pour un logement à but non lucratif ou subventionné, les exigences en matière de fonds propres sont plus élevées, car nous n’avons pas les revenus annuels nécessaires pour rembourser la dette et nous devons donc obtenir les fonds propres ailleurs. Les gouvernements ont du mal à répondre à cette demande.
D’un autre côté, les organismes à but non lucratif doivent trouver ces capitaux propres quelque part. Surtout si l’on essaie de construire plus ou si l’on est nouveau, comme nous en tant qu’organisme — comme nous n’existons pas depuis longtemps, nous n’avons pas de capitaux propres accumulés; nous avons la capacité de fournir des services, mais nous n’avons pas nécessairement cette base de capitaux propres —, il faut les trouver quelque part.
Comment libérer les actifs du secteur privé qui vieillissent et qui peuvent présenter — parce qu’ils ont eu des propriétaires pendant longtemps — des problèmes de récupération de capital, de gains en capital et de fiscalité qui découragent le transfert effectif à de nouveaux propriétaires, ou qui conduisent à une sorte de cycle de « rénoviction » qui n’aide pas quand on cherche à créer de nouveaux logements, et en tout cas pas de nouveaux logements abordables, et donc à augmenter l’offre?
Le problème des gouvernements, c’est que leurs ressources ne sont pas inépuisables. Par conséquent, si nous pouvons débloquer une partie des capitaux propres dans le secteur privé, les réinvestir dans le secteur à but non lucratif ou obtenir des fonds publics de contrepartie qui pourraient alléger en partie la charge, comment encourager ce type de transfert de capitaux propres pour soutenir le logement à but non lucratif?
Et nous, les fournisseurs de logements sociaux, nous avons simplement besoin de capitaux propres. Nous pouvons en obtenir une partie avec taux d’intérêt, comme nous le faisons avec New Market Funds en plafonnant ou en fournissant les capitaux propres initiaux pour démarrer des projets. Cependant, nous avons des chiffres en ce qui concerne la couverture du service de la dette et nous ne pouvons demander qu’un certain loyer pour les logements abordables, ce qui signifie qu’il faut disposer de beaucoup de capitaux propres, qui doivent venir de différents ordres de gouvernement, de remboursements d’impôt, de remboursements grâce à des gains d’efficacité, de programmes d’efficacité et d’autres mesures similaires. Mais en fin de compte, c’est un chiffre et le calcul reste le même. Le défi consiste, je suppose, à trouver comment réunir tous ces capitaux propres.
Je pense que, quand on veut, on peut, et que les trois secteurs sont conscients du défi et veulent le relever, mais comment y parvenir avec des capacités en baisse, en particulier dans le secteur public, et un secteur à but non lucratif qui doit se développer et acquérir des actifs maintenant et à long terme pour arriver à plus de 10 % de logements sociaux et revenir à une situation où nous disposons d’un nombre suffisant de logements abordables et très abordables sur le marché national du logement?
J’espère que cela répond à la question.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Ballantyne et monsieur Read, d’être des nôtres aujourd’hui. J’ai une question pour chacun, si le temps le permet. La première s’adresse à M. Read. L’an dernier, vous avez publié avec un collègue un article sur l’UWCRC, le décrivant comme un modèle « ... qui mérite d’être étudié attentivement, adapté localement et reproduit rapidement ». Dans la conclusion de cet article, vous écrivez :
Il existe tout un éventail de possibilités pour les chercheurs engagés d’examiner et d’interroger cette expérience —
— celle de l’UWCRC —
— afin de générer des idées qui renforcent ou adaptent le modèle et en permettent une reproduction rapide, afin de répondre au besoin urgent de millions de nouveaux logements locatifs abordables dans toute l’Amérique du Nord...
Je conviens tout à fait que les chercheurs ont un rôle important à jouer dans ce processus, mais j’aimerais vous demander, et peut-être pourriez-vous développer ce point, quel rôle le gouvernement fédéral peut jouer au-delà du financement. De quels autres outils dispose-t-il pour aider à soutenir, à développer ou à accélérer des projets de logements innovants, comme ceux menés par l’UWCRC?
M. Read : Un des points auxquels je voulais en venir — et je ne sais pas si c’est nécessairement le moyen, mais je pense que ce pourrait être un moyen — concerne l’exonération des gains en capital en cas de transfert du secteur lucratif au secteur non lucratif, afin d’offrir une réduction différentielle de l’imposition des gains en capital qui serait un avantage pour le vendeur, s’il vend sur le marché du logement social. Nous devons parvenir à avoir un secteur à but non lucratif suffisamment solide, riche et propriétaire d’actifs, capable de diviser rapidement ses capitaux propres et de devenir un promoteur spécialisé dans ce type de logements. Et si nous ne voulons pas continuer indéfiniment à injecter les mêmes fonds publics sous forme de subventions dans ces projets, nous devons avoir des organismes suffisamment développés pour générer une capitalisation interne qui peut être réinvestie.
Dans notre cas, nous étions un modèle dirigé par une institution d’ancrage. Ce modèle peut être reproduit, notamment quand il s’agit de construire des logements à grande échelle, en particulier au début, et de lancer les projets afin d’avoir un garant pour différents prêts. Si vous avez besoin d’un prêt de 20 millions de dollars, il est bon d’avoir une université qui peut vous fournir une garantie pendant votre phase de démarrage.
Le sénateur Loffreda : L’exonération des gains en capital dont vous parlez viserait-elle expressément le secteur social ou envisageriez-vous une exonération générale des gains en capital afin de libérer une partie de ce capital qui est immobilisé et ne peut être utilisé nulle part pour des raisons fiscales évidentes?
M. Read : En tant qu’organisme à but non lucratif, je ne paie pas d’impôt sur les gains en capital. Dans le secteur à but lucratif, si j’ai acheté un bâtiment il y a 20 ans pour 20 millions de dollars et qu’il vaut aujourd’hui 70 millions de dollars, j’ai un gain de 50 millions de dollars qui est imposé à 50 %, puis soumis à un impôt sur les sociétés de 50 %. Je paie 25 % sur ces 50 millions de dollars. Ce que nous disons, c’est que, si ce vendeur du secteur privé souhaite vendre au secteur à but non lucratif, afin que nous puissions conserver les loyers de ces logements plus anciens, les réhabiliter, le faire à moindre coût que de construire du neuf, et permettre aux acteurs du secteur privé de réinvestir ensuite ce qu’ils retirent de la vente, si nous pouvons réduire leur charge fiscale par rapport à une vente à un autre propriétaire du secteur privé en accordant une remise supplémentaire sur les gains en capital — soit 25 % contre 50 % parce qu’il l’a vendu au secteur caritatif à but non lucratif —, le promoteur immobilier du secteur privé aura plus d’argent à réinvestir, que ce soit dans l’immobilier ou ailleurs. Je pense qu’une grande partie de la richesse dans ce pays freine notre économie parce qu’elle est improductive. Nous pourrions confier l’actif à un organisme à but non lucratif.
Le problème restera, pour les organismes à but non lucratif, que nous avons besoin de capitaux propres en garantie de prêt, et se pose alors la question suivante : « Sans les subventions publiques pour nous aider à réaliser cette acquisition, y a-t-il un moyen d’inciter la personne à qui nous l’avons vendu ou un autre groupe du secteur privé, par des crédits d’impôt à l’investissement ou d’autres moyens, à réinjecter ces capitaux propres? » Dans bien des mécanismes, comme les obligations à impact social, il incombe à l’investisseur d’apporter un rendement, mais, en tant qu’organisme à but non lucratif, je n’ai pas besoin de m’endetter plus. Ce dont j’ai besoin, c’est de plus de capitaux propres sans intérêt, qu’ils viennent de subventions ou d’autres sources. Je me demande si le gouvernement peut jouer un rôle d’intermédiaire, par des incitations fiscales, pour que le secteur à but non lucratif bénéficie des capitaux propres, que le secteur public puisse offrir un rendement avantageux à l’investisseur, comparable à ce qu’il obtiendrait sur les marchés monétaires ou en réinvestissant l’argent, et que les acteurs du secteur privé aient l’avantage de transférer l’actif, de commencer à réinvestir et de disposer de plus de fonds pour le faire. Quel que soit le mécanisme, je pense qu’il doit s’agir d’un cycle de ce type.
Le sénateur Loffreda : Ce sont d’excellentes idées. Merci.
La sénatrice Ringuette : Merci de nous avoir fait part de votre expérience et de votre façon de procéder. J’ai une série de questions très courtes afin de mieux comprendre. Vos logements locatifs à but non lucratif reposent-ils sur 30 % du revenu?
M. Ballantyne : Je peux répondre en premier. Quand nous investissons et construisons des logements, une partie repose sur 30 % du revenu, et différents niveaux de loyer, tous abordables, s’appliquent au reste. Nous recherchons, en moyenne, une abordabilité fondée sur le revenu médian moyen de la région dans laquelle nous travaillons. Dans notre portefeuille, c’est environ 65 %. Nos loyers sont abordables au 65e centile du revenu médian moyen de la région. Ils sont généralement très abordables, certains étant même très bon marché.
La sénatrice Ringuette : Comparativement, à quoi correspondent les 65 % dont vous parlez?
M. Ballantyne : À une personne qui gagne 65 % du revenu médian de la région. Si le revenu médian de la région était de 60 000 $, le loyer serait abordable pour un ménage gagnant 45 000 $. Si le revenu médian de la région est de 40 000 $, alors les loyers seraient calculés pour un revenu d’environ 25 000 $.
Certains sont inférieurs, d’autres supérieurs. Il s’agit d’une moyenne. En fait, nous maintenons certains loyers très bas et d’autres sont plus proches des loyers du marché.
La sénatrice Ringuette : D’après votre expérience actuelle, compte tenu des 65 % que vous visez, combien de vos locataires peuvent devenir propriétaires? Je pense que ce devrait être le but ultime des logements à loyer modéré : non seulement fournir un toit, mais aussi aider ces locataires à devenir propriétaires.
M. Ballantyne : Nous investissons et construisons des logements depuis environ 10 ans. L’expérience de notre organisme est trop récente pour dégager des tendances. D’après mon expérience de la gestion de grands portefeuilles de logements sociaux, en général, 10 à 20 % des locataires atteignent des revenus qui leur permettent de devenir propriétaires. Les logements locatifs destinés aux ménages à faible revenu s’adressent surtout à des familles qui travaillent dans des milieux où les salaires sont relativement faibles. À moins qu’elles n’aient la possibilité d’augmenter leurs revenus, l’accession à la propriété reste un objectif difficile à atteindre.
La sénatrice Ringuette : Mon autre question concerne le moment où vous recherchez les capitaux propres dont vous avez besoin. En règle générale, lorsqu’un promoteur privé sollicite un prêt auprès d’un établissement bancaire pour construire, 60 % des logements doivent être vendus ou loués avant que le prêt soit accordé. Avez-vous le même critère que ces entités privées quand vous cherchez des capitaux propres pour construire?
M. Read : Permettez-moi de répondre à votre première question. Nous fonctionnons sur un modèle de logements à revenus mixtes. Nous proposons des loyers abordables, sociaux, au prix du marché et au prix du marché haut de gamme dans de nombreux bâtiments. Nous possédons quelques actifs qui sont des refuges pour les victimes de violence sexiste, et qui sont donc des logements sociaux à loyer proportionné au revenu. Nous avons quelques constructions à revenus mixtes. Nous sommes sur le point de lancer la construction d’un bâtiment de 180 logements à revenus mixtes, mais il s’agit de logements à loyer proportionné au revenu et de logements abordables, à 69 % du loyer médian du marché de la SCHL. Dans les bâtiments où nous proposons des logements sociaux à des loyers élevés, les logements sociaux et abordables ou les logements à loyer proportionné au revenu, quand ils se trouvent dans le même bâtiment, sont tous conçus de la même manière, et ce intentionnellement. Il n’y a pas de stigmatisation et ils sont répartis dans les bâtiments, de sorte que vous ne savez pas si vous vous trouvez dans un logement social, abordable ou au prix du marché. C’est tout à fait intentionnel, afin de réduire la stigmatisation liée au revenu et au type de logement.
Cela permet également de s’éloigner des modèles traditionnels de logements sociaux ou abordables gérés par des organismes publics ou à but non lucratif qui ne sont que des logements sociaux ou abordables, car lorsqu’une famille ne remplit plus les critères de revenu, elle doit partir. Cela crée parfois une insécurité en matière de logement et ces familles finissent par devoir de nouveau demander un logement à loyer proportionné au revenu, mais elles se retrouvent alors sur une liste d’attente et elles sont mécontentes. Elles n’ont plus accès aux infrastructures communautaires qui les entourent.
Dans nos bâtiments, si leur situation financière change, nous modifions la structure du loyer, et elles n’ont pas à quitter leur logement. Leurs enfants peuvent continuer de fréquenter la même école, par exemple, et elles restent dans le même bâtiment. Nous avons des personnes qui...
La sénatrice Ringuette : Je vous demande pardon, monsieur le président, mais ma question portait sur la règle générale de 60 % en matière de capitaux propres.
Le président : Peut-être 30 secondes. Nous manquons de temps.
M. Ballantyne : L’exigence en matière de capitaux propres est en réalité un calcul fondé sur les paramètres économiques du projet lui-même. Le loyer soutient une grande partie de l’emprunt. Après cela, il faut trouver d’autres sources de financement. Dans un projet privé, on peut aller jusqu’à 65 % de dette, le reste étant constitué de capitaux propres. Les loyers sont alors calibrés pour avoir un rendement sur ces capitaux propres, de sorte que l’on maintient les loyers à un niveau suffisamment élevé pour obtenir un rendement, alors que nos loyers sont plafonnés parce que nous essayons de créer des logements abordables et que, par conséquent, nous ne pouvons pas générer de rendement pour cette partie des capitaux propres ou pour la totalité de ces capitaux propres. On peut pour une partie, mais pas pour la totalité.
La sénatrice Wallin : J’aimerais examiner d’autres options. Comme d’autres, j’ai écouté avec intérêt votre proposition d’exonération des gains en capital. Les choses pourraient se compliquer légèrement si les mêmes personnes réinvestissaient dans le projet. Il y a l’idée d’une exonération de la TVH. Une grande partie des redevances de développement est perçue à l’échelon municipal. Vous avez parlé d’atténuer les risques liés aux capitaux privés. Quelles autres mesures proposez-vous ou quelles mesures pourraient, selon vous, fonctionner pour atténuer ces risques?
Ma deuxième question — je vais les poser toutes les deux et vous pourrez y répondre, si vous voulez — concerne le programme des immeubles résidentiels à logements multiples, ou IRLM. Nous en avons déjà vus dans notre pays. Quelles leçons en avez-vous tirées la première fois?
M. Ballantyne : Je vais peut-être commencer par l’atténuation des risques, puis je laisserai M. Read parler des autres points. En ce qui concerne l’atténuation des risques, je pense qu’il existe actuellement un très bon programme, très efficace, pour les logements construits expressément pour la location, à savoir le Programme de prêts pour la construction d’appartements (PPCA), géré par la SCHL. Il offre de longues périodes d’amortissement et de faibles coûts, autrement dit des financements à des taux gouvernementaux. Donc, le financement est accessible, ce qui soulage nettement la pression sur le coût de ces projets.
Un des problèmes avec ce programme, c’est l’incertitude qui plane quant à son maintien et aux montants disponibles pour la taille des projets. Ce programme comporte des limites et présente des problèmes de capacité. Je pense qu’il est démontré que les mesures gouvernementales visant à offrir un financement à long terme et à faible coût permettent de créer des logements abordables et des logements adaptés.
Dans le passé, nous avons constaté que le filet de sécurité fédéral en matière de risque, en particulier sur les marchés plus petits et moins sûrs, était un outil qui permettait d’accélérer l’arrivée de capitaux dans ces régions. Les fondations ont très clairement exprimé leur volonté de libérer une partie de leurs actifs pour les investir dans des logements abordables, mais elles ne peuvent pas se permettre d’assumer l’intégralité du risque ou elles veulent avoir l’assurance que, si elles n’obtiennent pas les rendements escomptés, elles pourront les comptabiliser dans certaines de leurs dépenses de programme, et cetera. Il existe des mesures de ce type que le gouvernement peut, selon moi, mettre en œuvre et qui accéléreraient l’afflux de capitaux vers ces projets.
Je pense que, d’un point de vue macroéconomique, ce type de mesures aiderait grandement à orienter les capitaux vers le logement abordable, en particulier vers le logement abordable subventionné.
La sénatrice Wallin : Tout dépend, en quelque sorte, du filet de sécurité fédéral, est-ce bien cela que vous dites?
M. Ballantyne : Il s’agit du filet de sécurité fédéral, mais pas nécessairement de dépenses fédérales. L’histoire nous dira qu’il n’y a pas beaucoup de risques à cela. Il suffit simplement de surmonter un obstacle lié au risque pour que d’autres capitaux se présentent.
La sénatrice Wallin : Avez-vous quelque chose à ajouter sur le processus des IRLM?
M. Read : Je pense que M. Ballantyne est probablement mieux placé que moi pour formuler des observations sur les IRLM, qui existaient avant mon arrivée.
M. Ballantyne : Je connais l’histoire des IRLM, et je ne suis pas un expert en fiscalité, entre autres, mais je pense que la structure des IRLM en elle-même n’était pas le problème. Selon moi, c’est la manière dont le programme a été mis en œuvre et le manque de surveillance des cadres d’investissement utilisés qui ont causé bon nombre des problèmes que nous avons constatés sur le terrain. C’est, à mon sens, une idée qui mérite d’être reprise dans certains contextes, en l’accompagnant d’un autre ensemble de garanties, de mesures de surveillance et de mesures fiscales. Elle a réussi à attirer des capitaux, mais ils n’ont pas été bien dépensés.
La sénatrice Wallin : C’est exact. Merci.
La sénatrice McBean : Je commencerai par M. Ballantyne. Dans vos observations préliminaires, vous avez peut-être fait une observation un peu spontanée, improvisée, du genre que j’aime bien creuser, car il en ressort parfois de précieux éléments. Vous avez dit quelque chose au sujet du fait que nous ne tenons pas de bonnes statistiques. Je crois que c’était au sujet du parc immobilier. Que vouliez-vous dire par « nous ne tenons pas de statistiques fiables »?
M. Ballantyne : Je tiens d’abord à préciser que nous nous améliorons. Dans la Stratégie nationale sur le logement, des efforts ont été faits pour investir dans des statistiques fiables sur le secteur du logement. Ce secteur représente une immense part de notre PIB, mais nous en savons très peu sur lui. C’est un casse-tête intéressant auquel nous faisons face. Lorsque je dis que nous ne savons pas vraiment combien il y a de logements sociaux, c’est parce que nous estimons tous qu’il y en a entre 600 000 et 650 000. Cependant, la marge d’erreur est importante parce qu’il n’y a jamais eu de moyen de recenser — ou nous n’avons pas d’ensemble de données qui recense — où se trouvent les logements abordables, à quoi ils ressemblent, etc.
Statistique Canada a apporté des améliorations pour essayer de recueillir une partie de cette information. Je dirai que, de mon point de vue, nous ne connaissons pas très bien la situation et la composition du secteur du logement, notamment son évolution en temps réel, l’évolution des loyers, et nous ne savons pas vraiment où l’abordabilité se détériore, etc. Nous ne savons pas, faute de données, comment cela se produit.
La sénatrice McBean : S’agit-il d’une question de type recensement? Où voudriez-vous enregistrer ces données?
M. Ballantyne : Je pense qu’il s’agit d’une question de type recensement, mais elle est également liée aux déclarations de revenus et des sociétés, entre autres, et au fait de pouvoir recueillir des données réelles sur le secteur du logement.
La sénatrice McBean : Merci. Monsieur Read, vous avez mentionné que vous avez bénéficié de sources de financement fédérales, provinciales et municipales. Y a-t-il des politiques ou des outils de financement fédéraux qui étaient très efficaces et utiles pour soutenir la construction de logements à revenus mixtes et des aménagements polyvalents comme les vôtres, mais qui n’ont pas suivi le rythme de l’inflation ou l’évolution du marché?
M. Read : Cela dépend. Le remboursement de la TVH qui s’applique maintenant à tous les immeubles résidentiels à logements multiples, et qui est selon moi nécessaire pour le secteur et pour l’offre, était auparavant réservé aux logements abordables désignés par les municipalités. Nous avions un certain avantage par rapport au marché général dans la construction de logements à but non lucratif pour les logements abordables ou dans nos logements à revenus mixtes, il y avait un mélange. Avec l’augmentation du coût de la main-d’œuvre dans le secteur de la construction, je comprends pourquoi il fallait l’appliquer plus largement pour permettre la construction de bâtiments. Cependant, le secteur à but non lucratif, qui bénéficiait d’un avantage différentiel à cet égard pour ce qui est de réduire les coûts, a perdu cet avantage différentiel sur le plan fiscal.
La sénatrice McBean : Je voudrais approfondir cette question. Puis-je vous demander précisément comment vous changeriez cela aujourd’hui? Comment reformuleriez-vous la mesure pour qu’elle soit de nouveau avantageuse pour le secteur à but non lucratif?
M. Read : Je ne pense pas que je la changerais pour le moment parce que je crois que, pour des raisons liées à l’offre, le secteur à but lucratif en a également besoin; le marché privé en a également besoin. C’est là que j’essaie de réfléchir à des moyens de faciliter l’acquisition de logements par le secteur à but non lucratif. Il manque malheureusement à la Stratégie nationale sur le logement un fonds d’acquisition, autrement dit la possibilité pour les organismes à but non lucratif d’accéder à des fonds pour des acquisitions, et pas seulement pour de nouvelles constructions.
Je pense que cette question est en train d’être réglée, mais il reste à déterminer s’il existe, dans le cas d’une acquisition et de la mise à disposition de fonds — et les ressources du gouvernement ne sont pas inépuisables —, un moyen d’accéder à la richesse du secteur à but lucratif pour la transférer ou d’en faire autant que le gouvernement en fourniture de capitaux propres par des sources non remboursables. C’est là, selon moi, qu’il pourrait y avoir des différences en matière de gains en capital : si le transfert est destiné à un organisme de bienfaisance ou à but non lucratif, on accorde un avantage fiscal différentiel au vendeur pour avoir fait cela.
La sénatrice McBean : Merci.
Le sénateur C. Deacon : Merci à nos témoins. J’habite une région rurale d’une province qui, à l’exception d’une ville, compte de nombreuses collectivités rurales, et la crise du logement dans bon nombre d’entre elles est encore plus grave que dans les centres urbains, car il n’y a tout simplement pas assez de logements, qu’ils soient abordables ou non. Je me demande si vous connaissez des approches qui ont permis de créer des logements abordables dans les collectivités rurales, ce qui est un défi très différent de celui auquel vous travaillez tous les deux, mais j’espère que vous pourrez nous offrir des perspectives qui pourraient nous être utiles.
M. Ballantyne : Par l’entremise de notre société de développement, nous avons en effet collaboré avec des organismes à but non lucratif, notamment sur la Sunshine Coast en Colombie-Britannique et dans les zones rurales de la Nouvelle-Écosse avec des partenaires locaux. Nous travaillons actuellement sur plusieurs projets à Terre-Neuve. Nous en avons déjà réalisé un et nous envisageons une deuxième acquisition à l’Île-du-Prince-Édouard, tous dans des marchés relativement petits.
Je comprends qu’on dise que les problèmes d’accessibilité financière dans les petites collectivités rurales sont souvent éclipsés par les problèmes des grandes régions métropolitaines, mais ils n’en sont pas moins réels et importants.
Je pense que nous devons reconnaître que les coûts d’exécution dans ces régions sont plus élevés. Il existe des écarts de coût en raison de l’échelle et de l’accès aux matériaux et aux services, et je ne pense pas que cela soit toujours pris en compte dans les approches et dans le fonctionnement des programmes de financement.
Par ailleurs, je pense qu’il existe peut-être des moyens, lorsque le gouvernement fédéral planifie la mise en œuvre de ses programmes et de son financement — et je pense que M. Read y faisait allusion —, de réfléchir davantage à l’investissement dans des entités regroupées qui ont une portée dans les petites régions rurales, mais qui peuvent créer l’efficacité et l’échelle d’exploitation qui leur permettraient de prendre en charge plusieurs projets. Nous travaillons avec quelques partenaires qui fonctionnent selon ce modèle, notamment en Nouvelle-Écosse. Le secteur du logement coopératif s’organise selon ces principes afin d’essayer de regrouper les capacités, de réunir les compétences et tous les outils nécessaires au développement, tout en permettant que cela se fasse à petite échelle et de manière dispersée. Je pense que ce sont là quelques moyens de relever les défis qui pourraient alimenter votre réflexion.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur Read?
M. Read : Nous participons à certains projets dans le Nord et en milieu rural, mais ils concernent des logements de transition et des logements pour les victimes de violence sexiste.
Je peux donc seulement dire qu’en ce qui concerne le développement de capacités afin d’aider des organismes dans les collectivités rurales où ces capacités peuvent faire défaut dans le secteur à but non lucratif, notre modèle consiste à intervenir pour les renforcer. Nous travaillons donc sur un projet à Flin Flon avec le centre d’amitié autochtone et avec le groupe de lutte contre la violence sexiste à Winkler, au Manitoba. Notre organisation est intervenue pour les aider à renforcer leurs capacités et leur aptitude à comprendre et à négocier le monde complexe de l’accumulation de capitaux, des prêts et de tout le nécessaire.
Cependant, nous comprenons que dans de nombreux contextes ruraux, les loyers sont moins élevés, les terrains peuvent être moins chers, les matériaux peuvent être plus coûteux, la main-d’œuvre peut être difficile à trouver et les loyers que vous obtenez pour rembourser les prêts sont moins élevés, de sorte que vous avez souvent besoin d’un capital plus important. C’est donc un défi, mais c’est aussi un défi en matière de capacité. Nous étions à la conférence de la Manitoba Non-Profit Housing Association, où un analyste national nous a appris qu’il y a plus de 10 000 associations de logement à but non lucratif au Canada et que seules 20 à 25 d’entre elles ont la capacité de construire une centaine d’unités ou plus à la fois. Nous devons « stimuler » la capacité de développement du secteur à but non lucratif.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur le président, je pense qu’il me reste une minute ou deux.
Le président : Quarante-cinq secondes.
Le sénateur C. Deacon : Des capitaux d’investissement sont disponibles dans les collectivités rurales. Ils prennent généralement la direction de Toronto, et ce sont les habitants de Toronto qui décident de leur utilisation, mais nous n’investissons pas dans nos propres collectivités parce que nous ne disposons pas des mécanismes et des outils nécessaires. Connaissez-vous des outils d’investissement, tels que les crédits d’impôt à l’investissement ou d’autres outils — dans le monde des affaires, nous utilisons certainement les crédits d’impôt à l’investissement en Nouvelle-Écosse — qui pourraient être utiles pour réunir des capitaux afin de soutenir ce type de projets dans les collectivités rurales?
M. Ballantyne : Vous avez évoqué le crédit d’impôt à l’investissement en Nouvelle-Écosse. Les crédits d’impôt pour l’investissement communautaire ont également été des outils efficaces. Je pense que tous ces éléments plaident en faveur d’un système de crédit d’impôt visant à affecter des capitaux à des fins particulières et à réduire les risques pour les investisseurs en leur offrant un rendement initial grâce au crédit d’impôt et en n’exigeant pas un rendement aussi élevé en raison du profil, ce qui exercerait une pression sur le projet. Je pense donc que c’est également une bonne idée de ne pas limiter ces crédits aux installations purement communautaires ou destinées à la collectivité pour les orienter vers le logement ou vers un programme spécialement conçu qui serait parrainé par le gouvernement fédéral. Cela contribuerait certainement à attirer des capitaux vers les fonds et les projets eux-mêmes.
Le sénateur Dalphond : Merci pour ces observations intéressantes. Ma question s’adresse à vous, monsieur Ballantyne. Je consulte le rapport annuel pour 2023. Je crois comprendre que votre fonds s’élève à environ 155 millions de dollars.
M. Ballantyne : Oui, le fonds de capital social Boann.
Le sénateur Dalphond : Est-il entièrement engagé?
M. Ballantyne : Non. Il est engagé à environ 65 % à l’heure actuelle.
Le sénateur Dalphond : Lorsque je consulte le rapport de 2023, je constate que le logement ne représentait qu’une petite partie de vos investissements. Cette part a-t-elle augmenté au fil des ans, car je suppose qu’en 2022, le logement ne connaissait pas nécessairement la crise que nous traversons actuellement?
M. Ballantyne : Notre engagement en faveur du logement augmente, de sorte que notre enveloppe globale consacrée au logement augmente également. Les occasions d’investissement se situent principalement dans des projets directs, et il existe très peu d’intermédiaires par lesquels nous pouvons investir. C’est l’un des défis auxquels nous sommes confrontés. Dans le monde du capital social de Boann, l’un de nos objectifs est donc de renforcer les capacités des intermédiaires afin de pouvoir utiliser notre capital pour inciter d’autres capitaux à se joindre à nous et multiplier l’effet de notre capital. On trouve quelques intermédiaires de cette nature dans le pays, nous sommes donc susceptibles de voir davantage d’investissements directs ou, en quelque sorte, de contribuer à la création d’intermédiaires par l’entremise desquels nous investirons ensuite.
Le sénateur Dalphond : Quel pourcentage de vos investissements serait lié au logement abordable?
M. Ballantyne : Oui. Cela relèverait de la catégorie du logement abordable.
Le sénateur Dalphond : Quel serait le pourcentage de votre investissement?
M. Ballantyne : Nous visons environ 35 % d’investissements directs dans le logement abordable. Il peut y avoir des investissements indirects dans le logement par l’entremise d’autres intermédiaires qui trouvent les capitaux.
Le sénateur Dalphond : Et jusqu’à présent, vous en êtes à la moitié de cet objectif?
M. Ballantyne : Jusqu’à présent, nous en sommes à moins de la moitié.
Le sénateur Dalphond : D’accord. Cela reste donc un défi?
M. Ballantyne : Il nous reste du chemin à parcourir.
Le sénateur Dalphond : Et vous dites que votre taux de rendement varie entre 3 et 28 %. Est-ce toujours le cas après trois ou quatre ans d’activité?
M. Ballantyne : Je dirais que 3 % est le minimum, et nous sommes assez certains de savoir où se situe ce seuil. Le chiffre de 28 % est en réalité hypothétique, car nous avons investi dans certaines activités d’entrepreneuriat social à un stade précoce. Si vous me demandez où nous pensons que ces investissements aboutiront, je dirais qu’ils se situeront probablement entre 11 et 12%. En moyenne, notre portefeuille vise un rendement de 4,5 à 5 %. Une grande partie de nos investissements correspond donc à ce que l’on pourrait appeler du capital concessionnel.
Le sénateur Dalphond : Vous souhaitez également atteindre un autre objectif, à savoir l’équité au sein des conseils d’administration et de la direction de ces projets. La dimension sociale et équitable des projets fonctionne-t-elle jusqu’à présent?
M. Ballantyne : Je dirais que cela fonctionne bien dans certains cas, et il y a un vif intérêt à comprendre comment cela peut se produire. Cela dépend un peu. Évidemment, comme toutes les entreprises, ce sont des entreprises dirigées par leurs fondateurs, et les fondateurs sont ce qu’ils sont, il faut donc du temps pour constituer des équipes et augmenter la diversité autour de soi, mais nous constatons un intérêt croissant et une évolution sur le marché.
Le sénateur Dalphond : Merci.
Le président : Chers collègues, nous avons terminé notre première série de questions. Avant de passer à la deuxième série, puis-je poser une question à M. Ballantyne?
Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que vous avez présidé le conseil d’administration de la SCHL pendant six ans, jusqu’à l’année dernière. Pensez-vous que la création d’une nouvelle agence fédérale pour résoudre les problèmes des libéraux soit la bonne chose à faire, maintenant que vous êtes plus indépendant, puisque vous n’êtes plus président? Souhaitez-vous nous faire part de vos réflexions à ce sujet, sachant que la SCHL existe depuis des décennies et qu’elle était beaucoup plus active il y a quelques décennies qu’aujourd’hui? Avez-vous des observations à ce sujet?
M. Ballantyne : Vous comprenez certainement ma loyauté envers la SCHL. J’ai travaillé pour cette organisation pendant longtemps et je l’apprécie.
Je ne souhaite pas commenter la pertinence d’une orientation particulière du gouvernement. Ce qui me semble important pour le gouvernement, et l’un des défis que la SCHL et le gouvernement fédéral ont toujours eu à relever, c’est d’apporter une réponse pangouvernementale aux défis du logement. Le logement n’est pas seulement un problème qui concerne la SCHL. Ce n’est pas seulement un problème d’infrastructure.
Le ministère des Finances influe largement sur les résultats qui seront obtenus en matière de logement, d’accessibilité au logement, etc. Si le programme « Maisons Canada » parvient à mettre en place une approche pangouvernementale pour trouver des solutions au problème du logement, alors ce sera une réussite. Dans le cas contraire, nous aurons simplement créé une nouvelle institution qui n’apporte aucune valeur ajoutée. Seul le temps nous dira si c’est la bonne décision ou non. Je pense vraiment que cela dépendra des résultats que nous obtiendrons.
Le président : Merci. Nous passons maintenant à la deuxième série de questions.
Le sénateur Yussuff : Merci pour vos commentaires, mais je voudrais revenir sur une question particulière, car vous l’avez abordée en détail, monsieur Read.
Le fait que le gouvernement utilise les outils fiscaux dont il dispose pour transférer des actifs à des organismes sans but lucratif et à des programmes de logement abordable est une initiative assez novatrice. Il est évident que la réussite de cette initiative dépendra de la pertinence de l’approche adoptée, mais d’autres ont préconisé d’autres actifs qui permettraient aux travailleurs de devenir propriétaires d’entreprises.
Avez-vous examiné ce modèle et essayé de comparer comment il pourrait être adapté de manière similaire, compte tenu de ce que vous préconisez?
M. Read : Je ne l’ai pas fait, mais j’en suis conscient. Il s’agit d’une incitation similaire, d’un concept similaire, mais d’une mission différente.
Le sénateur Yussuff : Je cède mon temps de parole à l’un de mes collègues.
Le sénateur Varone : Ma question porte sur l’offre de logements abordables. De nombreux maires se félicitent d’avoir réduit le délai nécessaire à la mise en œuvre de projets de développement abordables. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?
M. Ballantyne : C’est certainement vrai dans certaines municipalités. Elles ont réduit le temps nécessaire à la réalisation des projets et ont pris des mesures telles que le zonage approprié pour certains types de maisons, etc., ce qui, à mon avis, est très positif.
Cependant, il reste un nombre considérable d’obstacles réglementaires. Je pense notamment que lorsque nous envisageons de modifier les technologies utilisées dans la construction, de changer les matériaux utilisés dans les immeubles, d’utiliser des ossatures en bois pour des immeubles plus grands, etc., nous nous heurtons encore à un nombre considérable d’obstacles réglementaires qui, à mon avis, pourraient être surmontés plus rapidement.
Le sénateur Varone : La question qui se pose naturellement est la suivante : si ces observations sont fondées, est-ce faisable sur le marché privé pour le développement et l’augmentation de l’offre?
M. Ballantyne : Je pense que les organismes à but non lucratif et les marchés privés reconnaissent qu’ils sont tous deux confrontés à des obstacles. Du côté du marché, ils ont peut-être rencontré des obstacles plus importants dans certains cas. En d’autres termes, la voie s’est dégagée plus facilement pour les organismes à but non lucratif dans certaines municipalités.
Si la pandémie nous a appris quelque chose, c’est que la réglementation peut être modifiée relativement rapidement et facilement si l’on y accorde l’attention voulue. Je pense qu’il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.
Le sénateur Varone : Merci.
Le sénateur Loffreda : Je suis toujours heureux de conclure. Ma question s’adresse à M. Ballantyne. Dans le rapport provisoire de notre comité sur l’accessibilité au logement, publié en décembre 2023, nous recommandions que le gouvernement fédéral joue un rôle de premier plan dans la mise sur pied d’une table ronde permanente réunissant les parties prenantes afin de contribuer à réduire les obstacles réglementaires et administratifs à la construction de logements plus abordables. À votre avis, y a-t-il encore matière à amélioration en ce qui concerne la collaboration utile entre les gouvernements et les secteurs? Par ailleurs, pensez-vous que les solutions fondamentales à la crise du logement sont déjà bien comprises et qu’il faut maintenant agir et mettre en œuvre ces solutions au lieu de créer un autre forum pour réexaminer les mêmes questions?
M. Ballantyne : Si le forum se contentait de revenir sur les mêmes questions, il ne serait peut-être pas très utile, mais un forum de cette nature, conçu pour surmonter les obstacles à la mise en œuvre, serait extrêmement utile.
Nous savons que, dans le domaine du logement, aucun ordre de gouvernement ne dispose à lui seul de toutes les solutions et de tous les outils, et personne n’a un portrait complet de chaque segment du marché. Il est essentiel que nous disposions d’un meilleur flux d’information et de meilleures occasions de mettre en commun cette information. Je pense que cette recommandation reste un outil utile, non pas nécessairement pour refaire le monde, mais pour déterminer, maintenant que nous connaissons les solutions, comment les mettre en œuvre. Le diable se cache toujours dans les détails, et il est important de les mettre en évidence, de les comprendre et de créer un contexte propice à leur mise en œuvre.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Le président : Je tiens à remercier nos deux témoins. Je sais que vous avez des horaires très chargés. Merci pour votre souplesse et merci pour vos observations éclairées.
[Français]
Honorables sénateurs et sénatrices, nous continuons notre étude spéciale sur la crise du logement. Je souhaite maintenant la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins.
[Traduction]
Merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant nous. Je crois comprendre que vous avez quelques déclarations liminaires à faire. Vous disposez de cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions. Vous avez la parole.
Peter Norman, vice-président et stratège économique, Groupe Altus : Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité de m’avoir invité cet après-midi.
Je m’appelle Peter Norman. Je suis vice-président et stratège chez Groupe Altus Limitée. Groupe Altus est un cabinet de conseil international spécialisé dans l’analyse de données et les logiciels dans le secteur de l’immobilier et du développement, dont le siège social se trouve ici même, au Canada.
Comme responsable de la stratégie économique, je travaille depuis des décennies avec des clients des secteurs privé et public à travers le Canada sur des questions liées à l’économie du logement, à la faisabilité de projets de développement, à la croissance urbaine et à la politique du logement.
C’est un honneur d’être invité à faire quelques observations devant vous.
Je crois comprendre que votre comité étudie la crise du logement au Canada et les défis auxquels les acheteurs canadiens sont confrontés. Cet après-midi, j’ai l’intention de vous présenter certains constats issus de la recherche que j’ai menée au fil des ans. Ils mettront en lumière les frais imposés par le gouvernement sur les logements neufs en particulier.
Je voudrais tout d’abord m’attarder au rendement insuffisant et incohérent lié aux délais d’approbation. Au début de l’année, mon cabinet a rédigé un rapport pour le compte de l’Association canadienne des constructeurs d’habitations et de la Building Industry and Land Development Association dans lequel nous examinons les délais d’approbation de nouveaux projets immobiliers.
Cette étude s’est penchée sur le temps que les municipalités prennent pour évaluer une demande de permis de construire, depuis la réception du dossier complet jusqu’à la prise de décision. En moyenne, ce délai était de 11,6 mois à l’échelle nationale, soit un peu moins d’un an pour évaluer une demande de permis de construire.
Nous estimons que ce délai est excessif. Bien sûr, nous savons que le temps, c’est de l’argent, et que plus le délai est court, mieux c’est si notre objectif est de réduire les coûts d’aménagement sous-jacents pour le logement. Toutefois, l’étude a révélé des différences considérables entre les municipalités, allant de 31 mois à Hamilton et 25 mois à Toronto pour réaliser une évaluation — soit plus de 2 ans — à seulement 2 mois dans des villes comme Saskatoon et moins de 5 mois dans plusieurs municipalités du pays, notamment London, Calgary, Charlottetown, Edmonton, Regina et Moncton.
La question qui se pose naturellement est donc de savoir pourquoi certaines villes peuvent fournir ce service essentiel dans des délais raisonnables, et d’autres non. C’est l’un des sujets de discussion.
Le deuxième point que je souhaitais soulever concerne les redevances d’aménagement élevées, qui sont également très variables. Cette même étude s’est également penchée sur le montant total des frais municipaux et a constaté des variations considérables à travers le pays. Le montant moyen de ces frais pour une maison individuelle est de 82 600 $, mais il varie, allant de près de 200 000 $ à Toronto à moins de 10 000 $ à Moncton et Charlottetown. Pour les immeubles de grande hauteur, ils varient de 134 000 à 2 000 $, pour une moyenne de 35 000 $, ce qui représente un écart considérable. Nous posons la même question : pourquoi un tel écart?
Le troisième sujet que je souhaite aborder est celui du fardeau réglementaire. Je sais que le comité en a déjà entendu parler de diverses manières, mais c’est un sujet plus difficile à cerner qui pourrait s’apparenter à la goutte d’eau qui fait déborder le vase, dans le sens où, progressivement, au cours des dernières décennies, la prépondérance des exigences réglementaires supplémentaires a alourdi le coût d’aménagement sous-jacent — chacune d’elles est peut-être minime, mais elles s’additionnent. Il se peut, et c’est probablement le cas, que chaque nouvelle mesure réglementaire soit fondée sur des données scientifiques et apporte une amélioration marginale en matière de santé et de sécurité, d’efficacité énergétique ou d’autres objectifs d’intérêt public, mais collectivement, ces mesures sont responsables d’une augmentation considérable des coûts au cours de la vingtaine d’années où j’ai observé ce marché.
Je soulève cette question comme un domaine sur lequel il faut se pencher. Il s’agit d’un vaste domaine qui comprend des éléments tels que les codes du bâtiment, les normes d’aménagement du territoire et les pratiques de planification. Dans une étude récente comparant les municipalités à travers le pays, nous avons examiné certains défis en matière de pratiques de planification réglementaire, ainsi que les domaines dans lesquels des améliorations ont été apportées récemment.
Enfin, le dernier point que je souhaite soulever concerne les modèles de financement municipal. Je sais que le comité a déjà beaucoup entendu parler de la philosophie d’urbanisme selon laquelle « la croissance finance la croissance » qui s’est imposée au cours des 30 dernières années environ. À l’inverse, dans l’après-guerre, nous avons soutenu un nombre considérable de projets de construction de logements grâce à des infrastructures municipales financées par des obligations municipales à faible taux d’intérêt et remboursées au fil du temps par l’impôt foncier. Aujourd’hui, une part importante de ces coûts d’infrastructure est directement supportée par les propriétaires et les locataires de nouveaux logements et financée par des prêts hypothécaires.
Il en résulte un coût excessif des logements neufs et des impôts fonciers nettement moins élevés, voire trop bas dans de nombreux cas. Il est important de comprendre que lorsque les impôts fonciers sont trop bas, cela a également un effet sur les prix des logements, car dans les municipalités où les impôts sont artificiellement bas, cela tend à faire grimper le prix de revente des maisons, ce qui finit par avoir une incidence sur les logements neufs.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions sur ces sujets ou sur tout autre sujet pour lequel je peux être utile au comité. Je vous remercie beaucoup de votre attention.
Le président : Merci, monsieur Norman. J’ai trouvé toutes vos statistiques très intéressantes. Nous aurons beaucoup de questions à vous poser.
Le sénateur Varone : Monsieur Norman, merci d’être venu. Je lis chacun de vos articles avec beaucoup d’intérêt. Je vais m’attarder sur un article que vous avez écrit le 2 juillet dernier, dans lequel vous expliquez que la faiblesse des ventes de maisons neuves à Toronto menace les emplois dans le secteur de la construction pour les années à venir.
Je voudrais m’arrêter là un instant et revenir une semaine en arrière, lorsque Stellantis a annoncé son intention de délocaliser 3 000 emplois du secteur de l’assemblage automobile de Brampton vers l’Illinois, ce qui a déclenché une série de réactions à Ottawa, aboutissant à un appel téléphonique du premier ministre au PDG de Stellantis.
Cependant, dans votre article du 2 juillet, vous décrivez un effondrement apocalyptique des ventes de maisons sur le marché privé de la région du Grand Toronto : les ventes passeraient de 6,7 milliards à 1,9 milliard de dollars, soit une baisse de 71,6 %. Ce sont 87 500 emplois qui sont menacés : 40 000 emplois directs, 30 000 emplois indirects chez les fournisseurs et 17 500 emplois induits. Plus loin dans l’article, vous poursuivez en disant que si les obstacles à l’accession à la propriété — et vous utilisez le mot « obstacles » — ne sont pas rapidement levés, les répercussions économiques seront graves et durables. Vous ajoutez ensuite que l’un des principaux obstacles est la fiscalité excessive du gouvernement.
M. Norman : C’est exact, monsieur.
Le sénateur Varone : Je veux m’assurer d’avoir bien compris l’article. C’était en juillet. Avez-vous constaté une diminution de ces obstacles ou voyez-vous vos hypothèses se concrétiser entre cette date et aujourd’hui?
M. Norman : C’est une bonne question, et je vous remercie d’avoir évoqué cet article ainsi que les recherches que nous avons publiées plus tôt cette année sur cet aspect des répercussions du ralentissement actuel du marché immobilier.
Groupe Altus est la principale source de données sur les ventes de logements neufs au Canada. Aucune autre source ne fournit des données complètes sur les ventes de logements neufs et ne couvre les principaux marchés.
Dans la région du Grand Toronto, qui fait l’objet de ce rapport, pour situer le contexte, les ventes de logements neufs ont diminué d’environ 50 % cette année par rapport à l’année dernière, tant pour les maisons unifamiliales que pour les appartements, mais même ce chiffre minimise le ralentissement, car l’année dernière avait également connu une baisse significative, tout comme l’année précédente. Les ventes sont donc en passe d’être 90 % inférieures à celles de 2022, ce qui donne une idée de l’ampleur de l’effondrement du marché immobilier.
Les travaux et les recherches que nous avons présentés dans cet article visaient à dire : « Quelles en sont les implications sur le secteur de la construction et, en fin de compte, sur le marché du travail dans ce secteur? » Bien entendu, ces questions ne sont pas simples. Cela ne veut pas dire que si les ventes de logements ont baissé de 90 %, nous allons perdre 90 % des emplois. Cela ne se passe pas exactement comme ça, car il y a beaucoup de décalages dans le système, et la construction de maisons, en particulier d’appartements, s’étend sur plusieurs années. Même en tenant compte de ces décalages, etc., nous sommes arrivés aux conclusions que vous avez correctement citées tout à l’heure concernant l’ampleur des pertes d’emplois.
Je dirai simplement — cela ressort peut-être déjà clairement de ce que vous avez cité, mais je vais le répéter parce que c’est important — que si un chantier ne démarre pas, selon l’ampleur du projet, les un à deux emplois directs que ce logement aurait pu créer ne verront pas le jour non plus. Cependant, pour chaque emploi que vous voyez sur le chantier, chaque emploi direct a également des répercussions tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Il s’agit donc des emplois indirects et induits dont il est question dans le rapport et que vous avez cités dans cet article.
C’est donc un secteur très important. Il a toujours été un important générateur d’emplois, et aujourd’hui, avec le ralentissement des ventes, notre véritable risque réside dans les problèmes liés au marché du travail.
Enfin, pour répondre à votre question de savoir si la situation a changé depuis juillet, non. Les ventes n’ont certainement pas augmenté et, en fait, nous avons constaté une perte supplémentaire de stocks, c’est-à-dire des projets qui ont été suspendus ou annulés. En fait, il y a moins de maisons neuves à vendre à l’heure actuelle, mais elles se vendent néanmoins.
Le sénateur Varone : Merci.
Le sénateur Fridhandler : Monsieur Norman, vous êtes manifestement un spécialiste des chiffres dans le domaine du logement. De nombreux témoins insistent sur la capacité du secteur à but non lucratif à fournir des logements abordables et sociaux, entre autres, mais j’entends également des promoteurs immobiliers dire que ce secteur est plutôt inefficace et que le secteur à but lucratif peut en réalité proposer le même bien ou service produit de manière plus efficace et plus rapide — le modèle est un peu défectueux. Qu’en pensez-vous?
M. Norman : Je dois dire que je ne sais pas si je serai en mesure de vous fournir beaucoup de données empiriques à ce sujet. Je pense que je serais probablement d’accord avec vous. Cependant, je veux dire que, du moins pendant la plus grande partie des vingt dernières années, nous n’avons pas eu un secteur du logement hors marché très solide. En grande partie, les stocks que nous avons constitués sont dus à des fournisseurs de logements marchands. Il se peut aussi qu’à ce stade, alors que le secteur du logement hors marché semble reprendre, certains acteurs de ce secteur aient l’occasion d’être en phase d’apprentissage, qu’il s’agisse d’augmenter leur efficacité en matière de construction ou leur capacité d’acquisition de capitaux ou autre.
Le sénateur Fridhandler : Je vous remercie. Une question complémentaire : vous nous avez dit que le temps, c’est de l’argent, en raison des délais liés aux processus réglementaires municipaux.
M. Norman : Oui, monsieur.
Le sénateur Fridhandler : Si je me souviens bien, dans la récente annonce du gouvernement fédéral sur le logement, il était question de produire un catalogue Eaton de plusieurs plans que l’on pourrait acheter et qui, espérons-le, seraient préapprouvés par les municipalités. Je ne sais pas où en est ce projet. J’aimerais avoir votre avis, en supposant qu’il soit mené à bien, sur la probabilité que cela permette de débloquer un peu le processus.
M. Norman : Je ne suis pas très optimiste quant à l’efficacité de cette mesure, mais c’est peut-être un pas dans la bonne direction. Je pense que les délais imposés par les municipalités pour délivrer les permis de bâtir ne sont pas tant liés à des considérations architecturales. Ils ne sont pas dus à leurs ingénieurs. Je veux dire, ils le sont dans une certaine mesure, mais le problème n’est pas que leurs ingénieurs évaluent les mérites architecturaux d’un plan. C’est que la municipalité a décrété qu’il faut examiner un vaste éventail d’éléments, tant du point de vue de l’aménagement du territoire que du zonage. Il y a la densité, l’architecture et d’autres questions, et tout cela s’additionne.
Je dirais simplement, et cela vaut également dans une certaine mesure pour le fardeau réglementaire que l’un des constats issus de notre étude comparative des municipalités — et, je le répète, la variabilité est grande d’une ville à l’autre — est parfois simplement la prépondérance des études qu’un promoteur doit entreprendre avant de présenter sa demande. Ces études peuvent porter sur des sujets aussi variés que l’économie, l’ombre, l’ingénierie ou la géologie hydrologique, et la liste peut s’allonger jusqu’à 30 études ou plus dans certaines municipalités. La municipalité doit ensuite digérer toutes ces études et les soumettre à un examen par des pairs, ou au moins les lire et assimiler les renseignements qu’elles contiennent. C’est là que le temps commence à s’accumuler.
Si quelqu’un déposait une demande et construisait un immeuble de grande hauteur à partir d’un tel modèle, cela pourrait peut-être répondre à certaines des questions architecturales dont la municipalité doit tenir compte, mais je doute que cela couvre l’ensemble des questions que les municipalités évaluent.
Le sénateur Fridhandler : Comme question complémentaire, lorsque vous parlez de l’effondrement évident du marché torontois — et compte tenu de ma conviction que les Canadiens ne sont pas mobiles, ce qui, à mon avis, est une situation qu’ils s’imposent eux-mêmes, sans aucune restriction, mais qui relève plutôt de l’anecdote, j’entends dire à Calgary que les gens quittent Vancouver parce qu’ils peuvent s’offrir un jardin et qu’ils sont prêts à accepter une baisse de salaire — dans votre examen des statistiques, constatez-vous une certaine mobilité vers des centres plus abordables révélée par des baisses ou des variations des chiffres?
M. Norman : Monsieur le sénateur, il y a toujours eu une migration vers des régions plus abordables au Canada, parfois entre les provinces, ce qui correspond à ce que vous évoquez, et dans bien des cas, ce que l’on pourrait appeler une migration interprovinciale, c’est-à-dire des personnes qui quittent une grande ville pour s’installer dans une région juste à l’extérieur de celle-ci pour des raisons d’accessibilité financière.
Les gens déménagent surtout pour des raisons professionnelles. Il faut une sorte de coïncidence entre la possibilité de changer d’emploi, parfois au sein de la même entreprise, ou de changer d’emploi de manière assez fluide afin de justifier un tel déménagement pour des raisons d’accessibilité financière. Voilà probablement pourquoi ce n’est pas l’un des facteurs qui influent le plus sur le marché, mais c’est certainement un phénomène que nous observons.
Puisque vous avez introduit cette question en faisant référence à ma déclaration préliminaire sur la région du Grand Toronto au sujet de l’effondrement, je dirai également que du côté des logements neufs, à l’échelle nationale — et nous surveillons environ 10 marchés à travers le pays grâce à notre base de données —, presque tous les marchés ont connu des baisses similaires des ventes de logements neufs. Même dans les marchés où la revente est assez robuste, on constate que les ventes de logements neufs n’ont pas suivi le rythme. Il s’agit d’un phénomène national qui touche le secteur du bâtiment et de l’immobilier.
Le sénateur Fridhandler : Merci.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Norman, de votre présence. J’ai lu votre article du mois dernier sur l’immobilier commercial et la possibilité de convertir des bureaux vacants en logements résidentiels. C’est une solution que je propose depuis cinq ans, en particulier en ce qui concerne le portefeuille immobilier du gouvernement fédéral. Je reconnais que les espaces de bureaux ne peuvent pas tous être convertis facilement ou de manière rentable. Néanmoins, vous présentez des arguments convaincants en faveur d’un environnement réglementaire plus souple afin d’accélérer les conversions et de redonner vie à des immeubles obsolètes, que ce soit pour le logement ou d’autres usages communautaires. Comme vous le savez, ce type de projets pourrait débloquer de nouveaux investissements considérables et permettre une meilleure utilisation d’actifs sous-exploités.
Pourriez-vous prendre un moment pour développer votre réflexion sur cette possibilité? Plus précisément, quel rôle le gouvernement fédéral pourrait-il jouer, selon vous, dans la facilitation ou le soutien d’un plus grand nombre de ces projets de conversion et de réaménagement? Sont-ils toujours viables? J’ai entendu dire qu’il était très difficile de les mener à bien.
M. Norman : Merci, monsieur le sénateur. Plusieurs éléments différents mériteraient d’être abordés à ce sujet. Je vais peut-être commencer par le dernier et remonter le fil.
Lorsqu’un immeuble de bureaux est désigné comme fonctionnellement obsolète, il est possible d’utiliser ce bien immobilier à des fins plus nobles et plus rentables. C’est ce que nous avons constaté. Dans certains cas, il s’agira d’une conversion, comme vous l’évoquez, c’est-à-dire que l’immeuble sera transformé en logements ou à une autre fin, ou à des fins mixtes. Dans d’autres cas, il s’agira simplement de réaménager le site, ce qui est souvent l’approche la plus rentable pour y construire de nouveaux logements. Le site peut être très intéressant. Il peut être orienté vers les transports en commun, ce qui est important pour le logement. Cela peut également être l’occasion d’introduire de nouveaux logements dans des quartiers, ce que les gens recherchent également.
Cependant, si cet immeuble de bureaux est fonctionnellement obsolète simplement parce qu’il est ancien et ne correspond pas aux attentes des locataires modernes, ou parce qu’il n’est pas situé dans le type de quartier où les entreprises souhaitent s’implanter aujourd’hui, il restera inoccupé et devra donc être converti.
Nous constatons qu’il existe un ensemble disparate de réglementations à travers le pays en matière d’autorisation de ces conversions ou réaménagements. De nombreuses municipalités sont réticentes à autoriser ces conversions, du moins sur simple demande — l’objet des droits. Dans de nombreux cas, comme à Toronto, il y a beaucoup d’hostilité à l’égard de la suppression d’espaces de bureaux du parc immobilier, car même si cette ville et d’autres reconnaissent qu’il y a actuellement un excédent d’espaces de bureaux, elles craignent que dans dix ans environ, elles aient besoin de cet espace à des fins de développement économique.
Cependant, ce n’est pas ainsi que fonctionne le secteur de l’immobilier commercial. Le propriétaire d’un immeuble de bureaux ne peut pas attendre dix ans, même si cet immeuble devenait nécessaire à ce moment-là. Nous estimons donc qu’il faut un meilleur cadre réglementaire pour permettre de prendre rapidement des décisions en matière de réaménagement des propriétés lorsque c’est ce que souhaite le propriétaire.
Pour être franc, monsieur le sénateur, je ne sais pas si j’ai une politique fédérale bien définie à proposer à cette fin, car cela relève davantage des municipalités et vise à leur permettre de prendre de meilleures décisions concernant ce type de conversion de l’utilisation des sols. Cependant, je sais qu’il est très important, à l’heure actuelle, alors que nous sommes confrontés à deux crises très parallèles, l’une étant que nous avons 100 millions de pieds carrés d’espaces de bureaux fonctionnellement obsolètes dans ce pays, et l’autre étant que nous avons cette crise du logement qui est en partie liée à une pénurie de logements.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Le sénateur C. Deacon : Merci d’être venu, monsieur Norman. Je voudrais vous interroger sur une remarque faite par Jon Love il y a une semaine et qu’il avait déjà formulée lors de notre précédente étude, il y a environ un an et demi : en substance, les redevances d’aménagement dans les grandes villes peuvent augmenter le coût d’un appartement ou d’une autre résidence jusqu’à 50 %. Ensuite, le temps et l’argent nécessaires pour obtenir les autorisations requises — je suis frappé par le fait que nos municipalités semblent réglementer en série plutôt qu’en parallèle. Toutes les différentes analyses qu’elles doivent effectuer sont réalisées les unes après les autres de manière séquentielle plutôt que parallèle. Lorsque j’examine le fardeau réglementaire, je constate qu’elles le transfèrent entièrement à l’investisseur.
Comment réagissez-vous aux redevances d’aménagement et quelles pressions le gouvernement fédéral pourrait-il exercer, car Jon Love a dit que cela représenterait environ 1 % des impôts fonciers à Toronto si ces redevances étaient supprimées. Ce n’est donc pas un chiffre catastrophique en fait d’augmentation de la charge pour les autres propriétaires; c’est le premier point. Le deuxième point concerne la manière séquentielle de traiter les réglementations pour les autorisations.
M. Norman : Monsieur le sénateur, ce sont de bonnes questions. Je dirais tout d’abord qu’aucune somme d’argent n’est insignifiante et que les investissements dans les infrastructures nécessitent des sommes importantes afin de fournir les infrastructures dont nous avons besoin pour soutenir notre croissance urbaine. Cependant, cela ne signifie pas que nous ne devons pas examiner de manière très critique qui paie et comment. C’est sur ce point que je voudrais insister.
Dans une certaine mesure, lorsque ceux qui financent les infrastructures sont également ceux qui prennent les décisions à leur sujet, il est possible d’obtenir des décisions plus efficaces, tant pour déterminer ce qui doit être aménagé et à quel endroit que pour établir les appels d’offres, en décidant simplement du coût ou des normes qui y sont associés.
L’un des problèmes qui se sont posés dans des provinces comme l’Ontario, où les redevances d’aménagement sont en vigueur depuis un certain nombre d’années, est que celles-ci ont tendance à augmenter avec le temps. Je pense que vous avez entendu des témoignages à ce sujet provenant de toutes sortes de sources différentes. Elles ont tendance à augmenter avec le temps, ce qui s’explique notamment par le fait que ceux qui prennent les décisions concernant les normes d’infrastructure, voire ceux qui lancent les appels d’offres et décident qui va les réaliser, ne sont pas vraiment responsables de l’argent, car celui-ci provient du promoteur. Ils peuvent simplement demander ce qui leur plaît. Je plaisante, bien sûr, car cela s’inscrit dans un cycle de cinq ans et ils doivent le définir, mais ce n’est tout de même pas leur argent. C’est donc l’une des raisons qui expliquent cette situation.
J’ai dit dans ma déclaration liminaire, et c’est important, que je pense qu’il serait plus efficace de revenir à un système similaire à celui où la municipalité prendrait en charge le financement des infrastructures liées à la croissance, puis se rembourserait après coup à même les impôts fonciers. Je dirais que c’est ainsi que nous avons bâti la majeure partie de ce pays, grâce à ce type de modèle, et je pense que ce modèle est probablement efficace. Je ne sais pas si cela représentera exactement 1 % du budget municipal, ou un peu plus ou un peu moins. Tout dépend de l’endroit où vous vous situez dans le cycle. Néanmoins, cela permettrait d’améliorer la reddition de comptes dans le processus et pourrait en fait réduire les coûts d’infrastructure grâce à la reddition de comptes qui y est associée.
Cela répond donc en partie à votre question, monsieur le sénateur. La deuxième chose que je dirai, c’est que l’ordre des étapes est très important. J’ai dit dans ma déclaration liminaire que, dans certaines régions, comme à Toronto, Hamilton et ailleurs, il faut plus de deux ans pour approuver une demande d’aménagement, et ce délai, monsieur, ne concerne que la demande d’aménagement. Avant d’en arriver au stade où vous pouvez soumettre une demande d’aménagement, vous avez peut-être déjà eu de nombreuses discussions avec la ville sur d’autres questions.
Par exemple, je viens de répondre à quelques questions concernant la conversion de bureaux. Il peut s’agir d’un processus complet qu’il faut suivre avec la ville avant d’en arriver au stade où elle est disposée à accepter une demande qui comprend, entre autres, un changement d’utilisation du site.
Je dirais que je travaille sur ce dossier avec certains clients depuis deux ou trois ans, mais qu’ils ne sont toujours pas parvenus à s’entendre avec la ville au point d’être prêts à présenter une demande. En effet, il est préférable de ne pas présenter de demande si l’on pense qu’elle sera rejetée. Mieux vaut avoir un accord avant de se lancer. Il faut compter au moins deux ou trois ans rien que pour arriver au stade de la soumission de la demande. Ensuite, il y a une phase de deux ou trois ans. Enfin, après l’approbation, il y a bien sûr d’autres étapes à franchir pour obtenir les permis de construction, les permis d’étayage, etc., ce qui allonge évidemment le processus.
La sénatrice Martin : Vous avez mentionné l’importance de renforcer la responsabilité afin de peut-être limiter ces frais municipaux totaux. Lorsque vous avez parlé de l’immense écart, vous avez fait allusion aux raisons. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la moyenne de 200 000 $ à Toronto et de 10 000 $ à Moncton? Quel écart!
M. Norman : Sénatrice, c’est une bonne question. Je ne sais pas si j’ai toutes les réponses. Ce que nous avons constaté, c’est l’écart. Je dirais que l’Ontario a été en quelque sorte un pionnier, du moins chronologiquement, dès le début du processus lié aux redevances d’aménagement, avec un projet de loi provincial sur les redevances d’aménagement qui fournit une feuille de route. Par conséquent, la plupart des frais liés aux infrastructures d’aménagement font désormais partie des redevances d’aménagement. Bien sûr, cela correspond au total.
Dans d’autres administrations, il peut y avoir des redevances d’aménagement — ou des éléments qui s’apparentent à des redevances d’aménagement —, mais il peut également y avoir d’autres formes de frais municipaux qui ne sont pas aussi linéaires, pour ainsi dire. Ceux-ci peuvent être négociés. Il peut y avoir d’autres moyens pour le promoteur d’assumer une partie du coût des infrastructures hors site, même si ce n’est pas sous la forme de droits. Cela pourrait expliquer en partie la situation.
Il pourrait s’agir d’un modèle qui contribue à améliorer le fonctionnement du système et à renforcer la responsabilité, mais les droits ne sont pas aussi élevés que dans certaines régions, comme en Ontario.
La sénatrice Martin : Oui, et en parlant de frais, je pense justement à la manière dont ils sont finalement répercutés sur l’acheteur. Pour les ménages qui essaient de prévoir un budget pour une mise de fonds et un prêt hypothécaire, la transparence des prix est vraiment importante. Les consommateurs ne peuvent pas gérer ce qu’ils ne voient pas, et la plupart des acheteurs n’obtiennent jamais une ventilation claire des taxes, frais et prélèvements qui sont inclus dans le prix final.
Dans un souci de transparence, qui est importante pour l’acheteur, seriez-vous favorable à une divulgation normalisée dans les contrats de vente de logements neufs, qui détaillerait les charges publiques par unité?
M. Norman : Sénatrice, je dirais que je suis tout à fait favorable à la transparence fiscale, et je pense que c’est en partie ce que vous voulez dire. Si l’on prend l’exemple de l’introduction de la TPS, une des raisons pour lesquelles nous avons opté pour cette taxe plutôt que pour l’ancienne taxe de vente des fabricants, entre autres, est que cette dernière était intégrée dans les produits et que les consommateurs ne savaient pas vraiment quelles taxes ils payaient. Avec la TPS, ils pouvaient au moins voir la taxe. Ils ne l’approuvaient peut-être pas, mais au moins ils pouvaient la voir.
Dans le cas des logements neufs, bien entendu, bon nombre de ces frais sont simplement intégrés dans le coût. Le consommateur n’a aucune visibilité sur la part du coût de ce logement qui correspond aux droits, à moins de pouvoir consulter certaines des études dont nous avons parlé ou dont il a entendu parler dans les médias, mais celles-ci ne fournissent que des renseignements très généraux.
La divulgation pourrait être une solution. Cela pourrait contribuer à résoudre le problème. Permettez-moi simplement de dire que, selon moi, la meilleure solution, la première à envisager serait de supprimer une grande partie de ces frais d’infrastructure et de les gérer par l’intermédiaire de la municipalité. Je l’ai déjà dit. S’ils doivent être maintenus, comme les redevances d’aménagement, alors les facturer directement au consommateur à la fin du processus apporte de la transparence. Si l’on peut vendre une maison à un consommateur à 700 000 $ plutôt qu’à 1 million de dollars, et que ce consommateur doit ensuite, par exemple, payer 300 000 $ de frais, le résultat final pourrait être le même, et ce n’est pas un bon résultat. Cela n’améliorerait pas l’abordabilité, mais exercerait certainement une pression politique beaucoup plus forte quant au montant de cette taxe.
La sénatrice Martin : Les consommateurs se demanderaient ce qu’est tout cela. Ils s’indigneraient, mais le fait de rendre les choses apparentes rendrait peut-être tout le monde plus responsable.
Merci beaucoup.
Le président : Merci, sénatrice. Un débat fort intéressant, cela ne fait aucun doute.
La sénatrice Ringuette : La sénatrice Martin a posé ma question principale, ce qui me permet de passer à ma question secondaire.
Si l’on examine plus particulièrement Toronto, où les redevances d’aménagement s’élèvent en moyenne à 200 000 $ par logement individuel et où il faut environ 31 mois pour obtenir un permis d’aménagement, ce qui équivaut probablement à plus de la moitié de la durée de vie d’une évaluation actuelle du marché pour ces logements, avez-vous mené une analyse détaillée de cette moyenne de 200 000$ à Toronto? Est-ce lié aux 31 mois? Ces coûts incluent-ils également l’ensemble des démarches administratives liées à tout type de projet d’approbation?
M. Norman : C’est une excellente question, sénatrice, qui me donne l’occasion d’approfondir un peu les termes que nous avons analysés dans cette étude particulière.
Les frais et droits municipaux que nous avons recueillis et évalués dans cette étude comprenaient toute une série de frais municipaux. Les redevances d’aménagement en faisaient certainement partie, mais ils comprenaient également tous les frais de planification, qui peuvent être assez importants. Il y a les droits de planification. En Ontario, les municipalités sont autorisées à ajuster leurs droits de planification en fonction de leurs coûts sous-jacents. C’est ce qu’elles sont censées faire. Bien entendu, dans un service qui prend de nombreux mois ou qui nécessite beaucoup plus d’heures de travail pour traiter une demande, il est évident que les droits de planification peuvent augmenter également.
Les autres éléments, qui composent ce montant de près de 200 000 $ dans notre étude comprennent des éléments, tels que les primes de densité, ou l’article 37, lorsqu’il était en vigueur, ainsi que d’autres genres de frais qui peuvent être facturés au promoteur pour l’obtention de ces autorisations. Cela va au-delà des simples redevances d’aménagement, mais inclut toute une série de frais, à l’exception des frais pouvant être facturés pour les permis de construire, les inspections, etc., pendant la phase de construction proprement dite, uniquement pendant la phase de planification.
La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup.
La sénatrice McBean : Merci, monsieur Norman. J’aime beaucoup votre assurance lorsque vous qualifiez le Groupe Altus de : source par excellence des données sur les logements neufs. Je salue ce genre de prise de responsabilité.
J’ai interrogé le témoin précédent au sujet des données, mais je vais commencer par ceci : d’où tirez-vous vos données pour être la source? D’où proviennent-elles?
M. Norman : Pour les données sur les ventes de logements neufs, nous avons une équipe chargée de la collecte des données. Elle est informée ou prend connaissance de l’ouverture d’un nouveau centre de vente, puis reste en contact avec ce centre et note chaque mois le nombre de ventes réalisées. C’est littéralement ce type de processus.
Je dois dire que, lorsque nous avons commencé ce processus au milieu des années 1990, il y a environ 30 ans, les responsables des données se rendaient littéralement en voiture dans les centres de vente et examinaient les autocollants qui y étaient apposés. Aujourd’hui, il s’agit principalement d’une collaboration avec les promoteurs immobiliers eux-mêmes, qui fournissent des données au fil du temps.
C’est une expérience variée constituant un exercice détaillé de collecte de données sur ces marchés.
La sénatrice McBean : Merci. Pensez-vous que suffisamment de données sont recueillies sur les autres types de logements? Il s’agit ici des mises en chantier, et le dernier témoin nous a dit que les données recueillies étaient tout simplement catastrophiques. Nous ne disposons pas de bonnes statistiques sur le parc immobilier.
Pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait faire un meilleur travail et ne pas laisser cette tâche au Groupe Altus? Je ne veux pas vous couper l’herbe sous le pied ou quoi que ce soit.
M. Norman : Pas de souci sur cet aspect. Sénatrice, merci pour votre question.
Il y a toujours eu un certain manque de données dans le secteur du logement au Canada. Cela a toujours été l’un de nos défis, pour ceux d’entre nous qui doivent analyser ces données et aider nos clients à prendre des décisions d’affaires. Si vous manquez de données, cela rend le travail plus difficile ou augmente la marge d’erreur des résultats. Cela a toujours été une certaine source de stress.
Je dirais qu’il existe des domaines du secteur du logement pour lesquels les données sont assez bonnes et cohérentes dans le temps. Je pense que la SCHL fait et a fait un excellent travail avec son enquête sur les mises en chantier et les achèvements de logements au fil du temps, et que, pour la plupart des régions du pays, la couverture est assez bonne et les données sont très cohérentes, ce qui est bon.
Cependant, il y a des domaines dont nous savons peu de choses, comme la taille des maisons. Nous n’avons pas beaucoup de données fiables sur la valeur des maisons ou sur la valeur des maisons croisée avec d’autres aspects, tels que le type de logement et d’autres données du genre. Cependant, comme l’a souligné un de vos témoins précédents, ces données commencent à émerger du nouveau module de statistiques sur le logement de Statistique Canada, avec des degrés de fiabilité variables. Je pense qu’elles ne feront que s’améliorer avec le temps.
Un défi auquel nous nous heurtons, même avec ces données qui commencent à être publiées, est que celles-ci ne couvrent pas une longue période. Elles commencent à être publiées, et nous commençons à comprendre la situation actuelle ou celle des deux dernières années pour lesquelles ces données existent, mais nous ne pouvons pas les mettre en corrélation avec d’autres cycles du marché, par exemple, ce qui est le genre de travail que nous effectuons généralement en tant qu’économistes. Il faudra du temps avant que ces données nous soient de plus en plus utiles.
La sénatrice McBean : Celui-ci est légèrement différent : l’impôt foncier est fonction du coût total d’une maison, redevances d’aménagement comprises, et, comme nous l’avons mentionné, les redevances d’aménagement varient considérablement d’une région à l’autre du pays. Pensez-vous que l’impôt foncier devrait être calculé en fonction du coût réel de la maison, déduction faite de tous les frais d’aménagement?
M. Norman : L’impôt foncier est un peu plus complexe que cela, sénatrice. Au sein d’une municipalité, la première tâche de la municipalité dans l’établissement des impôts pour une année donnée consiste à établir un budget et à déterminer ses besoins en matière de recettes. Une fois qu’elle a déterminé ces besoins, elle examine son assiette fiscale et détermine la valeur de celle-ci, puis elle divise l’une par l’autre, et c’est ainsi qu’elle obtient son taux d’imposition.
Le taux d’imposition d’une personne est tributaire, en réalité, de l’assiette foncière que la municipalité estime devoir percevoir pour une année donnée, et cela dépend évidemment de ses projets prioritaires. Si ce processus est suivi, les impôts augmentent lorsque les dépenses prévues par les municipalités sont plus élevées, pour une raison ou une autre, ou diminuent lorsqu’elles sont moins élevées.
Un des principaux rôles de cette distorsion de valeur à laquelle vous faites allusion — je sais que vous n’avez pas utilisé ce terme — est qu’elle peut modifier la valeur relative d’une maison par rapport à une autre. Si vous possédez une maison neuve dans une rue où se trouvent déjà d’autres maisons, cette maison neuve peut être assujettie à un ensemble de taxes et de frais, et son évaluation foncière peut être supérieure à celle des maisons existantes de même taille et de même qualité, par exemple. Par conséquent, son impôt foncier peut être plus élevé, mais cela n’est que comparativement aux autres propriétés.
Le sénateur Dalphond : Merci de votre présence parmi nous, monsieur Norman. Les derniers chiffres sur les ventes immobilières en septembre indiquent que le nombre de ventes dans la région de Toronto a augmenté pour la première fois, au lieu de diminuer. Cela modifie-t-il votre point de vue sur ce que vous avez décrit dans votre article de juin concernant les emplois dans le secteur de la construction? Je suppose que lorsque le nombre de ventes immobilières augmente, même s’il ne s’agit pas de maisons neuves, mais de maisons déjà construites, cela s’accompagne généralement de nombreux travaux de rénovation.
M. Norman : C’est un bon point, sénateur.
Le marché immobilier secondaire a également un impact économique important, et l’une de mes responsabilités consiste à produire un rapport pour l’Association canadienne de l’immeuble tous les deux ans. Je le fais depuis les années 1990. C’est un rapport que j’ai produit à de nombreuses reprises et qui examine précisément la question de la gamme de services associés à la revente d’une maison et ce que cela signifie sur le plan de l’emploi. Vous avez raison. La rénovation est l’un de ces éléments, mais il y a aussi les avocats et les agents immobiliers qui génèrent de l’activité économique, ainsi que l’aménagement paysager qui pourrait être réalisé, etc. Il est vrai que chaque logement de revente a un impact économique positif, et que lorsque les ventes augmentent, cet impact augmente, et lorsque les ventes diminuent, cet impact diminue.
Le marché de revente a connu une légère augmentation à Toronto en septembre, ce qui est une bonne nouvelle, je suppose. Cependant, je dirais qu’en général au Canada à l’heure actuelle — et j’ai mentionné que les ventes de maisons neuves sont faibles dans presque tous les marchés du pays —, le marché de revente est plutôt favorable et équilibré dans l’ensemble du pays. Nous obtenons des résultats relativement satisfaisants sur le marché de revente. Nous devrions probablement voir des ventes du même ordre que l’année dernière, soit environ 500 000 ventes.
Pour moi, c’est un aspect prometteur, car il est lié à ce dont nous débattons ici. En effet, ce à quoi nous sommes confrontés actuellement au Canada, ce n’est pas un effondrement de la demande en matière de logement. Ce n’est pas ce que nous observons. Nous ne sommes pas en 1990. C’est une autre époque dont je me souviens très bien. En 1990, la demande en matière de logement s’est effondrée.
En réalité, le marché de la revente se porte plutôt bien, mais c’est le secteur des logements neufs qui n’a pas réussi à réajuster correctement les prix ou à restructurer ses unités en fonction de la demande actuelle. Cela est en grande partie dû aux frais et autres coûts qui y sont intégrés à ce stade.
Le sénateur Dalphond : Dans votre document, vous faites allusion à la perspective d’une perte importante d’emplois. On m’a indiqué que, au moins dans la région de Québec et de Montréal, de nombreux travailleurs sont des travailleurs temporaires, de sorte que ces emplois seront perdus, mais peut-être pas ceux des travailleurs de la construction permanents. Ce sont plutôt les emplois des travailleurs temporaires qui pourraient être perdus.
M. Norman : Je ne suis pas certain de pouvoir parler de la composition de la main-d’œuvre dans le secteur de la construction sur différents marchés et de ce que cela signifie, mais je dirais que le statut de résident du travailleur n’est pas le facteur le plus important pour l’impact économique.
Si un emploi est créé sur un marché et qu’une personne exerce son métier pour occuper cet emploi, alors cette personne gagne de l’argent, le dépense dans sa collectivité et joue un rôle économique important dans cette activité. Si cette personne perd son emploi, elle cesse de dépenser de l’argent dans sa collectivité, au moins dans la même proportion, ce qui entraîne une baisse de l’activité économique. Si cette personne était un travailleur temporaire et qu’elle quitte le pays, cela peut avoir d’autres répercussions sur le plan démographique, etc. Si elle perd son emploi et reste dans le pays, cela a d’autres répercussions sur la manière dont nous la soutenons. Quoi qu’il en soit, cela perturbe l’équilibre.
Le sénateur Dalphond : Je ne sais pas si vous avez entendu le groupe de témoins précédent, mais il a été proposé de rendre attrayant pour les entreprises à but lucratif de transférer leurs anciens biens à des organismes à but non lucratif qui s’en occuperaient et qui s’efforceraient de maintenir des prix abordables pour le logement. Cela vous intéresserait-il et cela stimulerait-il la construction de nouveaux immeubles, car les promoteurs vendraient les biens, bénéficieraient d’avantages fiscaux et réinvestiraient l’argent pour construire davantage de logements, notamment des logements neufs, ou bien se contenteraient-ils de prendre l’argent et de s’en aller?
M. Norman : Je ne sais pas si j’ai une opinion bien arrêtée, ou du moins, je ne dispose peut-être pas de données empiriques pour l’étayer.
Notre problème actuel n’est pas le manque de capitaux à investir dans de nouveaux logements. Je crois qu’il y en a suffisamment pour réaliser ces investissements. Le problème réside dans le fait que la faisabilité des projets individuels est remise en question pour diverses raisons que nous avons évoquées.
Disposer d’un mécanisme permettant à un propriétaire immobilier du secteur privé de libérer des capitaux en vendant son bien à un tiers pourrait contribuer à la prochaine étape, mais ce n’est pas le manque de capitaux qui constitue actuellement le principal obstacle. C’est plutôt la faisabilité de ces nouveaux projets qui représente notre principal obstacle à la construction neuve à ce stade.
Le président : Avant de passer au deuxième tour, j’ai une question à poser, d’un économiste à un autre, et je vais légèrement changer de sujet.
Étant donné que vous analysez de nombreuses villes partout au Canada, je suis curieux de connaître l’impact d’Airbnb ou le fait qu’il y ait des étrangers très actifs. Cet été, j’étais à Vancouver. En me promenant, j’ai remarqué que de nombreux immeubles dans les quartiers résidentiels n’étaient pas éclairés le soir. On m’a expliqué que tous ces appartements appartenaient à des étrangers.
Le groupe Altus a-t-il mené des sondages à ce sujet? Dans certains pays, je sais qu’il est très coûteux pour les étrangers d’être propriétaires de certains types de condominiums — ceux-ci sont assujettis à une taxe annuelle. Je sais que le gouvernement fédéral réfléchit à ce genre de questions. Auriez-vous une analyse à nous proposer?
M. Norman : Oui, sénateur. Merci pour cette question. Je vais diviser ma réponse en deux parties distinctes, l’une concernant les investissements étrangers et l’autre, le volet Airbnb.
En ce qui concerne les investissements étrangers, je ne suis pas convaincu que les investisseurs étrangers aient posé problème à notre équation de l’offre et de la demande de logements, faute d’un meilleur terme, au cours des dernières années et certainement jusqu’au point où certaines administrations, y compris le gouvernement fédéral, ont interdit ou restreint les investissements étrangers. Fondamentalement, je pense que les investissements étrangers dans le logement sont un facteur positif pour l’offre. En général, ils encouragent les projets de développement. Dans de nombreux cas, les investissements étrangers fournissent en fait des logements locatifs, que ce soit par le truchement de projets de condominiums ou de véritables actifs locatifs.
Votre question renvoie à ce que nous appelons les « logements inoccupés », c’est-à-dire les logements construits mais non habités. D’après ce que je comprends, leur nombre est assez faible; il est assez insignifiant, en fin de compte. La SCHL a mené plusieurs études à ce sujet au fil des ans. Je n’ai pas ces chiffres sous les yeux, mais il s’agit d’un faible pourcentage de logements — la proportion de logements détenus par des étrangers est très faible, en particulier les logements « inoccupés ». Je ne considère donc pas cela comme un élément négatif. Je crois que les investissements étrangers ont toujours été un facteur positif.
En ce qui concerne la location à court terme, cela a certainement représenté une part importante et croissante de nos besoins en matière de logement, faute d’une meilleure expression, pendant environ 15 ans, jusqu’à récemment. Nos collectivités ont des besoins variés en matière de logement. Certains concernent les logements principaux dont nous avons parlé, c’est-à-dire les résidences principales des résidents permanents, mais nous avons également besoin de logements à d’autres fins, par exemple pour les étudiants, les personnes âgées, etc.
Je dirais que les locations à court terme, dans une certaine mesure, ne sont qu’un besoin supplémentaire en matière de logement dans nos collectivités. Le problème est que, lorsque les municipalités procèdent à leurs exercices de planification pour déterminer le nombre de logements dont nous avons besoin — et même il y a 10 ou 15 ans, lorsqu’une municipalité procédait à son exercice de planification —, elles ne prenaient pas en compte certains de ces autres types de besoins, qu’il s’agisse souvent de logements étudiants ou, bien sûr, de locations à court terme. Je pense qu’ils jouent un rôle dans nos collectivités. Ils sont importants et jouent un rôle à bien des égards, mais s’ils ont eu un effet néfaste sur l’offre et la demande, c’est parce que nous ne les avons pas pris en compte correctement dès le départ.
Le président : Chers collègues, je constate que nous allons bientôt manquer de temps. Pour les cinq minutes qui restent, je propose que les sénateurs posent leurs questions, après quoi je laisserai notre témoin y répondre.
Le sénateur Loffreda : J’ai une petite question : existe-t-il des solutions rapides pour réduire les coûts de construction? D’après les promoteurs immobiliers, l’estimation des coûts est devenue très imprévisible. Existe-t-il des solutions rapides dans ce domaine? Peut-on tirer des enseignements de l’expérience acquise dans les années 1980 et de la crise immobilière de l’époque, marquée par un manque de capitaux et de nombreuses incitations? La situation est très différente aujourd’hui, mais je suis convaincu que nous pouvons tirer de nombreux enseignements applicables à la situation actuelle.
Le sénateur Varone : Ma question concerne le régime des redevances d’aménagement en Ontario. Tout n’est pas compris dans cette redevance de 200 000 $. Je voudrais que vous précisiez ce qui n’est pas inclus : les aménagements résidentiels de faible hauteur payés par les constructeurs, l’infrastructure hydraulique, le réseau d’égouts, l’assainissement et l’infrastructure pluviale ne font pas partie de la redevance d’aménagement, car ils se situent en aval. Ainsi, les travaux de lotissement individuels qui sont entièrement reversés à la municipalité constituent un coût pour le logement. Je souhaiterais que vous puissiez établir pour le comité un formulaire récapitulatif de tous les frais, et pas seulement les redevances d’aménagement, liés aux infrastructures nécessaires à la construction d’un logement sur un terrain.
Le président : Monsieur Norman, trois minutes, je vous prie.
M. Norman : Pour le premier sénateur, je n’ai pas de réponse précise à vous donner. Les coûts de construction ont tendance à être dictés par le marché, et, dans les marchés actuellement moins dynamiques, comme dans le Sud de l’Ontario, nous estimons que les coûts de construction ont déjà baissé d’environ 25 %. Cela s’explique simplement par le fait qu’il y a un ralentissement dans ce secteur; les métiers deviennent plus exigeants, comme on dit, et ainsi de suite.
De toute évidence, les matériaux de construction sont aussi un facteur important dans les coûts de construction, et le prix des matériaux de construction subit également les effets du marché et des droits de douane, ce qui est un autre élément qui entre en jeu à l’heure actuelle. Je ne sais donc pas s’il y a de grands avantages à tout cela.
Dans une perspective plus large ou à plus long terme pour le secteur de la construction, quand on parle de réduire les coûts, on examine généralement deux aspects. Le premier concerne les moyens d’améliorer radicalement la productivité de la construction, un secteur dont la productivité n’a manifestement pas beaucoup progressé au cours des dernières décennies. C’est donc certainement un domaine que les organismes de recherche et le gouvernement fédéral devraient continuer à étudier. Ensuite, nous avons beaucoup entendu parler des maisons préfabriquées, et je pense qu’il y a d’autres possibilités à explorer dans ce domaine. Cela contribuerait à réduire certains coûts de construction.
Pour ce qui est de la deuxième question, elle est également pertinente. Oui, en particulier dans le cas d’un projet immobilier de faible hauteur, où le promoteur construit un certain nombre de maisons sur un terrain de 100 acres, le promoteur est responsable de toutes les infrastructures situées à l’intérieur du terrain. Les redevances d’aménagement couvrent en grande partie les infrastructures situées à l’extérieur du terrain. Il existe quelques exceptions, mais c’est plus ou moins ainsi que les choses fonctionnent. Les coûts liés à la mise en place des infrastructures sur le site dépendent des normes municipales et des différentes normes d’aménagement qui sont mises en place.
J’ai mentionné dans mon exposé que cela fait partie du fardeau réglementaire. Quelle est la taille du bassin de rétention des eaux pluviales? Quelle est la taille des parcs? Quelle est la largeur des rues? De quel éclairage a-t-on besoin sur les trottoirs? Tout cela pourrait faire partie de ce que j’ai mentionné plus tôt, où chaque réponse à ces questions est étayée par la science. Il se peut qu’il faille un bassin suffisamment grand pour faire face à un certain type de tempête, et il se peut qu’il faille installer un éclairage important pour des raisons de santé et de sécurité, mais, lorsque l’on rassemble tous ces éléments et que l’on ajoute l’augmentation de ces normes au fil du temps, cela représente sans aucun doute une charge financière supplémentaire pour ce projet immobilier de faible hauteur.
Le président : Merci, monsieur Norman. Votre témoignage nous a été très utile, nous en tiendrons compte dans notre rapport. Nous vous remercions de votre disponibilité et de votre flexibilité pour témoigner à cette heure de la journée.
Chers collègues, notre prochaine réunion se tiendra demain à 10 h 30.
(La séance est levée.)