LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 29 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier, afin d’en faire rapport, la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.
Le sénateur Clément Gignac (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Je m’appelle Clément Gignac, sénateur du Québec et président du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.
Je tiens à souhaiter la bienvenue aux gens qui nous écoutent aujourd’hui à partir du site Web sencanada.ca.
Avant de commencer, je vous rappelle de prendre connaissance des cartes qui sont devant vous sur les tables de la salle du comité pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son.
À ce stade, je demanderais à mes collègues du comité de bien vouloir se présenter.
[Traduction]
Le sénateur Varone : Toni Varone, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bonjour. Pierre Dalphond, de la division De Lorimier, au Québec.
La sénatrice Henkel : Bonjour. Danièle Henkel, représentante de la région d’Alma, au Québec.
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau‑Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Je suis le sénateur Yussuff, de l’Ontario.
La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre‑Neuve‑et-Labrador.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
Le président : Merci, chers collègues.
[Français]
Honorables sénateurs, nous continuons aujourd’hui notre étude spéciale portant sur la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.
Je souhaite maintenant la bienvenue à la témoin qui se joint à nous aujourd’hui, Mme Armine Yalnizyan. Ce n’est pas la première fois que vous venez devant un comité. On vous a entendue également au Comité sénatorial permanent des finances nationales. On a bien hâte de vous entendre ici aussi. Je crois comprendre que vous avez des remarques d’ouverture. Elles seront suivies par une période de questions. À vous la parole.
Armine Yalnizyan, économiste et titulaire de la bourse de recherche Atkinson sur l’avenir des travailleurs, à titre personnel : Merci, monsieur le président.
Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui. J’espère vous apporter un éclairage différent sur votre étude de l’impact des mesures gouvernementales sur la crise du logement au Canada et l’accession à la propriété.
[Traduction]
Je vais attirer votre attention sur deux interventions fédérales précises qui auront une incidence non seulement sur la crise du logement qui sévit actuellement, mais aussi sur celle qui nous attend à l’avenir. La première concerne l’assurance-emploi, ou AE, qui n’est pas prête à faire face à une récession. La prolongation des guerres commerciales et l’incertitude économique entraîneront inéluctablement davantage de pertes d’emplois. Selon les dernières statistiques, 1,6 million de Canadiens sont au chômage, mais seulement 550 000 d’entre eux reçoivent des prestations de chômage régulières. Les prestations d’AE représentent 55 % des gains assurables. Les travailleurs au chômage qui gagnaient récemment un salaire de plus de 100 000 $ — ce qui n’est pas rare chez les travailleurs syndiqués effectuant des heures supplémentaires dans les secteurs de l’automobile, de l’acier, de l’aluminium, des mines et du bois — verront leur taux de remplacement du revenu se rapprocher d’un tiers de leur salaire antérieur, car le plafond des gains assurables au titre de l’AE est de moins de 66 000 $.
Lorsque seulement un tiers des chômeurs reçoivent une aide sous forme de prestations d’AE et que les revenus des travailleurs bien rémunérés chutent de deux tiers lorsqu’ils perdent leur emploi, on peut affirmer que le stabilisateur automatique de l’économie, l’AE, n’est pas adapté aux besoins.
Les récentes mesures fédérales aident les métallurgistes. Ces mesures prévoient le licenciement de près de la moitié des employés actuels. L’industrie automobile pourrait subir le même sort. Des milliers de ménages ne seront pas en mesure de payer leurs mensualités hypothécaires ou de refinancer leur prêt hypothécaire. Ils se tourneront vers un marché locatif connaissant déjà une pénurie, ce qui fera grimper le prix des loyers.
Au fur et à mesure que les consommateurs réduiront leurs achats et leurs sorties, de plus en plus de travailleurs du commerce de détail et de l’hôtellerie perdront également leur emploi. Bon nombre de ces travailleurs gagnent environ le salaire minimum. Il est impossible de vivre avec 55 % du salaire minimum.
De plus en plus de personnes ne pourront plus payer leur loyer, mais il n’y a nulle part moins cher où aller.
Si des mesures concrètes sur l’AE ne sont pas prises, nous pourrions assister à une cascade de bouleversements économiques, dans les grandes villes, mais aussi dans les petites collectivités, où la fermeture d’une seule usine de production déclenche une vague de déclin économique.
Les réformes essentielles de l’AE comprennent l’augmentation des plafonds de rémunération assurable, l’augmentation des prestations minimales et la réduction du nombre d’heures travaillées pour être admissible. J’ai détaillé ces mesures dans mon mémoire prébudgétaire au ministère des Finances, que votre greffier vous a distribué.
La deuxième préoccupation concerne l’absence de garde-fous pour atteindre l’objectif louable d’augmenter considérablement les investissements du secteur privé. Sans freins et contrepoids supplémentaires et améliorés dans des marchés où les ressources sont toujours insuffisantes comme la garde d’enfants, les soins de santé, les soins de longue durée ou le logement, nous nous exposons à des risques tout à fait évitables. Un parc immobilier vieillissant d’immeubles à vocation locative nécessitant des réparations et des rénovations, en particulier dans les plus grandes villes du Canada, est sur le point d’arriver sur le marché. Les propriétaires-exploitants âgés les vendront aux investisseurs lorsque leurs propres enfants ne voudront pas reprendre l’entreprise familiale, et les investisseurs sont prêts. L’essor rapide du capital-investissement comprend 2,5 billions de dollars de fonds de réserve pour acheter des biens immobiliers et y apporter des modifications mineures ou substantielles. Que ces actifs soient revendus ou conservés, les prix des loyers augmenteront.
Les États-Unis viennent de débloquer 9,3 billions de dollars d’épargne-retraite des travailleurs pour les spécialistes du marketing qui promettent des rendements lucratifs s’ils investissent dans le capital-investissement.
Selon la Bibliothèque du Parlement, l’interdiction d’achat par des étrangers, qui est en vigueur jusqu’au 1er janvier 2027, ne s’applique ni aux grands immeubles résidentiels à logements multiples ni aux immeubles commerciaux. En termes simples, le marché locatif n’est pas protégé contre les investisseurs fortunés, qu’ils soient canadiens ou étrangers. Sans garde-fous encadrant les investissements dans le logement, nous risquons de perdre davantage de logements locatifs abordables, et nous les perdrons certainement plus vite que nous ne pouvons en construire. Si davantage d’investisseurs américains achètent nos immeubles locatifs, une plus grande proportion de notre argent durement gagné quittera notre économie. En janvier, la société américaine Blackstone a racheté la société canadienne Tricon Residential pour 2,5 milliards de dollars; les loyers de 5 500 logements seront donc bientôt versés aux États-Unis.
Dans ce contexte, je propose que vous mettiez en place certains garde-fous pour encadrer les investissements, notamment l’extension de l’interdiction d’achat aux étrangers aux logements locatifs; la réduction des seuils de part de marché fixés par le Bureau de la concurrence sur les marchés immobiliers; l’application de limites aux ratios d’endettement dans les rachats par endettement; et l’obligation de divulgation par le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, des bénéficiaires effectifs dans la gestion d’actifs. Les investissements devraient résoudre des problèmes dans le marché immobilier, et non en créer.
En conclusion, j’ai récemment suggéré au Comité sénatorial des finances nationales d’envisager de lancer une étude sur la croissance du capital d’investissement privé au Canada. Compte tenu de la riche contribution que les études du Sénat ont apportée au fil du temps aux enjeux cruciaux de politique publique, et étant donné le peu d’informations dont disposent les Canadiens sur cette forme de financiarisation en rapide évolution et sur son effet potentiellement déstabilisateur dans des marchés subissant déjà des pressions — comme le logement et l’économie des soins —, j’espère que vous envisagerez vous aussi sérieusement cette possibilité.
Merci.
Le président : Je vous remercie de votre déclaration liminaire.
Étant donné que tous les membres du comité participent à la réunion, nous limiterons chaque intervention à quatre minutes plutôt qu’à cinq, si cela vous convient.
La sénatrice Martin : Mon tour arrive plus tôt que d’habitude. J’espérais pouvoir d’abord entendre les questions pertinentes de mes collègues.
Merci pour votre témoignage d’aujourd’hui. J’ai l’impression que vous devez développer davantage tout ce que vous avez dit au sujet de l’AE qui n’est pas adaptée à un contexte de récession. Vous avez énuméré les éléments que nous devons examiner, les dangers et le manque de garde-fous entourant l’investissement.
Nous entendons parler des droits municipaux et d’aménagement immobilier élevés; c’est un problème majeur. Comme vous vous intéressez à l’avenir des travailleurs et à la création d’une économie équitable, quelle est, selon vous, l’incidence de ces droits municipaux et d’aménagement immobilier élevés sur la mobilité de la main-d’œuvre et sur l’accès aux logements abordables pour les travailleurs dans les marchés immobiliers urbains et ruraux?
Mme Yalnizyan : Je vous remercie de la question, sénatrice.
J’ai délibérément choisi de me concentrer sur l’AE et les garde-fous en matière d’investissement, car, même s’il est tout à fait raisonnable que vous vous intéressiez aux droits d’aménagement et à l’achat de logements pour les personnes qui n’en possèdent pas encore, je pense que la crise du logement touche désormais le marché locatif. Je vous ai donné les raisons sous-tendant ma position. Si vous ne portez pas votre attention sur ce qui doit être fait pour empêcher la crise du logement de s’aggraver, vous allez passer à côté de l’essentiel, qui, à mon avis, ne concerne pas tant l’accession à la propriété que le fait que des personnes ne peuvent accéder à la propriété et doivent se tourner vers le marché locatif. En ce moment, ce marché est extrêmement marqué par de nouvelles augmentations des loyers; par la perte de contrôle sur le niveau de vie; et par la concurrence pour obtenir un logement dans un marché où l’offre de logements abordables diminue, en raison de la conception des politiques.
Si nous n’agissons pas pour remédier aux deux enjeux que j’ai mentionnés — réformer l’AE afin que les résidants ne perdent pas leurs logements, et mettre en place des garde-fous pour contrôler qui achète des immeubles en piteux état ou des immeubles transférés d’une génération à l’autre, qui sont des actifs d’un certain âge nécessitant des rénovations —, nous aggraverons la crise du logement.
Je suis consciente que je vous lance une balle à effet, mais lorsque des lanceurs lancent des balles à effet aux frappeurs, et que ces derniers parviennent à les frapper, on peut assister à un coup de circuit. J’espère que quelqu’un fera un coup de circuit avec mes commentaires.
La sénatrice Martin : C’est une excellente métaphore, étant donné ce qui se passera pendant la partie de ce soir.
Vous avez présenté deux enjeux très importants que notre comité doit examiner.
Vous avez mentionné la société Blackstone. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce scénario dangereux pour la communauté touchée? Quels sont les risques et à quelles conséquences pouvons-nous nous attendre?
Mme Yalnizyan : Comme je l’ai mentionné, le Canada a clairement indiqué être ouvert aux affaires et essaie d’attirer les investissements. Or, aucune restriction en matière d’accession à la propriété n’est imposée, tous secteurs confondus. Des représentants du ministère des Finances m’ont répété à maintes reprises que l’interdiction visant les acheteurs étrangers est en place. Elle a été prolongée jusqu’en 2027, mais elle ne s’applique qu’aux maisons individuelles comptant jusqu’à trois logements. Toute résidence de soins de longue durée ou tout immeuble d’appartements locatifs n’est pas visé par ce texte de loi. Voilà pourquoi ma première recommandation est que vous suggériez à vos collègues de l’autre Chambre d’étendre la portée de l’interdiction visant les acheteurs étrangers.
Mais il ne faut pas uniquement agir du côté des acheteurs étrangers; des fonds d’investissement privés gagnent aussi en importance au pays. De grandes sociétés d’investissement comme Brookfield ont percé dans le secteur immobilier. Si ces sociétés décident d’acheter de plus en plus de parts de marché dans le secteur des appartements locatifs, elles seront en mesure de fixer les prix plus efficacement, voire d’introduire une tarification algorithmique pour les loyers. Nous devons donc porter une attention très particulière à l’identité des propriétaires de nos logements, en particulier les logements que nous ne pouvons pas posséder — c’est-à-dire ceux que nous devons louer.
La sénatrice Martin : Les garde-fous entourant les investissements font donc défaut. Existe-t-il aux États-Unis ou dans d’autres administrations des garde-fous offrant une bien meilleure protection qu’ici?
Mme Yalnizyan : Je ne suis pas une experte des garde‑fous entourant les investissements aux États-Unis, mais à la lecture des actualités, depuis janvier 2025, je constate que tout tourne autour de la réduction des règles et des directives, et de l’assouplissement de l’application des règles. L’administration Trump vient de débloquer 9,3 billions de dollars d’épargne‑retraite individuelle qui étaient auparavant protégés. Par le passé, le capital d’investissement privé était réservé aux investisseurs accrédités.
Qu’est-ce qu’un investisseur accrédité? Il s’agit d’une entreprise, d’un particulier ou d’un fonds de pension qui dispose de plus de 100 millions de dollars d’économies; les investisseurs accrédités disposent de gros moyens. Premièrement, ils sont moins susceptibles de faire de mauvais investissements. Comme ils ont tant d’argent, ils reçoivent des conseils avisés. Deuxièmement, s’ils perdent leur argent, le coup n’est pas trop dur à encaisser pour leur assiette d’actifs. Ce n’est pas le cas des régimes 401K aux États-Unis, qui s’apparentent à nos REER ici. En rendant ces régimes accessibles aux acteurs du marché du capital d’investissement privé qui promettent des rendements supérieurs à ceux du marché... c’est leur stratégie. Leur stratégie consiste à dire : « Je vais vous offrir des rendements plus élevés que ceux que vous pouvez obtenir ailleurs. » Et il n’y a aucun garde-fou quant à la manière d’investir cet argent.
La question n’est donc pas de savoir s’il existe de meilleurs garde-fous ailleurs; l’enjeu est que nous savons ce qui nous attend au Canada et que nous ne faisons rien pour y remédier. C’était une discussion sur l’incidence des mesures gouvernementales.
Le sénateur Loffreda : Merci d’être parmi nous; je suis ravi de vous revoir. J’aime vos recommandations concrètes concernant les garde-fous. Bien entendu, les garde‑fous dépendent des capitaux dont dispose un pays, et les États‑Unis ont beaucoup plus de capitaux que le Canada. Nous avons donc d’autant plus besoin de garde-fous.
Vous avez qualifié le plan de logement du gouvernement précédent d’ensemble de mesures le plus complet que nous avons vu depuis la Deuxième Guerre mondiale, et vous avez salué l’attention qu’il accordait à la population de locataires qui croît rapidement. Dans le budget de 2024, un engagement a été pris pour un financement supplémentaire de 19,5 milliards de dollars sur cinq ans pour le logement. De plus, le nouveau gouvernement libéral a fait du logement une priorité absolue, comme il se doit, grâce à Maisons Canada, une nouvelle agence fédérale qui se consacre à la construction de logements abordables à grande échelle.
Ma question est simple, mais peut-être moins qu’elle n’y paraît, et elle vous donnera l’occasion d’expliquer vos recommandations plus en détail. Selon vous, dans quelle mesure le gouvernement a-t-il réussi jusqu’à présent à résoudre la crise du logement abordable? Par ailleurs, à l’avenir, quelles leçons ou pratiques exemplaires devraient guider le travail de la nouvelle agence Maisons Canada?
Mme Yalnizyan : Merci encore, sénateur Loffreda, d’avoir fait vos devoirs. C’est toujours intéressant de se voir renvoyer ses propres propos, et je vous suis vraiment reconnaissante d’avoir lu mes réflexions.
Bien que le gouvernement précédent ait déclaré mettre en œuvre la première stratégie nationale en matière de logement au Canada, ce n’était pas le cas. La première stratégie en matière de logement au Canada remonte à 1948, après le retour des anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale, car nous savions qu’une crise du logement abordable allait éclater. Les citoyens ne voulaient pas retourner dans leurs fermes; ils se tournaient vers les grandes villes, et il n’y avait tout simplement pas assez de logements pour eux. Il y a eu une stratégie en matière de logement qui n’était pas présentée comme telle, mais c’était précisément ce dont il s’agissait.
Vous demandez si le gouvernement a réussi de bons coups, et je répondrais que beaucoup de mesures ont été prises depuis 2019, année où — je crois — les fonds ont commencé à affluer. Or, la pandémie a ensuite frappé. Elle a naturellement interrompu tous les projets de construction. Puis, les prix ont grimpé en flèche, entraînant une hausse marquée des taux d’intérêt. Cette conjoncture a arrêté une deuxième fois la construction de logements.
Des logements se font construire, mais ce que je fais valoir, c’est que la construction de logements ne sera jamais assez rapide si nous ne protégeons pas le parc de logements abordables existants. Nous continuerons à en construire, et je suis très heureuse de voir que l’on accorde autant d’importance aux logements abordables. Rappelons toutefois qu’un logement abordable, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, ou SCHL, doit correspondre à 30 % du revenu. Les ménages gagnent des revenus très variés dans la plupart des quartiers. Au titre de nombreux programmes, un logement abordable se situe à 80 % du loyer médian du marché, ce qui n’est pas très abordable pour les personnes à faible revenu.
Il est donc absolument essentiel de préserver le parc de logements abordables existants, et c’est pourquoi j’ai soulevé ces enjeux. Des logements seront mis sur le marché si les enfants des propriétaires-exploitants âgés ne souhaitent pas reprendre l’entreprise familiale. Les investisseurs sont prêts à sauter dessus dès qu’ils seront mis en vente. Nous le constatons déjà absolument partout. Le phénomène se répercute aussi sur les établissements de soins de longue durée qui existent depuis les années 1960 et 1970. Ils ont grand besoin d’être rénovés, mais les propriétaires ne veulent pas dépenser d’argent pour ces travaux, car le rendement est insuffisant.
Par conséquent, nous perdons plus de logements que nous ne sommes capables d’en construire actuellement. C’est le message que je souhaite vous transmettre. Il ne s’agit pas de savoir si le gouvernement a fait du bon ou du mauvais travail, car qui aurait pu prédire tous les événements depuis 2019? Personne n’aurait pu les prédire ni les contrôler, mais nous pouvons prédire et contrôler ce qui nous attend. C’est la raison pour laquelle je soulève ces questions ici.
Le sénateur Loffreda : Merci. Comme toujours, vous êtes très perspicace.
Le sénateur Fridhandler : J’aimerais corriger quelque chose. Je pense que le montant de 100 millions de dollars que vous avez mentionné comme seuil des actifs requis pour pouvoir être considéré comme un investisseur accrédité — à moins que vous n’ayez mal lu vos notes — est un peu exagéré. Au Canada, un investisseur accrédité est une personne qui a un actif liquide net de 1 million de dollars et qui gagne 200 000 $ par an avant impôts, ou 300 000 $ avec son conjoint, avant impôts. Ces seuils sont en vigueur depuis 30 ans et suscitent un débat quant à savoir s’ils sont trop bas. Quoi qu’il en soit, c’est très différent de 100 millions de dollars.
Mme Yalnizyan : Vous avez raison. Merci, sénateur.
Le sénateur Fridhandler : Vous portez une attention particulière aux logements locatifs. Je pourrais me tromper, car nous avons tous grandi, du moins les membres du comité, dans une culture axée sur l’accession à la propriété. Cela contribue en partie à l’épargne en vue de la retraite : on a un actif qui est libre d’impôt s’il est vendu après la fin de son utilisation, et on a de l’argent pour la retraite ou, comme on le voit aujourd’hui, pour obtenir un prêt hypothécaire inversé.
Proposez-vous de revoir notre approche culturelle axée sur l’accession à la propriété? Je pense qu’il y a un équilibre à trouver, mais qu’en pensez-vous?
Mme Yalnizyan : Sénateur, j’ai fait cette présentation parce que la question du logement locatif était complètement exclue de l’étude. L’accession à la propriété est une réalité culturelle et économique, et une chose à laquelle la population aspire dans ce pays. Cependant, de plus en plus de gens sont laissés pour compte dans le marché locatif, et plus de personnes seront reléguées au marché locatif si nous ne portons pas attention à ce qui se passe. Voilà pourquoi je tenais à soulever la question.
S’il y a une crise du logement, la question n’est pas seulement de savoir comment les gens accèdent à la propriété, mais de savoir s’ils pourront même devenir propriétaires un jour. Personne ne pourra devenir propriétaire si les loyers ne baissent pas, que ce soit pour les jeunes ou ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter. Ils ne parviendront jamais à accéder à la propriété si une part croissante de leurs revenus est consacrée au loyer plutôt qu’à l’épargne. Voilà pourquoi j’ai soulevé cette question.
Quant à savoir si j’estime que c’est une erreur de mettre l’accent sur l’accession à la propriété : absolument pas. Cependant, je dois faire ce qui m’a été demandé, qui est de donner mon avis sur la crise du logement en général et présenter une perspective différente sur le sujet de votre étude. Je ne prétends aucunement que cela remplace le sujet de votre étude; il s’agit plutôt d’un complément.
Le sénateur Fridhandler : Merci.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui.
Vous semblez vous concentrer sur le logement locatif. Plus tôt, vous avez dit ne pas vouloir juger le gouvernement d’après ses programmes de logement, mais des milliards de dollars sont consacrés à divers types de logements, dont les appartements abordables et les logements locatifs. Selon vous, ces programmes connaissent-ils du succès actuellement? Avez-vous une idée? Il y a très peu de renseignements sur les résultats de ces programmes. On entend toutes sortes d’annonces sur divers projets de construction à venir, mais peu de choses sur les résultats concrets et le nombre de logements réellement occupés.
À vous écouter, il semble que le logement locatif est relégué au second plan par rapport aux autres types de logements. Vous suivez ce dossier de très près. Quelle est votre perception? Selon vous, le gouvernement est-il sur la bonne voie pour ce qui est du logement locatif et du logement pour les personnes à faible revenu, ou pensez-vous que c’est un aspect qui est négligé? Je n’ai vu aucune donnée indiquant que ces choses se concrétisent. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
Mme Yalnizyan : Je peux vous dire qu’avant l’élection du gouvernement actuel, la majeure partie du budget de l’administration précédente pour le logement locatif était destinée à la rénovation de logements locatifs existants. Cela s’imposait depuis longtemps — c’était urgent et attendu depuis longtemps —, surtout dans les plus grands marchés, où il y avait des logements véritablement abordables. Il s’agissait souvent de logements sociaux. Ces logements se détérioraient depuis des décennies, et personne n’avait d’argent pour cela.
C’est là que la majeure partie du financement est allée. Cela ne s’est pas traduit par une augmentation du nombre de logements, mais par une amélioration des conditions de vie des gens qui vivent dans ces logements. Le gouvernement a ces chiffres, et j’ignore pourquoi il ne les publie pas. Je ne comprends pas pourquoi les gouvernements ne vantent pas leurs succès, mais je comprends qu’ils taisent leurs échecs.
Je pense qu’il s’agit d’une tentative — réussie — de rendre ces logements plus habitables pour éviter d’avoir à en construire de nouveaux. C’est une façon plus économique d’avoir de meilleurs logements pour un plus grand nombre de personnes. Certains de ces logements étaient condamnés.
Concernant la construction de nouveaux logements... Je tiens d’abord à préciser que je ne suis pas une spécialiste du logement et que j’ignore ce qu’il est advenu des fonds destinés à la construction de logements abordables.
Je sais seulement, d’après ce que j’ai appris sur d’autres sujets, que le critère d’un logement abordable est un loyer à 80 % du taux du marché. Donc, je ne sais pas vraiment dans quelle mesure ils sont abordables. Il y a des choses qui pourraient être faites à coût plutôt « modique », qui n’exigeraient pas énormément de fonds fédéraux, mais qui permettraient, encore une fois, de maintenir le parc immobilier existant.
Ma crainte, c’est que le nombre de logements construits ne change rien. Si nous disons simplement que nous sommes ouverts au commerce et aux investissements, notre parc de logements abordables disparaîtra plus vite que nous ne pouvons construire. C’est la seule chose que j’aimerais que vous reteniez : ce qu’il faut garder à l’esprit, ce n’est pas le montant dépensé, mais le montant qu’il faudra dépenser si nous laissons le marché s’emballer.
La sénatrice Marshall : Pour moi, le problème est qu’une bonne partie de l’argent a été dépensée et que nous ne savons pas vraiment où il est allé. A-t-il été consacré à des logements pour des personnes à revenus plus élevés ou dans des logements locatifs? Ces logements sont-ils terminés? Sont-ils occupés?
On semble avoir beaucoup d’informations sur les choses à venir, mais je ne trouve aucune information sur ce qui a été accompli jusqu’à maintenant avec les milliards de dollars qui ont été dépensés. Je pensais que vous auriez peut-être de l’information privilégiée qui pourrait nous éclairer.
Mme Yalnizyan : Je n’ai pas d’information privilégiée. On a le même problème en Ontario lorsque l’on tente d’obtenir des informations de ce genre. Le gouvernement annonce avec fracas ses investissements dans les établissements de soins de longue durée, mais on ferme plus d’unités que l’on en construit. C’est le même phénomène.
Les gouvernements, peu importe le parti au pouvoir, n’étalent jamais leur « linge sale » en public. Pourtant, je pense qu’un comité comme le vôtre a le pouvoir d’obliger les ministres ou les hauts fonctionnaires à comparaître, en sachant que vous avez une liste de questions précises auxquelles vous souhaitez qu’ils répondent. Ils ont les données. Donc, la question est de savoir si vous pouvez les amener à les divulguer.
La sénatrice Marshall : Ce serait formidable de voir ces données. Merci.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui.
Je vis dans une collectivité rurale où beaucoup de gens peinent à joindre les deux bouts et où le nombre de logements locatifs abordables est limité. À cela s’ajoute le phénomène du vieillissement de la population, car on manque d’emplois. Cela touche une bonne partie des régions rurales de la Nouvelle‑Écosse. Des gens quittent leur maison unifamiliale pour aller dans des établissements de soins, ou dans des collectivités où ils n’ont pas nécessairement besoin d’une voiture et où le coût de la vie est plus abordable.
Cependant, ils ont de la difficulté à vendre leur maison qui, dans bien des cas, a peu de valeur. Ils vivent dans des collectivités qui n’attirent pas les gens. Il s’agit d’une transition très difficile pour bon nombre de jeunes familles et pour les personnes âgées. Cela ne touche pas un seul groupe d’âge.
Nous avons un exemple : Tapestry Community Capital. Il y a de l’argent en Nouvelle-Écosse, mais une bonne partie de cet argent fuit vers Toronto par l’intermédiaire des grandes banques et les investissements se font à partir de Toronto. L’argent n’est pas investi dans nos collectivités par les gens de la communauté.
À votre connaissance, y a-t-il des structures ou modèles qui pourraient servir à diriger une plus grande part de nos économies — individuellement, en tant que contribuables — vers nos propres collectivités pour investir dans des immeubles locatifs, des entreprises, ou autre chose? Pour moi, c’est fondamental. Nous devons investir notre argent dans nos collectivités pour favoriser leur croissance. L’argent ne devrait pas être envoyé à Toronto, ce qui nous oblige ensuite à espérer et à supplier qu’une partie de cet argent nous revienne.
Mme Yalnizyan : Ce sont d’excellentes questions. Je n’ai pas beaucoup de solutions pour vous, mais je vais soulever trois points.
Premièrement, de nos jours, les caisses de retraite investissent principalement à l’étranger. En tant que travailleurs, c’est notre argent qui est investi pour nous en vue de notre retraite. Auparavant, le pourcentage de fonds pouvant être investi à l’étranger pour obtenir un rendement était plafonné à 10 %. Aujourd’hui, il n’y a plus de plafond et la majeure partie de l’argent est investie à l’étranger.
Donc, je pense qu’il y a lieu de faire valoir, à l’instar de l’ancienne ministre des Finances, Chrystia Freeland, qu’il faudrait encourager le « Maple 8 » — peut-être par simple persuasion morale — à rapatrier une partie de l’argent. Il s’agit actuellement de la plus importante mise en commun de capitaux au pays, même si cela pourrait changer. Il y a certaines indications que ce rapatriement pourrait se concrétiser. Il est possible que les travailleurs, par l’intermédiaire de leurs syndicats, parviennent à inciter leurs caisses de retraite à investir davantage ici, où ces gens vivent et travaillent.
Deuxièmement, il y a de nombreux investissements dans les PPP, dans lesquels les gouvernements et les partenaires du secteur privé fournissent des résultats, et les partenaires du secteur privé obtiennent un rendement pour le capital investi. Il n’y a pas de mesure semblable permettant aux organisations philanthropiques, aux organismes de bienfaisance et aux fondations de faire de même pour maintenir ou bâtir des logements. Autrefois, c’était les congrégations de religieuses et de prêtres qui construisaient des immeubles résidentiels à logements multiples et des résidences pour personnes âgées. Il y a de moins en moins de religieuses, mais l’argent est toujours là. Elles cherchent à établir des partenariats avec le gouvernement pour bâtir et maintenir des logements abordables.
Quand je parle de logements locatifs, je devrais plutôt généraliser et parler d’immeubles à logements multiples, car l’interdiction qui vise les acheteurs étrangers ne s’applique pas aux immeubles à logements multiples ni aux propriétés commerciales, mais cela inclut les établissements de soins de longue durée et les établissements résidentiels, comme les résidences pour retraités, ce qui est en partie ce dont vous parlez, je pense.
Il y a donc des mécanismes, comme les PPP, qui permettent de mieux conserver les capitaux chez nous, dans nos collectivités, mais pour y arriver, il faut un partenaire du secteur public.
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie beaucoup d’avoir parlé des propriétaires âgés qui quittent leur logement en ce moment. C’est très important, car le crédit d’impôt ou le remboursement de la TVH offert par le gouvernement fédéral ne s’applique qu’à l’achat d’une maison neuve, et non à l’achat d’une maison plus vieille. Il y a un segment de jeunes familles qui, en raison de leurs revenus, ont peut-être seulement les moyens d’acheter une maison plus vieille et la rénover petit à petit.
Quelles mesures incitatives devrions-nous recommander afin que ces plus vieilles maisons restent sur le marché immobilier — au lieu de devenir des propriétés locatives — et restent entre les mains de familles à revenu modeste, souvent de jeunes familles?
Mme Yalnizyan : Encore une fois, je ne suis pas une experte du marché immobilier. Concernant les maisons unifamiliales — les maisons existantes et non les maisons neuves —, je crois comprendre que ce problème ne se pose pas au Canada, contrairement aux États-Unis, où les investisseurs sont présents sur le marché. Cela ne semble pas être le problème ici. L’intérêt des investisseurs dans le marché immobilier est axé sur les immeubles à logements multiples comme les résidences pour retraités, les établissements de soins de longue durée ou d’immeubles d’habitation.
Si votre objectif est d’améliorer l’accès à la propriété pour la prochaine génération, et que le marché de la revente et non les maisons neuves occupe la plus grande part du marché du logement, je suppose que vous pourriez recommander un crédit de TPS pour les nouveaux propriétaires, comme les avantages pour les acheteurs d’une première maison. Cependant, ils ont également d’autres avantages fiscaux, comme le Compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété.
Oui, vous pourriez ajouter un autre crédit d’impôt pour les acheteurs d’une première maison qui n’achètent pas une maison neuve.
La sénatrice Ringuette : Une construction neuve?
Mme Yalnizyan : Oui. Je croyais aussi comprendre que le crédit de TPS était destiné aux constructeurs.
La sénatrice Ringuette : Quoi qu’il en soit, tant que cela se répercute sur le prix de la maison... espérons que ce soit le cas.
Mme Yalnizyan : Comme vous le savez, et comme nous l’avons constaté durant la pandémie, lorsque les prix ont commencé à grimper, nous ne savions pas dans quelle mesure la hausse était transférée. Nous ignorons dans quelle mesure la hausse ou la baisse du prix des intrants se répercute. Cela varie selon la part de marché qu’occupe le propriétaire du bien ou du fournisseur de service, et sa capacité d’établir les prix.
La sénatrice Ringuette : Concernant la définition de l’« abordabilité », vous avez dit que le seuil établi par la SCHL est de 30 %. C’est le critère utilisé depuis avant la Seconde Guerre mondiale, probablement. L’économie et le contexte ont changé, mais ce critère reste inchangé. Que suggérez-vous?
Mme Yalnizyan : Ils ne parlent pas de l’abordabilité de la même manière qu’on le fait aujourd’hui. Essentiellement, ils disent que si une personne parvient à gérer son budget et limiter les frais de logement à un tiers de son revenu, c’est très bien. C’est vraiment ce qu’il faut faire. Toutefois, nous constatons que les jeunes, en particulier, sont de moins en moins capables d’y arriver, car les salaires n’ont pas suivi l’inflation, que ce soit pour l’achat d’une maison ou la location d’un appartement.
Je ne recommanderais pas d’agir autrement. Consacrer le tiers de son revenu aux frais de logement est la chose à faire, mais cela ne cadre tout simplement pas avec la réalité. C’est ce que tout le monde devrait viser. Le critère n’est pas mauvais en soi; il n’est tout simplement pas réaliste.
La sénatrice Ringuette : Merci.
La sénatrice Wallin : J’ai deux questions sur un autre sujet. Concernant les obligations de la Victoire que vous proposez, j’ai lu avec intérêt une annonce du premier ministre qui m’avait complètement échappé. Il s’agissait de l’annonce concernant la plateforme d’investissement Veridian Matrix AI, assorti de la promesse d’un investissement minimal de 355 $ par personne, garantissant par la suite un revenu passif de 4 à 10 $ par mois. Je ne sais pas comment cela fonctionne.
Votre idée de bons de la Victoire vise-t-elle davantage à générer des capitaux pour les gouvernements qu’à bonifier le revenu passif des particuliers et des propriétaires potentiels?
Mme Yalnizyan : La première fois que j’ai avancé l’idée des obligations de la Victoire, j’ai écrit deux chroniques à ce sujet dans le Toronto Star. J’ai essayé de présenter l’idée au ministère des Finances. L’objectif n’était pas de supplanter d’autres types d’obligations. Le ministère a des exigences financières fixes. Ses budgets lui indiquent combien de fonds il doit recueillir selon l’ampleur du déficit.
L’objectif était plutôt de signifier que nous sommes en guerre. Nous sommes engagés dans une guerre économique. Comme c’est ce qu’on nous dit, pourquoi ne pas faire appel aux membres de la population canadienne qui veulent en faire plus qu’acheter des produits canadiens? Ces gens veulent sauver le Canada. Nos épargnes pourraient peut-être sauver le Canada puisqu’il n’y a pas d’autres programmes d’obligations. Le programme des Obligations d’épargne du Canada a été aboli en 2017 parce que le taux de rendement de ces obligations était si faible que personne n’en achetait. Il existe tant d’autres moyens de mettre de l’argent de côté.
Franchement, le ministère des Finances pourrait leur donner la forme qu’il voudrait. Ce qui compte, c’est la manière dont il en fait la promotion auprès des gens qui pourraient se dire : « J’ai un peu d’argent supplémentaire. J’obtiendrai un rendement quelconque. Je ne perdrai pas d’argent. Je veux contribuer à sauver le Canada. »
La sénatrice Wallin : Ainsi, le programme proposé ne va pas dans le sens de votre objectif puisqu’il ne servira qu’à subventionner les petits investisseurs. Quoi qu’il en soit, c’est autre chose.
Je voulais vous poser une autre petite question au sujet de l’assurance-emploi. Comme vous l’avez dit, 1,5 million de personnes sont au chômage, mais seulement 500 000 reçoivent des prestations d’assurance-emploi.
Cette situation est liée à la nature changeante du travail. Par quels moyens proposez-vous d’intégrer les travailleurs à la demande et les travailleurs à temps partiel? C’est la nouvelle nature du travail; elle évite aux employeurs d’avoir à payer des avantages sociaux et tout le reste.
Ce mécanisme est-il adapté à la réalité actuelle, étant donné le changement radical de la nature du travail?
Mme Yalnizyan : C’est une excellente question. Les statistiques de l’assurance-emploi ne sont pas liées à la nature changeante du travail. Si 1,5 million de personnes sont au chômage, c’est parce que les entreprises ferment leurs portes. Il s’agit d’une version de la nature changeante du travail, mais normalement, cette expression renvoie à la technologie.
La technologie transformera ou non l’avenir du travail; c’est dur à dire. Il y a longtemps qu’on parle des effets de la technologie sur l’avenir du travail. C’est la troisième fois que je participe à cette discussion. Chaque fois qu’on se pose cette question existentielle, d’un côté, on affirme que les robots détruiront les emplois, mais de l’autre, on parle de la création de nouveaux emplois mieux rémunérés.
Je ne sais pas, c’est peut-être différent cette fois-ci. Est-ce que l’assurance-emploi nous sauvera? Non, pas si les robots détruisent les emplois. Je ne sais pas s’ils le feront. Je ne pense pas, mais je pourrais me tromper. C’est peut-être différent cette fois-ci.
Pour ce qui est de rendre les travailleurs à la demande admissibles à l’assurance-emploi, nous savons à quel point il est difficile d’obliger un travailleur autonome à payer une cotisation, par exemple. À quel moment peut-il affirmer qu’il est au chômage? Qui déterminera que ses heures de travail ont été suffisamment réduites pour qu’il soit considéré comme sans emploi? Le critère d’admissibilité est très difficile à appliquer.
La sénatrice Wallin : C’est la raison pour laquelle je me demande s’il convient de parler de l’assurance-emploi dans ce contexte. Le mécanisme est dépassé. Il fonctionne par le truchement des employeurs et pour les personnes qui occupent un emploi traditionnel, mais pas pour les travailleurs à la demande, comme vous le dites, ou encore pour les travailleurs à temps partiel du secteur de l’accueil, par exemple.
Mme Yalnizyan : Quand je travaillais dans le bureau du sous-ministre chez Emploi et Développement social Canada, ou EDSC, nous essayions d’évaluer l’ampleur de l’économie à la demande. Les travailleurs à la demande sont peu nombreux, et leur nombre diminue chaque fois que le marché de l’emploi prend de l’expansion. Les gens deviennent des travailleurs à la demande quand ils n’ont pas accès à d’autres types d’emplois. Oui, certains ne veulent que travailler à la demande, mais ils ne représentent qu’une petite partie de la population. Le marché de l’emploi compte 21 millions de travailleurs. La majorité d’entre eux ne veulent pas être travailleurs autonomes.
La sénatrice Wallin : Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bonjour et bienvenue au Sénat. C’est un plaisir de vous voir en personne.
[Traduction]
Votre mémoire comprend une recommandation que j’aimerais explorer plus à fond : vous dites que l’excédent du régime de pensions devrait être considéré comme un actif. Vous mentionnez l’excédent de l’assurance-emploi. C’est le tour de magie dont l’ancien premier ministre Stephen Harper s’est servi pour faire disparaître 50 milliards ou 60 milliards de dollars du déficit. Proposez-vous de faire la même chose avec l’excédent de l’assurance-emploi? Pouvez-vous nous fournir plus de détails là‑dessus?
Mme Yalnizyan : Il n’était pas question de l’excédent de l’assurance-emploi. Je proposais de considérer la possibilité de comptabiliser l’excédent du Régime de pensions du Canada, ou le RPC. En ce moment, il n’est pas comptabilisé. On n’en tient pas du tout compte.
Le sénateur Dalphond : D’un point de vue comptable, s’agit‑il d’une consolidation?
Mme Yalnizyan : Oui, c’est tout ce que c’est. Cette mesure réduirait considérablement la pression parce que le régime a la responsabilité fiduciaire de dégager un excédent. Il doit afficher un excédent. On n’en retirerait rien, contrairement à ce qu’a fait Stephen Harper. L’excédent se trouverait simplement dans le fonds consolidé; ainsi, il compenserait certains déficits.
Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Je n’en peux tout simplement plus d’entendre strictement parler de réduire les impôts et les dépenses. Y a-t-il d’autres mécanismes qui peuvent servir à générer des revenus? C’est la raison pour laquelle j’ai proposé les obligations de la Victoire et j’ai avancé cette idée-ci. Il est très créatif de repenser les dépenses de fonctionnement et les dépenses en capital. On amortit déjà en quelque sorte les dépenses en capital au moyen de la comptabilité d’exercice. On le fait depuis des décennies.
L’Alberta a commencé à séparer les dépenses de fonctionnement et les dépenses en capital en 1992, je crois, sous Ralph Klein. En deux ou trois ans, elle avait épongé son déficit, n’est-ce pas? C’est astucieux. Je ne sais pas pourquoi nous n’avons pas suivi son exemple avant, mais il y a d’autres façons d’arriver à la même fin.
C’est un exercice comptable, mais les coûts réels de l’austérité vont au-delà des chiffres. Ils affecteront des êtres humains. Dans le contexte d’une guerre économique non provoquée, il est extrêmement important de disposer d’une marge de manœuvre.
L’idée que j’ai proposée dans le mémoire prébudgétaire est peut-être complètement folle, mais est-ce que nous pensons à toutes les idées folles? Est-ce que nous réfléchissons à toutes les idées qui pourraient nous laisser une plus grande marge de manœuvre, y compris celles touchant les revenus? Nous en aurons besoin. Le pire est à venir.
Le sénateur Dalphond : C’est intéressant. Jusqu’à maintenant, vous n’avez pas reçu de réponse de la part du ministère des Finances?
Mme Yalnizyan : C’est le silence radio.
Le sénateur Dalphond : En juillet 2024, vous avez écrit dans le Toronto Star que ce sont les locataires, et non les détenteurs de prêts hypothécaires, qui sont les plus durement touchés par la crise de l’inflation. Au sujet du renouvellement des prêts hypothécaires, vous avez écrit qu’en 2025, environ la moitié des prêts seraient à renouveler — l’équivalent de 675 milliards de dollars. Vous avez exprimé une vive inquiétude par rapport à l’érosion de la marge de manœuvre. Vous avez souligné que certains redevenaient locataires parce qu’ils n’avaient pas les moyens de renouveler leurs prêts hypothécaires.
Toutefois, depuis juillet 2024, la Banque du Canada a réduit son taux d’intérêt de moitié : il est passé de 4,5 % à 2,25 %. Cette diminution a-t-elle eu un effet sur le marché? Aujourd’hui, le phénomène que vous avez décrit se résorbe-t-il — les personnes qui ne renouvellent pas leurs prêts hypothécaires et qui redeviennent locataires? À Toronto, par exemple, le prix moyen diminue.
Mme Yalnizyan : Je le répète, je ne suis pas spécialiste en matière de logement. Je ne suis pas toujours ce dossier. Quand on écrit une chronique pour le Toronto Star, on devient instantanément spécialiste parce qu’on a passé trois jours à s’informer en vue d’écrire sur la question de l’heure. J’ai été spécialiste pendant cinq minutes. Je ne vais pas prétendre savoir quelle proportion...
Le sénateur Dalphond : Aux États-Unis, on dirait que c’est une fausse nouvelle.
Mme Yalnizyan : C’est proche, mais en fait, ce n’est pas une fausse nouvelle. Les données ne sont pas fausses — disons-le ainsi. Je ne veux pas vous fournir de fausses données aujourd’hui.
Je ne sais pas quelle proportion de propriétaires sont devenus locataires, pour toutes les raisons que vous avez mentionnées. Ce qui m’inquiète, c’est qu’un plus grand nombre de personnes perdent leur emploi, surtout dans les petites collectivités. Si c’est une scierie ou une mine, ou même à des endroits comme Brampton ou Oshawa... Où les gens iront-ils s’ils perdent leur emploi? S’ils n’ont pas les moyens de renouveler leurs prêts hypothécaires, je ne sais pas ce qui va se passer.
Je ne cherche pas à dire que j’avais raison à ce moment-là, mais que j’ai tort maintenant parce que les taux d’intérêt et le prix des logements ont baissé. Le taux de chômage, quant à lui, a augmenté.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre présence. Je serais ravi de discuter des trois enjeux que vous avez soulevés, mais malheureusement, ce n’est pas l’objet de notre étude. Pourtant, j’aimerais bien débattre la proposition de comptabiliser différemment le revenu net du Régime de pensions du Canada.
J’habite Toronto. Les défis sont nombreux pour la population de cette ville. Par exemple, les jeunes font face à des problèmes d’accès à la propriété, et le parc de logements sociaux ne croît pas au même rythme que la population.
Bien entendu, la location dans les coopératives d’habitation est également un défi. Le parc de logements privés augmente l’offre de logements locatifs. À une certaine époque, les coopératives d’habitation étaient nombreuses dans le secteur riverain et au centre-ville; il y en a toujours, et elles sont importantes pour leurs habitants parce qu’elles leur apportent une certaine sécurité. Ils ont les moyens de payer leur loyer et ils ont une chance raisonnable de vivre décemment.
Dans le contexte de la crise, je sais que les facteurs à prendre en considération sont nombreux, mais nous ne pouvons pas les isoler parce qu’ils font tous partie intégrante des mesures à prendre pour aider les gens à payer un loyer raisonnable.
Vous avez mentionné qu’il est probable que les logements mis sur le marché finissent entre les mains d’acheteurs étrangers, mais pouvez‑vous parler davantage de l’enjeu global des logements sociaux et coopératifs? Quelles mesures pouvons‑nous prendre à cet égard? Il s’agit de problèmes de taille auxquels le Canada a trouvé des solutions dans le passé. Les gens doivent avoir accès à des logements qu’ils ont les moyens de payer, des logements décents qui ne coûtent pas une fortune.
Vous êtes-vous penchée sur cette question? Reconnaissez-vous qu’il faut augmenter le nombre de logements dans les centres urbains? Plus important encore, avez-vous examiné les investissements faits par le gouvernement fédéral et les partenariats conclus avec les municipalités pour parvenir à cette fin? Dans certains cas, ce sont les syndicats qui investissent parce qu’ils veulent que leurs membres aient accès à des logements décents.
Mme Yalnizyan : J’appuie tout ce que vous avez dit. Je le répète une troisième fois : je ne suis pas spécialiste en matière de logement. Je ne me suis jamais présentée comme spécialiste en la matière.
Je pense qu’il faut augmenter le nombre de logements sociaux, ce qui n’est pas simple. Toutefois, il y a des syndicats, des fondations, des groupes de bienfaisance, des organismes religieux et des partenaires qui seraient tout à fait disposés à s’associer à un bailleur de fonds public pour ce faire. Or, ce n’est pas le centre de la discussion.
Pour revenir au point soulevé par le sénateur Fridhandler, l’élément qui a été placé au centre de la discussion sur la crise du logement, c’est la propriété foncière. Puisque c’est ce qui accapare l’attention sur la scène électorale et sur la scène politique, c’est là que le gros des fonds octroyés dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement a été versé.
Il faudrait essayer de faire valoir l’importance du logement locatif et parler du besoin d’augmenter le nombre de logements sociaux, que ce soit par l’intermédiaire d’un comité comme celui-ci ou par d’autres moyens. Il faut amplifier cette partie de l’histoire avant de commencer à parler d’élargir le parc de logements sociaux, car à l’heure actuelle, la question de l’accès à la propriété retient toute l’attention.
Sénateur Fridhandler, je pense que c’est l’histoire que tout le monde ici a entendue en grandissant, mais je ne pense pas que c’est l’histoire que mes enfants connaîtront.
On parle de moderniser le discours, mais le système politique continue de répondre à un discours dépassé destiné à une autre génération.
Il est donc très important d’intégrer le point que vous venez de soulever, sénateur Yussuf, dans la discussion de votre auguste comité sur la crise du logement.
Le sénateur Yussuff : Si vous avez des données, nous vous saurions gré de nous les envoyer.
Vous avez dit tout à l’heure qu’il était probable qu’une grande partie du parc de logements privés soit mis sur le marché bientôt ou maintenant. Avez-vous des données là-dessus? Des données nous permettraient de comprendre... En l’absence d’acheteurs canadiens, ces logements finiront entre des mains étrangères.
Le gouvernement doit se pencher sur la question, car nous aurons un défi existentiel à relever si aucune mesure n’est prise pour contrôler qui peut acheter ces logements. Avez-vous des données pertinentes à fournir au comité?
Mme Yalnizyan : J’aimerais avoir des données à vous fournir. C’est la raison pour laquelle je vous demande d’entreprendre une étude en comité sur le capital-investissement, particulièrement dans le secteur du logement.
J’ai demandé des données à ce sujet au gouvernement fédéral, mais personne n’en recueille. Quelqu’un doit commencer à le faire.
[Français]
La sénatrice Henkel : Merci d’être là et pour tout ce que vous avez partagé avec nous. C’est intéressant de sortir du domaine des taxes.
Vous avez analysé le fait qu’un revenu annuel avant impôt de 84 000 $ est nécessaire pour qu’un travailleur dispose d’un salaire convenable, par exemple à Toronto. Le comité a entendu que les taxes, frais et prélèvements gouvernementaux peuvent représenter de 25 à 30 % du coût total d’un nouveau logement dans les grands centres urbains. Si ces charges étaient supprimées, cela suffirait-il vraiment à rendre le logement abordable? Sinon, quels sont les véritables leviers?
[Traduction]
Mme Yalnizyan : Je n’en suis pas certaine. Encore une fois, je ne suis pas spécialiste en matière de logement. Je crois comprendre que ces taxes, frais et prélèvements sont imposés aux constructeurs de nouvelles habitations. Si vous faisiez disparaître ces charges comme par magie, on ne sait pas dans quelle mesure les nouveaux acheteurs profiteraient des économies de coûts. Tout dépend du constructeur et des conditions du marché.
Si, d’un coup de baguette magique, vous faisiez disparaître tous les frais, le prix diminuerait-il de 25 %? Probablement pas.
Or, j’ai une question pour vous : si vous supprimez les frais d’aménagement et les prélèvements, comment allez-vous créer les infrastructures nécessaires pour les nouveaux logements? Quelqu’un doit les payer. Quelqu’un doit assumer les frais associés à l’électricité, aux services d’eau, à la collecte des déchets et à la construction des routes.
Je comprends pourquoi vous voulez réduire les impôts : c’est à la mode. C’est à la mode depuis 1980, depuis que Ronald Reagan a dit que le gouvernement n’était pas la solution, mais plutôt le problème. On parle de réduire les impôts depuis 1980.
Nous sommes en 2025 et nous ne savons toujours pas comment gérer les infrastructures publiques dans les collectivités grandissantes.
[Français]
La sénatrice Henkel : Le maintien du parc locatif existant dans de bonnes conditions est jugé tout aussi crucial que la construction de nouveaux logements afin de ne pas accentuer la pression sur l’offre. Pourtant, une partie de la financiarisation se produit par l’acquisition et la rénovation d’immeubles locatifs existants, ce qui entraîne souvent une augmentation des loyers, bien entendu.
Comment croyez-vous que le gouvernement fédéral pourrait intervenir pour encourager de manière énergique la rénovation plutôt que la démolition des stocks existants, y compris les logements sociaux et communautaires, pour favoriser particulièrement le transfert des actifs locatifs vieillissants du secteur privé spéculatif vers des organismes à but non lucratif, comme les coopératives?
[Traduction]
Mme Yalnizyan : Je vous inviterais à consulter mes quatre recommandations sur les garde-fous à mettre en place pour encadrer les investissements. Je serais heureuse d’en discuter plus en détail avec vous.
Je rappellerais également que les fondations communautaires, les organismes religieux et les fondations philanthropiques seraient heureux de collaborer avec le gouvernement au niveau fédéral, provincial et municipal pour maintenir le parc immobilier et le rendre habitable, mais il n’existe aucun mécanisme pour l’instant.
Le sénateur Varone : Je suis d’accord avec le discours sur l’assurance-emploi. Il est tout à fait d’actualité, et la discussion sur le remplacement du revenu est incroyablement importante dans le contexte actuel, notamment pour les secteurs frappés par les mises à pied dont vous parlez.
Toutefois, je ne suis pas certain de vous suivre lorsque vous parlez des Blackstone et des Brookfield de ce monde qui iraient acheter tout le parc immobilier abordable. Je le mentionne parce que le parc immobilier ne fait pas partie du marché au Canada et que les provinces ont toutes instauré des régimes de contrôle des loyers. Depuis 1974, les loyers de tout ce qui se construit en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique sont contrôlés.
Au sujet de l’intervention du gouvernement fédéral, chaque année en décembre, les autorités fixent une limite que les constructeurs, les propriétaires fonciers et les logements communautaires à Toronto — tous les joueurs, y compris les logements communautaires sans but lucratif — doivent respecter lorsqu’ils augmentent leurs loyers. Étant donné tous ces mécanismes de contrôle, je n’ai pas encore vu le scénario apocalyptique dont vous parlez où de grandes sociétés privées viendraient tout acheter. Le contrôle des loyers ne les incite pas à venir faire une razzia.
Si vous n’avez pas d’autres observations, pourriez-vous en dire plus sur ce point?
Mme Yalnizyan : Volontiers.
Avez-vous déjà entendu le terme « rénoviction »?
Le sénateur Varone : Je sais très bien ce que c’est, mais...
Mme Yalnizyan : Cette tactique consiste à acheter un immeuble à logements délabré et d’évincer les locataires un à un sur une certaine période. Des membres de ma famille en ont fait les frais. Mes enfants y ont été exposés. Des personnes sont forcées de partir parce que leur appartement est inhabitable. Après leur départ, des rénovations superficielles ou élaborées se font. Dans certains cas, l’immeuble au complet est reconstruit, et dans d’autres, il est acheté par quelqu’un qui décide de tout démolir et de reconstruire étant donné le piètre état des lieux.
Pendant ce temps, personne n’occupe l’unité, et lorsque ce logement vide est loué, le loyer augmente.
Lorsque vous affirmez que vous n’avez pas encore vu d’apocalypse, sachez que le but de ma présentation est de vous dire qu’il ne faut pas se tirer dans le pied. Ne laissons pas ce scénario se dérouler. Mieux vaut prévenir que guérir.
Le sénateur Varone : Ce scénario ne s’est pas produit. Les rénovictions, quels que soient leurs motifs, sont contrôlées. Les propriétaires doivent suivre un processus. En Ontario et au Québec, il faut fournir des raisons, établir les coûts et fixer le prix du loyer, puis soumettre le tout pour approbation à des organismes gouvernementaux. Si le principal objectif est d’améliorer l’appartement, les améliorations doivent être proportionnelles à l’augmentation demandée. Il y a tout un processus à suivre.
Je serais d’accord pour dire que les propriétaires contestent ce processus passablement fastidieux. Ce n’est pas simple.
Je comprends ce dont vous parlez, mais cela n’est tout simplement pas en train d’arriver.
Le président : Le temps file. Il nous reste deux minutes. La deuxième série de questions est simple. Chers collègues, pourriez-vous poser vos questions en une minute? Je vais accorder deux minutes pour les réponses.
Le sénateur Loffreda : Je vais prendre 30 secondes.
Vous avez parlé tout à l’heure de la glorification de la propriété par la société. Vous nous faisiez remarquer que le succès dans la vie ne repose pas nécessairement sur la possession d’une maison, mais pensez-vous que ce type de société est viable à long terme au Canada? Dans un article que vous avez rédigé en collaboration, vous soulignez que beaucoup d’idées circulent, mais qu’aucune vision n’émerge concernant les besoins sociaux, en éducation et en santé. Ne pensez-vous pas que nos ressources sociales, en éducation et en santé en souffriront si un exode des cerveaux se produit et que nous avons du mal à attirer de nouveaux talents en raison de l’abordabilité du logement?
Le président : Le prochain sénateur va poser sa question, et vous répondrez ensuite.
Le sénateur C. Deacon : Je voudrais savoir quelles seraient les stratégies pour créer des postes d’apprentis chez les petits constructeurs dans les localités rurales. Les apprentis vont naturellement dans les grandes villes et les grandes entreprises, tandis que disparaissent les petits constructeurs qui répondent aux besoins en construction de logements des petites localités. Les petits constructeurs ont besoin de ces apprentis.
Mme Yalnizyan : Très rapidement, il y a deux moyens de bâtir sa propre sécurité économique : faire des études et acheter une maison pour ne pas se faire évincer. Voilà les deux choses qui assurent le mieux la réussite. Évidemment, les gens veulent être propriétaires de leur maison. Ils ne veulent pas être à la merci d’un propriétaire qui peut augmenter le loyer impunément ou démolir leur logement au lieu de le rénover.
Je comprends l’attrait qu’exerce sur nous une société fondée sur la propriété, mais cela rend les choses très difficiles pour les personnes qui veulent assurer leur propre sécurité économique. C’est extrêmement compliqué d’y arriver en n’ayant que soi sur qui compter.
À propos des postes d’apprentis dans les petites localités, nous avons réglé le problème au cours des dernières années en recourant aux travailleurs temporaires étrangers. C’est peut‑être la meilleure cure de jouvence à donner à ces endroits qui manquent cruellement de jeunes. Nous infusons dans ces populations vieillissantes une dose de personnes plus jeunes en âge de travailler. Ces travailleurs sont pleinement qualifiés et ils ne coûtent pas cher. Le seul hic est l’absence d’un parcours vers la résidence permanente. Si nous trouvions un moyen de leur offrir ce pont, nous ferions d’une pierre deux coups.
C’est dommage que le sénateur soit parti parce que je voulais dire quelque chose à ce sujet, mais je lui en ferai part après la réunion.
Le président : Merci. Les témoignages ont été très instructifs, voire provocateurs dans certains cas, mais c’est le but de l’exercice.
Mme Yalnizyan : J’aime votre attitude.
Le président : Nous savons que vous avez un horaire chargé. Nous vous remercions de votre temps.
[Français]
Honorables sénatrices et sénateurs, nous allons donc poursuivre notre étude spéciale sur la crise du logement.
Pour le second groupe de témoins, nous souhaitons la bienvenue à M. David McKay, associé et vice-président, MHBC Urbanisme Architecture de paysage. Je crois comprendre que vous avez préparé des remarques d’ouverture de cinq minutes. Ces remarques seront suivies d’une période de questions.
[Traduction]
Vous avez cinq minutes pour votre déclaration liminaire. La parole est à vous. Bienvenue au comité.
David McKay, associé et vice-président, MHBC Urbanisme Architecture de paysage : Merci beaucoup de m’avoir invité à témoigner. Je suis urbaniste agréé chez MHBC. Je travaille dans le domaine de la construction depuis 28 ans dans les sphères publique, privée et sans but lucratif sur divers types de demandes. À l’heure actuelle, j’ai des demandes pour environ 50 000 unités résidentielles en cours de traitement dans la région du Grand Toronto.
Je vais vous entretenir aujourd’hui du processus d’approbation, dont beaucoup d’économistes ont parlé. Je ne suis pas économiste, mais essentiellement, les retards dans le processus d’approbation entraînent une augmentation des coûts autant pour les propriétés que pour les logements locatifs.
Je vais m’en tenir à une vue d’ensemble parce que j’ai seulement cinq minutes, mais je pourrai donner plus de détails à la période de questions.
Au cours de ma carrière, le processus d’approbation s’est considérablement allongé. À mes débuts dans la profession, l’approbation d’un projet modeste prenait un an ou un an et demi dans la RGT, alors qu’aujourd’hui, le délai d’approbation pour les projets s’élève à trois ou quatre ans, même en excluant le temps nécessaire pour la délivrance des permis de construire. Les délais sont encore plus longs pour les projets plus complexes, soit quatre à sept ans ou plus.
Ces éléments s’ajoutent aux coûts du logement, comme l’a confirmé la SCHL. Des études récentes réalisées en 2018 et en 2022 ont prouvé que les règlements longs et complexes réduisent l’abordabilité des logements, particulièrement dans la RGT et dans la région du Grand Vancouver. Là où les processus sont moins complexes et moins chronophages, les prix seraient plus bas, comme dans les Prairies, au Canada atlantique et au Québec.
Plus tard, en 2024, une étude réalisée par le groupe Altus sur le système d’approbation du plan d’aménagement de l’Ontario a révélé que ce système entraînait un coût majeur pour l’économie — 3,5 milliards de dollars annuellement. Pour un immeuble de 100 logements, les délais d’approbation coûteraient environ en moyenne 58 000 $ par unité. Ces coûts sont très réels.
Nous en sommes là principalement pour trois raisons. Premièrement, les régimes réglementaires sont archaïques, pour employer un euphémisme. Ils ne sont pas assez souples ou agiles pour répondre aux conditions du marché. Autrement dit, chaque demande concernant un projet important exige une approbation des plans et doit passer par un processus d’approbation.
Deuxièmement, le processus d’approbation est devenu beaucoup plus complexe et bureaucratique. Il y a différents aspects à cela, notamment la multiplicité des processus d’approbation pour des choses comme le rezonage, les plans d’aménagement, les lotissements et les copropriétés. La plupart du temps, ces étapes convergentes ne sont pas simultanées, et certaines difficultés sont soulevées à répétition, ce qui allonge les délais.
Dans le processus en tant que tel, les exigences rattachées aux demandes ont considérablement augmenté. Au début de ma carrière, le rezonage nécessitait la soumission d’une dizaine d’éléments à la municipalité. Mes recherches révèlent que chaque demande doit comporter aujourd’hui entre 30 et 100 éléments dans plusieurs disciplines, ce qui entraîne là aussi des délais au stade de présentation des soumissions et des examens, ainsi que des coûts pour le logement.
Troisièmement, à propos du processus, toute une série d’examens doivent être menés, où interviennent les intérêts souvent concurrents de différents ministères et organismes, qui finissent par entrer en conflit et qui entraînent d’autres retards pour les soumissions suivantes. Je me suis occupé récemment d’une demande à Toronto. J’en suis à ma huitième soumission concernant des arbres le long du trottoir.
Nous observons aussi d’importantes pénuries de personnel adéquat chargé d’examiner les demandes dans le secteur public et privé. La formation sur le système d’aménagement du territoire est problématique au Canada.
Comment remédier à ces problèmes? Il n’existe pas de solutions simples étant donné la complexité du système, comme d’autres l’ont dit aujourd’hui. Les provinces font ce qu’elles peuvent. L’Ontario, par exemple, révise son système, ses politiques et ses lois pour accélérer la construction de logements. Les municipalités s’efforcent de faire la même chose, mais elles sont prises avec un système antédiluvien. Il faut faire une révision entière à l’échelle nationale pour arranger les choses.
Le gouvernement fédéral peut exercer un rôle de leadership. Un mandat clair d’accorder la priorité au logement pourrait être confié à chaque gouvernement. Cette stratégie est simple en apparence, mais lorsque des intérêts concurrents coexistent, il arrive que les priorités se diluent dans les politiques.
Il faut réunir les dirigeants du secteur, mener des études et en retirer des pratiques exemplaires. Nous n’avons pas à regarder ce qui se fait à l’étranger; de nombreux exemples de bonnes pratiques d’approbation existent à Calgary ou dans le Canada atlantique.
Ensuite, si nous le pouvons, il faut créer un système national uniforme — un système de référence — qui fonctionne le plus possible pour tout le monde. Cette ligne d’approche consisterait entre autres à essayer de se défaire le plus possible du système d’approbation, à désigner des sites de zonage préliminaire et à supprimer les normes de zonage trop rigides.
Le gouvernement fédéral peut apporter une contribution en mettant en place des mesures incitatives à l’intention des municipalités — qui ont le pouvoir de modifier ces éléments — pour concrétiser la construction de logements, éliminer les processus multiples et réduire les exigences relatives aux études.
Un élément sur lequel j’aimerais que le comité se penche est la consultation d’experts. Nous avons tendance à tout faire réviser par les pairs. Le travail des architectes et des ingénieurs est révisé à outrance. Une seule révision suffirait. Fions-nous à leur titre professionnel.
Finalement, au sujet de la pénurie de personnel, le gouvernement fédéral pourrait faire la promotion, au moyen de financement et de concert avec les collèges et les universités, des disciplines liées à l’aménagement du territoire. Il pourrait également faire de ce secteur une priorité dans les politiques d’immigration. Il a été question tout à l’heure des travailleurs étrangers temporaires qui viennent au Canada. Donnons-leur accès à un parcours vers la résidence permanente s’ils possèdent les qualifications et la formation dans ces disciplines.
Merci.
Le président : Merci, monsieur McKay.
Chers collègues, je proposerais quatre minutes par sénateur pour la première série de questions. Nous commençons avec le vice-président.
Le sénateur Varone : Ma question est très simple : sommes‑nous prêts? La personne qui a témoigné avant vous ne pouvait pas affirmer avec certitude que les prix baisseraient même si nous avions une baguette magique et que nous réduisions les taxes sur les logements qui entrent dans le marché. Les prix seraient-ils réduits?
Ma question porte sur l’offre et la demande. L’offre à venir sera-t-elle assez grande au pays pour assurer une véritable concurrence si jamais le gouvernement était prêt à réduire les coûts ou à enlever les barrières à l’entrée? La magie de l’offre et de la demande opérerait-elle pour maintenir les prix à la baisse?
M. McKay : C’est une question complexe en raison des nombreuses variables que cela comporte.
À propos de l’offre et de la demande, l’offre est tout simplement trop restreinte. Les logements en construction aujourd’hui ont été approuvés il y a cinq ou sept ans, et leur construction avait été planifiée cinq ou sept ans auparavant. Il faut passer par un processus qui dure des années et des décennies avant que les logements ne soient occupés.
L’offre ne satisfera jamais à la demande si nous gardons le statu quo, notamment dans la portion des taxes et des droits d’aménagement. Ces modifications aideraient les projets à se concrétiser, surtout dans le climat difficile actuel.
Il faudrait aussi éliminer le système d’approbation ou le réduire le plus possible pour arriver plus rapidement au stade du permis de construire. En écourtant le processus de deux ou trois ans, les logements seront construits deux ou trois ans plus tôt et cela contribuera à arriver au niveau d’offre qui n’existe pas aujourd’hui.
Certains professionnels disent qu’un nombre considérable de logements sont approuvés, mais ces logements ont déjà été pris en compte dans les chiffres. Il faudrait construire 1,5 million de logements pour rendre les choses plus abordables et atteignables.
Le sénateur Varone : La province de l’Ontario a sommé par voie législative les municipalités d’accélérer le processus d’approbation. Les municipalités ont créé un processus de préapprobation qui a tout simplement déplacé tout le fardeau avant le stade de présentation de la demande. Pourriez-vous expliquer comment cela fonctionne?
M. McKay : La province a imposé en quelque sorte des pénalités financières aux municipalités. Ainsi, les municipalités qui ne traitent pas les demandes dans des délais raisonnables doivent rembourser les frais de soumission de la demande. Ces frais s’élèvent à 1 million de dollars pour un projet de tour d’habitation à Toronto. C’est énorme.
Cette mesure les a incités à se dire que dans la mesure où le processus devait être suivi, il valait mieux, dès le départ, mener les préconsultations, transmettre les commentaires et s’assurer que le projet est parfait, avant la soumission officielle de la demande. Si cela n’est pas fait, la demande est considérée comme incomplète et le projet est bloqué.
Lorsque les gens étaient prêts à travailler avec les municipalités et à suivre ces étapes — si les deux parties étaient sur la même longueur d’onde, tout allait bien —, cela ne ralentissait pas le système. La phase de négociations de huit mois ou d’un an faisant partie du processus formel s’effectue maintenant en amont sans garantie de résultat.
Un grand nombre de statistiques produites par les municipalités — dont M. Norman a parlé — indiquent une réduction des délais, mais cela est dû au changement en question, car les municipalités ont seulement tenu compte dans leurs calculs du processus d’approbation officiel.
[Français]
La sénatrice Henkel : Merci d’être là, monsieur McKay.
Le coût environnemental de la démolition est souvent négligé. Quelles politiques d’aménagement et de design pourraient encourager les municipalités et les constructeurs à privilégier la rénovation et la réutilisation de l’enveloppe et des structures existantes plutôt que la démolition systématique, afin de préserver le parc existant et réduire l’empreinte carbone?
[Traduction]
M. McKay : Merci de cette question. Ceux qui ont rénové leur maison savent que c’est difficile. Il coûte beaucoup moins cher de démolir complètement que de rénover, il y a donc un élément financier à prendre en compte.
D’un point de vue environnemental, c’est parfois préférable. Certains bâtiments présentent tellement de problèmes structurels, ainsi que des problèmes liés à l’amiante, au plomb et autres, qu’il est impossible de rentabiliser leur rénovation.
Tout dépend des incitatifs pour aider à rénover ces bâtiments, quand cela est possible. Les primes de densité, sans avoir à passer par un processus d’approbation en soi, seraient une option. On pourrait évidemment envisager des incitatifs financiers.
En fin de compte, si la rénovation est possible et que le processus d’approbation présente des avantages, les gens sauteront sur l’occasion.
Il y a un certain nombre de grandes demandes de constructions de logements qui concernent des ressources patrimoniales, et les promoteurs font le choix de conserver ces ressources patrimoniales, de les rénover, si possible, ou de les intégrer dans le nouvel aménagement. De nombreuses municipalités offrent des primes et des incitatifs à cet égard.
La sénatrice Marshall : Merci d’être ici. J’ai trouvé votre allocution d’ouverture très utile.
Vous avez dit que le processus d’approbation pouvait prendre entre un et quatre ans, et cela juste pour l’approbation.
Combien de temps faut-il pour la construction? Quel est le délai moyen? Si l’approbation prend quatre ans, combien de temps faut-il attendre avant de pouvoir emménager dans un nouvel appartement?
M. McKay : Merci. Cela dépend du type de produit envisagé et de son ampleur. Pour un immeuble de hauteur moyenne, généralement jusqu’à environ 10 étages, avec peut-être deux niveaux de stationnement souterrain, le processus de construction dure environ trois à quatre ans. S’il s’agit d’un immeuble plus grand, comme certains de ceux du centre-ville de Toronto, des immeubles très grands et à plusieurs étages, cela peut prendre jusqu’à cinq ou six ans. Cela dépend de la complexité de la structure et de l’ampleur des travaux souterrains à réaliser.
En général, une fois que vous avez dépassé le niveau du sol et le podium, c’est-à-dire la base du bâtiment, la tour proprement dite est pratiquement un modèle standardisé. Cela accélère un peu le processus, mais il faut tout de même compter plusieurs années de construction.
La sénatrice Marshall : Le gouvernement investit des milliards de dollars dans toutes sortes de projets immobiliers. Si l’on parle d’un délai d’un à quatre ans pour l’obtention des autorisations, puis de trois à quatre ans pour la construction, certains des programmes immobiliers annoncés aujourd’hui ne verront pas le jour avant cinq ou six ans. S’agit-il là d’une moyenne, pensez-vous que c’est moins long ou que je suis trop pessimiste?
M. McKay : Je ne pense pas que vous soyez trop pessimiste, et c’est là tout l’objet de ma discussion. Le processus d’approbation, cette partie que nous contrôlons, que le gouvernement contrôle, peut être raccourci.
Il n’y a aucune raison pour qu’un immeuble de moyenne hauteur à Calgary puisse obtenir une autorisation en huit mois et qu’à Toronto, cela prenne quatre ans. Il n’y a aucune raison pour que ce soit ainsi pour le même type de bâtiment et de terrain; il ne devrait pas y avoir une telle différence. Cela ne devrait pas prendre autant de temps.
Et une partie du problème vient du fait que l’on a rendu les choses trop complexes. On ajoute diverses questions relatives aux arbres, aux services, à la conception architecturale, etc., puis le promoteur y répond, les examine, recommence et tente de les régler en disant: « Oh, cela n’a pas fonctionné pour l’autre projet, essayons donc de le régler celui-ci. » Cela ajoute à la complexité. C’est inutile.
On doit se concentrer sur la volonté de construire des logements. Le site est-il approprié? Peut-il être desservi? On parle ici des services et de la circulation. Quelle garantie avez‑vous pour le construire? Quand le constructeur pourra-t-il commencer? Si on lui donne l’autorisation, on veut qu’il demande un permis de construire et qu’il mette les travaux en chantier plutôt que de pontifier sans cesse sur l’emplacement des arbres par rapport à la façade du bâtiment et au trottoir.
La sénatrice Marshall : Je trouve incroyable que le gouvernement fédéral annonce la construction d’immeubles de grande hauteur et de 1 000 logements, alors qu’après vous avoir entendu parler, il est fort probable que personne n’emménagera dans ces nouveaux logements avant peut-être six ans.
Le gouvernement met en place tous ces nouveaux programmes, en plus de Maisons Canada et de nouvelles agences, il jette toutes ces bases, et on ne verra pas vraiment les fruits de ce travail avant six ou sept ans. Est-ce bien ce que vous nous dites?
M. McKay : Oui. Si nous conservons les mêmes systèmes d’approbation — et la Colombie-Britannique et l’Ontario ont les pires —, vous avez raison. L’emménagement ne se fera pas avant des années.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.
Le sénateur Fridhandler : Merci. Vers la fin de votre allocution, vous avez commencé à parler de solutions. Lorsque vous avez évoqué le fait de se fier aux certifications des experts, cela m’a fait penser à une analogie avec l’industrie aéronautique, y compris, peut-être, Boeing et la fabrication des avions, mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet.
Pour la plupart des compagnies aériennes, leur atelier d’entretien est accrédité et contrôle lui-même ses activités. Il est inspecté de temps à autre, mais il est accrédité pour mener à bien ses opérations. Je me dis simplement que dans le secteur du bâtiment, du moins pour les constructeurs expérimentés, les grands constructeurs, pas les petits, serait-il envisageable qu’ils soient accrédités pour contrôler eux-mêmes en grande partie le développement d’un projet? Cela permettrait d’économiser trois ans de travail à la mairie et peut-être de faire venir des inspecteurs pour contrôler les grands constructeurs qui vérifient eux-mêmes leur conformité aux règles d’aménagement?
M. McKay : C’est effectivement le cas dans une large mesure dans le processus d’octroi des permis de construction. Le responsable de l’examen des permis vérifie la conformité au code, et si tout est en règle, l’architecte, l’ingénieur civil ou l’ingénieur en structure appose son cachet et le permis est délivré. Ainsi, selon l’endroit où l’on se trouve et l’ampleur du projet, le processus d’examen ou d’octroi du permis de construction peut prendre entre un jour et trois mois.
On pourrait faire la même chose pour le processus d’approbation. Il n’y a aucune raison pour qu’une accréditation en tant que planificateur professionnel soit remise en question en permanence si on respecte toutes les politiques et réglementations imposées. C’est comme pour un architecte. Ils connaissent l’architecture. Il ne devrait pas y avoir d’autres professionnels, des non-architectes, qui disent à l’architecte qu’il devrait faire autrement. Cela crée un cycle infernal de commentaires et de révisions. C’est la même chose pour les ingénieurs civils. Ils apposent leur cachet sur les plans, ils savent ce qu’ils font et ils ont été formés pour cela. On pourrait les accréditer, se fier à ces accréditations et effectuer des contrôles ponctuels, comme vous l’avez dit. Comme dans tout domaine, il y aura des personnes qui ont une certaine réputation. Si on ne sait pas si on peut faire confiance à quelqu’un, car ses projets connaissent sans cesse des problèmes à cause de petits détails et qu’il faut y remédier, on va le surveiller de près. Mais il y a d’autres personnes sur lesquelles on peut compter. Je pense que c’est une possibilité.
Le sénateur Fridhandler : Écarter un peu les services de planification du processus.
M. McKay : Je déteste dire cela à propos de mes collègues, mais je pense que nous nous sommes placés dans une position où nous sommes désormais des gardiens plutôt que des facilitateurs, alors qu’il faut des facilitateurs pour résoudre ce problème national.
Le sénateur Fridhandler : Dans le même ordre d’idées, vous avez cerné toute une série de problèmes et, à la fin, vous avez présenté quelques solutions. Y a-t-il autre chose dont vous ne nous avez pas parlé parce que vous risqueriez d’offenser vos collègues en évoquant certaines solutions?
M. McKay : Je ne veux pas offenser mes collègues, mais on doit se concentrer sur ce qui compte vraiment. Il faut changer la façon dont le secteur voit son rôle. Il faut abandonner la mentalité de gardien, faciliter les projets, faciliter le logement, et l’on ne va pas toujours réussir, mais encore une fois, je vais à Calgary et je travaille avec ce service d’urbanisme. Ils facilitent le processus d’approbation des projets. Je vais dans d’autres municipalités, et ce n’est pas la même chose. Changer est possible.
Pour l’anecdote, j’ai fait tout le travail pour Target en Ontario lorsqu’ils sont arrivés au Canada. À un moment donné, nous avons obtenu l’approbation et le permis pour un centre de distribution de 1,8 million de pieds carrés en deux mois à Milton, en Ontario, parce que la municipalité a facilité le processus et voulait que cela se fasse. Nous pouvons faire la même chose avec le logement.
La sénatrice Wallin : C’est un peu une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle, monsieur McKay. Heureusement que vous n’êtes pas dans l’industrie minière, où, dans l’Ouest canadien, il faut 19 ans pour obtenir l’autorisation d’exploiter une mine et extraire certains minéraux essentiels du sol, donc…
M. McKay : Mes collègues s’occupent des mines et des carrières, et oui, cela leur prend des décennies pour mener à bien leurs projets.
La sénatrice Wallin : Exactement. Et l’autre problème, c’est que nous voulons tous un programme national et que nous ne cessons de le réclamer, mais nous avons du mal à faire le minimum en matière de commerce intérieur. J’ai quelques questions simples et rapides à poser.
Qu’est-ce qui est le plus facile à faire approuver : un condo haut de gamme ou un logement social?
M. McKay : Je dirais que cela dépend de l’endroit où vous vous trouvez, car les enjeux varient. Si vous proposez un projet de logements abordables au cœur de Forest Hill, vous allez rencontrer des difficultés. Si vous vous trouvez dans une zone à faibles revenus et que vous proposez des logements abordables, vous risquez également d’avoir des problèmes, car il existe un certain préjugé négatif à l’égard de ce type de projet. Il faut trouver un bon équilibre. En fin de compte, la plupart des projets de logements abordables sont subventionnés d’une manière ou d’une autre par le gouvernement, car ils ne sont pas rentables. Ce sont donc les logements à revenus mixtes, qui reposent sur des partenariats entre les promoteurs immobiliers et le gouvernement, qui fonctionnent vraiment. Le réaménagement de Regent Park à Toronto a été un succès incroyable, avec de nombreux logements abordables et de nombreux projets à revenus mixtes. C’est donc le mélange qui me semble le plus judicieux.
La sénatrice Wallin : Bonne réponse, cela m’aide beaucoup.
La question est un peu arbitraire, mais qu’est-ce qui représente le plus gros obstacle : la santé et la sécurité, l’environnement, les pistes cyclables, les arbres? Vous avez mentionné les arbres à plusieurs reprises, mais c’est une question de design.
M. McKay : C’est l’une de mes bêtes noires en ce moment. Ne vous méprenez pas, il y a des questions importantes à traiter concernant les arbres, les trottoirs et d’autres choses de ce genre. Le problème, selon moi, c’est que l’on en discute au mauvais moment. Ce sont des détails qui peuvent être réglés sur place plutôt que dans le cadre d’un processus d’approbation. Il faut simplifier ce processus. En général, les arbres et autres éléments sont placés au bon endroit. Réglons cela sur le chantier. C’est ce qu’il faut faire. C’est ce que l’on fait actuellement, lorsque l’on propose quelque chose qui ne fonctionne pas. Il faut le changer. On le change rapidement, on le fait. « Inspecteur, est-ce que cela vous convient? Oui? Allons-y. » C’est ce qui devrait se passer. Le problème, c’est que l’on est tellement concentrés sur les menus détails que cela entrave le résultat principal, qui est l’approbation des logements ou, franchement, de toute autre construction.
La sénatrice Wallin : Oui, avant que les pelles ne touchent le sol.
M. McKay : Avant que les pelles ne touchent le sol.
La sénatrice Wallin : Et avant de choisir la décoration de l’entrée principale. C’est bien. Merci.
Le sénateur Yussuff : Merci d’être ici. Je vis à Toronto, donc je suis confronté aux embouteillages et je pourrais avoir une toute autre conversation à ce sujet.
Il est évident que l’expérience de Calgary mérite d’être étudiée, afin de comprendre pourquoi elle est si différente de celle de Toronto et d’autres villes comme Vancouver. Je sais également qu’à Toronto, on ne dispose pas d’autant de terrains pour construire dans la ville, ce qui rend les terrains constructibles très précieux. Il y a toujours de nombreux débats sur la manière de procéder pour trouver un meilleur équilibre en matière de revenus municipaux, tout en offrant suffisamment d’options de logement aux habitants.
Compte tenu de la plupart des défis auxquels nous sommes confrontés aux niveaux municipal et provincial, à part une convocation du gouvernement fédéral à une réunion pour dire aux gens que nous devons faire mieux, comment pouvons-nous changer les perceptions, apporter un changement significatif et rapide, et transformer la façon dont on construit des logements dans ce pays? L’exemple de Calgary est excellent; c’est tout simplement inacceptable. Comment changer l’attitude, étant donné que les municipalités n’aiment pas recevoir d’ordres du gouvernement fédéral et que les autorités provinciales considèrent que cela relève de leur domaine? C’est une question pratique, et je vous demande, d’après votre expérience, que faut‑il faire?
M. McKay : Tout d’abord, je pense que les gens commencent à comprendre. J’ai constaté un changement au cours des deux dernières années dans le processus d’approbation des différentes municipalités. Elles reconnaissent que nous sommes dans une situation de crise. Je pense que c’est une bonne chose.
En ce qui concerne le gouvernement fédéral, lorsque je regardais les différents débats sur ce sujet, quelqu’un a dit que tout était une question d’argent. Tout est une question de mesures incitatives ou dissuasives.
Encore une fois, je sais que les municipalités n’aiment pas que le gouvernement fédéral ou provincial leur dise quoi faire, mais parfois ils doivent le faire parce que c’est pour le bien du pays. Il faut écouter les bons conseils et essayer de changer les choses. Le statu quo ne fonctionnera pas.
Franchement, mon fils a décidé de ne pas vivre à Toronto. Il reste à Halifax, car c’est une ville beaucoup plus abordable et agréable à vivre. Les gens vont devoir modifier considérablement leur mode de vie en raison de la crise à laquelle nous sommes confrontés.
Comme je l’ai mentionné à propos du système d’immigration, c’est quelque chose que le gouvernement fédéral contrôle, en faisant de certaines professions une priorité, puis en travaillant avec les différentes associations d’accréditation professionnelle, afin de simplifier les processus pour les nouveaux arrivants. Il ne sert à rien de faire venir un ingénieur civil d’ailleurs et de lui dire ensuite qu’il ne pourra pas exercer son métier pendant cinq ans parce que l’on ne reconnaît pas son accréditation d’un autre pays. Il en va de même pour les médecins.
Malheureusement, notre système est tel que les provinces ont beaucoup de pouvoir, et je pense que c’est là où un rôle de leadership peut aider, en particulier entre les différentes administrations.
Le sénateur Yussuff : Mon collègue vous a posé une question concernant les mesures prises par l’Ontario pour inciter, en quelque sorte, les municipalités à agir plus rapidement.
M. McKay : Oui.
Le sénateur Yussuff : En ce qui concerne les mesures incitatives et dissuasives, existe-t-il des données suggérant qu’elles modifient les habitudes des municipalités dans leur manière d’aborder les problèmes?
M. McKay : Chose certaine, pour ce qui est des moyens de dissuasion, je dirais que le résultat a été très mauvais, car les municipalités ont essentiellement décidé qu’elles n’allaient pas perdre le revenu des frais de demande parce qu’elles étaient trop lentes, et elles ont donc changé les règles. Elles vont forcer les promoteurs à suivre un processus avant de présenter ces demandes pour qu’elles puissent prendre une décision pendant le même laps de temps.
D’un autre côté, lorsqu’elles ne procédaient pas de cette façon, elles acceptaient la demande. Cependant, même si elles aimaient un projet, elles le refusaient parce qu’elles avaient une décision à prendre. Elles refusaient également des projets parce qu’il y avait encore beaucoup de problèmes à régler — je ne vais pas reparler des arbres. Il y avait beaucoup de choses à régler, et pour ne pas perdre cette source de revenus, elles rejetaient donc des projets parce qu’elles devaient prendre une décision. À ma connaissance, aucun promoteur n’a forcé la municipalité à rembourser ces frais dans ce système.
L’autre chose à considérer, c’est que la province disait aux municipalités que si elles approuvaient rapidement les permis de construction, selon le nombre d’approbations accordées au cours d’une année donnée, elle allait leur donner de l’argent pour financer certaines choses. Les municipalités ont réagi favorablement.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup de votre franchise, même si vous mettez l’accent sur la végétation. Les incitatifs sont importants.
Quand je vous écoute, je suis étonné de voir que, peu importe le marché cible d’un promoteur — les logements subventionnés ou les logements haut de gamme —, le processus que nous avons actuellement fait augmenter le coût de base par pied carré au point où la différence de coût des logements de luxe finit par être une erreur d’arrondissement d’un côté. Nous avons vraiment fait augmenter le coût du marché dans son ensemble, peu importe ce que nous construisons. Si nous ne réglons pas ce problème, nous n’allons pas faire de progrès. Est-ce un bon résumé de la situation?
M. McKay : Oui, c’est un très bon résumé de la situation. Mon entreprise a très bien réussi à obtenir les approbations pour les gens, et c’est la raison pour laquelle elle prospère. Si vous réduisez de 4 à 5 % dans le système ces coûts liés au processus d’approbation, vous allez changer les choses.
Le sénateur C. Deacon : Car ils sont payés en amont, et les gens doivent les rentabiliser sur une période de 14 ans.
M. McKay : Oui. Et le problème est, comme je l’ai dit, que ce n’est pas seulement dans le secteur privé; les organismes sans but lucratif se heurtent au même problème.
Le sénateur C. Deacon : C’est ce qui m’a vraiment frappé ici. Peu importe l’extrémité du marché où on se trouve, le coût d’ensemble est plus élevé, au point où la différence de coût des logements de luxe devient une erreur d’arrondissement à la fin du calcul. On ne choisit pas entre une maison à 500 $ le pied carré et une autre à 1 500 $; elles sont toutes à 1 500 $ et plus. Je pense que les incitatifs fédéraux sont très importants.
Quels exemples avez-vous de municipalités qui s’efforcent de faire les approbations en parallèle plutôt qu’en série? Est-ce utile de pousser pour faire quelque chose plutôt que d’avoir cette séquence...
M. McKay : Comme je l’ai dit, l’un des problèmes avec les municipalités, lorsque l’Ontario a essayé de changer son système, c’est qu’elles ont été nombreuses à dire qu’elles n’allaient accepter qu’une demande à la fois. Encore une fois, c’était une conséquence imprévue de cette mesure.
Auparavant, nous avions toujours traité les demandes en même temps. Une partie du problème, c’est que nous avions une modification du plan officiel, une modification du règlement de zonage, une approbation du plan du site et un plan de subdivision seulement pour la première partie de la demande. Il y a de multiples processus, et pour les suivre tous en même temps, il faut une éternité. Si on les suit tous simultanément, mais qu’on demande chaque détail et qu’on revoit sans cesse les détails, il y aura des retards. Il faut simplifier le système autant que possible, en ayant une approbation puis un permis de construction.
Le sénateur C. Deacon : Vous n’avez pas besoin de répondre ici, mais si vous avez des données qui commencent à montrer comment tout le système coûte plus cher, un rapport à nous présenter, ce serait très utile. Je pensais que les logements subventionnés étaient peu coûteux et que les logements de luxe coûtaient très cher, mais ce que nous voyons, c’est que ces chiffres se ressemblent beaucoup plus à cause de ce processus. Si vous avez des données à l’appui, ce serait vraiment formidable. Merci.
M. McKay : Merci.
Le sénateur Dalphond : Bienvenue au comité. Vous êtes à Toronto. Il y a deux semaines, l’agence Maisons Canada a annoncé un grand projet à Toronto, dans la région de Black Creek. Le gouvernement fédéral injectera de l’argent pour faire construire les systèmes d’égouts et assurer ainsi la réalisation du projet de logements. C’est correct, car ce sont des terres publiques. Une entreprise privée ayant un projet d’aménagement doit payer les coûts d’aménagement, et on a donc donné des subventions à Toronto pour construire un système d’égouts et le système d’aqueduc. C’est légitime. C’est une bonne chose. Cela fera en sorte, apparemment, qu’on pourra construire jusqu’à 350 000 logements dans cette région, ce qui est considérable. On dit toutefois qu’on va construire dès maintenant 440 nouveaux logements dans le quartier Arbo Downsview, à Toronto. Si j’ai bien compris en vous écoutant, est-ce que cela signifie qu’on va construire 440 nouveaux logements d’ici cinq ans?
M. McKay : Merci, sénateur. Les plans pour le projet du quartier Arbo ont été approuvés en 2019. C’est donc approuvé depuis longtemps, mais rien n’a été construit.
Je dirais qu’il est probable que ces 400 ou 500 logements soient construits. Je pense aux terrains, et à ma connaissance, c’est un immeuble de hauteur moyenne et un autre de grande hauteur. Il faut donc de trois à cinq ans pour les construire. Ils ont été approuvés il y a longtemps.
Le sénateur Dalphond : Je vois. Cette partie des démarches est réglée.
M. McKay : Oui.
Le sénateur Dalphond : La semaine dernière, je pense qu’on a envoyé une demande de qualification pour faire construire ces 400 à 500 logements. Le processus de sélection permettra d’identifier les équipes de conception-construction ayant une expertise reconnue dans le domaine des maisons préfabriquées et pour d’autres méthodes de construction, y compris les constructions préfabriquées et modulaires. Cela permettra-t-il d’accélérer le processus qui nécessite de trois à quatre ans? Pourrait-on terminer les travaux l’année suivante?
M. McKay : Ce ne sera pas l’année suivante, mais on gagnerait du temps, selon le produit choisi.
Ces éléments sont en partie construits hors chantier puis acheminés sur place pour les attacher à l’immeuble ou les mettre dans l’immeuble.
Les éléments en bois massif, par exemple, sont construits dans une usine puis expédiés d’un bout à l’autre du pays pour être installés sur place. Cela permet de gagner du temps en ne faisant pas le travail sur le chantier; on fait venir ces éléments pour les installer.
Le sénateur Dalphond : Je comprends donc que le projet a déjà été approuvé. On se servira de techniques novatrices et d’éléments préfabriqués. Peut-on alors s’attendre à ce que le projet soit réalisé ou achevé, pour qu’on puisse au moins vivre dans les logements — peut-être sans la pelouse et les arbres —, d’ici un an ou deux ans maximum?
M. McKay : Je ne suis pas expert en construction, mais je m’en tiens encore à environ trois ans pour un projet d’immeuble de hauteur moyenne. On a peut-être gagné six mois, selon les différentes techniques utilisées.
Une grande partie de cela dépend du stationnement, qui peut être souterrain ou en surface. On peut également économiser ainsi beaucoup de temps et d’efforts.
Le sénateur Dalphond : Et au total, combien y a-t-il de projets déjà approuvés pour lesquels il ne faut plus que les promoteurs passent à l’action?
M. McKay : J’ai entendu dire que 100 000 maisons ont été préapprouvées.
Le sénateur Dalphond : S’agit-il de maisons ou d’unités?
M. McKay : Ce serait des unités. Je crois que ces chiffres englobent des régions au zonage préapprouvé, pour lesquelles aucun promoteur n’a présenté de demande.
Et chose certaine, ces chiffres augmentent à mesure que la situation économique empire. Beaucoup de promoteurs se retirent de projets de construction. Ils examinent tous la situation et disent qu’ils ont besoin de leurs approbations; ils seront prêts à entamer les projets lorsque le marché ira mieux.
Le sénateur Dalphond : Et si un promoteur se montrait intéressé, combien de temps faudrait-il pour que le projet soit approuvé?
M. McKay : Cela dépend de l’étape du processus où on est rendu.
Le sénateur Dalphond : Prenons par exemple les cas où le projet est déjà approuvé. Pouvez-vous me transmettre la réponse par écrit?
M. McKay : Oui, ou nous pourrions en parler après la réunion.
Le sénateur Loffreda : Monsieur McKay, bienvenue et merci d’être parmi nous. Il est formidable d’avoir le point de vue d’un urbaniste et d’un promoteur résidentiel.
Vous nous avez laissé une liste de quatre recommandations. Premièrement, le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de premier plan, en accordant la priorité au logement. Je pense que c’est ce qu’il a fait. Nous savons tous que c’est très clair pour tout le monde.
Deuxièmement, il faut rassembler les dirigeants de l’industrie. Je pense que c’est la deuxième fois que nous essayons de le faire ici, au Comité des banques, du commerce et de l’économie, où nous avons de nombreux experts présents, et nous en avons fait comparaître beaucoup.
Je vais me concentrer sur les deux dernières recommandations. Vous avez dit que le système de base fonctionne pour tout le monde. Si c’est possible et si vous avez le temps, pouvez-vous en dire plus à ce sujet?
Cela dit, ce qui me préoccupe et ce que j’ai entendu jusqu’à maintenant, c’est que les taxes sont un gros problème. Nous nous sommes penchés là-dessus et nous savons que c’est énormément problématique. Les taxes sont payées par les promoteurs, qui peuvent ensuite récupérer cet argent en faisant payer plus le consommateur. Je pense que ce sera le cas, du moins en partie.
Cependant, ce qui me préoccupe le plus, ce sont les normes de zonage, les multiples processus, l’étude, l’analyse et l’approbation des projets de construction qui peut prendre de deux à quatre ans.
Puisque la planification et le zonage sont des responsabilités municipales, selon vous, quel rôle le gouvernement fédéral peut‑il jouer pour promouvoir des projets de logement de grande qualité et dont la conception est axée sur l’humain?
Existe-t-il des modèles d’incitation ou des critères de financement qui pourraient mieux cadrer avec une bonne conception et des résultats durables? Que recommandez-vous à ce sujet?
Les multiples processus — comme dans une société par actions, avec de multiples niveaux de gestion — sont comme des couches de vêtements; on ne sait jamais quelle est la température extérieure. On s’éloigne de plus en plus du client et de la réalité, et c’est ce qui se produit dans le marché du logement.
M. McKay : Vous avez raison de dire qu’il est difficile pour le gouvernement fédéral de vraiment orienter...
Le sénateur Loffreda : Comme l’a dit la sénatrice Wallin, nous ne pouvons même pas toucher aux barrières interprovinciales. Si nous les éliminons, notre PIB augmentera de 3 %, et nous ne pouvons pas le faire.
M. McKay : C’est le principal obstacle à surmonter. Je pense que cette étude ainsi que d’autres études pour tenter de sensibiliser les gens font en sorte que les provinces et les municipalités comprennent. Il s’agit de savoir comment nous pouvons accélérer le rythme pour qu’ils parviennent à un système moins lourd.
La question des incitatifs est un élément important à cette fin. Je sais que c’est essentiellement une question d’argent, mais je ne vois pas trop comment le gouvernement fédéral pourrait inciter d’autres ordres de gouvernement à négocier et à faire avancer les choses, surtout lorsque, au bout du compte, ils ont le pouvoir de mettre un frein aux démarches et de tout contrôler. C’est vraiment un dilemme auquel je n’ai pas de bonne solution.
Le sénateur Loffreda : C’est la question. Prenons le Québec. Dès que d’excellentes mesures incitatives sont mises de l’avant, le gouvernement provincial intervient en disant que c’est sa région. C’est la même chose partout au Canada. Nous fonctionnons tous de manière très distincte.
Je ne sais pas s’il y a une solution, si ce sera pragmatique. C’est une excellente recommandation — les normes de zonage — si nous trouvons une solution, mais vous ne semblez pas en avoir une, et je n’en ai pas entendu beaucoup, pour être honnête avec vous.
M. McKay : Je pense que, au bout du compte, il faut continuer de reconnaître que nous traversons une crise et changer cette mentalité en continuant de répéter que nous devons résoudre le problème. Les gens finiront par comprendre.
C’est un peu comme regarder le cycle de nouvelles. Dès qu’on ne parle plus d’une catastrophe qui a eu lieu, tout le monde cesse d’y penser. Il ne faut donc pas lâcher prise si nous le pouvons.
Le sénateur Loffreda : Si nous en faisons une condition par rapport à ce que le gouvernement fédéral contrôle — par exemple, nous pourrions financer le transport s’ils font le nécessaire en matière de logement —, cela pourrait être une recommandation.
M. McKay : Ce serait une approbation conditionnelle. On accorde beaucoup d’importance à l’aménagement axé sur les transports en commun, le financement des métros, des autobus et ainsi de suite — le gouvernement fédéral dirait qu’il le fera si on construit sans tarder des logements autour de ces stations.
Le sénateur Loffreda : Au moins, nous avons une solution.
La sénatrice Ringuette : J’ai une petite question. Lorsque nous avons commencé cette étude, les autorités fédérales responsables du logement nous ont dit que depuis de nombreuses années, elles investissent des millions pour réduire les « formalités administratives municipales ». Avez-vous observé une réduction de ces formalités?
M. McKay : Dans certaines administrations, oui. Dans celles qui souffrent le plus de la crise du logement, non. À l’extérieur de la vallée du Bas-Fraser et de la région du Grand Toronto, on voit qu’on a recours à un processus raisonnable. Je ne sais pas si c’est une réduction des formalités, mais ce n’est certainement pas un long processus; dans ces autres régions, ce n’est pas le cas. Et c’est là que les provinces tentent de s’attaquer au problème de différentes façons pour accélérer les choses.
La sénatrice Ringuette : Merci.
La sénatrice Martin : Je suis la dernière intervenante, mais j’ai entendu beaucoup de choses, et on a répondu à certaines de mes questions. Vous dites que nous n’avons pas besoin de regarder au-delà de nos frontières, que nous avons de bons exemples au Canada, et vous avez décrit ce qui ne va pas et ce que nous devons régler.
Pour quelle raison la ville de Calgary ou la ville de Milton sont-elles aussi efficaces comparativement à ces autres administrations?
M. McKay : Encore une fois, je pense que c’est une mentalité au sein de la municipalité, dans les services de planification, où on s’efforce de faciliter les choses, d’exécuter les travaux de construction, de les faire progresser.
Dans le cas de Calgary, on a simplifié les systèmes pour ne plus avoir à suivre de multiples processus. Calgary a toujours été très efficace, tout comme Edmonton.
Je n’ai pas le temps de raconter une anecdote, mais c’est parce qu’on peut construire des logements très rapidement en Alberta, sans les formalités administratives.
Dans les endroits où il y a des formalités administratives, nous devons changer la mentalité. Plutôt que d’ajouter des couches au processus et de le rendre complexe, il ne faut pas perdre de vue l’objectif d’offrir des logements le plus rapidement possible et d’enlever des couches. Il faut enlever des couches et obtenir des résultats concrets.
C’est une question de mentalité. Dans le cas de Milton, on a voulu que cela se fasse sur place, en reconnaissant que c’est un important moteur économique et en demandant ce qui pouvait être fait pour laisser le champ libre.
La sénatrice Martin : Il serait bon d’avoir un endroit où on compare toutes les villes afin de les inciter à faire mieux, car nous avons ces bons exemples.
C’est une question intéressante. Votre entreprise représente les promoteurs et les municipalités, n’est-ce pas?
M. McKay : En effet.
La sénatrice Martin : Comment faites-vous alors pour trouver un équilibre entre l’abordabilité du logement et la stabilité des recettes des municipalités lorsqu’il est question des droits d’aménagement? Quel travail faites-vous avec les municipalités?
M. McKay : Notre travail ne porte pas sur l’aspect financier des droits d’aménagement. Nous nous concentrons sur l’élaboration des politiques et, dans bien des cas, nous nous rendons sur place et nous agissons en tant que service de la planification dans les petites municipalités ou les municipalités de taille moyenne pour faciliter ces processus.
La sénatrice Martin : Les municipalités avec qui vous travaillez ont-elles alors un processus plus simple grâce à vos conseils?
M. McKay : C’est ce que nous tentons de faire. Parfois, cela dépend des problèmes auxquels nous faisons face. Comme l’a dit la sénatrice Wallin, pour ce qui est des carrières et des sablières, il y a beaucoup d’enjeux et d’aspects environnementaux; c’est compliqué. Cependant, pour trouver une solution au manque de logements, oui, nous essayons de faciliter le processus pour qu’il soit le plus rapide possible.
Le président : Merci. Nous avons le temps pour une dernière question de notre vice-président.
Le sénateur Varone : Monsieur McKay, un de nos témoins précédents a beaucoup parlé du zonage de plein droit et du plan officiel qui a permis d’accorder ce type de zonage. Est-il possible pour le gouvernement fédéral d’encourager l’adoption de plans officiels qui prévoient un zonage de plein droit dans le but de créer un système plus rapide?
M. McKay : Je pense que votre collègue à ma droite a dit qu’il faut établir un lien avec d’autres mécanismes de financement — des choses que vous contrôlez. Le transport en commun est un excellent exemple. Plutôt que de se contenter du strict minimum de ce qui existe aujourd’hui en ce qui concerne la densité démographique ou d’en faire seulement un peu plus — disons, des immeubles de trois étages —, nous pourrions renoncer à cette approche et dire que nous pouvons construire beaucoup de logements près des transports en commun et que le gouvernement fédéral investira là-dedans.
Nous pourrions notamment essayer de créer des collectivités axées sur le transport en commun, faire en sorte que les investissements dans le transport en commun englobent également les aspects liés aux services d’ingénierie et au raccordement aux services publics — comme on l’a fait au quartier Downsview pour essayer d’encourager la construction de logements.
On pourrait éliminer ces règles. Au bout du compte, on finira quand même par avoir une excellente collectivité sans toutes ces entraves. Calgary est un endroit formidable. D’autres municipalités qui n’ont pas tous ces contrôles insensés dans leurs processus d’approbation sont encore des collectivités où il fait bon vivre. Ce n’est donc pas nécessaire pour créer des endroits formidables.
Le président : Monsieur McKay, merci de la souplesse dont vous avez fait preuve en tant que témoin à ce moment-ci de la journée. Je sais que vous avez un horaire chargé. Je vous en suis très reconnaissant.
Chers collègues, avant de conclure cette réunion, je veux remercier nos interprètes, nos analystes et tous les techniciens qui ont rendu cette réunion possible. La prochaine réunion aura lieu demain, le jeudi 30 octobre, à 10 h 30.
(La séance est levée.)