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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 30 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 10 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, toute question concernant les banques, le commerce et l’économie en général; et pour étudier, afin d’en faire rapport, la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.

Le sénateur Clément Gignac (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, je m’appelle Clément Gignac, je suis un sénateur du Québec et je suis président du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Avant de commencer la réunion, je tiens à reconnaître que la terre sur laquelle nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux et celles qui se joignent à nous ou qui nous écoutent à partir du Web sur sencanada.ca. Avant de continuer, je demanderais à mes collègues du comité de bien vouloir se présenter.

[Traduction]

Le sénateur Varone : Toni Varone, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, division De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Fridhandler : Daryl Fridhandler, de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Henkel : Danièle Henkel, de la région d’Alma, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Je suis le sénateur Yussuff, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Pupatello : Je suis la sénatrice Pupatello, de l’Ontario.

La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Martin : Bonjour. Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le président : Merci, chers collègues. Nous entamons notre rencontre aujourd’hui conformément à notre ordre de référence général portant sur toute question concernant les banques, le commerce et l’économie en général. Je souhaite la bienvenue à Peter Routledge, surintendant au Bureau du surintendant des institutions financières. Monsieur Routledge, je crois comprendre que vous avez préparé des notes d’introduction. La parole est à vous.

[Traduction]

Peter Routledge, surintendant, Bureau du surintendant des institutions financières : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.

Alors que le Canada traverse une période d’incertitude marquée, je tiens à assurer le Comité que les institutions financières sous réglementation fédérale du Canada ont intégré une résilience durable dans le système financier.

Nous voyons cette résilience comme un avantage stratégique pour le Canada, un avantage qui peut être mis à profit pour contribuer à la croissance économique. Par exemple, à l’heure actuelle, les six plus grandes banques du Canada, que nous appelons les « banques d’importance systémique », ont des ratios de capital de base qui se situent en moyenne à 13,7 %. Cela se compare à un minimum bien capitalisé de 11,5 %. C’est une bonne marge de manœuvre. Ce résultat laisse au système bancaire canadien des réserves importantes pour absorber les pertes imprévues et des possibilités importantes de contribuer à la croissance du pays.

Nous estimons que les banques pourraient faire près de 1 billion de dollars en prêts ou autres prolongations de crédit et rester au-dessus de nos minimums de capital actuels. Il s’agit d’un chiffre important pour l’économie canadienne de 3 billions de dollars. Je ne dis pas que les banques canadiennes devraient se lancer dans une frénésie de prêts, mais je veux dire que notre système financier a la résilience nécessaire pour contribuer davantage à l’adaptation de notre pays à un environnement géopolitique très différent.

Le Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, est prêt à déterminer si d’autres changements réglementaires peuvent être apportés sans compromettre la résilience du système financier.

[Français]

Par ailleurs, au BSIF, nous avons adopté l’approche de surveillance intelligente, qui est une série de mesures délibérées et proactives visant à accroître la transparence, à assurer la prévisibilité et à réduire tout fardeau inutile pour les entités réglementées par le Bureau du surintendant des institutions financières.

Cette approche s’inscrit dans une démarche fondée sur des principes et elle nous permet aussi de veiller à ce que la surveillance réglementaire et l’étendue des activités de surveillance soient adéquates et adaptées à l’environnement de risque actuel.

[Traduction]

Au cours des 18 derniers mois, nous avons lancé l’examen du contenu réglementaire le plus exhaustif de l’histoire du BSIF, qui donnera lieu à l’abrogation ou à l’élimination de plus de 300 pages de documents en anglais ou 600 pages dans les deux langues officielles. De façon plus importante, nous avons pris l’habitude de nous demander quels règlements nous pourrions alléger ou retirer aussi souvent et avec autant de vigueur que nous nous demandons quels règlements nous pouvons ajouter.

Je tiens toutefois à souligner qu’un contrôle intelligent ne signifie pas qu’il y aura moins de supervision ou de mesures prises pour aborder les risques clés. Nous avons continué de prendre des mesures rapidement et prudemment en ce qui a trait aux enjeux relatifs à l’ingérence étrangère, au blanchiment d’argent, à la cybersécurité, à la gouvernance et aux liens de dépendance avec les tiers.

Alors que nous cherchons des occasions d’alléger le fardeau réglementaire, nous sommes aussi déterminés à maintenir l’intensité de supervision appropriée. Notre nouveau cadre de surveillance comprend une cotation des risques associés à un large éventail de facteurs de résilience, notamment le risque opérationnel, la gouvernance en matière de risque, la résilience financière et la résilience opérationnelle. Ces notes permettent aux conseils d’administration d’avoir une meilleure idée des disciplines de risque de leurs institutions.

Nous nous engageons à veiller à ce que le système financier du Canada demeure une source de force dans un environnement de risque qui s’intensifie.

Je vous remercie de m’avoir écouté et je serai heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Routledge. Chers collègues, ce matin, je propose que vous disposiez d’un maximum de quatre minutes chacun pour donner la chance à tous. Je compte sur votre habituelle collaboration. Je vais commencer par notre vice-président, le sénateur Varone.

[Traduction]

Le sénateur Varone : Nous vous remercions d’être avec nous, monsieur Routledge. Je suis toujours heureux de vous voir. Vous répondez toujours avec précision aux questions que nous vous posons.

Ma question a trait à la simulation de crise relative au prêt hypothécaire. J’ai observé les mesures prises il y a quelques années pour contrer les effets d’une économie de marché surchauffée pour les nouvelles constructions. Elles ont fonctionné. Elles ont permis de refroidir le marché, mais aujourd’hui, celui-ci est sous respirateur artificiel et je suis intrigué par le commentaire au sujet de l’élimination de certains règlements. Est-ce que vous songez à éliminer la simulation de crise, étant donné la situation actuelle du marché?

M. Routledge : Je vais prendre un peu de recul pour répondre à cette question, et je vais parler de la situation d’il y a quelques années. Nous avons eu des taux d’intérêt très, très bas et une augmentation très importante de l’achat de maisons, ce qui a fait grimper les prix dans une grande mesure dans tout le pays. La situation a été alimentée par des taux d’intérêt très bas et, je dirais, des produits hypothécaires très agressifs.

Nous nous sommes demandé pourquoi la simulation de crise n’avait pas empêché cette accumulation. La réponse est que, même s’il s’agit d’un outil utile pour réduire l’incidence des défauts de paiement, il n’est pas aussi utile pour réduire une accumulation de la concentration du risque émanant de l’endettement et de la hausse des prix des maisons. Nous avons regardé de l’autre côté de l’océan ce qu’ont fait nos amis du Royaume-Uni. Ils ont mis en place une simulation de crise de même qu’une mesure de contrôle de rechange ou de secours appelée la limite associée au ratio prêt-revenu. Ce ratio visait les banques individuelles, et non les Canadiens.

Il se trouve que le Royaume-Uni a abandonné la simulation de crise, parce que le ratio prêt-revenu a mieux réussi à éliminer les concentrations de risques. Nous avons maintenant mis en œuvre ce test associé au ratio prêt-revenu. Il est en place et fonctionne aujourd’hui. Nous pensons qu’il permettra d’éviter l’accumulation d’emprunteurs fortement endettés comme nous l’avons vu en 2021 et en 2022. C’est donc une protection.

Nous avons ainsi l’occasion de réfléchir à cette limite afin de déterminer si elle serait suffisante et pourrait remplacer la simulation de crise, ou si elle devrait être complémentaire. Cette limite permet de protéger le système et les Canadiens préféreraient ne pas avoir à être soumis à la simulation.

La raison pour laquelle il faut conserver la simulation de crise, c’est qu’elle réduit les défauts de paiement. Il y a moins de gens qui ne remboursent pas leur prêt hypothécaire parce qu’ils sont soumis à cette simulation. Même si elle n’était plus obligatoire, les banques continueraient probablement d’y avoir recours avec leurs clients qui souhaitent obtenir un prêt. Nous allons mener des consultations à ce sujet au début de 2026, et nous allons demander à l’industrie si elle pense que le surintendant devrait continuer à prescrire la simulation ou s’il devrait lui laisser le choix.

Le sénateur Varone : J’aimerais poser une autre question au sujet de la souscription des banques. J’ai acheté ma maison il y a trois ans. Elle coûtait 1 million de dollars. J’ai fait une mise de fonds de 250 000 $ et j’avais un prêt hypothécaire de 750 000 $. Ma demande a été approuvée. Trois ans plus tard, il me reste 700 000 $ à rembourser, mais ma maison a perdu de la valeur. Les banques nous présentent leurs taux publiés pour le renouvellement. Il n’y a pas de problème. Je n’ai pas à faire de rajustement ou à refaire la simulation de crise, mais les taux ne sont pas concurrentiels comparativement à ce qu’offre... comment dirai-je... la concurrence. Je suis pris avec un taux et je n’ai droit à aucune réduction.

Le président : Merci, sénateur. Nous devons passer au prochain intervenant.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Pour poursuivre sur cette lancée, j’ai remarqué l’été dernier que plusieurs banques réduisaient leurs provisions pour créances douteuses. Je pense ici aux six grandes banques. Aujourd’hui, elles commencent à les augmenter à nouveau. Je trouve cela très surprenant, toutefois, étant donné le climat actuel, les droits de douane et le fort taux d’endettement des Canadiens. Lorsque vous supervisez les banques, tenez-vous compte des provisions pour les créances douteuses? Est-ce que vous les examinez en détail ou est-ce que vous tenez uniquement compte des ratios? Dans quelle mesure? Est-ce que vous parlez aux vérificateurs? J’essaie de comprendre le type de travail que vous faites en ce qui a trait à ces provisions.

M. Routledge : Oui, nous les examinons. Permettez-moi de vous expliquer comment nous procédons.

Nous avons des équipes de supervision affectées à chaque institution financière. Nous avons diverses équipes centrales qui se penchent sur différentes questions, dont les provisions relatives aux pertes sur prêts des banques. Nous recueillons des données et nous les comparons. Nous nous assurons en premier lieu que les allocations respectent les règles comptables. Nous avons une équipe comptable qui nous aide parfois à cet égard. Nous comparons ensuite les institutions et voyons si certaines ont des faiblesses et ne fournissent pas, à notre avis, une provision suffisante pour leur risque de perte sur prêt. Si c’est le cas, nous entamons une conversation. Habituellement, nous n’avons pas de problème. Nous disposons de plusieurs mois pour comprendre les modèles qui déterminent les allocations et pour faire comprendre nos préoccupations à la banque, et dans la grande majorité des situations, nous arrivons à une conclusion appropriée.

Dans le cas des institutions récalcitrantes, nous avons recours à d’autres mécanismes de supervision, y compris l’intervention, pour résoudre le problème.

La sénatrice Marshall : Donc, lorsque vous examinez les provisions pour créances douteuses, est-ce qu’il y a une discussion entre les trois parties, entre vous, la banque et les vérificateurs? Est-ce qu’il arrive que vous ne vous entendiez pas? Qui a préséance?

M. Routledge : Nous échangeons avec les vérificateurs de deux façons. Dans le cas d’une institution en particulier, nous communiquons avec les vérificateurs externes pour leur faire part de nos préoccupations et pour entendre leur point de vue. Nous communiquons aussi avec l’industrie de la vérification en tant que groupe et nous pouvons lui faire part de nos préoccupations relatives aux pratiques du secteur.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.

Le sénateur Fridhandler : Merci, monsieur Routledge. En tant que surintendant des institutions financières... J’aimerais ajouter « institutions financières fédérales » parce que ma question porte sur votre compréhension du pourcentage des prêts hypothécaires, qu’ils soient résidentiels ou commerciaux, qui sont sous votre gouverne par rapport au reste et à certains joueurs comme les coopératives de crédit. J’ai appris récemment qu’une part beaucoup plus importante que ce que je croyais ne relève pas des banques. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Comment travaillez-vous avez les autres institutions du marché?

M. Routledge : Je peux obtenir les chiffres exacts et mon équipe peut répondre à cette question avec précision, mais les institutions financières fédérales détiennent environ 75 à 80 % des prêts hypothécaires souscrits non remboursés. Les coopératives de crédit détiennent la majeure partie du reste, et certaines d’entre elles — trois — sont réglementées par nous. Les autres sont réglementées par les autorités provinciales.

Nous échangeons avec nos collègues et nos pairs dans les provinces afin de veiller à suivre les mêmes normes et pratiques fondamentales.

Le sénateur Fridhandler : Sur un autre point, dans le système hypothécaire, lorsque les tests sont effectués par les diverses institutions, j’ai appris récemment qu’un sujet de préoccupation important concerne la fraude commise par des demandeurs, qui présentent notamment de faux relevés de paie et d’autres documents falsifiés pour appuyer leur admissibilité aux prêts hypothécaires. Pouvez-vous nous dire comment vous remédiez à ce problème?

M. Routledge : Nous avons établi des normes et des principes au moyen d’un document de réglementation que nous appelons la ligne directrice B-20, qui énonce les principes et les normes pour la souscription de prêts hypothécaires résidentiels. Nous nous attendons à ce que les institutions fédérales s’y conforment. Nos homologues provinciaux adoptent souvent ou habituellement les mêmes principes. Il s’agit notamment de contrer et de réduire le plus possible le risque d’approuver un prêt hypothécaire fondé sur des documents frauduleux.

Votre question laisse peut-être entendre, à l’instar de certains intervenants de l’industrie, que les institutions financières pourraient valider plus clairement les revenus en s’appuyant sur les relevés d’impôt. C’est à l’Agence du revenu du Canada de démêler tout cela. Cette question relève de sa compétence, et non de celle du BSIF. En tout cas, la prévalence de la fraude serait certes plus faible s’il y avait moyen de vérifier les revenus de façon plus claire et plus fiable.

Le sénateur Fridhandler : Est-ce un problème généralisé ou limité?

M. Routledge : Cela dépend de l’institution. Le signal d’alarme se déclenche lorsque la fraude détectée dépasse une valeur de 1 % dans un portefeuille de souscription ou d’octroi de prêts hypothécaires au cours d’une période donnée. À 3 %, c’est la sirène qui retentit : il faut alors agir. Cela dit, la plupart des institutions sont bien en deçà de ces chiffres lorsqu’ils les mesurent. Cela vous donne une idée de la façon dont les institutions réagissent aux risques. Ce qui compte, c’est la détection. La fraude, de par sa nature, cherche à se dissimuler. Dans certaines institutions, nous avons constaté des taux plus élevés de risque de fraude et, en l’occurrence, du moins dans le cas d’une institution fédérale, cela fait l’objet d’une surveillance assez rigoureuse.

Le sénateur C. Deacon : Je suis très heureux de vous revoir, monsieur Routledge. Merci.

Les médias rapportent de plus en plus de fraudes qui touchent les consommateurs de produits et services financiers. Les clients des banques se font escroquer d’importantes sommes d’argent : pour certains, cela touche uniquement leur vie personnelle, mais pour d’autres, cela a des répercussions qui concernent l’ensemble de la société. Les banques affirment sans cesse qu’elles disposent de robustes systèmes de prévention de la fraude, de solides mesures de protection contre la fraude, d’outils technologiques et analytiques de pointe, mais nous ne voyons aucune baisse.

Dans le contexte de la ligne directrice sur l’intégrité et la sécurité, qui me paraît fondamentale, y a-t-il eu des changements depuis notre dernière discussion concernant la nécessité pour les banques de vous faire rapport de ce problème de façon plus rigoureuse? Je sais que la ligne directrice sur l’intégrité et la sécurité porte davantage sur vos relations avec les cadres supérieurs, mais c’est un rôle qui vous incombe. Les Canadiens se préoccupent de plus en plus de cet enjeu, et la plupart d’entre eux ne voient pas leur situation réglée, même en l’absence de preuve de complicité ou de négligence.

M. Routledge : Je vous répondrais que la ligne directrice sur l’intégrité et la sécurité nous permet clairement de remédier à ce problème par la gestion du risque d’atteinte à la réputation. Aux termes de cette ligne directrice, il est attendu que les conseils d’administration et les cadres supérieurs gèrent leur réputation et que la fraude peut nuire à la réputation d’une institution. Cependant, ce n’est pas comme la ligne directrice B-20, qui se veut un ensemble de principes relatifs à la souscription de prêts hypothécaires.

Nous devrons notamment nous demander s’il y a lieu d’adopter des lignes directrices réglementaires pour la lutte contre la fraude. En théorie, on pourrait faire valoir — et je n’adhère pas à cet argument, je ne fais que l’expliquer — que c’est une question qui touche les consommateurs et qui relève donc de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, ou ACFC, c’est-à-dire l’organisme de protection des consommateurs pour les services financiers. Il y a du vrai là-dedans, et l’ACFC travaille sur ce dossier. Cependant, dans la mesure où cet enjeu devient, comme vous le mentionnez, un risque institutionnel, le BSIF ne pourrait pas en faire fi.

À en juger par les reportages médiatiques, certains progrès semblent avoir été réalisés dans ce dossier. Les médias ont évoqué la création d’une agence de lutte contre les crimes financiers ici au Canada, et ce serait une bonne nouvelle. Nous voudrions collaborer avec cette nouvelle agence pour déterminer comment nous pouvons contribuer à son travail. Toutefois, au bout du compte, comme le suppose votre question, s’il s’agit d’un risque institutionnel susceptible de miner la confiance dans l’institution, alors il se peut que nous ayons besoin de principes réglementaires supplémentaires.

Le sénateur C. Deacon : Il s’agit d’une menace externe malveillante qui prend de l’ampleur et qui devient de plus en plus sophistiquée. Je suppose que nos banques doivent y réagir d’un point de vue systémique. Je suis heureux de vous entendre dire que les choses semblent évoluer dans cette direction, car je pense que les gens comptent sur le BSIF pour des protections systémiques.

M. Routledge : Oui. Je suis d’accord là-dessus, dans la mesure où des acteurs malveillants s’attaquent à nos institutions, qui n’y sont pour rien. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on est un spectateur innocent qu’on ne peut pas se défendre.

Il faudra déterminer quel organisme — le BSIF, l’ACFC ou encore l’agence contre les crimes financiers — devra élaborer une ligne directrice réglementaire à cet égard, mais je souscris à votre prémisse selon laquelle il faut faire quelque chose.

Le sénateur C. Deacon : C’est comme un braquage de banque des temps modernes.

M. Routledge : En effet.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie, monsieur le surintendant.

Le sénateur Loffreda : Je vous souhaite la bienvenue. C’est toujours un plaisir de vous voir. Ma question porte sur le renouvellement des hypothèques et le choc des paiements.

De nombreux propriétaires subissent un grand choc au moment du renouvellement de leurs prêts hypothécaires, malgré la baisse récente des taux d’intérêt. Qu’observe le BSIF en ce qui concerne les tendances ou les signes précurseurs en matière de défaut de paiement? Y a-t-il eu une augmentation du nombre de ménages qui prolongent l’amortissement au-delà de 30 ans pour rester solvables, et dans quelle mesure cette pratique est-elle durable d’un point de vue prudentiel?

D’après mes lectures sur le sujet, et à la lumière de vos propres rapports, environ le tiers des prêts hypothécaires en cours auprès des institutions sous réglementation fédérale ont aujourd’hui un amortissement de plus de 30 ans. Considérez-vous cela comme une réponse temporaire de gestion des risques ou comme une vulnérabilité structurelle à long terme dans notre système financier? Avez-vous des inquiétudes à cet égard?

M. Routledge : Oui. C’est la partie facile. Ce qui est plus difficile, c’est de décortiquer le reste de la question. Concernant le taux de 30 %, qu’est-ce qui motive la prolongation des périodes d’amortissement? Ce n’est pas la seule explication, mais c’est attribuable en grande partie aux modalités contractuelles des hypothèques. Cette situation ne résulte pas d’une démarche volontaire du client pour prolonger son prêt hypothécaire et réduire ses mensualités afin de pouvoir rester dans sa maison.

En réalité, ce phénomène découle d’un produit très populaire en 2021 et en 2022: l’hypothèque à taux variable avec paiement fixe. Les clients ont fixé leurs paiements pour cinq ans à des taux très bas, parfois inférieurs à 2 %. Pensez-y. C’est moins élevé que l’inflation. Le taux d’intérêt réel était donc pratiquement négatif. Ces versements sont restés fixes pour toute la durée des cinq ans, mais le taux était variable. Lorsque les taux ont commencé à remonter, ces prêts hypothécaires ont généré un amortissement négatif, ce qui a entraîné la prolongation de la durée et la modification de la période d’amortissement contractuelle.

Le risque, c’est que lorsque les clients renouvellent leur hypothèque et que la période d’amortissement contractuelle est, disons, de 40 ans — ils doivent reprendre la durée d’amortissement initiale, ce qui implique un taux d’intérêt plus élevé et une période d’amortissement beaucoup plus courte. Cela crée donc un risque réel de choc de paiements pour les Canadiens.

Il y a deux ans, nous estimions que ce problème touchait environ 250 000 ménages. Aujourd’hui, à la suite des inquiétudes exprimées par les banques et les clients, qui se sont adressés à leur succursale pour essayer de résoudre ce problème rapidement, ce chiffre est probablement passé à environ 150 000. C’est donc gérable pour le système. Il reste que ces 150 000 ménages se trouvent dans une situation difficile, et cela nous inquiète.

Le sénateur Loffreda : Vous êtes donc inquiets, mais nous atténuons ce risque en bonne et due forme.

M. Routledge : Du point de vue du capital bancaire, ce n’est pas une menace. Cela pourrait exercer une pression sur les bénéfices, mais il est très peu probable que cela touche les capitaux. Selon nous, le système restera résilient face à ce problème. Cela n’apportera toutefois aucun soulagement aux 150 000 ménages concernés.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.

La sénatrice Wallin : Je vais poursuivre sur le même sujet. Je comprends ce que vous dites : ce n’est peut-être pas une menace à la stabilité des banques, mais cette grande vague de renouvellement en pleine crise du logement retient beaucoup l’attention. Je crois que 60 % des prêts hypothécaires seront renouvelés en 2025, et 81 % des ménages disent qu’ils ne peuvent pas se permettre une hausse.

Si ces chiffres sont proches de la réalité — comme dans le cas des 150 000 ménages —, pensez-vous que vous auriez à recommander ou à imposer des lignes directrices ou des règles pour, disons, limiter les défauts de paiement en pleine crise du logement?

M. Routledge : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, en toute honnêteté, mais je vais quand même le faire. Non, nous ne procéderions pas ainsi. Notre travail consiste à nous assurer que les états comptables des banques sont exacts et qu’ils reflètent pleinement les pertes économiques, d’où la nécessité de faire ce qui s’impose pour les prêts douteux, quitte à entraîner une hausse des défauts de paiement. Bien que les banques fassent beaucoup pour accorder des délais et prévenir ce résultat terrible — c’est-à-dire le défaut de paiement et la saisie —, elles prennent des mesures importantes pour l’éviter. Au bout du compte, si l’emprunteur ne peut pas rembourser l’hypothèque, il faudra procéder à la saisie et aller de l’avant pour la santé financière de la banque.

La sénatrice Wallin : J’ai une question similaire à poser concernant un problème que nous observons de façon plus générale, à savoir la fuite des capitaux hors du pays, à un moment où nous en avons besoin : si nous ne changeons pas radicalement les politiques et les priorités, envisageriez-vous de contraindre les fonds de pension ou d’autres institutions financières à prendre plus de risques pour injecter des capitaux dans le système canadien?

M. Routledge : Tout d’abord, en ce qui a trait aux fonds de pension, notre surveillance réglementaire — qui couvre 20 % de ce marché — n’est pas la même que celle pour les banques. Nous veillons simplement à ce que les fonds de pension gèrent bien leur solvabilité. Nous ne leur donnons pas de directives sur les investissements ou la prise de risques.

Dans le cas des banques, un organisme de réglementation traditionnel pourrait certes leur demander de ne pas prendre de risques ou de les réduire au minimum. C’est toutefois une approche immature. La chose à faire, c’est de prendre des risques en tenant compte du rendement. J’ai parlé des ajustements que nous pourrions apporter à notre régime de capital. Ce régime repose sur les données historiques des 30 dernières années. J’ose dire toutefois que ces 30 dernières années ne correspondent peut-être pas parfaitement à ce que seront les 30 prochaines années. Nous devons commencer à adopter une vision prospective du capital. Dans la mesure où nous pouvons ajuster notre capital pour que les banques puissent établir plus facilement les prix et prendre des risques pour obtenir de bons rendements potentiels, nous sommes ouverts à cette idée.

Je vais vous donner un exemple, car c’est assez nébuleux. Nous avons demandé : « Comment pouvons-nous vous aider? » L’industrie de l’assurance-vie est venue nous voir et nous a dit : « Si vous réduisiez le capital exigé au titre de l’infrastructure nationale, nous investirions davantage là-dedans. » Nous avons donc examiné le problème, et il s’est avéré que si nous exigions d’eux un capital moins élevé pour l’infrastructure nationale, leurs ratios de capital global ne bougeraient pas du tout. Comme nous avons abaissé ces pondérations du risque, ils s’intéressent beaucoup plus à cette catégorie d’actifs. Je pense qu’il y a une foule de possibilités, et nous avons besoin de l’aide de l’industrie pour y arriver.

La sénatrice Wallin : C’est très intéressant. Merci.

La sénatrice Ringuette : Tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter pour le succès de votre processus d’examen intelligent. Vous pourriez peut-être communiquer les résultats à toutes les entités gouvernementales. Ce serait une bonne chose, du moins à mon avis.

J’ai deux questions à vous poser au regard du contexte économique et géopolitique actuel, qui durera probablement dans un avenir prévisible. La première question concerne la situation des données : les données financières canadiennes sont précieuses. Elles doivent être protégées, mais elles doivent aussi être souveraines.

M. Routledge : Souveraines?

La sénatrice Ringuette : Oui, parce que la plupart de nos données financières se trouvent aux États-Unis à l’heure actuelle. Nous ne pouvons pas contrôler, surveiller, superviser — peu importe le terme — ces données.

Y a-t-il eu des discussions entre le BSIF et les banques canadiennes pour trouver un moyen de rapatrier ces données financières?

M. Routledge : La réponse honnête à cette question est non. Dans le cadre de nos responsabilités réglementaires, nous voulons simplement nous assurer que les banques ont accès à leurs données et que, si ces infrastructures de données sont attaquées, les banques pourront se rétablir rapidement et continuer à fournir des services aux clients. Dans notre cadre réglementaire, nous n’abordons pas la notion de souveraineté des données.

Toutefois, si les gens veulent que nous le fassions, en collaboration avec le gouvernement et l’industrie, nous serons disposés à apporter les ajustements nécessaires. Mais pour répondre honnêtement à votre question, je dirais que non, nous n’avons pas intégré la question de la souveraineté des données dans notre cadre réglementaire, à tort ou à raison. Le monde a changé au cours des 12 derniers mois, je le reconnais pleinement, mais la réponse directe est non, nous ne tenons pas compte de cet aspect.

La sénatrice Ringuette : Comment devrions-nous faire avancer ce dossier?

M. Routledge : Croyez-le ou non, cet effort ne devrait pas être dicté par le BSIF. Il devrait plutôt être dirigé par le gouvernement. Si les décideurs gouvernementaux en venaient à la conclusion que nous devrions peut-être intégrer cette notion dans notre cadre de réglementation du système financier, ils devraient alors s’adresser au BSIF pour obtenir les meilleurs conseils sur la façon de procéder, et pour savoir s’il y a lieu de s’y prendre de manière prudente et sécuritaire. C’est la conversation que nous devrions avoir. Ce n’est pas au BSIF de donner le coup d’envoi. Nous ne sommes absolument pas un organisme de réglementation de la sécurité nationale ni une entité chargée de la politique étrangère. Nous devrions suivre les orientations de ces entités, puis prendre les mesures nécessaires.

La sénatrice Ringuette : Au début de votre témoignage, vous avez dit que nos banques avaient accès à 1 billion de dollars qui pourraient être investis. Cela comprend-il leurs investissements actuels dans des exploitations à l’étranger?

M. Routledge : Il s’agit d’un chiffre global pour la capitalisation totale d’une banque, sur une base consolidée, ce qui comprend les capitaux nationaux et étrangers. Les banques pourraient accroître leurs prêts aux États-Unis ou au Canada pour combler cet écart. Là où nous voulons en venir, c’est que le système compte beaucoup de capitaux excédentaires qui pourraient être utilisés. Les banques pourraient aussi s’en servir pour racheter les parts de leurs actionnaires communs, pour faire des acquisitions au pays ou à l’étranger, ou encore pour consentir davantage de prêts aux États-Unis ou au Canada. Bref, c’est un montant global.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Bienvenue, monsieur Routledge. Pour continuer un peu sur l’aspect électronique des banques, quelles sont les directives que vous donnez, par exemple, pour protéger le système Interac ou le système d’accès au guichet automatique? On a vu que les aéroports sont vulnérables et que les systèmes de réservation des compagnies aériennes sont vulnérables. Avez-vous imposé des directives à cet effet? Faites-vous des suivis et des tests pour voir s’ils sont capables de résister à des attaques organisées de l’extérieur?

M. Routledge : Merci. Je vais répondre en anglais, car la réponse est très technique.

[Traduction]

Nous avons deux directives réglementaires principales qui s’appliquent au risque de subir une attaque électronique organisée de l’extérieur. La première est ce que nous appelons la Ligne directrice sur la gestion du risque lié aux technologies et du cyberrisque. Elle établit un ensemble assez détaillé d’attentes et de principes relatifs aux mesures de défense en matière de gestion du cyberrisque.

Nous avons également une directive relative aux risques liés aux tiers, qui établit des lignes directrices, des attentes et des principes sur la manière dont les banques doivent collaborer avec les tiers. L’idée est que nous nous attendons à ce qu’elles gèrent ces risques opérationnels de manière assez rigoureuse.

J’aime utiliser une métaphore pour parler de nos institutions financières fédérales : Votre institution n’opère plus dans un environnement favorable. Elle opère dans un environnement hostile, dans un théâtre de conflit situé dans le cyberespace. Vous pourriez être une cible. En fait, vous êtes une cible. Vous feriez donc mieux de renforcer vos défenses, et voici nos attentes quant à la mise en place de ces défenses.

Jusqu’à présent, les attaques dont les institutions ont été victimes — et elles en ont subi beaucoup — n’ont dans l’ensemble pas nui à leurs activités.

Le sénateur Dalphond : Les institutions sont-elles tenues de vous signaler les attaques?

M. Routledge : Oui. Nous disposons en fait d’un rapport normalisé. Je ne me souviens plus de l’acronyme exact, mais je pourrai vous le communiquer. Il s’agit d’un formulaire normalisé de signalement des incidents pour toutes les cyberattaques. Il est normalisé à l’échelle internationale...

[Difficultés techniques]

Le sénateur Dalphond : Merci pour ces réponses. Si je regarde les rapports, le nombre d’attaques augmente-t-il, diminue-t-il ou reste-t-il stable?

M. Routledge : Il augmente. Les attaques se multiplient. Le nombre d’incidents augmente, et le nombre de signalements augmente donc également.

Le sénateur Dalphond : Adaptez-vous vos directives afin de les rendre plus strictes ou d’accroître les protections?

M. Routledge : Notre industrie nous dit qu’elles sont déjà plutôt strictes. C’est le cas. Si vous lisez la Ligne directrice B-13, nous y décrivons, par exemple, les attentes liées à la gestion des correctifs lors de la mise à jour des logiciels. Il est assez intrusif qu’un organisme de réglementation des banques établisse ces exigences. Lorsque nous les élaborions, j’ai posé la question suivante : « Pourquoi établissons-nous des directives aussi précises? » La réponse est que s’ils ne gèrent pas bien les correctifs, un cyberpirate pourrait en profiter pour s’introduire dans le système et installer un rançongiciel. D’accord, la santé financière de l’institution pourrait en être affectée, nous allons donc établir ces exigences.

Je pense que nos directives sont assez précises et intrusives. Elles sont en vigueur depuis environ deux ans, nous procéderons donc à leur révision dans les deux prochaines années.

[Français]

La sénatrice Henkel : Bienvenue à nos témoins. On a un indice de référence qui est en miroir avec les États-Unis et le Royaume-Uni. En France, par exemple, il y a un processus qui s’appelle le livret A, qui a été créé en 1818 et qui permet aux citoyens d’épargner tout en finançant la construction de logements sociaux. Les fonds collectés sont garantis et centralisés par une institution publique qui accorde des prêts à long terme aux organismes de logement.

Le BSIF verrait-il d’un bon œil, sous la supervision ou en coordination et en coopération avec la Banque du Canada, la création d’un produit d’épargne réglementé dirigé vers le logement abordable?

[Traduction]

M. Routledge : Je veux être sûr de bien comprendre la question, car la traduction ne fonctionne pas. Une entité gouvernementale pourrait-elle garantir des prêts pour la construction de logements? Est-ce bien votre question?

La sénatrice Henkel : Pas vraiment. Il s’agit d’un système qui existe en France.

[Français]

Les contribuables peuvent investir, c’est-à-dire que l’argent reste dans la société et le contribuable contribue à la richesse de cette société par un livret avec un plafond. C’est garanti par le gouvernement et les banques.

[Traduction]

M. Routledge : En théorie, ce serait possible aujourd’hui, ici au Canada. Il faudrait des capitaux à l’appui de ces garanties, mais je ne pense pas que les exigences liées aux capitaux nous empêcheraient de le faire. Les banques devraient créer ce produit. Si le gouvernement intervenait, comme il le fait avec la Société canadienne d’hypothèques et de logement, et assumait une partie du risque de crédit associé à ce produit, ce dernier pourrait faire son chemin.

[Français]

La sénatrice Henkel : Les promoteurs de logements communautaires et locatifs peinent à obtenir des financements à long terme. Les prêts sont souvent trop courts ou trop volatiles, ce qui freine les projets à visée sociale ou écologique. Or, ces investissements s’inscrivent dans une logique de rendement modérée, mais stable, différente bien évidemment du crédit hypothécaire classique. Est-ce que le BSIF pourrait envisager un régime prudentiel distinct pour les prêts à long terme destinés à des projets d’intérêt public, comme les logements abordables, les coopératives et les infrastructures communautaires?

[Traduction]

M. Routledge : Nous ne créerions pas un système de capital uniquement à cette fin, mais il existe une façon — si les décideurs politiques le souhaitaient — de l’intégrer parfaitement dans notre système. Lorsque l’on parle d’investissements à long terme visant à soutenir la construction de logements à des fins de développement social ou autres, lorsque l’on accorde un prêt, on court le risque que celui-ci ne soit pas remboursé. Il faut donc prévoir un capital pour parer à cette éventualité. Une personne raisonnable pourrait dire : « Eh bien, si vous examinez ces investissements sans tenir compte de l’aide sociale, ils sont risqués; par conséquent, je vais vous demander beaucoup de capital. » Les banques n’engagent donc pas de capital dans ces prêts, et ceux-ci ne sont pas mis en place.

Nous avons connu ce problème à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les gens cherchaient à obtenir des prêts pour acheter des logements. Nous avons créé la Société canadienne d’hypothèques et de logement, ou du moins nous avons renforcé ou élargi son mandat. Le gouvernement a assumé le risque de crédit de première perte par I’intermédiaire de la Société canadienne d’hypothèques et de logement afin de permettre aux acheteurs d’un premier logement d’accéder à la propriété. C’est encore le cas aujourd’hui. Si votre mise de fonds est inférieure à 20 %, la banque n’assume pas votre risque de crédit. Le risque de crédit incombe à la Société canadienne d’hypothèques et de logement ou à un assureur de prêts hypothécaires privé, qui bénéficie également du filet de sécurité du gouvernement fédéral.

Vous pourriez créer une structure semblable pour les projets immobiliers à long terme, en vertu de laquelle une entité publique — peut-être le gouvernement fédéral — pourrait assumer cette première perte. L’investissement deviendrait alors attractif pour les banques. Les institutions verraient les capitaux affluer vers cette activité, ce qui influerait sur leur prise de décisions. Mais à moins d’avoir conclu un accord public-privé, comme celui conclu avec la Société canadienne d’hypothèques et de logement, les exigences en matière de capital pourraient nuire à ce développement. Cette idée est réalisable et a déjà été mise en œuvre au Canada dans d’autres marchés.

Le président : Merci.

La sénatrice McBean : Selon le BSIF, quels risques pourraient découler du recours croissant à des prêteurs privés ou autres que les institutions financières? Comment le surintendant surveille-t-il ou atténue-t-il ces risques?

M. Routledge : Nous les surveillons assurément. La part des prêts hypothécaires privés ou des sociétés de placement hypothécaire varie au fil du temps, mais elle représente environ 8 % à 10 % des prêts accordés chaque année, c’est-à-dire des nouveaux prêts, et de 1,5 % à 2 % du portefeuille hypothécaire existant. Ce n’est pas énorme, mais une part de 8 % à 10 % n’est pas négligeable. Il s’agit d’une véritable tendance.

La conception même de ce modèle d’affaires fait que nous ne les réglementons pas. Il s’agit d’institutions privées qui accordent généralement des prêts à haut risque et appliquent des taux d’intérêt élevés aux propriétaires. Nous ne les réglementons pas. D’ailleurs, notre cadre réglementaire, qui est notre Ligne directrice B-20, empêcherait les institutions que nous réglementons de participer à ces activités.

Nous contrôlons et vérifions que ce segment du marché ne connaît pas une croissance non viable, ou nous essayons de déterminer si c’est le cas. Nous ne l’avons pas encore constaté. Même si cette situation venait à se produire, nous ne disposons pas de l’autorité réglementaire nécessaire pour y remédier. Nous alerterions nos homologues au sein du gouvernement fédéral. S’ils souhaitaient élaborer une politique et nous associer à ce processus, nous serions disposés à collaborer avec eux, mais ce n’est actuellement pas le cas.

Il s’agit d’un petit segment spécifique qui ne semble pas exposer le système à un risque de crédit excessif.

La sénatrice McBean : Un témoin précédent nous a dit qu’il fallait s’attendre à une augmentation des pertes d’emploi chez les Canadiens qui gagnent plus de 100 000 $ par an. Il y aura une augmentation du nombre de défauts de paiement chez les propriétaires qui étaient auparavant financièrement stables.

En réponse à la question de la sénatrice Wallin concernant l’examen des défauts de paiement et des retards de paiements hypothécaires potentiels à venir, je vous ai entendu dire ici que vous n’interviendriez pas à cet égard. C’est parfois désagréable à dire, mais la forclusion est un élément important de la protection de la santé des banques.

Vous avez également commencé par dire que le système bancaire canadien est très résilient et qu’il dépasse de plus de 2 % le filet de sécurité réglementaire. À quel moment serait-il important que les banques ressentent elles aussi le risque et la pression et acceptent de perdre cette marge de sécurité de 2 %? Je suis sûre qu’une marge de 11 % est une marge saine. À quel moment les banques devraient-elles devenir les partenaires des Canadiens dans leur lutte pour accéder à la propriété?

M. Routledge : Je vais vous donner une réponse en deux parties. Normalement, imaginons que vous soyez une banque et que vous ayez un client avec lequel vous entretenez une relation depuis 10 ans. La technologie fait perdre son revenu à l’un des partenaires du ménage. Le ménage prend alors du retard dans le remboursement de son prêt hypothécaire, ou la banque s’attend à ce que cette situation se produise. Elle appliquera alors ce que nous appelons — j’ai oublié le mot; elle ne s’appuiera pas autant sur les règles pour déterminer la marche à suivre relativement à cette hypothèque. Elle accordera un délai aux personnes concernées pour qu’ils puissent régler leurs problèmes. Elle prolongera les périodes d’amortissement afin de réduire les mensualités. Elle prendra toutes sortes de mesures pour préserver la capacité financière de ce ménage à rembourser son prêt hypothécaire et s’assurer qu’il reste en règle. Le mot que je cherche est « abstention ». Elle s’abstiendra de prendre des mesures à l’égard de la faiblesse du crédit de ce ménage.

Le point de vue de la banque est le suivant : « Si nous aidons ce client pendant les deux ou trois prochaines années, il nous restera fidèle et deviendra un client précieux à long terme. » Les gens se remettent d’une perte d’emploi. Cette situation est beaucoup plus fréquente que les gens ne le pensent. Elle se produit aujourd’hui. Leurs réserves financières et leurs revenus leur permettent de prendre ce risque.

Le sénateur Yussuff : Merci, de votre présence, monsieur Routledge.

La concurrence dans les domaines de compétence fédérale, en particulier dans le secteur financier, est l’un des éléments clés pour garantir la diversité des produits et des acteurs.

Une coopérative de crédit peut, en vertu de la Loi sur les banques, se constituer au niveau provincial et intégrer le système fédéral. Elle doit suivre deux processus pour y parvenir. À ce jour, seules quelques coopératives de crédit ont franchi le pas et effectué la transition. Le secteur estime que ce processus est extrêmement lent, fastidieux et coûteux.

Le BSIF prend-il des mesures pour l’améliorer et offrir plus de soutien? Je suis membre d’une coopérative de crédit depuis près de 50 ans; celles-ci jouent un rôle important au niveau local. La plupart sont réglementées par les provinces. Pourquoi ne pourrions-nous pas améliorer le système afin d’inciter un plus grand nombre de coopératives de crédit qui souhaitent se constituer en société au niveau fédéral à le faire, et de régler les problèmes qu’elles soulèvent quant aux frustrations et aux difficultés qu’elles rencontrent pour y parvenir?

M. Routledge : La réponse est que le BSIF peut faire mieux dans ce domaine. La solution ne repose pas sur des mesures administratives, mais sur notre tolérance au risque.

Nous ne voulons pas que les institutions fassent faillite. C’est pourquoi nous imposons des normes très strictes aux nouveaux entrants, qu’il s’agisse de coopératives de crédit ou autres. Nous leur demandons en fait de nous prouver que leur probabilité de faillite au cours des cinq prochaines années est proche de zéro. Il est donc plus difficile d’intégrer notre système. C’est ce qui explique la lenteur du processus d’intégration d’une coopérative de crédit dans le système fédéral.

Nous devons modifier notre tolérance au risque à l’interne. Nous allons le faire au sein de l’unité chargée des approbations, qui est l’unité qui traite ces demandes.

Pour ce qui est des coopératives de crédit, l’une d’elles a mis environ six ans pour rejoindre notre système. C’est très long. Au cours des trois premières années, elle a dû mettre en place une gouvernance adéquate. Comme vous le savez, les coopératives de crédit appartiennent à leurs membres, et il y a un processus à suivre qui prend du temps. Trois années de ce processus nous appartiennent. J’aurais aimé que les choses aillent plus vite.

Nous devons revoir non pas notre processus, mais notre tolérance au risque de base. Cette démarche renforcera la concurrence au sein du système grâce à l’arrivée de coopératives de crédit et d’innovateurs.

Je vais être franc. En tant qu’organisme de réglementation, nous devons faire mieux dans ce domaine.

Le sénateur Yussuff : J’aimerais vous poser une question plus difficile : Dans combien de temps — car nous vous inviterons à nouveau à comparaître devant ce comité prochainement — pourrez-vous nous fournir des lignes directrices et des orientations sur la manière dont nous pouvons y parvenir? C’est très frustrant. Nous pourrions accroître la concurrence dans les domaines relevant de la compétence fédérale. Je ne suis pas du tout en désaccord avec vos arguments concernant les risques et la nécessité de veiller à ce qu’elles respectent les mêmes obligations que les institutions fédérales, mais nous pourrions y parvenir sans que cela prenne cinq ans.

M. Routledge : Nous n’allons pas prendre cinq ans pour régler ce problème. Nous pourrions revenir l’année prochaine, et je présenterai alors des résultats concrets à ce comité. Je pense qu’au cours de l’année 2026, nous modifierons notre tolérance au risque et faciliterons l’intégration des institutions à notre système. La semaine dernière, je discutais avec un innovateur et je lui ai demandé : « Que dois-je faire pour que vous choisissiez de rejoindre le système fédéral? » Revenez dans un an, et je vous dirai ce que nous avons fait dans ce domaine. C’est une priorité pour nous.

Le sénateur Yussuff : Je vais vous prendre au mot.

Le président : Il ne nous reste qu’une minute, ce qui est suffisant pour une question, et mon collègue a généreusement cédé sa place à la présidence. Je vais donc en profiter pour conclure avec une dernière question. Malheureusement, nous n’avons pas le temps pour un deuxième tour.

Aux États-Unis, l’intensité de la réglementation relative à l’évaluation des risques importants a diminué. En tant qu’organisme de réglementation canadien, avez-vous l’intention de suivre la voie tracée par les États-Unis afin de maintenir la compétitivité entre les systèmes bancaires du Canada et des États-Unis?

M. Routledge : Il y a deux questions ici. Non, je ne vais suivre aucune autre voie que celle qui convient au système financier canadien.

Oui, nous avons toujours été attentifs à la manière dont notre environnement réglementaire se compare à d’autres systèmes, et nous ne voulons pas désavantager sur le plan concurrentiel l’un des secteurs les plus internationaux de notre économie. Nous ne le ferons pas. Il y a toujours des compromis et des choix à faire. Nous veillons volontiers à ce que notre système de capital soit équivalent à celui d’autres pays, et nous avons suspendu certaines mesures afin de respecter ce principe. Il existe une idée selon laquelle les seuls éléments qui comptent pour les institutions financières sont le capital financier et les risques liés aux liquidités. Nous rejetons cette idée. Le capital et les liquidités sont généralement les derniers signaux avant une issue désastreuse. Il existe des risques non financiers importants, comme les risques cybernétiques, les risques liés aux tiers, les risques opérationnels, les risques pour l’intégrité et la sécurité, qui nécessitent une vigilance constante, et nous ne baisserons pas la garde.

Le président : Merci, monsieur Routledge. Vous jouez un rôle très important dans le maintien de la solidité du système financier canadien. Malgré votre emploi du temps chargé, vous acceptez régulièrement de comparaître devant nous, et nous vous en sommes très reconnaissants.

[Français]

Honorables sénatrices et sénateurs, nous recevons notre second groupe de témoins aujourd’hui pour nous aider dans notre étude sur la crise du logement au Canada et les défis auxquels les acheteurs d’habitations canadiens sont actuellement confrontés.

Je souhaite la bienvenue à nos invités : M. Vince Gaetano, courtier principal et propriétaire, Owl Mortgage; M. Mark McQueen, fondateur, Wellington Growth Partners Inc.; par vidéoconférence, Mme Julie Di Lorenzo, présidente-directrice générale, Mirabella Development Corporation; enfin, M. Jordan Kupinsky, partenaire, Windsor Private Capital.

Je vous remercie tous d’avoir accepté notre invitation.

Madame Di Lorenzo, je rappelle que vous comparaissez par vidéoconférence, donc si vous avez des problèmes techniques, veuillez nous le signaler et nous allons suspendre temporairement la réunion.

Je comprends que certains d’entre vous ont des déclarations d’ouverture. Si cela vous convient, j’inviterais M. Gaetano à commencer; il sera suivi de M. McQueen et M. Kupinsky. Mme Di Lorenzo partagera son temps avec M. Kupinsky après les remarques d’ouverture.

Monsieur Gaetano, la parole est à vous.

[Traduction]

Vince Gaetano, courtier principal et propriétaire, Owl Mortgage : Bonjour, monsieur le président, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Vince Gaetano; je suis courtier principal et propriétaire de Owl Mortgage et j’étais auparavant le fondateur de MonsterMortgage.ca. Je travaille dans le secteur hypothécaire depuis 35 ans et j’ai aidé des milliers de familles canadiennes à obtenir un prêt hypothécaire pour acheter leur logement. J’ai eu le privilège d’éduquer des dizaines de milliers de téléspectateurs chaque semaine dans le cadre de l’émission « Hot Property » diffusée sur CP24 pendant près de 20 ans, et je continue aujourd’hui de le faire sur les réseaux sociaux comme YouTube et Instagram.

Aujourd’hui, je me présente devant vous en tant que personne ayant vécu des milliers d’histoires liées aux prêts hypothécaires de clients et j’aimerais vous faire part des difficultés auxquelles font face les Canadiens. Je constate chaque jour le stress que subissent les familles, et la situation du logement n’est pas seulement tendue, elle est désastreuse. Je constate également le problème lié au manque de coordination entre les différents niveaux de gouvernement. Les programmes et les organismes de réglementation ne collaborent pas pour aider les Canadiens. Au lieu de clarifier les choses, nous avons semé la confusion, souvent au détriment des familles mêmes qu’ils prétendent aider.

On peut citer par exemple le lancement du Fonds pour accélérer la construction de logements au début de l’année 2023. Ottawa a encouragé les municipalités à augmenter la densité en autorisant les quadruplex, en supprimant les formalités administratives, en permettant l’ajout de suites dans les allées et de pavillons-jardins, etc. Sur le papier, ces mesures semblent progressistes. Dans la pratique, elles ne fonctionnent pas.

Le fait est que certaines banques ne reconnaissent pas la valeur de ces suites avec jardin dans leurs évaluations. Les propriétaires qui construisent ces unités séparées espèrent refinancer leurs prêts à la construction en hypothèques à taux inférieurs. Étonnamment, les services de crédit des banques ne sont pas enclins à reconnaître les unités supplémentaires ou les revenus locatifs qu’elles génèrent dans le processus de souscription. Nous avons ici des Canadiens ordinaires qui ont fait exactement ce que le gouvernement leur a demandé — ils ont construit de nouveaux logements locatifs — et qui sont maintenant contraints de recourir à des prêts hypothécaires de rechange à des taux d’intérêt supérieurs.

Tout programme financé par le gouvernement fédéral qui encourage la construction de nouveaux logements doit être coordonné avec l’organisme chargé de la réglementation des banques ou avec la SCHL afin de garantir que les prêteurs financeront l’achat de ces logements une fois leur construction terminée. Ne pas le faire revient à construire un pont qui s’arrête à mi-chemin au-dessus d’une rivière.

Une autre initiative réglementaire, le test de résistance hypothécaire, a eu des conséquences imprévues. Salué par certains — dont moi-même en 2018 — comme le héros discret des familles en difficulté, ce test n’a pas été bénéfique. Les Canadiens se sont vu bloquer l’accès à des banques de premier ordre et aux taux d’intérêt inférieurs de ces dernières. L’échec au test de résistance équivaut à une peine de prison financière, car il oblige les emprunteurs à se tourner vers des prêteurs de rechange et des prêteurs à risque. Bien que ceux-ci offrent des critères d’admissibilité plus souples, cela se fait au prix d’un taux d’intérêt supérieur, de frais du prêteur et de frais de montage.

La différence entre les deux types de prêteurs est considérable. Pour ce qui est du taux proprement dit, l’écart est d’environ 1,5 %, ce à quoi peut s’ajouter 1 % de frais du prêteur et de frais de montage, à plus court terme. Ainsi, un prêt hypothécaire de 500 000 $ entraînerait plus de 12 500 $ de frais d’emprunt supplémentaires la première année, et disons que les conditions de renouvellement ne sont pas nécessairement meilleures. Pour un ménage dont le revenu brut est de 100 000 $, cette prime est difficile à assumer, et lorsqu’il s’agit du revenu disponible après impôt, cela devient très lourd. Pour mettre les choses en contexte, avant le test de résistance, les financements hypothécaires de ma société de courtage représentaient 80 % des prêts hypothécaires résidentiels de premier ordre. Aujourd’hui, cette proportion est inférieure à 50 %.

Tout test réglementé prévoyant des résultats futurs doit également tenir compte du fait que les ménages connaissent une augmentation annuelle de leurs revenus et que le solde des prêts hypothécaires est remboursé à hauteur de 12,5 % au cours des cinq premières années. Quel que soit le test d’admissibilité, tous les facteurs atténuants doivent être pris en compte.

Il fut un temps où les approbations hypothécaires utilisaient les cinq facteurs clés du crédit. Aujourd’hui, le test de résistance donne la priorité uniquement à la capacité, sans tenir compte des quatre autres facteurs : le capital, la caution, le crédit et les caractéristiques du propriétaire canadien.

Le test de résistance doit être modifié pour s’adapter à l’environnement actuel. La marge de sécurité de 2 % devrait être supprimée pour tous les prêts hypothécaires à taux fixe de cinq ans et modifiée pour les prêts à plus court terme et les produits à taux variable. Cela aidera de nombreux propriétaires ayant des prêts de rechange ou à risque à redevenir des emprunteurs de premier ordre, leur permettant d’économiser des dizaines de milliers de dollars sur une période de cinq ans.

Chaque jour, je rencontre des familles qui pensaient faire le bon choix pour réaliser leur rêve d’accéder à la propriété, mais qui s’aperçoivent que les conditions de leur financement absorbent une grande partie de leur revenu disponible. Au lieu de les aider dans leurs efforts, nous les avons punies en leur imposant des taux d’intérêt plus élevés et des options d’emprunt sans issue. Il ne s’agit pas seulement d’un échec politique, mais d’une trahison politique.

Sénateurs, je vous exhorte à vous interroger, à poser les questions difficiles et à demander des comptes. Pourquoi le gouvernement fédéral finance-t-il des solutions de logement que les banques refusent de reconnaître? Pourquoi les Canadiens marginalisés sont-ils punis par un test de résistance conçu pour les pousser vers des prêteurs plus coûteux?

Nous sommes à la croisée des chemins. Sans réforme sérieuse, nous ne sommes pas seulement confrontés à une crise du logement, mais aussi à une crise de confiance. Lorsque les Canadiens perdent confiance dans le système, ils cessent de construire, ils cessent d’acheter et ils cessent de croire.

Merci de votre attention. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le président : Merci. Nous passons maintenant à M. McQueen, de Wellington Growth Partners. Monsieur McQueen, soyez le bienvenu.

Mark McQueen, fondateur, Wellington Growth Partners Inc. : Bonjour. Merci, sénateur.

Je suis ici aujourd’hui en tant que personne ayant passé cinq ans sur la Colline du Parlement, notamment au bureau du premier ministre, où j’ai travaillé avec votre défunt collègue, le sénateur Hugh Segal, et 30 ans à Bay Street.

Au cours de mes huit années en tant que président de l’Administration portuaire de Toronto — un organisme fédéral —, nous avons fait construire le tunnel piétonnier P3 sans aucun financement public, un projet qui avait été lancé en 1935 et achevé la même année. Il a finalement été inauguré en 2015. J’ai également été le premier président de l’Autorité du pont Windsor-Detroit au moment où fût lancée la construction de ce projet de 6 milliards de dollars, en 2014. Je suis actuellement directeur, pour mes péchés, de l’agence de transport Metrolinx de l’Ontario.

C’est un bon point de départ. Construire 120 milliards de dollars d’infrastructures de transport en Ontario est ridicule si les promoteurs immobiliers de l’Ontario ne peuvent pas mettre en œuvre de nouveaux projets de logement pour tirer parti de cet investissement générationnel.

Selon la SCHL, le nombre total de mises en chantier annuelles se situe autour de 280 000. Bien que ce chiffre soit environ 30 % plus élevé qu’en 2010, notre immigration annuelle a explosé de 100 % — c’est 500 000 personnes — au cours de la même période. Nous avons également besoin de logements pour les 1,7 million de personnes supplémentaires que le gouvernement compte accueillir entre 2025 et 2027 en tant qu’étudiants, réfugiés et travailleurs étrangers temporaires.

La suppression par Ottawa de la TVH sur les ventes de logements neufs pour les acheteurs d’une première maison ne résoudra pas la pénurie de logements que le Canada s’est lui-même infligée. Selon une étude du Canadian Centre for Economic Analysis, les taxes et les droits d’aménagement représentent environ 30 % du coût total d’une maison individuelle d’un million de dollars en Ontario. C’est de la pure cupidité de la part du gouvernement.

Lorsque la TPS a été mise en place, le ministre des Finances de l’époque, Mike Wilson, avait décidé qu’elle ne s’appliquerait pas aux produits de première nécessité, tels que les produits alimentaires ou les médicaments sur ordonnance. Bien que la TPS s’appliquait à la vente de maisons neuves, ce qui n’avait aucun sens à l’époque, elle ne s’appliquait pas aux maisons dont le prix était inférieur à 450 000 $ en 1991. On croyait qu’à ce seuil, 95 % des maisons vendues échapperaient à la taxe. Le gouvernement avait également promis d’augmenter le seuil de 2 % chaque année, mais cela ne s’est jamais produit. Par conséquent, au lieu d’atteindre environ 900 000 $ aujourd’hui, le seuil est resté le même qu’en 1991.

La révision du seuil d’application de la TVH est une mesure nécessaire pour rendre les maisons plus abordables. Prenons l’exemple d’un couple de retraités qui souhaitent déménager de leur maison actuelle de 2 millions de dollars pour s’installer dans un nouvel appartement de 1,5 million de dollars dans la région du Grand Toronto, ou GTA, et qui comptent sur la différence pour financer leur retraite. Comme ils ne sont pas des acheteurs d’une première maison, le gouvernement leur facturera 171 000 $ de TVH sur leur nouveau logement, ce qui représente 40 % de l’argent après commission qu’ils espéraient dégager pour financer leur retraite. Cette charge fiscale les empêchera donc de vendre, ce qui réduira le nombre de logements disponibles pour les jeunes couples qui souhaitent améliorer leur sort.

Mes collègues témoins expliqueront comment résoudre le deuxième problème : la réalité selon laquelle, pour un appartement de 900 000 $ à Toronto, une jeune famille doit payer d’avance 100 000 $ de droits d’aménagement pour chaque unité, alors qu’elle utilise des services existants, tels que ceux de la Commission de transport de Toronto, les bouches d’incendie et les trottoirs.

Le financement par de nouvelles taxes foncières, comme on le voit dans de nombreuses administrations américaines, pourrait relancer la construction neuve. Lorsqu’un site est réaménagé, l’augmentation de la valeur imposable de la propriété fait augmenter le montant des impôts à payer. Pas de nouveau bâtiment, pas de nouvelle assiette fiscale. Si une ville pouvait emprunter sur cette augmentation, peut-être au moyen d’obligations municipales exonérées d’impôt — comme on le voit également aux États-Unis — émises sous l’œil vigilant de l’Office ontarien de financement, les acheteurs pourraient économiser 100 000 $ sur ces 900 000 $ du jour au lendemain.

Les acteurs du secteur privé me disent que le principal obstacle est l’excès de bureaucratie. À partir de la première rencontre d’un constructeur avec les fonctionnaires locaux, il faut en moyenne 11 ans pour construire une nouvelle maison ou un nouveau quartier. C’est une éternité compte tenu de la crise du logement abordable qui touche de nombreux jeunes Canadiens. Même si nous réduisons ce délai de moitié, vous passerez encore cinq ans dans le sous-sol de vos parents. Le seul avantage est que 2036 devient 2031.

Ce comité ne peut rien faire contre la bureaucratie, mais je vous mets en garde contre le risque de tout miser sur la nouvelle entité appelée Maisons Canada. Même si nous espérons qu’il sera plus facile de construire rapidement des logements lorsque des terrains fédéraux sont visés, le site de Jericho Beach du ministère de la Défense nationale est un exemple édifiant de la façon dont les choses peuvent se passer.

Vers 1990, j’ai assisté à une réunion avec ma patronne de l’époque, l’honorable Mary Collins, députée de Capilano-Howe Sound et ministre associée de la Défense nationale. Elle a encouragé la SCHL et le ministère de la Défense à déclarer le site excédentaire afin de réduire les coûts de nos infrastructures militaires tout en mettant à disposition un nouveau terrain pour la construction de logements. Il a fallu 24 ans pour transférer ce terrain à la Société immobilière du Canada en 2014. Il a fallu encore 13 ans pour que le conseil municipal de Vancouver parvienne à prendre le relais. Il se sera donc écoulé 40 ans entre le moment où la ministre a tenté de déclarer le terrain excédentaire et celui où une personne tournera la clé dans la serrure.

Le pont Windsor-Detroit, dont la nécessité a été déclarée en 2002 par George Bush et Jean Chrétien, n’est toujours pas ouvert en 2025. Les organismes fédéraux ne sont pas des optimistes invétérés. Nous devons doter les entrepreneurs d’une politique fiscale appropriée pour leur permettre de construire les logements dont les Canadiens ont besoin.

Le président : Merci. Je suis désolé de vous interrompre. Nous allons passer à M. Kupinsky. Je crois comprendre que vous avez accepté de partager vos cinq minutes avec Mme Di Lorenzo. Vous avez la parole.

Jordan Kupinsky, partenaire, Windsor Private Capital : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Jordan Kupinsky, et je suis partenaire chez Windsor Private Capital, une société d’investissement active dans le secteur immobilier résidentiel de la région du Grand Toronto.

Le Canada, et en particulier ses grandes municipalités, est aux prises avec une grave crise du logement abordable. Si les analyses sur les causes de cette situation ne manquent pas, ce qui importe aujourd’hui, c’est de savoir ce qu’il convient de faire pour la suite des choses. Tous les acteurs concernés — tous les ordres de gouvernement et l’industrie — ont leur part de responsabilité, mais nous avons aussi la possibilité de contribuer à remédier à cette situation.

Fondamentalement, l’abordabilité du logement dépend de deux variables : le revenu disponible des ménages et le coût du logement. Une politique budgétaire favorable à la croissance peut améliorer le volet « revenus » de cette équation, mais ces gains peuvent prendre du temps à se concrétiser. Cependant, du côté des coûts, il existe aujourd’hui des outils qui pourraient réduire de manière significative le coût initial des logements neufs, protégeant ainsi les emplois et améliorant l’accessibilité presque immédiatement.

L’un de ces outils est l’utilisation d’obligations municipales pour financer les frais d’aménagement. Il s’agit d’un modèle établi de longue date dans les municipalités américaines et qui serait facilement adaptable au Canada. Cette approche comporte un rare avantage pour tous : les municipalités continueraient de percevoir 100 % des revenus provenant des frais d’aménagement dont elles dépendent, tandis que les acheteurs de maisons neuves seraient dispensés d’un coût initial qui, dans la région du Grand Toronto, peut dépasser les 100 000 $.

Dans ce cadre, les frais d’aménagement seraient amortis sur la durée de vie de l’avantage — disons 50 ans — et perçus à la faveur d’une ligne supplémentaire au titre de l’impôt foncier. Étant donné que le coût d’emprunt de la municipalité est inférieur d’environ un point de pourcentage au taux hypothécaire typique d’un propriétaire, il en résulte des mensualités moins élevées et une économie après impôt estimée à 2 400 $ par an pour les acheteurs de maisons neuves.

La base d’investisseurs pour ces obligations municipales existe déjà, et cela pourrait représenter entre 1,5 et 2 milliards de dollars de nouvelles émissions annuelles dans la seule région du Grand Toronto, ce qui créerait un marché vigoureux et florissant pour le secteur financier canadien. Si la législation habilitante relève des provinces et des municipalités, le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de catalyseur en exonérant d’impôt les intérêts sur ces obligations, comme c’est le cas aux États-Unis. Cette seule mesure permettrait de réduire encore les coûts de financement, et ces économies se répercuteraient directement sur les propriétaires.

En outre, je voudrais signaler deux ajustements politiques complémentaires qui pourraient rapidement améliorer l’aspect économique de l’offre en matière de logement, en particulier pour les lotissements résidentiels multifamiliaux.

Premièrement, il s’agirait de supprimer les restrictions imposées aux acheteurs étrangers sur les projets de copropriétés multifamiliales et de garder ces restrictions uniquement pour les maisons individuelles et les maisons en rangée, qui sont généralement achetées par les utilisateurs finaux. En effet, dans l’état actuel des choses, ces restrictions limitent l’accès au capital pour les logements à forte densité, ce qui restreint l’offre là où elle est le plus nécessaire.

Deuxièmement, il s’agirait de permettre l’amortissement accéléré des coûts de construction des logements locatifs spécialement conçus à cet effet, à l’instar du traitement fiscal qui, dans le secteur des ressources naturelles, est accordé aux frais d’exploration par l’intermédiaire des actions accréditives. Une telle disposition pourrait attirer de nouveaux investissements privés et réduire les coûts de financement des projets locatifs.

Ensemble, ces mesures pourraient contribuer à résoudre la crise du logement abordable — non pas dans plusieurs années, mais à court terme — en stimulant la construction, en soutenant l’emploi et en augmentant l’offre.

Mesdames et messieurs les sénateurs, j’attends avec impatience vos questions et vos observations. Merci.

Le président : Merci. Madame Di Lorenzo, vous avez la parole pour deux ou trois minutes, si possible.

Julie Di Lorenzo, présidente-directrice générale, Mirabella Development Corporation : Merci. Distingués membres du comité, bonjour.

Je suis constructrice et promotrice de projets résidentiels et commerciaux depuis plus de 40 ans. Comme vous le savez sans doute, le secteur du logement connaît actuellement l’une des situations les plus difficiles des quatre dernières décennies.

Alors que nous avons un excédent de stocks pour une courte période d’un à deux ans, les mises en chantier sont anémiques. Dans certains cas, elles ont chuté de 90 %. Nous n’atteindrons aucun des objectifs fixés par les différents ordres de gouvernement en matière de logement. Tout le monde semble s’accorder sur le fait que nous connaîtrons une pénurie d’ici 2028-2029 et que les prix augmenteront.

Nous sommes toutefois distraits par des « innovations » altruistes visant à résoudre le problème alors que, selon moi, ce problème est d’ordre fiscal et financier. Nous avons déjà été l’un des marchés immobiliers les plus productifs au monde, alors il est insensé de prétendre le contraire. Nous nous focalisons sur les mauvais aspects du problème.

Dans la lignée des arguments de M. Kupinsky, l’intensification des infrastructures publiques est non seulement efficace sur le plan financier, mais elle génère également des recettes fiscales positives qui permettent de financer les infrastructures grâce aux nouvelles taxes foncières. Ce système, appelé « financement par de nouvelles taxes foncières », est utilisé partout dans le monde. Il permet en outre d’améliorer la qualité de vie économique grâce à la mise à disposition d’équipements publics et d’éviter la perte d’actifs, comme la dépréciation des véhicules.

Premièrement, les droits d’aménagement, ou DA, devraient être supprimés pour les projets concernant les lignes de métro et les infrastructures publiques existantes. La nouvelle assiette de l’impôt foncier annuel fournira les capitaux nécessaires au financement des infrastructures indispensables. Nous avons besoin d’outils de financement pour poursuivre et accélérer nos efforts, et pour que ces fonds soient répartis équitablement — des outils tels que APH Select, les produits d’assurance prêt hypothécaire et le Programme de prêts pour la construction d’appartements qui sont offerts par l’intermédiaire de la SCHL.

Le secteur du logement résidentiel représentait 8 % du PIB du pays, selon le Wall Street Journal. La perte d’emplois et la réduction de la production économique auront des répercussions négatives sur l’ensemble de l’économie.

Pour commencer, les logements établis sur des infrastructures publiques devraient être exemptés des DA. La nouvelle assiette de l’impôt foncier devrait financer ces besoins. Nous avons également besoin d’outils financiers pour lancer ces projets de toute urgence. Si nous n’accélérons pas la construction de logements dès que possible, il y aura une pénurie de logements à long terme, et les problèmes d’abordabilité s’aggraveront rapidement au cours de la prochaine décennie, ce qui limitera considérablement la prospérité économique. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie. Chers collègues, il nous reste 35 minutes. Je propose que chaque intervenant dispose de trois minutes, et j’invite nos témoins ainsi que nos collègues à formuler leurs questions et leurs réponses de façon concise.

Vice-président Varone, la parole est à vous.

Le sénateur Varone : Ma question vous est destinée, monsieur McQueen, et elle concerne l’époque où vous siégiez au sein du Cabinet du premier ministre. Vous avez raconté comment Mike Wilson avait déclaré que 450 000 $ couvraient 95 % de toutes les maisons vendues. Depuis, sept gouvernements se sont succédé et sept premiers ministres sont entrés en fonction. Aucun d’entre eux n’a pris l’initiative de mettre en place la clause d’indexation. Ma question est la suivante : pourquoi n’a-t-elle pas été mise en place dès le début?

M. McQueen : Je pense que je laisserais Michael Sabia, le secrétaire adjoint du Cabinet au Bureau du Conseil privé du premier ministre de l’époque, comparaître devant vous en tant que greffier du Conseil privé et vous expliquer pourquoi cela ne figurait pas dans l’aide-mémoire, étant donné qu’il avait en main les documents qu’il présentait au Cabinet.

Je me souviens simplement que la transposition des intentions des ministres dans les lois était un processus très laborieux, et le problème est aussi simple que cela. Le fait que cette situation dure depuis des décennies et que rien n’a été fait pour y remédier est, d’après mon expérience, dû au fait que le ministère des Finances ne veut pas céder de points d’impôt inutilement et qu’il faut lutter constamment pour y parvenir. Et ce serait le résultat, n’est-ce pas? Des recettes disparaîtraient. L’explication est aussi simple que cela.

Le sénateur Varone : Ma deuxième question vous est destinée, monsieur Gaetano. Le surintendant des institutions financières a comparu devant nous juste avant vous, et il envisageait d’éliminer le test de résistance hypothécaire, en le remplaçant par un scénario de type ratio revenu-valeur. Que pensez-vous de ce remplacement?

M. Gaetano : Ce serait plus restrictif. La meilleure façon de décrire cette idée serait de la comparer au port d’un gilet de sauvetage dans une baignoire. Nous devons vraiment réfléchir à cela. Un ratio prêt-revenu de 4,5 sera plus restrictif que le test de résistance actuel. Je crois que nous devons revenir au taux d’admissibilité hypothécaire de 5,25 %. Cela a fonctionné. C’est un outil qui a toujours été très efficace, et cela explique le fait que nos taux de défaut de paiement de prêts hypothécaires ne bougent pas du tout. Il y a cependant des mouvements très subtils. C’est lorsque les prêts hypothécaires dépassent 850 000 $ que l’on observe la plus forte augmentation des taux de défaut de paiement, soit une hausse de 40 à 42 points de base selon le dernier rapport de l’Association des banquiers canadiens.

Le sénateur Varone : D’accord.

La sénatrice Marshall : J’ai certainement ressenti le poids de vos paroles lorsque vous avez prononcé vos déclarations préliminaires. La question suivante est probablement injuste, mais je dois quand même la poser : le gouvernement dépense des milliards et des milliards de dollars pour mettre en œuvre de nouveaux programmes. Il réorganise le gouvernement pour s’attaquer au problème du logement. Certains programmes ont été transférés de la SCHL à un ministère. Et maintenant, ils vont être transférés à Maisons Canada. Nous comptons sur la fonction publique pour mettre en œuvre ces programmes, mais elle est sous pression en ce moment parce qu’un programme de compressions budgétaires est envisagé pour mettre en œuvre ces programmes.

Quand on prend du recul et qu’on examine la situation, on se demande si le gouvernement est sur la bonne voie. Comme vous êtes un observateur extérieur, je vous demande s’ils sont sur la bonne voie. Sont-ils en quelque sorte sur la bonne voie, mais doivent-ils régler certains des problèmes que vous avez soulevés, ou pensez-vous, comme l’a déclaré M. Gaetano, qu’ils doivent repenser tout le projet?

Monsieur Gaetano, comme je m’en suis prise à vous en premier, vous pouvez commencer à répondre à la question. J’aimerais savoir si le gouvernement est sur la bonne voie.

M. Gaetano : J’estime qu’ils sont sur la bonne voie. Je comprends cependant le problème que pose l’harmonisation entre les différents ordres de gouvernement et les organismes de réglementation. Prenons l’exemple du Fonds pour accélérer la construction de logements : il s’agit d’une initiative très progressiste qui encourage les municipalités à accroître leur densité et à construire des quadruplex, entre autres choses. Les gens s’attellent donc à cette tâche.

Le problème, c’est que le Fonds pour accélérer la construction de logements devrait travailler en collaboration avec le BSIF pour inciter les banques à financer ces projets. Il devrait y avoir un APF Select léger pour les immeubles de quatre logements et moins, car l’APF Select actuel ne concerne que les immeubles de cinq logements et plus. La SCHL et le BSIF devraient travailler avec le gouvernement fédéral pour dire ce qui suit : « D’accord, comment allons-nous aider ces gens qui veulent investir dans un pavillon-jardin ou un pavillon-allée? » Et quand les banques à charte me répondent par messagerie électronique qu’elles s’excusent de ne pas pouvoir évaluer ce pavillon-jardin qui a été construit et qui est loué, dans le cadre de l’évaluation, ni d’utiliser ce revenu pour qualifier ce client, je trouve cela absurde. Ces organisations ne sont pas sur la même longueur d’onde.

Ma réponse est oui; ils sont sur la bonne voie, mais ils ne communiquent pas avec les autres parties concernées. Je crois que les banques cherchent simplement à éliminer les risques en général, alors qu’en réalité, elles devraient accorder davantage de prêts. Si vous n’avez aucun défaut de paiement, vous ne prêtez pas d’argent. Vous recherchez le client parfait. Dans l’économie actuelle, il n’y a pas de clients parfaits. Ils ne sont pas tous parfaits, car notre économie est très fluide. Les gens changent constamment d’emploi. Il n’y a plus de postes de salariés garantis pendant 35 ans. Nous devons nous adapter à cette réalité.

Je pense que les banques ne sont plus des souscripteurs. Elles agissent comme des vérificateurs, et elles cochent des cases. Il n’y a plus de mesures d’atténuation, et on ne tient plus compte de la personnalité de l’emprunteur ni du montant de l’acompte versé. Prenez l’exemple des retraités qui ont un revenu fixe.

Le président : Je suis désolé, monsieur Gaetano.

La sénatrice Marshall : Ai-je le temps d’entendre les observations de quelqu’un d’autre?

Le président : Non, et j’en suis désolé.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie tous de votre présence. Je remercie également Mme Di Lorenzo. Il est dommage que je ne puisse poser qu’une seule question. Je vais la garder pour M. Kupinsky. Windsor Private Capital a acquis une expérience précieuse de la conversion de bâtiments existants en nouveaux logements locatifs. Votre projet situé au 950, rue King Ouest à Toronto en est un exemple notable. Annoncé en juin, ce réaménagement transformera un ancien hôtel en un immeuble résidentiel de 231 logements, dont 40 logements abordables. Dans votre communiqué de presse, vous avez souligné que ce projet reflète l’engagement continu de votre entreprise à soutenir le logement abordable au Canada.

Pourriez-vous communiquer au comité certains des principaux défis et obstacles auxquels vous vous êtes heurté au cours de la mise en œuvre de ce projet? Quels obstacles particuliers ont ralenti vos progrès, ou même risqué de faire échouer complètement le projet? De façon plus générale, sur quoi, selon vous, le comité devrait-il concentrer son attention pour trouver des solutions pratiques et concrètes qui pourraient contribuer à simplifier et à accélérer la conversion de bâtiments semblables partout au pays?

M. Kupinsky : Merci. Nous sommes très fiers de ce projet et nous sommes ravis de notre collaboration avec nos partenaires, Greenwin et Intentional Capital. Il est intéressant de souligner que la SCHL n’y participe pas. Nous avons pu démarrer les travaux plus rapidement grâce à notre financement traditionnel. Compte tenu des règles et des procédures qu’il faut suivre pour obtenir du financement de la SCHL, à moins de pouvoir bénéficier du Programme de prêts pour la construction d’appartements, notre entreprise estime que le financement traditionnel lui permet de démarrer les travaux plus rapidement que le financement offert dans le cadre des programmes de la SCHL.

Donc, encore une fois, il y a des mesures que le gouvernement fédéral peut prendre pour accroître l’accès au capital. Pour répondre à votre question posée précédemment, le gouvernement investit des milliards de dollars, mais les solutions rapides consistent à éliminer les coûts du système et à laisser le secteur privé faire ce qu’il fait le mieux : on commence les travaux, on obtient le financement et on construit. Comme l’a dit M. McQueen, en ajustant la TVH, on économise 100 000 $. Si l’on finance les droits d’aménagement sur la durée de vie des actifs, il s’agit de 100 000 $ supplémentaires, soit 200 000 $ au total. Les logements deviennent alors plus abordables. Si le gouvernement mise sur des politiques qui font augmenter notre PIB par habitant, les consommateurs auront, avec le temps, les moyens d’acheter les logements.

[Français]

La sénatrice Henkel : Ma question s’adresse à M. Gaetano. Face aux exigences plus strictes des grandes banques, de plus en plus d’emprunteurs se tournent vers des prêteurs non traditionnels. Quelle est aujourd’hui la part de ces prêteurs alternatifs dans le marché, et comment jugez-vous leur encadrement actuel?

Y voyez-vous un risque croissant pour les consommateurs ou, au contraire, une soupape nécessaire au système?

[Traduction]

M. Gaetano : Les prêteurs parallèles ont adopté la simulation de crise. La qualité de leurs demandeurs s’est améliorée, mais des coûts s’ajoutent. Lorsque vous vous tournez vers ces prêteurs de rechange, vous devez payer des frais supplémentaires. Selon ma conception des choses, ce n’est pas un service gratuit : il y a les frais du prêteur, les frais de montage, des primes plus élevées. Les contrats sont généralement d’une durée d’un an ou de deux ans, ce qui est moins avantageux pour le renouvellement. Une fois que l’on fait affaire avec des prêteurs parallèles et des prêteurs à risque, il est très difficile de revenir aux prêteurs A.

Je pense que les prêteurs parallèles et à risque connaissent une croissance, car de plus en plus de gens sont poussés vers eux. Le fait est qu’il ne cesse d’en surgir et les entités de placement hypothécaire, comme l’a mentionné le surintendant des institutions financières... Je pense qu’il sous-estime leur importance. Je pense qu’elles représentent probablement plus de 8 % du marché. Des entités comme Home Trust et Banque Équitable sont en pleine croissance. Nous voyons de plus en plus de ces acteurs parallèles dans mon bureau, à la recherche de nouvelles affaires chaque jour.

M. Kupinsky : J’ajouterais une remarque. Ce qui est ironique dans ce marché hypothécaire parallèle, que nous connaissons également assez bien, c’est que bon nombre de nos banques à charte accordent en fait des prêts de premier rang aux sociétés de placement hypothécaire qui octroient des prêts. Ce qui est ironique dans cette situation, c’est qu’elles réalisent des profits et prennent moins de risques qu’en prêtant directement à l’emprunteur, de sorte que le propriétaire paie un taux d’intérêt plus élevé que celui qu’il aurait payé s’il avait pu obtenir son prêt hypothécaire directement auprès de la banque. La banque continue de réaliser des profits grâce à ce propriétaire, mais dans une position plus sûre. Je trouve que c’est assez ironique, et nous devrions peut-être nous pencher sur cette question.

Le président : Merci. Je vais m’abstenir de tout commentaire, car j’ai travaillé dans le système bancaire pendant des années.

La sénatrice McBean : Je pense que nous aurions utilisé un autre mot que « ironique » pour décrire cette situation.

Monsieur Gaetano, quelles mesures le gouvernement fédéral pourrait-il prendre pour améliorer l’abordabilité des prêts hypothécaires et, surtout, la stabilité pour les Canadiens qui doivent renouveler leur taux? J’ajouterai une autre question. Quels programmes fédéraux pourraient être restructurés de manière à offrir d’autres options de prêt et des modèles de copropriété afin d’élargir l’accès au logement?

M. Gaetano : En ce qui concerne le renouvellement, les banques ont une façon très intéressante d’afficher leurs taux réguliers que personne n’obtient jamais. Par exemple, le taux affiché pour cinq ans est de 6,09 %. Personne ne voit jamais ce taux. En 35 ans, je n’ai jamais vu une banque à charte appliquer un taux affiché. Il y a toujours une réduction. Lorsqu’elles calculent les pénalités, elles incluent toujours la réduction sur le taux affiché. Il conviendrait peut-être que l’organisme de réglementation dise que si le client a obtenu au départ une réduction de 1,5 % ou quel que soit le taux par rapport au taux affiché, il devrait peut-être en bénéficier à nouveau au moment du renouvellement s’il a effectué tous les paiements. Il ne faut donc pas être trop voraces. On vérifie les comptes bancaires des clients. Des algorithmes permettent de savoir quels sont les salaires versés sur les comptes bancaires. On sait si les gens sont dans la marge ou non. Ils n’obtiennent pas toujours les meilleurs taux au moment du renouvellement. Ils doivent toujours négocier les taux. Lorsque les clients ont peur de négocier parce qu’ils savent que les marges se rétrécissent, ils sont très réticents à repousser les limites.

C’est donc astucieux de la part des banques, mais je pense que c’est aussi abusif. Il faudrait régler ce problème. Pour ce qui est de votre deuxième question, pouvez-vous la répéter? Je suis désolé.

La sénatrice McBean : Quels programmes fédéraux pourraient être restructurés de manière à offrir d’autres options de prêt ou des modèles de copropriété afin d’élargir l’accès?

Le président : Mme Di Lorenzo souhaite également intervenir. Allez-y, je vous en prie.

Mme Di Lorenzo : Merci pour votre question, sénatrice. Je ne comprends toujours pas pourquoi, aux États-Unis, on peut obtenir un taux fixe pour une période de 25 ans. Si l’on demande aux gens de rembourser leur prêt hypothécaire sur 25 ou 30 ans, il semble équitable et juste qu’ils puissent bénéficier d’une sécurité quant au taux d’intérêt qu’ils paient pendant une période plus longue que 5 à 7 ans.

Le sénateur C. Deacon : Je tiens simplement à souligner le point soulevé par M. Gaetano, à savoir que la souplesse réglementaire et l’harmonisation des politiques à l’échelle fédérale sont, à mon avis, des éléments essentiels. Merci de l’avoir signalé.

Ma question s’adresse à Mme Di Lorenzo et à M. McQueen. Elle porte sur l’importance de veiller à ce que les gens n’aient pas à dépenser de 8 000 à 10 000 $ par année pour une voiture et à ce que les transports en commun constituent une option pour eux dans une bonne partie de nos constructions — et sur ce que le gouvernement pourrait faire à cet égard. Quelles politiques fédérales pourraient contribuer à l’atteinte de cet objectif? Je pose d’abord la question à Mme Di Lorenzo?

Mme Di Lorenzo : La gestion de la croissance est un élément important pour moi. Je comprends que les avantages financiers de la densification concernant les infrastructures publiques sont énormes pour l’économie. Nous avons accompli un travail remarquable en passant, au cours des 15 dernières années, de la construction d’immeubles bas à celle d’immeubles à logements multiples. Nous y sommes parvenus.

L’important, c’est que les programmes du gouvernement fédéral puissent être utilisés pour accélérer le financement des projets. S’il s’agit du transport en commun, ils devraient être prioritaires en ce qui a trait à APH Select et au Programme de prêts pour la construction d’appartements, par exemple. Tout outil financier dont dispose le gouvernement fédéral devrait être utilisé pour accélérer les projets répondant à ces critères.

Si je peux ajouter une remarque, certaines des inventions que nous voyons ne favorisent pas la densification. Nous parlons d’innovation. Si l’on applique ces innovations, elles concernent les habitations basses. Je ne suis pas contre la possibilité de construire ce type d’habitation, mais on était déjà extrêmement efficace dans le secteur des immeubles résidentiels à logements multiples. Nous devrions continuer à promouvoir ce type de construction comme étant efficace sur le plan financier.

M. McQueen : Peu importe le parti au pouvoir, que ce soit à l’échelle provinciale ou fédérale, depuis des décennies, on choisit soigneusement les projets de transport en commun — ce à quoi vous faites référence, je crois — qui correspondent à l’air du temps. Heureusement, en Ontario, nous avons maintenant un programme sur 30 ans qui sera à l’abri de toute intervention, peu importe les convictions politiques qui pourraient prévaloir lors d’un changement de gouvernement dans l’avenir.

Ces partenariats sont devenus la norme. C’est plus constructif que ce que nous avons vu il y a 15 ans à Toronto. À l’époque, les gouvernements fédéral et provincial et la municipalité tentaient tous d’ouvrir ou de fermer un aéroport, selon le jour, comme la sénatrice Pupatello s’en souviendra sans doute.

Le fait est que lors de la crise financière de 2008-2009, les travaux avaient démarré et le financement était en place. Encore une fois, il s’agissait de quelque chose de stratégique à un moment donné pour une raison qui, encore une fois, était liée à des projets qui correspondaient à l’air du temps.

Dans le cadre de mes fonctions chez Metrolinx, je ne vois aucun problème dans la façon dont les choses fonctionnent. La question est de savoir comment intégrer, comme l’a souligné Mme Di Lorenzo, les trains dans le projet de la collectivité. On dispose de ces parcelles de terrain. Comment peut-on les optimiser avec les trains? Nous n’avons pas encore trouvé la solution, c’est certain. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’une politique fédérale. Si le gouvernement fédéral disait que l’approbation finale d’une subvention de 6 milliards de dollars dépendait de l’approbation par la municipalité d’une certaine densification avant que l’argent ne soit versé, vous savez ce qui se passerait, n’est-ce pas? Les approbations auraient déjà été obtenues à ce moment-là.

Le sénateur Dalphond : Cette question s’adresse à vous, madame Di Lorenzo, ainsi qu’à vous, monsieur Kupinsky. Je crois comprendre que vous êtes membre du Groupe d’étude sur le logement abordable qui a été mis sur pied en Ontario.

Nous venons d’apprendre que dans le cadre du projet de loi 17, on tente de modifier les modèles pour les redevances d’aménagement afin que les coûts d’aménagement des réseaux d’aqueduc et d’égouts puissent être transférés à une entité distincte plutôt que d’être payés d’avance. Est-ce là l’une des mesures que nous devrions préconiser?

Mme Di Lorenzo : En ce qui concerne le projet de loi en question, je suis désolée, mais je ne suis pas très au fait de son contenu. En principe, il semble que nous essayions d’éliminer ce paiement initial des redevances d’aménagement qu’on impose au premier acheteur qui est tout à fait inapproprié, car ce premier acheteur en porte le fardeau sur son hypothèque.

Lorsque nous examinons le montant réel des hypothèques contractées, les recettes fiscales doublent pendant la durée de leur amortissement. Si c’est l’outil utilisé, c’est un bon outil, car, combiné à des obligations et à d’autres mécanismes de financement, ces éléments peuvent être financés par la nouvelle assiette foncière.

Je donne souvent l’exemple, monsieur, d’un projet que j’ai construit au coin de Bay et College, qui était un immeuble de bureaux désaffecté. Nous avons fait un ajout de 100 pieds sur 100 pieds, pour plus de 150 familles, et l’assiette fiscale qui y est liée aurait financé de manière exponentielle un très bel ajout d’infrastructure. Cette assiette fiscale n’existait pas.

La densification génère de nouvelles recettes fiscales très efficaces chaque année. On devrait utiliser ces recettes, plutôt que de pénaliser les propriétaires.

M. Kupinsky : Pour ajouter à ce qu’a dit Mme Di Lorenzo, je ne connais pas particulièrement bien le projet de loi, mais disons simplement que les réseaux d’aqueduc et d’égouts constitueraient une composante des redevances d’aménagement, de sorte que le problème ne serait pas résolu en entier.

Le concept d’obligations municipales serait progressivement supérieur, si c’est la solution qu’ils proposent. Le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle de catalyseur s’il faisait comme on le fait aux États-Unis et si ces obligations étaient exemptes d’impôt du point de vue des intérêts afin de réduire davantage les coûts.

Même si le gouvernement fédéral n’utilisait pas cet outil dont il dispose, toute mesure visant à inciter les municipalités de la province à adopter ce type de financement aurait des répercussions importantes dès le départ, à savoir une réduction du coût d’achat initial, puis des coûts mensuels continus pour un consommateur ou un propriétaire.

Le sénateur Dalphond : Non, je crois comprendre que 50 % des redevances d’aménagement sont liées aux réseaux d’égouts et d’aqueduc. Nous parlons d’environ 100 000 $ dans la région de Toronto.

La sénatrice Martin : J’ai une brève question, puis j’espère pouvoir demander à M. McQueen de nous en dire plus sur Maisons Canada et sur l’idée que la création de cette agence n’est pas la solution.

Monsieur Gaetano, vous avez dit beaucoup de choses qui ont retenu mon attention. L’une d’entre elles concernait la nécessité de demander des comptes. Nous ne pouvons pas réformer tout le système maintenant. Ce que nous pouvons essayer de faire, c’est de renforcer les mesures de reddition de comptes afin de limiter les frais inutiles et de réduire les formalités administratives. Si ces taxes cachées étaient connues des acheteurs et clairement indiquées dans le prix final de la maison, la pression exercée par le public qui en résulterait obligerait-elle le gouvernement à réduire considérablement les frais? Est-ce une mesure de reddition de comptes qui pourrait être efficace?

M. Gaetano : La transparence serait très utile. Mme Di Lorenzo a parlé de ce que finance un emprunteur. Sur des redevances d’aménagement de 200 000 $ financées par un propriétaire, selon qu’il s’agit d’un client d’un prêteur A, d’un prêteur parallèle ou d’un prêteur à risque, les frais d’intérêt supplémentaires sur 25 ans sont de 165 000 à 190 000 $. Selon elle, c’est le double.

Il est essentiel que les consommateurs sachent exactement à quoi correspondent les redevances d’aménagement — tout le monde pense que le constructeur les perçoit et en tire un profit, mais ce n’est pas le cas. Elles sont refilées au consommateur. Ce serait utile.

La sénatrice Martin : Merci. Monsieur McQueen, vous avez une vaste expérience. Je vous ai entendu dire que la solution ne réside pas dans la création d’une autre agence fédérale. Cela rejoint ce que la sénatrice Marshall vous a demandé à tous les deux, mais nous avons manqué de temps. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. McQueen : Nous sommes tous victimes de notre expérience, n’est-ce pas? J’ai bon espoir que Maisons Canada parvienne à surmonter certaines des difficultés que le gouvernement précédent a passé 10 ans à nous dire qu’il allait surmonter, sans y parvenir, semble-t-il, non pas par manque d’efforts, de volonté, de moyens ou d’argent.

Le problème que posent les agences indépendantes, c’est qu’elles ne sont pas indépendantes. Vous ne vous en rendez compte que lorsque vous êtes responsable d’une agence et que vous constatez que le Conseil du Trésor veut approuver votre plan de base chaque année. Vous demandez alors de quel plan de base il s’agit. On vous répond « eh bien, celui que nous devons approuver pour que vous puissiez dépenser l’argent que le premier ministre vous a demandé de dépenser pour construire ce pont ou réaliser ce projet », que ce soit à Jericho Beach, à l’aéroport de Downsview ou ailleurs, pour construire des milliers de logements, un tunnel ou autre chose, ou un pont de 6 milliards de dollars qui était apparemment le projet le plus important du Canada. Sauf que l’analyste du Conseil du Trésor voulait voir la matrice des risques du projet que vous aviez reçu l’ordre de réaliser en six ans.

Le gouvernement ne donne aucun pouvoir à ces agences. C’est aussi simple que cela. Il leur donne le pouvoir de dépenser l’argent qui aurait pu être dépensé par le ministère chargé de superviser leurs activités, de choisir leur conseil d’administration et de leur prêter des fonctionnaires pour une durée déterminée.

Ce n’est pas que personne ne veuille construire ces logements. Je ne veux simplement pas que nous mettions tous nos œufs dans le même panier et que, dans cinq ans, nous nous demandions pourquoi les choses n’ont pas fonctionné encore une fois. L’histoire du site de Jéricho Beach en est un exemple : 40 années se sont écoulées entre une idée et une orientation, 40 années entre une orientation et le moment où l’on a tourné la clé dans la serrure. Nous n’avons pas six ans devant nous.

La sénatrice Martin : Je viens de la Colombie-Britannique, soit dit en passant, donc...

M. McQueen : Cette histoire vous parle-t-elle?

La sénatrice Martin : Oui, elle me parle. Je vous remercie.

M. McQueen : Si je n’avais pas été là, je n’y croirais pas.

Le président : Merci.

Le sénateur Yussuff : Je remercie tous les témoins de leur présence. Vous avez tenté de ratisser large. Comme vous le savez, le système ne fonctionne pas de cette façon. Au risque de vous déplaire, je veux creuser un peu plus loin. Vous avez fait une observation intéressante; le comité a aussi reçu une demande semblable. Aux États-Unis, un système a été mis en place pour aider les municipalités à surmonter les défis parce qu’elles doivent financer les infrastructures nécessaires à leur succès. Notre approche actuelle ne semble pas être celle que tous considèrent comme la marche à suivre.

Compte tenu de cette réalité, y a-t-il une province qui prend des mesures concrètes pour dire : « Il faut agir, sinon les coûts associés à la possession d’une maison ou d’un appartement en copropriété ne baisseront pas, et surtout, la crise s’aggravera »? Y a-t-il de l’intérêt pour la mise en place d’un système d’obligations ou de crédits de sûreté qui seraient accordés aux municipalités par le gouvernement fédéral ou provincial — les deux seules entités qui pourraient soutenir pareil système? Le gouvernement de l’Ontario en a parlé, mais je ne l’ai pas entendu dire qu’il assumerait cette responsabilité pour faire en sorte que les objectifs soient atteints.

M. Kupinsky : Je peux vous parler de mon expérience personnelle. Je me suis impliqué dans ce dossier il y a environ quatre mois parce que je me suis dit, en tant que citoyen canadien préoccupé, que le temps était venu non pas de continuer à me plaindre, mais d’agir.

Depuis, j’ai discuté avec le maire d’une localité importante de la banlieue du Grand Toronto. Il appuie totalement la proposition et il ne comprend pas pourquoi on ne le fait pas. Il a des parents aux États-Unis qui font partie de la fonction publique, et c’est illogique. De plus, quand j’en ai parlé à un conseiller municipal de la banlieue du Grand Toronto, il m’a répondu : « C’est formidable; on doit absolument le faire. » J’ai aussi communiqué avec le bureau du ministre des Affaires municipales de l’Ontario et j’ai discuté avec un conseiller en politiques. À ma connaissance, le ministère ne considérait pas cette possibilité.

Je sais que le gouvernement fédéral n’a pas beaucoup d’outils à sa disposition puisque cet enjeu relève surtout des provinces et des municipalités, mais je le répète, si je suis ici aujourd’hui, c’est dans l’espoir que cet effort de sensibilisation ouvre la porte à d’autres discussions.

En tirant parti de leurs réseaux, les sénateurs ici présents et toute autre partie pourraient contribuer à faire de cette proposition une réalité. Je le répète, ce serait facile à mettre en œuvre. On y arriverait très rapidement si on le souhaitait.

Le sénateur Yussuff : Monsieur McQueen, merci encore pour le travail que vous faites chez Metrolinx. J’habite Toronto; je connais donc très bien les défis que pose le développement du transport en commun en ville. On dirait qu’on s’est réveillé un matin et qu’on s’est rendu compte qu’il y avait un problème; pourtant, quelqu’un qui portait attention aurait remarqué le problème dans le système il y a 20 ans.

Compte tenu de cette réalité et des investissements offerts, quand vous discutez avec les promoteurs de la possibilité de tirer parti des nombreux projets aux volets multiples menés en ville, semblent-ils avoir la volonté de contribuer à la solution? À mon avis, la densification peut participer à créer des possibilités favorisant l’acquisition d’un appartement en copropriété ou d’une maison en ville si, comme mon collègue l’a dit, les gens peuvent renoncer à leurs voitures et se rendre au travail à pied, en vélo ou par d’autres moyens.

Je vais conclure là-dessus : j’étais à Toronto lundi matin et je devais me rendre à l’aéroport. J’étais au centre-ville, à l’intersection des rues College et Bay. J’ai traversé la rue pour prendre le métro jusqu’à la rue Front, puis je suis monté à bord du train UP et je me suis rendu à l’aéroport Pearson. Le trajet a pris moins de 30 minutes. En taxi, le même trajet aurait pris 45 à 60 minutes. Ce que je veux dire, c’est que je comprends la nécessité de développer les réseaux de transport, mais la majorité des gens ne saisissent pas l’importance du travail qui doit être fait en ce sens.

M. McQueen : C’est pourquoi nous avons le temps, pendant que les projets sont en cours — les travaux sur la ligne de Finch West, la ligne Eglinton Crosstown, la ligne Ontario, le prolongement de la ligne Sheppard —, de prendre les mesures nécessaires pour que la politique fiscale qui profitera aux entrepreneurs, et peut-être aussi aux acheteurs d’une habitation, soit mise en place avant que ces stations ouvrent leurs portes. Nous avons une fenêtre de trois, quatre, cinq ou six ans, et je pense qu’avec votre participation et en apportant des changements à la politique fiscale fédérale, nous arriverons à créer un cadre bien adapté. Vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Fridhandler : Monsieur Kupinsky, la proposition de se pencher sur les obligations municipales et sur leur caractère incitatif lié au fait qu’elles sont sans intérêt est très importante. On parle de mesures portant sur l’accès à la propriété; toutefois, je n’ai pas entendu dire qu’il faudrait peut-être aussi réduire de 100 % à 75 % l’exemption pour résidence principale sur les gains en capital, puisque le gouvernement fédéral ne laissera pas tomber des points d’impôt si facilement. Pour établir un équilibre, d’un côté, on faciliterait l’accès à la propriété; de l’autre, on réduirait les bénéfices tirés de la vente d’une propriété. Ce compromis vous semble-t-il acceptable?

M. Kupinsky : Je vais probablement vexer mes collègues du milieu des affaires, mais personnellement, je crois qu’on a déséquilibré le système en exonérant d’impôt les gains en capital pour les résidences principales : cette mesure encourage les gens à surinvestir dans une habitation parce que c’est avantageux sur le plan fiscal. Au lieu d’investir dans des entreprises, par exemple, les gens achètent des maisons plus coûteuses parce que les gains en capital sont exonérés d’impôt. C’est une mauvaise affectation des capitaux. Cette réponse risque de vexer mes collègues, mais d’un point de vue politique, c’est ce que je pense.

Le sénateur Fridhandler : Accepteriez-vous ce compromis?

M. Kupinsky : Personnellement, est-ce que j’accepterais ce compromis?

Le sénateur Fridhandler : Pour que les obligations soient sans intérêt, vous allez réduire les gains en capital afin que le gouvernement atteigne l’équilibre.

M. Kupinsky : Excusez-moi, ce ne serait pas exactement ce compromis, mais je pense que c’est un changement qui pourrait être apporté en conjonction avec d’autres dans le contexte d’une modernisation du régime fiscal dans son ensemble. Je n’associe pas ces deux mesures à un compromis particulier.

M. McQueen : Toutefois, on doit pouvoir déduire les intérêts payés sur les prêts hypothécaires, car il faut imposer les gains et ne pas permettre de les accumuler, comme aux États-Unis.

M. Kupinsky : Je suis d’accord avec vous là-dessus.

Le président : Je vous remercie. Le temps tire à sa fin; il nous reste trois minutes. Vous venez d’aborder un sujet intéressant : la possibilité de toucher à l’exemption pour résidence principale sur les gains en capital.

Corrigez-moi si j’ai tort : l’exemption s’applique à la résidence principale. Si vous avez un appartement en copropriété ou un pied-à-terre, vous devez payer l’impôt sur les gains en capital — du moins c’est ce que j’ai fait. Juste pour confirmer...

M. Kupinsky : C’est juste : l’exemption s’applique à la résidence principale.

Le président : Oui, exactement.

Chers collègues, il ne nous reste que trois minutes. Ce n’est pas suffisant pour faire un deuxième tour, mais est-ce que quelqu’un a une question à poser?

Le sénateur C. Deacon : J’ai une petite question. Durant son témoignage devant le comité, Jon Love a parlé des sommes que représentent les redevances d’aménagement perçues à Toronto et de l’effet limité qu’aurait leur élimination sur l’assiette fiscale globale — sur l’assiette fiscale globale annuelle des propriétaires.

Avez-vous des données ou des observations là-dessus? Je vais commencer encore une fois par Mme Di Lorenzo.

Mme Di Lorenzo : Je vous remercie. Il y a des années, j’étais présidente de la Greater Toronto Home Builders’ Association. Je me souviens que même à l’époque, des sommes très importantes étaient amassées, puis gardées en réserve au lieu d’être versées. À titre d’exemple, je crois qu’il y a des fonds inutilisés de 1 milliard de dollars réservés aux parcs. Si ces fonds restent inutilisés, était-il vraiment nécessaire de percevoir ces redevances? Pourquoi pénalise-t-on l’élargissement du parc immobilier? La réponse à votre question — si j’ai bien compris votre question —, c’est que la reddition de comptes liée à l’affectation des sommes perçues est très importante. Quant à moi, si les redevances n’étaient pas réservées aux parcs, les fonds ne resteraient pas inutilisés.

Récemment, on a compris que la province avait versé 400 millions de dollars à la Ville de Toronto. Merci à la province, mais ensuite, aucun mécanisme n’a été mis en place pour demander des comptes à la Ville de Toronto sur l’affectation des fonds. Les outils que nous décrivons aujourd’hui favorisent la reddition de comptes. On ne peut pas simplement verser 400 millions de dollars à une municipalité, puis ne pas lui demander ce qu’elle en fait. Les fonds ne peuvent pas être affectés à des projets potentiellement motivés par des considérations politiques; ils doivent servir l’intérêt de la ville ou de la municipalité. Les outils dont nous parlons aujourd’hui favorisent la reddition de comptes, l’affectation judicieuse des fonds et la transparence.

M. Kupinsky : D’un point de vue mathématique, en 2024, les redevances d’aménagement perçues dans le Grand Toronto étaient d’environ 1,8 milliard de dollars. Je ne saurais vous dire sur combien de ménages ces frais étaient répartis. Je le répète, les redevances d’aménagement ont toujours été fondées sur le principe que la croissance devrait financer la croissance. Or, la solution des obligations municipales part du même principe, non? Il faut se poser une plus grande question : les personnes qui achètent une nouvelle habitation aujourd’hui subventionnent-elles les propriétaires d’habitations existantes? Parce que de la manière dont les redevances d’aménagement sont calculées, il ne s’agit plus strictement de financer la croissance. Encore une fois, ce sont des enjeux qui relèvent des municipalités et des provinces, mais je pense que votre question allait dans cette direction.

Le président : Nous vous remercions, monsieur Gaetano, monsieur McQueen, monsieur Kupinsky, madame Di Lorenzo. Je sais que vos emplois du temps sont chargés. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir pris le temps de nous faire part de vos observations.

Chers collègues, nous remercions les interprètes et le personnel qui ont rendu possible la tenue de cette réunion. Notre prochaine réunion aura lieu mercredi prochain, après le dépôt du budget, soit le 5 novembre, à 16 h 15.

(La séance est levée.)

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