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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 5 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui à 16 h 15 (HE), pour étudier, afin d’en faire rapport, la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.

Le sénateur Toni Varone (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Je m’appelle Toni Varone et je suis sénateur de l’Ontario et vice-président du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Notre distingué président, le sénateur Clément Gignac, ne peut pas être avec nous et par conséquent, je ferai de mon mieux pour le remplacer.

Je souhaite la bienvenue aux membres du comité et aux témoins présents ici et en ligne ainsi qu’à tous ceux qui nous regardent en ligne. Je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine Anishinaabe.

Avant d’entendre les témoins d’aujourd’hui, j’aimerais commencer par demander aux sénatrices et aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur Loffreda : Sénateur Tony Loffreda, du Québec

Le sénateur Fridhandler : Sénateur Daryl Fridhandler, de l’Alberta.

Le sénateur Yussuff : Sénateur Hassan Yussuff, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice McBean : Sénatrice Marnie McBean, de l’Ontario.

Le sénateur C. Deacon : Sénateur Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

La sénatrice Marshall : Sénatrice Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Martin : Bonjour, Yonah Martin de la Colombie-Britannique.

Le vice-président : Merci.

Nous poursuivons notre étude spéciale sur la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.

Comme premier témoin, nous accueillons M. Matt Gemmel, directeur général, Politique et affaires publiques, de la Fédération canadienne des municipalités. Bienvenue à notre comité, et merci de comparaître devant nous aujourd’hui. Je vous invite à présenter votre déclaration préliminaire. Vous avez cinq minutes.

Matt Gemmel, directeur général, Politique et affaires publiques, Fédération canadienne des municipalités : Merci. C’est un plaisir d’être ici. Comme vous le savez sans doute, la Fédération canadienne des municipalités, la FCM, est le porte-parole national des administrations municipales au Canada. Nous représentons 2 000 municipalités de toutes tailles, de toutes les provinces et de tous les territoires. J’aimerais vous remercier de nous avoir invités à comparaître dans le cadre de votre étude. Il n’y a pas plus grande priorité pour les municipalités que l’abordabilité du logement.

Les municipalités sont en première ligne de la crise du logement, et nous reconnaissons que notre rôle, aux côtés du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires, est vital pour affronter cette crise; c’est pourquoi les municipalités ont pris des mesures concrètes pour régler le problème, que ce soit en modernisant le zonage, en augmentant la densité, en raccourcissant les délais de délivrance des permis ou en utilisant des terrains municipaux pour y construire des logements hors marché. Mais nous savons qu’il faut faire beaucoup plus.

Nous saluons les dernières annonces du gouvernement fédéral, et nous nous réjouissons particulièrement des objectifs de Maisons Canada, une nouvelle agence qui met l’accent sur les logements hors marché et les logements sans but lucratif. Il est essentiel d’augmenter l’offre de logements hors marché pour améliorer le système de logements canadien et augmenter l’abordabilité.

[Français]

La priorisation de méthodes de construction modernes va également contribuer à accélérer la livraison de logements tant attendus partout au pays.

[Traduction]

Nous sommes satisfaits de l’objectif de Maisons Canada. Cependant, nous sommes convaincus que cette agence à elle seule ne pourra pas atteindre l’objectif du gouvernement fédéral, qui est de construire 500 000 logements par an, soit le double du taux actuel de construction de logements.

Pour atteindre cet objectif, il faut des investissements importants dans les infrastructures municipales favorisant le logement, y compris les routes, l’approvisionnement en eau, les installations de traitement des eaux usées, le transport en commun, les parcs et toutes les infrastructures nécessaires pour bâtir une collectivité.

Le budget fédéral présenté hier a pris en compte le rôle essentiel que les infrastructures municipales jouent dans la construction résidentielle et la croissance économique. Cependant, le financement des infrastructures annoncé est en grande partie une reformulation du financement existant, et ces engagements ne sont pas à la hauteur des besoins et ils ne permettront pas d’accélérer de manière considérable le rythme de construction des logements.

Toutefois, j’aimerais faire un petit retour en arrière et examiner le rôle des municipalités dans la construction de logements ainsi que la structure fiscale actuelle des municipalités. La réalité, c’est que les municipalités du Canada ont très peu d’outils pour générer des recettes à partir desquelles financer, entretenir et améliorer les infrastructures publiques. Les impôts fonciers représentent généralement environ la moitié des recettes municipales et 90 % des recettes fiscales. En fait, le Canada est l’un des pays qui dépend le plus des impôts fonciers parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. La population et l’économie du Canada connaissent une croissance, mais les recettes municipales provenant des taxes foncières n’augmentent pas au même rythme que les taxes de vente ou les impôts sur le revenu.

Un autre outil fiscal dont se servent certaines des municipalités dans le pays est, bien sûr, les redevances d’aménagement, dont, je le sais, vous avez entendu parler dans votre étude. Ce sont essentiellement des droits que les promoteurs immobiliers paient d’avance pour couvrir une partie des coûts des infrastructures nécessaires pour construire des maisons neuves et de nouveaux quartiers. Ces droits portent différents noms, au pays, et j’aimerais souligner que la façon dont ils sont appliqués et leurs taux varient grandement d’une province à une autre. Certaines provinces n’imposent pas du tout ces droits.

Du point de vue de la politique fiscale, les redevances d’aménagement, ou quel que soit le nom qu’on leur donne, sont une bonne source de revenus pour trois raisons. Premièrement, elles ont un lien direct avec les coûts des infrastructures liées à la croissance, déterminés en vertu des lois provinciales. Deuxièmement, elles sont pour les municipalités une source de revenus prévisible et stable, liée aux coûts réels et aux augmentations des coûts de construction, et elles augmentent donc en fonction de l’inflation des prix de construction, ce qui n’est pas le cas des autres sources de revenus. Troisièmement, elles permettent aux municipalités de faire payer les externalités ou les coûts publics plus élevés liés à un aménagement moins dense, ce que l’on appelle également l’étalement urbain.

Je tiens à préciser une chose. La FCM reconnaît que les redevances d’aménagement contribuent au coût total de la construction de logements, et nous reconnaissons que, à certains endroits, notamment dans les régions du Grand Toronto ou du Grand Vancouver, les redevances d’aménagement ont considérablement augmenté ces dernières années.

Il convient de noter que, en même temps, les redevances d’aménagement sont un facteur parmi tant d’autres qui contribuent aux coûts élevés de la construction, qui comprennent les coûts des terrains, de la main-d’œuvre, des matériaux et des emprunts, qui n’ont pas cessé d’augmenter ces dernières années.

[Français]

Sur la totalité des impôts et taxes, la proportion qui va aux municipalités est moins grande que celle qui va au fédéral et au provincial.

[Traduction]

Hier, le budget fédéral a prévu de fournir 12 milliards de dollars sur 10 ans pour encourager les municipalités à réduire les redevances d’aménagement. Cet engagement est une reconnaissance de l’importance des redevances d’aménagement comme source des recettes municipales et de la nécessité des investissements fédéraux dans les infrastructures liées au logement. Il est essentiel que le gouvernement fédéral n’adopte pas une approche unique et reconnaisse que chaque province et chaque territoire a ses particularités au chapitre des redevances d’aménagement.

Ce que les municipalités et les promoteurs veulent, c’est de la prévisibilité. Les municipalités sont disposées à réduire les droits d’aménagement, là où ils sont élevés, s’ils sont remplacés par d’autres sources de revenus. Je me ferai un plaisir de parler davantage, pendant la période de questions, de certaines des recommandations que la FCM a formulées et qui visent à assurer des sources de revenus prévisibles à long terme qui permettront d’investir dans les infrastructures favorables au logement dont le pays a besoin.

Le vice-président : Merci beaucoup de votre déclaration préliminaire, monsieur Gemmel. Nous allons maintenant passer aux questions. Chers collègues, vous avez cinq minutes pour la question, et cela comprend la réponse également.

[Français]

La sénatrice Henkel : Bonjour, monsieur. Bienvenue parmi nous.

Dans un récent communiqué, vous avez souligné que bâtir 500 000 logements par an ne suffira pas si les infrastructures essentielles ne suivent pas. Comment les municipalités peuvent‑elles soutenir simultanément ces deux chantiers — du logement et des infrastructures publiques — alors que leurs marges financières sont déjà limitées?

Selon vous, quels outils, par exemple le Fonds pour le développement des collectivités du Canada, devraient être renforcés ou adaptés pour y parvenir?

M. Gemmel : Merci pour la question.

[Traduction]

Quand il s’agit des infrastructures municipales, le pays doit franchement faire face à de nombreux défis. Il y a déjà un parc d’infrastructures existantes qui ont été construites au fil des ans et qui nécessite des travaux d’entretien et de rénovation. Je voulais mettre cela en contexte. Même s’il faut investir dans de nouvelles infrastructures de croissance pour construire de nouveaux logements, les municipalités sont chargées d’exploiter et d’entretenir toutes les infrastructures actuelles. On a estimé que le coût de renouvellement et de remplacement des infrastructures vieillissantes, qui sont en mauvais état, est de l’ordre de 270 milliards de dollars; cela représente donc une tâche colossale pour tout le pays pour rattraper le retard et moderniser ces infrastructures. En même temps, nous devons construire de nouvelles infrastructures pour nous développer et croître.

Au bout du compte, ce que les municipalités cherchent, c’est un nouveau partenariat avec le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires, et que le fardeau passe des impôts fonciers et des redevances d’aménagement à d’autres sources de croissance des revenus, donc plutôt à un modèle de partage des revenus.

Notre principale recommandation serait de se rapprocher davantage d’un modèle comme celui du Transfert canadien en matière de santé et du Transfert canadien en matière de programmes sociaux, où les recettes fédérales, provenant essentiellement de l’impôt sur le revenu et des taxes de vente, sont transférées de manière prévisible avec une indexation annuelle au fil du temps.

Le modèle actuel qui s’en rapproche le plus est le Fonds pour le développement des collectivités du Canada. Son nom est légèrement différent dans le budget présenté hier, mais nous l’appelons tous ainsi. Pendant longtemps, il a été connu sous le nom de Fonds de la taxe sur l’essence. Il a été créé par le gouvernement libéral et amélioré par le gouvernement conservateur de l’ancien premier ministre Harper. C’est la source de revenus la plus prévisible pour les municipalités. Nous aimerions une hausse et une indexation de ce Fonds pour que ce soit lié à la croissance économique. Un modèle comme celui-là permettrait aux municipalités de planifier à long terme et d’investir dans les infrastructures nécessaires pour construire davantage de logements.

[Français]

La sénatrice Henkel : L’objectif de 500 000 logements par an pourrait se traduire par une densification massive des zones déjà urbanisées avec une pression accrue sur les services existants dans les zones où les fonciers peuvent être rares, non seulement pour le logement, mais aussi pour les infrastructures nécessaires, comme les écoles, les équipements sportifs et culturels. Pensez-vous que la Stratégie nationale sur le logement doit s’accompagner d’une réflexion sur l’aménagement du territoire pour soutenir aussi la croissance des petites et moyennes municipalités plutôt que de tout concentrer dans les grands pôles urbains?

M. Gemmel : Merci.

[Traduction]

Heureusement, le débat public sur le logement s’est beaucoup plus concentré ces dernières années sur la densité et l’utilisation du sol. D’après la FCM, les municipalités sont les mieux placées pour prendre les décisions concernant la planification de l’utilisation du sol. Cela relève de leur compétence, et elles ont les informations nécessaires sur les infrastructures municipales, le territoire et les considérations relatives à l’utilisation du sol et à l’urbanisme; elles peuvent donc prendre des décisions en matière de zonage et de planification.

Cependant, d’un point de vue stratégique, il existe de très bonnes raisons pour tendre vers une densité accrue dans certains contextes et dans certaines collectivités. Sur le long terme, pendant le cycle de vie des investissements dans les infrastructures, il est plus rentable d’avoir une plus forte densité, car cela pourrait se traduire par une réduction globale de l’impôt pour les infrastructures municipales.

Cependant, je pense que vous l’avez bien remarqué, augmenter la densité ne signifie pas qu’il n’est pas nécessaire de construire des infrastructures. J’aimerais donner l’exemple de la capacité des égouts. Si l’on ajoute 500 logements dans un quartier existant, 500 toilettes de plus seront actionnées, et ce volume d’eau supplémentaire doit non seulement passer par les canalisations, mais également être traité.

Il faut investir si l’on veut augmenter la capacité des infrastructures existantes, même dans un contexte de terrain intercalaire...

Le vice-président : Merci, monsieur Gemmel.

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Gemmel, d’être ici avec nous. Je vais lire un extrait du budget d’hier concernant la nouvelle agence Maisons Canada, et j’aimerais savoir, à votre avis, le gouvernement peut réellement atteindre ses objectifs.

Voici la citation :

Les fonds fédéraux investis dans Maisons Canada seront mis à profit pour attirer des capitaux privés, des investisseurs et des constructeurs afin d’accroître l’offre de logements. Nous mettons en place les conditions nécessaires pour générer le maximum d’investissements tout en favorisant l’adoption généralisée de méthodes de construction avancées, qui pourraient réduire les délais de construction jusqu’à 50 %, les coûts jusqu’à 20 % et les émissions d’environ 20 % pendant la construction.

J’aimerais que vous répondiez à la question suivante: croyez-vous que ces objectifs sont réalisables? Quelles conditions et politiques précises doivent être mises en œuvre pour atteindre ces résultats?

M. Gemmel : Merci de la question. La FCM a salué l’initiative Maisons Canada quand elle a été annoncée, plus tôt, en septembre. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, pour nous, le plus important, c’est de mettre l’accent sur les logements hors marché et sans but lucratif. Le Canada accuse actuellement un retard par rapport aux autres pays de l’OCDE en ce qui concerne le pourcentage de logements sans but lucratif ou communautaires dans le parc de logements. Nous croyons que Maisons Canada est le bon modèle si l’on veut voir augmenter, au fil du temps, le pourcentage de logements à but non lucratif dans le parc de logements. Nous soutenons cet objectif.

Ce modèle, qui tire profit des terres publiques, y compris les terres fédérales, provinciales et municipales — les municipalités tiennent à utiliser les terres municipales pour construire des logements abordables, lorsqu’elles le peuvent —, est adéquat. Tirer profit des techniques de construction modulaire et préfabriquée est aussi une pièce importante du casse-tête. Cela réduira les délais de construction. C’est un objectif ambitieux, mais cela nous aidera à l’atteindre. Justement, aujourd’hui, la FCM a offert un webinaire à tous nos membres sur ce qu’ils peuvent faire pour modifier les règles et la réglementation locales de manière à favoriser les logements modulaires, pour s’assurer que tous les ordres de gouvernement avancent dans la bonne direction, dans le secteur privé, afin de stimuler les logements modulaires et réduire les délais.

Notre plus grande préoccupation est que Maisons Canada, même si nous croyons que l’agence est adéquatement axée sur les logements hors marché, ne pourra pas à elle seule réaliser l’objectif du gouvernement fédéral, qui est de doubler la construction de logements. C’est un objectif très ambitieux. Selon nous, une augmentation à long terme du financement fédéral pour l’infrastructure, ainsi que du financement provincial et territorial pour l’infrastructure, est l’ingrédient clé manquant qui nous permettra d’atteindre ce rythme d’investissement en infrastructure.

Le sénateur Loffreda : Merci. Dans le budget d’hier, le gouvernement a également dit que, après avoir fléchi en début d’année, le marché immobilier s’est stabilisé grâce aux reventes de logements, et que le marché des logements neufs a recommencé à se redresser, même si l’activité demeure inégale selon les régions. Il a noté également que l’abordabilité du logement s’est améliorée, tant pour les locataires que pour les acheteurs, grâce à des mesures gouvernementales, comme des investissements et la construction de logements locatifs, de faibles cibles en matière d’immigration et de nouvelles mesures de soutien pour les acheteurs d’une première habitation. Votre association croit-elle que l’abordabilité du logement s’est réellement améliorée pour les locataires et les acheteurs potentiels? Que pouvons-nous faire de plus pour maintenir cette tendance?

M. Gemmel : Pour commencer, j’aimerais souligner que nous considérons parfois le Canada comme un seul marché du logement, alors qu’il s’agit plutôt de nombreux différents marchés du logement régionaux. Les mesures visant à améliorer l’abordabilité varient largement d’un marché à un autre, comme vous l’avez probablement entendu au cours de votre étude. Certains marchés ont vu une certaine amélioration de l’abordabilité du logement, mais il y a encore du pain sur la planche. Nous voulons des interventions politiques à toutes les étapes du continuum du logement : de la lutte contre l’itinérance et les campements de personnes sans-abri, grâce à l’offre de logements extrêmement abordables offrant un soutien global en matière de santé et d’aide sociale, des coopératives de logements communautaires en passant par des logements locatifs et à l’accession à la propriété privée. Tous les échelons du gouvernement peuvent faire des interventions politiques dans le continuum du logement afin d’améliorer l’abordabilité à long terme.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice Wallin : Hier soir, j’ai lu avec intérêt l’analyse du volet du budget concernant le logement que Mike Moffatt a publié dans The Missing Middle; M. Moffat a déjà comparu ici. Il a dit qu’après l’avoir lu, il était plus déçu qu’il ne pensait l’être. Pour Maisons Canada, le montant qui avait été promis était réduit de moitié. L’exonération sur les droits d’aménagement avait été diluée. L’initiative sur les immeubles résidentiels à logements multiples, ou les IRLM, était absente, et l’accent qui était auparavant mis sur l’offre de logements semblait avoir été mis sur la réduction de la demande de logements par la réduction de l’immigration. Êtes-vous d’accord avec ces quatre évaluations du budget?

M. Gemmel : Merci de la question. Je vais essayer d’y répondre dans l’ordre.

Pour ce qui est de Maisons Canada, nous avons en effet remarqué que le montant prévu dans le budget était inférieur à celui annoncé en septembre. Cela nous préoccupe. Nous attendons encore d’avoir une vue d’ensemble de la situation. Environ 7 milliards de dollars sont prévus dans le budget.

La sénatrice Wallin : Comparativement aux 12 milliards de dollars annoncés?

M. Gemmel : Oui. Nous attendons encore de voir si d’autres financements seront annoncés. Nous croyons que 13 milliards de dollars seront tout de même engagés pour financer Maisons Canada, mais que la totalité du montant n’a pas été annoncée dans ce budget. Nous attendons la confirmation du gouvernement, mais si le montant est ramené à 6,2 milliards de dollars, c’est très préoccupant. Le problème est tel que même les 13 milliards de dollars, même s’ils étaient importants et appréciés, ne seraient pas suffisants.

Du côté des droits d’aménagement, je vais en parler sous peu.

La sénatrice Wallin : Nous avons une limite de temps.

M. Gemmel : D’accord. M. Moffatt en parle souvent. Dans ma déclaration préliminaire, j’ai reconnu que les droits d’aménagement ont augmenté rapidement dans certaines municipalités. Nos membres sont ouverts à l’idée de réduire peu à peu les frais d’aménagement élevés de certaines collectivités en trouvant d’autres sources de revenus. Le gouvernement fédéral le fait.

Pour nous, le plus important, c’est qu’il n’y a pas de solution universelle. Les régimes de la Saskatchewan sont très différents de ceux du Québec et de la Nouvelle-Écosse, et les libéraux avaient promis à tous, pendant leur campagne électorale de ce printemps, une réduction de 50 % sur cinq ans. C’était très problématique du point de vue des capitaux. C’était aussi problématique — les promoteurs nous l’ont dit, et vous avez peut-être entendu la communauté des constructeurs de logements le dire —, puisqu’un engagement sur cinq ans n’offre pas le type de prévisibilité dont les promoteurs ont besoin pour acquérir des terrains et prendre des décisions commerciales. Les municipalités et les promoteurs sont sur la même longueur d’onde; ils réclament une approche à long terme visant à réduire peu à peu les droits d’aménagement les plus élevés grâce à d’autres sources de revenus de façon à pouvoir investir dans l’infrastructure.

La sénatrice Wallin : Est-ce que le fait que l’IRLM n’est pas mentionné vous préoccupe? Croyez-vous que cela aura des répercussions?

M. Gemmel : Nous n’avons pas cherché cela dans le budget.

La sénatrice Wallin : Revenons à la question de réduire la demande en gérant l’immigration. Le nombre d’immigrants baisse un peu. Est-ce un enjeu important exclusivement à Toronto et à Vancouver ou est-ce que d’autres villes y font face elles aussi?

M. Gemmel : Oui, nous pouvons le dire, fixer les bons niveaux d’immigration est un défi pour le pays et nous sommes tous aux prises avec cet enjeu.

De notre point de vue, même il y a deux ou trois ans seulement, alors que les niveaux d’immigration et la croissance démographique avaient atteint un sommet historique, le problème est que l’offre de l’infrastructure n’a pas suivi, qu’il s’agisse de l’infrastructure municipale, de l’infrastructure de la santé ou de l’éducation ou — notamment — des logements. Le problème, ce n’était pas les niveaux d’immigration eux-mêmes, mais plutôt l’investissement qui auraient assuré que l’immigration soit un succès pour tout le monde. Comme bien des gens l’ont mentionné, ce qui nous inquiète, c’est que, avec des niveaux d’immigration réduits, il sera difficile de construire les logements dont nous avons besoin. Donc, nous sommes — même à l’extérieur de l’industrie de la construction de logements — préoccupés par les pénuries de main-d’œuvre, surtout dans certaines régions du pays. Actuellement, trouver de la main-d’œuvre préoccupe particulièrement nos membres, par exemple, au Canada atlantique.

La sénatrice Wallin : Merci d’avoir répondu si rapidement.

Le sénateur Dalphond : Vous avez vu les chiffres du directeur parlementaire du budget sur le besoin de logements supplémentaires et noté que ce chiffre est inférieur de plus ou moins 50 % à celui de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Nous comprenons maintenant pourquoi il en est ainsi, grâce à nos témoins précédents.

La stratégie de la SCHL est de créer un assez gros surplus dans le marché pour faire baisser les prix des logements. Cela améliorera ainsi leur abordabilité. Le gouvernement choisit plutôt de financer Maisons Canada. Cela consistera en grande partie à répondre aux besoins que le marché ne peut pas combler, les personnes sans logement, les personnes qui ne peuvent pas s’en tirer dans un marché normal et ainsi de suite.

Quelle est la position des municipalités? Veulent-elles un demi-million de nouveaux logements par an, ou souhaitent-elles conserver le marché à un certain niveau, où les prix du logement en général restent les mêmes, y compris les prix de l’immobilier? Parce que s’il y a un surplus, les prix de l’immobilier diminueront. Votre source de revenus principale est les taxes, les taxes municipales, lesquelles sont fondées sur les valeurs de l’immobilier. Cela ne vous met-il pas dans une position difficile? Vous voulez réduire l’impôt sur les actifs, ce qui signifie que vous devez augmenter les taux, et vous serez donc très impopulaires dans vos villes.

M. Gemmel : Oui, merci de ces questions. J’ai deux ou trois choses à dire. Tout d’abord, la réponse peut sembler opportune, mais en ce qui concerne la question de savoir si l’objectif est de construire davantage de logements sans but lucratif ou d’augmenter l’offre sur le marché, nous aimerions avoir les deux. Nous avons besoin des deux. Des preuves claires donnent à penser que le nombre de mises en chantier ne suivait pas la croissance de la population et que cela a contribué aux prix élevés du logement, mais il y a d’autres facteurs, dont la spéculation et les investissements à des fins pécuniaires dans le secteur du logement, y compris les investissements étrangers, quoiqu’il s’agit essentiellement d’investissements nationaux. Nous pensons qu’au fil du temps, nous devons augmenter la proportion de logements sans but lucratif et de logements hors marché pour garantir l’abordabilité à long terme. Nous devons aussi augmenter le rythme de construction de logements. Il faut refléter davantage la croissance de la population et s’y coordonner.

Nous sommes effectivement d’accord avec la SCHL, jusqu’à un certain point, pour dire que l’augmentation de l’offre aidera à modérer les prix sur le marché. Pour ce qui est de la dynamique de l’impôt foncier municipal, le modèle d’affaires relatif aux nouvelles recettes fiscales provenant des droits d’aménagement n’est pas un bon modèle d’affaires à l’heure actuelle. Il n’y a aucune marge bénéficiaire pour les municipalités. Il y a un coût net. Pour chaque nouveau résidant qui déménage dans une communauté, il y a un coût net que l’on investit dans l’infrastructure. C’est l’une des raisons pour lesquelles les droits d’aménagement ont augmenté à ce point en Ontario et en Colombie-Britannique : ils paient pour cette croissance.

La famille qui déménage dans une collectivité paie l’impôt sur le revenu, les taxes de vente et les charges sociales, mais les municipalités ne touchent rien de tout cela. Elles ne touchent que l’impôt foncier et les droits d’aménagement. C’est insuffisant pour couvrir l’intégralité des frais de cette infrastructure. Il y a une raison fondamentale pour laquelle nous disons que nous avons besoin d’un nouveau modèle pour payer pour la croissance. À l’heure actuelle, c’est une proposition d’affaires qui ne fonctionne pas pour les municipalités. Les revenus ne parviennent pas à couvrir les coûts, surtout dans un contexte de forte croissance de la population.

Le sénateur Dalphond : Proposez-vous que les municipalités exemptent d’impôt foncier les coopératives et les gens qui fournissent des appartements à ceux qui ne peuvent pas payer les prix sur le marché, ou parlez-vous d’un impôt supplémentaire?

M. Gemmel : Certaines municipalités exigeront des impôts fonciers moins élevés ou des droits d’aménagement plus bas pour les logements sans but lucratif ou les logements hors marché, mais habituellement, les taux sont les mêmes, et elles touchent tout de même un revenu. Le problème, c’est qu’il importe peu que ce soit un logement à but lucratif ou un logement sans but lucratif. Qu’il s’agisse d’un appartement ou d’une maison privée, les coûts d’infrastructure sont les mêmes, et ils ont bondi. Les recettes que les municipalités tirent des impôts fonciers ne couvrent pas les coûts de la croissance.

Le sénateur Dalphond : Si vous mettez un toit au-dessus de la tête d’une personne afin qu’elle ne se retrouve pas dans la rue, votre service policier n’a pas à intervenir, votre service ambulancier n’a pas à intervenir et vos travailleurs sociaux n’ont pas à intervenir non plus. Je ne comprends pas pourquoi vous dites qu’il est acceptable d’utiliser le même taux d’imposition pour les coopératives et pour les gens qui offrent un logement à ceux qui sans cela se seraient retrouvés dans la rue.

La sénatrice Marshall : Merci d’être présents ce soir.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les droits d’aménagement? D’autres témoins ont dit qu’ils varient beaucoup d’une municipalité à l’autre. Un témoin a dit que Calgary a un bon système. Pourquoi les droits d’aménagement ne sont-ils pas uniformes dans toutes les municipalités? Quel est le rôle de la fédération si l’on veut uniformiser un peu les choses? Arrive-t-il que la fédération lance des initiatives spéciales pour savoir s’il serait possible de concevoir une structure qui établirait, par exemple, que les municipalités comptant une population de plus de 1 million d’habitants appliqueraient une formule donnée et que les municipalités comptant, disons, entre 500 000 et 1 million d’habitants en appliqueraient une autre? Vous aimeriez recevoir du gouvernement fédéral des milliards de dollars supplémentaires pour remplacer ces droits d’aménagement excessifs, mais comment allez-vous répartir ce financement supplémentaire entre les municipalités si vous n’avez pas de points de comparaison?

Pourriez-vous nous en parler? Quel est le rôle de la fédération à cet égard? Avez-vous déjà fait quelque chose pour étudier ces différences?

M. Gemmel : Bien sûr. C’est une excellente question. Merci.

Tout d’abord, la raison fondamentale pour laquelle les droits d’aménagement diffèrent tant à l’échelle du pays, c’est qu’ils sont déterminés par les lois provinciales. Ce n’est pas comme d’autres politiques publiques, touchant par exemple la santé et la justice. Nous avons 13 systèmes différents au Canada, et cela s’applique à l’impôt foncier et aux droits d’aménagement.

On pourrait faire des efforts pour réformer et uniformiser un peu cela à l’échelle du pays. Il faudrait une coordination entre les provinces. À la Fédération canadienne des municipalités, notre conseil d’administration comprend les présidents de toutes les associations provinciales, territoriales et municipales. Il y en a 19. Nous essayons de coordonner ce genre de discussion en donnant de l’information sur la façon dont l’impôt foncier et les droits d’aménagement sont perçus, sur les pratiques exemplaires et sur les réformes possibles, mais au bout du compte, il faut qu’une province modifie ses lois pour changer les choses. C’est assez complexe.

C’est la raison fondamentale pour laquelle les droits d’aménagement sont différents, mais...

La sénatrice Marshall : J’aimerais seulement préciser quelque chose; il y a des différences même au sein d’une province, n’est-ce pas? Calgary n’applique pas nécessairement la même formule qu’Edmonton.

M. Gemmel : C’est vrai.

La raison pour laquelle il y a tant de différences entre les provinces, c’est que les municipalités ne s’occupent pas des mêmes services. En Ontario, qui est l’exemple le plus notable, les municipalités ont été chargées de bien des services de santé et services sociaux. Elles se servent de l’impôt foncier pour payer les services de garde d’enfants, les services de santé publique et les services d’urgence, services que d’autres municipalités n’ont pas à payer. Cela explique en partie pourquoi les droits d’aménagement ont tellement augmenté en Ontario spécifiquement.

Toutefois, vous avez raison. Même au sein d’une province, des villes ont décidé des taux d’impôt foncier par rapport aux droits d’aménagement, et il y a des différences. Les municipalités ont aussi le choix d’emprunter. Elles peuvent financer l’infrastructure par emprunt. Dans certains cas — et ce n’est pas un mauvais modèle —, le financement par emprunt peut être remboursé grâce à la tarification des services publics, à la taxe d’eau et aux tarifs d’égout. C’est un modèle que bien des municipalités étudient. Dans le cas de Calgary et d’Edmonton, c’est ce qui explique la plus grande différence.

La sénatrice Marshall : Je regardais le 5 milliards de dollars et je me posais une question : « Comment allez-vous répartir cela dans tout le pays? » Merci beaucoup.

La sénatrice Martin : Merci pour votre témoignage. L’éventail des droits d’aménagement dont on a entendu parler a attiré mon attention. Dans un article de sensibilisation intitulé « Faire de la croissance du Canada un succès », la Fédération canadienne des municipalités dit que : « Au Québec, ces redevances représentent moins de 1 % des revenus autonomes des gouvernements municipaux [...] ». Je me demandais donc pourquoi les droits d’aménagement au Québec sont si bas. Plutôt que de se servir des droits d’aménagement, comment les municipalités du Québec financent-elles les nouveaux projets d’infrastructure de leur région? C’est l’inverse en Ontario et en Colombie-Britannique, comme vous l’avez déjà dit.

M. Gemmel : C’est exact. Merci. Au Québec, les municipalités reçoivent plus de financement du gouvernement provincial pour leurs infrastructures que les municipalités des autres provinces, surtout pour l’infrastructure des aqueducs, des égouts et des routes. Le modèle n’est pas parfait, mais le gouvernement du Québec, en réponse aux demandes des deux associations des municipalités de la province, a adopté une loi il y a deux ans pour moderniser les finances municipales. On a apporté un certain nombre de changements, et je ne vais pas entrer dans les détails, mais nous croyons que c’est un modèle que les autres provinces devraient adopter.

Il n’est pas parfait, mais il permet effectivement aux municipalités de lever d’autres sortes de taxes. Par exemple, elles auraient la nouvelle capacité de percevoir des taxes d’immatriculation des véhicules qu’elles ne possédaient pas avant. On pourrait aussi établir différents taux d’impôt foncier selon les types de propriétés.

La plupart des municipalités du pays ne peuvent pas, selon les lois provinciales, appliquer des taux d’imposition progressifs, donc appliquer un taux d’imposition plus élevé en fonction de la valeur de la propriété. C’est un taux fixe. Si la valeur de votre propriété est plus élevée, vous payez plus d’impôt, mais il n’y a pas de tranche d’imposition supérieure comme pour l’impôt sur le revenu. Le Québec a permis aux municipalités d’établir des taux différents en fonction du type et de la catégorie de la propriété, et les variations sont plus grandes. Nous appuyons ce changement.

La sénatrice Martin : Les provinces discutent-elles avec les municipalités afin d’étudier différents modèles ou différents changements qui pourraient convenir à la province?

M. Gemmel : Elles ne discutent pas autant que nous l’aimerions. Selon la FCM, il faudrait des discussions plus robustes entre le gouvernement fédéral et toutes les provinces au sujet d’une réforme des finances municipales. En réalité, il faut rien de moins qu’une bonne conversation sur la façon de financer la croissance du pays. Dans le contexte actuel, des infrastructures seront nécessaires pour essayer de redresser l’économie canadienne et diversifier le commerce. Les objectifs en matière de logement dont nous avons discuté exigent une infrastructure municipale solide. Comment allons-nous payer collectivement pour cette infrastructure si ce n’est pas au moyen de l’impôt foncier et des droits d’aménagement? On s’entend tous pour dire qu’ils sont trop élevés.

La sénatrice Martin : Maisons Canada peut être plus efficace, et nous pouvons aussi examiner ce qui n’a pas fonctionné dans le passé pour les gouvernements qui se sont succédé. Nous vivons une crise en raison de problèmes qui ont commencé il y a des dizaines d’années. Selon vous, pourquoi les programmes fédéraux de logement, mis en œuvre l’un après l’autre par le gouvernement actuel et les anciens gouvernements, n’ont-ils eu que peu de résultats, malgré des investissements importants?

M. Gemmel : Il y a de nombreux facteurs. J’en ai mentionné quelques-uns. La croissance de la population a dépassé l’offre. Surtout ces dernières années, il y a eu à la fois des taux d’intérêt élevés, des coûts de matériaux élevés et des coûts de main-d’œuvre élevés, ce qui a augmenté le coût de la construction. Vous avez vu une tendance aux investissements dans le logement dans un objectif financier, qu’il s’agisse de familles canadiennes ou d’entreprises, que ce soit des acteurs canadiens ou étrangers. Toutes ces choses ont contribué à l’augmentation des coûts du logement.

Regardez l’évolution des investissements canadiens des années 1970 à aujourd’hui, dans le secteur des logements communautaires sans but lucratif et hors marché; nous avons sous-investi depuis les années 1970 — depuis les 40 dernières années — et nous avons sous-investi comparativement à d’autres pays pairs. C’est une autre raison fondamentale.

La sénatrice Martin : Merci.

Le sénateur Yussuff : J’ai plusieurs questions, et j’essaie de savoir laquelle je devrais vous poser pour obtenir des données pertinentes pour notre travail. La FCM recueille-t-elle des données qu’elle pourrait communiquer au sujet du système de financement des infrastructures des différentes provinces du pays? Oui, les droits d’aménagement sont essentiels, mais ils ne sont pas uniformes. Chaque province a un modèle différent. Nous pourrions en tirer des enseignements. Le Québec a un modèle intéressant. La Saskatchewan aussi.

Y a-t-il des données que vous recueillez et que vous pourriez communiquer afin que nous ayons au moins un aperçu des différences qui existent au pays?

M. Gemmel : Oui. Nous avons un rapport interne. Nous ne l’avons pas encore rendu public, mais nous pourrions le communiquer au comité pour votre étude. C’est un inventaire des pouvoirs fiscaux municipaux, province par province. De plus, mais ce rapport n’aborde pas la question, il y a différents programmes de financement des infrastructures d’une province à une autre, et il y a aussi le rôle du gouvernement fédéral, qui change d’une année à l’autre. Nous pourrions certainement transmettre ces informations en ce qui concerne les sources de revenus des municipalités.

Le sénateur Yussuff : Cela serait utile, car les Canadiens seraient heureux de connaître les différences qui existent et de savoir quel système fonctionne le mieux.

Quelqu’un a recommandé ou suggéré ceci au comité : une obligation municipale pourrait être une solution pour aider les municipalités à financer les infrastructures dont elles ont toujours besoin. Il faudrait d’une loi pour faire cela, car c’est ainsi que cela se fait, à long terme, chez nous. Que pense la FCM de cette option?

M. Gemmel : Je suis heureux que vous ayez soulevé la question, sénateur Yussuff. Je voulais en parler dans ma déclaration préliminaire, mais je n’ai pas eu le temps. C’est une question que nous examinons. Aux États-Unis, le marché obligataire est une importante source de revenus pour les municipalités. Nous avons consulté nos collègues des associations municipales des États-Unis, et la différence entre le Canada et les États-Unis, c’est que le gouvernement fédéral américain n’impose pas les obligations municipales. Ici, nous le faisons.

Les lois provinciales varient un peu. Les municipalités ne peuvent pas toutes émettre des obligations, mais même quand elles peuvent le faire, le marché est restreint en raison de la taxe fédérale. À la dernière réunion de son conseil d’administration, la FCM a demandé au gouvernement fédéral de supprimer la taxe fédérale sur les obligations municipales afin de générer davantage de revenus. Je précise que ce n’est pas une solution miracle, mais, compte tenu de l’augmentation des droits d’aménagement dans certaines provinces, nous devons examiner toutes les options disponibles. Plus de financement par emprunt et plus de financement privé, y compris par le truchement du marché obligataire, est un moyen d’augmenter le financement des infrastructures.

Le sénateur Yussuff : J’habite à Toronto, alors je parlerai de l’endroit où je vis. Les problèmes sont multiples. Notre ville compte un nombre important de personnes sans-abri. La Ville s’efforce de gérer cela de manière à montrer que nous nous soucions réellement d’elles et que nous souhaitons leur trouver un logement et tout ce que cela suppose. Mais au bout du compte, ce sont des défis sociaux qui touchent tout le pays. Nous attendons des municipalités qu’elles trouvent des solutions à ces problèmes.

Quelle a été la recommandation de la FCM sur la façon de régler le problème? C’est peut-être un problème de propriété, mais c’est certainement un problème de logement. Ces personnes n’ont pas de logement régulier où vivre parce qu’elles n’en ont pas les moyens ou parce qu’elles n’ont pas nécessairement le même rapport au marché locatif, ou je ne sais quoi. Quelles sont vos recommandations pour traiter ce problème?

M. Gemmel : Oui. Merci beaucoup. Bien entendu, tous les membres de la FCM sont très préoccupés par l’augmentation du nombre de personnes sans-abri au pays. Ce n’est plus seulement un problème qui touche les grandes villes, si cela l’a jamais été. C’est une préoccupation grandissante pour les petites villes et les villages partout au pays, et les municipalités ont la responsabilité d’y réagir, mais elles sont mal équipées, compte tenu de la structure fiscale actuelle, pour fournir elles-mêmes des logements ou les services sociaux et de santé nécessaires. C’est un problème de logement, mais aussi un problème de santé.

C’est en partie pour cette raison que nous sommes ravis de voir que Maisons Canada cible les logements hors marché. Nous pensons que la combinaison des terres publiques et de la construction modulaire est un moyen plus rapide et moins coûteux de fournir des logements aux Canadiens sans domicile fixe et de régler le problème des campements de personnes sans‑abri.

C’était l’une de nos recommandations principales à Maisons Canada. Une réserve de 1,5 milliard de dollars est prévue pour les logements avec services de soutien, mais l’essentiel est que le gouvernement fédéral apporte les fonds nécessaires, tandis que les provinces doivent fournir les services de santé et les services sociaux complémentaires. Sinon, ce ne sont pas vraiment des logements avec services de soutien. Je crois que c’est essentiel.

La sénatrice McBean : Je suis heureuse de vous revoir. Je vous suis d’un comité à un autre, ou c’est vous qui me suivez. Vous avez dit que le Canada est l’un des pays qui dépend le plus des impôts fonciers au monde. D’où les autres pays — ou les municipalités d’autres pays — tirent-ils les fonds qui comblent la différence? Peut-être qu’il s’agit d’obligations, ou peut-être que la réponse découle davantage de la question de la sénatrice Martin. De plus, comment le gouvernement canadien peut-il structurer le financement qu’il accorde aux municipalités pour s’assurer que celles-ci l’utilisent pour réduire les droits d’aménagement?

M. Gemmel : Ce sont d’excellentes questions. Merci. En ce qui concerne les comparaisons avec les autres pays, chaque pays est légèrement différent, et évidemment, le modèle fédéré du Canada diffère du modèle d’autres pays qui ont un système plus unitaire. Dans de nombreux pays comparables, le gouvernement fédéral investit beaucoup plus dans les infrastructures publiques, comme le transport en commun, par exemple, qui ne relève pas principalement de la responsabilité des municipalités. C’est une partie de la réponse. Cependant, les municipalités de certains pays comparables ont également des pouvoirs fiscaux plus étendus, qu’il s’agisse des impôts sur le revenu ou des taxes de vente, que n’ont pas les municipalités canadiennes. C’est donc un peu un mélange.

Nous sommes ouverts à toute discussion sur la forme que pourrait prendre cette réforme. Nous reconnaissons que les Canadiens ressentent la pression de la hausse du coût de la vie et que de nouveaux pouvoirs fiscaux étendus ne sont pas politiquement acceptables. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir comment nous pourrions transférer une partie de la charge fiscale des gouvernements fédéral et provinciaux vers les administrations municipales ou envisager un partage des recettes à long terme, prévisible et lié à la croissance économique.

En ce qui concerne la responsabilité en matière de droits d’aménagement, je crois que la FCM estime essentiel que le gouvernement fédéral comprenne à quel point les droits d’aménagement varient d’une province et d’un territoire à l’autre. Notre recommandation numéro un est la suivante : n’adoptez pas une approche unique. L’approche adoptée dans le budget est un pas dans la bonne direction, dans la mesure où elle prévoit un transfert de fonds aux provinces et aux territoires, qui auront ensuite à travailler avec les municipalités pour réduire les droits d’aménagement là où ils sont élevés, en échange d’un financement incitatif. Je crois que c’est le meilleur modèle que nous puissions avoir.

La sénatrice McBean : À ce sujet, croyez-vous qu’il soit nécessaire d’exiger la ventilation complète des droits d’aménagement, des frais municipaux et des taxes, distinctement à part du prix de base d’une maison, afin d’assurer la transparence pour les acheteurs?

M. Gemmel : Il y a eu beaucoup de discussions au sujet de la transparence. En Ontario, la loi sur les redevances d’aménagement énonce clairement ce que les municipalités peuvent inclure dans le coût. Elles doivent réaliser une étude des coûts d’aménagement. Selon moi, les redevances d’aménagement sont beaucoup plus transparentes que les autres revenus fiscaux fonciers qui sont calculés dans les recettes générales et réaffectés. Les redevances sont directement liées aux coûts.

J’ai clairement entendu des promoteurs immobiliers dire qu’ils estimaient que les droits d’aménagement devraient être calculés selon les tuyaux raccordés à chaque unité plutôt qu’à la fonction des infrastructures plus larges, mais tout est lié. Il faut des parcs, des centres communautaires, des stations d’épuration des eaux usées et des usines de traitement de l’eau. Il ne s’agit pas seulement de canalisations et de routes.

La sénatrice McBean : J’aimerais continuer à vous écouter, mais je veux profiter pleinement de mon temps.

C’est également au propriétaire de payer ces frais, pendant toute la durée d’amortissement de son prêt hypothécaire. Croyez‑vous que les droits d’aménagement et les frais municipaux connexes devraient être payés pendant toute la durée du service plutôt que d’être ajoutés au prix d’achat?

M. Gemmel : Oui, je sais que mes membres veulent s’orienter davantage vers ce modèle pour éviter un scénario dans lequel les nouveaux acheteurs amortissent effectivement ces infrastructures sur leur prêt hypothécaire, au taux d’intérêt qu’ils ont obtenu. Ils voudraient plutôt répartir cette charge dans le temps, un peu comme un supplément à la taxe foncière combinée au financement par emprunt de la municipalité pour une plus grande partie de ces infrastructures. Je crois qu’il y a une certaine ouverture à adopter un peu plus ce modèle.

La sénatrice McBean : Merci.

La sénatrice Ringuette : Tout cela est très intéressant et je vous remercie de vous être joint à nous et de nous communiquer ces informations. Je suis peut-être un peu vieux jeu, mais le gouvernement fédéral transfère des fonds aux provinces pour les programmes sociaux, les soins de santé et l’enseignement postsecondaire, entre autres, parce que, essentiellement, les municipalités sont des créatures des provinces. Par exemple, en Ontario, vous dites — et c’est la vérité — qu’il y a eu un transfert de la responsabilité des services sociaux et autres aux municipalités. Les fonds nécessaires pour fournir ces services ont-ils été transférés de la province aux municipalités, ou ces frais font-ils partie... Nous avons examiné la loi ontarienne en matière de frais, et la liste est presque illimitée. Pourriez-vous m’expliquer cela? Car j’essaie toujours de comprendre pourquoi l’Ontario dépend autant des droits d’aménagement par rapport aux autres provinces. Est-ce de la mauvaise gestion? Je l’ignore. Est-ce un transfert de responsabilités provinciales sans transfert de fonds? Je ne sais pas. Qu’en pensez-vous?

M. Gemmel : Je vous remercie de poser la question. Notre évaluation ressemble vraiment à ce que vous avez décrit : il y a un transfert des responsabilités sans que les fonds ou les pouvoirs financiers ne suivent. C’est un problème particulier en Ontario, différent des autres provinces, et cela fait partie de la raison pour laquelle les municipalités se sont appuyées davantage sur les redevances d’aménagement et pour laquelle ces redevances ont augmenté plus rapidement en Ontario que dans d’autres provinces.

Mes collègues de l’Association des municipalités de l’Ontario ont dirigé ce travail, en plaidant auprès du gouvernement provincial de l’Ontario. Ils militent depuis quelques années pour une évaluation complète de ces services transférés, afin qu’ils soient soit repris par la province, soit financés adéquatement. Je n’ai pas les chiffres sous la main, mais la part des responsabilités provinciales — en matière de services de santé et de services sociaux — que les municipalités de l’Ontario assument et financent par les taxes foncières est stupéfiante, et elle augmente à mesure que les problèmes de santé et les problèmes sociaux se complexifient, et cela comprend l’itinérance, comme nous l’avons entendu plus tôt.

La sénatrice Ringuette : Ma question complémentaire est donc la suivante : vous avez recommandé que le gouvernement fédéral augmente le transfert aux municipalités de 2,5 milliards de dollars, pour le porter à un total de 5 milliards de dollars. Quelle est donc la recommandation de votre association aux provinces en ce qui concerne leurs besoins?

M. Gemmel : Oui. Je pense que, en ce qui concerne l’infrastructure, nous aimerions que soit mis en place un programme à frais partagé entre les provinces, le gouvernement fédéral et les territoires, mais pas un programme quinquennal dans le cadre duquel les municipalités soumettent des demandes à la province, la province les examine, puis les soumet au gouvernement fédéral. Nous avons vu beaucoup de programmes de ce type au fil des ans. Ces programmes prennent beaucoup de temps avant de pouvoir produire des résultats pour les Canadiens. Ils s’accompagnent d’une lourde bureaucratie, et il y a très peu de prévisibilité pour les municipalités. Nous aimerions que les transferts passent par les provinces jusqu’aux municipalités, et les provinces verseraient une contribution équivalente. Nous ne demandons pas uniquement au gouvernement fédéral de financer les infrastructures. C’est un rôle que les provinces et les territoires doivent jouer, mais elles ont aussi un rôle à jouer en ce qui concerne les services de santé et les services sociaux. Cela va pour l’ensemble du pays, pas seulement l’Ontario. Comme vous l’avez signalé, le gouvernement fédéral fournit des fonds dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et du Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Parallèlement, les municipalités, par l’entremise des premiers intervenants — façon de faire inefficace qui ne répond pas aux besoins de qui que ce soit —, sont en première ligne pour régler les problèmes.

La sénatrice Ringuette : Merci.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Gemmel. Vous avez répondu de manière très claire, et c’est toujours apprécié. Ce n’est pas toujours le cas.

Je veux vous poser une question au sujet du rôle de la Banque de l’infrastructure du Canada parce que, dans le budget, son orientation semblait liée aux grands projets et au logement des Premières Nations. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose. Cela me semble juste un peu plus étroit que ce à quoi je me serais attendu. J’attache beaucoup d’importance aux redevances d’aménagement, car je pense qu’il s’agit d’un problème intergénérationnel important. Les premiers acheteurs sont, selon moi, injustement accablés, et c’est un moteur important de l’augmentation du prix du logement dans le pays qui porte vraiment préjudice à l’avenir de notre société. Certaines personnes ont des passifs qu’elles devront rembourser pendant une génération, uniquement en raison du modèle d’affaires municipal. Je me questionne seulement au sujet du rôle de la Banque de l’infrastructure du Canada et de la manière dont elle peut contribuer, car cela faisait partie de son mandat de travailler en ce sens. Nous devons trouver des moyens d’éliminer ces redevances d’aménagement, et j’ose croire que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle à l’échelle nationale.

M. Gemmel : Fantastique. Merci de poser la question. La FCM a travaillé en étroite collaboration avec la Banque de l’infrastructure du Canada pendant plusieurs années. Son mandat a évolué, comme vous l’avez probablement constaté. Au départ, il touchait les grands projets d’infrastructure. Peut-être que les plus grands projets municipaux de transport en commun sont admissibles, mais nous parlons de 100 millions de dollars et plus.

Nous avons travaillé avec la Banque, et elle a changé sa structure pour pouvoir financer de plus petits projets et les regrouper afin qu’ils s’appliquent davantage aux municipalités.

Elle a maintenant un mandat — ce n’est pas nouveau, il date d’environ deux ans — soit de financer le logement, de faciliter les infrastructures. Nous pensons que cela peut jouer un rôle. Les municipalités peuvent déjà emprunter à des taux assez concurrentiels, généralement par l’entremise de leurs différentes institutions emprunteuses municipales, alors il s’agit de savoir si la Banque de l’infrastructure du Canada peut offrir des taux concurrentiels.

Pour ce qui est du financement par emprunts, il y a des règles qui varient d’une province à l’autre et imposent des plafonds d’endettement concernant l’ampleur d’une dette qu’une municipalité peut contracter par rapport à son assiette fiscale. On peut faire valoir que ces limites devraient être augmentées, ou augmentées dans certains contextes, mais il y a un compromis à faire ici.

L’une des caractéristiques du fédéralisme budgétaire est que les municipalités ne peuvent pas, par la loi, enregistrer des déficits. La plupart des emprunts se font au palier du gouvernement provincial et fédéral. Voulons-nous que les municipalités empruntent davantage? Il y a un débat sur cette question. Je pense que nos membres y sont ouverts. Plus précisément, dans le contexte des infrastructures d’aqueduc et d’égouts, cela pourrait être remboursé par les tarifs et les frais d’utilisateurs. La Banque de l’infrastructure du Canada a un rôle à jouer pour financer les infrastructures favorisant le logement.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

Le sénateur Fridhandler : Permettez-moi de poser une question simple, mais naïve. Vous avez formulé quelques observations concernant le fait de savoir qui paie ici. Vous avez évoqué l’éventuel transfert du fardeau fiscal. Vous avez dit que les provinces contrôlent les redevances d’aménagement, l’environnement réglementaire, et que les villes contrôlent le zonage et l’environnement de planification. Mais au bout du compte, je ne comprends pas pourquoi le financement de tout cela devrait incomber au gouvernement fédéral. Ai-je négligé le fait que l’impôt foncier comporte une limite quant à ce qui est possible d’instaurer, ou bien les municipalités — sans vouloir les critiquer — ne devraient-elles pas exercer pleinement leur pouvoir de taxation pour construire leurs infrastructures comme elles l’entendent? Elles sont sur le terrain. Je ne sais pas ce que vous en pensez.

M. Gemmel : Merci. On peut raisonnablement faire valoir que les municipalités pourraient augmenter les taxes foncières. Cela dit, il existe une réalité politique à l’échelle locale. Il y a aussi des questions qui concernent l’équité. Par exemple, les taxes foncières que les propriétaires paient sont refilées aux locataires. Est-ce ainsi que nous devrions financer les infrastructures de croissance à l’échelle nationale, en nous appuyant sur l’assiette de l’impôt foncier? Il demeure aussi une question importante concernant ce que paient les municipalités à même l’assiette de l’impôt foncier. En matière d’infrastructures, l’argument se défend : si c’était leur seule dépense, elles auraient plus de latitude pour l’augmenter. Mais elles paient aussi pour les services d’urgence. Les budgets de la police sont généralement le poste budgétaire le plus élevé d’un budget municipal mis à part les coûts d’immobilisations.

Toutefois, comme nous l’avons dit, elles paient de plus en plus pour des services de santé et des services sociaux complexes et pour lutter contre l’itinérance, les problèmes de santé mentale et la dépendance. Ce que nous demandons à l’assiette fiscale foncière est donc beaucoup plus élevé. Est-ce la meilleure source de taxation? Devrions-nous l’augmenter pour couvrir toutes ces choses? Devrions-nous nous tourner davantage vers la taxe de vente et l’impôt sur le revenu pour couvrir ces services sociaux et ces types de programmes de redistribution? La question est ouverte. Nous sommes d’avis que les municipalités ont besoin de nouveaux pouvoirs fiscaux, ou que nous devons envisager de partager les revenus provenant de la taxe de vente et l’impôt sur le revenu que recueillent les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral.

Le sénateur Fridhandler : Merci. Je veux me faire l’écho de la demande du sénateur Yussuff, à savoir que si vous avez une étude qui pourrait nous fournir des données sur les redevances d’aménagement comparatives et d’autres redevances sur l’aménagement et le logement dans le pays, c’est, à mon avis, une chose que nous n’avons pas entendue, qui serait très importante et utile pour notre rapport.

En ce qui concerne le projet Maisons Canada et le logement hors marché et abordable, nous avons effleuré la question d’un écart dans ce que ce fonds permettra d’accomplir par rapport aux besoins. On ne s’attend pas à ce que ce fonds couvre l’ensemble des besoins. Y a-t-il autre chose en cours en dehors de ce fonds? L’écart lié au programme Maisons Canada représente-t-il l’ensemble du manque à combler par rapport aux besoins, ou existe-t-il d’autres initiatives sur le marché?

M. Gemmel : Assurément, de notre point de vue, Maisons Canada n’a pas pour objectif — ou ne nous y attendons certainement pas — de doubler à lui seul la construction de logements. Le programme vise vraiment — et nous pensons que c’est approprié — à se concentrer sur le segment à but non lucratif et hors marché du spectre du logement.

Quelles sont les autres initiatives? Dans le budget déposé hier, le gouvernement fédéral a annoncé un plan d’infrastructure de 51 milliards de dollars, qui a fait les manchettes. Il s’agit effectivement d’un montant substantiel. Le problème, c’est qu’environ 80 à 90 % de ces fonds étaient déjà planifiés et avaient déjà été annoncés. Dans le cas du Fonds pour le développement des collectivités du Canada, qui est un transfert par l’intermédiaire des provinces de 2,4 milliards de dollars par année, 27,8 milliards de dollars de ces 51 milliards de dollars sont versés dans le cadre de ces transferts annuels. Les municipalités comptaient déjà sur ces fonds.

Il s’agit d’un financement essentiel. Il servira à installer les conduites nécessaires à la construction de nouveaux logements, mais c’est le même montant aujourd’hui qu’il y a deux jours. Il ne servira pas à construire plus de logements que ce que nous prévoyions construire. Il y a le projet d’incitatifs de 12 milliards de dollars pour aider les municipalités à réduire leurs redevances d’aménagement. Nous l’accueillons avec plaisir. Encore une fois, cela ne va pas nécessairement permettre de construire plus de logements qu’auparavant. Cela va réduire les redevances d’aménagement qui sont déjà élevées et améliorer de manière marginale l’abordabilité.

Le vice-président : Mesdames et messieurs, malheureusement, le temps est écoulé. Monsieur Gemmel, merci beaucoup de votre participation aujourd’hui. Nous vous remercions de votre témoignage et de vos observations, et je pense que nous aurions facilement pu poursuivre nos questions pendant au moins une heure.

M. Gemmel : Une heure est vite passée.

Le vice-président : Oui, en effet.

Mesdames et messieurs, nous allons maintenant poursuivre notre étude spéciale sur la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux. Je souhaite accueillir notre deuxième groupe de témoins, soit Mme Isabelle Demers, vice-présidente — Développement stratégique, Affaires publiques et innovation; et M. David Goulet, directeur économique, qui représentent l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec.

Bienvenue à notre comité et merci à vous deux d’avoir accepté de comparaître devant nous. Je vous invite également à présenter votre déclaration liminaire. Vous avez cinq minutes pour le faire. Madame Demers, la parole est à vous.

Isabelle Demers, vice-présidente — Développement stratégique, Affaires publiques et innovation, Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec : Merci beaucoup.

[Français]

Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de nous recevoir aujourd’hui pour discuter d’un enjeu qui touche des millions de Canadiens et Canadiennes : la crise de l’habitation.

Je m’appelle Isabelle Demers, je suis vice-présidente —Développement stratégique, affaires publiques et innovation à l’APCHQ, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec. Je suis accompagnée de M. David Goulet, directeur économique.

Fondée en 1961, l’APCHQ représente et soutient plus de 28 000 entreprises de l’industrie de la construction résidentielle et de la rénovation. Elle agit comme un moteur de développement social et économique par la promotion de la durabilité et de la qualité en habitation. Elle est aussi l’association à adhésion volontaire du secteur de la construction la plus importante au Canada.

[Traduction]

Nous sommes ici car une crise historique de l’habitation frappe tout le pays. Nous sommes devant la première génération depuis 1971 qui n’aura pas accès à la propriété. Et ce, alors que la différence d’actifs à la retraite entre un propriétaire et un locataire est de 5 pour 1. Cela préoccupe l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec, ou APCHQ. Le risque d’appauvrissement individuel et collectif devrait tout autant préoccuper les législateurs.

Les ménages qui restent dans le marché locatif accèdent à la propriété plus tard, faute de moyens, et accentuent la pression sur le marché locatif abordable. Conjugué à cela, le prix des loyers et des hypothèques augmente, le nombre de mises en chantier de nouvelles habitations stagne, mais les besoins en logement eux, demeurent. Selon la SCHL, il faudra construire, au Québec seulement, un million de nouvelles habitations d’ici 2035 pour rétablir l’abordabilité. Cela suppose de doubler annuellement les mises en chantier. L’urgence commande d’agir ensemble, par la mise en place d’actions cohérentes et concertées entre tous les acteurs de l’écosystème et les ordres de gouvernement.

[Français]

À cet effet, l’APCHQ argumente qu’il faut agir sur trois fronts : augmenter l’offre sous toutes ses formes, favoriser l’accès à la propriété, ainsi que maintenir et améliorer le parc d’habitation existant par la rénovation.

[Traduction]

Évidemment, c’est complexe. Le secteur fait face à des enjeux de pénurie de main-d’œuvre qualifiée, d’explosion des coûts de construction et des matériaux, de vétusté du parc locatif existant, en plus de longs délais administratifs.

[Français]

Cette crise est en plus exacerbée par la structure même de l’industrie qui renforce une gestion à la pièce, en vase clos, comme si un million d’habitations allaient se construire un marteau à la fois. Par exemple, on peut nommer le manque d’harmonisation de l’interprétation du Code de construction, qui fait en sorte qu’il n’y a pas de standardisation, et donc de prévisibilité d’usage, ce qui limite les mises à l’échelle, les processus et les attentes qui diffèrent d’une ville à l’autre ou même d’un code postal à un autre, et ce, à travers le pays, sans oublier le fait qu’il n’y a, à proprement parler, aucun avantage à la rénovation, alors que le bâtiment le plus abordable est celui qui est déjà construit.

[Traduction]

Rappelons donc certaines mesures et recommandations. Pour augmenter l’offre, soutenir les petites entreprises de l’écosystème afin qu’elles puissent s’adapter, croître et être plus performantes. Récompenser l’innovation, vecteur de productivité, surtout chez les plus jeunes joueurs. Favoriser une certaine industrialisation des procédés de construction, afin d’offrir de la prévisibilité et de permettre une mise à l’échelle des capacités, favorisées, par exemple, par une harmonisation des codes ou des règlements. Simplifier. La surintervention, la complexification, l’accumulation des règlements doivent être revues. Et aussi, améliorer des programmes appréciés mais dont les critères sont désuets, comme APH Select et MLI Select. Tout le monde les aime. Ils doivent être améliorés ou mis à jour. Poursuivre les investissements massifs dans les infrastructures en eau. Il ne suffit pas de construire, il faut connecter.

[Français]

Pour favoriser l’accès à la propriété, parce qu’être locataire ou propriétaire devrait être un choix, l’APCHQ recommande de relancer l’incitatif à l’achat d’une première propriété de la SCHL en bonifiant les critères d’admissibilité et de remboursement, poursuivre les efforts pour remplacer le taux admissible minimal ou ce qu’on appelle le « stress test », faire du RAP ou du CELIAPP des régimes intergénérationnels et modifier le projet de loi C-4 afin que le nouveau programme de remboursement de TPS pour les acheteurs d’une première habitation soit actif au 20 mars.

[Traduction]

Pour maintenir les acquis en logement abordable par la rénovation du parc existant, il faut associer les avantages de la rénovation, comme le maintien en logement et la qualité de vie, aux avantages de rénovation qui accroissent la rentabilité, diminuent le gaspillage et favorisent les gains énergétiques. C’est une situation gagnant-gagnant. Bonifier des programmes qui motivent le passage à l’action à court terme et à grand volume. Enfin, il faut faire preuve de cohérence, soutenir le Canada et ses entreprises. Par exemple, il est intéressant de constater qu’un fonds majeur, comme l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public, ou PSP, investit 85 % de son portefeuille immobilier de 26 milliards de dollars à l’extérieur du Canada.

[Français]

En terminant, mesdames et messieurs les membres du comité, la crise de l’habitation est assurément un défi collectif qui exige du courage politique, de la vision et des actions cohérentes et concertées entre tous les ordres de gouvernement et les acteurs de l’industrie.

L’APCHQ demeure un collaborateur actif et investi pour bâtir un avenir où chacun devrait pouvoir se loger à un coût abordable, dans des habitations tout aussi durables que de bonne qualité.

Je vous remercie de votre attention. Mon collègue et moi sommes disponibles pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Le vice-président : Merci beaucoup d’avoir présenté votre déclaration liminaire. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous aurez cinq minutes pour les questions, et cela comprend les réponses.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Merci, madame Demers et monsieur Goulet, d’être avec nous.

Dans votre soumission prébudgétaire pour le premier budget du gouvernement Carney, vous formulez neuf recommandations. J’aimerais vous entendre sur votre deuxième recommandation qui porte sur le rôle de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Vous suggérez que les profits annuels de la société soient réaffectés à des investissements directs dans le logement abordable et social.

Avec la création de Maisons Canada, vous estimez que cette nouvelle agence pourrait entraîner une redéfinition du mandat de la SCHL. Pourriez-vous développer davantage cette idée et nous dire quels changements ou ajustements devraient être mis en œuvre au sein de la société?

Mme Demers : Merci de la question, sénateur Loffreda.

Tout d’abord, Maisons Canada est nouvelle. Les dispositions et le mode de fonctionnement ne sont pas encore complètement connus.

Il y a un élément qui nous semble important, et c’est de s’assurer qu’on peut continuer de soutenir et de promouvoir des projets de construction; il faut également que ce soit des projets de construction abordables. Les programmes qui existent à la SCHL devraient être maintenus ou rehaussés. Si le mandat de Maisons Canada est élargi, on pourrait alors penser que certains programmes devraient aussi basculer de leur côté.

Pour répondre à votre question spécifique sur les éléments qui pourraient améliorer certaines choses, je vais céder la parole à mon collègue David Goulet.

David Goulet, directeur économique, Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec : Ne sachant pas exactement quelles seront les nouvelles responsabilités de Maisons Canada, il est difficile de déterminer ce qui devrait être fait par eux et qui est actuellement fait par la SCHL. Évidemment, on souhaite avoir une simplification des processus et faire en sorte qu’il n’y ait pas de dédoublement pour ne pas créer plus de difficultés pour les entrepreneurs.

On a également mentionné APH Select, qui est une assurance qui est très utilisée actuellement pour soutenir la construction de logements locatifs à travers le Canada. Un des enjeux de ce programme, c’est qu’il a été mis en place il y a plusieurs années. Pour déterminer les critères d’abordabilité, on se base encore sur les salaires des Canadiens en 2019. On est pourtant en 2025. La base de données sur laquelle ils se basaient à l’époque a été mise à jour depuis. On a des données de 2022. Pourtant, la SCHL n’a pas revu son programme. Nous aimerions mieux comprendre ce qui justifie cela.

Il y a aussi eu des changements au chapitre du pointage pour l’efficacité énergétique. Cela envoie un message contradictoire. L’efficacité énergétique est vraiment importante. On ne devrait pas avoir à choisir l’abordabilité ou l’efficacité énergique, mais plutôt favoriser les deux. C’est un autre point sur lequel on croit que la SCHL, du moins dans ce programme de l’APH Select, devrait revoir son fonctionnement.

APH Select étant une assurance pour les prêts hypothécaires à la construction locative, cela nous semble plus naturel que cela reste du côté de la SCHL, parce qu’ils offrent déjà plusieurs programmes d’assurance. Cependant, pour les autres programmes, il faudra voir comment Maisons Canada procédera pour voir ce que l’on devrait transférer. L’objectif reste de ne pas dédoubler la charge de travail pour les entrepreneurs et les promoteurs.

[Traduction]

Le vice-président : Avec tout le respect que je vous dois, je vous demande de fournir des réponses plus concises.

M. Goulet : C’est compris.

[Français]

Le sénateur Loffreda : J’aime vos neuf recommandations. J’aimerais vous entendre rapidement sur la troisième recommandation, qui porte sur l’idée de rendre le régime d’accession à la propriété, ou RAP, ou le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété, ou CELIAPP, « intergénérationnel », ce qui permettrait aux parents de contribuer à la mise de fonds de leurs enfants tout en réduisant les pénalités financières associées à ces contributions.

Mme Demers : Effectivement, c’est une recommandation que nous faisons. Il faut travailler sur plusieurs fronts : augmenter l’offre, mais permettre l’accès à la propriété pour ceux qui souhaitent le faire. L’un des enjeux actuels est que la mise de fonds nécessaire pour être en mesure d’accéder à la propriété a augmenté. Essentiellement, peu de gens ont ce montant dans leur compte en banque de façon courante. Rares sont ceux qui peuvent se le permettre. Pourtant, certaines familles ou certains enfants et parents ont ce montant dans un contexte de RAP ou de CELIAPP. Plusieurs voudraient pouvoir contribuer. D’ailleurs, on voit déjà, selon des données assez récentes de la SCHL, que 70 % des parents contribuent déjà auprès de leurs enfants. Cette mesure existe déjà. Pourquoi ne pas la structurer et la systématiser par l’entremise d’un RAP ou d’un CELIAPP? Cela n’enlèvera rien à personne et cela aidera directement les enfants qui voudraient avoir accès à la propriété.

[Traduction]

Le vice-président : Merci beaucoup.

Le sénateur Fridhandler : J’ai une question générale dont vous êtes peut-être au courant. Dans le marché du Québec, est-ce que quelqu’un construit sans le soutien du gouvernement? Y a‑t‑il un marché où les gens ont les moyens de construire les logements requis sans subventions?

Mme Demers : C’est une excellente question, merci de la poser. Les coûts de construction sont très élevés partout au Canada, y compris au Québec. Ce que les gens du milieu de la construction disent, c’est que les calculs ne fonctionnent pas.

Tous les coûts associés à la construction, avant, pendant et après celle-ci, ainsi que la mise des logements sur le marché... les projets sont très coûteux. Certains promoteurs construisent sans subventions, bien sûr, et ils sont nombreux à le faire. Mais ceux qui doivent construire un projet hors marché ont besoin d’aide pour que les chiffres fonctionnent.

Le sénateur Fridhandler : Un témoin précédent a parlé d’un plus grand soutien de la part du gouvernement provincial concernant les infrastructures municipales. À ce sujet, pourriez‑vous nous dire quel financement particulier la province accorde aux infrastructures municipales pour les nouveaux aménagements?

Mme Demers : Je ne suis pas certaine de comprendre la question.

Le sénateur Fridhandler : Un témoin précédent a dit que le gouvernement provincial du Québec soutient les infrastructures comme les aqueducs et le traitement des eaux usées dans les municipalités. Dans d’autres provinces, ce n’est pas le cas. Donc, ce n’est pas tout qui est transféré au promoteur et aux échelons municipaux.

Mme Demers : À bien des égards, la structure au Québec diffère un peu de celle du reste du Canada. Vu la manière dont l’infrastructure est organisée, elle est la responsabilité des municipalités, mais elle est aussi la responsabilité, dans certains cas, de l’échelon provincial. Les municipalités sont donc financées par les taxes qu’elles perçoivent.

Bien sûr, si la taxation n’est pas assez élevée, elles doivent rajuster le budget. La réalité, c’est qu’il y a un manque à gagner de 47 milliards de dollars pour mettre à niveau les infrastructures d’eau. Les municipalités ne seront pas du tout en mesure de financer ce projet. La province ne sera pas du tout en mesure de le financer à elle seule. Cela signifie qu’elles ne seront pas mises à niveau et que certaines municipalités ne pourront pas fournir d’espace pour de nouveaux projets, de nouvelles constructions, parce qu’il manque de l’eau — le traitement de l’eau ne suffit pas — ou ce qui se passe, c’est que les coûts sont engagés et refilés aux consommateurs, qui, au bout du compte, sont ceux qui sont touchés et doivent les payer.

Le sénateur Fridhandler : Est-ce que, au Québec, on limite ce que les municipalités peuvent facturer en taxes foncières? Ou est-ce qu’il n’y a aucune limite et que les municipalités ne veulent pas s’exposer à la pression politique liée au fait de facturer davantage pour couvrir leurs coûts?

Mme Demers : Bien sûr, nous comprenons à quel point c’est difficile pour les maires élus de l’ensemble de la province. Le Québec compte 1 100 municipalités; il se trouve donc qu’un très grand nombre de petites municipalités, bien sûr, comptent également sur un petit nombre d’électeurs. Comment peuvent‑elles autant augmenter les taxes? C’est une situation délicate dans laquelle elles se retrouvent parfois.

Le sénateur C. Deacon : Merci, madame Demers et monsieur Goulet. Je veux me concentrer sur les talents nécessaires pour construire des maisons. Il y a eu une pénurie des travailleurs qualifiés pour réaliser le travail essentiel. Aucune intelligence artificielle ne peut encore construire de maison.

Le pays compte actuellement 900 000 jeunes sans emploi, pas aux études et pas en formation, de moins de 29 ans. Cela signifie que 900 000 jeunes attendent et ne sont certainement pas en train d’économiser pour acheter une maison. Ils n’ont pas beaucoup de moyens. Qu’est-ce que le gouvernement fédéral pourrait faire? Je constate une grande différence entre les sexes dans les programmes d’apprentissage. Les femmes qui entrent dans ces programmes se retrouvent dans un environnement qui ne conduit pas nécessairement à un emploi plus respectueux, et les hommes terminent les programmes d’apprentissage deux fois plus rapidement. Les grands constructeurs sont généralement ceux qui ont tous les apprentis, et ils les gardent à cause de leur pouvoir de marché. Les petits employeurs ruraux plus novateurs n’obtiennent pas nécessairement le même nombre d’apprentis. Selon vous, de quelle manière le gouvernement fédéral pourrait‑il rectifier le tir à cet égard? Je sais que l’apprentissage est une compétence provinciale, mais le chômage est un enjeu de ressort fédéral.

Avez-vous des réflexions à ce sujet? Tout cela est lié au problème auquel nous sommes actuellement confrontés.

Mme Demers : C’est une excellente question, car elle traite de la manière dont l’industrie est structurée, qui est très différente au Québec d’ailleurs au Canada. L’APCHQ est aussi la représentante des travailleurs. Nous nous exprimons au nom de l’ensemble des employeurs œuvrant dans le secteur résidentiel en collaboration avec leurs homologues syndicaux. Au Québec, il est obligatoire d’être syndiqué. Si vous voulez travailler dans le secteur de la construction au Québec, vous devez vous joindre à un syndicat. Il existe cinq syndicats pour vous représenter, mais vous devez en choisir un. Autrement, vous ne pouvez pas travailler.

La structure adoptée s’apparente à celle d’un marché fermé. C’est un marché fermé, parce que ce n’est pas tout le monde qui peut y entrer. Pour entrer sur le marché, vous devez suivre une formation, puis obtenir une carte de compétence qui vous permet d’occuper un métier donné. Lorsqu’il y a une pénurie de métiers dans certains secteurs ou certaines régions du Québec, vous avez alors la possibilité d’intégrer le secteur, car les employeurs se porteront garants pour vous et assureront votre formation en milieu de travail.

C’est un marché fermé, ce qui signifie que, en cas de besoin, tous les employeurs se battent pour les mêmes travailleurs parce que le nombre de travailleurs est fixe.

Lorsque les besoins sont moins grands ou que les activités sont ralenties, les employeurs se battent moins pour les mêmes métiers et compétences. Cela signifie qu’il n’est pas aussi facile d’entrer sur le marché. Ce n’est pas facile pour les jeunes de se joindre au marché et de devenir des constructeurs et des travailleurs qualifiés dans le secteur de la construction, car la structure ne permet pas un accès facile.

À l’heure actuelle, au Québec, il manque environ 16 500 travailleurs qualifiés. L’un des problèmes, c’est que 70 % des travailleurs qui œuvrent dans le secteur de la construction au Québec sont techniquement non qualifiés. Cela signifie qu’ils ont appris leur métier sur le terrain. C’est correct; cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas bons. Cela veut dire qu’ils n’ont pas suivi la formation officielle traditionnelle.

Comment le gouvernement fédéral peut-il aider? Il y a assurément un endroit où il peut aider, et c’est dans un secteur qui n’est pas entièrement touché par cette situation : les bâtiments préfabriqués. Les travailleurs travaillent dans des industries avec des usines et ne sont pas touchés par cette structure et ce système.

Le vice-président : Merci.

La sénatrice Martin : Merci de votre témoignage. J’ai posé au témoin précédent des questions au sujet du Québec. Je sais que vous y avez répondu avec le sénateur Fridhandler.

Ma question concerne les nouveaux pouvoirs que les municipalités québécoises ont reçus pour accélérer la délivrance de permis. Ceux-ci sont souvent sous-utilisés ou mal compris. Que doit-on faire pour s’assurer que ces outils réglementaires sont adoptés efficacement si l’on veut accélérer la livraison de maisons?

Mme Demers : Vous parlez du projet de loi 31, qui accorde un pouvoir aux municipalités du Québec comptant plus de 10 000 électeurs. Peu de municipalités au Québec peuvent l’utiliser, car il y a beaucoup plus de municipalités composées de moins de 10 000 électeurs. Voilà la première chose.

Ensuite, vous avez évoqué le fait qu’il n’y a pas énormément de municipalités qui utilisent ce pouvoir. Encore une fois, cela rejoint ce qui a été mentionné plus tôt. Parfois, l’usage d’un tel pouvoir va à l’encontre des demandes de vos électeurs, alors vous devez vous armer de courage.

Et pourtant, ces deux dernières années, bon nombre de maires au Québec en ont fait usage. Ce pouvoir a été utilisé à Québec. Il a également été utilisé dans d’autres grandes villes de la province. Ce que le projet de loi prévoit, c’est qu’advenant une situation où un projet n’exige aucune transformation, c’est‑à‑dire, aucun changement de zonage ou de la réglementation, et il est tout à fait correct...

Le vice-président : Il est de plein droit.

Mme Demers : Oui, il est de plein droit. Merci de votre aide.

Si un projet est de plein droit, vous pouvez aller de l’avant, et vous n’avez pas à passer par le long processus. Dans le cas contraire, vous devez passer par le long processus.

Le problème, c’est que le zonage, dans beaucoup de municipalités, nécessite une mise à jour. Par exemple, si le zonage permet une certaine aire habitable, et que vous aimeriez disposer d’un projet qui augmente la densité en ajoutant six étages, votre projet n’est donc pas de plein droit et vous ne serez pas en mesure d’utiliser ce pouvoir.

La sénatrice Martin : Avec ce pouvoir, la modernisation est également nécessaire. Vous avez évoqué la question de savoir s’il s’agissait de codes harmonisés.

Mme Demers : Effectivement.

La sénatrice Martin : Vous avez cerné plusieurs problèmes.

Mme Demers : Oui.

La sénatrice Martin : Est-ce que tous ces éléments devront rattraper le retard?

Mme Demers : Ces éléments rattrapent effectivement le retard, et parfois, ils le font à un rythme beaucoup plus rapide que les autres, en fonction de la municipalité.

Nous avons eu une élection. De nouveaux maires ont été élus dimanche dernier au Québec. Nous avons vraiment hâte de voir la façon dont ce projet de loi sera mis en œuvre ces quelques prochaines années.

La sénatrice Martin : Est-ce que ce pouvoir existe également dans d’autres régions du Canada, ou est-ce qu’il est spécifique au Québec?

Mme Demers : Il me semble qu’il est spécifique au Québec.

La sénatrice Martin : Vous disposez de ces modèles qui fonctionnent pour vous de cette façon. Cependant, comme vous l’avez mentionné, une amélioration est nécessaire. Vous l’avez rapidement évoqué à la toute fin de votre témoignage, car le président avait indiqué que vous n’aviez qu’un temps limité. Je vous ai entendu affirmer qu’une agence investissait 85 % de ses fonds à l’extérieur du pays. Il s’agit d’un chiffre considérable. Pouvez-vous apporter plus d’explications à cet égard? Je n’ai pas bien compris.

M. Goulet : Investissements PSP dispose d’un portefeuille immobilier à l’échelle mondiale. Elle a une valeur d’environ 26 milliards de dollars. Si vous allez sur son site Web, vous y trouverez cette information. Au total, 85 % de la valeur du portefeuille se situe à l’extérieur du Canada, ce qui montre qu’elle n’investit pas énormément d’argent dans le pays.

Nous avons également vérifié les données concernant le Régime de pensions du Canada. Nous n’avons pas vu de chiffres spécifiques en ce qui a trait à la valeur de son portefeuille, mais nous avons remarqué une tendance similaire. Nous voyons que les organismes dont le portefeuille est lié au gouvernement fédéral n’investissent en réalité pas énormément dans l’aménagement domiciliaire au Canada.

La sénatrice Martin : C’est un point important à signaler. Je vous remercie.

M. Goulet : Je vous en prie.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Dans votre Bulletin de l’habitation Prévisions 2025-2026, vous montrez quand même que les chiffres de construction au Québec sont très bons cette année. Nous allons battre des records. Il n’y a pas de problème de mise en chantier. Contrairement à l’Ontario, qui est en chute, le Québec est à la hausse. Combien de travailleurs avez-vous dit qu’il manquait?

Mme Demers : Il en manque 16 500.

Le sénateur Dalphond : Si nous avions ces 10 000 ou 15 000 employés de plus, nous battrions des records.

Mme Demers : Je vais demander à David de compléter ma réponse sur certains éléments. Merci pour la question, sénateur.

D’abord, le record de mises en chantier au Québec est d’environ 74 000. C’est le record absolu de mises en chantier pour une année. Il faudrait construire 100 000 habitations, ce qui représente quand même une augmentation substantielle.

Est-ce qu’on battrait des records avec plus de travailleurs? On battrait des records si on pouvait accélérer tous les facteurs qui permettent de faire des mises en chantier. Le nombre de travailleurs est un facteur, mais il n’est évidemment pas le seul. Les travailleurs dans l’industrie de la construction au Québec ne peuvent pas entrer dans le marché et en sortir comme ils le souhaitent. C’est un marché fermé.

Une fois qu’ils travaillent dans l’industrie de la construction, ils peuvent travailler dans le secteur qui leur convient : résidentiel, commercial, industriel, institutionnel ou grands travaux publics. Selon où se font les projets et où se trouve l’investissement, les travailleurs vont suivre les employeurs, qui auront des projets à un endroit ou un autre. Le fait d’avoir plus de travailleurs ne veut pas nécessairement dire que cela va accélérer les mises en chantier.

Le sénateur Dalphond : Cela m’amène à ma deuxième question. Dans le budget, notamment en ce qui a trait à l’habitation, on montre que la productivité a augmenté dans tous les secteurs, mais pas dans la construction, où elle est à la baisse. Comment est-ce que le Québec s’inscrit là-dedans? Est-ce que la productivité du Québec dans le domaine de la construction est à la baisse depuis des années, comme partout au Canada? Si oui, que propose votre association, qui regroupe notamment des entrepreneurs généraux, pour que sa main-d’œuvre soit plus productive?

Mme Demers : La perte de productivité dans l’industrie de la construction nous préoccupe beaucoup. Il y a plusieurs éléments. C’est une discussion qui me passionne, mais je vais essayer d’être succincte.

Le sénateur Dalphond : Vous avez deux minutes.

Mme Demers : L’industrie de la construction n’a pas été forcée de changer dramatiquement ses façons de faire au cours des dernières années, car tout fonctionnait très bien. L’écart s’est creusé avec d’autres secteurs qui ont dû se moderniser. L’industrie de la construction n’a pas eu autant à se moderniser. Voilà l’un des éléments.

L’autre élément, c’est qu’il s’agit d’une industrie qui est parcellée de petits joueurs. Cela ne veut pas dire que ces joueurs ne devraient pas faire d’innovation, mais le type d’innovation possible n’est pas le même pour tous les types d’entreprises.

Amener l’industrie de la construction à adopter des pratiques plus performantes et plus productives passe par plusieurs choses, dont une structure du travail qui amène plus de flexibilité, de polyvalence et de libre arbitre au chapitre de la gestion. La structure de l’industrie a des contraintes là-dessus. C’est une limite.

Cela passe aussi par une productivité accrue, par exemple grâce aux façons de travailler en adoptant une approche d’utilisation de préfabriqué, de modernisation ou de standardisation. Il y a peu de standardisation qui est possible en ce moment, parce que bien qu’il n’y ait au Québec qu’un seul Code de construction, son interprétation est aléatoire. Il y a 1 100 villes au Québec qui interprètent ce code de 1 100 façons différentes. Cela limite la prévisibilité. Sans prévisibilité, il est très difficile d’investir les millions de dollars nécessaires pour emboîter le pas et adopter des approches de robotisation ou de production de façon standardisée. Cela fait partie des défis.

Il y en a d’autres, mais je m’arrêterai sur ceux-ci. Qu’est-ce qui peut être fait? Il faut accompagner, former et aider nos entrepreneurs à avoir des pratiques d’affaires plus productives et faire en sorte qu’ils développent des capacités technologiques et de gestion d’affaires à cet effet, et il faut venir vous rencontrer pour discuter de ces défis.

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Merci à tous les deux d’être ici.

La réalité du Québec est quelque peu unique par rapport au reste du pays. Vous avez des défis, c’est certain, mais vous avez quelques réalités différentes.

L’une des choses que nous avons entendues de la part de témoins qui ont comparu devant le comité, c’est que les droits d’aménagement à l’extérieur du Québec, en ce qui concerne les nouvelles constructions, sont assez considérables. Au Québec, c’est tout le contraire. Malgré cela, vous êtes toujours confrontés à des défis pour ce qui est de construire suffisamment de nouveaux logements pour répondre aux besoins de votre province.

Compte tenu des droits d’aménagement moins élevés au Québec, vous cernez à présent une multitude de problèmes que nous devons régler. Compte tenu du caractère unique des défis auxquels nous sommes confrontés, quelles sont certaines des choses positives que nous pouvons apprendre du Québec? Évidemment, le fait d’avoir des frais d’aménagement moins élevés en est une, mais quelles sont certaines des choses positives que nous pouvons apprendre du Québec, dont d’autres provinces canadiennes peuvent tirer parti dans le contexte des initiatives que vous avez très bien réussies?

Vous composez avec une pénurie de main-d’œuvre — comme tout le monde — en fin de compte; tout le monde n’adopte pas le code de la même façon, et ce n’est pas tout le monde qui sait comment le mettre en œuvre. Mais il doit y avoir des attributs positifs quant à la volonté de la province de construire suffisamment de logements abordables pour sa population, laquelle semble être quelque peu différente du reste du Canada.

Mme Demers : Merci de la question, monsieur le sénateur.

Encore une fois, les choses ne sont effectivement pas structurées de la même façon que dans le reste du Canada. Et, encore une fois, le fait que les droits d’aménagement diffèrent de ceux du reste du Canada n’a pas une grande incidence sur le fait que la construction au Québec coûte toujours très cher.

Autrefois, c’était un marché moins coûteux; c’était un eldorado. Les étudiants arrivaient des quatre coins de la planète, car c’était moins cher de rester au Québec. Désormais, ce n’est plus le cas.

Il y a quelques raisons qui expliquent cela. La première, c’est qu’acheter un terrain, c’est coûteux. Il y a également le coût de tout le reste : les matériaux, la main-d’œuvre, et ainsi de suite. Ce qui fonctionne bien — car vous avez posé la question — c’est la capacité de réaliser certains projets qui ne sont pas uniquement exécutés par des entités privées ou liés à des logements hors marché.

Par exemple, certains projets ont vraiment réussi à prendre davantage d’ampleur, car ils ont fourni un projet qui a pu être mis en œuvre à l’échelle de la province. Cela a aidé.

Une autre chose qui fonctionne, c’est d’essayer de trouver des façons innovantes de faire travailler de concert les organismes à but non lucratif et les organismes à but lucratif pour qu’ils mettent en commun leur meilleure expertise et qu’ils trouvent une solution. C’est quelque chose qui a été fructueux, jusqu’à présent.

[Français]

David, y a-t-il d’autres exemples que l’on peut donner de projets qui ont bien fonctionné?

[Traduction]

M. Goulet : Évidemment, à l’heure actuelle, nous avons un grand partenariat dans le cadre duquel un système de transport en commun est en construction en ce moment même. Par exemple, la ligne bleue du métro fait l’objet d’un prolongement à Montréal. Le constructeur et fournisseur de service de transport en commun fait également équipe avec les promoteurs pour s’assurer qu’il y a suffisamment de logements autour de chaque station. En fait, ils aménagent conjointement certains de leurs propres terrains. C’est une façon qui s’est révélée très efficace pour augmenter non seulement la fréquentation des transports en commun, mais aussi les recettes pour les agences de transport, en plus de créer des logements là où la nécessité est grande, c’est‑à‑dire là où il y a des services.

Je pense qu’il s’agit là d’un excellent exemple. Le projet est en construction à l’heure actuelle, donc nous n’avons pas nécessairement pu voir la construction des tours, mais le partenariat a été signé et officialisé par la Ville également. C’est une proposition très intéressante.

Nous avons vu la même chose à Québec, pour ce qui est du réseau de tramway. La Ville planifie d’augmenter massivement la densité autour de ces stations afin de garantir suffisamment de recettes, et d’appui de la part de la population pour qu’il y ait assez de logements.

C’est un excellent exemple. Les autres provinces essayent de lui emboîter le pas, mais leur projet n’est pas nécessairement aussi bien mis en forme que ce que nous avons vu jusqu’à présent.

Le sénateur Yussuff : Le Québec compte bon nombre de petites municipalités, ce qui fait que les données sont très variées. Quelles sont certaines des choses uniques et différentes que font les municipalités, vu que leurs défis sont uniques et différents en raison du fait que les villes, au Québec, ne sont pas très grandes?

Mme Demers : Voilà une excellente question. Nous avons voyagé dans toutes les provinces pour rencontrer des centaines de maires. Un détail important que nous avons relevé, c’est que les municipalités qui ont réussi à réduire le délai d’obtention du permis de construction, ont toujours pu mettre en place une excellente voie de communication par laquelle circule facilement l’expertise des constructeurs.

Par conséquent, les constructeurs et les promoteurs sont en mesure d’avoir une discussion et des échanges bilatéraux avec les maires. Ils sont capables de prédire ce qui va se passer, et ont une certaine visibilité.

Lorsque vous savez ce qui va se passer, vous pouvez planifier en conséquence. Et si vous planifiez en conséquence et que vous retirez certaines des étapes menant à l’obtention des permis, le processus sera donc moins long et moins coûteux. De ce que j’ai vu, il s’agit d’un excellent exemple de travail bilatéral.

La sénatrice McBean : Madame Demers, vous avez évoqué quelque chose tout au début, et c’était l’un de mes éléments préférés dans toute l’étude. Je crois comprendre qu’il y a une pénurie de logements, mais vous avez dit que le logement le plus abordable, c’était celui qui était déjà construit.

Vous avez également mentionné que vous reconnaissiez qu’il y avait un retard en ce qui concerne les personnes qui passent du statut de locataire à celui de propriétaire.

Nous avons également entendu dire, à un autre moment de l’étude, qu’il y a un retard en ce qui concerne les personnes âgées qui déménagent dans une plus petite maison, car elles ne peuvent pas déménager dans de nouvelles maisons, en raison du prix trop élevé, donc elles préfèrent rester là où elles sont. Et je vois que la chaîne est bloquée; les gens ne circulent pas assez entre les composantes du système.

Pensez-vous que les incitatifs fiscaux fédéraux, comme les logements construits spécialement pour la location ou la rénovation des logements, augmenteraient de manière significative le nombre de logements dans les zones rurales et urbaines du Québec?

Mme Demers : C’est l’un de mes sujets préférés, donc merci d’avoir posé la question. L’un des problèmes auxquels nous faisons face — et nous devons comprendre le marché québécois et la structure québécoise — c’est que nous avons le nombre le plus élevé de locataires au Canada. Et pourtant, nous avons également le parc d’appartements le plus vieux au Canada.

L’une des conséquences, c’est qu’il n’y a aucune mesure incitative ni aucun avantage en ce qui concerne la rénovation. Si vous habitez dans votre propre maison, et que vous la rénovez, vous le faites donc pour vous-même et vous y apportez quelques améliorations. Vous payez avec de l’argent et des services imposés, et peut-être qu’un jour vous aurez un rendement du capital investi ou que vos enfants récolteront les fruits de votre rénovation. Si vous êtes propriétaire, mais que vous n’habitez dans le logement — si vous êtes un propriétaire et louez à autrui — le problème, c’est que vous investissez dans la rénovation, et donc, il n’y a aucun moyen de percevoir un rendement du capital investi à moins d’être très patient. La conséquence, le parc n’est pas rénové comme il devrait l’être.

Et pourtant, nous avons effectué des recherches, et il est intéressant et fascinant de voir que, si nous devions rénover des maisons et des appartements construits avant les années 1980 au Québec, nous serions en mesure d’éliminer une perte d’énergie équivalente à ce que produisent deux barrages, ce qui est incroyable. Nous serions en mesure d’éliminer une perte d’énergie équivalente aux besoins annuels en électricité et en chauffage de plus de 800 000 maisons. Et pourtant, nous ne voyons aucun programme clair qui dirige et accélère cette rénovation. Cette rénovation doit être effectuée pour des raisons économiques, mais également en raison du fait que ces maisons sont les maisons les plus abordables, et nous devons veiller à ce que les gens continuent de vivre dans ces maisons existantes. L’une des raisons pour lesquelles nous voyons qu’aucune mesure n’a été prise, c’est que toutes les options ne sont pas suffisantes. Les personnes âgées refusent de déménager. Elles ont vu ce qui s’est passé lors de la pandémie, et elles refusent également d’aller dans des résidences pour aînés. Elles refusent de déménager. Trouver des appartements, pour les jeunes, coûte très cher. La chaîne est bloquée. Si nous rénovons, nous ne perdons aucun appartement ou aucun parc. C’est un projet qui doit être accéléré. Avons-nous suffisamment de programmes? Non, pas encore. Merci.

Le vice-président : Merci, madame Demers.

La sénatrice Marshall : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les droits d’aménagement? Je sais que le sénateur Yussuff a brièvement évoqué le sujet dans l’une de ses questions. L’un des problèmes qui reviennent souvent, dans la bouche de tous nos témoins, ce sont les coûts excessifs, surtout à Toronto et à Vancouver. Je vois que vos droits d’aménagement sont très bas. Est-ce que vous avez affirmé plus tôt que c’était le gouvernement provincial qui les finançait? Pourquoi vos droits d’aménagement sont-ils si bas par rapport aux autres provinces et autres villes dont les droits d’aménagement sont si élevés? Votre structure fiscale est-elle différente? Le financement provient-il des impôts fonciers? Veuillez nous en dire un peu plus. Êtes-vous membre de la Fédération canadienne des municipalités? Un représentant a effectivement comparu ici. Pouvez-vous juste nous expliquer d’où provient le financement?

M. Goulet : Cela dépend. Lorsque nous construisons une rue afin d’y construire des maisons, et que nous effectuons les aménagements suburbains réguliers, la réponse est oui; évidemment, le promoteur doit financer ce genre d’infrastructure, comme c’est le cas dans le reste du Canada. Pour ce qui est des terrains intercalaires, avant 2018, ce n’était pas permis au Québec, donc il s’agit d’une nouvelle forme d’aménagement. Ce sont de tout nouveaux frais. C’est également la raison pour laquelle très peu de villes ont commencé à l’utiliser, car, en effet, une grande partie de l’infrastructure existait déjà, et on devait construire l’immeuble en utilisant les impôts fonciers réguliers. Dans le passé, le gouvernement du Québec disposait de fonds spécifiques, surtout pour ce qui était des stations des traitements d’eau. Il disposait de programmes spécifiques dans les années 1990 pour financer ces projets. D’une certaine façon, les villes n’avaient pas à les financer. Mais le problème, à présent, c’est que ces installations doivent être mises à jour. Alors, puisque le gouvernement provincial ne fournit pas nécessairement les fonds pour financer le projet, les villes doivent commencer à facturer des droits d’aménagement pour essayer de financer ces nouveaux projets d’infrastructure ou ces rénovations. Au même moment, beaucoup plus de villes commencent, à présent, à facturer les droits d’aménagement, surtout pour les projets d’aménagement sur terrain intercalaire. Les droits d’aménagement n’existaient pas avant pour un bon nombre de ces aménagements.

La sénatrice Marshall : Selon ce que vous nous dites, si les droits d’aménagement sont à présent bas, et que, selon vous, ils commencent à augmenter, est-ce que vous suivez la tendance de Toronto et Vancouver et de toutes ces autres villes?

Mme Demers : C’est le risque, oui.

M. Goulet : Oui.

La sénatrice Marshall : Je sais que la fédération allait demander ou a effectivement demandé au gouvernement fédéral de verser tant de milliards de dollars pour remplacer ces droits d’aménagement qu’ils facturent. Est-ce quelque chose à quoi vous êtes favorables?

Mme Demers : Nous ne sommes pas membres de la Fédération canadienne des municipalités...

La sénatrice Marshall : Ah, vous n’êtes pas membres.

Mme Demers : Nous ne sommes pas une municipalité. Nous sommes d’avis qu’il est injuste que le fardeau des futures infrastructures soit imposé uniquement aux nouveaux arrivants, car tous les électeurs ont pu accéder à toute l’infrastructure et l’utiliser. Il est par conséquent injuste d’imposer le fardeau de l’infrastructure uniquement aux nouveaux arrivants dans une ville ou un quartier, et c’est particulièrement injuste, car cela affecte ces nouveaux arrivants, de nouvelles familles qui, souvent, deviennent propriétaires pour la première fois. Ils sont doublement touchés à cause des coûts élevés de la maison et des taux d’intérêt et, encore une fois, du fait qu’ils doivent assumer l’aménagement des rues et des autres infrastructures.

La sénatrice Marshall : Est-ce que j’ai assez de temps pour une question de suivi?

Le vice-président : Vous avez 30 secondes. Par la grâce de la présidence, allez-y.

La sénatrice Marshall : Donc, est-ce que cela signifie que l’objectif actuel est de répartir ces coûts par le biais des impôts fonciers? Est-ce que c’est là que vous essayez d’en venir?

Mme Demers : Non. Nous devons revoir la façon dont les villes sont financées. Elles sont financées au moyen de l’expansion foncière, et il fut un temps où il était facile et peu coûteux de le faire. Ce n’est à présent plus le cas. Nous ne pouvons plus financer les villes de la même façon que nous le faisions autrefois, car nos besoins actuels sont différents.

La sénatrice Marshall : Merci. Cette information est très utile.

Mme Demers : Merci.

Le vice-président : Puisque je vois qu’il n’y a pas d’autres questions, je vais me prévaloir de la prérogative de la présidence et en poser une.

Je souhaite comparer l’expérience québécoise avec l’expérience ontarienne, et même avec celle de la Colombie-Britannique. L’aménagement urbain est au cœur de la croissance. D’abord, vous planifiez, et ensuite, vous concevez. Vous ignorez de quels tuyaux vous aurez besoin jusqu’à ce que vous conceviez votre plan communautaire et votre plan directeur. L’Ontario a toujours été négligent en ce qui a trait à son urbanisme. Les responsables de la province sont toujours à la recherche de financement pour les infrastructures, car ils ne planifient jamais en conséquence, dans la mesure où ils ignorent les endroits qu’ils vont densifier. Quelle est l’expérience du Québec? C’est ma question. Est-ce que la province planifie en conséquence avant de passer à la conception, en ajoutant cela par-dessus, ou est-ce qu’elle suit certains des mauvais exemples des autres provinces du Canada?

Mme Demers : La réponse à votre question — et d’ailleurs, merci de l’avoir posée — c’est oui et non. Cela dépend des villes. Encore une fois, il y a ce que l’on appelle l’autonomie de chaque ville et de chaque municipalité. Parmi ces villes et ces municipalités, certaines planifient bien les choses, et sont capables de prévoir de bonnes dispositions. Certaines sont moins douées pour la planification, et donc, la tâche est compliquée pour elles.

Certaines se retrouvent avec un zonage dont elles ne peuvent pas tirer parti, dans la mesure où elles ne sont pas autorisées à l’aménager, car il s’agit d’un espace vert rezoné et ainsi de suite.

Une chose que nous faisons — et j’aimerais que M. Goulet en parle — c’est de mettre sur pied un comité, un genre de groupe de réflexion, afin de mieux comprendre les besoins au chapitre de l’infrastructure et les endroits où nous pouvons construire au Québec.

M. Goulet : Merci. Effectivement, nous mettons sur pied ce groupe de réflexion et travaillons de concert avec différentes organisations au Québec, dont l’organisation qui représente tous les entrepreneurs dans le cadre de travaux majeurs, y compris les routes et les infrastructures.

Nous travaillons également avec l’organisation qui représente les firmes d’ingénierie du Québec, ainsi qu’avec un certain nombre d’autres organisations et associations qui nous aident à comprendre les défis ayant trait à notre façon de construire.

D’une certaine façon, nos pratiques accusent un certain retard — par rapport aux pays européens, par exemple.

Lorsque nous nous comparons aux autres provinces, nous remarquons que c’est un problème à l’échelle du Canada, et même à l’échelle de l’Amérique du Nord. Nous réglementons toujours à outrance. Le code n’a pas été mis à jour, ou nous continuons d’y ajouter des règles au lieu de l’épurer et de le rationaliser. C’est un grand problème partout au Canada.

Encore une fois, cela dépend de chaque ville. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, nous comptons de nombreuses petites municipalités, et donc elles ne disposent pas nécessairement d’employés à l’interne pour effectuer ce genre de recherche sur ces nouvelles technologies ou innovations afin de régler leurs propres problèmes. C’est également un gros problème.

Selon moi, en Ontario, vous avez moins de villes, mais les problèmes restent similaires. Je ne pense pas que nos problèmes soient liés nécessairement à la taille ou au nombre des municipalités, mais ils sont plutôt liés aux capacités. Peut-être qu’il faut qu’il y ait plus d’investissements ou de travaux à ce chapitre, à l’échelle provinciale, pour garantir une certaine normalisation des procédures, au lieu que chacun travaille individuellement.

Le vice-président : Merci. D’autres questions, chers collègues?

Madame Demers, monsieur Goulet, merci d’avoir pris part à l’étude aujourd’hui. Nous vous remercions de votre témoignage et de votre perspective. Merci.

M. Goulet : Merci.

Mme Demers : Merci de nous avoir accueillis.

Le vice-président : Chers collègues, je vois qu’il n’y a plus de questions. Sur ce, merci à nos témoins d’avoir pris le temps de comparaître devant nous aujourd’hui. La séance a été très instructive, et le groupe de témoins a été très intéressant. Nous vous remercions de vos contributions à notre étude.

Comme je l’ai mentionné, nous allons bientôt passer à la rédaction du rapport. Nous veillerons à ce que chacun de vous reçoive une copie du rapport un peu plus tard.

Si vous avez d’autres éléments à ajouter quant à vos réponses à certaines des questions, veuillez les envoyer à notre greffier. Nous vous en serions reconnaissants.

Chers collègues, merci de vos contributions aujourd’hui. Nous apprécions toujours votre préparation et participation réfléchie.

J’aimerais prendre un moment pour remercier le personnel qui soutient notre comité, nos collègues dans nos bureaux, les interprètes, l’équipe des Débats qui transcrit et met en forme la séance, le préposé à la salle du comité, le technicien en multimédias, l’équipe de radiodiffusion, le centre d’enregistrement, la DSI et notre page, Kate. Merci à tous ceux qui ont contribué à faire de cette séance un succès.

(La séance est levée.)

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