LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 21 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 18 h 34 (HE), pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir occasionnellement concernant l’énergie, l’environnement, les ressources naturelles et les changements climatiques et, à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
La sénatrice Joan Kingston (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir. Avant de commencer, je vous invite à prendre connaissance des cartes placées sur les tables pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés aux retours de son. Prière de garder les oreillettes à l’écart de tous les microphones en tout temps. Ne touchez pas aux microphones. Leur activation et leur désactivation seront contrôlées par l’opérateur de console. Finalement, évitez de manipuler votre oreillette lorsque le microphone est activé. L’oreillette doit rester sur l’oreille ou être déposée sur l’autocollant prévu à cet effet à chaque siège. Merci.
Je m’appelle Joan Kingston. Je suis sénatrice du Nouveau-Brunswick et présidente du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
J’invite tous les sénateurs à se présenter.
[Français]
La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec, vice-présidente du comité.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, Traité no 10, de la région du Manitoba.
Le sénateur D. Wells : David M. Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador
Le sénateur Fridhandler : Daryl Fridhandler, de l’Alberta.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
La présidente : Merci. Avant de commencer la réunion, j’aimerais céder la parole au sénateur Kutcher pendant quelques instants.
Le sénateur Kutcher : Merci, madame la présidente. Je vous remercie de me donner cette occasion.
Chers collègues, je vous annonce que je ne serai pas en mesure de continuer d’être membre du comité pour d’autres raisons de santé imprévues. Comme bon nombre d’entre vous le savent, j’ai passé un été difficile.
Malheureusement, d’autres problèmes ont surgi au cours des deux à trois dernières semaines. Il faudra donc que je fasse des aller-retour entre Ottawa et Halifax pour subir différents traitements et d’autres examens. Je serai incapable de rendre justice au travail qu’accomplit le comité.
Si je sens que je ne m’acquitte pas du travail que je dois faire pour participer au comité, j’estime que je ne devrais pas demeurer à ce poste important. Nous demanderons à quelqu’un d’autre de l’occuper. Je voulais vous le faire savoir pour ne pas tout simplement disparaître un de ces jours, quoique c’est ce qui pourrait arriver.
À l’heure actuelle, la chose la plus importante pour moi est de me retirer et de laisser quelqu’un d’autre faire les contributions nécessaires à ce comité parce qu’il est essentiel non seulement au Sénat, mais aussi au pays.
Merci, madame la présidente, de m’avoir donné l’occasion de dire au revoir à mes collègues. J’ai bien hâte de vous voir au Sénat le plus possible. Merci.
La présidente : Merci, sénateur Kutcher. Vous êtes un collègue que nous estimons tous. Nous voulons que vous preniez soin de vous.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, chers collègues.
La présidente : Aujourd’hui, en vertu de l’ordre de renvoi général qui nous a été confié par le Sénat le 25 septembre dernier, nous recevons Robert Hornung, membre du Groupe consultatif pour la carboneutralité et consultant indépendant. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Hornung. Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation pour venir nous parler aujourd’hui du rapport du Groupe consultatif pour la carboneutralité intitulé La collaboration, la clé de la réussite : rôle du gouvernement du Canada dans le développement de champions nationaux en technologies propres.
Monsieur Hornung, vous pouvez maintenant présenter votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons à la période de questions.
Robert Hornung, membre et consultant indépendant, Groupe consultatif pour la carboneutralité : Merci de me donner l’occasion d’être parmi vous ce soir et de vous parler de notre rapport.
Je tiens d’abord à reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinaabe, qui a encore beaucoup à nous enseigner sur les liens entre l’énergie, l’environnement et les ressources naturelles.
Je profite également de l’occasion pour présenter le Groupe consultatif pour la carboneutralité du Canada, ou GCPC. Créé en février 2021 et rendu officiel aux termes de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité en juin 2021, le GCPC a le mandat de fournir des conseils indépendants au ministre de l’Environnement et du Changement climatique en ce qui concerne l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050, y compris des conseils liés aux cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030, 2035, 2040 et 2045; aux plans de réduction des émissions du gouvernement du Canada, ce qui comprend des mesures et des stratégies sectorielles que le gouvernement peut mettre en place pour atteindre sa cible de réduction des gaz à effet de serre; et aux questions qui lui sont soumises par le ministre.
Le rapport dont je parlerai aujourd’hui a été élaboré en réponse à une demande formulée par le ministère de l’Environnement et du Changement climatique pour obtenir des conseils sur des mesures concrètes que le gouvernement fédéral pourrait prendre afin de faire progresser la politique industrielle sur la carboneutralité pour tirer profit des possibilités économiques qu’offre une économie carboneutre.
La transition énergétique est bien avancée à l’échelle mondiale. Il ne fait cependant aucun doute qu’il est encore plus difficile de placer les économies sur la voie de la réussite future, compte tenu de l’incertitude géopolitique et économique grandissante depuis la publication de notre rapport, en mars dernier. Afin d’étayer notre avis au ministre, nous avons examiné les pratiques exemplaires à l’échelle internationale et la littérature pertinente, mené 47 entrevues avec des intervenants clés, internes et externes au gouvernement, au pays et à l’étranger, et demandé des commentaires supplémentaires au moyen d’un questionnaire envoyé par la suite aux intervenants.
Le GCPC est d’avis que l’approche du Canada en ce qui concerne la politique industrielle carboneutre a toujours été trop éparpillée et n’a jamais eu la stratégie cohérente requise pour permettre au Canada de faire croître des cohortes d’entreprises locales prospères qui peuvent concurrencer à l’échelle internationale et préparer le pays à un avenir carboneutre. Selon nous, afin de réussir à augmenter la production nationale, à créer des emplois et à exporter des technologies novatrices à valeur élevée, il faut établir une approche plus collaborative et stratégique de la politique industrielle pour la carboneutralité. Il faut aussi favoriser une culture de soutien accru et un enrichissement des connaissances et de l’expertise au gouvernement.
Notre rapport vise à encourager ce résultat en présentant huit conseils axés sur quatre thèmes clés : prioriser les secteurs, réunir les intervenants, fixer des objectifs mesurables, et harmoniser les divers fonds, programmes et politiques.
En ce qui concerne le thème de la priorisation des secteurs, nous suggérons au gouvernement de concentrer la politique industrielle pour la carboneutralité sur quelques secteurs incontournables pour éviter de trop disperser ses ressources. Ces secteurs prioritaires devraient afficher un fort potentiel de croissance et être collectivement avantageux pour toutes les régions du pays.
Nous croyons qu’ils devraient aussi s’inscrire dans la vision du gouvernement et tenir compte de la sécurité nationale, du potentiel de développement économique, de la sécurité énergétique et des objectifs de carboneutralité.
Nous avons formulé trois conseils pour le thème « réunir les intervenants ». Premièrement, nous avons recommandé la création de forums officiels et axés sur la technologie pour permettre la conception et la mise en œuvre conjointes de feuilles de route pour la politique industrielle par les sphères privée et publique.
Nous estimons que le gouvernement n’est pas bien placé pour concevoir et mettre en œuvre une politique industrielle lui‑même. Il doit donc mettre à profit les connaissances et l’expérience du secteur privé et des intervenants clés afin de garantir que les stratégies sont réalistes et atteignables. Ces forums doivent se réunir dès le début et souvent, être permanents et durables, et orienter tous les aspects du processus, de la définition des objectifs à la détermination, à la mise en œuvre, à la surveillance et à la modification des mesures.
Deuxièmement, nous croyons que ces forums doivent veiller à la participation des Autochtones et promouvoir la croissance inclusive grâce aux partenariats avec les Autochtones.
Pour mettre en place ces partenariats, il faudra explorer des mesures qui garantissent l’accès au capital ainsi qu’un soutien aux programmes de renforcement des capacités. En même temps, la planification de la politique industrielle pour la carboneutralité devrait aussi chercher à s’intégrer à d’autres priorités autochtones importantes et de longue date.
Troisièmement, étant donné que les gouvernements n’ont généralement pas la même connaissance de la technologie et du marché que le secteur privé, nous croyons qu’il est important de consolider et d’accroître les capacités internes du gouvernement fédéral en matière de politiques axées sur la technologie. Pour y arriver, il pourrait relever les compétences de l’effectif en place afin de créer des experts en politiques axées sur la technologie, améliorer les laboratoires de recherche nationaux du Canada ou élargir les rôles des conseils consultatifs indépendants pour offrir d’autres mécanismes qui permettraient au gouvernement d’accéder à cette expertise et à ces connaissances.
En ce qui concerne le thème « établir des objectifs de compétitivité pour la carboneutralité à l’intention des secteurs prioritaires », nous estimons qu’il est important d’établir quelques objectifs axés sur la technologie, mesurables et quantifiables qui mettent l’accent sur l’innovation et qui sont élaborés par l’entremise des forums proposés entre les sphères privée et publique, avec l’appui du gouvernement dans son ensemble. Ces objectifs sont cruciaux pour garantir un accent stratégique clair et commun pour les initiatives des sphères privée et publique qui ciblent la production, l’amélioration ou le déploiement de technologies.
Enfin, pour le thème « harmoniser les politiques, les programmes et les fonds », nous formulons trois conseils. Premièrement, le gouvernement fédéral devrait harmoniser le financement destiné à la recherche, au développement et au déploiement requis pour garantir l’expansion des entreprises canadiennes, qui est actuellement offert par l’intermédiaire de mesures comme des subventions à la recherche et au développement, des crédits d’impôt ou du financement direct. Le Canada a toujours eu du mal à élaborer des stratégies exhaustives qui permettent aux entreprises canadiennes de mettre au point et de présenter des technologies carboneutres rentables pour qu’elles deviennent ensuite des exportateurs de calibre mondial.
Deuxièmement, nous suggérons qu’une stratégie industrielle pour la carboneutralité doit clarifier les rôles à l’échelle du gouvernement fédéral en demandant aux organismes centraux de choisir quelques priorités et de confier les responsabilités. Par exemple, des groupes de travail pangouvernementaux spécialisés dans une technologie pourraient harmoniser les stratégies générales avec les responsabilités précises de différents ministères fédéraux.
Troisièmement, nous conseillons au gouvernement fédéral de coordonner de façon stratégique l’utilisation des instruments de politique axés sur la demande au-delà de la tarification du carbone. Les politiques axées sur la demande, comme l’approvisionnement, les pôles régionaux, la réglementation et les subventions aux consommateurs, peuvent toutes jouer un rôle dans la création de marchés et générer des revenus précoces et des clients de référence aux entreprises canadiennes.
En somme, l’élaboration d’une politique industrielle pour la carboneutralité exige d’adopter une approche stratégique élaborée et mise en œuvre avec le secteur privé et les intervenants clés, qui tient compte des technologies carboneutres, de la recherche au développement, à la commercialisation et au déploiement. Il faudra pour cela une capacité accrue au sein du gouvernement et une coordination améliorée et soutenue entre les sphères publique et privée.
Je vous remercie de votre attention. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
[Français]
La sénatrice Verner : À la page 10 de votre rapport du mois de mars 2025, vous recommandiez au gouvernement d’investir dans des secteurs prioritaires, dont celui des batteries et des véhicules électriques. Le gouvernement a fait des annonces d’investissements de plusieurs milliards de dollars, mais certains n’ont pas connu le succès escompté à cause du contexte politique et économique plus difficile sur le plan nord-américain. Je pense ici à LION et à Northvolt. Il y a également Honda Canada qui a repoussé le début de l’assemblage de véhicules électriques en Ontario.
Vous avez également dit dans votre rapport que le gouvernement devrait régulièrement mettre à jour ses connaissances et adapter ses priorités. Considérant la situation précaire de la filière électrique, recommanderiez-vous de revoir cette stratégie et les choix du gouvernement en matière d’investissements publics, puisque finalement, les risques et les coûts sont assumés par les contribuables?
[Traduction]
M. Hornung : Merci de la question. Dans ce rapport, nous avons pris grand soin de ne pas recommander des secteurs précis et d’indiquer quels devraient être les secteurs prioritaires. Dans notre premier rapport, déposé il y a deux ans, nous avons effectivement relevé quatre secteurs : les véhicules électriques, ou VE, l’hydrogène, les biocarburants et la foresterie à valeur ajoutée.
Nous sommes conscients que des risques entrent en jeu chaque fois que le gouvernement cherche à élaborer une politique industrielle. Nous avons évidemment constaté des problèmes dans le secteur des VE, qui, selon moi, sont liés à des problèmes plus vastes qui se font aussi sentir dans le secteur automobile à l’heure actuelle. Ensemble, et en tant que Groupe consultatif pour la carboneutralité, nous n’avons pas formulé de recommandations sur les principaux secteurs à explorer. Cependant, comme vous le faites remarquer, nous mentionnons dans notre rapport qu’il est important de surveiller, d’examiner et d’être prêt à être souple à l’avenir. En ce qui concerne l’élaboration d’une stratégie industrielle, il est aussi important de reconnaître que nous avons élaboré ce rapport entre autres parce que nous n’avons jamais eu de stratégies exhaustives qui progressent.
Ainsi, si vous pensez aux différents secteurs que nous pourrions examiner, nous avons commencé au Canada à cerner des secteurs prioritaires. J’avancerais que nous n’avons pas très bien réussi à déterminer les objectifs précis que nous cherchons à atteindre. En fait, dans la recherche menée pour le rapport, l’un des principaux messages qui sont ressortis de toutes nos entrevues auprès d’intervenants et de divers experts, c’est que nous avons toujours eu tendance à avoir des objectifs qualitatifs généraux, et pas des objectifs quantitatifs limités et ciblés. Il est donc important d’en tenir compte lorsque nous pensons à la façon de revoir ou d’explorer les secteurs à prioriser.
Nous avons dit dans nos recommandations qu’il était important d’avoir une collaboration soutenue entre les sphères privée et publique. Encore une fois, dans le cadre de notre processus d’entrevues et d’échanges avec les intervenants, nous avons constaté que ces derniers croyaient qu’il y avait toujours eu une certaine collaboration entre les sphères publique et privée, mais qu’elle avait été limitée. Elle n’est pas soutenue et n’aborde pas nécessairement tous les aspects du processus. Nous croyons réellement que la clé de la réussite se trouve dans le travail d’équipe.
Enfin, en ce qui concerne l’établissement d’un lien entre tous les différents aspects de la politique, il est important de comprendre clairement la façon dont les divers éléments d’une stratégie s’inscrivent dans la stratégie en général. Selon moi, encore une fois, dans l’histoire du Canada, nous avons souvent eu un certain nombre de mesures différentes qui visent à accomplir un objectif général, mais le lien qui existe entre elles et la façon dont elles se soutiendront les unes les autres à l’avenir ne sont pas toujours nécessairement clairs.
Par conséquent, nos recommandations visent à encourager le gouvernement à revoir sa politique industrielle et à mesurer ses efforts par rapport à ces quatre mesures clés que nous avons déterminées et par rapport auxquelles nous devrions nous évaluer et ensuite apporter les rajustements nécessaires.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci d’être avec nous. Le gouvernement finance encore les industries de combustibles fossiles de façon importante. En 2024, selon Environmental Defence, le gouvernement du Canada a accordé à peu près 30 milliards de dollars en subventions directes et en financement public à l’industrie pétrolière et gazière.
À votre avis, est-il possible d’avoir une politique cohérente en matière de carboneutralité tant que ces subventions existent?
[Traduction]
M. Hornung : Je commencerais en disant simplement que de notre point de vue en tant que Groupe consultatif pour la carboneutralité, dans les conseils que nous présentons au gouvernement, nous cherchons à garantir que nos recommandations nous placent sur la voie de la carboneutralité. Il est important de déterminer, par exemple, que nous mettons en œuvre un certain nombre de recommandations maintenant en ce qui concerne le développement de grands projets et de projets d’intérêt national au Canada à l’avenir. De notre point de vue, il est important, au moment de déterminer les projets à faire progresser, de les examiner entre autres sous l’angle des conséquences à long terme. Nous aident-ils à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 ou nous écartent-ils de cette voie?
La sénatrice Miville-Dechêne : Que diriez-vous pour répondre directement à ma question?
M. Hornung : Le GCPC n’a formulé aucune opinion à ce sujet. Étant donné que je parle au nom du GCPC, je crois que je ne peux pas le faire. Je suis désolé.
La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord.
M. Hornung : Je dirais que nous savons et avons déterminé, au GCPC, que lorsqu’on examine notre profil d’émission et le rendement des différents secteurs dans la réduction des émissions par rapport à nos cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il est évident que l’un des secteurs qui ont été extrêmement mis au défi et dont les émissions ont considérablement augmenté au cours de cette période est celui du pétrole et du gaz. Il faut de toute évidence trouver des façons de limiter et de réduire ces émissions si nous voulons atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai été très surprise et déçue par le portrait que vous brossez des mesures du gouvernement, qui semblent toutefois être omniprésentes, particulièrement dans le domaine de la technologie. N’y a-t-il rien? Quel est le problème? Si le gouvernement ne peut pas atteindre un bon niveau sur le plan de la technologie, où allons-nous?
M. Hornung : Je ne suis pas tout à fait sûr de comprendre où vous voulez en venir.
La sénatrice Miville-Dechêne : Voici la question que je vous pose : à quel point cette absence de technologie à l’échelle du gouvernement dont vous avez parlé est-elle préoccupante? C’est ce que j’ai compris de votre déclaration.
M. Hornung : Si je comprends bien ce que vous avez dit, il y a quelques éléments à prendre en compte.
Premièrement, l’un des messages très constants que nous avons relevés dans le cadre de nos entrevues et de nos recherches était que la capacité technique du gouvernement s’était considérablement affaiblie au fil du temps, et que nous nous trouvons maintenant dans une situation où la capacité technique est limitée et souvent localisée dans quelques ministères qui tentent maintenant de soutenir l’infrastructure du gouvernement dans son ensemble avec leur expertise et leurs connaissances techniques. C’est pourquoi l’une de nos recommandations est de renforcer cette capacité au sein du gouvernement afin qu’il puisse mobiliser efficacement le secteur privé pour déterminer les voies à suivre pour différentes technologies et les priorités.
Bien entendu, le gouvernement a déployé des efforts afin de faire progresser différentes technologies, comme les véhicules électriques et l’hydrogène, entre autres. Cependant, encore une fois, nous avons constaté dans le cadre de notre travail que ces approches n’avaient peut-être pas été aussi exhaustives et stratégiques qu’elles devaient l’être pour garantir que tous les éléments explorés sont liés à l’atteinte d’un objectif très clair et ciblé.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
Le sénateur D. Wells : Merci de votre présence, monsieur Hornung
Vous avez parlé de la stratégie relative aux VE et des fonds importants qui y ont été consacrés. Compte tenu des changements que le gouvernement a récemment apportés à cette stratégie, principalement à cause des droits de douane imposés par les États-Unis, ce réalignement a-t-il mené le GCPC à revenir sur son opinion à l’égard des véhicules électriques ou de la stratégie relative aux véhicules électriques en tant que solution pour atteindre la carboneutralité?
M. Hornung : Encore une fois, nous n’avons pas discuté de ce que devait être la principale stratégie pour l’instant selon nous. De toute évidence, comme nous l’avons indiqué, il est important d’examiner et de revoir ces éléments.
Le GCPC demeure convaincu qu’en 2050, les véhicules électriques joueront un rôle de premier plan et seront un élément clé. Nous voyons que le nombre de véhicules électriques augmente rapidement dans le monde entier, même dans le contexte actuel. Le rôle du Canada à cet égard devra de toute évidence faire partie des discussions sur la suite des choses. Comme je l’ai mentionné, nous avons recommandé par le passé qu’il était important pour le Canada de chercher à déterminer son rôle dans le secteur des véhicules électriques, étant donné la direction qu’il suit. Nous sommes convaincus que le secteur des véhicules électriques continuera de croître très rapidement à l’échelle mondiale à l’avenir. Je le répète, il est toujours important d’évaluer la stratégie et de déterminer les rajustements à apporter au besoin à l’avenir.
Le sénateur D. Wells : Je vous remercie.
Je suppose que la dynamique en évolution dans ce secteur maintenant — au sein de la dynamique canadienne — changerait ou mènerait le GCPC à réévaluer la place qu’il occupe, étant donné qu’il semble y avoir un exode de fabrication de véhicules électriques du Canada vers les États-Unis.
M. Hornung : Oui. Si l’on nous demande de réexaminer cette question, nous le ferons assurément.
Je vais vous expliquer de façon générale ce qu’est le GCPC et comment il mène ses activités. Nous avons soumis ce rapport tout juste avant le déclenchement des élections. Pendant la période électorale, nous avons essentiellement arrêté nos activités, à l’instar de la majeure partie du gouvernement. Récemment, nous nous sommes consacrés à l’achèvement de travaux que nous avions amorcés avant cela.
Nous avons donc soumis ce rapport. Nous avons donc élaboré et présenté un nouveau document sur le rôle des provinces, des territoires et du gouvernement fédéral en ce qui concerne la réduction des émissions — le rôle relatif des différents secteurs de compétences – et avons fait part de nos réflexions à cet égard. Nous mettons actuellement la dernière main à notre travail sur le rôle des émissions nettes ainsi que des technologies et processus naturels qui éliminent le dioxyde de carbone de l’atmosphère dans le cadre d’initiatives dans les secteurs de l’agriculture ou de la foresterie. Il nous tarde de formuler des recommandations sur la façon dont ces éléments pourraient aussi s’inscrire dans une stratégie plus vaste.
Nous nous concentrons sur ces sujets dans l’immédiat, ce qui explique pourquoi nous n’avons pas réexaminé cette question.
Le sénateur D. Wells : Je vous remercie.
Vous avez dit que le secteur du pétrole et du gaz était l’un des secteurs à cibler pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Quelles autres industries avez-vous évaluées? Avez-vous examiné l’industrie du ciment et l’agriculture, par exemple?
M. Hornung : Non. J’avais indiqué que lorsque nous examinons d’où proviennent les réductions d’émissions jusqu’à maintenant, nous les voyons dans la plupart des secteurs de l’économie hormis le secteur du pétrole et du gaz, en termes absolus. À l’avenir, nous devons réaliser davantage de réductions à l’échelle de l’économie.
Le sénateur D. Wells : Oui. Lorsque vous avez examiné la quantité d’émissions du secteur du pétrole et du gaz, avez-vous séparé d’industrie de l’exploitation pétrolière et gazière extracôtière à Terre-Neuve-et-Labrador de ce qui se passe dans l’Ouest du Canada?
M. Hornung : Non. Les chiffres dont j’ai parlé ne portaient que sur le secteur du pétrole et du gaz en général.
Le sénateur D. Wells : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci, monsieur Hornung, d’être ici aujourd’hui et du bon travail que fait le GCPC.
Vous proposez une stratégie industrielle exhaustive pour le Canada, et cela semble sensé. Voici l’une des questions que je pose de façon générale : comment le gouvernement réagit-il à ce que j’appellerais le grand changement de paradigme en faveur duquel vous plaidez?
En particulier, quelle réforme apportée par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, le Bureau du Conseil privé — ou BCP — et le ministère des Finances Canada réformerait le plus à elle seule l’harmonisation entre les ministères?
M. Hornung : Je vais vous demander de répéter la première question parce que j’ai été absorbé par la seconde.
Le sénateur Arnot : Comment le gouvernement répond-il à ce rapport sensé? C’est un gros problème pour lui parce que vous proposez un changement de paradigme important dans sa façon de travailler.
M. Hornung : Comme je l’ai mentionné, nous avons soumis ce rapport à l’ancien ministre de l’Environnement et du Changement climatique avant l’élection. Nous n’avons pas eu la chance de discuter de ce rapport avec le ministre avant l’élection.
Nous n’avons pas discuté de ce rapport en particulier avec la nouvelle ministre. Nous avons cependant discuté avec elle des travaux plus récents des provinces et des territoires, par exemple.
Cette consultation fera partie de notre rapport annuel, qui sera publié bientôt. En vertu de la loi, la ministre doit répondre officiellement aux recommandations exposées dans notre rapport. Nous le saurons, à tout le moins, à ce moment-là.
Le sénateur Arnot : Ma deuxième question est la suivante : quelle réforme apportée par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, le BCP et le ministère des Finances améliorerait le plus à elle seule l’harmonisation entre les ministères afin de progresser dans la direction que vous recommandez?
M. Hornung : Je ne suis pas sûr que j’utiliserais le mot réforme pour désigner ce dont nous parlons dans le rapport, en ce sens qu’il s’agit d’une politique précise, mais il s’agit clairement de définir les objectifs et le rôle que chaque ministère peut jouer pour y contribuer.
Je donnerai un bref exemple tiré du sondage que nous avons mené à ce sujet.
Dans une politique industrielle, l’approvisionnement est souvent considéré comme un aspect important de cette politique afin de créer un marché pour les nouvelles technologies à l’avenir. Dans le cadre de nos consultations auprès des représentants du gouvernement, nous avons constaté que les opinions à ce sujet divergeaient à l’échelle du gouvernement.
Pour certains, il était clair que l’approvisionnement pouvait être un incitatif à la demande, que nous pouvons faire ce genre de choses et qu’il est important d’en tenir compte. Pour d’autres, l’approvisionnement devrait être dicté par d’autres priorités et le coût le plus bas, entre autres, et que ce n’est donc qu’une fois que l’on a une réalisation — essentiellement, par l’intermédiaire de la politique industrielle — que l’on fait entrer l’approvisionnement en jeu. Cette tension pose problème.
Par exemple, le rôle d’un organisme central, qu’il s’agisse du ministère des Finances ou d’un autre, peut être de garantir que tous s’entendent sur ce genre de choses.
Le sénateur Arnot : Vous avez dit que l’approvisionnement était sous-utilisé. J’aimerais aller plus loin et comprendre ce qui créerait le plus rapidement un marché intérieur incitatif et combien de temps il faudrait pour y arriver.
M. Hornung : C’est une question difficile parce que, selon moi, cela dépend de la technologie et de son application, ainsi que de la taille possible du marché.
Je tenterai de l’expliquer de cette façon : si nous instaurons une politique industrielle qui — et j’ai tenté de l’expliquer clairement — n’est pas une politique industrielle du gouvernement fédéral, il doit s’agir d’une politique industrielle qui est le fruit d’un vaste éventail de participants. Je dirais qu’il faut faire participer les gouvernements provinciaux à cet égard.
En ce qui concerne l’approvisionnement, s’il existait des pratiques d’approvisionnement à l’échelle du pays — et dans tous les ordres de gouvernements — qui encourageaient l’adoption d’une technologie donnée, cela a évidemment une incidence différente que si seul le gouvernement fédéral le faisait. C’est difficile de donner une réponse générale.
L’approvisionnement n’est pas le seul mécanisme que l’on peut utiliser pour créer une demande. En fin de compte, on veut pouvoir permettre aux technologies de passer de leur phase initiale à un état où elles sont commercialisées, concurrentielles et en mesure d’évoluer de façon indépendante. L’approvisionnement se veut un point de départ pour le concrétiser. Encore une fois, cela dépendra de la technologie et de l’application.
L’approvisionnement est un outil important dans la trousse d’outils du gouvernement.
Le sénateur Arnot : Merci.
Le sénateur Fridhandler : Je veux mieux comprendre le GCPC, parce qu’il est dit qu’il mène ses activités de façon indépendante, et pourtant, je crois qu’il est financé par le gouvernement fédéral et qu’il relève d’un ministre fédéral. Est‑ce exact? J’aimerais en savoir plus sur votre niveau d’indépendance.
M. Hornung : Nous formulons des conseils indépendants. C’est la meilleure façon de le décrire. Il est vrai que nous rendons compte au ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Nous sommes soutenus par un secrétariat qui se trouve à Environnement et Changement climatique Canada.
Cependant, tous les conseils que nous formulons et les recherches que nous demandons sont un produit des membres du GCPC.
Le sénateur Fridhandler : À la lumière de tous les changements politiques dont nous avons été témoins au cours des 12 derniers mois — au pays, entre le gouvernement fédéral et les provinces, et entre le Canada et les États-Unis — où pensez-vous que vous en êtes avec les recommandations que vous devez présenter et à quel point devez-vous vous réorienter à cause de ce qui se passe à l’heure actuelle?
M. Hornung : Nous avons essentiellement le mandat de présenter des recommandations sur la façon de rester sur la voie de la carboneutralité d’ici 2050.
L’un des éléments que nous avons constatés à la lumière des problèmes réels et graves qui ont surgi au cours des derniers mois, particulièrement au sud de la frontière, en ce qui concerne l’économie canadienne, c’est qu’il y a davantage de discussions publiques sur l’affaiblissement ou l’élimination possibles de différentes politiques que nous avons mises en place afin de rester sur la voie vers la carboneutralité.
Selon nous, même s’il est absolument utile d’examiner régulièrement les politiques, particulièrement lorsque la situation évolue, il est possible de faire preuve de souplesse et de rajuster les politiques pour garantir qu’elles deviennent plus efficaces.
Par exemple, nous avons attiré l’attention du gouvernement sur le fait que les zones de chevauchement entre les politiques donnent lieu à des interactions négatives. Il en découle un fardeau administratif supplémentaire, sans compter que les politiques sont moins efficaces.
En voici peut-être un exemple principal : nous consacrons entre autres nos efforts à encourager le gouvernement à revoir et à renforcer son système de tarification du carbone industriel. Ce système est l’une des principales sources de réductions des émissions, et on s’attend à ce qu’il figure en tête de liste à l’avenir.
À l’heure actuelle, cependant, ce système de tarification du carbone est mis à mal parce que les marchés que l’on y trouve ne sont pas représentatifs du prix du carbone. Des échanges ont lieu dans ces marchés, ce qui fait en sorte que nous avons un nombre et une offre excédentaire gigantesques de crédits pour le carbone par rapport à la demande liée à ces crédits à l’avenir. Cette situation stimule une baisse du prix de ces crédits, ce qui réduit à son tour l’incitatif à investir dans ce qui réduira les émissions.
Nous croyons qu’il est important que le gouvernement explore des façons de renforcer ce système afin de garantir que le signal de prix demeure utile à l’avenir. Ce n’est qu’un exemple de rajustements possibles à apporter aux politiques.
À mesure que nous réexaminons le cadre stratégique et que nous le repensons à la lumière de la nouvelle situation, il est important selon nous de ne pas perdre de vue le long terme. Nous devons relever les défis à court terme, mais nous devons aussi rester sur la bonne voie à long terme, pour des raisons environnementales également, parce que la carboneutralité d’ici 2050 est là pour une raison. Les scientifiques nous ont dit essentiellement que nous devons cesser de rejeter des émissions dans l’atmosphère si nous voulons mettre un frein au réchauffement.
Plus de 140 pays ont des cibles de carboneutralité. Des pays mettent en place des rajustements aux frontières pour tenir compte du carbone. Une panoplie d’initiatives progressent. Des pays mettent en œuvre des politiques industrielles afin de tenter de devenir des chefs de file dans différentes technologies qui en feront partie.
Nous croyons donc qu’il est important de ne pas le perdre de vue et de continuer de regarder vers l’avenir.
Nous sommes inquiets. Le Canada a fait certains progrès par rapport aux réductions d’émissions. Nous avons commencé à passer sous les niveaux de 2005 — nous sommes 8 ou 9 % en dessous en ce moment —, mais cela commence à ralentir — voire à stagner — à l’heure actuelle. Dans ces circonstances, nous croyons qu’il est important de garantir, pendant que nous examinons et revoyons nos politiques, que nous ne perdons pas de vue l’objectif à long terme que nous voulons atteindre, du point de vue environnemental et du point de vue économique, pour ce qui est de la préparation à l’économie de l’avenir.
Le sénateur Fridhandler : Je veux maintenant parler du secteur du pétrole et du gaz. Je m’en voudrais, en tant que sénateur de l’Alberta, de ne pas revenir sur ce point. Vous avez parlé de l’augmentation des émissions. Ma question a deux volets. Premièrement, s’agit-il d’une augmentation des émissions par unité de production, ce qui, selon moi, doit être pris en considération? Deuxièmement, que pensez-vous des avancées technologiques dans l’industrie, particulièrement le captage, l’utilisation et le stockage du carbone et d’autres formes de captage du carbone et leur capacité à changer les choses.
M. Hornung : Bien sûr.
De façon générale, le secteur du pétrole et du gaz s’est considérablement amélioré au chapitre des émissions par unité de production. Ces émissions sont en baisse, grâce à des innovations technologiques, entre autres.
Ces améliorations ont été dépassées par la croissance de la production, de sorte que les émissions absolues ont augmenté.
Vous avez tout à fait raison. En ce qui a trait à la façon de s’attaquer aux augmentations des émissions absolues, le captage et le stockage du carbone sont effectivement une solution possible très importante ici. Il y a certainement eu beaucoup de discussions sur l’initiative Alliance Nouvelles voies en Alberta, entre autres. Des initiatives comme celles-ci ont un rôle important à jouer.
Il serait intéressant de comprendre et d’examiner l’expansion possible de ces initiatives et de voir jusqu’où elles peuvent aller. Par exemple, à l’heure actuelle, l’initiative Alliance Nouvelles voies compense et séquestre une part considérable des émissions liées à la production, mais pas toutes ces émissions. Si la production augmente encore, elles augmenteront aussi. Donc, quelles autres mesures pouvons-nous prendre ou étendre dans ce domaine?
Cela fait-il partie de la solution? Absolument.
[Français]
La sénatrice Youance : Ma question est toute simple : dans votre rapport, vous faites référence à des laboratoires nationaux de recherche au Canada qui devraient être renforcés. De quels laboratoires parliez-vous en particulier?
[Traduction]
M. Hornung : J’allais vous remercier d’avoir posé une question simple.
Selon moi, notre capacité de recherche et de développement est relativement petite par rapport à celle de certains autres pays, en toute honnêteté, au gouvernement et dans le secteur privé. Dans le secteur privé, nous faisons moins de recherche et de développement que dans d’autres pays.
Nous avons des laboratoires, particulièrement associés à Ressources naturelles Canada. En Alberta, on trouve des installations à Devon où l’on met au point des technologies liées au secteur du pétrole et du gaz. À Varennes, au Québec, on trouve des installations liées au secteur de l’électricité et de l’énergie renouvelable. Nous pourrions renforcer tous ces secteurs.
[Français]
La sénatrice Youance : D’accord. Vous faites référence au laboratoire d’Hydro-Québec à Varennes?
[Traduction]
M. Hornung : Ressources naturelles Canada a aussi des installations à Varennes.
La sénatrice Clement : Merci de votre présence aujourd’hui. J’aimerais répondre à certaines choses que vous avez dites dans votre déclaration.
Vous avez dit que la politique industrielle du Canada semble éparpillée; vous avez utilisé les mots « n’a pas de stratégie cohérente ». Comment nous mesurons-nous par rapport à nos partenaires commerciaux et à leurs politiques industrielles? Qu’est-ce que vous considéreriez comme l’étalon de référence ici? C’est ma première question.
La deuxième porte sur ce que vous avez dit sur les conseils et les intervenants. Vous avez parlé de représentants provinciaux, syndicaux et territoriaux, mais vous n’avez pas mentionné les municipalités. Je le mentionne parce que j’ai été la mairesse de Cornwall et l’approvisionnement était très complexe pour une petite municipalité. Les villes dépensent beaucoup d’argent en approvisionnement, mais c’est complexe. Nous nous trouvons dans ce monde politique de faible imposition et de gestion de crise, mais vous parlez de choses à long terme. Pour les villes, l’approvisionnement est souvent une question de prix le plus bas.
Comment pouvons-nous faire la bonne chose? Avez-vous consulté en profondeur les municipalités? Selon moi, elles jouent un très grand rôle dans l’approvisionnement et dans la façon dont le pays planifiera à long terme sa carboneutralité.
M. Hornung : Merci de la question.
Je répondrai d’abord à la première partie de la question, sur l’étalon de référence. Pendant la rédaction du rapport, nous avons examiné les politiques industrielles d’un certain nombre de pays, particulièrement les États-Unis, mais je dois maintenant faire une mise en garde à cet égard parce que la politique du pays évolue. Nous avons aussi examiné ce que faisaient le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Japon et la Corée. Nous nous sommes penchés sur les expériences de ces pays — pour différentes technologies, y compris l’hydrogène, les VE et, dans un cas, le captage du carbone.
J’illustrerai ce qui rend la politique différente au moyen d’exemples. C’est indiqué dans le rapport. Nous avons dit qu’il était important d’avoir ces forums pour réunir les intervenants et établir des cibles, entre autres. Voici donc des objectifs axés sur la technologie que divers pays ont établis. Deux exemples nous viennent des États-Unis. Il y a l’hydrogène propre issu de l’électrolyse à 2 $ par kilogramme d’ici 2026. Il s’agit là d’un objectif très précis, à savoir l’atteinte d’un niveau de prix précis pour cette technologie. Il y a aussi les 10 millions de tonnes métriques d’hydrogène propre par année d’ici 2030, ce qui représente un objectif de production très précis que nous tentons d’atteindre de cette façon.
En Allemagne, on explore la production de 10 gigawatts d’électrolyse produits au pays. Encore une fois, il s’agit d’un objectif de production très clair.
Au Japon, on vise 600 gigawattheures ou 20 % du marché mondial des batteries d’ici 2030. Voilà un autre objectif très précis que le pays tente d’atteindre.
Il ne s’agit pas de l’objectif général de vouloir être un chef de file dans un domaine. Il s’agit plutôt d’accomplir un objectif précis pour ce que le pays produira ou pour la part de marché qu’il détiendra.
La sénatrice Clement : Et ce n’est pas ce que nous faisons?
M. Hornung : Je dirais que nous ne l’avons pas fait.
Je n’entrerai pas dans les détails ici. Le rapport contient toutefois des exemples qui décrivent entre autres certains des forums entre les sphères publique et privée qui existent et qui sont des initiatives pluriannuelles.
Il est important à mon avis de reconnaître que si nous voulons réellement mettre en œuvre une politique industrielle et tenter de faire croître des entreprises canadiennes pour qu’elles deviennent des chefs de file dans certains de ces domaines, il nous faudra au moins une décennie pour le faire. Nous ne le ferons pas du jour au lendemain. C’est pourquoi il faut veiller à mettre en place ces mécanismes pendant tout ce temps pour que les gens poursuivent le travail. Encore une fois, je ne crois pas que nous ayons des antécédents solides dans ce domaine.
En ce qui concerne les municipalités, je n’avais pas l’intention de les exclure. Elles jouent effectivement un rôle important. Sur le plan personnel, j’ai fait carrière dans le secteur de l’électricité — le secteur de l’énergie renouvelable en particulier — et, selon moi, on ignore les municipalités depuis toujours dans la planification énergétique.
La sénatrice Clement : Oui, depuis beaucoup trop longtemps.
M. Hornung : Lorsqu’il est question de la politique industrielle, oui, il est important qu’elles jouent un rôle.
Vous avez tout à fait raison : les municipalités ont accès à plusieurs autres leviers auxquels, en toute honnêteté, d’autres ordres de gouvernement n’ont pas accès. Il serait avantageux d’essayer de faire progresser ces mécanismes.
La sénatrice Clement : Mais, figurent-elles sur votre liste d’intervenants?
M. Hornung : Elles y figuraient. Je ne peux pas confirmer qu’elles faisaient partie du groupe d’intervenants interrogés, mais le rapport indique clairement qu’elles doivent faire partie de ces forums à l’avenir.
La sénatrice Clement : Merci.
La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé et du travail que vous accomplissez. Il est très important pour moi, en tant que membre des Premières Nations, de prendre soin des générations futures. Ce que j’entends à l’heure actuelle m’apparaît très sombre.
J’aimerais examiner la terminologie que nous utilisons. En fait, la question que j’allais poser y était liée.
Nous parlons de la réduction des émissions totales de gaz à effet de serre. Nous parlons de mesures que prend un gouvernement pour définir la structure et la croissance économiques d’un pays pour atteindre la carboneutralité, en sachant que nous devons accroître l’extraction de ressources, qui n’a jamais été atténuée et qui n’a jamais été visée par le principe du « pollueur-payeur ». Nous devons pourtant avoir un développement plus durable et plus inclusif et davantage de technologies d’énergie propre, ce qui soulève aussi des pratiques douteuses. Je pense à l’hydroélectricité. Cette forme d’énergie n’est pas propre, je le vois.
Donc en ce qui concerne le Canada et la carboneutralité, nous constatons que les efforts n’ont été ni ciblés ni coordonnés jusqu’à présent. Nous devons pourtant adopter une approche stratégique. Nous devons éviter de trop disperser le soutien tout en augmentant la capacité en même temps.
Ma première question, à laquelle vous avez répondu en partie, portait sur le fait que le Canada apprend beaucoup de l’Allemagne et du Japon parce que ce sont deux démocraties avancées, industrialisées et de taille moyenne comme lui. Si l’Allemagne et le Japon ressemblent au Canada, pourquoi ont-ils des politiques industrielles pour la carboneutralité robustes alors que le Canada n’en a aucune? Vous y avez répondu en partie.
En outre, pourquoi nous trouvons-nous dans cette situation aujourd’hui? Quel rôle les consommateurs canadiens jouent-ils dans l’atteinte de la carboneutralité? Le comportement des consommateurs est l’un des éléments que nous n’avons pas explorés. À quel point la consommation en est-elle responsable et à quel point nuit-elle à ce que le gouvernement tente de faire? S’agit-il d’un problème du gouvernement ou d’un problème du gouvernement et des citoyens? Je sais que je vous pose plusieurs questions.
M. Hornung : Il ne fait aucun doute que le gouvernement ne peut pas régler ce problème seul.
La sénatrice McCallum : Non, il ne peut pas.
M. Hornung : En toute honnêteté, ce travail est d’une portée et d’une ampleur telles que nous, les consommateurs, gouvernements ou secteur des affaires, devrons y participer à l’avenir.
Je ferai référence à d’autres travaux que le GCPC a menés plus tôt cette année, à savoir la création d’une vision d’un système énergétique pour la carboneutralité essentiellement. Les gens qui l’examinent peuvent approuver ou désapprouver certains de ses éléments, mais nous tentons, avec cette vision, de dire que lorsque nous parlons de carboneutralité — même dans notre discussion ici, et j’en suis responsable dans une certaine mesure, je l’avoue —, nous avons tendance à mettre l’accent sur les émissions. Nous sommes toutefois sur le point d’avoir une possibilité incroyable de repenser notre façon de produire, de consommer et de distribuer de l’énergie à partir de n’importe quelle source.
Les émissions en sont un aspect, mais il y en a d’autres auxquels nous devons penser, comme l’abordabilité, l’accès et les possibilités de participation communautaire et municipale à l’avenir.
Par vision, nous voulons dire que pour réussir et mobiliser les Canadiens à agir pour relever ces défis, nous ne devons pas seulement parler des émissions. Nous devons parler un peu des avantages économiques possibles associés à cette refonte. Quels sont les avantages possibles, comme d’autres avantages environnementaux qui pourraient se manifester? Quels sont les avantages possibles en ce qui concerne le développement communautaire et l’autonomisation des gens, par exemple, en leur donnant plus de responsabilités et des connaissances sur le système énergétique et en les mobilisant pour qu’ils participent à sa gestion à l’avenir?
Nous croyons qu’il est important d’exposer une vision dans laquelle les gens se reconnaissent et, essentiellement, les gens ne se reconnaissent pas dans des descriptions d’émissions. Cela ne veut rien dire pour eux. Les gens peuvent voir qu’en prenant une mesure donnée, nous visons à rendre vos coûts énergétiques plus bas. Nous faisons en sorte que votre énergie future sera plus propre. Nous faisons en sorte que vous aurez un meilleur contrôle et davantage de possibilités de participer aux systèmes énergétiques à l’avenir.
En fin de compte, il sera important d’avoir ce genre de vision — que nous n’avons pas à l’heure actuelle, en toute honnêteté, au Canada — pour réussir parce que si les Canadiens ne sont pas mobilisés derrière les efforts déployés à l’heure actuelle, nos chances de succès sont très limitées.
Le sénateur Fridhandler : Vous avez parlé de l’établissement de cibles et de la façon d’approcher le problème dans son ensemble. J’aimerais vous rappeler que le Canada a toujours tenté de ne pas intervenir dans le spectre de la technologie — qu’une fois que l’on approche de la commercialisation, il se retire, sauf pour les projets d’envergure. Que pensez-vous de la participation accrue du gouvernement, par rapport à d’autres pays, à la commercialisation et au cheminement des produits dans l’ensemble du spectre de l’innovation?
M. Hornung : Le rapport montre que d’autres pays réussissent mieux à créer des cadres qui permettent à une personne qui a une bonne idée de la mettre au point, de la mettre à l’échelle, de la faire évoluer et de la commercialiser. Un grand nombre d’analyses menées au Canada indiquent qu’il y a un écart — beaucoup de personnes ont de bonnes idées ici, mais soit elles quittent le pays ensuite pour aller les mettre au point ailleurs, soit une entreprise étrangère fait l’acquisition de la technologie et l’utilise ailleurs.
Nous devons absolument combler cet écart si nous avons l’objectif de créer des emplois canadiens et d’exploiter les connaissances et l’expertise canadiennes afin de créer des solutions importantes pour cet avenir carboneutre vers lequel nous nous dirigeons. Il faut absolument en faire davantage à cet égard. On trouve maintenant beaucoup de rapports, qui ne sont aucunement liés à nous, qui explorent des options pour combler cet écart. Je dirais que si l’objectif est de garantir que ces avantages demeurent au Canada, voilà une chose importante que nous devrions faire.
Le sénateur D. Wells : Encore une fois, merci monsieur Hornung. Étant donné que le Canada représente un peu moins de 1,5 % des émissions mondiales — et il ne fait même pas partie des 10 pays aux émissions totales les plus élevées —, faites-vous des comparaisons sur la fiche de rendement du Canada? Faites‑vous des comparaisons avec d’autres pays?
Comment jugez-vous l’efficacité des mesures que prend le Canada?
M. Hornung : Il y a selon moi de nombreuses façons d’évaluer les contributions de différents pays pour relever les défis avec lesquels nous sommes aux prises. Vous avez raison de dire que le Canada représente un faible pourcentage des émissions mondiales générales, mais la grande majorité des pays affichent des pourcentages encore plus faibles.
Le sénateur D. Wells : Ils ne sont toutefois pas le troisième plus important producteur de pétrole au monde.
M. Hornung : C’est vrai, votre commentaire est juste, et nous en sommes conscients. Par habitant, par exemple, notre pourcentage est aussi très élevé.
Le sénateur D. Wells : Ne me parlez pas des mesures par habitant, parce que nous parlerons de la Chine ou de l’Inde et de leur milliard et demi d’habitants chacune. Il ne s’agit pas d’une mesure exacte lorsque l’on parle d’émissions par habitant par rapport aux émissions totales ou même à un pourcentage.
M. Hornung : J’aurais peut-être tendance à le dire, mais je ne le ferai pas ici.
Cependant, si nous regardons les tendances liées aux émissions d’autres pays du G7, ils font plus de progrès que nous. D’une certaine façon, vous pourriez dire que c’est logique parce qu’ils n’ont pas la même base industrielle que nous, de toute évidence. Certaines personnes pourraient même aller jusqu’à dire qu’ils ne sont pas nécessairement un pays nordique qui s’étend sur de grandes distances, entre autres, ce qui est aussi vrai. Cela étant dit, si nous examinons une situation où nous devons suivre une trajectoire vers la carboneutralité à l’échelle mondiale, ce n’est pas dans cette direction que nous allons à l’heure actuelle avec un taux de réduction de 8 %.
Nous avons des défis à relever.
La présidente : Merci, monsieur Hornung. C’est ainsi que se termine notre heure, mais, comme vous pouvez le constater, ce que vous aviez à dire a suscité un vif intérêt. Nous tenons à vous remercier de votre présence ce soir. Nous passons à la séance à huis clos.
M. Hornung : Merci encore de vos questions et de m’avoir invité.
(La séance se poursuit à huis clos.)