LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 6 novembre 2025
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 8 h 01 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, la question de l’industrie du pétrole extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador; et à huis clos, pour examiner un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
La sénatrice Joan Kingston (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous.
Avant que nous commencions, je demanderais à tous les sénateurs de consulter les cartons qui se trouvent sur la table et qui présentent les lignes directrices visant à prévenir les incidents d’effet Larsen. Veuillez vous assurer que votre oreillette est loin des microphones en tout temps. Nous vous demandons de ne pas toucher les microphones : l’opérateur de la console s’occupera de les activer et de les désactiver. Veuillez s’il vous plaît éviter de toucher à votre oreillette lorsque votre microphone est activé. Les oreillettes doivent être portées à l’oreille ou déposées sur l’autocollant prévu à cette fin et se trouvant devant chaque siège. Nous vous remercions pour votre collaboration.
Pour commencer, je tiens à reconnaître que nous nous réunissions sur le territoire traditionnel ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe.
Je m’appelle Joan Kingston. Je suis une sénatrice du Nouveau-Brunswick et je suis la présidente du Comité permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je demanderais maintenant à mes collègues de se présenter.
[Français]
La sénatrice Verner : Josée Verner, vice-présidente du comité, du Québec.
Le sénateur Aucoin : Bonjour. Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Lewis : Todd Lewis, de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, Traité no 10, région du Manitoba.
Le sénateur Fridhandler : Daryl Fridhandler, de l’Alberta.
Le sénateur D. M. Wells : David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador
La sénatrice Galvez : Bonjour. Bienvenue. Rosa Galvez, du Québec.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
La présidente : Merci, chers collègues.
Je souhaite la bienvenue à ceux qui nous regardent en ligne.
Conformément à l’ordre de renvoi reçu du Sénat le 8 octobre, nous poursuivons notre étude sur l’industrie du pétrole extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador.
Nous sommes heureux de recevoir Kristopher Drodge, qui est le chef de l’École des technologies océaniques à l’Institut de la mer de l’Université Memorial de Terre-Neuve.
Monsieur Drodge, nous vous souhaitons la bienvenue et nous vous remercions d’être avec nous. Nous vous sommes reconnaissants pour votre présence ce matin. Vous disposez de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.
Kristopher Drodge, chef, École des technologies océaniques, Institut de la mer, Université Memorial de Terre-Neuve : Je remercie le comité de me permettre de m’adresser à lui aujourd’hui.
Je suis actuellement chef de l’École des technologies océaniques de l’Institut de la mer à l’Université Memorial de Terre-Neuve, située à St. John’s. Nous nous trouvons sur les territoires traditionnels de divers peuples autochtones. Mes collègues et moi reconnaissons respectueusement l’histoire et la culture profondes des communautés béothuk, mi’kmaq, innue et inuite de notre province.
À titre d’information, je suis diplômé de l’Institut de la mer et de l’Université Memorial, et je me spécialise en sciences nautiques et en études maritimes. Ma carrière s’est largement concentrée sur les opérations extracôtières à Terre-Neuve, où j’ai été capitaine et gestionnaire des installations extracôtières à bord de divers navires et semi-submersibles en mer.
Dans le cadre de mes fonctions actuelles, je dirige une école qui se consacre à la préparation des professionnels à des carrières dans les secteurs maritime et océanique et à la maîtrise continue des aptitudes et des compétences requises pour ces fonctions une fois qu’ils entrent sur le marché du travail maritime. Aujourd’hui, cependant, je suis ici pour parler précisément de notre engagement auprès de l’industrie pétrolière et gazière extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le secteur pétrolier est un partenaire de longue date de l’Institut de la mer et de l’Université Memorial en général, et il soutient depuis des années l’éducation postsecondaire et le perfectionnement professionnel. Ses contributions à l’investissement en capital, aux initiatives de recherches liées aux ententes sur les avantages, aux stages professionnels, aux bourses d’études et à la mobilisation des étudiants, entre autres, nous ont certainement aidés à améliorer nos programmes et les possibilités pour les étudiants.
Dans les débuts de l’industrie, nous avons créé le Centre de simulation maritime et le Centre de la sécurité et de la survie en mer, en réponse directe à la tragédie de l’Ocean Ranger de 1982. Cette catastrophe a révélé de graves lacunes en matière de sécurité et de formation opérationnelle, ce qui a entraîné la création d’une nouvelle capacité éducative à Terre-Neuve-et-Labrador et au Canada. Ce travail a été rendu possible grâce au Fonds de développement extracôtier de 300 millions de dollars établi par les gouvernements fédéral et provincial dans le cadre de l’Accord atlantique en 1985, qui a fourni un soutien important à l’Institut de la mer qui était alors indépendant de l’Université Memorial, et qui est devenu une plaque tournante de premier plan pour l’éducation, la formation et la recherche dans le secteur pétrolier et gazier extracôtier.
Aujourd’hui, nous continuons d’offrir une formation de la plus haute qualité à l’industrie extracôtière au Canada. Le mandat de notre établissement à Terre-Neuve-et-Labrador est clair. Nous devons maintenir notre leadership en matière de formation réglementaire afin de former et d’éduquer davantage les étudiants et la main-d’œuvre de l’industrie tout en contribuant au développement économique rural de notre province. Sans ce cadre de réglementation essentiel axé sur l’industrie, nos programmes et nos normes industrielles seraient réduits à des minimums informels et ne feraient certainement pas l’objet d’une reddition de comptes adéquate.
Au fil du temps, notre collaboration avec les organismes de réglementation et le Comité de formation et de qualification a contribué à l’élaboration et au maintien d’un code de pratique robuste et de calibre mondial, supervisé par la Régie Canada-Terre-Neuve-et-Labrador de l’énergie extracôtière, garantissant une vérification rigoureuse des compétences et des habiletés des travailleurs extracôtiers. Cette efficacité se reflète dans la réputation de Terre-Neuve-et-Labrador comme l’une des administrations extracôtières les plus sûres au monde, même si elle exerce ses activités dans certains des environnements les plus exigeants et les plus difficiles qui soient.
Pour offrir une formation haute fidélité, en particulier dans le domaine de la simulation, il faut des investissements importants non seulement dans les infrastructures initiales et les immobilisations, mais aussi dans l’entretien continu, les réparations et les mises à niveau technologiques. Notre responsabilité est de veiller à ce que ces ressources novatrices soient disponibles et accessibles et à ce qu’elles répondent aux attentes nationales et mondiales, en soutenant à la fois les étudiants actuels et les futurs dirigeants de la main-d’œuvre, en plus de la recherche et du développement, qui sont essentiels pour l’université.
En accord avec nos collègues de la Régie et à la lumière des discussions récentes tenues devant le comité permanent, nous réitérons l’engagement à l’égard de la province de Terre-Neuve-et-Labrador en ce qui a trait à la collaboration avec les organismes de réglementation, le gouvernement, les partenaires de l’industrie, les conseils consultatifs et les communautés autochtones que nous servons. Cette approche collective n’est pas seulement importante pour faire progresser le développement de la main-d’œuvre extracôtière et maritime, elle est aussi essentielle.
Fait important, l’Institut de la mer fournit des ressources essentielles non seulement à l’industrie pétrolière et gazière, mais aussi au secteur maritime dans son ensemble et, dans certains cas, aux initiatives de défense nationale et pour la résilience. Bon nombre de nos technologies et de nos simulateurs servent plusieurs industries et permettent une formation et une éducation intersectorielles grâce à un investissement et à un soutien partagés.
Je tiens à vous remercier encore une fois de votre intérêt pour la zone extracôtière Canada-Terre-Neuve-et-Labrador. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de discuter avec vous.
La présidente : Merci, monsieur Drodge.
Nous allons passer aux questions. Chaque sénateur disposera de cinq minutes pour poser ses questions et entendre les réponses. Nous aurons peut-être le temps pour une deuxième série de questions, mais nous allons commencer par la première.
La sénatrice Galvez : Bonjour, monsieur Drodge.
Il y a quelques années, la Marine canadienne m’a invitée à visiter l’Arctique avec le regretté commandant du NCSM Ville de Québec, Michael Eelhart. C’était un voyage incroyable et fantastique. Je lui ai parlé tous les jours des enjeux associés aux changements climatiques, à l’érosion, à la mobilité des peuples autochtones et à la souveraineté.
J’ai lu qu’avant de joindre l’Institut de la mer, vous travailliez au projet de carboneutralité où vous avez :
[...] dirigé des experts dans les domaines des politiques, de la réglementation, des partenariats stratégiques et techniques et de l’économie, dans le but de réduire les émissions de carbone de l’industrie de l’énergie extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador pour atteindre la carboneutralité.
Est-il possible pour l’industrie de l’exploitation pétrolière et gazière extracôtière d’atteindre la carboneutralité? Si oui, comment, et quand? Sinon, pourquoi?
M. Drodge : Je vous remercie pour votre question.
J’étais le gestionnaire du projet de carboneutralité, qui était une collaboration entre diverses associations de Terre-Neuve-et-Labrador, surtout des secteurs hauturier et environnemental. Dans le cadre de ce projet, nous avons examiné les possibilités de réduction des émissions de l’industrie extracôtière de façon particulière. Les initiatives et objectifs en matière de carboneutralité pour 2050 ont évidemment été abordés dans le cadre des projets auxquels nous avons participé.
De tels types objectifs sont réalisables, mais ils sont aussi très difficiles à atteindre. Il faut un engagement non seulement de la part du gouvernement et de l’industrie, mais aussi de la part des populations que nous servons. Bon nombre de ces initiatives nécessitent des dépenses en capital assez élevées. Il est très difficile de les lancer dans leur état actuel, étant donné le niveau de préparation technologique, qui en est dans certains cas à l’étape conceptuelle. Je ne dirais pas que c’est impossible, mais ce n’est pas une solution facile, et il n’y aura pas qu’une seule voie à suivre. Au cours des années pendant lesquelles nous avons examiné ces diverses voies, nous avons constaté qu’une multitude d’options seraient possibles. Une solution de type cumulable sera possible pour les producteurs et les exploitants, qui pourront examiner leurs objectifs en matière de carboneutralité pour 2050, que ce soit par l’entremise du captage du carbone, des crédits de carbone, de l’électrification ou de l’utilisation de carburants renouvelables et de technologies hybrides. Il existe une assez longue liste d’options, mais ce sera aux exploitants de déterminer leurs propres objectifs industriels.
La sénatrice Galvez : Je suis certaine que vous savez que la Marine canadienne accuse un retard important dans la construction de la nouvelle flotte. Ce n’est que récemment que des contrats ont été octroyés pour construire les brise-glaces et la flotte dont nous avons besoin pour surveiller notre vaste territoire, d’un océan à l’autre.
Qu’arriverait-il si un incident se produisait, comme celui qui est arrivé en 2018 avec Cenovus Energy? En 2024, la société a reçu une amende de 2,5 millions de dollars pour le déversement de 250 000 litres de pétrole dans le champ de White Rose Sud en 2018. Étant donné le rythme auquel nous modernisons notre flotte, sommes-nous prêts à faire face à un autre accident...? Et je ne parle pas seulement des accidents graves, mais aussi des accidents un peu moins importants.
M. Drodge : Si je comprends bien votre question sur la préparation en cas de déversements extracôtiers et la technologie que nous utilisons, je dirais qu’en raison de nos capacités en matière d’ingénierie et de conception, des nouveaux projets et des projets actuellement en cours, et en tenant compte du risque, des contrôles préventifs et des obstacles potentiels que les exploitants, les producteurs et les entrepreneurs évaluent, le niveau de préparation et de sensibilisation aux situations d’urgence est très élevé, et la tolérance au risque au large de Terre-Neuve-et-Labrador en ce qui concerne les déversements, qu’ils soient autorisés ou non, est quant à elle très faible. À mon avis, il s’agit de l’administration extracôtière la plus sûre au monde. Je suis allé dans d’autres administrations. Les précautions prises par les exploitants extracôtiers sont supérieures à ce que l’on voit ailleurs dans le monde.
Le sénateur Arnot : Bonjour, monsieur Drodge. J’aimerais vous poser deux questions. Si vous ne pouvez y répondre en cinq minutes, j’aimerais que vous nous transmettiez vos réponses par écrit, si possible.
Monsieur Drodge, croyez-vous que la politique fédérale actuelle appuie les investissements dans la formation sur la transition ou est-ce que les établissements comme l’Institut de la mer doivent financer eux-mêmes la transition de l’énergie pétrolière vers l’énergie propre?
Aussi, de quelle façon l’Institut de la mer intègre-t-il les perspectives autochtones et communautaires à l’enseignement sur la sécurité maritime et les activités extracôtières?
M. Drodge : Je vous remercie de vos questions, sénateur.
Au fil des ans, le gouvernement fédéral — qu’il s’agisse d’un gouvernement conservateur ou d’un gouvernement libéral — et nos gouvernements provinciaux se sont montrés très favorables à l’investissement dans l’éducation postsecondaire, en particulier en ce qui concerne l’amélioration des compétences des professionnels de l’industrie maritime et, par conséquent, du secteur de l’exploitation extracôtière.
Est-ce suffisant? On peut toujours en vouloir plus. Est-ce durable? Je ne peux pas vraiment répondre à cette question non plus, mais comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, je sais que les investissements sont essentiels. Ils sont constamment nécessaires pour veiller à ce que la technologie soit à jour. Il faut toujours investir. Souvent, les établissements postsecondaires de tout le pays — pas seulement l’Université Memorial et l’Institut de la mer, parce qu’il y a d’autres établissements partout au pays — n’ont pas accès à ces fonds pour investir dans de telles dépenses en capital.
Pour répondre à votre question, oui, des initiatives et des mesures de soutien ont été mises en place, et elles sont toujours les bienvenues. Nous avons de très bons partenaires au sein du gouvernement — c’était le cas avec les gouvernements précédents et ce le sera avec les futurs gouvernements, j’en suis certain, parce qu’ils reconnaissent le caractère essentiel de notre formation —, mais il sera toujours nécessaire de reconnaître que les investissements pour la mise à niveau et l’entretien sont essentiels pour veiller à ce que nous, en tant que pays — et pas seulement la province de Terre-Neuve-et-Labrador —, maintenions les technologies de calibre mondial les plus à jour qui soient.
En ce qui concerne la deuxième question sur la façon dont notre établissement interagit avec les communautés autochtones, je répondrais que l’Institut de la mer est établi dans le Nord depuis des décennies. Nous sommes fiers de cela et de nos relations avec les organisations qui se trouvent là-bas, en particulier le Collège de l’Arctique du Nunavut et le Nunavut Fisheries and Marine Training Consortium. Nous avons formé près de 6 000 étudiants de l’Arctique depuis 2011, donc au cours des 14 ou 15 dernières années seulement. Six mille étudiants, c’est un nombre louable, et c’est principalement grâce à nos programmes d’éducation communautaires dans le cadre desquels nous écoutons la population, nous élaborons la formation et nous l’offrons dans les collectivités.
Une partie du mandat de notre établissement consiste à collaborer avec les communautés autochtones de notre province et de l’extérieur. Nous avons de très bonnes relations avec la Première Nation Miawpukek de Conne River. Cette nation exploite également une entreprise d’approvisionnement en mer, Miawpukek Horizon, avec laquelle nous collaborons en vue d’assurer le développement des compétences et de la main-d’œuvre maritimes, la planification de la relève, la formation et la recherche. Nous en sommes très fiers. Nous travaillons également sur la côte ouest de l’île avec la Première Nation Qalipu, qui a une très forte population dans la province. Je ne connais pas le nombre de personnes qui travaillent actuellement dans le secteur extracôtier, mais je suis à peu près certain, sachant que de nombreuses personnes de la côte ouest de l’île travaillent au large, que certaines d’entre elles sont également membres de la Première Nation Qalipu.
Je crois que nous avons une très bonne compréhension de la situation, mais il faut toujours écouter les communautés, échanger avec elles de manière constante et désigner avec elles les possibilités de développement de la main-d’œuvre de l’industrie maritime, ce qui est le principal objectif — et dans le domaine de la pêche également —, mais aussi en ce qui a trait aux industries extracôtières que nous servons.
Le sénateur Lewis : Vous avez évoqué la catastrophe des années 1980; les conditions météorologiques demeurent une préoccupation constante. Je suppose que vous êtes constamment en train d’en atténuer les impacts. Selon vous, est-ce que les modèles de prévision se sont améliorés au fil des années?
M. Drodge : La réponse est oui. J’ai commencé ma carrière dans l’industrie extracôtière en 1998 en tant que cadet à bord d’un pétrolier-navette. Ces 30 dernières années, les technologies qu’utilisent l’industrie du pétrole et du gaz extracôtiers, et l’industrie du pétrole en général ont connu des changements et des améliorations considérables.
Pour ce qui est des prévisions météorologiques, nous avons d’abord eu recours à des météorologues embarqués, comme nous, des marins professionnels, qui se basaient sur les conditions du moment, les cartes isométriques et WeatherFax à l’époque. Aujourd’hui, même votre téléphone offre des applications nettement plus sophistiquées que celles qui étaient disponibles sur le marché il y a 10 ans.
Cette semaine, nous enregistrons des vents de la force d’un ouragan dans la province et au large des côtes. Ceux-ci ont été observés et détectés une semaine à l’avance. Nous pouvons prendre des précautions et contrôler les opérations en toute sécurité, en mer et sur terre; et le personnel et l’environnement sont protégés, comme ils doivent l’être, par les contrôles mis en place pour suspendre ces opérations pendant ce type de conditions météorologiques.
Le sénateur Lewis : La modélisation repose-t-elle à la fois sur des sources privées et publiques? Même question à l’échelle internationale. S’appuie-t-on sur ces deux types de sources, ou devez-vous vous assurer que les services canadiens de prévisions et de météorologie seront financés adéquatement à l’avenir?
M. Drodge : D’après mon expérience, les opérateurs de chaque pays ont leur propre fournisseur de services météorologiques. Ils collaborent pour échanger des données météorologiques. Il y a des données en temps réel. Le Marine Institute participe également à ce projet, tout comme notre School of Ocean Technology. Nous construisons et entretenons des systèmes d’acquisition de données océaniques, des bouées qui sont déployées au large de Terre-Neuve et sur toute la côte canadienne. Ce type de système nous fournit des données réelles, qui sont accessibles au public sur Internet. Par ailleurs, nous utilisons également d’autres sources météorologiques publiques et privées.
En ce qui concerne les prévisions relatives aux conditions en mer, d’après mon expérience, on prend ce qu’on peut obtenir. On analyse les données et on prend des décisions en se basant sur tous les renseignements fournis, que ce soit par Environnement Canada, des entrepreneurs privés ou des sources publiques comme les applications disponibles par abonnement. Toutes ces données sont utiles, et on doit les recueillir, les évaluer, examiner les risques et prendre des décisions en fonction des procédures approuvées.
Le sénateur D. M. Wells : Merci, monsieur Drodge, d’être présent.
Je pense pouvoir affirmer sans me tromper que vous êtes le premier gestionnaire d’installation en mer à comparaître devant un comité sénatorial. Lorsque vous avez formulé vos observations liminaires, vous avez mentionné que vous étiez capitaine et gestionnaire d’installation en mer. Je sais en quoi consiste votre rôle, mais je soupçonne que les membres du comité ne savent pas ce que fait un gestionnaire d’installation en mer, à quel point ce travail est important et quel genre de tâches vous accomplissez, non seulement au quotidien, mais aussi tout au long du cycle de vie de cette installation. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Drodge : Encore une fois, dans ma vie antérieure, j’étais gestionnaire d’installations en mer au large de Terre-Neuve-et-Labrador. Je travaillais principalement sur des semi-submersibles. Le terme « semi-submersible » désigne une plateforme sur colonnes. Si vous savez à quoi ressemblait le Ocean Ranger, il s’agissait d’un semi-submersible. Ces installations se situent en milieu hostile. Il y en a partout dans le monde, mais principalement dans l’hémisphère Nord en raison des conditions climatiques difficiles. C’est ce que nous utilisons traditionnellement à Terre-Neuve-et-Labrador en raison de nos conditions climatiques difficiles et du niveau de stabilité élevé de ces installations.
Le poste de gestionnaire d’installation en mer est semblable à celui de capitaine. Il s’agit de l’autorité suprême à bord. Même si l’installation est confiée à un opérateur ou à un producteur, la responsabilité finale incombe au gestionnaire d’installation en mer. Il est responsable du personnel à bord et de tout ce qui concerne la navigation, l’ingénierie, le forage, la restauration et les sous-traitants. Dans certains cas, c’est une petite ville. Le nombre de personnes à bord peut aller de 120 à plus de 300. Ce n’est pas inhabituel dans le secteur aujourd’hui. Vous le constaterez également dans les installations extracôtières actuelles, notamment sur les plateformes gravitaires d’Hibernia et d’Hebron, et sur celle de West White Rose lorsqu’elle sera opérationnelle. Ce rôle est très important. Il s’agit d’un rôle à responsabilités, qui consiste à évaluer les risques au quotidien.
Les conditions météorologiques constituent des scénarios à très haut risque, en particulier dans l’Atlantique Nord, non seulement pendant la saison des ouragans, mais aussi en hiver, période pendant laquelle les tempêtes n’ont pas de nom. Il s’agit d’opérations très intenses. Cependant, grâce à la conception des installations, aux procédures et aux politiques en place, aux qualifications et aux niveaux de compétence de l’équipage à bord, dont les membres sont le plus souvent canadiens et originaires de Terre-Neuve-et-Labrador, ces opérations sont très sûres. Au fil des ans, nous avons essuyé des tempêtes très violentes en mer. Dans certains cas, nous avons dû retirer des installations de leur emplacement, ce qui est tout à fait normal. Ces décisions sont difficiles à prendre, mais elles doivent être prises en fonction des circonstances et des conditions qui prévalent.
Les personnes qui occupent ces postes de gestionnaire des installations en mer assument leurs responsabilités avec beaucoup de sérieux. Je suis fier de dire que, au fil des ans, le Marine Institute — pour faire le lien avec mon rôle actuel — a formé bon nombre de ces professionnels : des gestionnaires des installations en mer, des capitaines, des commandants et les membres d’équipage qui les servent.
Vous constaterez que bon nombre des installations de forage en mer à travers le monde ont un lien avec notre province et nos centres de formation. Dans les années 1980, nous avons construit le premier simulateur de contrôle du ballast, qui était fondé sur un concept, en réponse à l’accident du Ocean Ranger. Il s’agit d’un simulateur de contrôle du ballast plein mouvement avec lequel nous formons les officiers et les gestionnaires d’installations en mer de toutes ces installations pour qu’ils puissent être confrontés à des scénarios que vous ne voudriez jamais voir en mer et que vous ne voudriez jamais intégrer, même dans un scénario d’entraînement en mer. Nous utilisons la simulation depuis environ 35 ans. Il est formidable de prendre part à ces travaux et de savoir que l’expertise que nous avons générée grâce au Marine institute et à l’Université Memorial de Terre-Neuve a été transposée non seulement aux seuils des opérations extracôtières de notre province, mais dans le monde entier.
Le sénateur Fridhandler : J’aimerais en savoir plus sur l’histoire de l’institut et sur les répercussions qu’a eues le développement de l’exploitation pétrolière et gazière extracôtière sur son évolution. Je suppose qu’au début, on mettait davantage l’accent sur la pêche et ce type de formation, mais que les choses ont évolué. Par ailleurs, pourriez-vous nous parler un peu de l’interchangeabilité et de la diversité des personnes qui sortent de l’institut?
M. Drodge : Merci, sénateur. C’est une excellente question, car c’est quelque chose que nous faisons souvent. Nous organisons beaucoup de visites guidées au Marine Institute, car c’est l’un des joyaux de la ville et du pays que peu de gens connaissent.
Vous avez raison. À ses débuts, dans les années 1960, le Marine Institute était principalement axé sur l’industrie de la pêche, un peu sur la marine marchande, l’ingénierie et l’architecture navale dans le domaine de la construction navale. Au fil des ans, à mesure que nous avons évolué, que nous avons intégré l’Université Memorial et changé de campus. Notre mandat est devenu plus clair, davantage axé sur le secteur océanique.
Afin de renforcer et d’encourager le développement économique dans les zones rurales de Terre-Neuve, nous avons diversifié et favorisé la croissance dans bon nombre de nos programmes, en particulier dans les domaines des sciences nautiques et du génie maritime, de l’architecture navale et de la conception de systèmes. Ces deux derniers programmes sont au cœur de la stratégie nationale de construction navale du Canada, mais aussi de l’industrie extracôtière. À leurs débuts, ils portaient sur la construction navale et l’industrie de la pêche, puis ils ont évolué de manière à être principalement utilisés dans l’industrie pétrolière et gazière extracôtière.
Vous constaterez que de nombreuses entreprises spécialisées dans la conception extracôtière, notamment aux États-Unis, sont issues du Marine Institute. Les dirigeants de sociétés de classification comme DNB et ABS ont leurs racines au Marine Institute et à l’Université Memorial. C’est un exemple parmi d’autres.
La School of Ocean Technology est un exemple de la manière dont l’industrie pétrolière et gazière a fourni une aide. Nous avons un programme consacré aux véhicules télécommandés et un programme de cartographie océanique. Dans le domaine des véhicules télécommandés en particulier, l’industrie pétrolière, gazière et extracôtière nous fournit une aide importante pour notre concours, MATE ROV, qui est un concours international destiné aux opérateurs de véhicules télécommandés et aux lycéens en particulier, mais qui rassemble également des étudiants universitaires qui s’affrontent au niveau national et international. L’Université Memorial et certaines écoles de la province se sont classées parmi les trois premières et ont parfois remporté des concours internationaux dans le domaine de l’opération de véhicules télécommandés. Elles n’y seraient probablement pas arrivées sans le soutien de l’industrie pétrolière et gazière. Voilà un autre exemple de l’effet que le soutien d’un secteur a eu sur les programmes que nous avons mis en place.
On le constate assurément dans les investissements, dans notre capital. J’ai demandé à l’un de nos centres de calculer le montant total des investissements réalisés au fil des ans. Depuis sa création, notre Centre for Marine Simulation a reçu à lui seul environ 25 millions de dollars d’investissements dans nos simulateurs, ce qui, quand on y pense, est considérable si l’on tient compte du fait qu’une grande partie de cette somme a été dépensée dans les années 1980 et 1990. En dollars actuels, ce chiffre pourrait presque doubler, voire tripler. Il s’agit d’un positionnement dynamique en vue de contrôler les processus et les opérations extracôtières qui, là encore, sont transférables. Leur fonction est double. Nous dispensons souvent des formations à la Garde côtière relativement à la gestion des glaces et de la navigation sur glace selon le Recueil sur la navigation polaire, domaine dans lequel notre expertise est mondialement reconnue. Nous avons dirigé l’élaboration du Recueil sur la navigation polaire de l’Organisation maritime internationale. C’est l’une des choses dont nous sommes fiers. Grâce à nos similitudes, nous proposons la formation la plus immersive qui soit au monde. Je n’ai pas peur de le dire. Ce n’est pas seulement un commentaire patriotique. Il s’agit de la technologie de simulation la plus avancée au monde. C’est quelque chose dont on peut être fier. Une fois encore, ce type de formation et ces compétences transférables sont utilisés dans d’autres secteurs, comme les flottes commerciales marchandes, mais aussi dans la défense, la surveillance et la Garde côtière. Elles découlent d’investissements de l’industrie pétrolière et gazière. C’est important. Notre action en dépendra certainement. Nous sommes toujours à la recherche de nouvelles opportunités. Nous reconnaissons cette importance. Nous reconnaissons le soutien que l’industrie nous a apporté au fil des ans.
Le sénateur Fridhandler : À titre de complément, pourriez-vous nous parler des installations de simulation de l’institut? Nous espérons que certains d’entre nous auront l’occasion de les voir et de vous rendre visite, mais donnez-nous une description des installations qui s’y trouvent.
M. Drodge : Si vous avez vu des photos du Marine Institute en ligne, vous avez probablement vu une photo de la grande passerelle. C’est notre simulateur de mission complet. C’était le premier. Il s’agissait et s’agit toujours du simulateur de passerelle le plus grand et le plus sophistiqué au monde. Si certains d’entre vous ont eu le privilège de se rendre à Esquimalt, au centre de formation de la marine, vous savez qu’il existe un centre similaire équipé d’un écran de projection à 360 degrés et d’une passerelle. Celui-ci est beaucoup plus grand, mais le principe est le même.
Celui-ci a d’abord été installé au Marine Institute afin de soutenir les opérations de navires-citernes en mer qui allaient débuter avec la plateforme Hibernia, la production qui en découlerait et le transbordement du pétrole brut vers les marchés. À cette époque, Terre-Neuve-et-Labrador était à l’aube de l’industrie extracôtière. On pensait que les Terre-Neuviens et les Canadiens n’avaient pas l’expertise nécessaire pour faire ce travail. On estimait que nous pouvions faire appel à d’autres nationalités pour exploiter ces navires, mais nos marins et nous-mêmes savions que nous en étions capables. L’une des choses que les industries et le gouvernement ont aidé à soutenir était l’installation de ce simulateur.
Les choses se sont développées au fil des ans. Nous avons eu le simulateur d’opérations en mer, que j’ai évoqué, qui est utilisé principalement pour le Recueil sur la navigation polaire, nos simulateurs de positionnement dynamique, le simulateur de contrôle du ballast, ainsi que d’autres simulateurs dans le domaine des technologies océaniques. Nous disposons d’une gamme de simulateurs de véhicules télécommandés pouvant être utilisés pour les opérations en mer, mais aussi dans d’autres secteurs comme celle liée au vent ou toute autre industrie sous-marine. Grâce à ces simulateurs, nous pouvons créer des modèles et des jumeaux numériques qui rivalisent avec n’importe quelle autre technologie ou institut dans le monde. Les capacités dont dispose le Marine Institute en matière de simulateurs sont tout à fait impressionnantes.
J’espère sincèrement que vous pourrez venir visiter nos installations. Dans l’une de nos installations situées à Holyrood, à Terre-Neuve, nous avons créé un jumeau numérique de cette baie sous-marine qui comprend des infrastructures sous-marines installées physiquement par les opérateurs en mer afin de reproduire un gisement sous-marin à des fins de formation. Mais nous avons également créé un jumeau numérique de l’ensemble de ce terrain dans les simulateurs afin de créer des environnements très réalistes pour nos étudiants et nos partenaires de l’industrie. Nous commençons à mener des études et des recherches sur les opérations à distance, qui sont de plus en plus courantes non seulement dans l’industrie extracôtière, mais aussi dans d’autres industries.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Il semblerait, selon vos commentaires et ceux de M. Veitch, que vous êtes à la fine pointe de la technologie et de tout l’enseignement qui vise à rendre cette industrie sécuritaire au maximum.
J’aimerais connaître votre opinion à propos d’un sujet qui ne relève peut-être pas de votre spécialité. Prenons comme exemple un déversement de pétrole comme celui qui s’est produit sur la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, dans le golfe du Mexique, alors que 1 700 kilomètres de côtes ont brûlé. On sait que le nettoyage des côtes a coûté plus de 10 milliards de dollars. En plus, le gouvernement américain a été obligé de développer un fonds de 20 milliards de dollars pour indemniser les infrastructures touristiques et les gens qui ont été affectés le long des côtes. Ce ne serait peut-être pas le cas si on développait un autre gisement à Terre-Neuve.
Ma question concerne le fonds de 359 millions de dollars qui a été mis de côté en 2023. Serait-ce suffisant en cas de déversement? On ne peut pas prédire cela. Les compagnies feraient-elles banqueroute ou n’auraient-elles pas les fonds nécessaires pour dédommager les gens? J’aimerais vous entendre sur le fonds de 350 millions de dollars mis de côté. Est-ce suffisant? Qu’avez-vous à dire là-dessus?
[Traduction]
M. Drodge : Merci pour votre question, sénateur Aucoin.
Je ne sais pas si je vais pouvoir vous donner une réponse très détaillée à ce sujet. Je ne suis pas compétent pour juger de la stabilité financière des entreprises ni, en cas de déversement de pétrole ou d’intervention, de la manière dont elles financeraient, subventionneraient ou fourniraient des capitaux à cette fin ou pour l’avenir de la population de la province ou du pays. Ce que je peux dire, c’est que, pour ce qui est des risques, nous essayons d’éviter ce type d’événements et, s’ils se produisent, nous cherchons à en atténuer les effets. Nous espérons que ces efforts auront une incidence sur les coûts. Nous pouvons contribuer à réduire les coûts si un tel événement se produit.
Vous devez me suivre dans mon raisonnement, mais si vous pensez à un nœud papillon, d’un côté, vous avez les mesures préventives, et de l’autre, vous avez les mesures d’atténuation, les contrôles et les barrières qui aident à prévenir les conséquences. Au milieu, il y a une conséquence réelle et ce dont vous parliez, sénateur Aucoin, un déversement de pétrole.
De ce côté-ci, vous disposez de mesures d’atténuation qui constituent votre réponse, c’est-à-dire les éléments qui visent à réduire au minimum les effets de cet événement. Nous nous concentrons principalement sur l’autre aspect, à savoir les mesures préventives, et ce côté correspond au pire scénario ou à la prévention. Nous nous y préparons par l’entremise d’investissements en capital et de formations.
Du côté de la prévention, il y a trois types de contrôles : les personnes, les processus, et les installations ou l’équipement. En tant qu’industrie, nous sommes devenus, surtout dans le secteur hauturier, des chefs de file mondiaux en matière de gestion des risques, principalement à la suite d’incidents comme celui de Macondo et grâce aux études de cas qui en ont découlé. Peu de temps après cet incident, une excellente étude de cas intitulée « Disastrous Decisions » a été publiée au sujet de cette évaluation des risques liés aux dangers majeurs.
Je suis sûr que vous avez tous entendu parler de l’« effet gruyère ». Il s’agit de toutes les mesures préventives qui se trouvent de ce côté-ci du nœud papillon. Elles sont comme des tranches de gruyère. Lorsque les divers contrôles ou barrières échouent et entraînent différentes conséquences, c’est comme si les trous des tranches de fromage se superposaient. Plus il y a de contrôles, plus il est possible de renforcer ces barrières. C’est ce que nous pouvons faire en tant qu’industrie et établissement d’enseignement.
Au Marine Institute, nous nous concentrons beaucoup sur les personnes et les processus. Nos activités de recherche et développement portent, en grande partie, sur l’équipement et les installations...
[Français]
Le sénateur Aucoin : Excusez-moi, mais je dois vous arrêter, parce que ma question est plus simple. Est-ce que selon vous, le fonds de 350 millions de dollars est suffisant pour l’avenir? Je comprends votre point à propos de tous les facteurs, l’industrie, la recherche et les facteurs de sécurité. Toutefois, j’aimerais savoir si le fonds qui a été créé, et qui est une bonne initiative, est suffisant, selon vous. Je comprends que ce n’est pas votre expertise. J’aimerais vous entendre là-dessus.
[Traduction]
M. Drodge : Le fait qu’un engagement financier important ait été pris représente un signe positif, mais je ne dirais pas que c’est suffisant. Sachant comment fonctionnent certains des exploitants extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador, compte tenu de leur compréhension des milieux hostiles, de leur réputation et de leur expertise à l’échelle mondiale, je suis convaincu que si un incident devait se produire au large de Terre-Neuve, il y aurait une intervention suffisante pour y remédier.
Les exploitants extracôtiers ne sont pas de petites entreprises familiales. Ce sont des sociétés et des exploitations de calibre mondial qui ont une vaste expérience non seulement à Terre-Neuve-et-Labrador, mais aussi dans d’autres environnements difficiles comme la mer du Nord. Cela ne veut pas dire qu’il faut cesser d’apporter des améliorations, d’exercer une vigilance constante et de rendre des comptes, car tout cela demeure nécessaire, mais connaissant leur réputation et leurs pratiques, j’ai confiance en eux. Cependant, je ne peux pas dire si un montant précis est suffisant.
La sénatrice McCallum : Je vous souhaite la bienvenue, capitaine Drodge.
Ma question porte sur l’étude du comité sur la réglementation de l’industrie, y compris la santé et la sécurité, la gérance environnementale, les répercussions sur les écosystèmes marins, les pêches traditionnelles autochtones, la gestion des ressources et les retombées industrielles.
Vous avez parlé de la tragédie de l’Ocean Ranger, survenue en 1982, et de vos nombreuses forces et réussites. Connaissez-vous d’autres bons coups que vous n’avez pas eu l’occasion de mentionner? Quels domaines nécessitent une attention particulière? Quels aspects échappent à votre influence et méritent l’attention d’autres intervenants?
Je sais que vous avez abordé ce point en répondant à d’autres questions. En ce qui concerne les étudiants, beaucoup d’entre eux s’inquiètent des perspectives d’emploi après l’obtention de leur diplôme. Vous avez dit que certaines de leurs compétences peuvent être transférées à d’autres secteurs. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet également?
M. Drodge : Certainement. Merci, sénatrice McCallum.
L’un des aspects dont je n’ai pas encore parlé concerne les retombées industrielles que nous tirons de l’industrie pétrolière et gazière en milieu extracôtier, et il s’agit plus précisément des facteurs humains. Au Marine Institute, nous avons mis sur pied un réseau dédié à l’analyse des facteurs humains, un peu comme ce qui existe en Norvège. À l’heure actuelle, ce réseau est principalement financé par les exploitants extracôtiers. Il s’agit d’une initiative à l’échelle de l’industrie. C’est une plateforme pour les intervenants qui s’intéressent aux opérations essentielles à la sécurité en tenant compte des facteurs humains et de l’ergonomie.
À notre institut, nous essayons de faire avancer ces technologies. Nous offrons un programme de doctorat dans ce domaine, sous la direction de M. Steve Mallam. C’est un champ d’études qu’il faut approfondir. Ce n’est pas une nouvelle démarche. Nous avons toujours pris en considération le facteur humain et la connaissance de la situation pour savoir comment les exploitants interagissent avec la technologie et les systèmes de contrôle. Cependant, à mesure que les technologies évoluent et que nous nous perfectionnons dans des domaines comme l’IA, les opérations à distance, les unités d’affichage et l’intégration croissante de la technologie dans l’interface opérateur-machine, il faudra plus d’études et de recherches sur la façon dont les humains interagissent avec ces technologies et sur les améliorations possibles pour garantir la sécurité des opérations. C’est ce que nous faisons actuellement sur le plan des retombées industrielles, et c’est aussi le travail du réseau Human Factors in Control, ou HFC. Voilà pour le premier point. Je pense que c’est très prometteur, non seulement pour Terre-Neuve, mais aussi pour le Canada, en tant que chef de file mondial dans ce domaine.
Pour ce qui est de votre troisième point concernant la transférabilité du personnel formé vers d’autres industries, nous avons une pénurie de marins au Canada. Plusieurs rapports intéressants ont été publiés récemment sur la capacité prévue au cours de la prochaine décennie : on parle d’environ 30 000 à 40 000 postes vacants, départs à la retraite ou mutations dans l’ensemble de l’industrie maritime. Il ne s’agit pas seulement du secteur hauturier ou de la marine marchande, mais aussi du secteur côtier, des chantiers navals et de toute la chaîne d’approvisionnement connexe. Le recrutement et le maintien en poste sont importants pour notre institut de formation et notre université. Ce sont deux domaines qui nécessitent un soutien à l’échelle du pays, et pas seulement au Marine Institute. Ce soutien doit provenir de l’industrie et du gouvernement. C’est un fait admis qui ne passe pas inaperçu.
En examinant la réglementation et la formation des marins au Canada, nous devons chercher des moyens d’améliorer la réglementation et de créer des parcours qui favorisent la réussite afin qu’un marin diplômé du Marine Institute ou de tout autre institut au Canada ne rencontre pas d’obstacles qui, après réflexion, auraient pu être éliminés plus tôt. Il s’agit notamment de rendre la certification et l’examen des marins plus efficaces dans notre pays, en collaboration avec Transports Canada. C’est une chose qui demandera des efforts supplémentaires.
Ce sont ces marins — les mêmes professionnels — qui travaillent dans l’industrie extracôtière, que ce soit sur des navires de ravitaillement, des navires sismologiques, des installations de forage ou des unités flottantes de production, stockage et déchargement en mer, c’est-à-dire des plateformes de stockage ou de production. Ce sont les mêmes travailleurs. Leurs compétences peuvent être transférées à d’autres industries, mais, comme nous l’avons vu, l’industrie extracôtière est très attrayante pour beaucoup de marins. Nous voyons parfois des marins passer d’une industrie à l’autre, que ce soit sur les Grands Lacs, à l’échelle internationale ou sur la côte Ouest.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : La question que je vais vous poser vous a été posée d’autres façons, mais je vais être un peu plus précise. Les protocoles de sécurité actuels sont-ils suffisants pour faire face à une intensification des tempêtes et à la fonte de glace marine dans l’Atlantique Nord? Vous nous avez dit que vous considérez que l’industrie actuelle au large de Terre-Neuve est la plus sécuritaire qui soit à travers le monde. Je vous demande de regarder vers l’avenir. Vous avez parlé de simulateurs. Je crois que l’on peut simuler les vents. Expliquez-moi de façon très précise — en nœuds — quels vents vous mettez dans vos simulateurs pour essayer de voir quel genre de tempête affecterait les plateformes pétrolières. Parce qu’on ne sait pas ce qui va se passer. On essaie de prévenir un avenir imprévisible. Jusqu’où allez-vous en matière de force de vent pour voir si les plateformes résisteront ou sauteront, et que le pétrole s’en échappera?
[Traduction]
M. Drodge : Je vous remercie, sénatrice, d’avoir posé cette question, qui est pertinente. Mon collègue de la faculté de génie, M. Veitch, a peut-être répondu en partie à la question l’autre jour.
Quoi qu’il en soit, lorsque nous utilisons des simulateurs pour tester des installations ou des navires par l’entremise du Marine Institute à l’Université Memorial, nous pouvons simuler de façon numérique pratiquement n’importe quel type de vent. L’intégrité structurelle doit être testée en fonction des critères de conception, qui sont établis à l’étape de l’ingénierie. Ces installations sont mises à l’essai dans un environnement simulé avant de passer à l’étape de la construction. Les vents simulés correspondent normalement à ce que nous appelons la tempête centennale. C’est ce que nous mettons à l’essai.
Les vents peuvent également être testés dans des installations comme celles auxquelles que nous avons accès grâce à notre collaboration avec le Conseil national de recherches à St. John’s : nous utilisons des cuves à houle et des bassins d’essais dans des conditions de glace, en particulier avec l’aide de la faculté de génie. Encore une fois, je ne travaille pas à la faculté de génie — ce n’est pas mon domaine d’expertise —, mais en ce qui a trait aux aspects liés à la conception, ces modèles sont construits et mis à l’essai pour évaluer leur résistance aux conditions de glace et aux conditions environnementales difficiles dans un bassin et dans un environnement simulant la glace. Ces simulateurs de glace sont, encore une fois, parmi les plus avancés au monde et peuvent simuler les différents types de glace rencontrés en mer, qu’il s’agisse de banquises ou d’icebergs.
En ce qui concerne les simulations que nous pouvons réaliser au Marine Institute et les travaux que nous avons effectués à cet égard, nous avons examiné des scénarios présentés par des entreprises, qui nous ont demandé de faire des simulations fondées sur des critères météorologiques précis, et nous avons produit des simulations et des modèles qui ont montré des résultats très réalistes, tout en soulignant leurs limites et contraintes. C’est un exercice important pour ces entreprises, car cela détermine leurs politiques et procédures internes, qui résultent souvent d’une collaboration ou de la conformité aux exigences de l’organisme de réglementation.
Cela dépendra de la plateforme. Chaque conception est différente. Certaines plateformes peuvent résister à plus de 100 nœuds de vent. Le résultat est tributaire de la conception. Je ne connais pas toutes les installations qui existent actuellement, mais leur capacité dépasse ce qui est nécessaire pour contrer une tempête centennale.
La présidente : Il reste quelques questions. Si vous êtes disponible, nous aimerions prolonger la séance au-delà de l’heure initialement convenue.
M. Drodge : Mon vol n’est pas avant demain, alors tout va bien.
[Français]
La sénatrice Youance : Merci, capitaine Drodge. J’aime bien la question de la sénatrice Miville-Dechêne. Elle a parlé du vent. Avez-vous des informations sur le scénario sismique dans la conception des plateformes? Vous pouvez m’envoyer cette réponse par courriel. Il n’est pas nécessaire de répondre aujourd’hui.
Ma question suivante porte sur les levés sismiques. Pêches et Océans Canada s’est doté d’une norme de pratique pour les entreprises qui effectuent des tests sismiques pour trouver des gisements de pétrole. Comment devrions-nous envisager la sismicité et le bruit liés aux relevés cartographiques en parallèle avec d’autres pressions environnementales, comme le bruit des navires, la pêche ou les changements climatiques?
[Traduction]
M. Drodge : Je vous remercie, sénatrice Youance.
Je ne peux pas vous donner de réponse détaillée à ce sujet. Je pourrai certes envoyer au comité quelques renseignements ou vous les faire parvenir. Des études ont été réalisées sur les effets des activités sismiques au large de Terre-Neuve-et-Labrador, en particulier, parce que nous en observons là-bas. Quand je parle d’« activités sismiques », je ne veux pas dire des tremblements de terre. J’entends par là des activités sismiques générées dans le cadre de cette phase d’exploration pour localiser le pétrole et le gaz. Cela se fait depuis les années 1960 et 1970. Je vais voir ce que je peux trouver comme information. Je pourrai vous faire parvenir une réponse par écrit.
[Français]
La sénatrice Youance : D’accord. Je vous remercie.
Depuis des mois, Ottawa rédige sa Stratégie sur le bruit sous-marin, et l’ébauche a fait l’objet d’une consultation publique au printemps. Cette stratégie recommande notamment d’investir dans la recherche, d’encourager les technologies plus silencieuses et de continuer la surveillance des niveaux sonores sous-marins. Avez-vous participé à ce plan? Si oui, quelles seraient vos recommandations dans ce cas? Voulez-vous plus d’argent pour faire de la recherche au sein de votre université?
[Traduction]
M. Drodge : La réponse à cette question est non, du point de vue du Marine Institute. Je ne sais pas si la faculté de génie y a participé. Je sais qu’elle mène des recherches approfondies sur, disons, la conception d’hélices. J’imagine donc qu’elle aimerait bien obtenir des fonds de recherche supplémentaires pour ces travaux en raison de son programme en génie océanique et en génie de l’architecture navale. Elle accueillerait ce financement sans doute d’un œil favorable. Cela dit, j’ignore si la faculté y a participé ou non.
[Français]
La sénatrice Youance : D’accord.
J’ai une question liée aux levés sismiques. Pour les projets d’exploitation à Terre-Neuve-et-Labrador, on a les évaluations régionales. Toutefois, les levés sismiques qui précèdent les forages doivent faire l’objet de mesures de protection et d’évaluations spécifiques. Avez-vous des exemples de ces évaluations à nous transmettre?
[Traduction]
M. Drodge : Non. Personnellement, je n’ai pas d’exemples à vous donner sur ce genre d’études.
Le sénateur D. M. Wells : Monsieur Drodge, vous êtes capitaine. Pouvez-vous nous parler un peu des différents types de navires qui sont nécessaires en mer, allant des navires sismologiques aux appareils de forage — que vous avez utilisés —, en passant par les plateformes de production, les pétroliers et les navires de ravitaillement? Il y en a beaucoup, et je pense que le comité aurait avantage à en savoir un peu plus sur le processus lié à ces navires, peut-être en ordre chronologique.
M. Drodge : Certainement. Merci, sénateur Wells, et je pense que vous les avez tous énumérés.
D’un point de vue chronologique, sur le terrain, tout commence par la recherche sismologique ou l’analyse des données provenant de campagnes de forage ou de plans de développement pour la production afin de déterminer si une zone est propice à l’exploration. Les navires sismologiques viennent souvent de l’extérieur du Canada. Je crois qu’il n’y a actuellement qu’un seul navire de ce genre enregistré au Canada. On mène de vastes campagnes et, comme la sénatrice Youance l’a laissé entendre, on fait le suivi de la sismicité acoustique pour analyser le fond marin. Ces données sont recueillies et permettent de déterminer la présence d’hydrocarbures, que ce soit dans les gisements de gaz ou de pétrole.
Cela déterminera ensuite l’endroit où un prospecteur — qui deviendra bientôt, espérons-le, un producteur — souhaite commencer le développement. Dans tout ce processus, des navires de ravitaillement transportent des fournitures dans les deux sens. On entreprend alors des projets de forage exploratoire, puis, si la décision est prise, on construit des puits d’injection et de production.
Tout cela nécessite des installations de forage, notamment des semi-submersibles, et c’est ce que j’ai principalement utilisé au large de Terre-Neuve. En eaux plus profondes, il faudrait des navires de forage, très semblables à des navires-citernes munis d’une tour de forage simple ou double. Ces navires permettent de forer les puits nécessaires selon les plans de conception des exploitants.
Si le projet passe à l’étape de la production, on commence alors à installer des équipements sous-marins à l’aide de navires de construction spécialisés et de navires de soutien aux opérations de plongée. Pour éviter l’érosion causée par la glace et les icebergs, on enfouit des câbles au moyen de navires très spécialisés qui servent à poser des roches et des tuyaux.
Ensuite, il y a l’unité FPSO elle-même, qui, je le répète, est une sorte de très gros navire-citerne...
Le sénateur D. M. Wells : Pardon, monsieur Drodge, mais que signifie FPSO?
M. Drodge : C’est l’acronyme anglais pour désigner une unité flottante de production, stockage et déchargement en mer. Ce n’est pas forcément une unité de production, comme celle de West White Rose. Même si c’est une structure gravitaire, il s’agit d’une unité de forage. Ce n’est pas une unité de stockage reliée aux conduites sous-marines. L’unité flottante sert à extraire et à stocker le pétrole avant son transfert vers un autre navire, comme les pétroliers-navettes, qui acheminent ensuite, dans notre cas, le pétrole brut — puisque nous ne produisons pas de gaz — vers une installation de transbordement à Terre-Neuve, dans la baie Placentia, ou directement vers le marché, que ce soit la côte Est du Canada, l’Europe ou la côte Est des États-Unis. Tout cela nécessite, encore une fois, plus de navires de ravitaillement et de soutien aux opérations de plongée pour les travaux d’entretien.
Je pense que cela englobe la plupart des navires, mais il est parfois nécessaire d’utiliser des navires spécialisés pour effectuer des travaux d’entretien spécialisés ou pour vérifier ce qui se passe dans certaines installations. Les besoins peuvent donc varier.
Le sénateur D. M. Wells : On creuse donc un ou plusieurs puits, qui sont ensuite obturés jusqu’à ce que la production démarre, n’est-ce pas?
M. Drodge : Eh bien, ils ne sont pas nécessairement obturés. Ils seront dotés de barrières, puis ils seront entretenus et raccordés aux équipements sous-marins en vue de la production.
Je le répète, je ne suis pas vraiment expert en forage, et encore moins en production sous-marine. Cependant, lorsque nous obturons un puits et que nous l’abandonnons à la fin d’un projet ou d’un programme, les exploitants viennent retirer entièrement la tête du puits pour remettre le site dans son état initial.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Drodge, d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Il y a, je crois, quelques questions pour lesquelles vous alliez fournir des renseignements supplémentaires, et la greffière fera un suivi auprès de vous à ce sujet. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence ici aujourd’hui, et nous vous reverrons peut-être à Terre-Neuve également.
M. Drodge : Merci beaucoup à vous tous de m’avoir accueilli ici aujourd’hui.
La présidente : Honorables sénateurs, nous allons poursuivre la séance à huis clos pour le prochain point à l’ordre du jour.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
La présidente : Chers collègues, nous sommes de retour en séance publique.
Y a-t-il une motion? Sénateur Wells?
Le sénateur D. M. Wells : Je vous remercie, madame la présidente. Je propose :
Que la demande de budget de 47 160 $ pour l’étude sur l’industrie du pétrole extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador soit approuvée et présentée au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration pour l’exercice se terminant le 31 mars 2026.
La présidente : Chers collègues, la motion est-elle adoptée?
Des voix : D’accord.
La présidente : Je déclare la motion adoptée.
Merci à tous.
(La séance est levée.)