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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 18 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 18 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, la question de l’industrie du pétrole extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Joan Kingston (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir à tous.

Avant que nous commencions, je demanderais à tous les sénateurs de consulter les cartons qui se trouvent sur la table et qui présentent les lignes directrices visant à prévenir les incidents d’effet Larsen. Veuillez vous assurer que votre oreillette est loin des microphones en tout temps. Nous vous demandons de ne pas toucher les microphones : l’opérateur de la console s’occupera de les activer et de les désactiver. Enfin, veuillez s’il vous plaît éviter de toucher à votre oreillette lorsque votre microphone est activé. Les oreillettes doivent être portées à l’oreille ou déposées sur l’autocollant prévu à cette fin et se trouvant devant chaque siège. Je vous remercie de votre collaboration.

[Français]

Je voudrais commencer par reconnaître que la terre sur laquelle nous nous réunissons est le territoire traditionnel ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe.

[Traduction]

Je m’appelle Joan Kingston. Je suis une sénatrice du Nouveau-Brunswick et je suis la présidente du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui sont ici ce soir. Je tiens également à souhaiter la bienvenue à ceux qui suivent nos délibérations en ligne.

Aujourd’hui, conformément à l’ordre de renvoi reçu du Sénat le 8 octobre, nous poursuivons notre étude sur l’industrie du pétrole extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador.

Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir, à titre personnel : M. Ian Lee, professeur agrégé, Sprott School of Business, Université Carleton, par vidéoconférence ; et M. Joel Finnis, professeur, Département de géographie, Université Memorial de Terre-Neuve, par vidéoconférence.

Merci à vous deux. Monsieur Lee, nous nous sommes récemment rencontrés au Comité des finances nationales. Bienvenue à vous deux. Au cours des cinq prochaines minutes, nous entendrons vos déclarations préliminaires. Monsieur Lee, si vous souhaitez commencer, ce serait merveilleux.

Ian Lee, professeur agrégé, Sprott School of Business, Université Carleton, à titre personnel : Merci, sénatrice Kingston, et honorables sénateurs.

Tout d’abord, je tiens à préciser que je n’appartiens à aucun parti politique, que je ne donne de l’argent à aucun parti politique et que je n’autorise aucune affiche électorale sur ma propriété pendant les élections. Deuxièmement, je ne suis consultant pour aucune entreprise énergétique, quelle qu’elle soit, et je n’ai aucun investissement dans ce type d’entreprise, que ce soit directement ou indirectement. Troisièmement, j’ai donné pendant 35 ans le cours de gestion stratégique qui analyse la compétitivité des industries et des entreprises, et avant cela, j’ai travaillé pendant 9 ans dans le secteur bancaire commercial au sein d’une banque canadienne, où nous prêtions des millions de dollars à des petites et moyennes entreprises, ou PME.

Depuis les années 1960, les élites politiques d’Ottawa et de Toronto promeuvent l’idée que l’avenir du Canada réside dans l’industrie manufacturière. On a soutenu que la dépendance historique du Canada à l’égard des ressources était une grave erreur, car elle condamnait les Canadiens à être des « coupeurs de bois et des porteurs d’eau ». Ce discours, que j’estime idéologique, supposait, sans analyse fondée sur des données probantes, qu’une économie axée sur les ressources était pauvre sur le plan technologique, polluante, peu productive et peu rentable, et qu’elle condamnerait le Canada — et de nombreux pays en développement — à un déclin économique, alors que le secteur des ressources, que j’étudie depuis 35 ans, exige beaucoup de capitaux et emploie des technologies d’exploration, d’extraction, de raffinage, de traitement et de transport extrêmement sophistiquées auxquelles s’ajoute un capital humain sophistiqué et très instruit dans les domaines de l’ingénierie, de la géologie, des technologies de l’information et du financement des entreprises.

De plus, pendant des millions d’années, avant que le Canada ne voie le jour, la moitié Nord du continent nord-américain possédait, comme nous le savons tous, des ressources naturelles d’une richesse incroyable, allant du pétrole au gaz, en passant par le bois, le combustible nucléaire, les produits agricoles, le poisson, la potasse et les minéraux critiques. Comme nous l’ont dit il y a quelques années le chancelier allemand et le premier ministre japonais lors de leur visite, les pays où les gens conduisent de très petites voitures ne veulent pas de nos produits manufacturés ou de nos VUS et camions qui pèsent deux tonnes; ils veulent nos ressources.

J’en viens au secteur des ressources. Le professeur Stephen Gordon, de l’Université Laval, a montré il y a plus de 20 ans que près des trois quarts de l’augmentation du niveau de vie au Canada au cours du dernier quart de siècle étaient attribuables à ce secteur. Ce constat a été confirmé par les études du professeur Trevor Tombe de l’Université de Calgary qui a déclaré :

L’industrie pétrolière — et le secteur des ressources en général — est loin d’être un frein; c’est une bénédiction. Sans elle, nous serions plus pauvres et notre économie serait moins performante.

Au cours des 30 derniers jours, l’Agence internationale de l’énergie, ou AIE, a reconnu que ceux qui prédisaient un pic pétrolier d’ici 2030 et un déclin rapide de la production pétrolière par la suite se sont trompés sur toute la ligne. L’AIE affirme désormais :

La demande de pétrole et de gaz devrait augmenter considérablement au cours de la période visée, en raison de la forte demande en énergie fiable et abordable. La demande de pétrole augmentera de 18,2 milliers de barils équivalent pétrole par jour, tandis que celle de gaz naturel augmentera de près de 20 milliers de barils équivalent pétrole par jour entre 2024 et 2050.

Malgré un léger recul, le pétrole demeurera le combustible le plus important de l’ensemble des ressources énergétiques à notre disposition, avec une part légèrement inférieure à 30 % en 2050. La part combinée du pétrole et du gaz dans le bouquet énergétique devrait demeurer supérieure à 50 % entre 2024 et 2050.

... l’augmentation de la demande de pétrole sera principalement attribuable à une demande pour des produits pétrochimiques et du carburéacteur, ainsi qu’à un ralentissement de la croissance des véhicules électriques.

Comme le professeur émérite Peter Phillips l’a récemment déclaré dans un article du Globe and Mail :

Le Canada dispose d’un avantage comparatif et concurrentiel important dans le secteur de la production primaire, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche, des mines, de l’énergie et des secteurs connexes.

S’il veut demeurer un pays prospère, le Canada doit amorcer un virage vers une exploitation accrue de ses ressources, comme l’a fait l’Australie en 2017 lorsqu’elle a complètement abandonné la construction automobile, et comme l’a fait la Norvège avec ses activités extracôtières il y a plusieurs années. À cet égard, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a commandé des études qui estiment que ses réserves atteignent plus de 120 milliards de barils de pétrole et près de 300 billions de pieds cubes de gaz naturel. Le secteur des ressources naturelles, et en particulier celui du pétrole et du gaz, affiche l’un des taux de productivité les plus élevés de l’économie canadienne, à l’heure où le Canada est confronté à une crise liée à la baisse de sa productivité, démontrée par Statistique Canada, la Banque du Canada et le ministère des Finances.

Les ressources, et en particulier le pétrole et le gaz, représentent 7 des 10 principales industries d’exportation du pays et contribuent à une augmentation considérable de la prospérité. L’illusion d’un Canada qui allait devenir une puissance manufacturière s’est dissipée avec le long déclin de l’industrie manufacturière — elle représentait 30 % du PIB en 1970 pour n’en représenter que moins de 10 % aujourd’hui — qui s’est opéré avant même qu’elle ne s’effondre suite au récent changement de politique aux États-Unis au sujet de l’exportation de nos automobiles sans droits de douane.

Si nous voulons conserver notre prospérité à l’avenir, le Canada doit renouer avec ses racines en tant que grand producteur de ressources. Ce sera — contrairement au secteur manufacturier et à l’élimination délibérée de nos avantages comparatifs par des politiques — la clé d’une prospérité accrue.

Merci.

La présidente : Merci, monsieur Lee.

Je m’excuse de ne pas avoir demandé à mes collègues de se présenter. Je leur demanderais de le faire avant de céder la parole à notre prochain intervenant.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Lewis : Todd Lewis, Saskatchewan.

La présidente : Je vous remercie, chers collègues.

J’aimerais maintenant demander à M. Finnis s’il veut bien prononcer sa déclaration préliminaire.

Joel Finnis, professeur, Département de géographie, Université Memorial de Terre-Neuve, à titre personnel : Merci beaucoup.

Tout d’abord, je tiens à souligner que je me trouve actuellement à l’Université Memorial, dont les campus sont situés sur les territoires traditionnels de divers groupes autochtones. Je tiens à reconnaître, avec respect, les diverses histoires et cultures de ces groupes, notamment les Béothuks, les Mi’kmaq, les Innus et les Inuits de la province. J’aimerais également remercier le comité de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui.

Je suis climatologue de formation et je travaille actuellement au département de géographie de l’Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador. Mes recherches portent sur la dynamique du climat, les répercussions des changements climatiques et, depuis peu, je m’intéresse beaucoup aux liens entre les risques et la prise de décision dans le contexte des défis météorologiques et climatiques auxquels nous sommes confrontés.

En ce qui concerne l’industrie pétrolière et gazière de Terre-Neuve-et-Labrador, on me demande le plus souvent de parler des liens entre l’industrie et les changements climatiques, ou des efforts déployés par la province afin de présenter l’industrie comme étant bénéfique pour l’environnement. C’est ce dernier point qui, à mon avis, est le plus pertinent pour vos discussions d’aujourd’hui. Cela dit, je serai heureux de répondre à vos questions sur les répercussions climatiques en lien avec l’industrie pétrolière extracôtière.

L’élément le plus pertinent est probablement lié à la nature unique des hydrocarbures extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador, et en particulier aux efforts continus déployés par le gouvernement provincial et les intervenants en faveur de l’industrie pour présenter le pétrole de la province comme une ressource propre, écologique ou à faible teneur en carbone. Ils disent que l’industrie pétrolière est un autre outil à notre disposition pour lutter contre la crise climatique, argument qu’ils utilisent ensuite pour promouvoir la production pétrolière existante sur les marchés internationaux et préconiser une importante croissance dans le secteur. En effet, le gouvernement provincial a dit qu’il souhaitait qu’il y ait une forte croissance dans ce secteur, ce qui représenterait environ trois milliards de tonnes d’émissions supplémentaires de dioxyde de carbone d’ici 2050, soit plus ou moins trois fois les émissions produites par l’industrie à ce jour.

Le problème est que cette affirmation, comme quoi cette industrie est propre, repose sur des cadres de référence très sélectifs. Le premier exige que nous ne considérions qu’une petite partie des coûts environnementaux associés à un baril de pétrole. Le second exige que nous ne nous comparions qu’à ce que nous pourrions appeler des producteurs à forte empreinte carbonique, ou polluants — si nous nous en tenons à la formulation utilisée par Terre-Neuve-et-Labrador —, c’est-à-dire que nous ne nous comparions qu’à des sources de pétrole non conventionnelles telles que celles provenant des sables bitumineux de l’Alberta.

Or, si l’on examine l’ensemble des répercussions climatiques de chaque baril de pétrole ou établit une comparaison avec d’autres sources conventionnelles de pétrole, on constate que tout avantage pour l’environnement est en fait négligeable. Qui plus est, pour obtenir ne serait-ce que de petits gains environnementaux grâce à notre industrie, il faudrait une gestion collaborative avec d’autres producteurs à forte empreinte carbonique, notamment par l’entremise d’accords visant à remplacer la production dans une région comme l’Alberta par une production supplémentaire à Terre-Neuve-et-Labrador. Au lieu de cela, toutes les principales provinces productrices de pétrole réclament actuellement une augmentation de la production, ce qui laisse entendre qu’une telle gestion collaborative est très peu probable.

Arrêter de prétendre que le pétrole de Terre-Neuve-et-Labrador a une faible teneur en carbone signifie que nous devons, au bout du compte, pleinement prendre en compte les réelles répercussions climatiques de l’industrie pétrolière extracôtière de cette région. L’augmentation de la production dans cette province, comme dans n’importe quelle autre région du monde, fera en sorte qu’il sera plus difficile de respecter les engagements en matière de lutte contre les changements climatiques et d’atteindre les objectifs visant à limiter le réchauffement climatique énoncés dans l’Accord de Paris.

J’ajouterais que le temps dont nous disposons pour prendre des mesures décisives afin d’atteindre ces objectifs s’écoule rapidement. Au rythme actuel des émissions, il nous reste environ trois ans avant d’atteindre le seuil de 1,5 degré et environ 21 ans avant d’atteindre la cible moins ambitieuse, mais beaucoup plus risquée, de 2 degrés Celsius. Les émissions mondiales ne cessent d’augmenter, ce qui signifie que nous avons de moins en moins de temps.

Bien que Terre-Neuve-et-Labrador soit une province relativement petite et un producteur de pétrole modeste, l’impact de son secteur pétrolier n’en demeure pas moins disproportionné par rapport à sa taille. Des recherches montrent que si la province atteint la croissance souhaitée, les trois milliards de tonnes supplémentaires d’émissions de carbone qui en découleront coûteront à l’économie mondiale jusqu’à 775 milliards de dollars américains et causeront environ 678 000 décès supplémentaires, ce qui est nettement supérieur à notre population actuelle d’un demi-million d’habitants.

Bref, malgré l’enthousiasme constant du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador pour ce qu’il qualifie de produit pétrolier propre, l’exploitation accrue de nos hydrocarbures extracôtiers entraînera un coût environnemental considérable qui doit être pris en compte dans le cadre de notre réflexion sur cette exploitation.

Merci.

La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci pour votre témoignage. Vous êtes le premier témoin qui est aussi critique de l’industrie pétrolière offshore de Terre-Neuve. C’est un soulagement de savoir qu’à Terre-Neuve même il y a des voix critiques du développement pétrolier. Merci d’être ici.

Vous êtes donc critique du discours ambiant qui existe à Terre-Neuve sur les bienfaits de l’industrie pétrolière. En même temps, le gouvernement canadien a participé à cette construction d’un pétrole propre en disant qu’on allait accepter que le projet Bay du Nord soit un projet qu’on développe. Donc, ce n’est pas seulement Terre-Neuve, je dirais que c’est un peu plus large que ça.

Je voulais vous entendre là-dessus. Approuver le projet Bay du Nord, qui n’est d’ailleurs pas encore en fonction, cela permet de dire qu’en effet, c’est du pétrole propre, que c’est très différent du sable bitumineux et que c’est comme ça qu’on va se développer, non?

[Traduction]

M. Finnis : Oui. Je pense que la province fonde ces affirmations — et, je suppose, tous ceux qui s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un pétrole vert, d’un pétrole propre, ou encore d’un pétrole « à faible teneur en carbone » qui est, je crois, le terme qu’ils préfèrent actuellement — sur le fait que le coût énergétique de la production d’un baril de pétrole est moins élevé dans les exploitations pétrolières extracôtières que lorsqu’il faut procéder à de nombreux traitements, extractions et déplacements de matériaux lourds, comme c’est le cas avec les sables bitumineux. Or, cela ne concerne que le premier volet du coût environnemental de la production. Viennent ensuite le transport et la consommation du baril de pétrole. Nous parlons donc des émissions en amont associées à la production de ce baril. Par rapport à l’Alberta, il y a là un avantage environnemental considérable. Mais, je le répète, cela ne représente qu’une fraction de l’impact global du baril. Cet avantage disparaît complètement lorsque l’on examine le cycle de vie dans son ensemble. Même si je ne me concentre que sur les émissions en amont de cette production, et que je compare notre production à d’autres activités d’exploitation comparables, comme celles de la Norvège ou celles menées dans la mer du Nord, les émissions en amont sont identiques. Il est d’ailleurs facile de creuser et de trouver d’autres activités d’exploitation qui pourraient avoir des émissions en amont encore plus faibles. En comparaison avec d’autres endroits dans le monde, on pourrait constater que ces autres activités présentent un léger avantage par rapport à celles de Terre-Neuve et que leurs émissions de carbone pourraient même être plus faibles.

Tout cela signifie que l’on ne peut affirmer de telles choses qu’en se fondant sur un cadre très sélectif dont la portée est restreinte. Le fait que l’on refuse de reconnaître l’ensemble des répercussions de ces activités soulève bien sûr des inquiétudes pour quelqu’un comme moi. Cela ne veut pas dire que le pétrole ne peut ou ne doit pas être extrait aujourd’hui. Nous ne faisons que reconnaître que si nous prenons des mesures pour augmenter la production au Canada, nous allons alors à l’encontre de l’engagement que nous avons pris dans le cadre de l’Accord de Paris et ne répondons pas à l’urgence de réduire la production mondiale afin de limiter les effets des changements climatiques.

La sénatrice Miville-Dechêne : Êtes-vous en train de dire que si nous comparons les activités d’exploitation de Terre-Neuve-et-Labrador à celles de la Norvège, nous sommes moins efficaces sur le plan des émissions? Cette question m’intéresse.

M. Finnis : Seulement en ce qui a trait à la production de ce baril de pétrole. Si je compare la quantité d’énergie dont la Norvège a besoin pour produire un baril par rapport à celle dont Terre-Neuve-et-Labrador a besoin pour le faire, elles sont pratiquement identiques. Ensuite, ce baril de pétrole et son transport génèrent des émissions supplémentaires. Je vous donne un exemple. Le transport de ce baril de pétrole jusqu’aux marchés génère ce que nous appelons des émissions intermédiaires. Elles sont différentes entre ces deux régions. Pour ce qui est de la consommation de ce pétrole, la quantité est la même. Donc, les émissions en aval, qui représentent la majorité des émissions, sont identiques pour tous les producteurs. Il n’y a que les émissions en amont qui varient de façon notable, mais, comme je l’ai déjà dit, elles ne représentent qu’une fraction du baril total.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Je voudrais poursuivre dans la même ligne de questions que la sénatrice Miville-Dechêne, mais j’aimerais d’abord poser une question à M. Lee.

Vous avez entendu M. Finnis, et il me semble que vos positions sont complètement à l’opposé l’une de l’autre. Monsieur Lee, vous dites qu’il faut absolument développer nos ressources, y compris le pétrole, et qu’il y a beaucoup de ressources à exploiter jusqu’en 2050. Je vous pose la question suivante : qu’est-ce que vous avez à dire sur les changements climatiques et les gaz à effet de serre qui seront créés par cette production des ressources naturelles?

Je reviendrai à M. Finnis par la suite.

[Traduction]

M. Lee : Merci.

Si vous me demandez si je nie le réchauffement climatique, bien sûr que non. C’est un fait. On le sait tous. On peut débattre de son ampleur. Il y a des gens sérieux qui disent que ce n’est pas si grave, qu’on ne va pas tous mourir dans 5, 10 ou 15 ans et que ce n’est pas si extrême que ça. Bjorn Lomborg a publié de nombreux articles à ce sujet. Je ne vais pas m’étendre là-dessus. Je suis sûr que tout le monde est au courant.

Les conséquences sont réelles. Elles toucheront plus gravement certaines régions du monde. J’ai enseigné dans le monde entier, y compris en Iran et au Moyen-Orient. Certaines régions du Moyen-Orient deviendront probablement inhabitables, tout comme certaines régions d’Afrique subsaharienne. Comme l’a souligné le premier rapport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, certaines régions du monde deviendront plus habitables, comme la Sibérie et le Haut-Arctique canadien. Mais ce n’est pas là ma justification.

Vous m’avez demandé comment je pouvais affirmer ce que j’ai dit. Je voudrais rapidement citer quelques statistiques, si vous me le permettez. On tient compte de l’ensemble du débat et l’on se concentre sur le pétrole. Un baril de pétrole produit une certaine quantité d’émissions, et l’on dit que c’est terrible et que la situation se détériore. Mais quand on prend du recul et que l’on examine les données — je parle ici du gouvernement du Canada, de Ressources naturelles Canada — et que l’on regarde les émissions par personne — un sujet dont personne ne parle dans ce pays, même si l’information existe —, on constate que ces émissions par personne ont diminué de façon constante depuis 1993 jusqu’à aujourd’hui, sous chaque gouvernement — Mulroney, Harper, Trudeau, Chrétien — parce que l’on est devenus de plus en plus efficaces. Oui, on utilise des combustibles fossiles qui génèrent des émissions, mais on est aussi devenus beaucoup plus efficaces. Les maisons, les usines et les voitures sont plus efficaces aujourd’hui. C’est pourquoi on émet beaucoup moins par personne qu’il y a 30 ans, même si l’on brûle et utilise plus de combustibles fossiles.

Il faut voir ça dans le contexte de l’intérêt général. Est-ce que ça va de mal en pis ou de mieux en mieux? Je pense que ça va mieux, parce que nos émissions par personne baissent vraiment d’année en année, et c’est le prix à payer pour un carburant utilisé partout dans le monde en raison de tous les avantages qu’il apporte, comme un meilleur niveau de vie.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Ma question s’adresse maintenant surtout à M. Finnis.

Je crois vous avoir entendu dire que la production du baril de pétrole n’est pas la même partout, mais qu’elle compte pour une petite fraction des émissions de gaz à effet de serre lorsqu’on le brûle. Est-ce que j’ai raison de croire cela?

La deuxième partie de ma question — vous pouvez y répondre par écrit — consiste à savoir si cela vaut la peine d’explorer d’autres technologies pour réduire cette petite fraction de la production.

[Traduction]

M. Finnis : Pour répondre à la première partie de votre question, oui, tout à fait. Ce que je veux dire, c’est que lorsqu’une entreprise pétrolière affirme avoir réduit ses émissions de carbone, elle fait uniquement référence à l’énergie nécessaire pour produire un baril de pétrole : extraire le pétrole du sol, le transférer dans un conteneur et le préparer pour être acheminé vers le marché. Cela peut varier considérablement d’un producteur à l’autre. Même chez le plus grand producteur, ces émissions restent insignifiantes par rapport à celles générées par la consommation du baril. N’est-ce pas? Les émissions en aval sont énormes et celles en amont sont minimes. On constate que le secteur pétrolier de la province tente de se positionner comme avantageux sur le plan environnemental en affirmant que cette petite partie du cycle de vie du baril est meilleure ici qu’ailleurs et que c’est propre, écologique et à faible émission de carbone. C’est une affirmation douteuse.

Doit-on chercher des moyens de réduire davantage ces émissions? Toute technologie permettant à terme de réduire les émissions totales est probablement utile. Je tiens toutefois à souligner que même si l’on supprime complètement en amont les émissions de la production, c’est-à-dire la petite partie liée à l’extraction du pétrole du sol et à sa préparation pour la consommation, on n’aura fait qu’effleurer la surface du défi climatique. Le problème, c’est que l’on doit reconnaître que l’on ne peut pas continuer à mettre sur le marché et à consommer toujours plus de barils de pétrole tout en espérant pouvoir résoudre la crise climatique. On doit donc trouver des sources d’énergie de remplacement.

Une chose à laquelle je pense beaucoup en ce moment, c’est que les gouvernements et les économies qui s’engagent en faveur des combustibles fossiles comme source d’énergie et principal moteur de l’économie, alors que les énergies renouvelables se développent et continuent de se développer, semblent de plus en plus se confiner à ce que je considère comme étant les ressources énergétiques du passé. On assiste à une croissance massive des énergies renouvelables dans des pays comme la Chine, et l’on constate que les pays en développement les adoptent rapidement. On se tourne vers la Chine pour les technologies renouvelables, les ressources énergétiques et l’abandon des combustibles fossiles, alors que des pays comme les États-Unis intensifient leur production de combustibles fossiles. On doit se demander si l’on est orienté vers l’avenir et les marchés énergétiques futurs, ou si l’on se cantonne peut-être à quelque chose de plus en plus dépassé.

[Français]

La sénatrice Youance : Ma question s’adresse à M. Lee.

L’exploitation extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador se fait principalement pour l’exportation de la matière brute. Si l’on pense à la croissance importante de ce type de production dans différentes régions du monde, comme les États-Unis, l’Amérique du Sud, la Guyane ou le Brésil, quelle influence cette concurrence a-t-elle avec la production que l’on fait à Terre-Neuve-et-Labrador?

[Traduction]

M. Lee : Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris votre question. Vous avez demandé quel serait l’effet sur la concurrence.

La sénatrice Youance : Oui.

M. Lee : Permettez-moi de répondre ainsi. Je ne suis vraiment pas d’accord avec M. Finnis sur un point. La consommation ou l’utilisation de pétrole augmente dans tous les pays du monde. C’est ce qu’indique le rapport World Energy Outlook de l’Agence internationale de l’énergie, ou AIE, publié chaque année. L’AIE est un organisme des Nations unies, le rapport compte environ 900 pages et présente les différentes sources d’énergie : électricité, nucléaire, énergies renouvelables, etc. Il contient des données empiriques exceptionnelles. Sachez que cette situation paradoxale a fait l’objet d’études ces dernières années par toutes sortes d’institutions, telles que l’Oxford Institute for Energy Studies. La cause est l’explosion de la demande en électricité. Elle dévore toutes les énergies renouvelables que chaque pays produit. Il y a les centres de données, la climatisation, les pompes à chaleur et les véhicules électriques. La demande en électricité double, elle croît beaucoup plus vite que le reste de l’économie et les autres énergies. Les énergies non conventionnelles ou renouvelables sont importantes. Elles sont essentielles. Elles sont absorbées en entier, et l’on en a de plus en plus besoin, mais cela ne suffit pas pour pallier l’explosion de la demande en énergie dans le monde. Ce n’est pas qu’aux États-Unis. Oui, leur président tient des propos très vulgaires à ce sujet, mais la demande en pétrole augmente partout dans le monde. Pour ceux qui ne sont pas d’accord avec moi, sachez que ces chiffres figurent dans le dernier rapport de l’AIE intitulé World Energy Outlook 2025.

[Français]

La sénatrice Youance : Il y avait quelques éléments de réponse à ma question. La production croissante de pétrole extracôtier en Amérique du Sud a-t-elle une incidence? Cela change-t-il les conditions du marché par rapport à la production que nous avons à Terre-Neuve-et-Labrador?

[Traduction]

M. Lee : Je crois comprendre ce que vous me demandez. Le pétrole est un produit fongible. Autrement dit, il existe différentes catégories de pétrole : Brent, WTI, ou autre. Je suis sûr que M. Finnis connaît beaucoup mieux que moi la teneur en carbone de chaque catégorie. Mais c’est un produit fongible. Il y a un marché mondial. Il existe un prix mondial, contrairement au gaz naturel, qui a des prix régionaux, comme on le sait tous. Le pétrole est simplement intégré à l’offre et à la demande mondiales.

Soit dit en passant, le rapport de l’AIE auquel je fais référence comprend des prévisions de la consommation quotidienne mondiale de pétrole ventilée par pays, mais indique aussi une augmentation constante de la demande mondiale d’ici à 2050. Il s’agit d’un marché mondial, donc tout le pétrole produit ici, dans l’Ouest canadien ou au Mexique alimentera le marché mondial du pétrole.

Le sénateur Lewis : Merci beaucoup aux deux témoins pour vos observations.

Il semble que, lorsqu’il s’agit d’un baril de pétrole, son origine n’a pas vraiment d’importance. Sa consommation produira le même niveau d’émissions. C’est en quelque sorte ce que j’ai retenu jusqu’à présent.

Au Canada, nous avons la chance d’avoir le choix en matière d’énergie. Nous disposons de pétrole et de gaz naturel en abondance, et nous travaillons sur les énergies renouvelables. Le nucléaire fait partie de notre avenir, et nous avons aussi l’hydroélectricité. Je pense que beaucoup de pays commencent à parler davantage des hydrocarbures de transition parce que dans des régions comme l’Europe, lorsqu’ils ont perdu leur approvisionnement en gaz naturel provenant de Russie — en raison de problèmes géopolitiques —, ils ont soudainement dû se tourner vers d’autres sources d’énergie, comme le pétrole, ou réfléchir à la manière de remplacer le gaz naturel alors que l’hiver approchait ou était déjà là.

De manière générale, j’aimerais avoir votre avis. Alors que le monde passe aux énergies propres, il semble que la demande en pétrole restera forte, et je pense qu’il sera assez important que le Canada puisse participer à cette demande et y répondre en partie. Cela revient peut-être au même une fois que le pétrole est brûlé, pour ainsi dire, mais pour la production, le Canada est un pays très stable, doté d’une bonne réglementation. Je crois que c’est un pétrole moralement acceptable. Les gouvernements et les personnes qui le produisent sont des citoyens corporatifs responsables. Je pense que l’on ne peut pas en dire autant pour une grande partie de la production du pétrole ailleurs. J’aimerais entendre vos réflexions à ce sujet.

M. Lee : Je vais répondre très brièvement. Je souhaite clarifier davantage ce que j’ai dit il y a un instant.

Il y a un paradoxe avec l’économie verte, et il ne fait aucun doute qu’une économie verte est en train d’émerger. Il faut regarder les données, pas seulement celles de l’AIE, il existe de nombreuses autres études, et le département américain de l’Énergie produit d’excellentes projections pour chacun des différents types d’énergie. Ce que je veux faire comprendre et que je souhaite que tout le monde retienne, c’est que l’économie verte provoque paradoxalement une explosion de la demande bien plus importante que celle de l’ancienne économie dans laquelle nous avons grandi. En conséquence, de nombreuses institutions avaient prédit que les énergies renouvelables allaient remplacer les combustibles fossiles. Cependant, il y a un revirement dans le rapport 2025 de l’AIE, qui reconnaît s’être trompée et que le pétrole n’atteindra pas son pic en 2030 ou 2035 et ne disparaîtra pas. On a réalisé que la croissance vorace de la demande en électricité engloutit toutes les énergies renouvelables que l’on peut produire et que l’on n’a toujours pas assez d’énergie. L’un des paradoxes est que nous avons besoin de beaucoup plus de pétrole, de beaucoup plus de gaz naturel et de beaucoup plus d’énergies renouvelables.

M. Finnis : Je tiens à souligner que ces projections de la demande énergétique sont en constante évolution. L’AIE met régulièrement à jour ses projections, mais elle envisage également plusieurs scénarios. Il ne s’agit pas d’une seule prévision indiquant que la consommation continuera d’augmenter partout jusqu’en 2050. En général, plusieurs scénarios sont envisagés en fonction des décisions qui seront prises d’ici là. On observe actuellement des changements assez importants.

Ce que je tiens à souligner, c’est que l’année dernière, en 2024, on a en fait constaté une quasi-stagnation des émissions de carbone à l’échelle mondiale. Il y a eu maintien de la croissance, mais elle a en fait presque atteint un niveau nul. C’est un changement important par rapport au passé. Cela s’explique, encore une fois, par la croissance de la production d’énergie renouvelable. On commence à observer un véritable changement.

Encore une fois, je vous rappelle que si l’on s’appuie sur les énergies du passé et que l’on investit massivement dans celles-ci pour répondre aux besoins actuels, l’une des choses à retenir au sujet de la production pétrolière à Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple, c’est que si l’on décide aujourd’hui d’exploiter ce pétrole, il faudra plusieurs années avant que l’équipement, la plateforme et tout le reste soient prêts pour commencer l’extraction. D’ici là, la situation pourrait changer considérablement. Ce n’est que dans plusieurs années que certains de ces investissements commenceront à générer des profits. C’est en partie pour cette raison que les promoteurs pétroliers associés à Bay du Nord reportent sans cesse ce projet. Il a d’ailleurs été reporté récemment pendant la pandémie à cause des nombreuses incertitudes provoquées par la COVID-19, et il ne semble pas y avoir de presse à le relancer.

Je tiens également à signaler qu’il s’agit d’une situation relativement nouvelle. Lorsque l’on parle de la croissance de l’industrie pétrolière extracôtière à Terre-Neuve, on parle d’aller plus loin que jamais, ce qui s’accompagne de nombreux défis logistiques et techniques et de risques supplémentaires en cas d’accident, car les ressources sont à une plus grande distance. Tout cela signifie que l’investissement nécessaire pour mettre en place cette exploitation sera plus élevé qu’auparavant.

Je soupçonne que ce que l’on observe, c’est une certaine réticence de la part de l’industrie à se lancer dans cette aventure en raison de l’incertitude qui règne quant à l’évolution des prix du pétrole dans un avenir rapproché, sachant que la situation mondiale de l’énergie évolue très rapidement.

La présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais encore poser une question à M. Finnis, puisqu’il travaille au Département de géographie.

D’après vos recherches sur le climat et les tempêtes dans l’Atlantique Nord, comment les conditions au large des côtes de Terre-Neuve ont-elles évolué au cours des 20 à 30 dernières années? Quels risques ces changements représentent-ils pour les nouvelles infrastructures pétrolières et gazières?

Vous venez de parler de Bay du Nord. Est-ce que cela fait partie des risques qui pourraient freiner les envies de la compagnie de s’installer aussi loin dans la mer?

[Traduction]

M. Finnis : C’est possible. Ce que je dirais, c’est que les prévisions météorologiques pour l’Atlantique Nord deviennent vraiment incertaines. On a assisté à des événements sans précédent ces deux dernières années. Il faut souligner que l’océan se comporte de manière étrange en ce moment. Il y a eu une vague de chaleur qui a duré trois ans dans tout l’Atlantique Nord, de 2022 à cette année. Elle commence enfin à s’atténuer un peu, mais les températures restent anormalement élevées. Ce genre de phénomène était en grande partie inimaginable. Avant qu’il ne se produise et ne persiste, je l’aurais qualifié de statistiquement impossible. L’océan se comporte différemment. Cela se traduit par une modification des conditions météorologiques et des risques climatiques. On observe également une perte rapide et un amincissement de la glace de mer dans la mer du Labrador, ce qui modifie la façon dont la glace de mer, mais aussi les icebergs piégés dans la glace de mer, se déplacent dans la région.

Une autre chose que je dirais à propos de l’industrie pétrolière de Terre-Neuve-et-Labrador, c’est qu’elle s’est vraiment engagée au surdimensionnement des structures pour résister aux conditions environnementales qui prévalent ici depuis longtemps. C’est un environnement très rude. Des tempêtes violentes frappent fréquemment la région. Des ouragans la traversent parfois. Des icebergs y passent également. Au début de l’exploitation pétrolière, l’industrie a été poussée à réduire les risques que ces phénomènes se transforment en catastrophe environnementale grave, et s’est vraiment engagée à le faire.

Aujourd’hui, alors que la situation devient un peu plus incertaine et que l’on tente de s’aventurer plus loin en mer, on constate que les exploitants s’inquiètent de la capacité à acheminer le personnel vers et depuis ces plateformes de manière facile et sûre, et l’on pourrait dire qu’ils s’inquiètent de la fiabilité des livraisons, mais je pense que ces problèmes seront gérés sans trop de difficultés. Si l’on s’en tient aux normes de conception appliquées jusqu’à présent, je dirais que le risque d’une catastrophe totale est assez faible, même avec les incertitudes liées au changement climatique.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Compte tenu des engagements climatiques du Canada et de la nécessité de réduire les émissions, comment les décideurs politiques devraient-ils évaluer les avantages économiques à court terme des projets offshore par rapport aux risques climatiques et environnementaux à long terme? C’est une question philosophique, mais j’aimerais vous entendre, étant donné votre expertise là-dessus.

[Traduction]

M. Finnis : Je ne suis pas très versé en économie ou en politiques économiques. Mes travaux portent surtout sur les sciences du climat et sur les risques et les prises de décisions liés aux phénomènes météorologiques et climatiques, mais j’ai eu beaucoup de conversations avec des chercheurs qui mènent une réflexion approfondie sur la dichotomie dont vous parlez. Vous avez peut-être déjà rencontré ma collègue Angela Carter, qui s’est penchée sur la façon dont le pétrole a structuré l’économie de la province et entraîné en fait de l’incertitude et des risques qui ont causé des difficultés dans la province dans le passé. Elle soulignerait que nous avons... Comme je ne veux pas parler à sa place, je vais indiquer que ce qui ressort de mes discussions avec elle est notre tendance à accorder la priorité aux gains économiques à court terme aux dépens de l’environnement, mais qu’en fait, ces gains à court terme ne se matérialisent pas conformément aux projections. La croissance de l’industrie pétrolière de Terre-Neuve-et-Labrador a été enregistrée à l’époque où les économistes de la province disaient que le prix du pétrole allait toujours monter et qu’il y aurait toujours de l’argent à faire dans le secteur. Pour eux, les risques étaient nuls. Or, l’effondrement des prix du pétrole en 2013 et dans les années suivantes a causé de graves difficultés budgétaires, dont la province se relève encore. Le pétrole ne s’est pas avéré la valeur refuge qu’on nous avait décrite — il ne l’est toujours pas à mon sens —, particulièrement si vous optez pour l’exploitation de ressources difficiles d’accès comme celles du projet Bay du Nord.

Le sénateur Lewis : À propos des risques, ce sont les grandes multinationales un peu partout dans le monde qui évaluent les risques. Je pense que Terre-Neuve-et-Labrador a démontré qu’elle était un bon endroit où investir. La balle est dans le camp du secteur privé.

Dans l’ensemble, tous les projets de développement énergétique prennent des années avant de se concrétiser. Les délais se calculent en décennies pour les projets de centrale nucléaire. Terre-Neuve-et-Labrador connaît bien les projets hydroélectriques, qui ne se réalisent pas non plus du jour au lendemain. Même les projets d’énergies renouvelables comme la production de batteries pour le stockage de l’énergie solaire prennent beaucoup de temps à mettre en place. La même chose s’applique aux projets d’éoliennes. Où en sont les investissements et le développement à Terre-Neuve-et-Labrador comparativement au nucléaire, par exemple?

M. Lee : À qui s’adresse la question?

Le sénateur Lewis : Je vous inviterais tous les deux à parler des longs délais associés au développement en général.

M. Lee : Mes commentaires seront très brefs. Les grands projets d’immobilisations dans le secteur de la fabrication ou dans celui des ressources naturelles ont des échéanciers qui s’échelonnent sur une très longue période. Je m’intéresse en ce moment au secteur minier. Il faut en moyenne 21 ans au Canada pour lancer un projet minier. Ces délais valent pour tous les produits dont le niveau de complexité est élevé.

Pour revenir à un point qui a été soulevé tout à l’heure, on a tendance à associer le pétrole au court terme. Le président-directeur général d’Exxon — je respecte beaucoup Exxon, et j’ai déjà précisé que je n’ai pas d’investissements dans ces compagnies —, une des plus grandes multinationales sur la planète, où travaillent des personnes bardées de diplômes, a livré un discours captivant, que j’encourage fortement les membres du comité à lire. Selon lui, beaucoup d’idées fausses circulent sur le pétrole. Les gens l’associent à un seul produit, mais selon Ressources naturelles Canada, il existe des centaines de produits pétroliers raffinés. Je vais aller droit au but : selon le PDG d’Exxon, dans les 50 prochaines années, la demande de pétrole va augmenter, mais pas en raison du transport, et pas en raison de l’automobile, contrairement à ce que pensent la plupart d’entre nous, puisque les véhicules électriques finiront par remplacer complètement les véhicules à essence. Cet homme très bien informé est d’accord avec cette idée. Selon lui, ce sont les besoins immenses de l’industrie pétrochimique qui feront augmenter la demande. Deux industries sont en cause : les industries lourdes — les produits comme le ciment sont très gourmands en énergie — et l’industrie pétrochimique. Ce PDG voulait faire ressortir que la survie de l’industrie pétrolière allait être assurée par ces industries, et non pas par les automobiles. C’est après avoir décortiqué la situation qu’il en est venu à cette conclusion.

Je veux faire remarquer au comité que le pétrole ne se limite pas à un produit; il entre en fait dans la fabrication d’une multitude de produits dans différentes industries, y compris l’industrie pharmaceutique. Dieu sait comment ou pour quel usage — je ne suis pas ingénieur pharmaceutique —, mais ce secteur utilise bel et bien des produits de l’industrie pétrolière. Ceux qui pensent que le pétrole est un produit unique qui disparaîtra progressivement en raison du passage aux véhicules électriques font fausse route. Le pétrole sert de base à la fabrication d’une foule de produits utilisés dans diverses industries.

M. Finnis : Je suis d’accord avec vous. Autant le développement de projets que le développement de ressources prennent du temps. L’extraction des ressources ne s’amorce pas en criant ciseau. Il faut réfléchir aux perspectives à long terme des produits qu’on veut extraire. Les choses se compliquent si des changements soudains surviennent dans le marché au cours du développement avant même l’entrée des produits sur le marché. C’est pour cette raison à mon avis que certains projets stagnent au pays. Il faut pointer du doigt les tergiversations des investisseurs davantage que la réglementation fédérale. Comme les investisseurs sont tous des joueurs internationaux, ils ont d’autres options. La question à se poser à partir de ce moment-là est de savoir s’il y aura des joueurs de l’industrie qui verront un intérêt à investir à Terre-Neuve-et-Labrador, peu importe ce qui est mis en place pour favoriser le développement.

Je veux aussi souligner qu’en effet, le pétrole est utilisé pour d’autres usages que le transport. Une autre collègue de la Faculté de génie, Kelly Hawboldt, soutient que la chose la moins intéressante à faire avec le pétrole est de le brûler. La grande variété d’utilisations possibles explique en partie l’augmentation continue de la consommation de pétrole, qui se produit en dépit du plateau que viennent d’atteindre les émissions de carbone à l’échelle mondiale. Comme je le mentionnais tout à l’heure, en disant que nous utilisons le pétrole pour assurer notre sécurité énergétique et pour stimuler la croissance économique, nous nous engageons en réalité à intensifier les changements climatiques. Cette décision est prise en connaissance de cause. En revanche, en réservant les ressources pétrolières à des usages plus intéressants comme les processus chimiques et les produits en plastique, qui peuvent être vendus sous différentes formes, nous faisons un choix différent. Je soupçonne que l’utilisation du pétrole comme source d’énergie diminuera à l’avenir — à condition d’emprunter la bonne voie — et que la demande pour ce produit reculera en conséquence.

C’est ce que se disent certains joueurs de l’industrie. Sur quelle utilisation du pétrole devrions-nous miser? Les opérations en quelque sorte non conventionnelles à Terre-Neuve-et-Labrador sont-elles un choix judicieux? Ces décisions seront prises dans une certaine mesure par l’industrie, mais elles seront aussi conditionnées par les politiques mises en place au Canada, qui encourageront ou décourageront certains développements et certaines utilisations.

La présidente : J’ai une question. En vous écoutant, quelques idées me sont venues à l’esprit. Tout d’abord, avons-nous en place suffisamment de mesures d’atténuation? Vous dites par exemple que la production de pétrole est quelque chose que nous pouvons contrôler. C’est ce que je retiens de vos observations. En faisons-nous assez pour contrôler les émissions et les autres conséquences de la production de pétrole? L’autre idée qui m’est venue à l’esprit se rapporte à l’objet de notre étude qui consiste entre autres à examiner les marchés outre-Atlantique pour le pétrole de Terre-Neuve-et-Labrador. J’aimerais connaître votre avis sur ces deux choses en particulier. En faisons-nous assez pour atténuer les dommages que nous pouvons contrôler? Vous avez parlé tous les deux des impacts à l’échelle mondiale. Nous allons vendre ce pétrole ailleurs, probablement dans un autre pays que le Canada. La raffinerie Irving, dans ma province, n’a probablement pas les capacités pour raffiner le pétrole brut peu sulfuré produit à Terre-Neuve. J’aimerais que vous me disiez tous les deux ce que vous pensez des deux points que je viens de soulever.

M. Lee : Je vais être très bref. Je ne veux pas trop monopoliser l’attention.

Je voudrais rappeler quelque chose au comité tout en présumant que les sénateurs consultent les données de Ressources naturelles Canada. Lorsque j’ai vu pour la première fois ce graphique il y a plusieurs années, j’ai été estomaqué parce que tous les politiciens au pays — tous partis politiques confondus — nous disaient que les émissions au Canada étaient à la hausse. Je savais que les émissions augmentaient de façon générale, mais la courbe descendante des émissions par habitant, qui ressemblait à une pente de ski à 45 degrés, m’a fait réaliser quelque chose. Chaque année, la population s’accroît en raison de l’immigration, que nous soutenons, et chaque individu utilise de l’énergie. Il faut donc conclure que nos stratégies d’atténuation sont de plus en plus efficaces.

Pour répondre à votre question, sénatrice Kingston, les automobiles, les maisons et les usines sont beaucoup plus efficaces qu’en 1990. Si vous considérez cela comme une forme d’atténuation, eh bien, nous atténuons les émissions. Nous pourrions certainement faire plus, et j’appuie sans réserve le captage du carbone. L’avenir nous dira si cela va fonctionner. Les avis sont partagés, mais je crois que cette technologie est prometteuse. Le gouvernement du Canada investit dans le captage du carbone. Certains sont d’avis que cette technologie est une partie de solution, et c’est certainement la bonne manière de voir les choses. Nous pourrions sans aucun doute en faire plus, mais ne sous-estimons pas non plus ce que nous avons accompli pendant les 35 dernières années. Le public pense que les choses vont de mal en pis parce qu’ils mettent en parallèle la croissance absolue de la population et la croissance absolue des émissions au lieu de regarder la courbe des émissions par habitant. Or, ces émissions enregistrent une baisse considérable en Europe, au Canada et même aux États-Unis.

M. Finnis : À propos du caractère suffisant ou non de nos mesures d’atténuation, je répondrais qu’il faut commencer à mettre les bouchées doubles. Les nombreuses propositions pour y arriver vont de la plantation d’arbres — comme je le disais, le nombre d’arbres qu’il faut planter avant de constater une réduction des émissions est énorme, et il faut trouver aussi des terres où les planter — aux solutions technologiques comme le captage du carbone.

J’insiste sur le fait que les solutions technologiques n’évoluent pas assez rapidement pour contrer les émissions additionnelles que nous envoyons dans l’atmosphère. Prenons l’usine Orca mise sur pied par Climeworks en Islande, dont les opérations ont commencé récemment. Il faudrait 30 000 usines dotées de technologies avancées comme Orca pour absorber les émissions que Terre-Neuve s’attend à générer au cours des 25 prochaines années. La construction à elle seule de ces usines coûte environ 10 millions de dollars. Les sommes sont astronomiques. Comme les solutions technologiques sont loin d’évoluer assez rapidement, nous devons envisager de réduire notre consommation. La seule avenue est de diminuer la quantité d’énergie que nous consommons.

Il y a indéniablement une progression. L’Europe a une bonne longueur d’avance sur nous dans la réduction de la consommation individuelle, mais nous déployons des efforts pour aller dans le même sens. Comme pour bien d’autres choses, nous pesons sur l’accélérateur pour ensuite faire marche arrière. Nous avions commencé récemment à essayer de contrôler la consommation d’énergie au moyen de mesures comme la tarification du carbone. Un vent de face nous a fait reculer. Si nous renonçons à contrôler la consommation, il faut nous tourner vers la production. Si nous abaissions le niveau élevé de production ou que nous arrêtions d’encourager l’augmentation de la production, la consommation diminuerait. Comme je le disais, je doute que ces mesures soient politiquement faisables au Canada, mais si nous n’en appliquons aucune, nous devrons composer avec les conséquences des changements climatiques. J’insiste sur le fait que nous nous approchons du point au-delà duquel nous ne pourrons plus anticiper avec certitude les effets des changements climatiques au pays ou dans le reste du monde. La fenêtre nécessaire pour prendre des mesures énergiques rétrécit à vue d’œil.

La présidente : Merci. Notre temps à nous aussi est écoulé. Au nom du comité, je vous remercie tous les deux d’être venus témoigner. La conversation a été passionnante. Tous les sénateurs vous sont reconnaissants. Vous nous avez permis d’approfondir nos connaissances en vue du rapport que nous aurons à produire. Nous allons entendre d’autres témoins, mais vos commentaires étaient très instructifs. Merci beaucoup.

Dans le deuxième groupe de témoins, nous accueillons M. Stephen Follett, président-directeur général, Enaimco. Nous recevons aussi M. Wade Locke, professeur d’économie à la retraite, de Terre-Neuve-et-Labrador si je ne m’abuse, qui témoigne à titre personnel.

Nous allons donner à chacun de vous l’occasion de présenter une déclaration liminaire de cinq minutes, puis nous passerons à la période des questions des sénateurs. Monsieur Follett, voulez‑vous commencer?

Stephen Follett, président-directeur général, Enaimco : Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous.

Compte tenu de leur expertise, de leurs diplômes et de leurs qualifications, certains autres témoins détiennent sans doute des preuves irréfutables que l’industrie du pétrole et du gaz extracôtiers est essentielle à l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador. Je suis d’avis que cette industrie demeure un catalyseur de croissance, de prospérité économique et de possibilités d’affaires. Tous se rappellent le rôle de sauveur qu’elle a joué après le moratoire sur la morue en créant directement et indirectement des possibilités pour une génération entière dans la province. Les actifs pétroliers et gaziers extracôtiers ont entraîné une croissance économique extraordinaire. Ils ont créé des emplois, généré des redevances et soutenu les entreprises. La province a atteint un niveau de prospérité inédit grâce à seulement quatre installations extracôtières.

Comme je ne viens pas du milieu universitaire, je n’ai pas l’intention de relayer ce discours. Je contribuerai mieux au débat en faisant part de ma perspective fondée sur mon expérience. Je suis un ingénieur mécanique et diplômé de l’Université Memorial. J’ai acquis une vaste expérience dans l’industrie de l’énergie au niveau international en mettant sur pied comme ingénieur et cadre supérieur des projets d’envergure dans le secteur pétrolier, gazier et hydroélectrique extracôtier au Canada, en Europe, en Australie et en Asie du Sud-Est. Parallèlement, j’ai fondé à Terre-Neuve-et-Labrador une entreprise de services logiciels pour l’industrie de l’énergie ainsi qu’une brasserie, une entreprise de café et un refuge nordique en milieu rural. Ces entreprises emploient des Terre-Neuviens et des Labradoriens de divers horizons dotés de divers types de compétences, ce qui aurait été impossible sans l’industrie du pétrole et du gaz extracôtiers.

Je suis fermement convaincu que les discussions sur l’industrie du pétrole et du gaz extracôtiers ne devraient pas se tenir en vase clos. Elles devraient faire partie d’une vision holistique de l’écosystème énergétique mondial et permettre à la province de saisir cette occasion extraordinaire de soutenir la demande en énergie à l’échelle nationale et internationale. Il faut mettre au point un plan de développement énergétique à long terme qui soit exhaustif, progressif, global et intergénérationnel. Ce plan doit se fonder sur une stratégie responsable, graduelle et dynamique qui englobe les projets pétroliers et gaziers actuels et qui permettra à la province d’investir dans le développement du secteur hydroélectrique, éolien, minier et dans d’autres secteurs énergétiques.

Il est urgent de prendre des mesures relatives au maintien en poste, au perfectionnement et à la transformation du bassin de main-d’œuvre qualifiée formé au cours des 30 dernières années. Les gens de Terre-Neuve-et-Labrador ont acquis des compétences en la matière de calibre mondial et ils ont remplacé les premiers travailleurs du secteur venus d’Écosse, de Norvège, des États-Unis et d’ailleurs. Aujourd’hui, ils sont considérés partout dans le monde comme les chefs de file de l’industrie de l’énergie extracôtière.

Je crains que l’inaction et une vision à court terme des avantages générationnels de l’industrie énergétique locale dans son ensemble menacent les développements futurs, comme le montrent les défis posés par les projets de Bay du Nord et de Churchill Falls. Les ressources pétrolières et gazières de la province sont sous-exploitées; comparativement à d’autres régions du monde, elle possède de vastes ressources pétrolières et gazières inexploitées. Elle dispose également d’une abondance de richesses d’hydroélectricité, d’énergie éolienne, de minéraux critiques et d’autres ressources énergétiques.

En résumé, je tiens à souligner que je ne suis pas nécessairement pour le pétrole; je suis plutôt pour l’énergie, pour la mise en valeur des ressources et pour Terre-Neuve-et-Labrador. Je tiens aussi à vous mettre en garde que si l’on omet d’adopter un plan énergétique global et proactif qui soutient et accélère la mise en valeur stratégique des vastes ressources énergétiques de la province, dont le pétrole et le gaz, l’économie provinciale risque d’en souffrir pendant de nombreuses années; elle risque même de ne jamais s’en remettre.

Merci.

La présidente : Merci, monsieur Follet. La parole est à M. Locke.

Wade Locke, professeur d’économie, à titre personnel : Si j’avais entendu la déclaration de M. Follett au préalable, j’aurais simplement appuyé presque tout ce qu’il a dit.

Je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser au comité. Je vous ai fourni une présentation PowerPoint à l’appui de mon témoignage; j’espère que les sénateurs la trouveront utile.

Je veux vous donner mon avis sur l’importance de l’industrie pour l’économie de la province. J’ai passé les 40 dernières années à analyser les enjeux économiques provinciaux liés à la dette, ainsi qu’aux ressources naturelles, au pétrole et au gaz. Je pense que j’ai joué un rôle dans tous les projets pétroliers et gaziers et dans la plupart des projets miniers de la province et de l’ensemble du pays.

Au lieu de présenter des perspectives idéologiques, je veux mettre en avant des faits dans le but de vous aider à comprendre l’importance de l’industrie pour l’économie et la population de Terre-Neuve-et-Labrador. Je n’ai pas suivi les travaux de votre comité; par conséquent, j’ignore ce qu’on vous a déjà dit et ce que vous n’avez pas encore entendu. Je vais donc commencer par des données fondamentales.

À l’heure actuelle, cinq champs sont exploités au moyen de quatre plateformes extracôtières. Deux utilisent ce qu’on appelle une structure gravitaire posée au fond de la mer; les deux autres sont des unités flottantes de production, de stockage et de déchargement, qui sont un type de navire. Ces champs sont situés dans des eaux relativement peu profondes par rapport aux prévisions relatives à Bay du Nord. Le champ Bay du Nord est plus éloigné et beaucoup plus profond. En moyenne, de 2017 à 2025, les 5 champs ont produit environ 85 millions de barils de pétrole par année. La production a diminué par rapport à la période de 2007 à 2016, mais elle a augmenté par rapport à la période de 1997 à 2006. Ces données se trouvent dans la présentation PowerPoint. Vous pourrez y jeter un coup d’œil à votre guise.

Sur le plan des réserves prouvées et probables — la seule chose dont je parlerai ici ce soir —, la récupération ultime estimée, ou RUE, s’élevait à 3,6 milliards de barils pour les 5 champs. La RUE est une estimation de la quantité de pétrole pouvant être produite au moyen des technologies actuelles, selon les données dont on dispose sur les champs. Elle peut changer à mesure que l’on fore et que l’on fait d’autres découvertes, mais en ce moment, elle se situe à 3,6 milliards de barils. À ce jour, 2,4 milliards de barils ont été produits. Cela signifie que deux tiers de la RUE ont déjà été consommés et qu’il en reste un tiers. Ce chiffre ne comprend pas des projets comme Bay du Nord parce qu’ils ne sont pas en exploitation. Je parle des cinq champs exploités.

Aux taux actuels de production — M. Follett a peut-être un avis là-dessus —, les champs existants pourraient continuer à produire pendant une période de 20 à 25 ans. Les champs Terra Nova et White Rose Ouest auront fini de produire bien avant la fin de cette période, ce qui signifie qu’il restera seulement deux champs en exploitation, à moins que d’autres projets soient mis en œuvre bientôt — d’où la grande importance du projet Bay du Nord pour l’économie de la province et pour toutes les raisons présentées par M. Follett.

À l’heure actuelle, un seul nouveau projet se rapproche de l’étape de la décision d’investissement finale : le projet Bay du Nord. À ce point-ci, aucun autre projet n’est aussi avancé. Le délai entre la découverte d’un gisement, la décision de l’exploiter et la production de pétrole est très long. Le processus prend beaucoup de temps.

Ce que vous ignorez peut-être, c’est qu’à ce jour, la production de pétrole extracôtier a généré des revenus s’élevant à 190 milliards de dollars — je répète : 190 milliards. Entre 1966 et 2024, 81 milliards de dollars ont été investis dans l’industrie du pétrole extracôtier. Les entreprises comme celle de M. Follett ont profité de ces 81 milliards de dollars. C’est un chiffre important.

Depuis 1997, le gouvernement a touché des revenus de 40 milliards de dollars. C’est à ce moment-là que les premiers barils de pétrole ont été produits. Ce chiffre représente 30 milliards de dollars en redevances, 2 milliards de dollars en impôts sur le revenu des sociétés et 8 milliards de dollars en paiements du gouvernement du Canada liés à divers accords atlantiques et à la participation aux bénéfices nets d’Hibernia. Le gouvernement provincial a donc engrangé des revenus de 40 milliards de dollars. Aujourd’hui, juste pour vous donner une idée, le budget de la province est d’environ 10 milliards de dollars.

Depuis la Confédération, le gouvernement a dégagé un excédent budgétaire à 10 occasions. À six occasions, l’excédent était attribuable au pétrole. Le pétrole a peut-être aussi joué un rôle les quatre autres fois, mais ces excédents étaient dus essentiellement aux transferts fédéraux. Depuis deux ans, nous recevons des paiements de péréquation, mais avant, nous n’en recevions plus depuis 2008-2009. C’est dû principalement au pétrole. La raison pour laquelle nous recevons à nouveau des paiements de péréquation, c’est qu’en 2020, les revenus du gouvernement générés par le pétrole ont chuté. La péréquation est fondée sur les répercussions sur cinq ans. Il faut cinq ans pour ressentir les répercussions d’une année à l’autre. Les deux premières années ne comptent pas, ensuite les trois années suivantes comptent de certaines façons. C’était aussi lié au pétrole.

En 1997, année de production des premiers barils de pétrole, le PIB par habitant de Terre-Neuve équivalait à 65 % du PIB canadien. En 2006, le PIB par habitant de Terre-Neuve a dépassé le PIB du Canada dans son ensemble; j’ajoute, à titre d’information, qu’il demeure supérieur aujourd’hui. La hausse du PIB par habitant de 1997 à 2006 a été la plus rapide de toutes les provinces dans l’histoire du Canada — pas dans l’histoire de Terre-Neuve, mais bien dans l’histoire du Canada. Aujourd’hui, les activités pétrolières représentent 16 % du PIB de la province. Ce pourcentage a déjà été plus élevé, mais il se situe à 16 % en ce moment. La part de l’industrie pétrolière et gazière dans le PIB est plus importante que celle des secteurs de la foresterie, de l’exploitation forestière, des pêches, de la transformation du poisson, des pâtes et papiers et de l’exploitation minière réunis. C’est une grande industrie, et elle est importante pour l’économie.

Je vais terminer par deux déclarations. D’abord, à l’heure actuelle, nous avons 11 billions de pieds cubes, ou Tpi3, de gaz naturel. Aucune part de ce gaz n’est transformée en gaz naturel liquéfié. On a considéré la possibilité de construire des pipelines pour le gaz naturel. On a réfléchi au gaz naturel comprimé et au gaz naturel liquéfié. Toutefois, compte tenu de l’initiative du gouvernement fédéral visant la croissance économique, il est probable qu’on amorce un virage vers le gaz naturel liquéfié à l’avenir.

Je tiens aussi à vous dire que le secteur pétrolier a indéniablement transformé l’économie de Terre-Neuve — c’est indubitable. Nous pouvons vous montrer toutes sortes de données qui vous aideront à comprendre ce fait.

Je vais m’arrêter là. Merci.

La présidente : Merci aux deux témoins. Nous passons à la période des questions.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Monsieur Follett, vous avez dit qu’il fallait un plan d’énergie proactif non seulement pour l’huile, mais un plan d’énergie intégré pour la province de Terre-Neuve-et-Labrador. J’aimerais vous entendre au sujet des commentaires qui ont été faits par les deux témoins précédents. Le professeur de l’Université Carleton, M. Ian Lee, disait qu’actuellement, si l’on augmentait la production d’huile ou de pétrole, les effets des gaz à effet de serre augmenteraient également, et que l’on ne peut pas se permettre d’en arriver à cela. Dans le plan que vous évoquez, est-ce que vous avez considéré les gaz à effet de serre qui seraient produits en raison de l’augmentation de la production de pétrole?

[Traduction]

M. Follett : Je vous remercie pour la question.

Le raisonnement que j’ai entendu de la part des témoins précédents était très binaire; c’était soit noir, soit blanc. Ce que j’essaie de dire, c’est que les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement de la planète occupent une place importante dans les discussions sur l’industrie pétrolière et gazière, ainsi que dans les décisions relatives aux investissements — comment, où, et quand investir. Toutefois, ce secteur fait toujours partie des discussions globales sur les ressources qu’il faut avoir à Terre-Neuve. Quant à moi, il ne s’agit pas de dire « oui » ou « non »; il s’agit plutôt de trouver la façon la plus responsable et la plus écologique possible de mettre en valeur une ressource, en tenant compte de l’ensemble des ressources énergétiques à notre disposition, dont les ressources hydroélectriques, ainsi que les métaux précieux. Quelle forme pourrait prendre un plan global? Ce que je dis, c’est qu’à mon avis, le pétrole et le gaz doivent toujours faire partie du plan énergétique de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Aucoin : J’ai une deuxième question pour vous. Il est quand même assez encourageant de constater, en entendant les derniers commentaires de nos témoins, que la production ou la demande en pétrole augmentera pour combler la demande en électricité. Également, on nous a dit que l’utilisation du pétrole destiné à nos automobiles, par exemple, allait subir une baisse importante en raison de l’électrification des véhicules, mais que la demande en pétrole augmentera quand même, puisqu’il existera encore une panoplie de besoins et de produits issus du pétrole.

Voulez-vous faire un commentaire à ce sujet, s’il vous plaît?

[Traduction]

M. Follett : Encore une fois, pour une raison quelconque, il arrive souvent que la combustion du pétrole soit le seul élément pris en considération dans les discussions sur la création de produits pétroliers. Comme vous l’avez souligné, l’industrie mondiale des produits pétroliers non destinés à la combustion est extrêmement importante, ce qui rend la ressource très précieuse. Comme tous le savent et comme le témoin du groupe précédent l’a mentionné, l’électricité sera un produit critique pour l’avenir. Cependant, il y a encore des endroits au Canada, au Labrador et à Terre-Neuve, des villes et des régions éloignées, où le diésel est utilisé comme combustible pour produire de l’électricité. Je ne crois aucunement que la production d’électricité à partir de la combustion de diésel ou de produits pétroliers est la voie à suivre. Ces installations doivent être remplacées. Il faut prendre les revenus générés par le pétrole et les investir dans des sources d’énergie renouvelable. Cela étant dit, ces ressources représentent toujours une partie importante de l’ensemble des ressources à notre disposition aujourd’hui, non seulement pour la combustion, mais aussi pour les produits dont la civilisation a besoin. Le pétrole et le gaz continuent à faire partie des ressources à prendre en considération pour l’avenir.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Dans votre plan global pour Terre-Neuve, est-ce que vous avez envisagé ou pensé qu’on pourrait, par exemple, développer une industrie qui utiliserait des hydrocarbures pour toutes sortes de produits raffinés?

[Traduction]

M. Follett : Les activités de raffinage à Terre-Neuve-et-Labrador sont limitées. Franchement, ce n’est pas le raffinage du pétrole qui offre des occasions de développement économique à Terre-Neuve; d’après moi, c’est plutôt la possibilité de réinvestir les revenus du pétrole dans d’autres technologies, comme l’hydroélectricité, l’énergie éolienne et les minéraux, ainsi que dans le secteur technologique de Terre-Neuve. Au bout du compte, nous devons réduire notre dépendance à l’industrie pétrolière. Je crois qu’il faut réinvestir les revenus du pétrole dans les énergies renouvelables, mais pendant un certain temps, le pétrole continuera à faire partie de l’ensemble des ressources à exploiter. Le traitement et le raffinage offrent des possibilités, mais il y a de nombreux secteurs dans lesquels la province pourrait investir ces revenus afin de stimuler le développement économique et de diversifier son économie.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour M. Locke. Je suis assez surprise et intéressée par les statistiques que vous nous avez données. Je vous remercie beaucoup de nous avoir fait des tableaux; c’est toujours intéressant pour les sénateurs.

Vous dites que les deux tiers du pétrole estimé sont déjà consommés et qu’il ne reste qu’un tiers des ressources dans les gisements que l’on connaît. Cela veut dire que l’industrie est arrivée à maturité, et même plus qu’à maturité. À partir de maintenant, cela va diminuer, j’imagine.

J’essaie de comprendre où s’insère Bay du Nord, car on ne semble pas encore avoir suffisamment confiance dans le fait qu’on va gagner de l’argent pour commencer à aller chercher du pétrole; c’est mauvais signe.

J’aimerais vous entendre sur le fait que, oui, le fait d’avoir ce pétrole a créé une grande richesse à Terre-Neuve, mais si je comprends bien, on en est à la fin de cette période glorieuse et on aura de moins en moins de pétrole — à moins qu’on trouve soudainement un gisement absolument extraordinaire.

Est-ce que je comprends bien qu’on est sur une pente descendante ou non?

[Traduction]

M. Locke : Madame la sénatrice, je parlais des cinq champs qui sont exploités actuellement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

M. Locke : Bay du Nord n’est pas en exploitation actuellement. Je ne sais pas sur quoi vous vous fondez pour affirmer que les gens hésitent à aller de l’avant avec Bay du Nord. Je pense que le projet avance. On se rapproche d’une décision d’investissement finale. Ce projet aura des effets réels. Il se peut qu’il y ait beaucoup plus de pétrole et de gaz naturel dans la zone extracôtière. Il y a 11 Tpi3 de gaz naturel. On peut en faire une industrie. Les champs Hibernia et Hebron produiront du pétrole jusqu’en 2050. C’est vrai que les deux autres projets de plus petite envergure, Terra Nova et White Rose, ainsi que North Amethyst, arrêteront de produire plus tôt.

Je suis optimiste. J’essaie de ne pas prendre part aux discussions idéologiques parce qu’elles ne font que des perdants. Je préfère parler des faits et de ma compréhension des faits. Si quelqu’un conteste les faits, soit, on peut les examiner. Toutefois, si vous voulez savoir ce que je pense de l’industrie extracôtière de Terre-Neuve, je crois qu’elle est importante, comme M. Follett l’a dit, et qu’elle demeurera importante. J’espère que nous ne manquerons pas notre coup, comme nous avons tendance à le faire avec les grands projets.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. J’avais interprété ces chiffres en pensant qu’on avait vu le meilleur de l’industrie, si on a déjà récolté deux tiers des quantités et qu’il reste un tiers. Évidemment, si Bay du Nord se met de la partie, cela va changer la donne.

Face à tout cela, est-ce que vous vous intéressez beaucoup aux finances de Terre-Neuve? La demande mondiale va quand même diminuer. Est-ce que vous pensez qu’à un moment donné, cela aura un impact sur les finances de la province qui, en ce moment, profite beaucoup de cette industrie du pétrole?

[Traduction]

M. Locke : Les répercussions seront négatives, dans le sens qu’il faudra diversifier l’économie, chercher de nouvelles façons d’exploiter les avantages et se servir des revenus annuels importants que touche actuellement le gouvernement provincial. La province peut utiliser ces revenus pour financer la diversification de ses activités, par exemple des projets dans les secteurs de l’éducation et de la technologie. Tout cela est possible grâce aux revenus disponibles en ce moment. Aujourd’hui, la dette de Terre-Neuve s’élève à 20 milliards de dollars. Sa capacité d’emprunter diminue, d’où l’importance de l’industrie pétrolière et gazière.

La sénatrice Miville-Dechêne : La province diversifie-t-elle ses activités? Vous dites qu’elle devrait se diversifier. Vous êtes économiste et vous la surveillez de près. Fait-elle ce qu’il faut pour diversifier son économie?

M. Locke : Oui. Comme je l’ai expliqué au début de ma déclaration, le secteur pétrolier et gazier représente 16 % du PIB. Dans le passé, ce pourcentage était plus élevé; il se situait autour de 30 %. La part du secteur pétrolier et gazier dans l’ensemble de l’économie diminue, mais elle demeure importante. La diversification va se poursuivre. Quand le protocole d’entente avec le Québec sera signé, le secteur de l’électricité prendra de l’expansion et il deviendra beaucoup plus important pour la province ainsi que pour le Québec. Nous avons aussi beaucoup de minéraux. Je le répète, la province doit adopter une approche qui lui permettra de tirer pleinement parti des ressources de manière équilibrée. Les mesures extrêmes ne paient pas. Il faut essayer de prendre des mesures équilibrées, tout en reconnaissant que les émissions de gaz à effet de serre augmenteront. Je le répète, il faut que la discussion repose davantage sur la logique que sur l’idéologie.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends ce que vous dites. Merci beaucoup pour l’explication.

Le sénateur Lewis : M. Follett souhaite-t-il intervenir? Sa main est levée. Je vais lui donner la parole avant de poser d’autres questions.

La présidente : Bien vu, merci beaucoup. Monsieur Follett, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Follett : Merci infiniment, c’est apprécié.

Je souhaiterais faire une remarque concernant la question de la sénatrice. Bien qu’il n’y ait actuellement que quatre projets extracôtiers à Terre-Neuve, seulement 7 % des zones extracôtières de Terre-Neuve sont actuellement sous licence. J’ai beaucoup hésité à mentionner ces chiffres, sachant que M. Locke serait présent et qu’il est économiste, mais je sais que l’exploitation n’est permise que dans 7 % du territoire des zones extracôtières. En réalité, il reste d’énormes ressources à découvrir. Cela représente un formidable potentiel pour l’avenir de la province, si nous décidions d’investir là-dedans.

Ensuite, en ce qui concerne Bay du Nord, il ne s’agit pas de savoir si le projet est rentable. C’est un projet extrêmement rentable, mais il présente des défis techniques. Il se situe dans un environnement et une région du monde très arides, et il fait partie du portefeuille mondial d’Equinor. Ainsi ce n’est pas nécessairement une question de rentabilité, même si c’est évidemment un facteur important, mais il y a des considérations politiques en jeu. Je pense que les retombées locales constituent un point de friction important pour Equinor Norvège. Bay du Nord sera un projet extrêmement rentable, non seulement pour Equinor, mais pour toutes les entreprises de Terre-Neuve.

Je tenais simplement à apporter cette précision, si cela peut aider.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends ce que vous dites au sujet des 7 %. Le fait qu’aucun projet ne soit achevé actuellement et qu’aucun nouveau projet ne soit lancé ne témoigne-t-il pas du fait que le pétrole présent à cet endroit est plus difficile à extraire ou qu’il n’y a pas de marché pour le faire? Qu’est-ce que cela nous indique?

M. Follett : C’est un très bon point, dans la mesure où on ne trouvera du pétrole que si les compagnies pétrolières forent, explorent et prennent des risques. On pourrait être porté à croire que comme les compagnies pétrolières peuvent extraire du pétrole plus vite et à moindre coût dans des régions moins développées, comme la Guyane ou l’Afrique, elles préfèreraient ne pas prendre le risque de forer au Canada. En Guyane, elles peuvent passer de la découverte à la première extraction en trois à cinq ans. Je suppose que cela prendrait 20 ans au Canada. Il y a évidemment des avantages et des inconvénients importants dans les deux cas, mais vous avez raison, c’est un élément à prendre en considération.

Pour répondre à M. Locke, le seul projet qui soit le plus près d’aboutir actuellement est celui de Bay du Nord; il n’y en a aucun qui soit plus avancé pour le moment.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup.

Le sénateur Lewis : Monsieur Locke, vous avez évoqué les revenus que le secteur pétrolier pourrait rapporter à Terre-Neuve. Vous avez parlé d’années d’excédents et d’une dette de 20 milliards de dollars. Si le projet de Bay du Nord se concrétisait, a-t-on analysé combien... nous pourrions dégager des excédents qui pourraient servir à rembourser la dette. A-t-on envisagé la création d’un fonds de prévoyance, un fonds pour l’avenir comme celui dont dispose la Norvège, qui s’élève à des centaines de milliards de dollars grâce à l’essor de son industrie? Avez‑vous effectué cette analyse pour Terre-Neuve?

M. Locke : Permettez-moi de réfléchir à la meilleure façon de répondre à cette question.

Le gouvernement provincial dispose d’un fonds de prévoyance dans lequel une partie des redevances provenant des activités extracôtières est versée, donc il y a ça.

En ce qui concerne les retombées de Bay du Nord sur l’économie provinciale ou le trésor provincial, tout dépend de ce dont on parle lorsqu’on évoque Bay du Nord. Bay du Nord pourrait englober plusieurs champs. Tout dépend de ce que l’entreprise annoncera publiquement et des champs qui seront exploités. Le projet a été retardé pendant un certain temps, cela ne fait aucun doute. D’après ce que je comprends, il est à nouveau en pleine effervescence à l’heure actuelle.

Le sénateur Lewis : Monsieur Follett, selon votre expérience au sein de l’industrie, à mesure qu’on commencera à exploiter les champs actuels, la quantité de pétrole récupérable a-t-elle augmenté par rapport à ce qui était initialement prévu, et pourra‑t‑on extraire davantage de pétrole grâce à l’avancement des technologies?

M. Follett : Oui. L’exemple d’Hibernia ne s’explique pas uniquement par l’amélioration de la technologie. Comme vous le savez probablement, le projet Hibernia avait initialement été approuvé pour 500 millions de barils de pétrole et aurait dû s’achever il y a une dizaine d’années. Il a déjà permis de produire 1,3 milliard de barils et a été prolongé jusqu’en 2043. L’estimation du réservoir ne relève pas d’une science exacte.

Je constate une profonde transformation. Le monde entier évolue en matière de technologie pétrolière et gazière. Tous se tournent vers les logiciels. Ils utilisent la technologie pour augmenter la production, réduire les émissions et renforcer la sécurité. Les logiciels, qui constituent mon domaine d’activité actuel, sont développés en quelques semaines ou quelques mois. Ils transforment la façon dont les entreprises travaillent. Je pense que la réponse générale est que oui, on utilise constamment la technologie pour augmenter les réserves, la technologie évolue dans tous les aspects de leurs activités.

Le sénateur Lewis : Viennent-elles en grande partie de Terre-Neuve? Est-ce que beaucoup des nouvelles recherches et des avancées proviennent de Terre-Neuve? Vous avez mentionné que Terre-Neuve est considérée comme un chef de file mondial dans ce domaine technologique.

M. Follett : Je dirais que pour les technologies numériques et les logiciels, non. Il y a une entreprise de logiciels dont je déploie les produits en Australie, en Malaisie, en Guinée équatoriale et au Congo, mais c’est surtout pour soutenir l’industrie technologique locale. Leur domaine est pratiquement inconnu. Je n’ai pris une équipe de Terre-Neuve que parce que je pensais que c’était là que se trouvaient les meilleurs spécialistes de l’énergie extracôtière. Je dirais que la plupart des technologies utilisées dans l’industrie mondiale de l’exploitation extracôtière proviennent de Norvège, d’Écosse ou de Houston. Il n’y a que les ressources humaines d’ici qui sont à l’avant-garde de l’industrie partout dans le monde. Je pense qu’il y a beaucoup d’incertitude quant à leur intention de rester ici. Tout dépendra des emplois qu’on peut leur offrir dans le secteur pétrolier et gazier ou dans d’autres industries.

Je voudrais faire une dernière observation. On parle surtout de Bay du Nord ici, aujourd’hui, mais les projets de Churchill Falls sont également un formidable catalyseur pour la province. La construction de Bay du Nord coûtera entre 15 et 20 milliards de dollars. Il y a aussi des projets d’une valeur de 15 à 25 milliards de dollars qui sont sur le point d’être lancés au Labrador. La main-d’œuvre qui soutiendra l’un soutiendra l’autre, ce qui assurera une certaine continuité pour la main-d’œuvre, comme il y a eu le projet de Lower Churchill. C’est un élément important de l’équation énergétique pour une petite région qui dispose actuellement d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, mais peu nombreuse.

Le sénateur Lewis : Merci.

[Français]

La sénatrice Youance : Monsieur Locke, j’aimerais revenir sur les risques pour Terre-Neuve-et-Labrador et pour le Canada en ce qui a trait à une forte dépendance aux revenus pétroliers extracôtiers. Dans votre présentation, vous dites que malgré la diminution des revenus, les dépenses continuent d’évoluer. Est‑ce que tout cela est porteur à long terme? Est-ce qu’il y a un seuil au-delà duquel le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador ne pourra pas continuer de subvenir aux besoins ou de soutenir les dépenses, et ce, du point de vue de la fluctuation des marchés mondiaux, par rapport à la demande?

Y a-t-il un seuil qui fera en sorte que la province ne pourra plus soutenir ces dépenses, compte tenu des différents éléments et de la fluctuation du marché mondial?

[Traduction]

M. Locke : Je suis extrêmement surpris qu’ils puissent dépenser autant. Le graphique auquel vous faites référence est un graphique que j’ai créé pour aider les gens à comprendre que les dépenses se sont mises à augmenter rapidement lorsque nos revenus ont augmenté, mais que lorsque nos revenus ont diminué, nos dépenses n’ont pas diminué pour autant. Nous avons emprunté davantage.

Il s’agit d’une décision politique, et tout dépend de la question de savoir si les politiciens ont appris à investir judicieusement, comme l’a souligné M. Follett. À Terre-Neuve, la situation est intéressante, car il y a 40 députés, dont la moitié sont en dehors des grands centres urbains. Quand on réduit les dépenses, cela touche surtout les gens des petites régions. Si on veut être réélu, ce n’est probablement pas une bonne stratégie. Et les politiciens sont bons dans la mesure où ils font ce que les gens veulent.

Non, je ne pense pas que nous soyons dans une situation insoutenable, mais je rappelle qu’il y a des revenus potentiels qui devraient provenir du protocole d’entente avec le Québec et du projet Bay du Nord, ainsi que des cinq champs qui sont déjà exploités. Ces revenus pourraient être utilisés de manière plus productive, mais, encore une fois, nous avons de nombreux problèmes avec la dette provinciale. Je ne me suis pas préparé pour parler de la dette provinciale avec vous aujourd’hui. Non, je ne pense pas qu’il y ait de limite si on s’expose à des revenus trop grands qui les inciteraient à dépenser beaucoup plus. Non, je ne le pense pas.

[Français]

La sénatrice Youance : Il y a un deuxième volet à ma question, et M. Follett pourrait y répondre.

Est-ce que les investissements actuels — et on n’inclut pas encore Bay du Nord — dans l’exploration et la production sont suffisants pour maintenir la compétitivité face aux autres administrations? Vous avez parlé de la production en Guyane et dans d’autres pays. Est-ce que ces investissements sont suffisants — j’ajoute une couche de plus —, compte tenu des engagements du Canada envers la carboneutralité?

Vous avez parlé de fluctuation des ressources humaines. Est‑ce que ces contextes qui fluctuent amènent un risque ou un enjeu supplémentaire par rapport à la durabilité des investissements qui se font actuellement?

[Traduction]

M. Follett : Pouvez-vous préciser de quels investissements vous parlez dans votre question? Pensez-vous aux investissements...

[Français]

La sénatrice Youance : Je parlais des projets actuels, en fait, des projets d’exploitation.

[Traduction]

M. Follett : Très bien, donc les investissements dans les projets existants ou potentiellement dans Bay du Nord, sommes‑nous toujours en mesure d’être concurrentiels par rapport à d’autres régions du monde, compte tenu du changement climatique et de tous les autres facteurs qui s’appliquent à Terre-Neuve et au Canada? Est-ce là votre question en général?

La sénatrice Youance : Oui.

M. Follett : Il est très difficile pour nous de rester concurrentiels dans ce domaine parce que, comme je l’ai dit, il y a d’autres régions du monde où l’on peut extraire des ressources rapidement et à moindre coût, mais il y a aussi des difficultés là‑bas, comme la corruption et le manque de main-d’œuvre. Il y a souvent aussi des difficultés politiques.

Nous avons toujours un marché très fort pour tout le pétrole extrait des plateformes existantes. Le projet de Bay du Nord lui‑même représenterait un investissement considérable qu’Equinor compare à ceux dans des projets dans la mer du Nord ou au Brésil, comme Equinor prendra sa décision dans un contexte mondial. Donc oui, nous sommes en concurrence avec d’autres projets, contre les autres provinces et contre le reste du monde. Les profits, l’environnement et la réglementation sont tous des facteurs qui entrent en ligne de compte. Je pense que nous sommes très compétitifs. Comme l’a dit M. Locke, selon les derniers commentaires d’Equinor, l’entreprise va investir dans Bay du Nord, elle va aller de l’avant et réaliser ce projet, et cette décision montre que nous sommes extrêmement concurrentiels. Je pense que cela tient également à la demande mondiale en général. Cela répond-il à votre question?

[Français]

La sénatrice Youance : Oui, très bien, merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : J’aimerais creuser un peu ce que vous avez dit au sujet de la situation mondiale par rapport à ce qui se passe à Terre-Neuve, des avantages liés à l’exportation du pétrole, puis de l’idée générale des avantages de la production pétrolière pour la société. Vous avez évoqué les fonds de prévoyance, si je ne me trompe pas, ou d’autres choses. Est-ce une obligation provinciale, ou est-ce que cela l’a déjà été? Voyez-vous comment on pourrait faire les choses différemment afin que toute augmentation de la production, par exemple, contribue directement au développement d’autres modes de production d’électricité, ou apporte d’autres avantages sociaux? Je demanderais à chacun d’entre vous de s’exprimer brièvement là‑dessus.

M. Follett : À Terre-Neuve, le thème central est toujours l’emploi. Les avantages et l’obligation pour ces entreprises de fournir des emplois dans le secteur de la construction à court terme sont toujours le moteur politique de courte vue dans la discussion sur les projets pétroliers, mais le véritable avantage réside dans les redevances. Elles sont souvent éclipsées sur le plan politique par les questions relatives à l’emploi, mais ces redevances — et M. Locke pourra vous donner tous les détails et les chiffres qui figurent sûrement déjà dans sa présentation — pour une province de 500 000 habitants, une population équivalente à celle d’une petite municipalité, avec un territoire immense à entretenir, ces redevances changeraient la vie des habitants de toute la province pendant des décennies. Ces redevances seraient tellement importantes pour une population aussi petite qu’elles pourraient être investies dans des entreprises hydroélectriques, minières, technologiques et logicielles comme la mienne.

J’ai travaillé chez Nalcor pendant un certain temps, et nous évaluions des câbles sous-marins pour acheminer l’électricité jusqu’à Boston. J’ai participé à des études sur des pipelines qui partiraient de la région d’Avalon pour acheminer du gaz afin d’alimenter la province en électricité. Il y a tellement de possibilités. Nous nous intéressions au gaz naturel comprimé. Il y a aussi le potentiel de l’éolien pour produire de l’hydrogène. Pour moi, ce sont les redevances que nous pourrions percevoir grâce à des projets comme Bay du Nord qui ouvrent la voie à d’autres de ces investissements. Nous pourrions les réinvestir dans ces autres projets énergétiques. Nous avons énormément de ressources dans tous ces domaines, je considère donc cela comme un point tournant pour la province. Bay du Nord, en particulier, pourrait et devrait, je l’espère, paver la voie à bon nombre d’autres projets de ce type à long terme.

La présidente : Est-il arrivé dans l’histoire récente que des redevances soient investies, comme vous l’avez mentionné, dans d’autres projets destinés à profiter à Terre-Neuve et aux Terre-Neuviens?

M. Follett : Je vais laisser M. Locke répondre à cette question, mais je pense que la réponse serait « pas autant qu’on aurait dû ». Je pense que dans l’histoire de Terre-Neuve, il est manifeste que nous n’avons pas su tirer parti de ce type de ressources pour diversifier notre économie. Je crois que M. Locke a mentionné que cela représentait 15 % du PIB. Cela signifie que quatre projets extracôtiers génèrent 15 % des revenus de toute une province. Cela constitue un risque considérable pour notre économie.

M. Locke : En ce qui concerne votre question sur le fonds de prévoyance, nous venons de changer de gouvernement. Le gouvernement précédent avait inscrit dans la loi qu’une partie des redevances serait versée au fonds de prévoyance. Je suppose que c’est une façon de freiner son envie de dépenser.

Lorsque le pétrole et le gaz ont atteint leur apogée — vous pouvez voir des pics importants dans les graphiques ici —, le gouvernement a baissé les impôts pour tout le monde. Il a augmenté les salaires des fonctionnaires et des universitaires et investi dans les infrastructures, notamment dans des bâtiments comme le nouveau bâtiment du campus de Corner Brook. De nombreux autres bâtiments ont également été construits. Pour répondre à votre question de savoir si les Terre-Neuviens ordinaires ont bénéficié de ces mesures, la réponse est oui.

Je tiens également à souligner que les salaires ont considérablement augmenté pendant cette période. Nous sommes passés d’un niveau bien inférieur à la moyenne canadienne à des salaires égaux ou supérieurs à la moyenne canadienne. L’effet sur le PIB a été considérable. Le PIB se traduit par toutes sortes d’autres taxes également. Depuis la mise en place de la péréquation en 1954, nous avons reçu chaque année des paiements de péréquation, et ils étaient toujours parmi les plus élevés par habitant, à Terre-Neuve, ainsi qu’à l’Île-du-Prince-Édouard. En 2008-2009, nous avons cessé de recevoir des paiements de péréquation, à cause du pétrole et du gaz. Cela a également profité au reste du Canada.

La présidente : Le gouvernement a donc manifestement transformé intentionnellement ces redevances en avantages pour la province au cours de cette période?

M. Locke : Intentionnellement ou non, c’est ce qu’il a fait.

La présidente : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il y a un aspect qui pique ma curiosité, monsieur Follett. Vous êtes le directeur ou le fondateur de la société Enaimco. Que fait cette société? Je lis « solutions logicielles ». Travaillez-vous dans le domaine du climat? De quoi s’agit-il exactement? De quoi parlons-nous ici?

M. Follett : Je vais répondre très brièvement, car cela n’a probablement pas grand-chose à voir avec la discussion qui nous occupe. J’ai consacré toute ma carrière à l’installation d’infrastructures sous-marines. Cela coûte très cher et génère beaucoup d’émissions de carbone, car il faut envoyer des bateaux à grands frais faire des allers-retours pour desservir les installations pétrolières en mer. Nous avons mis au point un logiciel qui permet de faire ce qu’on appelle du jumelage numérique. Concrètement, on reproduit sur ordinateur ce qui se trouve en mer, ce qui permet de réduire la fréquence des déplacements de personnel ou de bateaux vers les installations. C’est un objectif important d’Equinor. Certaines installations extracôtières accueillent actuellement 250 personnes. Equinor souhaite réduire ce nombre à 50 pour plusieurs raisons, notamment pour diminuer le nombre d’hélicoptères, la dépendance aux bateaux et les émissions de gaz à effet de serre.

Oui, cela a permis de diversifier l’expérience que j’ai acquise à Terre-Neuve et que j’ai ensuite mise à profit en Extrême-Orient et en Australie. J’ai constaté que ce secteur avait besoin d’un logiciel permettant non seulement de réduire les coûts afin de rendre les projets plus viables, mais aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est l’une des applications de nos produits. Des logiciels de ce type sont conçus partout dans le monde pour diverses utilisations, mais dans le même but.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci d’avoir satisfait à ma curiosité.

La présidente : Avez-vous de dernières questions brèves à poser à nos témoins? Non?

Ce fut très intéressant. Je vous remercie tous les deux de ce temps passé avec nous, virtuellement et en personne. Nous espérons vous revoir un moment donné.

M. Follett : Merci de nous en avoir donné l’occasion.

La présidente : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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