Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 24 septembre 2025

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

Le sénateur David M. Arnot (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir, honorables sénateurs. Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je m’appelle David Arnot, je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, également de la Saskatchewan, patrie des Roughriders, qui ont 10 victoires et 3 défaites cette année.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Paul Prosper, du territoire Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Boyer : Sénatrice Yvonne Boyer, en remplacement du sénateur Dhillon.

Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, de l’Alberta et du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta et du territoire visé par le Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué des Algonquins anishinabes.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le président : Avant de commencer, j’invite les membres et les autres participants présents en personne à consulter les fiches déposées sur la table pour prendre connaissance des consignes sur la prévention des incidents acoustiques.

Assurez-vous de tenir votre écouteur éloigné de tous les microphones en tout temps. Ne touchez pas le microphone; il sera activé et désactivé par le pupitreur. Évitez de manipuler votre écouteur lorsque votre microphone est activé. Vous pouvez le garder à l’oreille ou le placer sur l’autocollant prévu à cet effet. Merci de votre coopération.

Honorables sénateurs, nous commençons aujourd’hui l’étude du projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation). Comme première témoin, nous avons le plaisir d’accueillir la marraine du projet de loi, la sénatrice Yvonne Boyer. Je tiens à mentionner que nos chemins se sont croisés en Saskatchewan il y a de nombreuses années. Je sais que la sénatrice Boyer s’est faite championne de ce dossier. Elle s’y consacre avec diligence depuis 2017. Son histoire est fascinante. Cette femme métisse est infirmière, chercheuse et avocate. J’estime que c’est un privilège pour le Sénat de pouvoir tirer profit de son expertise, de son expérience et de son leadership sur ces enjeux.

Sénatrice Boyer, vous disposez d’environ sept minutes pour nous présenter votre déclaration liminaire. Nous passerons ensuite aux questions.

L’hon. Yvonne Boyer, marraine du projet de loi, Sénat du Canada : Merci, sénateur Arnot, et merci à vous tous de me donner l’occasion d’être ici aujourd’hui. Je remercie également les survivantes.

Honorables sénateurs, je voudrais tout d’abord souligner que nous sommes réunis sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin anishinabe. Je le remercie d’assurer la garde de ce territoire.

Je suis ici pour parler du projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation). Le projet de loi S-228 criminalise le fait de forcer ou de contraindre une personne à se faire stériliser sans son consentement.

Le projet de loi S-228 est identique au projet de loi S-250 tel qu’il a été amendé et tel qu’il était rédigé au moment de son adoption en troisième lecture au Sénat en octobre 2024. La version du projet de loi que vous avez en main est le fruit d’une étude minutieuse et approfondie menée par ce comité.

Au cours de la législature précédente, après avoir entendu mes collègues du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, les experts du ministère, des survivantes, des associations médicales, des sages-femmes autochtones et des juristes, il est devenu évident que la portée générale de la version originale du projet de loi S-250 et le risque de conséquences non voulues préoccupaient les sénateurs comme les témoins.

J’ai pris note de leurs préoccupations et j’ai consulté le ministre de la Justice ainsi que les gens du ministère pour rédiger un amendement qui simplifie considérablement le projet de loi tout en conservant son objectif principal, à savoir la mention explicite dans le Code criminel que la stérilisation d’une personne sans son consentement constitue un acte de voies de fait graves pour l’application du paragraphe 268(1).

L’amendement a été adopté à l’unanimité par ce comité le 19 septembre 2024.

L’amendement fait passer le projet de loi de 55 à 14 lignes, il le simplifie et il élimine tout risque de conséquences non voulues. Le projet de loi vise les cas comme ceux impliquant le Dr Kotaska, qui a déclaré en opérant une femme inuite de 37 ans : « Voyons si je peux trouver une raison de retirer l’autre trompe. » C’est ce qu’il a fait, et sa décision arbitraire a rendu cette femme stérile.

C’est le genre de circonstances et d’abus de pouvoir visés par le projet de loi. Il ne vise pas les complications médicales causées par inadvertance, les risques chirurgicaux reconnus, ni les interventions sollicitées de plein gré par les patients. Son seul objectif est de garantir que les stérilisations intentionnelles effectuées sans consentement valide seront explicitement considérées comme criminelles.

Le texte du projet de loi S-228 est identique à celui du projet de loi S-250 d’octobre 2024. Je le présente à nouveau à cette 45e législature.

Le mécanisme législatif est précis. Le paragraphe 268(1) du Code criminel définit déjà les voies de fait graves comme étant le fait de blesser, de mutiler, de défigurer ou de mettre en danger la vie du plaignant. Le projet de loi S-228 ajoute une disposition de précision qui vise à l’intégrer explicitement aux dispositions sur les voies de fait graves de l’article 268 du Code criminel. Dans les textes juridiques, l’expression « il est entendu que » vise à clarifier et à souligner des points précis afin de réduire les risques d’ambiguïté ou de confusion quant à l’application de l’interprétation d’une loi.

Le paragraphe 268(1) du Code criminel, que le projet de loi S-228 vise à modifier, établit l’infraction de voies de fait graves. Cette infraction comprend les actes entraînant une blessure, une mutilation, une défiguration ou mettant la vie en danger. Le projet de loi S-228 ajoute une nouvelle disposition précisant qu’il est entendu qu’un acte de stérilisation constitue une blessure ou une mutilation au sens de l’infraction de voies de fait graves. Le projet de loi définit également un acte de stérilisation comme étant toute intervention qui empêche de façon permanente la procréation, que l’acte soit réversible ou non.

Le projet de loi S-228 ne crée pas de nouveau régime de consentement. Plutôt, en liant expressément les actes de stérilisation aux voies de fait graves pour l’application de l’article 268, il garantit l’application des règles de consentement déjà prévues au paragraphe 265(3). Selon ces règles, le consentement n’est pas valide s’il est obtenu par la force, la menace, la fraude, la contrainte ou l’exercice de l’autorité. En d’autres termes, le projet de loi confirme que les actes de stérilisation sans consentement libre et éclairé constituent des voies de fait grave et que toutes les garanties générales en matière de consentement déjà prévues au Code criminel s’appliquent à ces cas.

Le projet de loi S-228 confirme l’application de ce régime bien établi en matière de consentement dans le contexte particulier de la stérilisation étant donné ses conséquences irréversibles.

Plus important encore, le projet de loi établit explicitement que les fournisseurs de soins médicaux qui stérilisent une personne lors d’une opération chirurgicale d’urgence sont protégés par l’article 45.

L’article 45 dit :

Toute personne est à l’abri de responsabilité pénale lorsqu’elle pratique sur une autre, pour le bien de cette dernière, une opération chirurgicale si, à la fois :

a) l’opération est pratiquée avec des soins et une habileté raisonnables;

b) il est raisonnable de pratiquer l’opération, étant donné l’état de santé de la personne au moment de l’opération et toutes les autres circonstances de l’espèce.

L’autonomie en matière de procréation est également préservée. Les personnes qui sollicitent de leur plein gré une stérilisation ou des soins d’affirmation de genre ne sont aucunement visées. Le projet de loi vise uniquement les personnes qui infligent des mauvais traitements et pratiquent des stérilisations sans consentement ou par suite d’un consentement obtenu sous la contrainte.

Chers collègues, l’étude menée par le comité a démontré pourquoi cette clarification est nécessaire. Malgré les dispositions sur les voies de fait de l’article 268, aucun acte de stérilisation forcée n’a fait l’objet de poursuites à ce jour. Les survivantes vous ont dit — souvent au prix de grands sacrifices personnels — que l’absence d’une interdiction explicite a favorisé l’impunité. C’est également la conclusion à laquelle sont parvenus divers organismes nationaux et internationaux, dont le Comité sénatorial permanent des droits de la personne dans son rapport intitulé Les cicatrices que nous portons : La stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada - Partie II. La première recommandation du rapport est « qu’un projet de loi soit déposé afin d’ajouter une infraction relative à la stérilisation forcée et contrainte dans le Code criminel ».

Ce projet de loi vous est présenté parce qu’après plus de sept ans d’études et de témoignages, le problème n’a pas disparu. Des survivantes telles que Nicole Rabbit et bien d’autres ont déclaré devant ce comité que la stérilisation forcée et contrainte continue d’être pratiquée et qu’il est urgent d’agir. Leurs appels collectifs ont conduit au dépôt du projet de loi S-250. Le projet de loi S-228 poursuit ce travail. Les témoignages ont été consignés au compte rendu. Le texte a été affiné grâce avec l’aide du ministère de la Justice. Le Sénat a déjà approuvé le projet de loi à l’unanimité.

Il nous appartient maintenant de terminer ce que nous avons commencé. Les survivantes ont attendu suffisamment longtemps. Chaque jour sans ce projet de loi expose une personne de plus à une violation de son autonomie en matière de procréation.

Mon objectif, et je sais que nous le partageons tous, est de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que jamais plus une personne ne soit stérilisée contre son gré au Canada. C’est l’intention de ce projet de loi depuis le début. Je suis convaincue qu’il trace clairement la voie à suivre pour mettre fin à cette pratique horrible.

En faisant rapport rapidement du projet de loi S-228 sans proposition d’amendement, le comité fera honneur à la voix des survivantes, il témoignera son respect à l’égard du travail accompli et il assurera l’interdiction explicite de cette pratique odieuse en droit pénal canadien.

À tous mes amis, meegwetch. Merci.

Le président : Merci, sénatrice Boyer. Nous passons maintenant à la période des questions, en commençant par notre vice-présidente.

La sénatrice Batters : Merci d’être avec nous, sénatrice Boyer, et d’avoir précisé dans votre déclaration liminaire que ce projet de loi est exactement le même que celui que le comité a étudié la dernière fois, et qu’il intègre donc les amendements que vous avez évoqués. C’est utile de savoir de quoi nous parlons au juste. Merci.

Vous avez mentionné le soutien que vous ont apporté l’ancien ministre de la Justice, son cabinet et les gens de son ministère relativement à ce projet de loi. Ils vous ont aidée à y apporter les amendements importants qui ont abouti au projet de loi actuel, qui a été considérablement allégé. Avez-vous eu des discussions avec l’actuel ministre de la Justice, Sean Fraser? Avez-vous pu déterminer si l’actuel gouvernement fédéral appuie ce projet de loi et, le cas échéant, ce qu’il prévoit de faire pour favoriser son adoption?

La sénatrice Boyer : Mon bureau a contacté le cabinet du ministre Fraser à ce sujet, mais il n’y a pas vraiment eu de suivi, si ce n’est d’aller de l’avant et que tout était beau. Aucun amendement n’a été proposé. On ne nous a rien dit d’autre, mais nous avons bel et bien eu des discussions.

La sénatrice Batters : Donc, quelqu’un au cabinet du ministre vous a dit d’aller de l’avant, mais rien d’autre concernant une éventuelle intention de le faire adopter rapidement à la Chambre des communes puisque, bien sûr, il est mort au Feuilleton... Nous l’avons adopté au comité, puis il a été adopté par le Sénat, mais il est mort au Feuilleton après la prorogation du gouvernement et la dissolution du Parlement.

La sénatrice Boyer : Je crois qu’à ce moment, il avait l’appui de tous les partis et que c’est toujours le cas.

La sénatrice Batters : Tout à l’heure, vous avez évoqué le cas du Dr Andrew Kotaska, en disant que le projet de loi aurait pu avoir un effet dissuasif et peut-être empêcher un tel acte. Pourriez-vous nous expliquer comment, sur le plan juridique, le projet de loi S-228 aurait pu changer l’issue de cette affaire, c’est-à-dire la décision de la Gendarmerie royale du Canada de ne pas porter d’accusations malgré les dispositions pertinentes déjà prévues au Code criminel?

La sénatrice Boyer : Merci pour cette question. Le Cercle des survivantes pour la justice reproductive existe depuis janvier 2023. J’ai fondé le Cercle avec une autre avocate afin de permettre aux survivantes de s’exprimer d’une seule voix.

L’organisme est maintenant très solide. Nous avons discuté de ce projet de loi et du genre de plans de mise en œuvre et d’éducation qui devront être mis en place après son adoption. Son entrée en vigueur au Canada et sa mise en œuvre en concertation avec les survivantes empêcheront certainement que des cas comme celui du Dr Kotaska ne se reproduisent.

À mon avis, il y aura un effet dissuasif parce qu’il obligera à y réfléchir à deux fois. Après avoir déclaré qu’il allait chercher une raison d’enlever l’autre trompe, il se serait peut-être souvenu du Code criminel et des répercussions possibles d’un tel acte. Je pense que le facteur dissuasif sera un élément déterminant de ce projet de loi après son entrée en vigueur.

La sénatrice Batters : Étant donné que les sanctions déjà prévues pour les voies de fait graves sont sévères, qu’est-ce qui inciterait un médecin à réfléchir à deux fois si votre projet de loi S-228 et ces dispositions étaient adoptés, par rapport au régime actuel en matière de voies de fait graves?

La sénatrice Boyer : Parce que l’acte est explicitement qualifié de voies de fait graves. Le projet de loi inscrit la stérilisation sans consentement dans le Code criminel. Il le qualifie explicitement, ce qui aura un effet dissuasif. Ce n’était pas le cas auparavant.

La législation provinciale et les associations médicales font état de nombreuses raisons pour lesquelles le consentement préalable doit être donné librement et en connaissance de cause, mais en son absence, cela doit être précisé. Je pense que c’est valable.

La sénatrice Batters : La qualification de l’acte de stériliser, c’est ce qui en fait, selon vous, un facteur dissuasif. Il s’agit en fait de le nommer ainsi au lieu de l’inclure simplement dans le champ d’application des voies de fait graves.

La sénatrice Boyer : C’est exact, oui.

La sénatrice Batters : Le véritable problème n’est-il pas lié davantage à l’application de la loi et à la réticence éventuelle des forces policières à agir dans les affaires de cette nature, plutôt qu’au libellé actuel de la disposition du Code criminel?

La sénatrice Boyer : Je vous remercie de soulever ce point, car l’enjeu s’est posé et je vais vous expliquer pourquoi. Il y a quelques années, la commissaire de la GRC a déclaré qu’elle allait sévir contre les stérilisations forcées, car le problème était alors au cœur de l’actualité. La GRC a demandé aux femmes autochtones et à toute autre personne ayant subi une stérilisation de la contacter. En raison de la méfiance des Autochtones envers le système de justice pénale, beaucoup de personnes ont hésité à appeler, mais certaines l’ont fait. Peu après, des policiers frappaient à leur porte pour obtenir des renseignements. On m’appelait alors pour me demander : « Que dois-je faire? Les policiers sont à ma porte et ils insistent pour que je leur donne des renseignements. Je suis terrifiée. »

Il y a du travail à faire à cet égard. C’est pourquoi je suis heureuse d’avoir pu mentionner le Cercle des survivants pour la justice reproductive. C’est un groupe qui peut collaborer avec la police pour obtenir des résultats positifs au lieu de semer la terreur.

La sénatrice Batters : Pour conclure brièvement, vous avez mentionné la GRC. Qui, au sein de la GRC, a dit cela?

La sénatrice Boyer : Qui a dit quoi?

La sénatrice Batters : Vous avez mentionné qu’un membre de la GRC a invité les femmes à se manifester.

La sénatrice Boyer : C’était la commissaire de l’époque. Elle avait lancé un appel, et c’est d’ordre public. Elle a invité les femmes qui avaient été stérilisées à contacter la GRC, et pour celles qui l’ont fait, il est certain qu’il n’y a pas eu de suivi. Je pense que ce dossier a été abandonné parce qu’il s’est révélé être un véritable fiasco.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, sénatrice Boyer.

J’ai reçu, et vous avez probablement reçu aussi, le mémoire de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador envoyé au comité le 22 septembre. C’est un rapport assez long qui comprend sept recommandations. J’aimerais vous entendre sur deux d’entre elles.

Ce rapport a été fait par des Autochtones du Québec. On y indique que, dans ce projet de loi, peut-être dans le préambule, il devrait absolument y avoir un libellé sur l’importance de la sécurisation culturelle pour les peuples autochtones. Je sais que l’on a beaucoup raccourci le projet de loi. J’en suis consciente. Cependant, il s’agit d’un son de cloche. J’aimerais savoir ce que vous répondez à cela. C’est à la première page du rapport, « Enjeux à considérer dans le projet de loi S-228 ». Il s’agit du premier point, « Prise en compte des réalités autochtones ». À votre avis, le projet de loi serait-il bonifié en ajoutant la question de la sécurisation culturelle pour les peuples autochtones? On dit qu’il faut respecter les identités culturelles. Vous connaissez mieux que moi ces questions. Pensez-vous que cela manque au projet de loi, comme on l’indique dans ce rapport?

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Si j’avais pu réécrire l’ensemble du projet de loi pour l’adapter à la culture, je l’aurais certainement fait, mais le résultat n’aurait pas été en harmonie avec le Code criminel.

J’aime ce rapport. Je travaille avec ces femmes depuis que Suzy Basile a commencé son travail, et j’ai beaucoup de respect pour celui-ci.

Quant à l’idée d’en faire un ajout au préambule, compte tenu du rôle très limité de celui-ci, surtout lorsqu’il s’agit de modifier une autre loi, je pense que, si nous commencions à ajouter des éléments dans le préambule, nous ne résoudrions pas vraiment le problème. Une fois le projet de loi adopté, nous devrons l’examiner attentivement avec les survivants, les personnes qui sont directement concernées. En ce moment, entre 200 et 300 survivants suivent probablement de près ces questions. Ce sont eux qui peuvent donner des orientations.

L’ajout au préambule ne résoudra pas le problème, mais par la suite, les survivants peuvent nous aider. Ils peuvent contribuer à la sécurité culturelle en ce qui concerne ce que les médecins et les établissements médicaux doivent savoir et l’information que les hôpitaux doivent fournir dans leurs formulaires de consentement.

En ce qui concerne la clarification du préambule, il est bon de l’entendre, de le voir et de le mettre en évidence, mais nous avons besoin d’une action positive de la part des survivants, qui savent ce qu’ils ressentent et ce qui doit être fait pour les aider.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie.

Une autre chose m’a surprise dans ce rapport. Le projet de loi est très court. On précise dans ce dernier que l’occlusion, la ligature et la cautérisation sont les trois actions que l’on définit comme des actes de stérilisation. Or, dans ce rapport, on dit que la cautérisation — quand on brûle une partie d’un organe — n’est plus une norme de pratique dans le milieu médical depuis plusieurs années. Cela me surprend que ce soit dans le Code criminel, qui n’est peut-être pas à jour. Cela pose-t-il un problème d’avoir une pratique qui n’est pas du tout utilisée dans une définition d’un projet de loi?

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Je crois que le libellé du paragraphe 1(2) est le suivant :

[...] du sectionnement, de l’occlusion, de la ligature ou de la cautérisation de l’ensemble ou d’une partie des trompes de Fallope, des ovaires ou de l’utérus d’une personne ou de tout autre acte exécuté sur une personne qui a pour effet d’empêcher la procréation de façon définitive [...].

Cela couvre tout. Cela couvrira tous les types de stérilisation, y compris la castration chimique, sur toute personne, homme ou femme — tout être humain. Je ne pense pas qu’il soit utile de modifier le libellé parce que nous pensons que le terme « sectionnement » est dépassé. Je pense que cela est suffisamment bien couvert par les autres termes utilisés dans cette section.

Le sénateur Prosper : Merci, sénatrice Boyer, pour votre plaidoyer et votre engagement à piloter ce dossier qui a une longue histoire. J’ai été très impressionné lorsque vous avez dit que peut-être 200 à 300 survivants suivent nos délibérations.

J’aimerais connaître votre opinion. J’ai pris connaissance du rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne intitulé Les cicatrices que nous portons : la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada. Partie II. Je vais simplement citer le passage de l’introduction sur lequel j’aimerais que vous donniez plus de détails :

En juin 2021, le comité a publié son premier rapport, dans lequel il constate que la stérilisation forcée et contrainte est clairement toujours pratiquée au Canada et qu’il s’agit d’un problème qui n’est pas assez signalé et dont le nombre de cas est sous-estimé. Le comité s’est également dit préoccupé par l’impact disproportionné de cette pratique sur les groupes marginalisés et vulnérables au Canada [...].

Le texte se poursuit.

Pouvez-vous nous parler des constatations selon lesquelles ce phénomène est sous-déclaré et sous-estimé, et dont on dit plus loin qu’il a un impact disproportionné?

La sénatrice Boyer : Je vous remercie pour cette question.

À titre d’exemple, en 2017, j’ai corédigé un rapport intitulé External Review: Tubal Ligation in the Saskatoon Health Region: The Lived Experience of Aboriginal Women. J’ai rédigé ce rapport parce que deux femmes avaient déclaré au Saskatoon StarPhoenix avoir été stérilisées contre leur gré à l’hôpital de Saskatoon. La journaliste m’avait contactée en 2015 pour me demander : « Qu’en pensez-vous? » J’ai répondu : « Eh bien, c’est illégal. On ne peut pas faire ça, c’est un acte criminel et une agression, et les responsables devraient être inculpés. C’est inacceptable. C’est contraire au droit international et au droit autochtone. »

Betty Ann Adam, qui m’avait contactée, m’a remerciée et a publié le premier article sur deux femmes stérilisées dans des circonstances similaires à l’hôpital de Saskatoon. Elles étaient toutes deux Autochtones.

Puis deux autres femmes se sont manifestées, puis deux autres, et encore deux autres, et ainsi de suite, et dans un délai assez court, 11 femmes s’étaient manifestées. Dans ce contexte, les dirigeants de la Saskatoon Health Authority ont commencé à s’inquiéter. Ils ont décidé qu’ils devaient charger quelqu’un de mener un examen externe de leurs politiques en matière de ligature des trompes. Ils m’ont contactée et m’ont demandé si je voulais le faire. À l’époque, j’avais donné plusieurs entrevues à travers le pays pour parler de ce problème qui se posait dans un hôpital de Saskatoon.

Ils m’ont demandé si j’acceptais, et j’ai répondu que j’étais très choquée par ce qu’ils avaient fait. D’autres entretiens ont suivi et ils m’ont dit que les Anciens avaient demandé que ce soit moi parce que c’était ma région d’origine. Ils savaient que je connaissais la région et que les Autochtones qui me connaissent forment un vaste réseau. J’ai dit : « Je le ferai si les Aînés l’ont demandé, mais seulement si vous acceptez les trois conditions que je vous pose. Premièrement, ce rapport doit être rendu public. Deuxièmement, je veux pouvoir sélectionner les personnes qui travailleront avec moi. » J’ai choisi la Dre Judy Bartlett, une médecin métisse avec laquelle j’avais travaillé à l’Organisation nationale de la santé autochtone. J’avais été infirmière en salle d’opération et elle avait travaillé comme médecin dans des hôpitaux. Elle connaissait la culture hospitalière, tout comme moi. Quatrièmement, j’ai demandé les ressources nécessaires, en précisant qu’elles ne seraient pas déraisonnables.

Ainsi, quand le rapport a été prêt, nous l’avons publié en cri. Des femmes sont venues nous parler. Beaucoup de femmes appelaient notre ligne téléphonique, puis raccrochaient. Beaucoup de femmes appelaient, disaient « bonjour », puis raccrochaient. Beaucoup de femmes prenaient rendez-vous, puis ne se présentaient pas, tout cela à cause du traumatisme subi. Le traumatisme était si grave pour les femmes qui avaient été stérilisées ou qui en entendaient parler.

Parfois, quand je prends la parole devant différentes organisations et que des gens attendent pour me parler, on me dit : « Ça m’est arrivé. C’est arrivé à ma tante. C’est arrivé à ma sœur. » Plus les gens et moi-même en parlons, plus des victimes se manifestent, mais beaucoup ne peuvent pas le faire. Mon bureau reçoit des appels de victimes qui disent : « Je dois parler à la sénatrice », et elles en sont incapables.

Cela reste caché jusqu’à ce qu’on en parle.

Par honte, des personnes à qui j’ai parlé m’ont dit qu’en 25 ans, elles n’avaient jamais prononcé ces mots. La rédaction du rapport a été traumatisante pour nous.

Je terminerai par ceci : nous avions avec nous une Aînée, Mary Lee, de Saskatoon, une personne exceptionnelle. Chaque matin où nous menions des entretiens, nous nous tenions toutes par la main. Il y avait moi, l’Aînée Mary Lee, Judy et notre recherchiste qui nous épaulait et qui répondait au téléphone — notre locutrice crie. Nous nous tenions par la main, en priant et en demandant au Créateur de nous donner la force d’aller au bout de cette journée.

Les femmes qui étaient assez fortes pour venir témoigner s’effondraient en parlant de ces événements traumatisants. On leur demandait si elles souhaitaient la présence de Mary, qui se trouvait dans une pièce voisine. Mary venait les prendre dans ses bras, les serrait contre elle et leur disait : « Je te serre dans mes bras pour recoller tes morceaux. » Elle les serrait dans ses bras jusqu’à ce qu’elles puissent se ressaisir pour terminer l’entretien.

Il se passe tellement de choses en coulisses.

Celles que nous avons interviewées étaient celles qui étaient assez fortes pour se manifester, mais il y en a tellement d’autres qui cheminent vers le stade où elles peuvent en parler ou m’appeler pour discuter en tête-à-tête. Beaucoup de personnes traumatisées m’ont contactée. Nous avons une brochure que nous pouvons leur envoyer pour leur demander si elles ont besoin d’aide et si elles en ont besoin immédiatement. On leur demande : « Qui vous soutient? Voulez-vous parler à quelqu’un? Avez-vous besoin d’une aide juridique? Que voulez-vous? Voulez-vous simplement me parler? » Je suis prête à le faire.

Cela dure depuis que je suis au Sénat, c’est-à-dire depuis 2018. Je reçois des appels. Mon bureau est un refuge pour les personnes qui m’appellent. Elles obtiennent de l’aide quand elles m’appellent, mais nombreuses sont celles qui sont incapables de se manifester. C’est pourquoi on sous-estime le problème.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame Boyer, d’avoir témoigné et d’avoir pris ce fardeau sur vos épaules. J’ai beaucoup de respect pour vos objectifs et je me pose de nombreuses questions quant à savoir si cette modification aura l’effet escompté sans engendrer de conséquences imprévues pour d’autres personnes.

Vous avez beaucoup parlé de coercition. Dans sa forme actuelle, ce projet de loi ne contient aucune disposition relative à la coercition. J’ai une question brève et j’aimerais obtenir une réponse brève : selon vous, quel est le pourcentage de cas impliquant la force ou un geste posé alors que la femme est inconsciente et n’en a pas connaissance, par rapport aux cas où les personnes sont poussées, convaincues, se voient présenter cette option qu’elles regrettent par la suite? Combien de cas impliquent la force par rapport à la contrainte?

La sénatrice Boyer : Je dirais que c’est environ 50/50. La contrainte prend surtout la forme de menaces : « Je vais vous retirer votre bébé. Nous allons vous stériliser. Vous allez perdre votre bébé d’une manière ou d’une autre. »

Un exemple très difficile à entendre concerne une femme dont le premier enfant était atteint de paralysie cérébrale. Le médecin voulait la stériliser pour empêcher une deuxième grossesse et lui a dit que son deuxième enfant pourrait également être atteint de paralysie cérébrale si elle n’était pas stérilisée. Comme la paralysie cérébrale est due à un manque d’oxygène à la naissance, c’était une menace de la part du médecin de dire qu’un autre bébé pourrait avoir lui aussi des lésions cérébrales.

La sénatrice Simons : Insinuez-vous qu’il menaçait de causer des dommages au bébé?

La sénatrice Boyer : Exactement.

La sénatrice Simons : C’est grave.

La sénatrice Boyer : Tout comme la stérilisation.

La sénatrice Simons : Si je comprends bien, les dispositions relatives aux agressions stipulent que : « Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison [...] » Diriez-vous qu’il s’agit là d’un exercice d’autorité? Il ne s’agit pas d’un recours à la force ni de fraude.

La sénatrice Boyer : L’exercice d’autorité — les puissants et les impuissants.

La sénatrice Simons : Oui. Il me semble qu’il serait très difficile de prouver la contrainte.

La sénatrice Boyer : Quand le cas relève des dispositions relatives aux voies de fait, la jurisprudence est déjà abondante. La contrainte est définie dans la jurisprudence et de nombreux arrêts viennent l’étayer. C’est pourquoi nous devrions l’inscrire dans le Code criminel, et la disposition relative aux voies de fait graves est probablement le meilleur endroit pour le faire. Elle peut s’appuyer sur la jurisprudence existante.

La sénatrice Simons : Même si le mot « contrainte » n’apparaît pas dans votre projet de loi.

La sénatrice Boyer : La « contrainte » figure dans les dispositions relatives aux voies de fait. Je parle de l’exigence du consentement.

La sénatrice Simons : Mais le mot « contrainte » n’apparaît pas, si je comprends bien.

La sénatrice Boyer : C’est exact.

La sénatrice Simons : Très bien. Ma préoccupation sous-jacente demeure la suivante : comme la sénatrice Batters l’a souligné, l’ablation de l’utérus sans consentement constitue déjà une agression grave. Le problème semble être soit que les femmes ont peur de se manifester, soit que les policiers hésitent à porter des accusations.

Par ailleurs, je crains qu’en lisant le libellé de votre proposition sans se référer à l’article 45, qui se trouve dans une partie complètement différente du Code criminel, un médecin ne croit que les procédures médicales ordinaires et courantes sont désormais criminalisées. Nous ne criminalisons pas une appendicectomie pratiquée contre la volonté d’une personne ou une amputation pratiquée contre son gré, mais maintenant, nous ajoutons un libellé qui dit que toute procédure de stérilisation, en commençant par la vasectomie, est illégale, et je sais que ce n’est pas votre intention, car l’article 45 vient sauver la donne.

Par contre, je m’inquiète vraiment d’un effet dissuasif, qu’un médecin qui connaît mal les tenants et aboutissants du Code criminel lise ceci et se dise : « Je vais peut-être hésiter à proposer ou même à suggérer une ligature des trompes à une femme, ou une hystérectomie à une autre. Je vais peut-être hésiter à pratiquer une vasectomie. Je vais peut-être hésiter surtout à prodiguer des soins d’affirmation du genre à une personne transgenre. »

J’aimerais que vous m’expliquiez comment nous pouvons éviter cet effet dissuasif, car je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que ce dont les femmes ont besoin, c’est de la liberté de choix en matière de procréation afin que nous ne privions pas un groupe de femmes de leurs droits liés à la procréation pour protéger les droits d’une autre catégorie de femmes.

La sénatrice Boyer : Merci pour votre question. Je ne pense pas que cela restreigne les soins d’affirmation du genre ou les stérilisations pour les personnes qui ont la capacité de donner leur consentement. Tous les médecins savent que l’article 45 du Code criminel leur permet d’effectuer des interventions d’urgence. Ils sont protégés par l’article 45, donc je pense que les nouveaux médecins n’auront pas à s’inquiéter à ce sujet.

Dans le cadre d’une disposition relative aux voies de fait graves, c’est exactement ce qu’il en est. Elle ne crée aucune nouvelle restriction. Elle stipule simplement que la stérilisation sans consentement valide équivaut à des voies de fait graves. L’article 45 couvre les interventions chirurgicales.

La sénatrice Simons : Si j’étais médecin, je pourrais craindre que, si je discute avec une femme, que nous avons une conversation, que je crois de bonne foi qu’elle a accepté et qu’ensuite elle regrette profondément sa décision, je puisse être inculpée. Je pense que cela m’inquiéterait un peu en tant que praticienne.

La sénatrice Boyer : C’est pourquoi nous avons des procureurs qui se pencheraient sur la question, pourquoi nous avons une jurisprudence qui remonte à 30 ans sur ces sujets et pourquoi cela figure dans la disposition relative aux voies de fait graves. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Il nous reste quelques minutes.

La sénatrice Pate : Merci, madame Boyer, et merci à votre équipe pour tout le travail que vous avez accompli dans ce domaine, non seulement pendant votre mandat au Sénat, mais aussi avant. Vous mettez en lumière un sujet que très peu de Canadiens connaissaient avant que vous ne vous y intéressiez.

Comme vous le savez, j’étais à Saskatoon lorsque Mme Adams a levé le voile sur ce dossier, et j’ai été frappée non seulement par la stérilisation forcée. Nous connaissons maintenant le cas de Joyce Echaquan, et il existe de nombreux exemples similaires, de personnes qui se manifestent — surtout des Autochtones et des femmes autochtones — et qui parlent de racisme et de misogynie au sein du système de santé, ainsi que du manque de soutien.

Le droit pénal est une norme que nous établissons pour montrer quel comportement nous attendons et ce que nous ne tolérons pas. Vous savez ce que je vais vous demander, car nous en avons déjà discuté, et vous avez mentionné qu’une partie de votre motivation est bien sûr de dissuader les comportements criminels, racistes et misogynes au sein des services médicaux.

Je crains, et je sais que d’autres s’inquiètent également, qu’une partie de la raison pour laquelle aucune poursuite n’a été engagée est, comme vous l’avez dit, que les gens hésitent à se manifester. Il y a une méfiance à l’égard du système. Je ne suis pas certaine que la modification de la loi y changera quoi que ce soit. J’aimerais en savoir plus sur l’utilité que vous y voyez — et je comprends que c’est la volonté des survivants — mais aussi sur la valeur ajoutée que le projet de loi apporte pour s’attaquer aux causes profondes de ces stérilisations forcées et contraintes, telles que le racisme systémique, l’histoire coloniale et le capacitisme dans les soins de santé, des sujets que vous connaissez bien et sur lesquels vous avez travaillé. Pourriez-vous approfondir ce point et expliquer pourquoi l’accent est mis sur cet aspect, ainsi que les autres mesures qui doivent être prises?

La sénatrice Boyer : Merci beaucoup pour cette question, car j’aimerais m’exprimer à ce sujet. Je pense que la clé de la porte qui vient de s’ouvrir est le Cercle des survivants pour la justice reproductive. Réunir ces survivants et les voir exercer ce pouvoir — ils reprennent leur pouvoir. Ils créent un modèle que d’autres peuvent suivre.

Nous savons que le Cercle des survivants pour la justice reproductive est une organisation très puissante dirigée par des femmes très influentes. Nous savons également qu’elles créent un modèle, un plan visant à éliminer ce type de situations et à lutter contre le racisme dans le système de santé, mais elles commencent par de petites initiatives ici et là et observent leur développement.

Je pense qu’elles peuvent établir une norme afin que cela devienne un cadre national avec lequel d’autres organisations pourront travailler. Par exemple, des groupes de femmes dans les Maritimes — je suis allée parler avec leurs membres autochtones — se rassemblent et s’unissent. On voit la même chose dans les Prairies. Des grappes de femmes très influentes qui sont des survivantes, réparties dans tout le pays, peuvent se regrouper dans un cadre national qui commencerait à traiter certaines de ces questions.

Il y a également la collaboration avec la police, car il y a tout un passé à ce sujet. Il faut qu’il y ait, au sein de chacun de ces groupes, une section qui travaille en collaboration avec la police et les forces de l’ordre afin d’établir des relations de compréhension et de les faire évoluer. Ce sont là quelques-uns des domaines que nous pouvons examiner.

Pour la première fois, je suis vraiment optimiste. Après toutes ces années, ce cercle des survivants a été créé, et je le vois grandir, prospérer et s’épanouir à l’heure actuelle, tout comme leur registre. Ils sont déterminés. Ils veillent à ce que les personnes soient vérifiées. Ils ont mis en place un système, ils le perfectionnent et ils attirent davantage de personnes qui multiplient les voix.

Il y a de l’espoir. Il y a de l’espoir pour tous ces enjeux dont nous avons déjà parlé. Il y a de l’espoir que des personnes puissent vraiment prendre les choses en main et me soulager d’une partie du fardeau. Il y a des personnes que je peux appeler. Je peux les appeler et leur dire : « J’ai besoin de votre aide ici. J’ai besoin de vous ici, à Halifax », etc.

Je pense qu’un cadre national est en train de voir le jour. Je vous en remercie.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Sénatrice Boyer, par votre formation, votre expérience et votre statut de femme autochtone, vous êtes au cœur des deux enjeux fondamentaux que ce projet de loi soulève : d’une part, celui du respect des droits des femmes et des humains, le respect de leur droit de disposer de leur corps, donc leur droit en santé, et d’autre part, préserver un certain équilibre avec la protection des médecins qui, en toute bonne foi, pourraient avoir bien agi ou avoir commis des erreurs en fonction du code, sans pouvoir obtenir la protection juridique nécessaire. Donc, ce sont deux enjeux qui sont manifestement importants.

Vous êtes une femme de justice. En présentant ce projet de loi, vous êtes présentement satisfaite que ces intérêts, tant ceux des patients et patientes que ceux des médecins, sont vraiment protégés et respectés.

Pourriez-vous brièvement nous expliquer pourquoi, dans l’un et l’autre des cas, vous croyez que ce projet de loi atteindra ces objectifs?

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Merci pour cela. Encore une fois, j’aimerais revenir sur ce que j’entrevois. Nous ne sommes pas qu’une ou deux personnes qui s’efforcent de faire progresser les choses et de s’assurer que tout est en règle sur le plan juridique et que les femmes soient prises en charge. L’union fait la force. À toutes les femmes à qui j’ai parlé, que j’ai interviewées et avec qui je suis toujours en contact, je dis : « Il y a toute une armée derrière vous, nous sommes fortes et résistantes, nous pouvons trouver des solutions ensemble et je vous obtiendrai ce dont vous avez besoin; vous pourrez ensuite prendre le relais. »

Je me rends dans les facultés de médecine. Je m’adresse aux jeunes. Je visite des lycées. En général, un médecin m’accompagne. De nombreux médecins autochtones aiment participer à ces événements avec moi.

Quand nous sommes devant une classe nombreuse d’étudiants en médecine, je leur demande : « Dites-moi ce que vous feriez si vous étiez au bloc opératoire et qu’on vous demandait d’aider à pratiquer la ligature des trompes sur une femme qui refuse cette intervention. Que feriez-vous? »

Ils se regardent et disent : « Que faisons-nous? »

Je leur dis : « Déterminez-le maintenant. Formez des groupes et dites-moi ce que vous feriez. »

Ils proposent alors des idées sur la manière dont ils peuvent prendre le contrôle et l’empêcher. C’est prendre un risque considérable en tant qu’étudiant en médecine. Vous êtes en présence d’un médecin senior.

Ce ne sont pas tous les médecins qui le font, mais certains le font. Cependant, il existe des moyens d’y mettre fin, et cela part de la base. C’est une solution : passer par les étudiants en médecine.

Des survivants peuvent désormais agir dans ce sens, donner des conférences et discuter avec les étudiants en médecine.

C’est une méthode que je trouve très efficace, car ces étudiants sont désormais médecins et certains d’entre eux sont venus me remercier, car ils se retrouvent dans des situations où ils doivent prendre les choses en main; ils doivent le faire eux-mêmes, et c’est ce qu’ils font.

Il s’agit également d’apprendre au fur et à mesure. Vous soulevez l’un de ces problèmes et nous trouvons une solution. Nous sommes suffisamment nombreux. J’organise des séances de remue-méninges avec d’autres avocats, et un solide réseau de personnes travaille en coulisses ici, et pas seulement avec les Autochtones. Il travaille également avec des personnes handicapées, des personnes intersexuées et d’autres qui ont besoin de soins d’affirmation de genre. Je suis constamment confrontée à des cas de justice — et d’injustice — reproductive, et un vaste réseau de personnes très engagées et très fortes est prêt à déterminer ce que nous devons faire.

Mais je suis convaincue que ce projet de loi est vraiment important, car il va marquer un jalon, un jalon que les gens vont observer. Oui, nous avons déjà quelque chose dans le Code criminel. Nous avons le pouvoir. Nous reprenons le pouvoir. Nous pouvons aussi tout comprendre au fur et à mesure. C’est ce qui se produit lorsque l’on apporte des changements.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Si je vous comprends bien, la cohabitation des droits des patients et de la protection nécessaire pour les médecins qui respecteront le Code criminel tel qu’il a été modifié est déjà contenue dans la loi. Vous plaidez aussi pour qu’il y ait, en plus de la loi, des protocoles de pratique qui sont conséquemment bonifiés, de la sensibilisation et de l’information.

En d’autres termes, certaines des recommandations que nous voyons de la part de certains groupes ne sont pas de nature à mériter d’être incluses dans un projet de loi. Cependant, elles devraient faire partie de la sensibilisation lorsque le projet de loi sera adopté. Conséquemment, il y aurait plus de protocoles que l’on devrait inclure à la pratique. C’est bien cela?

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Oui. Une fois qu’il aura été intégré au projet de loi, il devrait y avoir des codes de pratique. Je sais que l’Autorité sanitaire des Premières Nations a été très active et a joué un rôle de premier plan dans la révision de tous ses formulaires de consentement afin qu’ils soient adaptés à la culture et tiennent compte des traumatismes en Colombie-Britannique. Je le sais parce que j’ai travaillé avec eux sur ce sujet, et ils sont à l’avant-garde dans ce domaine.

Donc oui, il faut des codes de pratique pour chaque hôpital. Il faut un code de pratique pour chaque association médicale, un code qui est adapté à la culture et qui tient compte des traumatismes subis par les survivantes. Merci pour cela.

La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Oudar : Je vais aussi intervenir, d’abord pour vous remercier, sénatrice Boyer. À mon arrivée au Sénat, vous travailliez déjà sur le projet de loi, et ce, depuis plusieurs années déjà. Vous avez tout mon soutien.

J’aimerais revenir sur une intervention précédente concernant les modifications au préambule du projet de loi. J’aimerais vous entendre sur ce sujet : est-ce qu’une modification du préambule telle qu’elle est exposée dans la question posée ne risquerait pas d’avoir un effet indésirable sur d’autres groupes de femmes?

Je vous remercie d’avoir soumis des documents, notamment le rapport de 2021 du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, qui s’intitule La stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada. À la page 12, le comité indiquait que, selon les témoignages entendus, les femmes en situation de pauvreté, de handicap, les Canadiennes d’origine africaine et nord-africaine, racialisées, ethniques et séropositives sont particulièrement susceptibles d’être stérilisées de force ou sous la contrainte dans les établissements canadiens de soins de santé, où le pouvoir sur leur propre vie est limité ou leur est même retiré.

Je suis heureuse d’avoir entendu votre réponse concernant la non-modification au préambule. Vous venez de parler d’un moment charnière pour les autres groupes de femmes qui subissent aussi ce genre d’intervention. Pour moi, le projet de loi tel qu’il est libellé actuellement est entièrement satisfaisant, y compris pour couvrir toutes les autres situations sur lesquelles le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s’était penché en 2021.

Plus tôt, la sénatrice Boyer a aussi utilisé ce moment charnière pour ces autres groupes, que je ne voudrais pas qu’on oublie ici aujourd’hui. Je vais permettre à la sénatrice Boyer de poursuivre sur cette idée.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Merci. Dans le premier rapport du Comité sénatorial des droits de la personne, il était très important que nous examinions attentivement quelles sont les personnes touchées par cette question. Je ne savais pas que 250 femmes noires de Nouvelle-Écosse avaient subi une hystérectomie sans leur consentement. Il y a des problèmes vraiment urgents à régler.

Nous avons également reçu une lettre d’Inclusion Canada au sujet des personnes handicapées et de l’importance de noter qu’elles subissent également une stérilisation sans leur consentement. Il y a donc beaucoup de problèmes. Comme le Cercle des survivants est un chef de file dans ce domaine, je pense que sa cohésion et son organisation peuvent aider à guider d’autres groupes. Il pourrait constituer un grand groupe de coordination pour la question de la stérilisation dans tous ces autres domaines que nous avons mentionnés et qui nous ont été signalés dans les témoignages du premier rapport. Je crois que c’est possible; j’ai bon espoir. Merci.

Le sénateur K. Wells : Merci pour les efforts extraordinaires que vous continuez à déployer et pour la justice que vous espérez voir rendue aux survivantes, du moins autant que nous pouvons le faire.

Nous avons récemment entendu des politiciens, y compris dans ma province de l’Alberta, qui assimilent les soins d’affirmation du genre à une forme de stérilisation coercitive. Je suis donc heureux d’entendre dans votre déclaration liminaire que vous corrigez cette information erronée et indiquez clairement que ce projet de loi ne s’appliquerait pas aux soins d’affirmation du genre. Ce serait vraiment inquiétant si un projet de loi peut être utilisé comme une arme, avec des conséquences imprévues, pour cibler une minorité vulnérable à des fins politiques. Nous voyons certainement de nombreux cas de ce genre ces derniers temps.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les consultations que vous avez menées auprès des groupes et des parties prenantes, en particulier auprès de la communauté 2ELGBTQI+? De nombreuses préoccupations ont été soulevées par la communauté des personnes intersexuées, qui continue, en particulier les bébés et les nourrissons, à être soumise à une stérilisation coercitive par des médecins qui convainquent les parents que ces procédures sont médicalement nécessaires.

Bien sûr, nous sommes confrontés au défi du Code criminel, qui accorde une exemption générale à ce qui semble être des organes génitaux « normaux ». Je ne sais pas exactement qui définit ce qui est « normal ».

Que pensez-vous de ce que vous avez entendu et comment avez-vous tenu compte de cet aspect dans l’élaboration de votre projet de loi?

La sénatrice Boyer : Merci. Je parle avec de nombreuses personnes. Une question me semble particulièrement importante, et j’aimerais avoir le temps d’analyser ce sujet ou de demander aux groupes de survivants de le faire. J’examine les politiques de chaque province. Lorsque des personnes passent du sexe féminin au sexe masculin, les politiques de santé exigent qu’elles soient stérilisées — du moins c’était le cas en Ontario — et j’ai trouvé cela tout à fait révoltant. Je ne comprends pas pourquoi.

C’est un sujet que je dois aborder avec divers médecins qui travaillent dans ce domaine. Je souhaite leur demander pourquoi et comment se passent les choses. J’ai besoin de savoir ce qui se passe dans les autres provinces et pourquoi cela serait nécessaire. On m’a dit que cela avait un rapport avec les hormones, mais je ne comprends pas encore. Je n’ai reçu aucune explication raisonnable à ce sujet. Je ne suis pas certaine à 100 %; je n’en parle maintenant que parce que c’est une question en suspens que j’aimerais éclaircir.

Bien des personnes m’ont contactée au sujet de diverses questions d’injustice en matière de reproduction, en particulier en Alberta. Elles sont effrayées, terrifiées. Ce projet de loi n’a rien à voir avec les personnes qui souhaitent ou non être stérilisées; il n’enlève aucun pouvoir à personne.

Je vous remercie d’avoir soulevé cette question, sénateur Wells, car c’est un aspect qui mérite d’être approfondi. Il faudrait créer un comité ou un groupe de recherche — je sais que les survivantes seraient absolument intéressées par une telle initiative. C’est une question très importante, et je pense qu’elles sont du même avis. Je vous remercie pour cette question et pour l’avoir soulevée dans le compte rendu.

La sénatrice Clement : Monsieur le président, j’ai obtenu des réponses à mes questions.

Je tiens simplement à vous remercier, sénatrice Boyer, pour votre leadership. Je souhaitais revenir sur ce que la sénatrice Oudar a soulevé : le travail des femmes autochtones sur cette question signifie que d’autres femmes qui vivent dans ce créneau, comme les femmes noires, recueilleront les bénéfices de ce travail. Leurs voix sont également présentes et entendues. Je souhaitais simplement revenir sur ce point et vous remercier.

Le président : Chers collègues, merci pour vos questions.

Sénatrice Boyer, merci beaucoup pour votre témoignage aujourd’hui, pour votre engagement et pour votre leadership sur ces questions.

Sénateurs, nous passons maintenant au groupe suivant.

Nous accueillons Me Nathalie Levman, avocate principale à la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice du Canada, ainsi que Me Morna Boyle, avocate à la Section de la politique en matière de droit pénal. Bienvenue. Nous vous remercions de vous joindre à nous. Nous commencerons par votre déclaration liminaire. Vous disposez de cinq à sept minutes, puis les sénateurs vous poseront des questions. Allez-y, je vous en prie.

Me Morna Boyle, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Je vous remercie de me donner l’occasion d’être ici avec vous pour parler du projet de loi S-228.

Je sais que ce comité a déjà examiné cette question et qu’il connaît très bien les modifications proposées dans ce projet de loi. Nous sommes heureuses de pouvoir revenir devant ce comité, comme nous l’avons fait lorsque vous avez examiné l’ancien projet de loi S-250, et nous espérons que notre présence aujourd’hui vous aidera dans vos délibérations.

[Français]

On nous a demandé de partager quelques commentaires préliminaires. Nous avons pensé qu’il serait utile de faire part au comité de notre compréhension des effets des modifications proposées et de leur conformité avec le droit pénal en vigueur.

[Traduction]

Comme la sénatrice Boyer l’a déjà expliqué, le projet de loi S-228 propose un amendement au Code criminel précisant que la loi sur les voies de fait s’applique à toutes les procédures de stérilisation forcée. Pour ce faire, il préciserait qu’une procédure de stérilisation constitue une blessure ou une mutilation au sens de la disposition du Code criminel relative aux voies de fait graves.

Les voies de fait graves constituent l’infraction la plus grave en matière d’agression en droit pénal, passible d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement, et s’appliquent lorsqu’une agression blesse, mutile, défigure ou met en danger la vie de la victime.

[Français]

Le projet de loi définirait également le terme « procédure de stérilisation » de manière extensive afin d’inclure tout acte entraînant la prévention permanente de la reproduction, que la procédure soit ou non réversible par une intervention chirurgicale ultérieure.

[Traduction]

Étant donné que toutes les interventions chirurgicales, y compris les procédures de stérilisation, impliquent de blesser ou de mutiler un patient, elles constituent déjà des voies de fait graves si elles sont pratiquées sans consentement valide.

À cet égard, le projet de loi S-228 reflète l’état actuel du droit en précisant que la disposition vise à apporter plus de certitude, ce qui signifie que les amendements ont pour but d’éclaircir la loi, et non de la modifier.

[Français]

Cette approche permettrait donc de préciser que les principes juridiques établis en matière d’agression continueraient de s’appliquer aux procédures de stérilisation forcée.

[Traduction]

Ces principes sont énoncés à la fois dans la common law et à l’article 265 du Code criminel, qui définit l’agression aux fins des dispositions du Code criminel sur les voies de fait. Ces principes précisent également que la législation sur les voies de fait ne s’applique pas lorsqu’un consentement juridiquement valable est donné.

En particulier, ces principes stipulent ce qui suit :

Premièrement, le consentement juridiquement valable doit être donné librement ou volontairement, ce qui signifie qu’il ne peut y avoir fraude ou contrainte. Ce principe est codifié au paragraphe 265(3), qui précise que le consentement n’est pas valable en droit lorsque le plaignant se soumet ou ne résiste pas sous l’effet de la violence ou de menaces de violence, de fraude ou de l’exercice de l’autorité.

Deuxièmement, le consentement juridiquement valable doit porter sur la nature de l’acte, ce qui exige que le patient ait une « base de connaissances ». Cela a été décrit comme « la connaissance de l’objectif de l’opération », « la connaissance des événements » et « la perception de ce qui va se passer ».

Troisièmement, pour que le consentement soit valable en droit, la personne qui le donne doit être capable de comprendre, ce qui signifie que le patient doit pouvoir comprendre la nature d’un acte.

La Cour suprême du Canada a confirmé que tout acte médical effectué sur une personne sans consentement valable constitue des voies de fait et que les dispositions sur les voies de fait reconnaissent la nécessité du consentement pour tout exercice de la force à valeur sociale, comme les « interventions chirurgicales appropriées ». Ces principes sont énoncés, respectivement, dans les décisions Morgentaler de 1988 et Jobidon de 1991 de la Cour suprême.

[Français]

Merci encore de nous avoir donné l’occasion d’être ici. Nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes vos questions. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions. Nous commencerons par la vice-présidente, la sénatrice Batters.

La sénatrice Batters : Merci pour cette excellente explication de ce dont il est question ici. Je voudrais revenir sur un point. J’allais poser la question au groupe précédent lorsque ce sujet a été abordé, mais, comme il n’y avait pas de temps pour un deuxième tour, j’ai décidé de l’adapter pour la présenter ici.

La sénatrice Simons a fait allusion à cette question de coercition lorsqu’elle a posé certaines questions, et elle a mentionné mon nom. Je souhaitais éclaircir ce que j’ai dit par le passé devant ce comité à ce sujet.

Je renvoie au procès-verbal de ce comité du 19 septembre 2024, date à laquelle cette question a été abordée pour la dernière fois et où nous avons parlé du projet de loi dans son état actuel. À ce comité, Me Levman a présenté, comme elle a coutume, un témoignage très utile pour nous aider à bien comprendre ce genre de question complexe. À un moment donné, répondant aux questions de la sénatrice Boyer, et elle a dit :

Je voudrais souligner que la modification proposée ne modifie en rien la législation existante sur les voies de fait. Toutefois, elle vient préciser que les dispositions sur les voies de fait continuent de s’appliquer à tous les actes de stérilisation — tous — qui sont effectués sans le consentement juridiquement valable du patient.

Puis elle a ajouté, s’adressant à nouveau à la sénatrice Boyer :

[...] vous précisez dans votre amendement qu’un consentement valable doit être obtenu pour tous les actes de stérilisation, que la stérilisation soit ou non le but premier de l’acte et que l’acte soit ou non réversible par une opération chirurgicale ultérieure. L’amendement que vous proposez est clair.

Lorsque la sénatrice Boyer a demandé à Me Levman si nous devions supprimer le mot « contraint » de la motion dont nous sommes saisis aujourd’hui, car il y figurait auparavant, Me Levman a dit :

Je dis, effectivement, que l’inclusion du terme « contraint » pourrait être interprétée comme exigeant la preuve de quelque chose de plus que l’absence de consentement juridiquement valable en vertu du droit sur les voies de fait. Cela pourrait rendre les actes de stérilisation non consensuels plus difficiles à prouver que d’autres formes de voies de fait graves, ce qui, je le comprends, n’est pas du tout l’intention ou l’objectif du comité. Voilà pourquoi cette réserve avait été exprimée.

Elle a poursuivi en disant :

[...] les actes de stérilisation qui, bien sûr, sont des actes médicaux légitimes qui ont une valeur sociale, dans la mesure où un consentement juridiquement valable a été donné. C’est pourquoi les dispositions sur les voies de fait sont muettes sur le consentement en ce qui concerne les actes médicaux légitimes. Cela signifie que les règles sur le consentement à des voies de fait s’appliquent toujours aux actes médicaux légitimes et que ces actes constituent des voies de fait lorsque ces règles sont enfreintes.

Peu après, j’ai demandé à Me Levman :

Je conviens aussi qu’il est nécessaire de supprimer le mot « contraint » du paragraphe 268.1(1) de cette proposition d’amendement, parce que la mention « acte de stérilisation contraint » pourrait ajouter un élément dont le procureur devrait faire la preuve en pareil cas. Ensuite, au paragraphe 268.1(2), la définition fournie s’applique simplement à un « acte de stérilisation », et non à un « acte de stérilisation contraint ». Est-ce que cela s’inscrit également dans le raisonnement qui vous amène à conclure qu’il est problématique d’inclure le qualificatif « contraint »?

Me Levman a répondu :

Je pense que la principale préoccupation concernant l’inclusion du terme « contraint » vient du fait que l’on semble ainsi ajouter un nouvel élément à l’infraction dont le procureur devra également faire la preuve.

Je voulais inclure cela, car je pense qu’il est important que le public qui nous regarde comprenne quelle est la situation réelle en ce qui concerne le terme « contraint ». Avez-vous quelque chose à ajouter pour donner plus de contexte? Cela répond-il à vos besoins?

Me Boyle : Je vais céder la parole à ma collègue. Je pense qu’elle résume bien l’essentiel de la question.

Me Nathalie Levman, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Merci de me donner l’occasion de prendre la parole, sénatrice.

Je tiens à souligner à l’intention du comité que le terme « contraint » est utilisé ici de façon vague pour décrire ce dont vous parlez. Cependant, ce qui rend la procédure contrainte au sens de la loi, c’est la violation des règles relatives au consentement en cas d’agression, qui figurent à la fois à l’article 265 et dans la jurisprudence. Nous ne devons pas oublier la jurisprudence. Il ne s’agit pas seulement de l’article 265 et du paragraphe 265(3), mais aussi de la jurisprudence. Je pense que la sénatrice Boyer s’est montrée très éloquente sur ce point. Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Mes collègues, notamment la sénatrice Simons, ont posé des questions sur les faits qui pourraient être dommageables pour les obstétriciens ou les médecins qui pratiquent des stérilisations. Vous avez travaillé avec la sénatrice Boyer sur ces amendements.

Avez-vous consulté à l’extérieur, dans la profession médicale ou dans la profession obstétricienne, avant de proposer cet amendement? Avez-vous eu des confirmations ou tout au moins des discussions avec des personnes qui font des stérilisations, parfois pour des raisons tout à fait évidentes, pour savoir si elles sont effrayées par cette loi telle qu’elle a été réécrite?

[Traduction]

Me Levman : Je vous remercie de cette question.

Pour mettre les choses bien au clair, conformément à mon témoignage de la dernière fois, nous avons apporté notre soutien, mais uniquement par l’intermédiaire du cabinet de notre ministre. Nous avons pris en compte le point de vue des différentes parties concernées, et l’une des raisons pour lesquelles une disposition de précision a été suggérée est précisément parce qu’elle ne modifierait pas la loi. Si elle ne modifie pas la loi, elle ne peut avoir d’effet dissuasif ni d’incidence sur les médecins.

L’article 45 continue de s’appliquer comme il l’a toujours fait, et la disposition relative aux voies de fait graves continue de s’appliquer à toutes les interventions chirurgicales non consenties, c’est-à-dire les interventions chirurgicales pratiquées sans consentement juridiquement valable, conformément à l’article 265 et à la jurisprudence en matière de voies de fait.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Très bien. Y a-t-il eu des consultations avec les médecins? Je comprends que vous dites que la loi ne change pas. On mentionne maintenant la stérilisation dans la loi, et le seul fait de mentionner un acte X ou Y peut susciter des inquiétudes au sein d’une profession. Y a-t-il eu des consultations auprès de la profession médicale avant de faire cette proposition?

[Traduction]

Me Levman : Non, nous n’avons pas consulté des membres de la profession médicale. Nous avons eu des échanges informels avec des infirmières et sages-femmes de Services aux Autochtones Canada, qui nous ont fait part de leurs points de vue informels. Toutefois, il n’y a pas eu de consultation officielle, ce qui est assez normal pour le projet de loi d’initiative parlementaire.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins d’être ici et de débattre de ce sujet très important.

J’ai une question, qui a été soulevée lors de la table ronde précédente et tout à l’heure, concernant les dispositions du Code criminel relatives au consentement. Je crois que vous faites référence au paragraphe 265(3), qui donne en quelque sorte le contexte du consentement.

Ma question est, je suppose, assez simple : pensez-vous que cette disposition relative au consentement devrait être maintenue et qu’elle est suffisante si l’on tient compte de certains des facteurs dont nous avons entendu parler dans les témoignages sur la stérilisation, en particulier en ce qui concerne les personnes vulnérables et marginalisées? Pensez-vous que ces dispositions répondent bien aux défis auxquels sont confrontées les personnes vulnérables et marginalisées dans le contexte de la stérilisation?

Me Levman : La dernière fois que j’ai pris la parole ici, j’ai abordé les trois principes fondamentaux qui sous-tendent la notion de consentement dans le droit sur les voies de fait que ma collègue a déjà passés en revue. J’ai donné quelques exemples qui illustrent ces principes.

Par exemple, le premier est que le consentement doit être donné librement. Les cas de quelle nature cela couvre-t-il? J’ai dit que cette règle est en cause lorsqu’un patient est contraint ou trompé pour consentir à une intervention médicale.

Le deuxième principe est que le consentement doit porter sur la nature de l’acte, et j’ai souligné que cette règle est en cause lorsqu’un patient ne reçoit pas suffisamment d’informations pour comprendre la nature de l’intervention à laquelle il consent.

Le troisième principe est que la personne qui donne son consentement doit avoir la capacité de comprendre, et j’ai souligné que cette règle est en cause lorsque le patient est un enfant ou souffre d’une déficience cognitive.

Je tiens également à souligner que lorsqu’une personne n’est pas informée, c’est-à-dire lorsque l’intervention est simplement pratiquée sans aucun consentement, les dispositions relatives aux voies de fait s’appliquent pour dire qu’aucun consentement juridiquement valable n’a été donné.

D’après ce que j’ai entendu des témoignages qui vous ont été présentés et des études approfondies menées par le Parlement sur cette question, cela reflète bien ce que les personnes ont eu le courage de vous confier.

Le sénateur Prosper : Merci.

La sénatrice Boyer : Les survivantes nous ont dit que le consentement était souvent demandé à des moments très inappropriés — pendant le travail, sous l’effet de médicaments, sous la contrainte ou sous la pression intense de représentants de l’autorité. Pouvez-vous nous dire comment la loi actuelle sur le consentement traite ces circonstances et pourquoi il est si important de la renforcer dans le contexte de la stérilisation?

Me Boyle : Je veux bien commencer à répondre, puis céder la parole à ma collègue.

Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, pour que le consentement soit juridiquement valable dans le contexte du droit sur les voies de fait, il doit être donné librement et volontairement. Il ne peut y avoir ni fraude ni contrainte. Dans les situations où les femmes sont soumises à des pressions, trompées ou se trouvent dans une position vulnérable et où une personne en position d’autorité leur dit que c’est quelque chose qui doit être fait, on pourrait faire valoir que le consentement donné n’était pas juridiquement valable, car il ne répondait pas à l’exigence d’être donné librement et sans contrainte.

Je cède la parole à ma collègue pour qu’elle développe ce point.

Me Levman : Je souligne qu’il peut être très difficile de donner des réponses précises concernant des cas généraux. Comme vous le savez, la loi est généralement appliquée au cas par cas. Nous ne pouvons pas affirmer catégoriquement que, dans un ensemble de circonstances particulières, le consentement serait absolument invalide.

Ce que nous pouvons affirmer catégoriquement, cependant, c’est quelles règles sont applicables, et je pense que c’est ce qu’a fait ma collègue en indiquant que des principes tels que la contrainte et la fraude sont applicables. La contrainte est un principe très développé dans le droit sur les voies de fait. Je souligne, et je pense avoir déjà indiqué à ce comité que le droit relatif aux voies de fait est assez ancien. Et vous, sénatrice Boyer, avez déjà souligné la jurisprudence abondante qui s’applique.

Tout cela aide les tribunaux, les procureurs, la police et autres à décider s’il y a matière à accusation, s’il faut engager des poursuites et si un tribunal estime qu’un consentement juridiquement valable a été donné.

Mais je soutiens sans réserve ce qu’a dit ma collègue, à savoir que ce genre de facteurs, lorsqu’ils sont présents, compromettent le consentement valable aux fins du droit relatif aux voies de fait. Ce sont là les genres de cas dont vous avez entendu parler, je le sais, et les principes du droit relatif aux voies de fait s’appliquent dans ce contexte.

La sénatrice Boyer : Dans ces circonstances, que se passe-t-il si une femme signe le formulaire de consentement, puis le révoque avant l’opération? Serait-ce valable? Et si on lui dit : « Non, vous ne pouvez pas le révoquer. Nous vous emmenons en salle d’opération et nous pratiquons la ligature des trompes. »

Me Levman : Elle a retiré son consentement, il n’y a donc pas de consentement.

La sénatrice Simons : J’ai souri lorsque vous avez dit, Me Boyle, que le droit sur les voies de fait est le plus ancien. C’est parce que nous nous agressons les uns les autres depuis plus longtemps que nous ne nous livrons, par exemple, à la fraude de cryptomonnaies. C’est le péché originel. Et je comprends ce que vous dites au sujet de l’énorme corpus de jurisprudence qui sous-tend tout cela, ce qui signifie que les tribunaux, le procureur et le juge comprendraient d’une manière qu’un profane ne comprendrait pas la portée de l’acte de voies de fait.

Ce qui me préoccupe, c’est l’effet dissuasif plus psychologique sur les médecins à qui l’on dit qu’une opération standard qu’ils pratiquent quotidiennement est à première vue un crime, à moins qu’ils ne lisent l’article 45.

Si l’on se réfère au texte brut, il y est dit que « toutes les stérilisations » constituent des voies de fait graves, alors que nous ne disons pas « toutes les appendicectomies sans consentement » ou « toutes les amputations sans consentement », bien qu’il s’agisse également de voies de fait. Elles seraient toutes considérées comme des voies de fait.

Je m’inquiète des effets dissuasifs pour les femmes qui recherchent des soins gynécologiques ou les hommes qui recherchent des soins relevant de la stérilisation.

Mon bureau a rédigé un amendement hypothétique au cas où, et je voudrais vous le présenter afin que vous me disiez s’il serait utile ou s’il risquerait de semer davantage la confusion. Il s’agirait d’ajouter au paragraphe 268(1) : « Pour plus de certitude, mais sous réserve de l’article 45, une procédure de stérilisation, et cetera. » Je sais que cela n’est pas nécessaire sur le plan juridique, mais cela pourrait-il être utile sur le plan social ou politique?

Me Levman : Merci pour cette question. Tout d’abord, j’aimerais revenir sur le projet de loi S-228 lui-même. Il y est dit : « Pour l’application du paragraphe 268(1), il est entendu qu’un acte de stérilisation constitue une blessure ou une mutilation. » Il ne dit pas que la stérilisation constitue des voies de fait graves. Il est dit que cela constitue une blessure ou une mutilation. Il faut toujours prouver l’agression.

Pour prouver l’agression, il faut se reporter à l’article 265 et prouver qu’il y a eu un attouchement non consensuel. Cela fonctionne de manière très semblable au paragraphe 268(3) existant, où l’on peut lire :

Il demeure entendu que l’excision, l’infibulation ou la mutilation totale ou partielle des grandes lèvres [...] constituent une blessure ou une mutilation.

La sénatrice Simons : Les mutilations génitales de ce type n’ont aucune fonction médicale. Elles ne sont pratiquées que pour opprimer les femmes, alors que les autres interventions sont effectuées de manière routinière pour la santé des gens.

Me Levman : C’est pourquoi le paragraphe 269(4) dit : « Pour l’application du présent article et de l’article 265, ne constitue pas un consentement valable le consentement à l’excision, à l’infibulation ou à la mutilation [...] des grandes lèvres [...] ».

Il est clairement dit que le consentement à l’excision, à l’infibulation ou à la mutilation des organes génitaux féminins n’est valide que dans deux cas exceptionnels. Le projet de loi S-228 ne contient aucune disposition de ce type, ce qui signifie que le consentement est valide. Si le consentement est donné conformément à l’article 265 et à la common law et que tous ces principes sont respectés, la procédure de stérilisation ne constitue pas des voies de fait graves. La même chose est vraie pour toute autre intervention chirurgicale ou médicale.

C’est pourquoi il n’y a pas d’équivalent au paragraphe 269(4) dans le projet de loi S-228. Donc, pour répondre à votre question concernant l’ajout de « [...] sous réserve de l’article 45 [...] », je dirais que ce n’est pas nécessaire du tout.

La sénatrice Simons : Ce n’est pas nécessaire sur le plan juridique.

Me Levman : Non, l’article 45 est un moyen de défense valable. Il figure dans la partie du Code criminel consacrée aux moyens de défense généraux et peut être invoqué par tout médecin ou praticien qui fournit des services médicaux à une personne incapable de donner son consentement, généralement dans une situation d’urgence, par exemple lorsqu’elle est inconsciente. C’est généralement dans ce cas qu’il s’applique.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux pour votre travail. J’ai reçu des informations de la part d’avocats qui craignent que l’introduction de l’expression « qui a pour effet d’empêcher la procréation de façon définitive » ne relève involontairement le seuil de voies de fait graves en précisant « de façon définitive », ce qui n’est pas nécessaire pour établir la mutilation au sens du Code criminel. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet.

Pendant que vous y réfléchissez, des analyses menées par le ministère de la Justice ont montré que les lois, en particulier les lois pénales et les lois sur les peines, ne dissuadent pas nécessairement les comportements et que certains suggèrent que l’identification d’une loi comme celle-ci pourrait encourager les médecins à faire appel à des avocats, faute d’un meilleur terme, sans nécessairement changer leur comportement, et qu’une sensibilisation est nécessaire. Je souhaiterais connaître les mesures prises par le ministère de la Justice pour sensibiliser de manière générale et particulière les médecins, les avocats et autres professionnels.

Me Levman : Je répondrai d’abord à votre dernière question parce qu’elle porte sur quelque chose de plus récent.

Je conviens que, lorsque l’on élabore de nouvelles dispositions du code, il est toujours très important de prévoir une formation. La sénatrice Boyer a mentionné le Cercle des survivants. J’ai eu le grand honneur d’en rencontrer les membres en personne et j’ai entendu parler de tout le travail remarquable qu’ils accomplissent. Il est certain que nous sommes là pour les soutenir et que nous continuerons de le faire à l’avenir.

Cette modification pourrait bien servir de point d’ancrage ou de support pour mettre en place des mesures de formation. Voilà ce que je dirai en réponse à votre deuxième question.

Votre première question porte sur la formulation « [...] a pour effet d’empêcher la procréation de façon définitive [...] », suivie de « —que l’acte soit ou non réversible par une opération chirurgicale ultérieure ».

Cela concerne le fait qu’il soit parfois possible, par exemple, de réparer des trompes de Fallope sectionnées, mais pour sectionner des trompes de Fallope, il faut aller dans le corps d’une personne, ce qui suppose une blessure et de graves dommages aux organes internes.

Je ne pense pas que l’inclusion du terme « de façon définitive » pose un problème, notamment si l’on ajoute « que l’acte soit réversible ou non ».

Toutefois, comme je l’ai dit, les voies de fait graves sont en réalité une infraction d’application générale, et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles on sait moins bien comment la loi s’applique dans un contexte médical. Ce libellé vient simplement préciser qu’en l’absence d’un consentement valide en droit, les actes de stérilisation, qu’ils soient réversibles ou non, constituent des voies de fait graves.

Je ne vois pas de problème, à moins que j’aie mal compris votre question, sénatrice.

La sénatrice Pate : Je pense que vous avez répondu à la question, mais ce qu’ils disaient, c’est qu’avec cette modification, le critère pour faire reconnaître une mutilation serait que celle-ci soit définitive. Je pense à de nombreux exemples où des voies de fait graves peuvent entraîner de très graves blessures, mais qui ne sont pas nécessairement permanentes. C’était la suggestion. Cette modification pourrait-elle durcir le critère?

Me Levman : Je ne pense pas, car lorsque l’on parle d’un acte chirurgical, on parle d’une intervention dont les résultats sont au moins temporairement permanents. Il faudrait subir une autre intervention pour les corriger.

Je pense que la définition est assez claire. Je crois comprendre, d’après les témoignages précédents, que la sénatrice Boyer a beaucoup travaillé et consulté sur cette définition. Elle souhaitera peut-être s’exprimer à ce sujet.

La sénatrice Pate : Il y a également la question de savoir s’il y a eu de nouvelles recherches sur la dissuasion depuis que le ministère de la Justice...

Me Levman : Pas à ma connaissance.

Le sénateur K. Wells : Je vais vous demander de m’aider à comprendre quelque chose. Si ce nouvel article est adopté, empêchera-t-il la stérilisation coercitive ou forcée d’un enfant intersexué ou le paragraphe 268(3) prévaudra-t-il dans ce cas? Y a-t-il un conflit entre ces dispositions?

Me Levman : Je devrais peut-être, dans l’intérêt du comité, passer en revue la disposition relative aux mutilations génitales féminines, les MGF, et la façon dont elle s’applique avec les exceptions, car c’est peut-être ce sur quoi vous achoppez, selon moi.

Le sénateur K. Wells : C’est l’exception expressément prévue au paragraphe 268(3) qui semble s’appliquer uniquement au libellé utilisé, à savoir les troubles du développement sexuel, que nous appelons communément l’intersexualité. Selon mon interprétation, il s’agit du seul groupe dans la société qui pourrait être légalement stérilisé sans son consentement.

Me Levman : Tout d’abord, je tiens à souligner que la disposition relative aux mutilations génitales féminines a été conçue pour lutter contre une forme très particulière de violence à l’égard des femmes. Elle ne visait pas de la question que vous soulevez.

Je tiens à souligner qu’en ce qui concerne les mutilations génitales féminines, la disposition dit que l’excision, l’infibulation ou la mutilation des organes génitaux féminins constituent des blessures ou des mutilations au sens des dispositions relatives aux agressions. Ensuite, il est dit que l’on ne peut y consentir, sauf dans deux cas très limités. L’un d’eux concerne les actes chirurgicaux légitimes, ce qui signifie généralement que ces exceptions concernent des cas tels que l’ablation d’une tumeur cancéreuse des lèvres ou peut-être la réparation des dommages causés par la mutilation génitale féminine même. Ce qui comprend l’excision. Par « excision », on entend simplement le fait de « couper ». C’est tout ce que cela veut dire. Nous devons donc garder à l’esprit que la plupart des actes chirurgicaux comportent des incisions.

L’alinéa 268(3)a) dispose que la loi reconnaît le consentement d’une personne à un acte médical valide et légitime comprenant l’excision des organes génitaux féminins. La question qui se pose alors est la suivante : qu’est-ce qu’un acte médical valide sur les organes génitaux féminins? Je viens de vous donner deux exemples.

En ce qui concerne les enfants intersexués, je sais que la médecine progresse, et je m’en remettrais aux médecins, car ce sont les experts en la matière, mais les urologues pédiatriques disent qu’en général, ces interventions ne devraient pas être pratiquées. Il faut donc s’interroger sur le bien-fondé d’une intervention sur un enfant intersexué. De plus, nous parlons ici des lèvres, autrement dit, uniquement des organes génitaux féminins.

Le sénateur K. Wells : Permettez-moi de vous donner un exemple autre que celui des organes génitaux féminins. Que se passerait-il dans le cas d’une circoncision ratée, où le pénis aurait été retiré, après quoi il y aurait eu une ablation des gonades de l’enfant à qui l’on aurait ensuite attribué le sexe féminin? Nous avons un cas célèbre de ce type. Cela s’est produit sans le consentement de l’enfant et même à l’insu des parents.

On pourrait donc considérer qu’il s’agit d’un cas de stérilisation forcée s’il n’y a pas eu de consentement de la part de l’enfant, des parents ou du tuteur.

Dans votre interprétation, le paragraphe 268(3) ne constituerait pas un moyen de défense, car il concerne les organes génitaux féminins.

Me Levman : Non. Je dis simplement qu’en ce qui concerne l’excision des lèvres féminines, la loi ne reconnaîtra le consentement que s’il s’agit d’un acte médical légitime. Dans le cas que vous venez de nous présenter, aucun consentement valable n’a été donné. Donc, outre l’opération ratée, il y a l’absence de consentement, ce qui signifie qu’il s’agit d’une agression, mais l’opération ratée est, de plus, visée à l’article 216, qui impose aux médecins un devoir de diligence raisonnable et sous-entend aussi des infractions de négligence criminelle.

En ce qui concerne la stérilisation forcée, nous nous concentrons sur les voies de fait graves, car c’est ce qui est en jeu ici, mais je tiens à souligner que le code impose aux médecins l’obligation de faire preuve de diligence raisonnable lorsqu’ils opèrent et pratiquent des actes médicaux. Lorsque cette obligation n’est pas respectée, on s’écarte nettement de ce qu’un médecin raisonnable ferait dans ce contexte, et les lois en matière de négligence criminelle s’appliqueront également.

Le sénateur K. Wells : Ce que nous voulons dire, en l’occurrence, à propos d’un bébé intersexué, c’est qu’aucun bébé ne peut donner son consentement. Il arrive donc parfois que le médecin exerce des pressions sur les parents pour qu’ils consentent à un acte chirurgical. Ensuite, lorsque l’enfant développe son identité de genre et se rend compte que son anatomie ne correspond pas à son identité, il ressent ce genre de détresse. C’est pourquoi la communauté intersexuée craint que cet article, qui concerne les organes génitaux féminins, soit utilisé à mauvais escient.

Comme vous le dites, nous arrivons peut-être à nous entendre — rien qui soit codifié —, mais certains médecins ne sont pas d’accord avec l’idée d’attendre que l’enfant soit en mesure de décider des actes chirurgicaux qu’il souhaite, le cas échéant, afin de correspondre au genre auquel il s’identifie.

Il y a une certaine inquiétude, et je ne sais pas si notre conversation embrouille ou clarifie davantage la situation pour les personnes concernées par une utilisation abusive d’un article particulier du code.

Me Levman : Je ne pense pas que le paragraphe 268(3) soit le problème. Il faut, selon moi, se demander si le droit pénal devrait reconnaître le consentement d’une personne autre que le patient, qui est un enfant dans un cas comme celui-ci. Cela soulève des questions juridiques distinctes de celles dont traitent les paragraphes 268(3) et (4) actuels.

Le sénateur K. Wells : Bien sûr, et je ne veux pas trop m’appesantir, mais à propos de « normal », qu’entend-on par « fonctions reproductives normales » et « apparence sexuelle normale »? En utilisant le terme « normal », on suppose automatiquement qu’il existe un état anormal. Est-ce que cet état serait anormal parce qu’il empêche une fonction médicale nécessaire? C’est souvent le moyen de défense : « Il s’agit d’un acte chirurgical nécessaire d’un point de vue médical. »

Me Levman : Il me semble, d’après le dossier du projet de loi qui a promulgué cette disposition, que le terme « normal » a été choisi pour désigner des organes génitaux féminins normaux. Si, par exemple, il y a une tumeur cancéreuse et que vous l’enlevez, vous rétablissez une apparence normale. Ce n’est peut-être pas le meilleur terme, et aujourd’hui, on en utiliserait peut-être un autre. Voilà maintenant près de 30 ans que cette disposition a été adoptée. Il en va de même si l’on répare les dommages causés par les mutilations génitales féminines : on essaie de rétablir une apparence « normale », c’est-à-dire l’apparence normale des lèvres féminines.

Le sénateur K. Wells : Je vous remercie de votre patience.

La sénatrice Clement : J’aimerais poursuivre sur le sujet sous un autre angle. Vous avez répondu à une question sur le fait que l’agression fait partie des types d’activité criminelle les plus anciens visés par le code et qu’il existe donc une jurisprudence ancienne abondante sur l’interprétation à en faire. Cependant, le sénateur Wells soulève de nouvelles questions importantes et différentes qui retiennent à présent notre attention. Disposons-nous aujourd’hui d’une jurisprudence qui puisse nous aider à traiter certaines de ces questions et à prendre conscience, en tant que société, que nous avons commis des erreurs dans la manière dont nous définissons les choses?

Me Boyle : La jurisprudence sur ces questions est limitée. Une recherche approfondie y a révélé l’existence de nombreux cas où des médecins ont été reconnus pénalement responsables d’actes non consentis pratiqués sur des patients dans l’exercice de leurs fonctions. Cependant, la jurisprudence se concentre dans une large mesure —presque exclusivement, en fait — sur les agressions sexuelles — les actes sexuels — commises sur des patients sans leur consentement. Il s’agit d’un sujet distinct.

Nous avons trouvé très peu de jurisprudence dans laquelle le droit en matière de voies de fait simples s’est appliqué à des cas d’agression, essentiellement dans des situations où une personne administre un traitement médical sans être médecin qualifié.

La jurisprudence concerne donc, dans l’immense majorité des cas, des agressions sexuelles.

Me Levman : Et ce serait commettre une fraude que de se présenter comme étant un professionnel de la santé et de prétendre à tort qu’un traitement aura un effet bénéfique, ce qui amènerait la personne à accepter de se soumettre à ce traitement. En pareil cas, ce consentement ne sera pas reconnu par la loi.

Pour ajouter à ce que ma collègue a dit, une modification comme celle-ci vise, entre autres, à encourager le signalement des cas et à faire en sorte que les gens se sentent écoutés et aient la confiance nécessaire pour se manifester. C’est, bien sûr, ce qui conduit pour finir à la jurisprudence moderne.

La sénatrice Clement : C’est très utile. Merci. Je tiens simplement à souligner ici que notre Code criminel n’a pas été révisé depuis plus de 50 ans, de sorte qu’il est, de manière générale, terriblement dépassé.

Le président : Les sénatrices et sénateurs ont-ils d’autres questions? Sinon, chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour remercier les témoins de leur participation et de leur présence aujourd’hui. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

Haut de page