LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 25 septembre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 h 32 (HE), avec vidéoconférence, partiellement à huis clos, pour étudier le projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).
Le sénateur David M. Arnot (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle David Arnot. Je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité.
J’invite maintenant les membres du comité à se présenter.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Oudar : Sénatrice Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, du territoire Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Simons : La sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vous souhaite la bienvenue. Je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non réstitué des Algonquins anishinabes.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour terminer notre étude du projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation). Notre premier groupe de témoins compte trois membres. Nous avons le plaisir d’accueillir, de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, la Dre Diane Francœur et la Dre Lynn Murphy-Kaulbeck. La Dre Margot Burnell, présidente de l’Association médicale canadienne, se joint également à nous par vidéoconférence.
Je remercie les témoins de s’être jointes à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par vos déclarations préliminaires avant de passer aux questions des députés.
Docteure Brunell, nous avez environ cinq minutes pour nous faire votre exposé. Nous vous écoutons.
Dre Margot Burnell, présidente, Association médicale canadienne : Merci, monsieur le président. Bonjour. C’est un plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui depuis le territoire traditionnel des peuples de la région visée par le Traité no 7 dans le sud de l’Alberta et le foyer de la nation métisse de la région 3 de l’Alberta.
En tant que médecin oncologue comptant près de 40 ans d’expérience, j’ai dirigé des services d’hôpitaux, contribué à la recherche clinique et fourni des conseils en matière de politiques de santé nationales. J’ai le privilège de représenter les médecins en exercice et en devenir de partout au pays et, à travers eux, leur patientèle.
Je vous remercie de l’invitation à donner le point de vue d’un médecin concernant le projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation). Monsieur le président, nous avons témoigné devant ce comité l’année dernière concernant le projet de loi original, soit le projet de loi S-250. Nous avions alors fait part de notre appui. Nous sommes ici aujourd’hui pour donner notre soutien au projet de loi S-228 et pour saluer la clarté qu’apportent les changements de formulation.
Le projet de loi S-228 indique clairement que l’exécution d’actes de stérilisation sans consentement libre, préalable et éclairé constitue des voies de fait graves. Cette clarté de formulation attirera possiblement davantage l’attention des médecins, des patientes et patients et des forces de l’ordre sur la question. La nouvelle disposition pourrait avoir une incidence considérable sur l’importance d’obtenir un consentement libre, préalable et éclairé et d’informer les patientes et patients des risques médicaux associés aux procédures médicales, notamment le risque de stérilisation, si les médecins doivent passer à l’action pour protéger la santé ou la vie, d’un point de vue médical. Cette précision pourrait également entraîner de meilleures mesures de prévention et des enquêtes plus rigoureuses.
L’Association médicale canadienne, ou AMC, condamne la pratique odieuse de la stérilisation forcée ou contrainte. Ces actes sont enracinés dans le racisme et la discrimination systémique et ont causé des dommages irréversibles, principalement à des femmes et des filles autochtones ainsi qu’à des personnes bispirituelles. Ils ont laissé un legs d’iniquité et d’injustice en matière de droits de la personne. La pratique de la stérilisation forcée ou contrainte, qui vise à contrôler la reproduction humaine en niant le droit d’avoir des enfants, engendre des dommages immenses qui se répercutent sur des générations pour les personnes qui ont été des victimes de ces actes. Ce chapitre sombre de l’histoire de notre pays n’est toujours pas terminé.
Autrefois, le gouvernement et une partie de la communauté médicale soutenaient ces pratiques pour réduire les naissances dans les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis, dans les communautés noires ainsi que chez les personnes présentant des vulnérabilités multiples liées à des déterminants sociaux et structurels de la santé, à l’ethnicité et à la déficience.
L’Association médicale canadienne s’engage à respecter les normes les plus élevées en matière d’éthique médicale et de soins aux patientes et patients. Nous devons toutefois également reconnaître le rôle de notre profession dans ces pratiques contraires à l’éthique. Les communautés médicale et juridique doivent faire front commun dans leur engagement indéfectible pour protéger les droits et la dignité de toutes les personnes du Canada.
Si le projet de loi S-250 représentait une avancée, la clarté du projet de loi S-228 constitue une protection accrue et une amélioration. Nous sommes en faveur des changements à apporter au Code criminel qui criminaliseraient les actes de stérilisation sans consentement libre, préalable et éclairé. Ces changements constituent une étape cruciale, mais ne représentent que le début du travail à accomplir.
Nous devons mettre fin au racisme systémique à l’encontre des Premières Nations, des Inuits et des Métis dans nos hôpitaux et dans l’ensemble de notre système de santé. Au moment où nous réformons le système, nous devons tenir fermement aux piliers de l’éthique médicale : traiter avec dignité et respect toutes les personnes tout en reconnaissant les vulnérabilités, en soutenant l’autonomie dans les décisions liées à la santé et en luttant contre les iniquités en matière de soins. Ces principes nous guideront vers un système réellement universel et équitable.
L’AMC approuve les changements à apporter au Code criminel prévus dans le projet de loi S-228. Nous souhaitons un avenir où les droits de toutes les personnes sont protégés et où le consentement est toujours primordial. Nous avons la responsabilité d’aider à faire du système de santé un endroit où règnent sécurité, dignité et soins pour tout le monde. Ensemble, nous devons veiller à ce que les prestataires de soins de santé soient bien outillés pour tenir compte de la sécurité culturelle et psychologique lors de leurs discussions sur la santé reproductive avec des patientes autochtones.
Nous félicitons le gouvernement pour son leadership à l’égard de la sensibilisation du public sur cet enjeu important et pour le leadership indéfectible du Cercle des survivants pour la justice reproductive dans son soutien des personnes les plus touchées par ces pratiques contraires à l’éthique.
La responsabilité exige de faire en sorte que les injustices de ces actes de stérilisation médicale forcée ou contrainte ne soient jamais répétées. Ces modifications constituent un pas vers la justice et nous obligent à en faire davantage. Je vous remercie.
Le président : Merci, docteure Burnell. Nous allons maintenant entendre les Dres Francœur et Murphy-Kaulbeck, de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.
Dre Lynn Murphy-Kaulbeck, présidente, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs.
Je suis la Dre Lynn Murphy-Kaulbeck. Je suis spécialiste en médecine materno-fœtale et présidente de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, ou SOGC. Je suis accompagnée de notre directrice générale, la Dre Diane Francœur, qui est également obstétricienne-gynécologue. Nous vous sommes reconnaissantes de nous avoir invitées à comparaître pour discuter de cette question d’une importance capitale.
Permettez-moi de commencer par être tout à fait claire. La SOGC condamne fermement la stérilisation forcée ou contrainte. Aucune femme ne devrait être soumise à la contraception permanente sans son consentement libre, préalable et éclairé. L’autonomie et le consentement dans la prise de décisions en matière de reproduction constituent la pierre angulaire de la pratique médicale éthique et un droit fondamental de la personne.
En 2019, nous avons publié un avis sur les soins contraceptifs non coercitifs précisément en raison du racisme systémique et des abus de confiance qui ont été révélés, notamment après le traitement tragique de Joyce Echaquan et les révélations plus générales issues du processus de vérité et de réconciliation. Nous devons continuer à reconnaître ces torts et à en assumer la responsabilité à l’échelle de notre profession.
Notre organisation a entrepris des démarches délibérées pour s’attaquer aux erreurs du passé afin de prévenir de tels préjudices. Nos programmes accrédités de formation continue comportent désormais des volets sur le consentement, la sensibilité culturelle et la reconnaissance des torts médicaux d’hier et d’aujourd’hui. La SOGC veille à ce que chaque médecin qui suit ses cours reçoive une formation qui soit fondée sur des données probantes et qui renforce les principes de soins éclairés et non coercitifs.
En ce qui concerne les torts médicaux infligés aux peuples autochtones dans les établissements de santé au Canada, nous avons reconnu publiquement que des préjudices historiques, persistants et inacceptables ont malheureusement eu lieu. La reconnaissance de ces torts constitue une étape importante vers la réconciliation et la guérison. En juin 2024, nous avons publié une déclaration publique condamnant sans équivoque la stérilisation forcée.
Nous reconnaissons que le projet de loi S-228 est présenté comme une mesure visant à rendre explicite ce qui est déjà couvert par les dispositions législatives en vigueur, car la stérilisation forcée est déjà illégale et ne devrait jamais être pratiquée au Canada. Nous savons également que l’article 45 du Code criminel prévoit déjà d’importantes protections pour les médecins dans des situations d’urgence.
Ce qui nous préoccupe, toutefois, c’est la façon dont le projet de loi sera interprété et appliqué sur le terrain, en milieu clinique. L’obstétrique et la gynécologie sont des domaines où les enjeux sont élevés et où des urgences peuvent survenir en quelques minutes. En cas d’hémorragie massive ou de grossesse ectopique rompue, les médecins ne peuvent pas se permettre de s’arrêter pour analyser les subtilités juridiques. Leur priorité doit être de sauver la vie de la patiente.
Si l’on a la moindre impression que ces interventions vitales pourraient ensuite être remises en question et considérées comme une éventuelle infraction criminelle, l’hésitation devient alors un risque réel, et les conséquences retombent sur la patiente, qui peut perdre de précieuses minutes de soins. De plus, si certaines procédures sont perçues comme des actes criminels, il se peut que les médecins s’abstiennent d’offrir la ligature des trompes aux femmes qui en font la demande dans le cadre de soins réguliers, et pas seulement en cas d’urgence.
Nous avons vu comment ce type d’effet dissuasif s’est déjà manifesté aux États-Unis, où l’incertitude juridique entourant les lois sur la santé reproductive a amené certains médecins à retarder ou à refuser un traitement urgent par crainte de poursuites judiciaires. Ces situations ont entraîné des décès de femmes aux États-Unis, décès qui auraient pu être évités. Si les médecins au Canada commencent à se demander s’ils risquent jusqu’à 14 ans de prison pour avoir fourni des soins d’urgence à une femme dont la vie aurait pu être en danger, cela pourrait avoir des conséquences tout aussi graves ici.
Ce qui nous préoccupe, ce n’est pas le principe d’interdire la stérilisation forcée; nous appuyons fermement cette interdiction. Il s’agit plutôt de veiller à ne pas créer par inadvertance un milieu où les médecins se sentent moins en sécurité lorsqu’ils prodiguent des soins urgents dont les femmes ont besoin pour survivre et s’épanouir.
Honorables sénateurs, nous partageons votre objectif de mettre fin à la pratique odieuse de la stérilisation forcée au Canada. Nous avons également le devoir de protéger l’accès des femmes à des soins de santé reproductive, prodigués en temps utile et avec respect, qui peuvent leur sauver la vie.
Je vous remercie de nous avoir invitées à prendre la parole ici aujourd’hui. Nous serons heureuses de répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs, en commençant à ma gauche par la vice-présidente, la sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : Merci à vous toutes d’être là aujourd’hui, malgré un préavis relativement court. Nous vous sommes reconnaissants de votre importante contribution.
Je veux d’abord m’adresser à la représentante de l’Association médicale canadienne. Je vous remercie de votre déclaration préliminaire, mais je voudrais simplement apporter une précision. Durant votre exposé, vous avez en quelque sorte remercié le gouvernement d’aller de l’avant dans ce dossier important. Il s’agit en fait d’un projet de loi émanant d’une sénatrice, et non du gouvernement. Tout le mérite revient à la sénatrice Boyer, qui est parmi nous aujourd’hui. Ce n’est pas un projet de loi du gouvernement. Je tenais à le souligner parce que notre collègue mérite cette reconnaissance.
Je m’adresse maintenant aux témoins de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. La dernière fois que vous avez témoigné devant notre comité, c’était le 20 mars 2024 dans le cadre de notre étude sur le projet de loi qui a précédé celui-ci, et j’ai la transcription de la séance. La Dre Francœur avait alors exprimé des réserves similaires, ou peut-être même plus marquées, à l’égard du risque de criminalisation, car, bien entendu, il s’agit d’une modification au Code criminel du Canada. Toutefois, à ce moment-là, le projet de loi avait une portée beaucoup plus vaste et comportait beaucoup plus d’éléments susceptibles de vous inquiéter, en tant que médecins. Aujourd’hui, le projet de loi a été considérablement allégé. C’est donc vraiment pour apporter une plus grande certitude, comme vous l’avez dit, je crois, en partie dans votre déclaration préliminaire, docteure Murphy-Kaulbeck — vous étiez davantage préoccupée par les répercussions possibles, si j’ai bien compris. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Reconnaissez-vous que ce projet de loi a été considérablement allégé par rapport à sa version précédente? Dans cette optique, est-ce que cela atténue certaines de vos préoccupations?
[Français]
Dre Diane Francœur, directrice générale, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada : Merci pour cette question. Je vous dirais que malheureusement, toute attaque contre les droits sexuels et reproductifs des femmes, si petite soit-elle, permet déjà de copier ce qui arrive aux États-Unis. Aux États-Unis, on a commencé par limiter le droit d’accès à l’avortement. Aujourd’hui, au moment où l’on se parle, il y a des femmes qui meurent d’une fausse couche parce qu’elles sont incapables d’avoir des services gynécologiques dans les urgences dans plusieurs États des États-Unis, et ce, parce que le médecin doit avoir une preuve hors de tout doute qu’il n’y a pas vie possible, étant donné que l’avortement est maintenant criminel dans certains États.
Lorsqu’on ouvre même un peu la voie à la criminalisation, on lui fait une place dans les droits sexuels et reproductifs des femmes; malheureusement, ce que nous craignons, c’est la possible interprétation en raison de la crainte de subir un procès et d’aller en prison pour 14 ans. C’est pour cette raison que nous sommes contre ce projet de loi. Cependant, comme la Dre Murphy-Kaulbeck l’a dit, nous condamnons totalement la stérilisation sans consentement et nous faisons les démarches nécessaires pour que cela n’arrive plus jamais. Nous ne pensons pas que le fait d’avoir un aspect législatif ou criminel sera une façon de l’arrêter.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je ne sais pas vraiment pourquoi vous avez commencé par faire une observation sur l’avortement et les États-Unis puisque, bien entendu, au Canada, nous n’avons pas de loi sur l’avortement, et ce, depuis, je crois, 1988, lorsque j’étais en 12e année.
Je comprends votre inquiétude quant au risque de glissement, mais nous avons ici un projet de loi présenté par une sénatrice, dont l’objectif est de protéger les femmes contre la stérilisation forcée. Je peux certainement comprendre que les professionnels de votre domaine qui font leur travail dans les règles de l’art... D’ailleurs, l’une de vos responsabilités consiste à vous assurer qu’ils exercent leur profession de manière appropriée et à intervenir en cas de manquement. Cela dit — et je comprends votre mise en garde contre un glissement —, reconnaissez-vous qu’il s’agit d’un élément considérablement différent et que cela ne fait que réaffirmer que la stérilisation forcée, c’est-à-dire sans consentement, relève des dispositions sur les voies de fait graves?
[Français]
Dre Francœur : Pour spécifier, il faut faire la différence entre une stérilisation prévue et faite de façon élective et une stérilisation urgente. Ce qui nous préoccupe, ce sont les urgences. Lorsque les femmes sont dans une condition médicale précaire et qu’il y a une hémorragie... Les femmes sont dans un état instable, elles risquent de mourir, elles sont jeunes, c’est leur premier enfant; malheureusement, la seule solution après avoir complété toutes les étapes sera de faire une hystérectomie après l’accouchement. L’hystérectomie est une chirurgie stérilisante, parce qu’on ne peut plus avoir d’enfants après.
Dans ces situations, on sait que l’article 45, en principe, a été rédigé pour que les médecins aient la liberté de prendre des décisions sans consentement, la femme étant entre la vie et la mort. Évidemment, on doit aviser la famille, mais ce n’est pas elle qui décidera.
Cela dit, dans ces étapes critiques où toutes les minutes comptent, malheureusement, il y aura une étape où l’on se demandera si l’on a pris la bonne décision. Est-ce qu’on risque une poursuite criminelle, parce qu’on va faire une chirurgie stérilisante qui n’était pas du tout le but?
Souvent, on va aller en salle d’opération et faire des procédures avant d’en arriver à l’hystérectomie : on va faire toutes sortes de sutures, mettre des ballonnets, mettre toutes sortes de choses dans l’utérus pour que la mère puisse le conserver et avoir une famille après. Malheureusement, en 2025, il y a encore des femmes qui meurent d’hémorragie au Canada.
Il y a aussi l’exemple d’une grossesse ectopique rompue. On sait que lorsqu’une femme a une grossesse ectopique rompue, cela veut dire que le bébé est dans la trompe. Il y a des saignements dans la trompe, elle éclate et les saignements se répandent dans le ventre. Il s’agit d’une chirurgie urgente qui déplace tous les autres cas à la salle d’opération, parce que les femmes peuvent mourir d’un choc hémorragique. Le traitement est d’enlever la trompe.
Quand on reçoit la femme aux urgences et qu’elle est dans un état instable, on se dépêche. On obtiendra un consentement, mais on ne peut pas appeler cela un consentement éclairé lorsque cette personne est entre la vie et la mort. Même si on va expliquer tout ce qui peut se produire, on n’a pas le temps de s’assurer que le consentement est discuté dans tous les détails, comme lors d’une chirurgie élective. On va plutôt prendre le temps nécessaire pour parler à l’anesthésiste, préparer du sang, faire en sorte qu’il y ait quelqu’un pour nous aider si l’on découvre quelque chose pendant la chirurgie et qu’on a besoin d’un assistant. Tout cela se fait très vite. Le traitement est d’enlever la trompe, et cette chirurgie est stérilisante. Recommande-t-on d’en faire le moins possible parce qu’on n’a pas eu le consentement? Non. On ouvrira et on enlèvera la grossesse ectopique. Si la trompe est abîmée et qu’on ne la retire pas, on reviendra au même scénario six mois plus tard, tout cela parce que nous n’aurons pas réussi à obtenir un consentement éclairé, parce que la femme que l’on doit opérer est entre la vie et la mort.
Ces conditions ne se produisent pas tous les jours, mais elles se produisent. Au Canada, une femme qui meurt d’une chirurgie retardée ou qui n’a pas été faite adéquatement parce qu’on a possiblement une étape de loi criminelle potentielle, c’est une femme de trop. On a déjà la Charte canadienne des droits et libertés qui interdit de faire des stérilisations sans contentement, soit parce qu’on n’est pas capable de le donner ou parce qu’on n’est pas capable de l’obtenir, mais on croit que les collèges de médecins doivent prendre leurs responsabilités dans ce dossier et intervenir lorsque les médecins continuent de faire des stérilisations sans consentement. On les croit, ces femmes. Toutes ces histoires sont arrivées. Il faut que cela cesse. On est 100 % d’accord avec vous.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Pour faire suite rapidement à un point que vous avez mentionné vers la fin — j’écoutais l’interprétation, alors je veux m’assurer d’avoir bien compris —, pensez-vous que la Charte des droits protégerait normalement les femmes contre ce genre de situation si le projet de loi n’était pas adopté? Est-ce bien ce que vous disiez?
[Français]
Dre Francœur : Absolument. Je suis gynécologue pédiatrique. J’ai soigné des enfants handicapés toute ma vie. J’ai rencontré des parents au désespoir qui nous demandaient de faire une stérilisation, parce qu’ils considéraient que leur fille n’était pas apte à mener une grossesse. Chaque fois, on leur répond que malheureusement, si leur fille n’est pas apte à donner son consentement, on ne peut pas faire une chirurgie stérilisante. C’est ce que l’on enseigne.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci d’être avec nous, docteure Francœur.
Je vais pousser un peu plus loin les questions de ma collègue. En effet, l’article 45 vous protège dans des situations claires d’urgence où le médecin doit prendre une décision sans possibilité de consentement.
Ce projet de loi, tel qu’il est rédigé, malgré le fait qu’on ajoute une définition, ne change pas le fond de la loi. Ce que je comprends de tout cela, c’est qu’il faut nommer les choses. Le fait de nommer la stérilisation permet à des femmes qui jusqu’à maintenant ne se sont pas plaintes de voir que l’on nomme cette question dans le Code criminel lui-même. On ne change pas la loi. Cela a été mentionné ici par les spécialistes du ministère de la Justice : la loi telle qu’elle est sur les assauts demeure la même.
C’est quelque chose de relativement symbolique, même si c’est important. Vous vous opposez à cela, alors que cela pourrait quand même aider certaines femmes à comprendre qu’elles ont des droits.
[Traduction]
Dre Murphy-Kaulbeck : Je vais revenir sur un point qui a été soulevé tout à l’heure concernant l’exemple de l’avortement. L’enjeu, selon moi, ce n’est pas l’avortement, mais bien les droits en matière de santé sexuelle et reproductive. Lorsque nous criminalisons cela pour les femmes, nous constatons souvent qu’elles cessent de recevoir des soins. Je tenais simplement à le préciser.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je parle de...
Dre Murphy-Kaulbeck : Non, je sais. Je voulais simplement clarifier ce point. Je pense que c’est la santé des femmes qui nous préoccupe le plus.
[Français]
Dre Francœur : Il faut voir la forêt et non l’arbre. Ce qui nous inquiète, c’est le glissement. Je vous avoue que depuis que nous sommes venues ici le printemps dernier, la situation a dégénéré aux États-Unis. La criminalisation est entrée dans les droits sexuels et reproductifs des femmes. Je comprends bien qu’il faut informer et expliquer aux femmes ce que veut dire une stérilisation. Il y a plusieurs femmes qui ont des contre‑indications, par exemple à la contraception hormonale, ou qui ne peuvent pas avoir de stérilet, et qui n’auront d’autre choix que la stérilisation ou l’abstinence. On veut être là pour mieux les servir. Cela dit, il faut voir le côté négatif d’un potentiel glissement au chapitre des droits sexuels et reproductifs qui amènera des délais. On a beau ne pas vouloir se comparer à ce qui se passe aux États-Unis, lorsque le criminel fait partie de la décision médicale, on y pensera à deux fois. Ces délais auront un effet négatif dans la prise en charge des femmes.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je ne suis pas d’accord avec vous sur le fait qu’il y a un glissement à partir des États-Unis. Notre système, nos lois, tout est différent. Je comprends que cela sert votre argumentaire, mais nous ne sommes pas aux États‑Unis.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins d’éclairer ce dialogue essentiel sur un sujet d’une si grande importance.
Ma question porte simplement sur un point de clarification. Je suis reconnaissant de l’échange qui vient d’avoir lieu. Êtes-vous d’avis que l’article 45 n’offre pas une protection suffisante aux médecins pour leur permettre d’effectuer les interventions nécessaires, sous réserve de ce projet de loi?
Par exemple, pensez-vous qu’il est possible d’atténuer cet effet dissuasif chez les médecins si ceux-ci connaissent pleinement la portée et la teneur de l’article 45 du Code criminel afin de contrebalancer cet effet dissuasif et le glissement qui vient d’être évoqué?
[Français]
Dre Francœur : L’article 45, il faut le prendre avec parcimonie, dans le sens où même si les médecins ne pourront pas être accusés, certaines recommandations doivent toutefois être présentes pour une procédure d’urgence, même si on n’a pas pu obtenir un consentement éclairé. Vous savez, en obstétrique, tout va bien ou tout va mal. On entre dans une chambre et on n’aura peut-être pas encore vu la femme en travail, parce qu’elle s’est mise à saigner tout d’un coup. Elle vient d’arriver une heure avant, l’infirmière est en train de l’évaluer alors qu’on fait un accouchement dans une autre salle. Malheureusement, la salle d’accouchement est un milieu de soins particulier où l’on est toujours entre la joie, la vie et la mort : les choses vont mal, les bébés ne vont pas bien, et cetera.
Pour ce qui est de l’article 45, nous sommes heureux qu’on ait souhaité prévoir une certaine protection pour la décision médicale. Toutefois, on doit toujours essayer d’expliquer et de gagner la confiance d’une personne qu’on rencontre cinq minutes avant de devoir lui dire qu’elle saigne, que sa condition est instable et qu’elle risque de mourir, qu’on va aller en salle d’opération et tenter de faire des points pour sauver son utérus, mais qu’il est possible qu’on doive lui faire une hystérectomie. Ce n’est pas là un consentement éclairé, mais plutôt un film d’horreur qui s’annonce pour elle.
Nous comprenons l’intention. Cependant, le médecin aura toujours à se justifier. Évidemment, toutes ces situations seront discutées. Des comités d’évaluation de l’acte médical existent déjà dans les hôpitaux où l’on revoit ces situations pour s’assurer qu’un minimum a été fait. On nous demande si on a rencontré la famille pour leur expliquer et si on a envoyé un intermédiaire pour leur dire ce qui se passait. On essaie toujours de s’améliorer dans notre pratique. Malheureusement, ces situations se produisent.
Nous estimons que l’article 45 était plein de bonnes intentions. Il reste que, dans une situation où, par exemple, un médecin n’aura pas eu la chance de rencontrer la patiente ou sa famille, alors qu’il est coincé par un imprévu, il risque d’y avoir des délais dans la prise en charge rapide qui est nécessaire. Sans que cela mène nécessairement à un décès, cela peut conduire à des transfusions multiples et à des chirurgies plus importantes que ce qui était prévu.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Je vous remercie de ces précisions. Compte tenu de ce que vous venez de dire, docteure Francœur, considérez-vous le consentement éclairé comme une partie intégrante, comme une condition nécessaire, de l’article 45? Est-ce bien ce que vous dites, à savoir qu’il faut ajouter à l’article 45 l’exigence du consentement éclairé?
[Français]
Dre Francœur : Dans une situation d’urgence, on ne peut pas toujours obtenir un consentement éclairé. Je vous cite l’exemple d’une situation clinique qui m’est arrivée l’année dernière. Une nouvelle immigrante arrivée de l’Inde parlait une langue ancienne qui ressemblait à du pendjabi. Nous avons tenté en vain de trouver des interprètes. Elle était en travail avant son terme et le bébé était prématuré. J’étais incapable de couper le ventre d’une personne sans être certaine qu’elle comprenait ce que j’allais faire. On a finalement réussi à trouver un interprète à Vancouver. Tout le monde a sauté sur le téléphone pour au moins lui dire ce qui se passait. Son bébé était prématuré, elle avait un décollement placentaire et elle saignait. Sa condition posait plein de risques pour elle.
Il n’existe aucune profession où les praticiens sont parfaits. La plupart des obstétriciens gynécologues vont prendre soin des femmes et seront très attentifs pour leur expliquer une situation. Il arrivera toujours une situation où l’on est incapable de s’assurer que la personne devant nous a compris les conséquences et où l’on n’aura pas eu le temps d’expliquer davantage ou de retarder la procédure.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : J’aimerais poursuivre un peu dans la même veine. Êtes-vous en train de dire que le consentement éclairé fait partie de l’article 45?
[Français]
Dre Francœur : Non. De toute façon, lorsqu’on informe d’une procédure, selon l’urgence, on va évidemment expliquer les conséquences. Selon ce que je comprends, l’article 45 ne se veut pas une mesure protectrice, mais il permet de s’assurer qu’on ne va pas, par exemple, entamer des poursuites dans tous les cas où l’on n’aura pas obtenu un consentement détaillé et éclairé devant l’urgence de la situation. Pardonnez-moi si je n’ai pas bien compris l’intention de votre question.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : Le projet de loi S-228 ne vise que les stérilisations pratiquées sans consentement libre et éclairé. Si c’est la patiente qui en fait la demande et qu’on obtient un consentement valable, les médecins n’ont rien à craindre. L’article 45 protège toujours les médecins qui agissent de bonne foi en situation d’urgence. C’est la principale raison pour laquelle le comité a modifié et simplifié le projet de loi initial, soit le projet de loi S-250, présenté l’année dernière.
J’ai une autre question à poser. Quelles sont les probabilités d’une grossesse ectopique dans les deux trompes? Vous avez parlé des grossesses ectopiques dans les trompes. Une telle situation rendrait la patiente stérile, mais cela ne se produit-il pas habituellement dans une seule trompe? On ne peut pas l’avoir dans les deux trompes en même temps.
[Français]
Dre Francœur : Oui, mais la plupart du temps, la grossesse ectopique arrive dans la meilleure des trompes, parce que celle de l’autre côté est bloquée. C’est pourquoi la grossesse a lieu dans celle qui était la moins malade, pour ainsi dire.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : Cela pourrait donc rendre la personne stérile?
[Français]
Dre Francœur : Oui, tout à fait.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : C’est donc possible. Avez-vous entendu parler de Katy Bear? CBC a publié un article à son sujet : elle avait été stérilisée contre son gré à l’âge de 21 ans. Puis, 20 ans plus tard, elle a eu une grossesse ectopique et a dû subir l’ablation d’une trompe. Il s’agissait d’une grossesse ectopique de huit semaines, et une intervention chirurgicale d’urgence était absolument nécessaire.
En même temps, le médecin qui l’a prise en charge durant cette intervention d’urgence connaissait son dossier et savait qu’elle avait subi, 20 ans plus tôt, une ligature des trompes sans son consentement. Après en avoir discuté avec le médecin, Katy Bear a subi une réanastomose tubaire au cours de laquelle l’agrafe a été retirée. Elle avait moins de 5 % de chances de concevoir, mais elle est tombée enceinte. Sa fille, nommée Sage, est venue au monde en mars.
Ce n’est pas tout le monde qui a des grossesses ectopiques bilatérales et qui en ressort stérile. Je tiens à ce que ce soit clair. En général, ce type de grossesse se produit dans une seule trompe, sans forcément entraîner une stérilité.
[Français]
Dre Francœur : Vous avez tout à fait raison. Toutefois, on ne peut pas savoir tant qu’on ne voit pas l’état des deux trompes. Évidemment, le traitement conservateur est le premier choix, qui est d’enlever seulement la grossesse ectopique et de ne pas toucher à l’autre trompe.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : J’aimerais aborder un dernier point. Vous avez dit que le projet de loi S-228 aurait un effet dissuasif et que les médecins qui doivent réaliser des chirurgies d’urgence hésiteraient à intervenir, de peur d’être visés. Pourtant, nous avons déjà des dispositions sur les voies de fait. L’article 45 est déjà en place. Est-ce qu’on tient le même discours à propos des dispositions existantes sur les voies de fait?
Dre Murphy-Kaulbeck : Je pense que cela revient à la question de la criminalisation et au fait qu’elle soit si explicite. Comme nous l’avons dit dès le début, nous ne sommes pas d’accord. Ce n’est pas correct. Notre point de vue est qu’il existe actuellement une telle attention sur les droits des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive. Cela ne fera qu’attirer encore plus l’attention à cet égard.
D’autre part, nous savons — les médecins savent —, ce qu’implique le consentement éclairé, mais nous reconnaissons qu’il faut faire plus, cela ne fait aucun doute. Nous avons l’article 45 et nous savons que c’est illégal, mais il faut mettre davantage l’accent sur l’éducation du public et, plus particulièrement, sur celle des médecins. Qu’est-ce que le consentement éclairé et comment l’obtenir? Dans de nombreux endroits — enfin, dans tous les endroits maintenant —, il existe ce qu’on appelle un « temps mort ». C’est comme les listes de contrôle des compagnies aériennes. L’une des choses dont vous devez vous assurer avant de passer à l’étape suivante, c’est que vous avez signé et rempli ce document.
Comme je l’ai dit, il faut plus d’éducation. Nous devons également nous focaliser sur nos collèges. Quel est leur rôle dans tout cela? Il y a 10 collèges dans les provinces et 3 dans les territoires, et nous n’entendons pas parler d’eux à ce sujet. Ce sont en fait les organismes qui devraient aborder ces questions dont nous parlons, du point de vue des médecins qui font ce qui est mal et illégal.
Pour moi, comme je l’ai dit, les droits des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive sont désormais au cœur de nombreuses questions. Nous voulons nous assurer de protéger cet accès pour les femmes, mais aussi nous attaquer à toutes les questions qui doivent être abordées dans le cadre du processus de consentement éclairé. Pour y parvenir, nous devons travailler avec les femmes, en particulier avec les femmes autochtones. Nous devons nous asseoir, examiner la question et nous demander ce dont nous avons besoin pour garantir que toutes les femmes soient protégées et prises en charge comme elles le devraient.
Cela fait partie intégrante de notre démarche, cette perspective sur les droits des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive. Encore une fois, c’est une question qui pourrait se traduire par une suppression de l’accès des femmes ou par une remise en question de cet accès.
La sénatrice Boyer : D’accord. Merci.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup à vous trois, docteures, d’être ici aujourd’hui. Je partage tout à fait vos préoccupations quant à ce qui se passerait en cas d’urgence si les médecins devaient remettre en question leurs décisions, même si, en arrière-plan, ils ont les informations en provenance des États‑Unis. Bien entendu, nous ne sommes pas aux États-Unis, mais si vous prenez le temps de réfléchir à la possibilité d’être poursuivi au pénal, c’est très différent de la possibilité d’être sanctionné par l’ordre des médecins.
Je voudrais parler d’un autre type d’effet dissuasif. Je suis assez âgée pour me souvenir des histoires que me racontait ma belle-mère. Lorsqu’elle a demandé une ligature des trompes après cinq enfants et sept grossesses, elle a dû passer un examen psychiatrique. Lorsque ma propre mère a demandé une ligature des trompes quelques années plus tard, elle a dû obtenir une lettre de consentement signée par mon père, ce qu’elle n’a jamais manqué de lui rappeler.
Je crains que dans nos efforts très sincères pour essayer de protéger les femmes autochtones, nous ne réduisions l’accès des femmes autochtones et d’autres femmes aux soins gynécologiques nécessaires. Je crains que les médecins soient réticents à pratiquer des ligatures des trompes sur les femmes qui en font la demande, réticents à recommander des hystérectomies aux femmes qui souffrent de troubles gynécologiques et pour lesquelles une telle intervention pourrait être salutaire. Ils pourraient être très réticents à proposer des soins d’affirmation de genre s’ils craignent que six mois plus tard, la patiente revienne leur dire : « Je n’avais pas vraiment compris. Je regrette vraiment ma décision. Je n’ai pas été correctement informée. »
Pourriez-vous répondre à ma préoccupation plus générale concernant le fait que les médecins pourraient être moins enclins à proposer ou à fournir des traitements s’ils craignent d’être pénalisés pour des procédures médicales qui sont en fait courantes?
Dre Murphy-Kaulbeck : Merci de ces observations. Je suis d’accord. C’était l’un des points que j’ai soulevés dans ma déclaration liminaire. Encore une fois, je déteste revenir sans cesse là-dessus, mais lorsque vous criminalisez quelque chose, cela prend une toute autre dimension. Très honnêtement, lorsqu’on en parle entre nous, certains médecins affirment qu’ils renonceront à pratiquer une ligature des trompes parce qu’il n’y a rien d’autre en médecine qui puisse mener à une peine de 14 ans de prison.
Encore une fois, lorsque vous ajoutez cette dimension pénale, cela incite les médecins à y penser deux fois et à se tenir à l’écart. Nous avons une fois de plus fait allusion aux États-Unis, où c’est ce qui se passe. Des femmes se présentent avec des grossesses extra-utérines, mais les médecins refusent de les aider s’il y a un battement cardiaque fœtal, car s’il le faisait, cela serait considéré comme un acte criminel.
Lorsque vous considérez la situation sous cet angle, vous voyez les médecins prendre leurs distances et dire : « Non, je ne vais plus faire cela, car je ne peux pas courir ce risque. » C’est là que je reviens au consentement éclairé et à ce que nous devons faire pour l’améliorer afin que les personnes concernées — les femmes, en particulier les femmes autochtones, et les médecins — soient toutes sur la même longueur d’onde. Chacun doit comprendre ce qu’est ce consentement et quelles garanties il nous faut mettre en place afin que, lorsque nous, les médecins, allons de l’avant et que l’intervention a lieu, toutes les personnes impliquées — pas seulement le médecin, pas seulement la patiente —, toutes les personnes présentes dans la salle d’opération ou là où l’intervention a lieu comprennent que tout ce qui figure sur cette liste de contrôle a été pris en compte et que le consentement a été obtenu, une fois de plus, avant le début de l’intervention.
La criminalisation de quoi que ce soit change complètement la perspective, et cela m’inquiète. Dans le cadre de mon travail, j’ai vu les conséquences dévastatrices de la criminalisation de certaines choses aux États-Unis. Des femmes meurent. Je pense que l’accès à cette procédure, et peut-être à d’autres, va diminuer.
[Français]
Dre Francœur : Vous avez souligné un point extrêmement important : celui de la désinformation qui, malheureusement, est véhiculée actuellement. Les femmes ont tellement de difficultés d’accès à notre système de santé que souvent, elles doivent se tourner vers les réseaux sociaux pour s’informer. Laissez-nous vous dire que M. Trump nous a donné des maux de tête avec l’histoire du Tylenol.
Nous sommes obligés de prendre cette position pour rassurer les femmes du Canada, parce que certaines sont contre les vaccins ou la prise de Tylenol chez les femmes enceintes. Nous n’avons jamais fait cela auparavant, mais la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC) a donné environ 35 entrevues au cours des trois derniers jours pour rassurer les femmes sur le fait qu’elles peuvent prendre du Tylenol si elles font de la fièvre.
Pour revenir aux problèmes gynécologiques, avec ce que les femmes vont entendre dans les médias sociaux, elles auront énormément peur d’être stérilisées sans qu’on le leur dise. Soudainement, elles vont douter. Souvent, elles vont retarder certaines procédures. Les femmes noires, par exemple, ont trois fois plus de fibromes que les femmes blanches. Les fibromes font saigner. Ces femmes vont manquer du travail. Elles auront de l’anémie et auront besoin de transfusions. Ces femmes ne pourront pas être fonctionnelles parce qu’elles auront peur qu’on leur fasse subir des chirurgies sans leur consentement, qu’elles soient stérilisantes ou pas.
Malheureusement, c’est là que cela se passe. L’utérus et les trompes, c’est là qu’on travaille et c’est très difficile de séparer chacune des parties anatomiques.
Malheureusement, quand le doute s’installe chez les femmes parce qu’on leur donne de fausses informations et quand le doute de la poursuite criminelle possible s’installe chez les médecins, on a la tempête parfaite pour laisser les femmes seules avec leurs problèmes et sans solution. Je pense qu’on est capable de mieux soigner les femmes au Canada.
La sénatrice Simons : Merci.
La sénatrice Saint-Germain : Merci à vous trois d’être parmi nous.
Je constate, dans notre conversation de ce matin, une confusion par rapport à la compréhension du projet de loi. L’article 45 existe dans les situations d’urgence médicale et protège déjà les médecins.
Ce que le projet de loi S-228 ajoute, c’est de faire en sorte que l’on respecte les droits des femmes qui ont subi des abus lors de procédures médicales qui n’étaient ni nécessaires, ni urgentes, ni respectueuses et que l’on s’assure du consentement libre et éclairé des patientes — et j’ajouterais des patients, parce que l’on couvre aussi les droits reproductifs des humains. Donc, ce que le projet de loi ajoute, c’est le respect du droit des femmes; en même temps, il implique — et vous en avez toutes les deux parlé — qu’il est nécessaire d’éduquer les femmes et tous les humains sur leurs droits reproductifs, et il permet aussi d’informer les médecins sur les protocoles pour que, lorsqu’ils doivent exiger un consentement libre et éclairé, ils sachent de quoi il s’agit et comment cela peut se faire dans leur pratique.
Je ne veux pas entrer dans les exemples médicaux; ce n’est pas mon angle. Je vais donner un exemple mutatis mutandis. L’aide médicale à mourir a été assez complexe. Vous le savez, car vous avez été associées aux discussions; j’étais au Québec à l’époque moi aussi. On a quand même convenu qu’il était important d’avoir une formation et des protocoles. C’est quand même majeur.
Supposons que le projet de loi est adopté et entre en vigueur : comment croyez-vous que le Collège des médecins et l’Association médicale canadienne pourraient contribuer utilement à ce que les médecins comprennent bien qu’ils ont une protection et des obligations éthiques — on a fait référence aux plus hautes normes médicales — et qu’ils peuvent bien pratiquer la médecine sans crainte de criminalisation, tout en étant conscients de leurs droits et obligations en ce qui concerne le respect des droits des patients?
Dre Francœur : Merci pour cette question. La sénatrice Boyer connaît ma réponse, parce qu’on l’a approchée. La Dre Murphy-Kaulbeck parlait du time-out, qui est une procédure précédant une chirurgie. Tout cela a découlé du fait qu’il y avait des chirurgies qui étaient faites sur la mauvaise jambe, par exemple. Ce sont des filets de sécurité. On pense qu’on est capable de faire la même chose avec toute chirurgie stérilisante. C’est facile : on a juste besoin de financement pour qu’on puisse faire des vidéos dans toutes les langues pour que les femmes puissent comprendre les procédures dans leur propre langue. On a seulement besoin de mettre des règles : la stérilisation ne doit jamais être faite si elle n’a pas été discutée pendant la grossesse; il doit y avoir des notes claires au dossier; la femme doit réfléchir et revenir sur la question à une visite subséquente; la procédure doit être rediscutée le jour d’une stérilisation lors d’une césarienne.
Ces choses sont possibles, mais elles doivent être faites à grande échelle avec les femmes. Vous savez, on parle beaucoup des femmes des Premières Nations parce que ce sont elles qui ont été les plus grandes victimes — et on le sait que ces choses sont arrivées —, mais il faut trouver des façons pour que cela n’arrive plus pour toutes les femmes du Canada. On a un problème de langue dans notre pays. Parfois, on va faire un consentement avec un enfant parce que personne ne parle la langue.
Nous devons avoir ces outils standardisés d’une province à l’autre et ils devront être appliqués comme le time-out, qui fait partie des mesures étudiées lorsqu’Agrément Canada fait la visite des hôpitaux. On est obligé d’avoir cela dans une salle d’opération.
La sénatrice Saint-Germain : Vous reconnaissez donc que si la loi est adoptée, si ces protocoles s’appliquent à l’échelle du pays et si l’éducation des femmes sur leurs droits est améliorée, l’impact du projet de loi sera de prévenir le plus possible les situations documentées que nous avons connues?
Dre Francœur : J’aimerais vous répondre que j’espère que tout cela finira par s’appliquer même si la loi n’est pas adoptée, parce que c’est vraiment essentiel et nécessaire.
Avec toutes ces femmes qui ont souffert et qui ont raconté leur témoignage et leur vie personnelle, on ne peut plus faire semblant que le problème n’a pas existé. C’est la troisième fois que nous venons témoigner. Il faut arriver avec des solutions concrètes. Pour nous, la criminalisation n’est pas la seule solution.
La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Docteure Burnell, la sénatrice Saint-Germain a parlé de l’Association médicale canadienne. Avez-vous des observations à formuler sur la question qu’elle soulève concernant les protocoles, la formation et le rôle de cet organisme?
Dre Burnell : Merci, monsieur le président. Tout d’abord, je tiens à remercier la sénatrice Batters d’avoir corrigé l’information ainsi que la sénatrice Boyer du travail qu’elle a fait à ce sujet.
L’Association médicale canadienne, ou AMC, appuie ce nouveau projet de loi. Je pense que c’est la première étape vers la reconnaissance du problème. En tant que médecin, je suis sensible à ce qui a été soulevé par mes collègues. La mesure la plus importante, si ce projet de loi est adopté, est vraiment l’éducation et la formation de tout notre personnel et les discussions qui doivent se tenir avec nos patients afin d’établir une relation de confiance. Lorsque nous ferons cela, nous devrons probablement étoffer la liste des effets secondaires et possibilités les moins courants, simplement pour nous assurer d’être à l’aise, et veiller à ce que le patient et ses proches soient présents. Il s’agit vraiment d’amorcer le dialogue et de donner aux femmes les moyens de faire des choix éclairés. Il faut les inclure dans la discussion et respecter leur décision finale.
Le président : Docteure Murphy-Kaulbeck, souhaitez-vous dire quelque chose?
Dre Murphy-Kaulbeck : Une simple observation. Je pense qu’il faut dire que, indépendamment du fait que cette loi soit adoptée ou non, il est nécessaire de donner suite à tout ce dont nous avons discuté aujourd’hui.
Je tiens à souligner que, quelle que soit l’issue de ce projet de loi, nous devons travailler avec nos partenaires sur cette question. Comme je l’ai dit, cela devra se faire, que le projet de loi soit adopté ou non. Je pense que ce message doit être très clair pour tous, y compris pour les collèges et l’AMC : nous avons tous un rôle à jouer à cet égard. Je dirais simplement que du point de vue de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, nous préférerions aller de l’avant sans qu’il y ait criminalisation, compte tenu de la discussion d’aujourd’hui et des conséquences que cette modification pourrait avoir. Merci.
Le président : Merci. Je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour m’assurer que toutes les questions obtiennent une réponse.
La sénatrice Pate : Merci à tous nos témoins. Ma question s’adresse à la Dre Francœur et à la Dre Murphy-Kaulbeck, mais j’aimerais aussi avoir le point de vue de la Dre Burnell à ce sujet.
Il est tout à fait clair que cette question et la justification de ce projet de loi trouvent leur origine dans les attitudes et les pratiques discriminatoires classiques et actuelles de la profession médicale. Le racisme en est manifestement la cause profonde. Nous savons que cela a été le cas pour les Autochtones, mais aussi pour d’autres personnes racisées, en particulier celles d’origine africaine, ainsi que pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale et d’autres handicaps, les personnes pauvres et — dans un domaine dans lequel j’ai beaucoup travaillé — dans les prisons. Nous savons que c’est là la cause profonde.
Vous avez clairement expliqué pourquoi la criminalisation n’est pas la solution. C’est souvent la position que je défends dans de nombreux dossiers, car d’après mon expérience, la criminalisation conduit souvent à une judiciarisation non seulement de la part des ordres professionnels et des médecins eux-mêmes, mais aussi de ceux dont l’objectif est de protéger, pas nécessairement pour de bonnes raisons, ce type de pratiques discriminatoires.
Si vous étiez à la place de la sénatrice Boyer, que proposeriez‑vous? Cette question s’adresse aux deux organismes que vous représentez.
Dre Francœur : Nous avons rencontré la sénatrice Boyer à plusieurs reprises et nous savons de quel côté son cœur penche. Le nôtre n’est pas si loin. Il s’agit simplement de savoir comment nous allons atteindre le même objectif et parvenir à un consensus.
Je vais vous donner un exemple. Quelle sera la limite? Je suis gynécologue pédiatrique. Le cancer le plus fréquent chez les adolescentes est la leucémie. Que se passe-t-il quand on suit une chimiothérapie? La Dre Burnell le sait, car elle est oncologue. Vos ovaires sont détruits. Pas toujours, mais c’est bien souvent le cas. Que faut-il faire avec ces jeunes femmes? Elles ne pensent qu’à survivre. Puis elles vieillissent et se rendent compte qu’elles ne peuvent pas avoir d’enfant, car la chimiothérapie a stoppé le fonctionnement de leurs ovaires. Ce n’est donc pas une intervention chirurgicale, mais un traitement médical stérilisant. Où était le consentement? C’était une enfant et vous lui avez sauvé la vie.
Quand on parle de criminalisation, où se situe la limite? Où cela s’arrête-t-il? À mon avis, on va semer le doute dans l’esprit de nombreuses femmes quant au fait qu’il n’y avait pas d’autre solution. Nous avons vu des situations de ce genre, et il est vraiment difficile de revenir en arrière et de défaire toute l’histoire. C’est complètement différent de ce qui s’est passé avec les femmes autochtones, mais cela aura aussi un impact. C’est pour cette raison que nous recommandons de ne pas criminaliser. Néanmoins, nous devons trouver un moyen de mettre fin à ce genre de choses.
Nous pensons que l’éducation et la normalisation sont importantes pour peu qu’elles soient intégrées aux procédures hospitalières. C’est ce que fait l’accréditation au Canada lorsqu’elle intervient. Elle veille à ce que les gens se lavent les mains correctement, etc. Les droits et le consentement devraient faire partie de toutes ces décisions, car en réalité, lorsque vous signez un consentement éclairé — je ne sais pas combien d’avocats se trouvent dans cette salle —, vous avez deux pages de petits caractères que la plupart des gens ne comprennent pas. Nous appelons cela un consentement éclairé, mais s’il y avait un test après la signature, beaucoup de gens échoueraient parce qu’ils n’ont pas compris ce qu’ils signaient.
Le consentement sert davantage à voir quelle sera la procédure et quelles en seront les conséquences.
Dre Murphy-Kaulbeck : Je peux m’en tenir à quelque chose de très simple. Je voudrais que nous allions de l’avant avec bon nombre des mesures que nous avons proposées dans le cadre des travaux de vérité et réconciliation. Encore une fois, j’espère que, indépendamment de la question de la criminalisation, nous allons prendre du recul et établir ce que nous devons faire. Que devons‑nous faire en tant que médecins? Que devons-nous faire en tant que société, en tant que public et en tant que gouvernement pour régler cette question, mais aussi toutes les autres questions dont nous avons parlé aujourd’hui?
Si nous optons pour la criminalisation — et c’est là notre arme —, mais sans mettre autre chose en place, je pense que nous faillirons à notre devoir envers tout le monde. Nous devons vraiment nous attaquer à toutes les questions dont nous avons parlé au fil du temps dans le cadre de la démarche de vérité et réconciliation. Si nous criminalisons et en restons là, nous n’aurons rien réglé. Nous en serons toujours au même point, sans avoir réellement pris le temps de discuter de la manière de corriger ces injustices. Comment pouvons-nous travailler avec les groupes autochtones, les groupes marginalisés, toutes les femmes et toutes les personnes pour établir une façon de régler cela? La criminalisation ne couvrira que les cas rares; elle ne résoudra pas ce problème systémique.
Selon moi, qu’il y ait criminalisation ou non, ce n’est qu’une partie du problème. Nous devons nous attaquer à tous les autres éléments dont nous avons parlé aujourd’hui. Merci.
La sénatrice Pate : Docteure Burnell, vous vous êtes prononcée en faveur de cette mesure. Le Code criminel contient déjà des dispositions qui auraient pu être utilisées pour criminaliser ces actes, mais cela n’a pas été fait. J’ai la même question, mais j’aimerais également savoir comment, selon vous, cela changera la pratique en ce qui a trait aux poursuites et à d’autres égards.
Dre Burnell : Merci. Nous appuyons cette mesure législative, et je pense que cette nouvelle modification aide à répondre aux préoccupations précédentes. Je suis on ne peut plus d’accord avec le fait qu’il faut mettre en place d’autres processus de discussion, d’éducation et de création d’espaces culturellement et psychologiquement sûrs pour que les personnes concernées puissent discuter de cette question.
Bon nombre de ces décisions sont prévisibles. À vrai dire, ce qui préoccupe les autres médecins, ce sont les situations d’urgence où ils ne peuvent pas les anticiper. Nous sommes d’avis que les dispositions prévues à l’article 45 fournissent cette protection.
La sénatrice Pate : Je vous remercie.
La sénatrice Clement : Merci à vous toutes, docteures, non seulement de votre présence parmi nous, mais aussi de vos carrières respectives et du travail que vous avez accompli.
Je souscris sans réserve à la question de la sénatrice Saint-Germain sur la formation. Je voulais aller plus loin. Au sein de ce comité, nous sommes souvent amenés à criminaliser certaines choses à cause d’une absence de confiance. Comme les femmes noires et les femmes autochtones n’ont pas nécessairement confiance dans les institutions qui sont là pour nous protéger, nous avons besoin d’une transparence totale en ce qui concerne la formation qui est actuellement dispensée. Cette formation est‑elle à jour? Êtes-vous formés dans les facultés de médecine? À l’heure actuelle, êtes-vous formés pour faire face aux défis juridiques qui se posent aux médecins aujourd’hui? Il faut faire preuve de clarté et de transparence envers les communautés et le grand public afin de gagner leur confiance. En l’absence de cela, le recours au Code criminel est le processus qu’il faut suivre pour faire face aux problèmes.
Dre Murphy-Kaulbeck : Je peux formuler des observations à ce sujet, et j’estime que cela renvoie à ce que j’ai dit plus tôt.
En ce qui concerne la formation, comme nous l’avons dit, nous devons améliorer celle qui est offerte non seulement aux professionnels de l’obstétrique et de la gynécologie, mais aussi aux personnes responsables de l’ensemble du processus d’obtention d’un consentement éclairé. Je pense que notre expérience dans le domaine de l’aide médicale à mourir nous a aidés à cet égard, car c’est un domaine où il y a un second examen objectif et toutes sortes de choses à prendre en compte.
Pour en revenir à la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui, si nous voulons organiser une formation et nous pencher sur le consentement éclairé et la manière dont les médecins — mais aussi les autres professionnels de la santé — obtiennent ce consentement, je pense que nous devons aller à l’essentiel. Je crois que nous devons commencer par nous demander ce qui nous a amenés là. La réponse, c’est que nous n’avons pas eu ces conversations. Nous n’avons pas fait appel aux groupes dont nous avons besoin, et nous ne leur avons pas dit : « Travaillons ensemble ». Je pense que c’est l’élément le plus important que j’apporte aujourd’hui, à savoir que nous devons éliminer les obstacles et avoir ces conversations. Nous devons réellement examiner nos programmes de formation.
Je dirais que dans les facultés de médecine, cet enjeu devient de plus en plus important, mais il doit s’inscrire dans l’ensemble du système et s’étendre sur toute ma carrière. Même si j’ai appris ces concepts à la faculté de médecine, je suis toujours médecin aujourd’hui — et je ne vous révélerai pas mon âge — et j’ai encore besoin de m’atteler à la tâche d’apprentissage. J’ai encore besoin de suivre la FMC, c’est-à-dire la formation médicale continue.
C’est à cet égard qu’à mon avis, nous devons — et j’insiste encore une fois sur ce point — faire appel à nos partenaires, les femmes dont nous nous occupons au quotidien, et déterminer comment nous pouvons travailler ensemble. Que devons-nous améliorer pour faire en sorte que nous soyons tous sur la même longueur d’onde, que nous nous comprenions tous les uns les autres et que nous comprenions tous où nous voulons en venir lorsque nous entreprenons ce processus?
Là encore, j’estime que ce sont des mesures que nous devrions prendre de toute façon, indépendamment du projet de loi. Nous devrions avoir ces conversations et faire participer nos partenaires au processus. La SOGC va de l’avant à cet égard, mais il y a beaucoup d’efforts à déployer, et ils ne peuvent pas être déployés par un seul groupe. Ce cheminement doit avoir lieu au sein même du système.
La sénatrice Clement : Ces mesures ne « devraient » pas simplement être prises. Elles « doivent » l’être.
Dre Murphy-Kaulbeck : Elles « doivent » l’être, certainement.
La sénatrice Clement : Je vous remercie de vos réponses.
Dre Francœur : La SOGC met en œuvre un projet à l’échelle internationale, et nous offrons un programme d’éducation que nous dispensons en Afrique, en Haïti et dans le monde entier, appelé ALARM. Nous avons essayé à maintes reprises d’obtenir le soutien nécessaire pour donner la formation ALARM dans le Nord en collaboration avec la communauté, car il s’agit d’une formation destinée à tous les fournisseurs de soins de santé, comme les sages-femmes, les infirmières, la communauté et les aînés, mais quand vont-ils mettre ce projet en œuvre ici?
L’accent est principalement mis sur le respect dans la salle d’accouchement et sur la manière dont vous devez traiter les femmes. Nous obtenons parfois de meilleurs résultats dans les pays où les femmes n’ont pratiquement aucun droit. Ici, dans notre pays, nous avons tendance à mettre cet enjeu de côté. Or, il faut que nous le mettions en lumière.
Le président : Je vous remercie. Docteure Burnell, souhaitez‑vous formuler des observations en réponse à la question de la sénatrice Clement?
Dre Burnell : Je dirais que cette mesure législative est vraiment le dernier rempart au sein d’un processus, et je conviens que l’éducation, la formation et la discussion entre toutes nos femmes, leur choix et leur compréhension sont d’une importance capitale.
Ce projet de loi a été proposé par la sénatrice Boyer parce que de nombreux patients ont attiré son attention sur ce problème. J’espère que si la mesure est adoptée, elle ne sera jamais utilisée, parce que nous aurons fait un excellent travail en matière d’éducation, de discussion et de création d’espaces sûrs et propices à la confiance.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur K. Wells : Mes questions ont trouvé réponse. Au nom de tous les participants à la séance et de nos collègues, je remercie nos témoins pour ce dialogue très instructif.
Le président : Je crois que nous approuvons tous les commentaires du sénateur Wells. Merci beaucoup, chers témoins, d’avoir participé à cette audience aujourd’hui et d’avoir renseigné notre comité sur cet enjeu important.
Chers collègues, comme vous le savez, le plan de travail prévoyait que nous passions maintenant à l’étude article par article du projet de loi. Je tiens à dire d’emblée que, dans la pratique, le comité préfère généralement consacrer une séance entière à l’étude article par article des projets de loi. Cependant, dans le cas présent, les circonstances sont particulières, et le comité directeur a recommandé que nous entamions aujourd’hui cette étude. Nous ne pensons pas que cela créera un précédent, étant donné que le comité a déjà étudié ce projet de loi et examiné une version antérieure du projet de loi S-228, c’est‑à‑dire le projet de loi S-250, au cours de la dernière législature.
La sénatrice Batters a soulevé cette question, et nous avons eu une discussion fructueuse à ce sujet. À moins qu’il n’y ait des objections, nous allons maintenant passer à l’étude article par article du projet de loi. Je ne vois personne s’élever contre cette proposition.
Nous procéderons donc comme suit: comme cela fait un certain temps que nous n’avons pas procédé à une étude article par article, j’aimerais rappeler aux sénateurs un certain nombre de consignes.
Tout d’abord, si à un moment donné un sénateur ne comprend pas clairement où nous en sommes dans le processus, je l’invite à demander des éclaircissements. Je tiens à m’assurer que nous avons tous, à tout moment, la même compréhension de l’état d’avancement du processus.
Deuxièmement, en ce qui concerne les modalités du processus, lorsque plusieurs amendements sont proposés pour un même article, ceux-ci doivent être présentés dans l’ordre des lignes concernées de l’article.
Troisièmement, si un sénateur s’oppose à un article dans son ensemble, la procédure appropriée consiste non pas à présenter une motion visant à supprimer la totalité de l’article, mais plutôt à voter contre l’article tel qu’il figure dans le projet de loi.
Quatrièmement, certaines propositions d’amendement peuvent avoir des répercussions sur d’autres parties du projet de loi. Il est donc utile que, dans le cadre de ce processus, le sénateur qui propose un amendement indique au comité les autres dispositions du projet de loi sur lesquelles cet amendement pourrait avoir une incidence. Sinon, il sera très difficile pour les membres du comité de prendre des décisions cohérentes.
Cinquièmement, comme aucun avis n’est requis pour proposer des amendements, ces amendements n’ont bien sûr pas fait l’objet d’une analyse préliminaire visant à déterminer lesquels pourraient avoir des conséquences pour d’autres amendements et lesquels pourraient être contradictoires.
Sixièmement, si les membres du comité ont des questions concernant le processus ou la pertinence d’une décision, ils peuvent bien sûr invoquer le Règlement. En tant que président, j’écouterai les arguments avancés, et je déciderai quand une question ou une motion aura été suffisamment débattue, puis je rendrai ma décision.
Septièmement, le comité est maître de ses activités dans les limites fixées par le Sénat, et une décision peut faire l’objet d’un appel au comité si un membre demande si la décision doit être maintenue.
Huitièmement, je tiens à rappeler aux sénateurs que, en cas de doute quant aux résultats d’un vote à main levée ou à voix haute, le moyen le plus efficace de trancher la question consiste à demander un vote par appel nominal, qui fournit évidemment des résultats sans ambiguïté.
Enfin, les sénateurs savent que toute égalité des voix entraîne le rejet de la motion en question.
Y a-t-il des questions concernant ce que je viens d’exposer dans les neuf points précédents? Non? Dans la négative, nous pouvons maintenant aller de l’avant.
Sénateurs, nous allons maintenant passer à l’étude article par article du projet de loi S-228. Est-il convenu de procéder à l’étude article par article?
Des voix : Oui.
Le président : Êtes-vous d’accord de suspendre l’adoption du titre?
Des voix : Oui.
Le président : Êtes-vous d’accord de suspendre l’adoption du préambule?
Des voix : Oui.
Le président : L’article 1 est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Le préambule est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Le titre est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Est-ce que le comité veut...
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Avec dissidence? D’accord. Est-ce que le comité veut annexer des observations?
La sénatrice Pate : En raison des derniers témoignages, j’ai estimé qu’il fallait améliorer les processus de formation des professionnels de la santé, notamment par l’intermédiaire des collèges des médecins et des chirurgiens, mais comme je n’ai pas mis au point la formulation des observations requises, je m’en remets au comité. Je crois toutefois qu’une mesure dans ce sens serait utile, compte tenu des témoignages que nous avons entendus.
La sénatrice Batters : Au lieu d’en faire une observation dans le rapport du comité, il serait possible de simplement souligner ces observations dans l’exposé de quelqu’un ou même dans une question, si un sénateur ne souhaite pas prononcer un discours complet à ce sujet. Cependant, la sénatrice Boyer va sans aucun doute faire un discours à ce sujet. Ensuite, une personne qui souhaite soulever cette question pourrait l’évoquer au cours du débat et poser une question à ce sujet ou formuler une observation en demandant à la sénatrice Boyer ou à quelqu’un d’autre... et je suis sûre que le porte-parole du projet de loi, qui est le sénateur David Wells, je crois, pourrait poser la question. Cela pourrait également faire partie du processus. Il n’est pas nécessaire qu’une observation ait été formulée pour que l’enjeu soit abordé dans le cadre des débats.
Le président : Avez-vous d’autres commentaires à ajouter, sénatrice Pate?
La sénatrice Pate : Non. Comme je n’ai pas préparé d’observations au préalable, je vais accepter cette suggestion.
Le président : Le rapport ne comportera pas d’observations.
Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat, dans les deux langues officielles?
Des voix : Oui.
Le président : Le comité directeur s’est réuni, et je voudrais maintenant proposer que la présidence présente un ordre de renvoi général pour le comité au cours de la prochaine séance du Sénat ou dès que possible.
Voulez-vous voir cet ordre de renvoi, ou voulez-vous que je le lise? Il s’agit d’un ordre de renvoi standard dans lequel je propose ce qui suit :
Que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, conformément à l’article 12-7(9) du Règlement, soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir occasionnellement concernant les affaires juridiques et constitutionnelles en général;
Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 3 septembre 2029.
Approuvez-vous tous cet ordre de renvoi?
Des voix : Oui.
La sénatrice Batters : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi nous devrions présenter un tel ordre de renvoi général? Ce n’est pas une mesure que le comité des affaires juridiques prend habituellement, surtout parce que nous n’avons pas le temps de nous occuper de ce genre de choses.
Le président : C’est en reconnaissance du fait qu’il peut y avoir des questions qui méritent d’être étudiées. Sénatrice Batters, vous en avez mentionné une vous-même, à savoir le rapport du directeur des élections. Dans le passé, ces rapports ont été examinés en comité en invitant le directeur général des élections du Canada à formuler des observations au sujet des rapports sur les élections précédentes, par exemple. Cela donne au comité une grande marge de manœuvre pour examiner des enjeux. Bien entendu, tout doit faire l’objet d’un accord entre le comité directeur et tous les membres du comité.
La sénatrice Batters : Souhaitez-vous que quelqu’un propose que notre comité approuve cet ordre de renvoi?
Le président : Ce serait bien si vous proposiez cette motion.
La sénatrice Batters : Oui, je vais le faire.
Le président : La sénatrice Batters propose que tous les membres de notre comité approuvent l’ordre de renvoi dont j’ai parlé, et je donne suite à cette motion.
Des voix : D’accord.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, cela conclut ce que nous avions prévu de faire aujourd’hui. Je crois que nous avons conscience que nous souhaitons discuter de nos travaux futurs et des études que le comité pourrait entreprendre, mais nous n’avons pris aucune mesure à cet égard, dans l’attente des enjeux que les membres du comité souhaitent proposer à titre d’études. Nous ne sommes donc pas en mesure d’avoir une discussion à ce sujet aujourd’hui.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je tiens à vous informer que j’ai envoyé à tous vos bureaux deux tableaux que j’ai préparés pour l’étude du projet de loi S-209, qui devrait débuter la semaine prochaine. L’un d’eux porte sur les modifications apportées au projet de loi — je vous expliquerai ce qu’il en est —, et l’autre sur la comparaison entre les pays. Vous trouverez ces tableaux dans votre boîte de réception ce matin.
La sénatrice Saint-Germain : Monsieur le président, j’ai une question à vous poser concernant la procédure. Ces documents ne devraient-ils pas être envoyés par le greffier du comité?
Le président : Le greffier indique qu’il a déjà envoyé certains de ces documents dans le passé, mais qu’il va les renvoyer à tout le monde aujourd’hui.
(La séance est levée.)