LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 1er octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique.
Le sénateur David M. Arnot (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir. Je m’appelle David Arnot. Je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’invite mes collègues à se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Batters : Denise Batters, sénatrice de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Simons : Paula Simons, également du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine anishinabeg.
Le sénateur Dhillon : Baltej S. Dhillon, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour entreprendre notre étude du projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique.
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir la marraine du projet de loi, l’honorable sénatrice Julie Miville-Dechêne. Elle travaille sur ce dossier depuis plusieurs années. Je pense qu’il s’agit de la troisième version de ce travail. Nous lui souhaitons la bienvenue, et nous avons hâte d’entendre son témoignage aujourd’hui.
Nous vous remercions d’être des nôtres, sénatrice Miville-Dechêne. Nous allons commencer par votre déclaration préliminaire, de cinq à sept minutes environ, après quoi nous passerons aux questions.
[Français]
L’honorable Julie Miville-Dechêne, marraine du projet de loi : Bonjour, chers collègues. Je vais m’exprimer cinq minutes en anglais et je répondrai ensuite aux questions en français.
[Traduction]
Débutons par quelques chiffres frappants qui viennent de la commissaire britannique à l’enfance. La pornographie n’est plus quelque chose que seuls les adolescents recherchent. Des enfants du primaire tombent sur de la porno dans les médias sociaux, sur X principalement. Et ce n’est pas n’importe quelle pornographie. Ce sont des images violentes, dégradantes, et souvent illégales, écrit la commissaire. Selon une récente enquête, 70 % des enfants et des jeunes disent avoir vu de la porno en ligne. Plus du quart d’entre eux en ont vu à l’âge de 11 ans ou moins; 58 % d’entre eux ont vu des scènes d’étranglement; et 44 % ont vu des scènes de viol. Finalement, 44 % sont d’accord avec l’affirmation voulant que même si les filles disent d’abord non, elles peuvent tout de même être persuadées d’avoir une relation sexuelle.
C’est donc toute une génération qui est à risque, car le Canada n’a toujours pas légiféré pour obliger les distributeurs de porno en ligne à vérifier l’âge de leur clientèle.
Il y a cinq ans, quand j’ai commencé à travailler sur cet enjeu, peu de pays avaient agi. Aujourd’hui, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Europe et une vingtaine d’États américains protègent ou sont en voie de protéger les enfants des préjudices causés par la pornographie en ligne. En Californie, démocrates et républicains viennent d’approuver un projet de loi bipartisan de vérification de l’âge, et, dans un précédent important, la Cour suprême des États-Unis a récemment confirmé que la vérification de l’âge ne violait pas la liberté d’expression. L’Australie — un modèle dans ce domaine — vient de décider d’aller de l’avant après avoir investi dans des projets pilotes solides qui prouvent que la vérification et l’estimation d’âge peuvent se faire efficacement tout en respectant la vie privée.
Vous avez devant vous un projet de loi qui a été retravaillé et amélioré à la lumière des critiques et des consultations. Je ne satisferais pas les libertariens qui sont contre toute réglementation d’Internet. C’est évident. Mais ce projet de loi est attendu par les 77 % de Canadiens qui, selon un sondage réalisé par la firme Léger en 2024, souhaitent une vérification d’âge pour protéger leurs enfants de l’exposition à la porno. C’est sans compter les pédiatres, et le Centre canadien de protection des enfants.
Concrètement, voici les changements significatifs apportés au projet de loi S-209 par rapport à son prédécesseur, le projet de loi S-210, mort au Feuilleton.
J’ai renforcé la formulation des principes garantissant la confidentialité et l’efficacité de la vérification de l’âge. Cependant, comme par le passé, les méthodes de vérification autorisées seront déterminées à l’étape de la réglementation, à mesure que la technologie évoluera. Grâce aux progrès technologiques, l’estimation de l’âge a été ajoutée à la vérification de l’âge en tant que méthode acceptable, étant donné que cette estimation est plus précise qu’auparavant et ne nécessite aucune preuve d’identité.
La définition au cœur du projet de loi S-209 a été clarifiée. Le terme « matériel sexuellement explicite », qui provient du Code criminel et qui est considéré comme ambigu par certains, a été supprimé. Nous avons plutôt choisi d’utiliser le terme plus courant « matériel pornographique », dont la définition suivante est inspirée d’éléments du Code criminel : « dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, des seins, des organes génitaux ou de la région anale d’une personne ».
Deux articles ont également été ajoutés au libellé : l’article 6, qui garantit que la loi ne s’applique pas aux intermédiaires, comme les fournisseurs de services Internet et les moteurs de recherche, parce qu’ils transmettent le matériel pornographique de façon incidente et non délibérée; et l’article 12, qui garantit que le gouvernement disposera de la marge de manœuvre nécessaire pour décider de la portée de la loi, laquelle pourrait, ou non, imiter la législation du Royaume-Uni et soumettre les sites Web pornographiques et les contenus des réseaux sociaux à une vérification de l’âge. Cependant, si nous voulons vraiment protéger les enfants, nous ne devons pas perdre de vue le fait que 45 % des mineurs affirment avoir vu du matériel pornographique sur l’application X, comparativement à 35 %, sur des sites Web pornographiques.
La société protège depuis longtemps les mineurs contre des produits nocifs, comme l’alcool, les cigarettes, le cannabis et les paris en ligne. Il est difficile de comprendre comment nous avons pu, pendant les 20 dernières années, permettre aux enfants d’avoir un accès sans restriction à la pornographie en ligne, qui est néfaste. Même si les plateformes pornographiques disposent des moyens technologiques nécessaires pour restreindre l’accès des mineurs, elles ne l’ont pas fait. Il est grand temps de légiférer pour établir un meilleur équilibre entre la protection de millions d’enfants et la protection du droit à la liberté d’expression des adultes qui aiment la pornographie. Je pense que mon projet de loi est un pas vers une solution au problème.
Je vais maintenant répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie, sénatrice Miville-Dechêne. Nous allons maintenant passer aux séries de questions.
La sénatrice Batters : Je vous remercie beaucoup de votre déclaration, sénatrice Miville-Dechêne.
Pour commencer, je souligne que moi-même et, j’en suis sûre, de nombreux autres sénateurs qui sont présents aujourd’hui ou qui nous regardent peut-être, avons reçu un grand nombre de courriels de la part de Canadiens qui communiquaient leur opposition à votre projet de loi, de manière assez virulente dans certains cas. Je voulais vous donner l’occasion d’aborder certaines de leurs préoccupations dès le début des travaux du comité portant sur l’étude de ce projet de loi.
Comme je suis membre du comité des affaires juridiques depuis un certain temps déjà, je siégeais au comité vers la fin de l’étude que nous avons menée la dernière fois. Je sais donc que vous avez considérablement resserré la formulation de la version précédente du projet de loi, et je crois que vous avez travaillé en ce sens avec le sénateur Dalphond. Je précise notamment que, pour répondre à certaines de ces préoccupations, vous ne faites pas de distinction entre les avocats et les juges.
Des Canadiens nous ont écrit pour nous faire part de leurs préoccupations concernant les définitions trop générales du projet de loi, la censure par excès de conformité et les risques pour la vie privée liés aux mécanismes de vérification de l’âge que vous prétendez utiliser dans le cas présent. Vous pourriez peut-être répondre à certaines de ces préoccupations et expliquer à ces Canadiens pourquoi ils ne devraient pas craindre l’adoption d’une mesure législative de ce genre.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Le 25 juillet 2025, la Grande-Bretagne a mis en place une loi qui vérifie l’âge et il n’y a pas eu de crise majeure.
Bien sûr, il y a de petits problèmes de mise en vigueur, mais plusieurs pays ont mis en vigueur ce genre de loi depuis et il n’y a pas eu de fuites de données incroyables. Nous n’avons pas eu de scandale de ce genre.
Je vais reparler plus précisément des améliorations que j’ai apportées à ce projet de loi.
La première est le changement de terme au cœur du projet de loi. Auparavant, j’avais utilisé l’expression « matériel sexuellement explicite », qui était quand même une expression qui sortait du Code criminel et qui, selon la Cour suprême dans l’arrêt Sharpe, signifiait que l’on parlait ici de scènes sexuelles de proches qui ont un but sexuel. C’était un terme qui, nous semblait-il, était le bon. Plusieurs experts étaient d’accord avec cela. En fait, pour les gens qui voient « matériel sexuellement explicite », ce n’est pas une expression qui correspond forcément à la pornographie selon le commun des mortels.
Nous avons réfléchi à cela et nous nous sommes dit que ce sont des textes juridiques, bien sûr, mais ce sont aussi des textes que nous devons comprendre.
Nous avons alors créé de toutes pièces une nouvelle désignation, soit le « matériel pornographique », qui n’existait pas dans le Code criminel, mais nous avons utilisé des éléments de définition qui existaient dans le Code criminel.
Finalement, nous avons pris une très longue définition de trois alinéas et l’avons réduite en quelque chose de très simple qui est cette expression :
[...] toute représentation [...] dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, des seins, des organes génitaux ou de la région anale d’une personne [...]
Dans ce cas-ci, le terme important est « dans un but sexuel », qui s’applique à toute la définition. Nous avons donc resserré la définition, si vous voulez. En plus, n’oubliez pas que nous avons le paragraphe 7(2), qui est l’article indiquant qu’on exclut de cette loi tout ce qui est de la pornographie dans un but légitime, soit pour des questions artistiques, de médecine ou de recherche. Il y a une défense de but légitime qui est très forte.
Lorsque l’on nous dit, par exemple, qu’une série pourrait être censurée sur Netflix, eh bien non, tout simplement parce que c’est de l’art. Nous ne pouvons pas non plus invoquer « dans un but sexuel » quand il s’agit d’une scène.
Je crois que, en simplifiant le langage, nous avons rassuré certaines personnes. Voilà le premier changement.
Vous m’avez aussi parlé de la question de la vie privée. C’est très important. C’est sur ce sujet que nous avons reçu le plus de critiques. Je reçois, comme vous, des courriels de Canadiens qui sont inquiets.
Nous avons renforcé la définition qui avait déjà été renforcée. N’oublions pas que ce dont je vous fais part, dans ce projet de loi, c’est de principe, parce que la vérification et les choix fondamentaux sur les méthodes de vérification de l’âge seront élaborés dans la réglementation.
Regardez le langage utilisé. Au début, nous disions que le gouverneur en conseil devait examiner si le mécanisme était très efficace. Maintenant, nous avons changé « examiner » pour « vérifier ». En anglais, nous avons changé le mot « consider » pour le mot « ensure ». Nous nous assurons que le mécanisme est non seulement fiable, ce qui était le langage utilisé auparavant, mais très efficace. Vous voyez, nous renforçons le degré d’efficacité nécessaire.
Nous disons maintenant dans le projet de loi que cette vérification de l’âge ne doit pas être faite par le site porno ou par la plateforme X, mais il doit être fait par un tiers, par une compagnie qui n’a pas de relation avec le site porno.
Entre nous, cela s’appelle donc le « double anonymat ». Cela veut dire que le site va embaucher ce qu’on appelle des « vérificateurs de l’âge »; on vérifie l’âge d’une façon X ou Y, mais on ne donne au client qu’un jeton qui lui permet normalement de retourner au site Web sans avoir à s’identifier. Tout ce qu’on sait, c’est que le client doit avoir plus de 18 ans.
Le fait d’embaucher une compagnie tierce accréditée pour faire cette vérification de l’âge nous assure que ce ne seront pas les sites pornos, notamment, qui voudront peut-être récupérer les données des clients. En ce sens, je pense qu’ici, il y a beaucoup d’assurance que tout sera fait selon les règles. N’oublions pas qu’au Canada, nous avons des lois sur la vie privée. Bien sûr, on essaie de les rendre plus fortes, mais nous sommes un État de droit. Donc oui, il y a toujours des inquiétudes dans ce genre de chose, mais n’oublions pas que ce qu’on essaie d’équilibrer ici, c’est le bien-être et la santé de millions d’enfants et le fait de pouvoir atteindre un site porno immédiatement plutôt qu’en faisant une vérification de 40 secondes.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je vous remercie de votre réponse, qui est très rassurante. Je vous en suis reconnaissante.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Sénatrice Miville-Dechêne, avant tout, je veux souligner votre leadership sur cette question ainsi que l’ouverture et la détermination que vous avez manifestées, notamment face à des amendements qui ont fait suite à la première série de consultations.
Dans un premier temps, ma principale question, comme la question complémentaire que je vous poserai en même temps, porte sur les impacts négatifs de la consommation de pornographie chez les moins de 18 ans, auxquels vous faites référence dès le préambule du projet de loi.
On dit notamment :
que la consommation de matériel pornographique par les jeunes est associée à une série de graves préjudices, notamment le développement d’une dépendance à la pornographie, le renforcement de stéréotypes sexuels et le développement d’attitudes favorables au harcèlement et à la violence — y compris le harcèlement sexuel et la violence sexuelle — en particulier à l’égard des femmes;
Ma question porte sur ces deux liens spécifiques qui sont faits. J’aimerais savoir quelle documentation ou quelles études scientifiques vous ont permis de faire ce lien entre la consommation de pornographie et la violence à l’égard des femmes. Dans un deuxième temps, en ce qui concerne la dépendance à la pornographie, ce n’est pas reconnu du point de vue médical dans le DSM-5 ni du point de vue juridique en droit canadien. À votre connaissance, est-ce qu’il y a des organismes de santé publique qui ont identifié ce problème de consommation de pornographie chez les jeunes comme étant un grave problème de santé publique?
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous dirais que les associations de pédiatres du Québec et du Canada ont donné leur appui au projet de loi. Vous me posez une question beaucoup plus ciblée, toutefois. Ce n’est pas dans vos notes, mais j’ai toujours dit que la recherche sur l’effet de la pornographie était difficile, parce qu’on ne peut pas installer des enfants devant de la pornographie et mesurer ce qui se passe. Ce serait complètement contraire à l’éthique. On ne fait donc pas de recherche de cause à effet; on fait une recherche avec des corrélations, avec des groupes de jeunes qui ont eu des contacts avec la pornographie.
Vous avez donc raison pour ce qui est de la dépendance. En ce moment, on a des anecdotes sur le caractère addictif de la pornographie. On en a quand même beaucoup, mais on n’en est pas au stade où cela a été répertorié officiellement.
Cela dit, pour ce qui est de la violence, je vous dirais que ce qui est probablement le plus grave, c’est qu’il y a une banalisation des comportements violents, c’est-à-dire que quand des enfants voient des activités sexuelles violentes, pour eux, c’est la norme, c’est la réalité. Ils ne comprennent pas que c’est de la performance. Ce n’est pas comme un adulte qui regarde de la pornographie et qui y voit une performance. Les enfants n’ont pas un développement aussi grand de leur capacité de discernement.
Il y a aussi, comme le dit le Centre canadien de protection de l’enfance — qui est quand même un organisme très reconnu —, une telle normalisation des comportements sexuels préjudiciables que les enfants sont davantage susceptibles de devenir des victimes de prédateurs, parce que pour eux, c’est normal de se livrer à ces actes.
Je vais vous revenir avec différents noms et différentes études, parce que malheureusement, je ne les connais pas toutes par cœur. J’ai surtout pris des agrégats d’études qui m’ont permis d’arriver à ces différents constats qui sont, comme vous l’avez dit, des difficultés à nouer des relations saines pour les enfants. Il y a beaucoup de choses qui nous inquiètent. On ne peut prétendre que la recherche est définitive et que rien ne va s’y ajouter, mais on en sait suffisamment pour faire preuve de prudence. Ce n’est pas pour rien que plusieurs pays ont agi. Cela existe.
La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Il y a soixante et un ans, la Cour suprême des États-Unis examinait la question de savoir ce qui constitue de la pornographie explicite. Le juge Potter Stewart a déclaré dans une phrase restée célèbre qu’il ne pouvait pas définir la pornographie explicite, mais qu’il « la reconnaissait quand il la voyait ». Cette difficulté à définir la pornographie dans le cadre du projet de loi n’est pas nouvelle, et ce n’est pas la première fois que cette difficulté est éprouvée sur notre continent. Je me réjouis vraiment que vous ayez renoncé à une définition qui posait problème. Cependant, je ne suis pas sûre que la nouvelle définition n’ouvre pas la voie à toute une série de nouveaux problèmes, car elle met beaucoup l’accent sur les parties du corps — ce que ma cousine Leslie appelait « les parties intimes » —, et non sur l’activité sexuelle. Vous avez décrit des exemples de pornographie explicite dans lesquels il y a des scènes d’étranglement et des scènes de viol. J’imagine que dans certaines de ces scènes, on ne voit pas forcément « les parties intimes ». Je me demande si cette définition n’est pas, à sa manière, tout aussi déroutante, parce qu’elle n’établit pas une corrélation directe avec la représentation d’un acte sexuel.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je reconnais le fait qu’il faut creuser énormément pour trouver la vérité. La vérité est difficile à trouver dans ces différents domaines.
La définition que nous avons reprise correspond en partie à celle qui était dans le Code criminel. Je ne pense pas qu’un projet de loi d’initiative parlementaire du Sénat doit tout reprendre à zéro et réinventer au complet, parce qu’il y a quand même une certaine jurisprudence attachée au Code criminel.
Je crois donc personnellement que le fait de parler de matériel pornographique est relativement clair. Je pense à l’experte Bénédicte, qui témoignera un peu plus tard et qui dit que, de tout temps, les amateurs de pornographie ou ceux qui voulaient le statu quo ont dit qu’on était incapable de définir la pornographie. Je vous dirais que cela fait partie des arguments pour ne pas légiférer.
Je ne vous impute pas cette responsabilité, mais je crois qu’il est assez simple de décider ce qui est du matériel pornographique. Il y a des tribunaux, mais je pense aussi qu’on abuse un peu des choses quand on dit que tout sera censuré sur Netflix parce qu’il y a quelques scènes de nudité. La question n’est pas d’avoir une scène de nu, mais qu’il y ait un but sexuel, qu’on essaie d’exciter. C’est là que cela devient de la pornographie.
[Traduction]
La sénatrice Simons : À quel moment la pornographie explicite devient de l’art?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Exactement, mais justement dans le cas de Netflix, d’une série qui porte sur des donjons, des princes, des actes...
La sénatrice Simons : Oui, des choses comme Game of Thrones ou La Chronique des Bridgerton sont remplies de choses sexuelles.
La sénatrice Miville-Dechêne : Exactement. Dans ce cas-ci, le but principal de l’émission, ce n’est pas la pornographie. Pour que ce soit de la pornographie, il faudrait qu’il y ait une histoire pornographique. Dans ce cas-ci, oui, on montre des seins et des fesses, mais ce n’est pas de la pornographie, c’est surtout de l’art. Un film, en général, c’est considéré comme de l’art.
En ce sens, il est exclu du projet de loi. On ne peut pas minimiser le paragraphe 7(2).
[Traduction]
La sénatrice Simons : Le problème, c’est que l’idée qu’un tribunal détermine ce qui constitue de la pornographie explicite est une chose, mais le projet de loi exigerait en fait que des personnes ou, j’en ai bien peur, des robots ou des algorithmes déterminent ce qui est pornographique et ce qui ne l’est pas. Voilà ce qui rend cette détermination si difficile. Je crains en effet qu’un grand nombre de plateformes et de producteurs commettent des erreurs ou configurent leurs ordinateurs de manière à pécher par excès de prudence. Nous avons vu des cas où, par exemple, Facebook a interdit des photos de femmes allaitant leurs bébés, parce que ses robots manquaient d’« intelligence ». Cette décision n’avait pas été prise par une personne. Elle avait été prise par un algorithme.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : On aura le temps de se reprendre. Tout ne sera pas parfait le jour où la loi entrera en vigueur. Par exemple, en Grande-Bretagne, dans les premières minutes qui ont suivi le moment où ils ont commencé à faire la vérification de l’âge, un site sur la guerre à Gaza a été bloqué. De toute évidence, on s’attend à ce que les plateformes fassent leur travail correctement et règlent leurs algorithmes pour bloquer seulement ce qui doit l’être.
Depuis le début, les plateformes n’ont pris aucune responsabilité pour la diffusion de cette pornographie à grande échelle. Ils considéraient que ce n’était pas leur problème que de s’assurer que les enfants ne puissent pas y avoir accès. On peut leur demander de se responsabiliser quelque peu.
Il n’y a pas que les plateformes. Maintenant, les enfants consomment de la pornographie en majorité sur les médias sociaux, sur X en particulier. Dans les statistiques que je vous ai données, on a vu que 45 % des enfants découvraient la pornographie sur X. Les plateformes doivent prendre leurs responsabilités et savoir où se trouve la pornographie. D’ailleurs, c’est déjà le cas. Certaines pages ayant du contenu pornographique affichent déjà une fenêtre contextuelle qui demande si nous sommes âgés de 18 ans ou plus ou qui nous avise que nous arrivons sur une page qui a du contenu pornographique. Les plateformes sont capables de voir où il y a des pages pornographiques.
[Traduction]
Le sénateur Dhillon : Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre travail dans ce dossier. J’estime que ce travail est important, et vous y avez déjà consacré beaucoup d’efforts.
J’ai également reçu un grand nombre des courriels dont parlait la sénatrice Batters, et je pense que les questions marginales concernant la définition de la pornographie et des éléments connexes sont des domaines dans lesquels nous pouvons tirer des enseignements d’autres pays qui ont été touchés par ces problèmes et qui ont pris des mesures efficaces pour y remédier, en plus de tirer parti de certaines de leurs pratiques exemplaires. En ce qui concerne les méthodes de vérification et d’estimation de l’âge dans le cadre de la réglementation — et il s’agit là de critères de base —, je m’interroge sur d’autres pays comme l’Australie qui ont adopté ces différents modèles pour leurs codes industriels et leur surveillance réglementaire, qui s’est également étendue aux plateformes de médias sociaux. Quelles leçons avons-nous tirées de leurs expériences, des leçons dont nous pourrions tenir compte à mesure que nous avançons dans ce domaine?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Dans le cas de l’Australie, le pays a pris plusieurs années à décider de faire la vérification de l’âge. Ce n’est pas encore en place. Cela le sera dans quelques mois. Ils ont fait des projets pilotes au coût de 6,5 millions de dollars pour savoir quelles méthodes fonctionnaient ou non. Ils savent maintenant qu’il y a une multitude de méthodes qui permettent de protéger la vie privée. Bien sûr, ces systèmes ne sont pas infaillibles.
Je vous explique notamment l’estimation de l’âge. Dans ce cas, la beauté — et cela n’existait pas quand j’ai commencé à travailler sur mon projet de loi —, c’est qu’on peut identifier l’âge approximatif d’une personne avec l’intelligence artificielle. Approximatif, parce que, pour ce qui est des adultes âgés de plus de 18 ans, l’estimation est très précise. Là où il y a un problème, c’est entre 14 et 18 ans, car c’est beaucoup plus difficile de connaître l’âge. Normalement, ce serait la première méthode qu’on utiliserait, parce que c’est la moins invasive.
Ensuite, si cela ne fonctionne pas, on utilisera une deuxième méthode un peu plus complexe. Dans le cas de la Grande-Bretagne, qui est vraiment le pays que j’ai le plus étudié, il y a plusieurs autres méthodes. Il faut qu’il y ait plusieurs méthodes possibles pour que les clients puissent choisir. Ici, on a le système bancaire ouvert, où l’on peut s’adresser à une banque pour savoir si la personne a plus de 18 ans. Il y a aussi la comparaison entre une photo d’identité et la personne qui est derrière l’écran. Dans ce cas, on veut une image qui bouge. La vérification de l’âge par des opérateurs de réseau mobile est aussi possible. Dans certains cas, quand on voit qu’il y a des filtres d’âge, on peut savoir que c’est un mineur. S’il n’y a pas de filtre d’âge, c’est quelqu’un qui est majeur. La vérification par carte de crédit existe aussi. Plusieurs méthodes existent. Malheureusement, il n’y en a pas une qui est parfaite.
L’Allemagne a commencé en 2002, si je me rappelle bien, à faire la vérification de l’âge pour les sites pornos. En Allemagne, on obéit. Les sites pornos nationaux ont obéi. Il n’y a jamais eu de fuite de données. Il y a 80 opérateurs qui sont autorisés à faire de la vérification de l’âge en Allemagne. Je comprends que c’est une question sensible et qu’il y a des craintes, parce que c’est de la pornographie, mais tout comme d’autres transactions sur le Web, celles-ci devront respecter des critères de vie privée assez importants.
Le sénateur Dhillon : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci, sénatrice Miville-Dechêne. J’ai bien en mémoire la première version de ce projet de loi, que vous avez présentée à peu près au moment où un tollé général s’est élevé pour que soient réglés les problèmes liés à l’entreprise Pornhub qui avaient été révélés.
La sénatrice Miville-Dechêne : Les images d’exploitation sexuelle d’enfants.
La sénatrice Pate : Exactement. La question que je me posais alors et que je me pose encore aujourd’hui — et je suis sûre que vous vous attendez à ce qu’on vous la pose — est la suivante : pourquoi avoir eu recours au droit pénal? Dans ce cas précis, il est apparu très clairement que toutes les ressources seraient consacrées au droit pénal, qui est un instrument brutal, que toutes les ressources seraient consacrées à la prévention. Ou il est apparu très clairement que la barre serait placée si haut qu’il serait difficile d’identifier exactement qui avait pris quelle décision au sein d’une entreprise comme Pornhub. Pourquoi ne pas se pencher sur des enjeux comme la propriété effective ou les sociétés à numéro, qui sont certains des moyens utilisés par des entreprises comme Pornhub et d’autres organisations pour se cacher derrière le voile de la société et pour maintenir leurs comportements, même après avoir été condamnées par le gouvernement en place à l’époque?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est une très bonne question qui a d’ailleurs failli faire dérailler le projet de loi au Sénat, parce que plusieurs se demandaient pourquoi on avait recours au Code criminel.
Nous avons fait faire une étude par la professeure Catherine Mathieu et maître Audrey Boctor sur l’utilisation du Code criminel dans ce projet de loi afin de savoir si elle était justifiée. Au-delà des arguments juridiques, le dommage fait par la pornographie peut certainement s’inscrire dans les différentes sections du Code criminel qui tentent de protéger les enfants. Il s’agit de dommages sérieux pour la santé publique des enfants. Ce mémo concluait que le projet de loi S-210, à l’époque, remplissait toutes les conditions pour se rattacher à la compétence fédérale en matière de droit criminel.
Il s’inscrivait aussi dans la lignée d’autres mesures législatives qui ont été jugées comme relevant du droit criminel. De toute évidence, on a donc considéré que puisqu’il fallait protéger les enfants contre des préjudices, on pouvait très bien se servir du Code criminel.
Cela dit, le Code criminel a ses limites, parce qu’on sera sans doute incapable de poursuivre une compagnie qui est à l’extérieur du Canada. C’est pour cela qu’il y a deux avenues possibles dans mon projet de loi. Il y a le Code criminel, qui définit une infraction au Code criminel comme celle visant à s’assurer que les enfants n’ont pas accès à ce matériel, mais il y a aussi une voie civile. Celle-ci correspond beaucoup à ce qui se fait un peu partout en ce moment dans les pays où l’on agit.
Il s’agit de l’idée suivante : quand on constate qu’une entreprise pornographique ou autre ne vérifie pas l’âge de ses clients, le gouverneur en conseil — il s’agit de décider comment cela se fera, ce pourrait être aussi des fonctionnaires — porte plainte en Cour fédérale et la Cour fédérale doit décider si les faits sont exacts. À ce moment-là, la punition ultime, si le site porno ou le média social ne se conforme pas, est de couper le signal. On demande au fournisseur de service Internet de couper le signal de la compagnie qui ne respecte pas la loi. C’est la solution ultime qui a été choisie en Grande-Bretagne, et c’est aussi celle qu’on utilise en France en ce moment pour menacer les sites qui ne veulent pas se conformer. Évidemment, il s’agit d’une punition ultime. Ces fournisseurs perdent toute leur clientèle.
Par conséquent, plus les pays choisiront cette voie, plus les sites pornos devront se conformer. Regardez ce qui se passe en Grande-Bretagne. Les grands sites comme Pornhub ont décidé de se conformer à la loi, ce qui est sans précédent. En Allemagne, cela fait une dizaine d’années que certains sites se battent pour ne pas se conformer à la loi. Mais en Grande-Bretagne, ils ont décidé de s’y conformer et d’utiliser les meilleures normes. Voilà donc pourquoi le Code criminel est utilisé — je connais votre réticence à criminaliser les choses.
Dans ce cas-ci, on parle de plateformes pornographiques qui ont un immense pouvoir, de sites extrêmement riches qui peuvent faire la pluie et le beau temps. L’idée est aussi d’envoyer un signal selon lequel on n’accepte plus cela, de la même façon que, dans une société normale, les enfants ne peuvent pas aller dans un cinéma porno ou dans une boutique de pornographie. C’est la même chose. On veut instaurer cela sur Internet, transmettre ces valeurs sur Internet pour protéger les enfants, parce qu’ils n’ont pas ce qu’il faut pour analyser la question et voir la pornographie pour ce qu’elle est : ce ne sont pas des relations sexuelles saines dans bien des cas. Bien sûr, il n’y a pas tout le temps des étouffements et tout, mais il existe quand même des choses très inquiétantes pour les femmes.
Une analyse a été menée dans une université américaine qui n’est pas nommée, selon laquelle sur 5 000 jeunes interrogés, près de 70 % avaient déjà expérimenté un étranglement dans leurs relations sexuelles. Dans 40 % des cas, cet étranglement a eu lieu entre 14 et 17 ans. C’est clair et je l’ai dit souvent : le fait que la pornographie soit maintenant complètement normalisée a un impact sur les relations entre les femmes et les hommes.
[Traduction]
Le sénateur K. Wells : Ma question porte principalement sur votre processus de consultation et sur l’élaboration des différentes versions du projet de loi et, en particulier, de celle qui nous est présentée aujourd’hui.
Je me demande si vous avez consulté des représentants de la communauté 2SLGBTQI+ au sujet des conséquences imprévues possibles, par exemple certains des problèmes que nous avons connus au cours des dernières décennies avec l’affaire Little Sisters Book and Art Emporium qui a été portée devant la Cour suprême du Canada et la manière dont les douanes canadiennes ont interprété la définition du mot « explicite » pour cibler et censurer les documents axés sur la communauté 2SLGBTQI+. C’est la première partie de la consultation qui m’intéresse. Deuxièmement, dans un même ordre d’idées, je me demande si vous avez consulté des organisations de jeunes à propos du projet de loi et, le cas échéant, je me demande quelle a été leur réaction.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je pourrais vous retrouver le nom des différents jeunes et des personnes issues de la communauté LGBT à qui j’ai parlé. Il ne s’agissait pas de consultations formelles. Ici, on parle d’un projet de loi d’initiative sénatoriale qui n’a pas nécessairement les budgets requis pour faire cela. Je vous dirais cependant que, comme partout, vous avez peut-être parlé à des jeunes qui étaient complètement contre cela, mais moi, c’est l’inverse. Je pense que les gens sont divisés sur un tel projet de loi. Il est évident que c’est un sujet controversé.
Sur la question LGBT, lors de la dernière réunion du comité, vous avez peut-être vu qu’on m’a posé plusieurs questions qui montraient que les personnes LGBT avaient peur de ce projet de loi. Elles ont peur d’être sorties du placard, alors qu’elles préféreraient rester discrètes. Je suis assez proche de la communauté LGBT au Québec, car vous savez que j’ai été émissaire aux droits et libertés de la personne. Il n’y avait pas, en général, de difficulté avec cela. Je pense que la plupart des personnes LGBT à qui j’ai parlé comprenaient qu’il fallait protéger les enfants de la pornographie. L’important était de se demander si les méthodes allaient respecter la vie privée. Si une personne LGBT se soumet à la vérification de l’âge, la confidentialité sera-t-elle assurée? C’est là-dessus qu’il faut se pencher.
Oui, les craintes sont normales et il y a des craintes de toutes parts, mais je ne crois pas que j’ai une réponse simple à vous donner, sinon que je continue à dire que des précautions seront prises, dans ce domaine comme dans d’autres. On n’est pas aux États-Unis non plus. Je reçois bon nombre de courriels selon lesquels les personnes LGBT aux États-Unis ont peur et ont peur de perdre leur emploi. Cette question de la vérification de l’âge vient donc s’ajouter à tout cela. On est quand même dans un pays de droits et je crois que si la vérification de l’âge est bien faite, il n’y aura pas de différence fondamentale entre les personnes hétérosexuelles, les personnes LGBT, les femmes et les hommes. Tous devront se soumettre à cette vérification de l’âge pour protéger les enfants.
La sénatrice Oudar : Merci, sénatrice Miville-Dechêne, de porter ce projet de loi et merci de votre patience et de votre enthousiasme, que plusieurs d’entre nous partagent. On a des questions d’applicabilité. On s’est préparés, merci, on a reçu beaucoup de documentation. On continue de recevoir des courriels et différents documents même pendant qu’on se parle ici en ce moment.
Je regardais même du côté des Nations unies, le Comité des droits de l’enfant, dès 2021, recommandait que les pays qui y adhèrent se dotent de systèmes solides de vérification de l’âge afin d’empêcher les enfants d’accéder à du matériel pornographique. Plus récemment, j’ai regardé ce que faisait l’Europe. Pourquoi? On a le souci de préserver à la fois le droit à la vie privée, un droit fondamental, mais à atteindre aussi l’équilibre entre ce qu’on appelle aujourd’hui les libertés numériques individuelles.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est exact.
La sénatrice Oudar : Voici ma première question : comment peut-on s’assurer de protéger ce droit à la vie privée?
Ma deuxième question concerne une technologie sur laquelle l’Europe s’est penchée cet été. Ils sont en train de se pratiquer sur un prototype développé par l’Union européenne. J’aimerais que vous nous parliez de cette technologie.
L’Europe s’est dotée d’un arsenal législatif important. Ils ont déjà commencé à tester une technologie qui préserve ce droit à la vie privée mais qui maintient aussi les libertés numériques individuelles.
J’aimerais que vous puissiez nous parler de cette protection du droit à la vie privée, mais aussi de la technologie que l’Europe est en train d’appliquer. C’est une application très concrète et on pourrait éventuellement profiter de cette expertise. Vous l’avez mentionné à juste titre : la France, le Danemark, la Grèce, l’Italie et l’Espagne se sont dotés de législations comme celles que nous sommes en train d’étudier.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ils font le projet pilote pour l’instant et certains ne sont pas encore arrivés à mettre en place la vérification de l’âge, mais ce projet pilote est très prometteur.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Europe a adopté une loi qui obligeait les plus grands distributeurs de pornographie à vérifier l’âge de leurs clients. Or, au bout de deux ans, rien. Les grandes plateformes n’ont rien fait. Donc, l’Europe entreprend une enquête; les choses ne sont pas si rapides que cela et il y a une enquête en cours pour savoir pourquoi et comment ils n’ont pas respecté la loi; ce qui est le cas, c’est évident.
Au même moment, l’Europe essaie de se doter de moyens technologiques pour que l’ensemble des pays membres puissent être au diapason. Pourquoi? Parce que ce sont justement des pays comme l’Allemagne qui ont dû faire face à des poursuites répétées de plateformes comme Pornhub, qui ne voulaient pas accepter qu’il y ait une loi les obligeant à faire de la vérification de l’âge. Les pays sont donc un peu craintifs face à ces immenses plateformes qui les menacent de poursuites à répétition.
L’Europe s’est dit qu’elle allait faire un projet pilote pour voir si cela peut marcher. N’oublions pas que l’Europe est pratiquement rendue à l’identité numérique; ils sont un peu en avance sur nous pour ce qui est de l’identité qui peut passer par un téléphone et qui est plus simple que de montrer son permis de conduire.
Je vous ai envoyé ce magnifique petit graphique qui montre comment la vérification de l’âge se fait en Europe. Très rapidement, je vous invite à aller voir ce document; c’est une application qui a été développée par l’Union européenne. J’imagine qu’ils ont eu un peu d’aide avec des applications, mais l’idée, c’est que tout se fait sans l’intervention d’un être humain. Il faut télécharger ses preuves d’identité dans l’application; à ce moment-là, l’application connaît l’âge du client ou sait qu’il a plus de 18 ans, et c’est elle qui va transmettre cette preuve au site pornographique au moyen de la technologie.
Je vous l’explique avec des termes très simples, parce que ce n’est pas ma spécialité, la technologie, mais c’est ce que sera le projet pilote. Je trouve que c’est une très bonne idée, car cela permet à des pays qui veulent se lancer dans l’aventure, comme l’Espagne et l’Italie, d’avoir d’abord un socle plus solide pour voir si cela fonctionne. Évidemment, si cela fonctionne sans être humain, cela coûte moins cher. J’imagine qu’il y a des avantages à cela. C’est ce qu’ils sont en train de faire.
Pour répondre à votre deuxième question sur la vie privée, j’en suis. C’est évident que lorsqu’on défend un projet de loi depuis cinq ans et qu’on entend jour après jour des critiques ou des inquiétudes selon lesquelles la vie privée du client peut être violée, on comprend que c’est très important. C’est pour cela que j’ai présenté des amendements une première fois, soit pour renforcer les principes relatifs à la vie privée, mais également une deuxième fois.
Donc, les moyens devaient être efficaces, mais maintenant, ils doivent être très efficaces. Cela vous donne une idée. Chaque fois que je refais ce projet de loi, je renforce les principes liés à la vie privée, et c’est ce qu’on peut espérer d’un projet de loi pareil.
Ce que je veux dire, c’est que je pense qu’il est tout à fait normal que je m’intéresse à la vie privée dans ce projet de loi. Oui, il faut protéger les enfants, mais pas aux dépens de la vie privée d’autres êtres humains qui ne veulent pas que leur vie privée soit étalée partout. Il y a encore beaucoup de tabous autour de la pornographie; plusieurs ne veulent pas être identifiés à cela, avec raison.
La sénatrice Clement : Merci pour votre leadership. Je me souviens encore de ma première réunion en comité, et c’était ce projet de loi qu’on était en train d’étudier. Vous avez dit : « Nous sommes un État de droit », mais il me semble que le monde a changé depuis ce premier projet de loi.
On a ce président chez nos voisins et on voit globalement qu’on a moins confiance dans les gouvernements. Je ne suis pas généralement dans le camp des libertariens, mais je trouve que j’ai moi-même un petit peu moins confiance dans le gouvernement maintenant, en 2025. Est-ce que vous avez pensé à cela dans cette nouvelle version?
La réponse que vous avez donnée à la sénatrice Oudar sur le plan des changements technologiques, est-ce que votre version actuelle s’adaptera justement à ce changement constant? Comment cette version s’adapte-t-elle à ces changements constants dans le domaine?
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez raison sur la confiance : elle diminue partout et c’est vraiment difficile pour n’importe quel gouvernement de présenter un projet de loi qui suscite l’adhésion. Imaginez quand ce projet de loi est porté par une seule personne.
Effectivement, on a beaucoup moins confiance dans les institutions qu’avant. Cela dit, quelle est la solution face à cela? Est-ce qu’on doit arrêter de rédiger des projets de loi pour tenter de protéger une partie de la population, ou est-ce qu’il faut essayer d’aller de l’avant, consulter, écouter et prendre note des inquiétudes?
Si on n’a plus confiance dans les institutions... Ce n’est pas le gouvernement qui ferait les vérifications de l’âge; on parle d’accréditation de compagnies qui se ferait par le gouvernement, comme ce qui se fait en Allemagne.
On parle de compagnies privées qui, normalement, répondent à des normes XYZ et qui feraient ce genre de vérification en éliminant ce qui est indiqué comme principe et en éliminant rapidement toutes les données qui ont pu être recueillies dès que la vérification de l’âge est terminée.
Il y a des balises, mais cette question de confiance est au cœur de la question. Quand j’ai parlé des libertariens, il n’y a pas seulement les libertariens, il y a une diminution de confiance dans les institutions. Effectivement, je me retrouve face à cela, mais je me dis qu’on n’est quand même pas pour laisser toute une génération — et je reprends ce terme — découvrir la sexualité de cette façon; il faut poursuivre nos efforts, parce qu’on sait que la sexualité est au cœur des relations entre les femmes et les hommes.
Franchement, j’y crois beaucoup pour avoir entendu des dizaines de témoignages de jeunes qui ont de la difficulté à avoir des relations à cause d’une consommation effrénée de pornographie, que ce soit des filles ou des garçons. Cette question d’étranglement dont je vous parle, c’est manifestement quelque chose qui vient de la pornographie, c’est un plaisir supposé qui serait obtenu en étranglant quelqu’un. Je ne suis pas prude; la sexualité est importante, la prévention est importante, l’éducation sexuelle est essentielle et elle n’est pas partout aussi importante qu’elle devrait l’être.
Évidemment, dans les nouveaux cours d’éducation sexuelle, au Québec notamment, on a intégré des éléments qui permettent d’avoir des discussions sur la pornographie. Une fois que les jeunes savent que ce n’est pas la réalité, mais de la performance, ça peut les aider.
Pourquoi ne pas essayer d’allonger un peu leur enfance et de reculer un peu le moment où ils auront accès à ces millions d’images qui peuvent être difficiles. Pardon, j’ai changé de sujet.
La sénatrice Clement : Au chapitre des changements technologiques, ça s’adapte.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ça s’adapte, justement. C’est pour cette raison que je ne mets que les principes dans le projet de loi, et que les méthodes choisies seront incluses dans la réglementation et pourront toujours être mises à jour.
On m’a beaucoup reproché de ne pas avoir de méthode. On dit : « C’est un mystère, cela n’a pas de bon sens, vous ne nous donnez pas les informations. » Mais plus on met de l’information et des méthodes précises dans un projet de loi, plus on s’empêche de changer les choses.
C’est ce qu’ils ont fait en Grande-Bretagne. Il y a un projet de loi avec des principes, c’est Ofcom qui est leur régulateur et il a donné différentes méthodes qui peuvent être utilisées. Et il y en a plusieurs.
Excusez-moi, j’ai changé de sujet.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Je vous remercie, sénatrice Miville-Dechêne, de votre travail dans ce dossier. Il s’agit d’un travail extrêmement important.
Vous avez mentionné le Royaume-Uni et l’Australie. En tant que sénateur, je suis frappé par la fréquence à laquelle l’Australie est en avance sur nous dans certains domaines et par son pragmatisme. Nous devrions nous tourner plus souvent vers ce pays pour trouver des réponses.
Cela fait maintenant cinq ans que vous vous occupez de cette question. Vous avez probablement eu des contacts avec des membres de notre propre gouvernement canadien. Depuis que je suis ici, j’ai certainement vu le gouvernement se pencher sur des questions moins importantes, moins cruciales, que celle-ci, liées au domaine social et à Internet. Pourquoi pensez-vous être seule devant nous à essayer de trouver une solution à ce problème au nom des Canadiens? Pourquoi pensez-vous que les gouvernements canadiens, passés et présents, n’ont pas jugé cet enjeu suffisamment important pour y donner suite?
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est une excellente question. D’abord, pour répondre à la question sur l’Australie, vous avez totalement raison. Je vous donne un exemple qui montre le sérieux de leur démarche. Il y a quelques années, ils ont tout arrêté sur la vérification de l’âge, parce qu’ils ont dit que la technologie n’était pas assez avancée pour avoir des méthodes de vérification de l’âge suffisamment fortes.
Ils ont refait des tests et là, ils disent qu’ils sont capables d’aller de l’avant avec les conditions que je vous ai données.
Votre autre question m’a fait faire des cauchemars et de l’insomnie, parce qu’en effet, c’est une question de santé publique importante. On croyait que le gouvernement, avec ce fameux projet de loi dont on a parlé pendant des années, qui était l’Online Safety Act, allait s’attaquer aux différents préjudices qui touchaient les enfants. Et Dieu sait que j’ai dit plusieurs fois que cela me ferait vraiment plaisir que cette question de la pornographie fasse partie d’un plus grand projet de loi administré par le gouvernement. C’est vraiment intéressant, parce que j’ai toujours eu l’appui du Bloc québécois, des conservateurs, du NPD, la plupart du temps, mais je n’ai jamais eu l’appui du gouvernement, qui a demandé aux députés libéraux de ne pas voter pour ce projet de loi.
La seule déclaration du premier ministre Trudeau à ce sujet était que c’était un projet de loi qui envoyait les Canadiens dans les coins sombres d’Internet et qu’il allait avoir un effet terrible sur leur vie privée. Bref, il n’était pas question d’ajouter des éléments sur la vérification de l’âge au projet de loi C-63 sur la sécurité en ligne, que le gouvernement avait mis de l’avant. Pour eux, c’était beaucoup trop explosif comme mot. Donc, il n’y a rien dans ce projet de loi sur la vérification de l’âge. Ce qu’il y a, c’est une phrase très générale qui dit qu’on va demander aux plateformes d’avoir des méthodes appropriées à l’âge pour protéger les enfants. Des méthodes appropriées à l’âge, ça peut être absolument n’importe quoi. On m’a prévenue et on m’a dit : « Mais non, Julie, ce n’est pas un problème, c’est la commission qui va décider, dans quelques années, si ces moyens peuvent être de la vérification d’âge. » Or, aucun pays n’a fonctionné ainsi, parce que justement, la vérification de l’âge, c’est controversé, et il faut que ce soit clair dans un projet de loi, que ce soit le mien ou celui du gouvernement, que c’est dans cette direction que l’on va pour les préjudices les plus graves.
Dans le cas de la Grande-Bretagne, cela touche non seulement la pornographie, mais aussi l’aide au suicide ou tout ce qui concerne le suicide. Pour ça aussi, il doit y avoir une vérification de l’âge, pour éviter que les enfants tombent là-dedans.
Le gouvernement est très difficile à décoder, parce que pendant plusieurs années, j’ai eu le sentiment qu’ils avaient compris ce que j’essayais de faire, et que cela allait faire partie du projet de loi C-63. Mais j’ai constaté, en le voyant, qu’ils n’allaient pas dans cette direction. Il est difficile de savoir pourquoi, mais je pense que vous avez tout à fait raison : c’est un enjeu suffisamment grave pour que ce soit le gouvernement qui s’en occupe. Et c’est ce qui est arrivé dans tous les autres pays dont je vous parle. Tous.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, il est maintenant 17 h 15, mais trois sénateurs ont encore des questions à poser dans le cadre de la deuxième série d’interventions, des questions que j’aimerais entendre et auxquelles j’aimerais qu’on apporte des réponses. Nous empiéterons sur le temps prévu pour le deuxième groupe d’experts pendant au plus 15 minutes.
La sénatrice Miville-Dechêne : Non, parce que nous voulons entendre ce qu’ils ont à dire.
Le président : Nous voulons entendre tout le monde. Avez-vous des objections à ce que je permette que la deuxième série d’interventions s’étende à trois questions?
La sénatrice Miville-Dechêne : Je devrais peut-être donner des réponses plus concises. Mes réponses sont légèrement longues.
Le président : Il reste quatre questions, alors soyez brève, s’il vous plaît.
La sénatrice Saint-Germain : Je vais poser ma question à une journaliste et, en tout, vous disposez de deux minutes pour y répondre.
[Français]
Dans la réalité, les règlements d’application d’un projet de loi sont extrêmement importants. C’est là où l’on voit si l’intention du législateur est respectée par le gouvernement.
Votre projet de loi porte beaucoup sur les principes; vous faites beaucoup confiance au gouvernement et à l’éventuel organisme qui serait créé — qui serait un organisme privé — pour la mise en œuvre de la loi qui serait éventuellement adoptée.
Selon vous, dans la réglementation, notamment sur les questions relatives à la vérification de l’âge de l’utilisateur, à la confidentialité, au rôle joué par cette organisation privée ou cette instance qui serait chargée de la mise en œuvre, comment les citoyens pourraient-ils avoir des garanties de protection, y compris de leurs droits, dans un État de droit?
La sénatrice Miville-Dechêne : Je me suis mal exprimée, ou nous nous sommes mal comprises. Ce ne serait absolument pas un organisme privé qui accréditerait les vérificateurs d’âge. Ce serait évidemment le gouvernement, ce serait des fonctionnaires qui le feraient. L’accréditation relèverait du gouvernement et ce serait des compagnies de vérification d’âge, qui ont déjà des normes, qui pourraient faire une demande pour être accréditées et travailler au Canada.
Je m’excuse, nous nous sommes mal comprises à ce sujet.
La sénatrice Saint-Germain : On aura l’occasion d’y revenir.
La sénatrice Oudar : Il y a une question qui me préoccupe depuis le début qui concerne la notion d’organisation ou d’entreprise à des fins commerciales.
Aujourd’hui, on est dans quelque chose de très différent dans le partage d’information par les médias sociaux. Quand on pense à Facebook, Instagram ou TikTok, le contenu est partagé non par une organisation à des fins commerciales, mais souvent par une personne qui va partager un contenu sexuellement explicite ou pornographique à une autre personne.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mon projet de loi ne s’adresse qu’aux organisations. Tel qu’il est défini dans le Code criminel, le terme « organisations » a trait à des compagnies, des ensembles de personnes qui sont liées. Donc, nous avons dès le début, après la première mouture, choisi de ne viser que les organisations, parce que nous ne voulions pas viser, par exemple, les travailleuses du sexe, qui sont des individus plus fragiles et dont c’est le métier. Donc, on s’en tient aux organisations et en faisant cela, on va quand même capturer beaucoup de monde.
Il y a 6 000 sites pornos en Grande-Bretagne, si je me rappelle bien, sur lesquels ils travaillent en ce moment. On a ce qu’il faut sur le plan de l’organisation pour intervenir, mais les clavardages et les conversations privées ne sont pas touchés par mon projet de loi.
La sénatrice Oudar : C’est justement l’objet de ma question. Je reviens sur l’exemple européen. À la Commission européenne, il y a une enquête sur Pornhub, Stripchat et XNXX, mais il y a aussi une enquête sur Facebook, Instagram et TikTok.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ils vont plus loin que moi.
La sénatrice Oudar : Oui, c’est ça. Il y a du partage de contenu et de matériel pornographique sexuellement explicites auxquels les jeunes sont exposés. Donc, est-ce que votre projet de loi ne rate pas la principale cible, où l’on retrouve du matériel pornographique sexuellement explicite auquel les jeunes sont exposés via ces plateformes?
La sénatrice Miville-Dechêne : On n’arrivera pas à régler ce problème à 100 %. Il y a des jeunes qui vont continuer de voir du matériel pornographique. C’est un choix délibéré de ne pas rentrer dans les conversations privées, parce que cela fait intervenir des principes relatifs à leur caractère privé par opposition à des sites qui déversent publiquement de la pornographie sur les enfants. On sait que beaucoup d’enfants regardent de la pornographie sur certains sites et sur les médias sociaux. Donc, ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau. J’essaie de cibler le plus possible mes efforts pour que ce projet de loi se tienne. C’est un signal et on peut s’attendre à ce que cela ait de l’effet. Cependant, ce ne sera pas immédiat et ce ne seront pas tous les enfants qui seront protégés. Il y a aussi la question des VPN, dont on n’a pas parlé ici, qui permettent de cacher les lieux visités. L’Europe est plus ambitieuse et cela me rend très heureuse. Comme sénatrice, je peux présenter un projet de loi ciblé. C’est comme ça que je réussis à avancer. Je ne peux pas tout viser.
La sénatrice Oudar : Est-ce que vous craignez que, de façon indirecte, les organisations dont on vient de parler se servent de ces plateformes pour diffuser du matériel pornographique aux jeunes et pour faire ce qu’on leur aurait interdit de faire directement, en passant par les plateformes comme TikTok et Instagram?
La sénatrice Miville-Dechêne : Il n’y a rien dans la réglementation de ce projet de loi qui interdit de l’étendre au-delà des sites pornographiques et d’essayer de rejoindre aussi les médias sociaux qui diffusent de la pornographie. Je vous l’ai dit, X est un diffuseur de pornographie dans plusieurs de ses pages. À l’article 12, je donne la possibilité au gouvernement, durant la phase de réglementation, de décider de la portée exacte du projet de loi. Je pense que c’est pour moi une question de modestie. Je ne suis pas la seule qui doit décider de la portée d’un tel projet de loi, parce que c’est une décision difficile et je la remets à la phase de réglementation. Merci pour votre question.
La sénatrice Oudar : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : En ce qui concerne ce dernier point, je vous fais remarquer qu’il s’agit toujours d’une infraction criminelle dans bon nombre de ces situations appropriées où des personnes distribuent... n’appelons pas cela de la « pornographie juvénile », appelons cela du « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels », conformément à la loi que nous avons adoptée au cours de la dernière législature. J’ai parrainé cette loi au Sénat, et elle a été présentée par les députés Arnold et Caputo. Bon nombre de ces cas, s’ils sont appropriés et constituent effectivement une infraction criminelle, pourraient être gérés en vertu du Code criminel, dans sa forme actuelle.
Le commentaire que je vous adresse visait simplement à préciser exactement ce qu’indique votre section sur la défense concernant le but légitime. L’article 7(2) stipule ce qui suit :
Nulle organisation ne peut être déclarée coupable d’une infraction prévue à l’article 5...
— c’est-à-dire le fait de mettre ce matériel pornographique à la disposition d’un jeune —
... si les actes qui constitueraient l’infraction ont un but légitime lié à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts.
Il s’agit d’un moyen de défense contre une accusation criminelle qui serait portée en vertu de cette disposition.
La sénatrice Miville-Dechêne : Absolument.
[Français]
Je crois que c’est une défense forte, parce qu’on ne veut pas que ce soit un projet de loi de censure. En mettant cette défense large, cela permet de continuer de montrer le corps humain pour ce qu’il est dans toutes sortes de situations. Ça peut ressembler à de la pornographie dans une série artistique, mais ça reste de l’art, d’abord et avant tout. Je crois que cette défense est importante et montre que ce n’est pas un projet de loi de censure, mais un projet de loi visant à protéger les enfants. Ce n’est pas du tout la même chose, de l’art avec de la nudité et de la pornographie. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Sénatrice Miville-Dechêne, je vous remercie d’avoir témoigné devant nous aujourd’hui, et d’être venue nous expliquer la teneur du projet de loi.
Nous sommes heureux d’accueillir notre deuxième groupe d’experts qui est composé de représentants du ministère du Patrimoine canadien, notamment d’Amy Awad, directrice générale, Direction générale des cadres de politiques pour les marchés numériques et créatifs, Affaires culturelles, et de Charlene Budnisky, directrice principale, Politiques réglementaires et législatives en matière de communication. Chers témoins, je vous remercie infiniment d’être venus aujourd’hui et de vous joindre à nous.
Je vous accorde trois à cinq minutes pour faire vos déclarations préliminaires. Ensuite, nous passerons rapidement aux questions. Merci.
Amy Awad, directrice générale, Direction générale des cadres de politiques pour les marchés numériques et créatifs, Affaires culturelles, Patrimoine canadien : Bonjour, monsieur le président. Bonjour, chers membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui devant vous au nom du ministère du Patrimoine canadien pour discuter du projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique.
Je remercie également la sénatrice Miville-Dechêne de la persévérance dont elle a fait preuve dans sa recherche d’une solution à ce que nous reconnaissons tous comme un problème important.
[Français]
Les Canadiennes et Canadiens s’attendent à être en sécurité dans leurs communautés, à la fois hors ligne et en ligne. Cependant, le cadre de la politique numérique du Canada n’a pas suivi le rythme de l’évolution rapide des plateformes en ligne, ce qui a donné lieu à de nouveaux préjudices, particulièrement pour les enfants. Protéger les enfants en ligne fait l’objet d’un large consensus et demeure une priorité du gouvernement.
[Traduction]
Patrimoine canadien a appuyé l’élaboration de la politique qui sous-tend la Loi sur les préjudices en ligne, qui constituait la partie 1 du projet de loi C-63 de la législature précédente. Dans le cadre de l’élaboration du projet de loi C-63, le ministère a largement consulté des experts, des survivants, la société civile et des membres du public au sujet des mesures à prendre pour lutter contre les contenus préjudiciables en ligne.
[Français]
Un thème commun est ressorti de ces consultations : la vulnérabilité des enfants en ligne et la nécessité de prendre des mesures proactives pour les protéger. Dans cet esprit, la Loi sur les préjudices en ligne proposait un devoir de protection des enfants, obligeant les plateformes à intégrer des caractéristiques de conception adaptées à l’âge pour les utilisateurs de moins de 18 ans. Bien que le projet de loi C-63 soit mort au Feuilleton en janvier 2025, l’engagement du gouvernement à lutter contre les préjudices en ligne demeure ferme.
[Traduction]
Comme votre comité s’en souvient peut-être, mon collègue Owen Ripley a fait un exposé sur le projet de loi S-210, c’est-à-dire la version antérieure du projet de loi actuel, au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes en 2024. Il a soulevé certaines préoccupations concernant ce projet de loi, notamment sa portée étendue, les risques qu’il posait pour la protection des renseignements personnels, sa faisabilité et sa mise en œuvre sur le plan technologique, son recours au blocage de sites Web et le manque de clarté de certains éléments et de sa mise en œuvre.
[Français]
Le gouvernement examine actuellement le projet de loi S-209 afin de proposer la meilleure solution possible pour assurer la sécurité des Canadiens en ligne. Nous avons pris note de certaines modifications importantes apportées au projet de loi S-209, notamment la limitation de la définition du « contenu sexuellement explicite » à la « pornographie », l’inclusion de l’estimation de l’âge dans les moyens de défense, ainsi qu’une meilleure clarté dans l’interprétation de l’expression « rendre accessible du matériel pornographique sur l’Internet à des fins commerciales ».
[Traduction]
Cela dit, certaines préoccupations subsistent. Les risques liés à la protection des renseignements personnels restent importants et doivent être soigneusement évalués à la lumière des récentes atteintes à la sécurité des données. Par ailleurs, le recours au blocage de sites Web comme moyen d’application de la loi reste controversé. Enfin, le projet de loi gagnerait à être éclairci quant à la nature criminelle et réglementaire de l’infraction créée et quant à la manière dont le mécanisme d’application de la loi, utilisé par l’organisme responsable de cette application, se rapporte à cette infraction.
[Français]
Nous notons également que nous disposons de comparaisons internationales plus accessibles depuis les audiences du comité sur le projet de loi S-210. Le Royaume-Uni et l’Australie ont tous deux adopté différentes exigences en matière de vérification de l’âge. Celles du Royaume-Uni sont entrées en vigueur en juillet dernier, et celles de l’Australie entreront en vigueur en décembre prochain. Patrimoine canadien surveille attentivement la mise en œuvre de ces initiatives ainsi que la réaction du public, afin de tirer des leçons des réussites et des apprentissages de nos partenaires internationaux.
[Traduction]
En conclusion, le ministère du Patrimoine canadien reconnaît l’urgence et l’importance de protéger les jeunes contre les contenus préjudiciables en ligne. Nous nous engageons à collaborer avec le Parlement, les intervenants et les Canadiens afin d’élaborer des solutions qui concilient la sécurité, la protection des renseignements personnels et la liberté d’expression.
[Français]
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie de votre déclaration préliminaire. Nous allons commencer par donner la parole à la vice-présidente, c’est-à-dire la sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Je vous remercie toutes les deux d’être présentes aujourd’hui pour répondre à nos questions au nom de votre ministère, Patrimoine canadien.
Tout d’abord, puisque vous avez mentionné la Loi sur les préjudices en ligne, je présume que vous étiez dans la salle pour écouter le dernier groupe d’experts. Comme le disait la sénatrice Miville-Dechêne, le projet de loi C-63, c’est-à-dire le projet de loi sur les préjudices en ligne, qui était à l’étude pendant la dernière législature, ne comprenait pas ces dispositions, alors je tenais simplement à savoir la raison pour laquelle c’était le cas.
Vous avez également fait allusion au témoignage que votre collègue, M. Ripley, a apporté en comité au sujet d’un projet de loi antérieur à celui-ci, mais au moment où votre collègue a témoigné devant le comité, le projet de loi de la sénatrice Miville-Dechêne n’avait pas encore pris sa forme définitive. Comme nous l’avons mentionné précédemment, d’importantes modifications ont été apportées afin de le renforcer. Ces amendements répondent-ils à certaines des préoccupations que vous aviez au sujet de ces éléments particuliers?
Mme Awad : Je vous remercie infiniment de vos questions, sénatrice Batters.
Je vais d’abord parler du projet de loi C-63. Comme l’a dit la sénatrice Miville-Dechêne, le projet de loi C-63 imposait aux plateformes en ligne ou aux services de médias sociaux l’obligation de protéger les enfants à l’aide de fonctionnalités adaptées à leur âge. Même si cette obligation n’occupait pas une grande partie du texte de loi, il s’agissait en fait d’une obligation assez importante, et nous nous attendions à ce que la commission de la sécurité numérique, qui aurait été créée par le projet de loi, fournisse des détails assez précis concernant les obligations des différentes catégories de plateformes. Ces obligations auraient pu inclure la vérification de l’âge ainsi que d’autres méthodes de contrôle de l’âge pour limiter l’accès à du matériel pornographique et à d’autres types de contenu préjudiciable.
Je pense que ce qui a été décrit précédemment, c’est que certains éléments du projet de loi actuel visent à établir les principes de base et à permettre à un organisme de réglementation d’en définir les détails ultérieurement, en raison de l’évolution rapide des technologies, des progrès réalisés et des pratiques exemplaires élaborées dans d’autres pays. C’était l’approche adoptée dans le projet de loi C-63, qui ne contenait donc aucune disposition excluant la vérification de l’âge. En fait, je crois que cela permettait à l’organisme de réglementation d’opter pour cette méthode pour protéger les enfants contre, dans ce cas-ci, le matériel pornographique.
La sénatrice Batters : Je dirais qu’une certaine brèche a été ouverte.
Je trouve étonnant qu’une seule sénatrice ait pu proposer un cadre aussi complet, alors que le gouvernement n’a jamais été en mesure de le faire. Le gouvernement s’est contenté d’annoncer la création d’un conseil de sécurité numérique, ou quelque chose comme cela, qui se chargerait de cette question à l’avenir. Je pense que c’est une manière plus transparente de traiter ce type de question plutôt que d’annoncer la création d’un conseil, sans que la population n’ait vraiment son mot à dire.
Qu’en est-il de mon autre question concernant votre collègue, M. Ripley? Vous avez fait référence à son témoignage devant le comité, mais c’était avant que des modifications importantes ne soient apportées. Cela aide-t-il le gouvernement à approuver ce projet de loi?
Mme Awad : En effet, les modifications apportées au projet de loi en matière de clarification de la définition de la pornographie, de la définition de l’utilisation à des fins commerciales et de l’utilisation fortuite et non délibérée sont pertinentes, et répondent à certaines des préoccupations soulevées par le gouvernement au sujet de la version précédente du projet de loi. Je pense que ces modifications étaient utiles.
Si vous me le permettez, je vais parler rapidement du projet de loi C-63. Peut-être est-ce déjà bien compris, mais le projet de loi C-63 visait à couvrir un large éventail de préjudices potentiels pour un grand groupe de personnes, de sorte que même la section sur la protection des enfants visait, bien entendu, à les protéger contre tous les types de préjudices auxquels ils pourraient être exposés en ligne. Le niveau de détail qui aurait été nécessaire dans le projet de loi si nous avions énuméré tous les préjudices possibles, y compris ceux qui pourraient survenir à mesure que la technologie et l’utilisation d’Internet évoluent, explique en partie pourquoi il n’y avait pas autant de détails et de précision que dans le projet de loi d’initiative parlementaire qui se concentre sur un préjudice spécifique. Le contexte demeure essentiel.
La sénatrice Batters : D’accord. Je vois que le projet de loi de la sénatrice Miville-Dechêne compte sept pages. Combien de pages comptait le projet de loi C-63?
Mme Awad : Je vous demande pardon?
La sénatrice Batters : Combien de pages comptait le projet de loi C-63? Je suppose que sept pages supplémentaires n’auraient pas représenté une partie importante du texte.
Mme Awad : Oui. Très bien. Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je suis un peu étonnée par votre réponse. La Grande-Bretagne a inclus très clairement dans son projet de loi intitulé Online Safety Act le fait que la vérification ou l’estimation de l’âge allait s’appliquer dans deux préjudices précis, soit la pornographie et l’incitation au suicide. Cela se fait. Pourquoi j’insiste? C’est qu’il y a là un choix politique. Il doit être assumé dans les projets de loi. Si ce choix était laissé à une commission, il n’y aurait plus de débat ou moins de débat possible. Je vous avoue que j’ai de la difficulté à saisir cela. J’aimerais avoir une réponse là-dessus.
De plus, vous avez parlé du fait que le blocage des sites demeure un problème pour le gouvernement. Encore une fois, c’est l’arme ultime adoptée par la France et la Grande-Bretagne. Quand ces compagnies qui ont beaucoup d’argent et beaucoup de pouvoirs décident de ne pas obéir aux lois, l’arme ultime, c’est le blocage de sites pornographiques. Comme pays souverain, en quoi le fait d’exercer le droit de bloquer un site qui n’obéit pas à la loi après que la Cour fédérale a jugé de la question est-il problématique? Il faut qu’on agisse. Les gouvernements souverains ont des droits.
[Traduction]
Mme Awad : Je vais d’abord répondre à la première question. Je crois que vous avez mentionné, par exemple, qu’au Royaume-Uni, le projet de loi sur la sécurité en ligne était plus précis en ce qui concerne l’utilisation de la vérification de l’âge pour certains types de contenu, et ainsi de suite. Ce que je peux dire, c’est que le processus d’élaboration du projet de loi C-63 a donné lieu à de vastes consultations, notamment avec des organismes de protection de l’enfance. Il a fallu examiner des exemples internationaux, et cela s’est fait pendant une période où la technologie évoluait. Je pense que vous avez vous-même fait référence au fait qu’en Australie, on a d’abord hésité à adopter certains types de méthodes de vérification de l’âge, mais qu’ensuite, on s’est montré plus ouvert. Cela fait partie du contexte qui pourrait expliquer le degré d’explicité ou d’implicité du libellé, par exemple dans la Loi sur les préjudices en ligne. Je pense que cela répond en partie au contexte, mais en matière de choix politiques, je ne peux pas m’exprimer à ce sujet. Mais, bien entendu, des choix politiques ont dû être faits.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Et la question du blocage?
[Traduction]
Mme Awad : En ce qui concerne le blocage des sites Web, je pense qu’il y a plusieurs éléments à prendre en considération. Il y a d’une part la faisabilité technique, les mécanismes et l’efficacité de cette mesure en tant que moyen de contrôle.
Dans le cadre d’un processus de blocage de sites Web, la Cour fédérale exige, comme le prévoit en quelque sorte le projet de loi, qu’une ordonnance soit émise à l’intention de pratiquement tous les fournisseurs de services Internet au Canada. Chaque ordonnance émise représente donc un fardeau administratif pour les fournisseurs de services Internet, et cela peut parfois concerner plusieurs sites, car ces fournisseurs, en particulier les pires d’entre eux, peuvent continuer à changer leurs adresses IP. Il faut donc tenir compte de la charge systémique que ce type de système engendre. J’imagine que cela pourrait être secondaire compte tenu de la gravité du sujet dont nous parlons. Il y a également des risques, par exemple, qu’une petite partie d’un site ne soit pas conforme et que l’ordonnance bloque l’ensemble du site ou le bloque pour tout le monde. Ce sont des éléments qui peuvent être pris en compte, ils ne sont donc pas insurmontables, mais ils s’inscrivent également dans une approche plus large visant à limiter le blocage des sites Web en tant qu’outil et à maintenir les principes de neutralité d’Internet, afin que les fournisseurs d’accès à Internet ne soient pas impliqués dans le contenu autant que possible.
Je tiens à préciser que rien de ce que j’ai présenté ici ne reflète la position du gouvernement, mais j’essaie de vous faire part de certaines considérations et questions qui ont été soulevées lors de notre analyse initiale du projet de loi.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Bien sûr que c’est compliqué, mais le but est noble.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Je vous remercie, madame Awad.
Je voudrais reprendre là où vous vous êtes arrêtée. C’est une chose d’avoir un site pornographique qui se présente comme tel, et même si j’ai des inquiétudes concernant la confidentialité et l’estimation de l’âge, je peux comprendre, en théorie, comment on pourrait gérer un site pornographique. Mais la sénatrice Miville-Dechêne a déclaré que 45 % des mineurs affirment avoir vu du contenu pornographique sur X. Tout le monde peut consulter X. Je n’ai plus de compte X, mais toutes les publications sont publiques. Alors comment pourrions-nous gérer un site comme X, qui est un site d’intérêt général accessible à un large public, s’il contient également du contenu pornographique? Comment réglementer ce genre de contenu?
Mme Awad : C’est là que, selon moi, l’intérêt d’un dispositif réglementaire plus large contre les préjudices en ligne entre en jeu. La Loi sur les préjudices en ligne proposait de désigner certaines entités réglementées, les grandes plateformes de réseaux sociaux comme X, qui auraient alors un ensemble d’obligations à respecter. Elles devraient rendre des comptes à un organisme de réglementation. Elles s’exposeraient à des sanctions administratives pécuniaires si elles ne respectaient pas ces obligations.
Dans le cas de X, par exemple, je pense que leurs conditions d’utilisation interdisent effectivement ce type de contenu, mais qu’ils ne font tout simplement pas le nécessaire pour contrôler et modérer leur plateforme. Une plateforme comme X pourrait donc subir des répercussions pour ne pas avoir appliqué ses conditions d’utilisation et ne pas s’être conformée à la législation. Ces répercussions prendraient la forme de sanctions administratives pécuniaires, comme si elle avait autorisé d’autres contenus interdits dans un régime plus large.
Lorsque vous ne disposez pas d’un organisme de réglementation spécialisé et désigné, vous ne disposez pas de cette infrastructure, et cela devient plus compliqué. Je pense que c’est ce que vous voulez dire.
La sénatrice Simons : La sénatrice Miville-Dechêne est une très bonne amie, et ce n’est pas une attaque personnelle contre elle, car nous sommes amies. Le projet de loi laisse de nombreuses questions en suspens, qui devront être réglées par voie réglementaire ou par le gouverneur en conseil. Je crains que, si ce projet de loi était adopté, de nombreuses questions demeurent sans réponse quant au fonctionnement du processus de vérification de l’âge. L’estimation de l’âge me met mal à l’aise, car les machines sont stupides. Parfois, si une personne n’est pas caucasienne, elle peut paraître plus jeune que ce que la machine estime être l’âge réel. Si une personne est transgenre, son âge peut ne pas correspondre à ce que la machine estime être son âge. Je m’inquiète de la protection et de la conservation de ces informations. Mon collègue, le sénateur Wells, a posé des questions sur les préoccupations de la communauté LGBTQ. Les conséquences pour quelqu’un qui découvre que vous avez visionné de la pornographie gaie pourraient être catastrophiques, contrairement à celles pour quelqu’un qui découvre que vous avez regardé de la pornographie classique. Je crains qu’en laissant tout cela à la réglementation, nous nous retrouvions avec une boîte de Pandore dont nous ne savons pas à quoi ressemblera le projet de loi à la fin du processus.
Mme Awad : Ce sont là des considérations importantes. Les répercussions, par exemple, des erreurs technologiques, donc la différence entre la précision et la quantité de données conservées, cet équilibre entre précision et confidentialité, sont des éléments à prendre en compte lors de l’élaboration de ce type de régimes et de la définition de leur portée.
En ce qui concerne le recours à la réglementation, il y a probablement deux aspects à prendre en considération. D’une part, les processus réglementaires eux-mêmes devraient être ouverts et transparents, tout comme le processus législatif. L’élaboration des règlements devrait s’accompagner d’un processus de consultation, et les gens devraient avoir la possibilité de donner leur avis, en particulier les parties prenantes concernées, par le biais de publications dans la Canada Gazette, et ainsi de suite. Le processus réglementaire lui-même devrait également être ouvert et permettre aux différentes parties prenantes de donner leur avis et d’apporter leur contribution technologique, comme c’est le cas dans le processus actuel. Et, bien entendu, il y aura toujours certaines limites.
Il s’agit d’une question d’équilibre. Vous le savez mieux que moi, mais il s’agit de trouver un équilibre entre la souplesse nécessaire pour s’adapter plus rapidement, pour mener une consultation très équilibrée et ouverte, et la nécessité d’être très clair au moment où la loi est adoptée. La sénatrice Miville-Dechêne a choisi un certain équilibre, et le projet de loi C-63 reflétait également cet équilibre. Je ne suis pas certaine que la version de la sénatrice Miville-Dechêne laisse beaucoup plus de place à la réglementation que ce que le gouvernement avait proposé dans le projet de loi C-63.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
La sénatrice Saint-Germain : Je tiens d’abord à remercier nos invités pour leur présence parmi nous.
Ma question porte sur la capacité institutionnelle de faire appliquer ce projet de loi. Je trouve que ce projet de loi comporte beaucoup d’imprécisions sur le plan législatif. J’aimerais savoir, de votre point de vue, si ce projet de loi est adopté, qui exactement sera chargé de l’appliquer? Le CRTC a déclaré qu’il n’avait ni le mandat ni les outils nécessaires pour le faire. Si un nouvel organisme d’application de la loi est nécessaire, lequel pourrait-il être? Comment fonctionnerait-il? Et comment serait-il créé ou financé, étant donné que les projets de loi publics du Sénat ne peuvent pas affecter des fonds publics?
Mme Awad : Ce sont d’excellentes questions, qui sont d’ailleurs similaires à celles que nous nous sommes posées lors de l’analyse du projet de loi. J’ai abordé dans mon introduction cette ambiguïté concernant l’application de la loi, et je peux m’étendre un peu sur ce sujet.
Le projet de loi crée une infraction qui, d’après ce que j’ai compris en partie des commentaires de la sénatrice Miville-Dechêne, est essentiellement une infraction pénale. Habituellement, une infraction pénale pure comporte un élément de mens rea, ou une sorte d’intention, que le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable. Dans la mesure où il crée une infraction pénale, la poursuite de cette infraction serait généralement confiée à un service de poursuite, c’est-à-dire un service de poursuite fédéral.
Mais ensuite, le projet de loi ajoute un deuxième élément. Il prévoit une infraction pénale. Il y a des raisons pour lesquelles il existe une certaine ambiguïté dans l’infraction pénale en ce qui concerne la manière dont les moyens de défense sont présentés, car ils font référence à la mens rea qui ferait normalement partie de l’infraction elle-même. Mais si nous passons à la deuxième partie, qui crée un mécanisme d’application réglementaire pour ce qui, si j’ai bien compris, est une infraction pénale, elle permet au gouverneur en conseil de désigner une autorité chargée de l’application. Ainsi, grâce au processus de désignation d’une autorité chargée de l’application, l’autorité que vous désignez serait responsable de l’application.
Il y a là certains défis à relever, car l’obligation réglementaire n’est pas clairement définie. Elle fait référence à l’infraction pénale, ce qui est une façon inhabituelle de procéder, mais qui pourrait probablement être clarifiée. Toutefois, l’autorité réglementaire pourrait être un organisme existant comme le CRTC ou le commissaire à la protection de la vie privée, si l’on pense à un organisme existant, ou bien un ministère ou une direction générale du gouvernement, mais cela entraînerait des coûts supplémentaires. Nous avons essayé d’estimer le nombre de plaintes potentielles qui seraient reçues, les types d’enquêtes qui pourraient ensuite mener à des avis, le travail à accomplir, et ce ne serait pas négligeable. Ce ne serait pas aussi important que ce qui était requis pour le projet de loi C-63, étant donné son ampleur, mais cela nécessiterait certainement une partie de cela pour être correctement appliqué. Sinon, cela n’existerait que sur le papier et aucune mesure d’application ne serait prise. Je pense que les préoccupations que vous soulevez concernant l’absence de recommandation royale ou d’autorités de financement sont valables.
La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie.
Le sénateur Dhillon : Je suis un peu perplexe. Ce projet de loi existe depuis un certain temps déjà, et il fait l’objet de discussions et de débats depuis un certain temps. Je suis curieux, madame Awad, car d’autres pays ont appliqué une législation similaire. Quelles sont leurs meilleures pratiques? Qu’ont-ils fait avec les organismes de réglementation? Qu’ont-ils fait pour faire respecter ces projets de loi, et quels en sont les résultats? Sont-ils efficaces? Fonctionnent-ils? Pouvons-nous tirer parti de certaines de ces expériences?
Mme Awad : Ce que je peux dire, c’est que nous suivons de près ce que font les autres pays. La sénatrice Miville-Dechêne a parlé du Royaume-Uni, de sa loi sur la sécurité en ligne, et donc des éléments relatifs à la vérification de l’âge. L’estimation et la vérification de l’âge sont entrées en vigueur en juillet, cela fait donc quelques mois, mais peut-être pas assez pour faire une évaluation complète. Il y a eu, disons, quelques accrocs au début, mais je pense que c’est normal dans tout processus. En Australie, qui est un autre comparateur important pour nous, la partie de leur régime relative à la vérification de l’âge entrera en vigueur à la fin de l’année. Plusieurs États américains ont mis en place ce type de régime, mais ils peuvent soulever des préoccupations légèrement différentes des nôtres.
Tout cela pour dire qu’il existe un ensemble de pratiques émergentes dans ce domaine qui pourrait être utilisé pour modéliser un régime. Si l’on examine les exemples européens, australiens et britanniques, ces régimes s’inscrivent généralement dans le cadre de régimes plus larges de sécurité en ligne, et c’est ce qui s’est produit au Royaume-Uni. Ce pays disposait d’une loi plus large sur la sécurité en ligne qui comportait certains éléments traitant de cette question, ce qui signifie qu’il disposait de l’infrastructure réglementaire et de l’expertise nécessaires. Dans ce cas, c’est l’Ofcom, l’autorité de régulation des télécommunications et des communications, qui a essentiellement créé une nouvelle branche ou une nouvelle section de l’organisation axée sur la sécurité en ligne et qui a apporté l’expertise nécessaire pour traiter les questions de sécurité des enfants et mener des consultations sur ce sujet. En Australie, il existe un commissaire à la sécurité électronique dédié à ce sujet particulier. Le fait de disposer d’un organisme de réglementation spécialisé semble être une bonne pratique internationale qui permet d’apporter efficacité et expertise et d’équilibrer les intérêts particuliers qui existent dans ce domaine, qui sont parfois légèrement différents de ceux d’autres organismes de réglementation des communications, de la vie privée ou d’autres organismes existants.
[Français]
La sénatrice Oudar : Je veux juste préciser quelque chose par rapport au projet de loi C-63 et à celui qu’on étudie aujourd’hui.
Je suis retournée consulter le texte du projet de loi C-63. On n’est pas tout à fait dans les mêmes univers. Le projet de loi C-63 concerne les préjudices en ligne et vise à contrer la haine, plus particulièrement l’exploitation sexuelle des enfants en ligne. Donc, la comparaison qu’on peut faire est assez limitée.
Je voulais préciser cela parce que dans les premiers échanges, j’ai été un peu confuse. Je pense qu’il y a des gens qui nous écoutent et qui regardent nos échanges, et on n’est pas dans le même champ d’application du tout.
La pornographie juvénile, la sextorsion et la cyberintimidation des jeunes sont à bannir. On ne vise pas le même objet dans le projet de loi.
Ma question porte sur les obligations du Canada en matière de droit international. J’aimerais vous entendre sur le fait qu’on a adhéré à des traités internationaux. Tout à l’heure, j’ai parlé du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, qui prône depuis 2021 un système de vérification de l’âge qui devrait être appliqué pour limiter l’accès des personnes mineures à des sites pornographiques — donc l’objet même du projet de loi de la sénatrice Miville-Dechêne. Il y a même des auteurs qui font un lien avec nos obligations conformément au Programme de développement durable à l’horizon 2030, auquel le Canada a adhéré depuis 2015.
Dans ces obligations de développement durable — cela nous paraît bien proche et nous devons être prêts, effectivement —, il y a plusieurs objectifs : le troisième objectif de tous nos principes, c’est la bonne santé et le bien-être; le quatrième, c’est l’éducation de qualité; le cinquième, c’est l’égalité entre les sexes. Cela appelle le Canada à se mobiliser et à adopter des législations comme celle que l’on étudie aujourd’hui, justement pour protéger les enfants. Cela montre aussi qu’on doit limiter l’accès des mineurs à la pornographie.
La pornographie, on ne le dira jamais assez, ne doit pas servir d’outil principal d’éducation à la sexualité pour les enfants.
J’aimerais vous entendre sur les obligations du Canada en matière de traités internationaux, et je vous permets de me contredire si je fais erreur, mais je ne pense pas que le projet de loi C-63 réponde aux objectifs figurant dans les traités internationaux, en tout cas certainement pas assez. Croyez-vous que le projet de loi que l’on étudie présentement répond davantage aux obligations de droit international qui nous incombent en tant que pays?
Mme Awad : Merci beaucoup pour la question, sénatrice.
J’aimerais commencer par le premier point; je sais que ce n’était pas toute la question, mais c’est important.
Par rapport au projet de loi C-63, trois obligations sur les plateformes auraient été créées. La première, c’était une obligation d’agir de façon responsable de manière générale et c’était lié au genre de contenu auquel vous avez fait référence : la sextorsion, la pornographie juvénile, etc.
Il y avait aussi une obligation par rapport à la protection des enfants, mais ce n’était pas directement lié au genre de contenu comme la sextorsion; c’était une obligation plus générale. C’était une obligation visant à mettre en place des mesures pour protéger les enfants sur les plateformes. Cela laissait la réglementation à une commission de sécurité numérique qui pouvait imposer des obligations, comme la vérification de l’âge pour le contenu pornographique et d’autres mesures pour protéger les enfants en ligne, notamment pour éviter la dépendance et d’autres dangers auxquels ils pourraient faire face.
Donc, il y avait un élément dans le projet de loi, soit cette troisième obligation visant à protéger les enfants, qui, je crois, répondait directement à ce que la sénatrice Miville-Dechêne veut aborder dans ce projet de loi, mais de façon plus générale et pas aussi spécifique que ce qu’elle présente ici. Cependant, en ce moment, il n’y a pas de projet de loi C-63, mais c’est un peu le contexte.
Par rapport aux obligations internationales, je dois admettre que je ne peux pas en parler en détail. Je sais que cela a été considéré dans le développement du projet de loi C-63. Donc, on a regardé nos obligations par rapport à plusieurs régimes internationaux liés aux droits des enfants et il y a des éléments du projet de loi qui essayaient de répondre à ces obligations. Malheureusement, je ne peux pas vous donner plus de détails.
La sénatrice Oudar : Avez-vous des avis juridiques permettant de conclure que cela respecte les obligations internationales auxquelles nous sommes assujettis?
Mme Awad : Dans le cadre du processus de développement de projets de loi du gouvernement, on fait des révisions et des évaluations pour s’assurer de respecter la Constitution, la Charte des droits et nos obligations internationales. Ce genre de revue aurait été faite dans le cadre du processus de développement de la loi.
La sénatrice Oudar : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je voudrais revenir sur un point soulevé dans les questions de la sénatrice Saint-Germain. Dans votre réponse, vous avez fait référence à la mens rea, l’intention coupable, mais il va de soi que ce ne sont pas toutes les infractions pénales qui nécessitent que l’on fasse la preuve d’une telle intention. Pour certaines infractions criminelles, appelées infractions de responsabilité stricte, il suffit d’établir la preuve de l’action, l’actus reus, et non la mens rea.
Je note également que le projet de loi à l’étude s’applique aux organisations et que l’on stipule dans sa section des définitions que le terme « organisation » s’entend au sens de l’article 2 du Code criminel. Je viens de vérifier, et voici ce que prévoit l’article 2 du Code criminel :
organisation. Selon le cas :
a) corps constitué, personne morale, société, compagnie, société de personnes, entreprise, syndicat professionnel ou municipalité
b) association de personnes qui, à la fois :
(i) est formée en vue d’atteindre un but commun,
(ii) est dotée d’une structure organisationnelle,
(iii) se présente au public comme une association de personnes.
Dans ce contexte, il serait sans doute aussi un peu inhabituel que l’on puisse — même si cela est parfois possible — prouver l’intention d’une organisation, car c’est loin d’être chose facile.
Reconnaissez-vous, dans un premier temps, qu’il existe des infractions de responsabilité stricte qui ne nécessitent pas l’existence d’une intention, et, dans un deuxième temps, que cela s’applique aux organisations, et que c’est bien la définition à utiliser?
Mme Awad : Le projet de loi est clair. Je pense que la raison pour laquelle il y avait une ambiguïté — et je ne laissais pas entendre que c’était irrémédiable, mais simplement qu’il y avait une ambiguïté — est qu’on peut lire dans la section sur les moyens de défense, au paragraphe 7(1) sous la rubrique Vérification de l’âge :
Le fait pour une organisation de croire qu’un jeune visé à l’article 5 était âgé d’au moins dix-huit ans ne constitue un moyen de défense contre une accusation fondée sur cet article que si...
Le titre de la section est « Défense », mais on y traite en fait de ce qui ne constitue pas un moyen de défense en laissant entendre qu’il pourrait y avoir un moyen de défense fondé sur la croyance que l’enfant a moins de 18 ans. Selon notre interprétation, l’utilisation du verbe croire et d’autres termes semblables semble indiquer que l’on souhaitait peut-être intégrer la notion d’intention coupable, mais cela n’est pas très clair lorsque l’on examine cette section. C’est là qu’il y a peut-être une ambiguïté qui pourrait être clarifiée. Je ne voulais pas laisser entendre qu’il devait y avoir un élément d’intention criminelle. En fait, je suis d’accord avec vous pour dire qu’une infraction de nature réglementaire, essentiellement une infraction de responsabilité stricte, est probablement plus appropriée en l’espèce.
La sénatrice Batters : Il me semble que c’est bien ce dont il s’agit.
Mme Awad : Peut-être, sauf qu’il y a cette allusion à ce que l’organisation peut croire comme moyen de défense possible. Un peu plus de clarté serait peut-être utile ici.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je ne suis pas juriste, mais il me semble quand même assez facile de voir si une organisation fait ou non la vérification de l’âge. Ce n’est pas une preuve difficile à faire, mais j’ai eu de la difficulté à vous suivre quand vous avez dit que l’infraction criminelle se transporte dans la deuxième partie du projet de loi, où il est pourtant clair qu’il s’agit d’un aspect plutôt bureaucratique; si l’on se rend compte qu’une organisation ne fait pas de vérification de l’âge, une autre procédure s’applique, c’est-à-dire l’étape de la Cour fédérale, puis il y a un blocage si la preuve est faite. Vous avez donc dit que ce n’était pas clair et que c’était compliqué. Il me semble pourtant que c’est relativement clair.
[Traduction]
Mme Awad : Deux instances pourraient être mises à contribution aux fins de ce projet de loi.
Il y a d’abord le service des poursuites pénales, qui devrait déterminer si une organisation, par exemple, a enfreint les dispositions de l’article 5, puis s’il existe un moyen de défense qui pourrait être invoqué. Comme cela s’inscrirait dans un contexte pénal, ce serait bel et bien un moyen de défense envisageable.
Par ailleurs, conformément à ce qui est prévu à compter de l’article 8, un organisme de réglementation va d’abord tenter d’établir s’il existe des motifs raisonnables de croire que l’infraction visée à l’article 5 a été commise. Or, il n’est pas très clair si l’on doit examiner ou non les moyens de défense, car ceux-ci ne sont généralement invoqués qu’après coup. L’organisme tente donc de déterminer s’il existe des motifs raisonnables, ce qui fait qu’une entité distincte se penche essentiellement sur les mêmes activités. Ensuite, si on estime que c’est le cas, on peut émettre un avis devant indiquer les mesures que doit prendre l’organisation pour se conformer à la loi. Au vu de cela, nous nous demandons si la seule mesure qu’ils pourraient prendre pour se conformer à la loi, par exemple, est de cesser de proposer de la pornographie ou de mettre en place une vérification de l’âge, et si ce sont les deux seules actions possibles, alors on ne voit pas très bien quels autres éléments particuliers auraient pu être prévus ici, et on se demande si l’on a procédé de cette manière, par exemple, pour que les précisions requises soient apportées par l’autorité réglementaire.
J’ai déjà indiqué qu’il n’est pas bien précisé si la détermination qu’une infraction a été commise inclut ou non la prise en compte de la défense. Ce sont là des éléments qui pourraient être clarifiés.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais je crois également que vous avez mentionné, ou quelqu’un d’autre a mentionné, que cela n’était pas autorisé sur X.
[Français]
Ce n’était pas permis de mettre de la pornographie. Or, au contraire, je vous lis la politique :
[Traduction]
La plateforme de réseau social X a indiqué qu’elle autoriserait dorénavant la diffusion de contenus pour adultes consensuels, à condition qu’ils soient clairement identifiés comme tels. Elle dispose d’une page consacrée au contenu sensible, mais en réalité, c’est là que les enfants regardent de la porno. Cela existe donc bel et bien.
Mme Awad : Je vois.
La sénatrice Miville-Dechêne : X est au courant.
Mme Awad : Très bien. Il existe d’autres exemples de plateformes de réseaux sociaux dont les conditions d’utilisation ne l’autorisent pas, mais où l’affluence reste considérable. C’est l’exemple que j’essayais de donner alors que cela peut se produire dans des sphères sans nécessairement que ce soit conforme aux conditions d’utilisation.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
La sénatrice Simons : La sénatrice Miville-Dechêne m’a parfaitement préparé le terrain. Je vais essayer de résumer la manière dont les choses pourraient se passer. L’avis de non-conformité est émis. L’affaire est portée devant la Cour fédérale, et on peut supposer que la plateforme va se défendre devant cette instance. Si elle n’a pas gain de cause devant la Cour fédérale, l’ordonnance peut avoir l’effet énoncé au paragraphe 10(5) :
Si la Cour fédérale le juge nécessaire pour garantir que le matériel pornographique ne soit pas rendu accessible aux jeunes sur Internet au Canada, elle peut conférer à une ordonnance rendue au titre du paragraphe (4) l’effet d’empêcher l’accès, au Canada :
a) à du matériel, autre que du matériel pornographique, rendu accessible par l’organisation...
Imaginons que nous ayons un site Web très populaire appelé Z, géré par quelqu’un qui est un libertarien très virulent et qui est déterminé à ne pas se plier à des règles tatillonnes. Le directeur de Z décide qu’il ne va pas se conformer à cette loi. La Cour fédérale aurait alors le pouvoir d’interdire Z au Canada, ce qui signifie que tout Canadien souhaitant utiliser Z, y compris son propre compte sur Z, se verrait interdire de le faire.
Supposons que vous ayez un site appelé VisagePage, que ce site soit très populaire et qu’il propose parfois du contenu pornographique. Là encore, il s’ensuivrait que VisagePage serait interdit, de sorte que toutes les grand-mères ne pourraient plus échanger leurs recettes de soupe aux tomates et mettre en commun leurs projets de courtepointe.
Ces mesures risquent non seulement de restreindre l’accès des adultes à la pornographie, mais aussi de réglementer l’ensemble d’Internet de manière à bloquer les sites grand public canadiens si leurs propriétaires décidaient de ne pas se soumettre à la surveillance réglementaire canadienne, ce qu’ils feraient sans doute, selon moi. Quelles en seraient les conséquences?
Mme Awad : Je pense que ce que vous dites est vrai. Je ne suis toutefois pas certaine que tous s’entendent au sujet des conséquences éventuelles, mais votre affirmation, suivant laquelle cela pourrait mener au blocage d’un site proposant à la fois du contenu pornographique et non pornographique, correspond à la manière dont j’interprète moi aussi le projet de loi.
La question que le gouvernement pourrait se poser, et celle qui se pose également à ce comité, est la suivante : que convient-il de faire lorsqu’une entité commerciale exploitant un service numérique au Canada ne veut pas se conformer aux lois canadiennes? Dans le projet de loi sur les préjudices en ligne, on a choisi d’imposer des sanctions administratives pécuniaires, et ce, dans toute la mesure du possible. C’est la solution qui a été retenue.
La sénatrice Simons : Si vous êtes le propriétaire de Z, de telles sanctions ne suffiront probablement pas à vous freiner. En attendant, on peut supposer que n’importe quel adolescent de 16 ans le moindrement futé qui veut vraiment regarder des images obscènes peut se doter d’un réseau privé virtuel et contourner les restrictions, n’est-ce pas?
Mme Awad : Que nos sanctions pécuniaires soient suffisantes ou non dépendra de l’objectif poursuivi par la plateforme en participant à ces processus. Bon nombre de ces plateformes sont en fin de compte des entreprises qui doivent rendre des comptes à leurs actionnaires, et les sanctions financières peuvent constituer des facteurs de motivation pour ces derniers.
La sénatrice Simons : Le problème se pose lorsque vous avez des oligarques qui ont de l’argent à ne plus savoir quoi en faire. Il est ainsi pratiquement impossible d’avoir un signal du marché qui incite le propriétaire de Z à changer son comportement.
Mme Awad : Ce sont là quelques-unes des difficultés associées à la réglementation numérique. C’est tout ce que je peux vous dire.
En ce qui concerne les réseaux virtuels privés, nous y réfléchissons et examinons la question dans ce contexte. L’un des contretemps survenus lorsque le Royaume-Uni a mis en place la vérification de l’âge est que les applications de réseau virtuel privé sont devenues les plus téléchargées sur l’App Store. Tout indique que bien des gens ont tenté de contourner ces règles pour diverses raisons. Certains étaient peut-être mineurs. D’autres étaient peut-être des adultes qui ne voulaient pas se soumettre au processus de vérification de l’âge ou qui s’inquiétaient pour leur vie privée, car ils avaient peut-être accès à des sites sensibles.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais ajouter deux éléments d’information, auxquels vous répondrez ou non. Il faut savoir que la plupart des enfants de 13 ans et moins n’ont pas de VPN. Comme tout projet de loi, celui-ci ne permettra pas de protéger tous les enfants, mais il y a quand même une différence entre un enfant de 13 ans et un jeune de 17 ans.
Pour ce qui est de Twitter, il y a eu un véritable épisode qui s’est produit. Twitter avait des pages pornographiques et était en Allemagne. L’Allemagne a dit : « Soit vous vérifiez l’âge pour vos pages pornographiques, soit vous ne pouvez plus être en Allemagne. » Et Twitter a retiré ses pages pornographiques en Allemagne. Vous considérez peut-être que c’est une forme de censure, mais ce n’est pas tout Twitter qui a disparu. Twitter a pris une décision d’affaires. Il y avait plus d’argent à gagner avec Twitter en Allemagne sans pornographie plutôt que de se retirer complètement du pays. Ce sont des choix et des arbitrages que les plateformes devront faire.
Je voulais juste ajouter cette information.
[Traduction]
Mme Awad : Cette mise en contexte est utile.
Une partie de l’intérêt pour les réseaux virtuels privés et pour les mécanismes de contournement en général réside dans le fait que des changements peuvent parfois survenir dans le cadre réglementaire, ce qui peut entraîner des conséquences imprévues. L’un des risques que nous voulons gérer est que les jeunes mineurs qui accédaient à ces contenus problématiques par le biais de sites Web puissent désormais essayer d’y accéder par le truchement de services de téléchargement de fichiers, de messagerie privée ou d’autres moyens qui pourraient s’avérer encore plus dangereux et problématiques. Je pense que c’est en partie pour cette raison que le gouvernement a initialement conçu cette mesure dans le cadre d’un dispositif plus large visant à traiter différents éléments.
Le sénateur Dhillon : Ce sera un travail de longue haleine. Je ne pense pas que nous puissions couvrir toutes les zones et colmater toutes les fuites d’un seul coup, mais c’est un travail noble et important.
Une partie de ma question fait suite à celle de la sénatrice Simons et à ses commentaires. Les sites Web passibles de sanctions se retrouveront-ils en quelque sorte à une croisée des chemins où ils devront prendre des décisions commerciales sur ce qu’il faut conserver et continuer à produire, plutôt que de laisser tout le navire couler avec l’un de ces produits? À cet égard, pensez-vous, à la lumière de vos recherches et du travail que vous avez effectué, que les amendes sont suffisantes ou que nous devrions en faire plus?
Mme Awad : Nous avons mené de vastes consultations à ce sujet dans le cadre du projet de loi C-63. Il s’agissait notamment de déterminer s’il fallait ou non bloquer des sites Web. Tout bien considéré, nous avons conclu qu’il fallait commencer par imposer des amendes. Le risque est moindre. C’est une solution moins polarisante aux yeux de la société que le blocage de sites Web. En fin de compte, les acteurs les plus problématiques, les plus importants, sont les entreprises, comme je l’ai dit, qui doivent prendre des décisions commerciales en pensant à leurs actionnaires. Il est plus que probable que les amendes seront un outil efficace, mais il pourrait y avoir des exceptions. Il pourrait y avoir des plateformes qui fonctionnent pour des raisons idéologiques ou qui s’inquiètent des précédents pouvant être créés. Nous avons vu des exemples dans notre réglementation numérique, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde, de plateformes qui ont pris des mesures n’étant pas nécessairement dans leur meilleur intérêt commercial afin de contrôler les politiques publiques ou de faire avancer des intérêts idéologiques. Ce sont les cas semblables qui nécessitent une réflexion plus approfondie et peut-être le déploiement d’autres mécanismes.
Le sénateur Dhillon : Merci.
Le président : Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour remercier nos témoins de leur participation et de leur présence ici aujourd’hui. Merci d’avoir aidé le comité dans son travail.
J’ai quelques indications à vous fournir avant de lever la séance. La date limite pour proposer des suggestions d’études spéciales a été repoussée de deux semaines, soit au 17 octobre. Un plan de travail approuvé par le comité directeur est actuellement mis en œuvre. Les membres qui ont des suggestions de témoins sont invités à les transmettre à notre greffier dès que possible. À l’avenir, les sénateurs sont encouragés à faire part de leurs suggestions le plus tôt possible, idéalement avant que le comité directeur n’examine le projet de plan de travail, tout en reconnaissant, bien sûr, que de nouveaux témoins peuvent se présenter au cours de l’étude.
(La séance est levée.)