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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 2 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique.

Le sénateur David M. Arnot (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Je m’appelle David Arnot et je suis sénateur de la Saskatchewan. Je suis le président du comité. J’invite mes collègues à se présenter.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Sénateur Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire des Micmacs.

Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Simons : Paula Simons, aussi de l’Alberta et du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Pate : Bonjour. Je suis Kim Pate et je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine anishinabe.

[Français]

La sénatrice Clement : Bonjour. Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Dhillon : Bonjour. Je suis Baltej Dhillon, de la Colombie-Britannique.

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, nous nous réunissons afin de poursuivre notre étude du projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique.

Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir M. Philippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée du Canada; et Mme Lara Ives, directrice exécutive, Politiques, recherche et affaires parlementaires, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Merci, chers témoins, de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par vos déclarations liminaires, puis nous passerons aux questions des membres. Vous avez la parole pour cinq minutes environ.

Philippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je suis heureux d’être ici aujourd’hui pour exprimer mon point de vue concernant le projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique. La défense du droit à la vie privée des enfants est l’une de mes priorités stratégiques, et c’est aussi une priorité pour un grand nombre de mes homologues nationaux et internationaux.

[Français]

Comme vous avez pu le constater lors de la publication le mois dernier des conclusions de l’enquête sur TikTok que j’ai menée conjointement avec mes partenaires provinciaux, le monde numérique offre de nombreuses possibilités, mais il comporte aussi des risques, surtout pour les jeunes.

Il est essentiel que les organismes de réglementation, de même que les gouvernements, l’industrie et la société civile, travaillent ensemble afin de prioriser l’intérêt supérieur des jeunes, ce qui comprend la protection de leur droit fondamental à la vie privée, afin qu’ils bénéficient du soutien nécessaire pour naviguer dans le monde numérique en toute sécurité.

[Traduction]

Je tiens à féliciter la sénatrice Miville-Dechêne de son engagement et de son leadership à l’égard de cette question importante et à la remercier de m’avoir donné l’occasion d’en discuter avec elle.

Je soutiens ce projet de loi. En mai 2024, lors de ma comparution devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale au sujet d’une version précédente de ce projet de loi, j’ai formulé deux recommandations principales : premièrement, limiter le champ d’application du projet de loi; deuxièmement, apporter certaines améliorations aux critères applicables aux mécanismes de vérification et d’estimation de l’âge afin de garantir la protection de la vie privée.

Je suis heureux de constater que ces recommandations ont été intégrées au projet de loi S-209. Le projet de loi prévoit désormais que le gouverneur en conseil doit vérifier, plutôt qu’examiner, les critères en question, ce qui constitue à mon avis une amélioration importante. La disposition supplémentaire visant à limiter la collecte de renseignements personnels à ce qui est absolument nécessaire à la vérification ou à l’estimation de l’âge a également amélioré le projet de loi sur le plan de la protection de la vie privée.

[Français]

Prioriser la protection de la vie privée est un facteur essentiel pour protéger les individus afin qu’ils puissent naviguer dans le monde numérique en toute sécurité. C’est aussi une façon de renforcer la confiance à l’égard des technologies, comme le contrôle de l’âge, et de veiller à ce que ce projet de loi puisse atteindre son objectif bénéfique.

[Traduction]

Au cours de la dernière année, le Commissariat a mené une consultation exploratoire sur le contrôle de l’âge. Les observations que nous avons reçues, que ce soit des parties prenantes de l’industrie ou du domaine de la protection de la vie privée, des membres de la société civile et du milieu universitaire, des groupes de réflexion sur les politiques en matière de technologie ou des particuliers intéressés, témoignaient de l’intérêt public marqué pour une approche judicieuse du contrôle de l’âge et de l’importance d’une telle approche.

[Français]

Je crois qu’il est possible de mettre en œuvre des mécanismes de contrôle de l’âge d’une manière qui protège la vie privée. Le commissariat est en train de développer une orientation sur la manière d’y arriver.

[Traduction]

En septembre 2024, j’ai été l’un des nombreux signataires internationaux d’une déclaration commune qui précisait que :

« … le contrôle de l’âge vise à protéger les enfants dans le monde numérique, pendant qu’ils s’adonnent à des activités en ligne et se développent, sans leur en bloquer l’accès ».

Je suis d’accord avec la sénatrice Miville-Dechêne, qui a affirmé à la deuxième lecture du projet de loi qu’il s’agit « … d’un exercice délicat que de déterminer exactement la portée du projet de loi dans son application concrète ».

[Français]

À ce sujet, si le projet de loi est adopté, il sera important pour le commissariat d’être impliqué dans la revue des règlements rédigés par le gouvernement. Nous nous rendrons disponibles à cet effet afin de nous assurer que la vie privée et l’intérêt supérieur des jeunes sont protégés à l’étape de la mise en œuvre de ce projet de loi.

[Traduction]

Merci de m’avoir fourni l’occasion de présenter ces commentaires. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur Dufresne. Je ne peux que vous remercier pour ces commentaires; nous avons travaillé fort pour tenter de trouver les mots précis qui correspondraient effectivement aux témoignages que nous avons entendus au Comité de la sécurité nationale et de la défense en 2024.

Cela étant dit, je veux vous faire réagir au mémoire de l’Association du Barreau canadien qui vient d’être rendu public, où figure une critique plutôt sévère de mon projet de loi qui dit que le projet de loi S-209 ne prévoit aucune mesure garantissant que ces données ne seront pas recueillies ou conservées par le gouvernement, et aussi que le projet de loi impose une preuve d’âge obligatoire pour tous, mettant fin à l’anonymat et incitant les gens à fournir des pièces d’identité ou des données biométriques.

Donc, c’est une critique assez large qui a presque l’air de s’adresser à une autre version de mon projet de loi. Que pensez‑vous de cela? Est-ce qu’à un moment donné, on peut être satisfait, comme vous l’avez dit, du vocabulaire utilisé, ou en faut-il encore plus pour rassurer les gens, qui, comme ma collègue la sénatrice Clement l’a dit hier, perdent confiance dans les institutions?

M. Dufresne : Merci pour la question. Je pense qu’il faut assurément toujours faire des efforts pour rassurer les gens et renforcer cette confiance. C’est un travail que le Parlement doit faire, c’est un travail que mon bureau doit faire et que la communauté doit faire. Je crois que l’Association du Barreau canadien joue un rôle important en soulevant ces questions.

Dans la communauté internationale, ce que j’essaie d’atteindre, c’est un équilibre, soit de ne pas se mettre dans une position où l’on dit qu’on assure soit la protection des jeunes, soit la protection de la vie privée; on veut en arriver à avoir ces deux choses-là.

Mes recommandations par rapport à l’ancienne version du projet de loi visaient à renforcer ces éléments, notamment en indiquant que le processus devait se faire seulement à des fins absolument nécessaires et qu’il fallait détruire l’information. Donc, ces mesures de protection existent. Il y a la Loi sur la protection des renseignements personnels qui continuera de s’appliquer elle aussi, notamment sur la question des cyberatteintes et les mesures de sauvegarde.

Le gouvernement aurait le pouvoir d’émettre des règlements, et ce sera important à ce moment-là que mon bureau soit impliqué. C’est une des pratiques internationales que l’on voit. Ce ne sont pas les commissaires à la vie privée qui réglementent ces domaines, ce sont souvent des commissaires en ligne, mais la collaboration des institutions est essentielle.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une petite sous-question.

Le fait qu’on laisse ces choix au gouvernement et aux experts pour la phase de réglementation vous semble-t-il hors norme ou non?

M. Dufresne : Je pense qu’en matière de vie privée, surtout parce qu’on touche à une technologie qui évolue extrêmement rapidement, il y a souvent des lois qui sont basées sur des principes et qui, essentiellement, devront s’adapter par la suite à une technologie qui se développe beaucoup plus rapidement que les lois ne peuvent le faire.

Les règlements, ce sont des outils, des lignes directrices qui peuvent être émises par des institutions comme la mienne ou comme des institutions spécialisées; cela fait partie du processus et on voit souvent ce genre de pratique, justement parce que c’est un défi d’aller aussi vite que la technologie, surtout en ce moment.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il est très important de s’occuper de la vie privée, mais est-ce qu’on oublie un peu que, dans la situation actuelle, les données personnelles des enfants sur toutes ces plateformes sont en danger?

M. Dufresne : Nous avons vu pendant notre consultation qu’il y a une préoccupation par rapport à la sécurité des enfants, en raison de l’impact que les enfants subissent lorsqu’ils vont sur certains de ces sites, et par rapport à la protection de leurs renseignements personnels, de la connaissance qu’ils ont et de leur compréhension et la sauvegarde de leurs données. L’objectif est d’atteindre ces deux éléments. C’est pour cela que les commentaires que j’ai faits et que mes collègues ont faits à l’échelle internationale visaient à dire qu’il faut que le processus soit rigoureux, que l’on minimise les données que l’on obtient, qu’il ne faut pas les utiliser à d’autres fins, qu’il ne faut pas pouvoir faire le suivi des gens, que ce soit anonyme. Toutes ces pratiques visent essentiellement à dire qu’on souhaite protéger les jeunes, mais aussi leur vie privée.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Bienvenue aux témoins.

J’aimerais revenir sur certains de vos témoignages précédents et sur ce qui découle également de votre déclaration. Vous parlez d’équilibre, et, en ce qui a trait à la portée du projet de loi, c’est une tâche difficile de trouver le bon équilibre.

J’ai deux questions, parce que vous avez parlé du rôle que vous avez joué sur le plan de la réglementation. Vous avez un peu effleuré le sujet avec la question précédente, mais je suis curieux : quels autres aspects des règlements prendrez-vous en considération? Vous avez parlé de lignes directrices antérieures provenant potentiellement de votre bureau.

Vous avez mentionné les consultations que vous avez entreprises. Comme deuxième partie à ma question, j’aimerais savoir si vous pourriez nous renseigner sur l’ampleur de ces consultations.

M. Dufresne : C’est exact. Nous avons publié une déclaration commune en 2024 dans le cadre d’un groupe de travail international sur le contrôle de l’âge, par exemple, qui discutait essentiellement du fait que l’information recueillie concernant le contrôle de l’âge devait se limiter à ce qui est nécessaire aux fins de ce contrôle, en se concentrant sur l’intérêt supérieur de l’enfant et en veillant à intégrer cette responsabilisation. Si l’on dispose d’un processus efficace de contrôle de l’âge, il y a un équilibre entre la protection et les mesures. Vous ne devriez pas utiliser le même niveau de vérification pour contrôler l’âge, par exemple, dans une situation à faible risque et dans une situation à risque élevé.

Certains des messages que nous entendons ont trait à l’importance d’intégrer la vie privée dès la conception et par défaut. Un concept encore plus précis qui est ressorti en Europe, y compris en France et dans l’Union européenne, est qu’une tierce partie doit assurer ce contrôle. Cette charge n’incomberait donc pas nécessairement au site Web lui-même; il y a plutôt une distance et une sorte de preuve à connaissance nulle, de sorte que vous n’avez pas besoin de communiquer votre identité, mais il est établi que vous avez plus ou moins un certain âge.

Le sénateur Prosper : Merci.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci, monsieur le commissaire.

Mes préoccupations sont non seulement la capacité de mettre en œuvre ce projet de loi, mais aussi le fait qu’à mon avis, le projet de loi manque de normes législatives minimales. Ma première question porte sur l’alinéa 12(2)b). La vérification et l’estimation de l’âge seront :

[...] l’œuvre d’une organisation tierce indépendante de toute organisation qui rend accessible sur Internet du matériel pornographique à des fins commerciales.

Avez-vous des réserves ou des critères à suggérer dans ce contexte? S’agira-t-il d’une organisation qui pourra être privée et qui aura à gérer l’accessibilité sur Internet et tous les systèmes d’authentification et de vérification de l’âge? Comme commissaire à la protection de la vie privée, cela suscite-t-il des préoccupations? Avez-vous des suggestions à nous faire pour que la loi soit plus contraignante?

M. Dufresne : On dit aussi dans le règlement que cela devra respecter les pratiques exemplaires dans le domaine de la vérification de l’âge. Il existe des préoccupations quant au respect de la vie privée. Cela limite la collecte de données à ce qui est strictement nécessaire. Ces éléments doivent s’appliquer aux tiers et à ce qui sera acceptable en vertu de l’alinéa 12(2)b). C’est ce qu’on a vu à l’échelle internationale. Il y a des critères qui seront établis à un niveau plus spécifique. Ce n’est pas n’importe quel système qui sera acceptable. Il faut préciser que le système doit respecter ces exigences concernant la vie privée, l’efficacité et l’anonymat.

Il y a des prototypes qui sont en train d’être testés dans certains pays de l’Union européenne. La France et l’Espagne ont fait du travail à ce sujet. Il est certain qu’on ne pourra pas donner carte blanche à n’importe quelle application. Il est essentiel que ce soit fait rigoureusement, que ce soit conforme aux principes relatifs à la vie privée et qu’il y ait un mécanisme pour rassurer les gens. Je m’attends à ce qu’il y ait suffisamment de détails dans le contexte de ces règlements. Nous travaillons sur des lignes directrices qui viendront donner encore plus de précisions.

La sénatrice Saint-Germain : Avez-vous suffisamment confiance dans la version actuelle pour ne pas vous inquiéter éventuellement que cette loi soit contestée devant les tribunaux, notamment au chapitre de la Charte canadienne des droits et libertés?

M. Dufresne : Au chapitre de la liberté d’expression?

La sénatrice Saint-Germain : Au chapitre de la liberté d’expression, oui, et aussi du droit à la vie privée et des mesures de sécurité efficaces qui sont prises. Dans le fond, au chapitre du bien-fondé de la loi.

M. Dufresne : Comme je l’ai dit dans mes remarques d’introduction, dans une telle situation, il est essentiel que le gouvernement consulte mon bureau dans la rédaction de ce projet de loi et qu’il y ait une participation active. Le projet de loi indique qu’il y aura une autorité réglementaire qui devra être désignée.

À l’échelle internationale, ce ne sont généralement pas les commissaires à la vie privée qui sont désignés pour faire cela. Nous pourrions l’être. Toutefois, c’est souvent le rôle d’organismes de réglementation du numérique. Je m’attends à ce que mon bureau soit directement impliqué. Ce n’est pas spécifiquement précisé dans le projet de loi. Cela pourrait l’être. Ce sont mes attentes. Ce sera ce que je véhiculerai auprès du gouvernement. Si ce n’était pas le cas, ce serait préoccupant. Le gouvernement connaît mes attentes. Toutefois, s’il y a des préoccupations à ce niveau, cela pourrait être précisé dans le projet de loi au besoin. La pratique internationale est que les organismes de réglementation travaillent avec le gouvernement.

La sénatrice Saint-Germain : Suggérez-vous un amendement au projet de loi pour que votre bureau soit l’autorité désignée pour faire la surveillance?

M. Dufresne : C’est au Parlement de le déterminer. Si le commissariat est désigné pour administrer cet aspect, il faudrait que les ressources nécessaires suivent. C’est un mandat important. On sera prêt à le faire, le cas échéant.

On travaille déjà de près avec d’autres autorités de réglementation. Que le mandat soit confié au CRTC ou à une nouvelle entité, on travaillera avec eux. On le fait déjà avec le CRTC, avec le Bureau de la concurrence et avec la Commission du droit d’auteur du Canada. On sait qu’en matière numérique, il existe plusieurs domaines qui toucheront plus d’une autorité réglementaire. Il est essentiel qu’on puisse collaborer.

Un des amendements que j’ai réclamés, pas dans le contexte de ce projet de loi, mais dans celui de la Loi sur la protection des renseignements personnels, c’est que j’aie l’autorité de faire des enquêtes conjointes avec des organismes canadiens, comme le Bureau de la concurrence. C’est une lacune dans ma loi habilitante qui pourrait assurer une meilleure collaboration. J’espère que ce sera fait dans une modernisation de la loi qui viendra.

La sénatrice Saint-Germain : J’ai bien compris. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Monsieur le commissaire, j’ai quelques craintes concernant la méthode de vérification de l’âge. Le projet de loi de la sénatrice Miville-Dechêne ne dicte pas comment ce processus devrait fonctionner, mais nous avons reçu des exemples de la façon dont il fonctionne dans d’autres administrations.

Au Royaume-Uni, par exemple, on utilise vos informations bancaires. Vous fournissez vos informations bancaires, puis on les examine et voit ce que vous achetez et si cela nous dit que vous avez plus de 18 ans.

Une des autres méthodes est celle de la vérification de l’âge fondée sur le courriel, où vous fournissez l’adresse de courriel, puis l’algorithme analyse d’autres services en ligne où vous avez utilisé votre courriel pour faire une estimation approximative de votre âge.

Je suis très mal à l’aise avec l’idée de donner ce type de renseignements privés à un système de vérification de l’âge. Pouvez-vous me dire si vous pensez que l’une de ces méthodes pourrait fonctionner, ou bien auriez-vous également des questions sur la quantité de renseignements personnels et intimes qu’on vous demande de donner à une tierce partie? Il ne s’agit pas de savoir quel type de pornographie vous regardez, mais je ne veux pas nécessairement que les gens examinent mes dossiers bancaires ou voient où j’ai utilisé mes diverses adresses de courriel pour des services.

M. Dufresne : Dans le cadre de nos consultations, nous avons constaté l’éventail de moyens permettant d’établir l’âge. En fait, l’une des modifications du projet de loi est qu’il s’agit non seulement de vérification de l’âge, mais aussi d’estimation de l’âge. L’estimation de l’âge ne sera pas aussi précise; il y aura des fourchettes d’âge différentes. Un certain nombre d’outils permettent d’effectuer cette estimation.

Vous décrivez des outils qui sont possibles, mais nous sommes d’avis que les possibilités devraient être larges. Les personnes devraient disposer d’options différentes. On devrait utiliser l’information la moins intrusive nécessaire pour l’établir. Cela pourrait être, par exemple, les tendances d’utilisation. Dans l’Union européenne, on propose différentes options à utiliser.

Il doit y avoir une ouverture et un principe général selon lequel on donne aussi peu d’information que nécessaire. C’est établi dans les principes. Le but est non pas de vous identifier; c’est d’établir votre âge.

Donc, en attirant également l’attention sur…

La sénatrice Simons : Mais vous ne pouvez pas le faire. Si quelqu’un explore le Web pour voir tous les endroits où mon adresse de courriel apparaît, cela va permettre de m’identifier, n’est-ce pas?

M. Dufresne : Certaines façons le permettraient, mais d’autres, non. Ce sont certains des outils que nous examinons. L’application n’a pas besoin de connaître le nom de la personne. Il doit y avoir un moyen d’établir que vous avez moins d’un âge donné, et nous devons trouver des façons peu intrusives de le faire. C’est actuellement le travail entrepris à l’échelle internationale et aussi au Canada : repérer ces outils.

Mais je suis d’accord avec vous. Nous l’avons dit dans notre déclaration avec les commissaires provinciaux dans le cadre des discussions sur l’identification numérique. Il faudrait que les gens aient des options. On devrait réduire au minimum les types de renseignements recherchés. Le processus ne devrait pas permettre de faire un suivi centralisé ou de créer une base de données; il devrait plutôt viser cet objectif particulier. C’est pourquoi le concept de minimisation des données existe : ne pas les utiliser à d’autres fins et, autant que possible, limiter l’identification des individus.

La sénatrice Simons : Mais dans l’Union européenne, je crois savoir qu’ils mettent au point une application dont ils ont la propriété exclusive. À ma connaissance, le Canada n’a pas de tels projets ni cette capacité. Je devrais donc céder mes renseignements, et les tierces parties commerciales qui vérifieraient mon âge disposeraient d’une énorme quantité de renseignements. Elles détiendraient les renseignements bancaires privés de tout le monde, des renseignements sur les courriels privés et des renseignements sur les transactions commerciales.

Vous pouvez, assurément, imaginer la possibilité que ces renseignements soient piratés par des étrangers ou utilisés comme arme par les personnes qui les détiennent. Il suffit de regarder ce qui s’est passé avec Elon Musk et DOGE pour voir ce qui se passe lorsqu’une partie malveillante a accès aux renseignements des gens. Le gouvernement américain a dit à ses citoyens que leurs renseignements étaient privés, et maintenant ils sont entre les mains d’une entreprise privée.

M. Dufresne : Cela touche à la notion de rétention des informations : combien de temps les conservez-vous? Ce sont les renseignements que vous recevez, et aussi le fait de savoir si vous devez conserver ces renseignements une fois que vous avez établi ou estimé l’âge. Je pense que le projet de loi traite de la destruction de tous renseignements personnels recueillis à des fins de vérification ou d’estimation de l’âge une fois la vérification ou l’estimation effectuée. C’est assurément un élément dont il faut tenir compte. Nous ne voulons pas qu’une organisation conserve des renseignements plus longtemps que nécessaire, précisément pour les raisons que vous énoncez. C’est un domaine où la loi sur la protection de la vie privée était en avance sur son temps, d’une certaine façon, car elle traitait des cyberattaques et des atteintes à la vie privée. Plus longtemps vous conservez les renseignements, plus le risque est élevé que vous deveniez une cible et plus les dommages sont importants si vous êtes piraté.

Dans ce scénario, la notion de réduire au minimum ce que vous recueillez et de ne pas le conserver plus longtemps que nécessaire sera importante.

La sénatrice Simons : Les gens devront avoir confiance dans un tiers commercial. Je veux dire, la société 23andMe a fait faillite, et tous les renseignements ont été vendus.

M. Dufresne : C’est là que le cadre devient important pour ce qui est des obligations, de ce qui est acceptable, des exigences et du fait de s’assurer qu’il y a une certaine responsabilité. Comme vous le savez, 23andMe a fait l’objet d’une enquête de mon bureau et du commissaire du Royaume-Uni. Nous avons trouvé des failles précisément en ce qui concerne la façon de protéger l’information ainsi que les mots de passe et les mécanismes de sécurité. Il est donc tout à fait vrai que vous ne pouvez pas vous fier entièrement à une organisation ni lui donner carte blanche en ce qui concerne de telles informations.

La sénatrice Batters : Merci, monsieur Dufresne, d’être ici et de tout le travail important que vous et votre bureau faites pour protéger chaque jour la vie privée des Canadiens. Je suis heureuse d’entendre que vous étiez satisfait des amendements apportés pour resserrer de façon importante ce projet de loi après une version antérieure.

Pour revenir aux commentaires que vous avez formulés dans votre échange avec la sénatrice Simons, je recherchais cette disposition sur la destruction. Il y a une disposition dans le projet de loi qui traite du type de règlements qui seront pris à cette fin, le paragraphe 12(2). Il prévoit ceci :

Avant de prévoir un mécanisme de vérification ou d’estimation de l’âge en vertu de l’alinéa (1)b), le gouverneur en conseil vérifie que le mécanisme envisagé…

... et il énumère un certain nombre de choses, mais l’alinéa 12(2)f) est ainsi libellé :

détruit, une fois faites la vérification ou l’estimation de l’âge, tout renseignement personnel recueilli à cette fin…

Cela se trouve directement dans le projet de loi concernant cette question.

Ma question pour vous, monsieur Dufresne, est la suivante : un certain nombre d’importantes sociétés internationales jouent un rôle dans la sphère de la pornographie sur Internet. Étant donné que bon nombre de ces entreprises n’ont pas une base importante au Canada, pouvons-nous avoir confiance que nos lois ici offriront les protections nécessaires?

M. Dufresne : En ce qui concerne l’application des lois, et assurément les lois sur la protection des renseignements personnels, l’interprétation est que, si cela touche les Canadiens, elles s’appliquent. Le fait qu’une organisation n’ait pas de siège social ou ne mène pas d’activités au Canada ne l’exempte pas de l’obligation de se conformer à la loi canadienne.

Nous devons nous assurer que les recours sont suffisamment importants. Je demande depuis longtemps une modification et une modernisation de la loi sur la protection de la vie privée, car, en tant que responsable de la réglementation, je n’ai aucun pouvoir exécutif ni le pouvoir d’imposer des amendes. C’est une lacune, car ces pouvoirs influencent la manière dont les PDG et les conseils d’administration examinent les risques et accordent la priorité aux investissements. Ils sont nécessaires. Ce n’est pas que je veuille imposer ces amendes, mais la simple possibilité oriente vraiment l’esprit d’un décideur.

C’est aussi pourquoi nous devons établir une solide collaboration internationale dans ce domaine. Cela touche non seulement le Canada, mais le monde entier, et ce qui se passe dans le monde touche le Canada. C’est pourquoi j’ai travaillé en étroite collaboration avec mes homologues dans le monde entier. En fait, il y a quelques semaines, j’ai été élu président de la Global Privacy Assembly, un groupe réunissant tous les commissaires à la protection de la vie privée du monde. L’une des priorités que j’ai énoncées à ce titre était de protéger la vie privée des enfants et de chercher à rassembler les meilleures pratiques internationales. Le Canada peut être un chef de file dans ce domaine, mais cela peut également lui permettre d’élever la barre partout dans le monde. Il est ainsi plus facile de faire appliquer les lois et de convaincre les grandes sociétés mondiales.

La sénatrice Batters : Excellent. Je vous félicite, vous l’avez bien mérité.

En ce qui concerne la lacune dans la loi canadienne sur la protection de la vie privée à laquelle vous faisiez allusion — pour que tout le monde comprenne bien —, la modification que vous recherchez est non pas pour ce projet de loi-ci, mais bien pour la loi fédérale sur la protection de la vie privée, n’est-ce pas?

M. Dufresne : C’est exact : il s’agit de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ou LPRPDE. Cette modification serait inscrite dans la loi, mais le projet de loi prévoit déjà des conséquences financières pour la disposition d’infraction, alors ce n’est pas quelque chose qui serait inscrit ici. Mais cela met en lumière le fait que les lois canadiennes ont une incidence sur les organisations internationales, mais la collaboration internationale facilite l’application partout dans le monde.

La sénatrice Batters : Absolument, oui. La modification que vous cherchez à apporter à la LPRPDE vous serait utile pour toutes les lois canadiennes que vous examinez.

M. Dufresne : C’est exact. La raison pour laquelle nous travaillons étroitement non seulement avec d’autres commissaires à la vie privée du Canada et du monde entier, mais aussi avec d’autres organisations de réglementation — les autorités en matière de concurrence, de télécommunication, de droits d’auteur et de droits de la personne — c’est qu’il y a un très grand nombre de domaines où la protection de la vie privée entre en ligne de compte. Elle n’en sera peut-être pas l’unique enjeu.

Vous avez parfois un organisme de réglementation particulier pour les méfaits en ligne. En Australie, le commissaire à la sécurité électronique, ou eSafety Commissioner, sert à protéger les enfants en ligne. Nous avons un commissaire à la protection de la vie privée. Il est important que ces deux organismes de réglementation travaillent en étroite collaboration afin que leurs actions ne soient pas contradictoires. L’une des premières choses que j’ai dites en tant que commissaire à la protection de la vie privée, c’est que je ne veux pas qu’il s’agisse d’un jeu à somme nulle entre l’intérêt public et la protection de la vie privée ou entre une économie forte et la protection de la vie privée. Cela exige beaucoup de travail, mais nos citoyens méritent d’avoir les deux.

Le sénateur Dhillon : Merci d’être ici, monsieur Dufresne, et je vous remercie de faire votre travail et de soutenir le projet de loi.

Vous êtes le gardien des Canadiens pour ce qui est de la protection de la vie privée. Les Canadiens peuvent trouver un certain réconfort — enfin, je l’espère — dans le fait que vous ne fourniriez pas votre soutien au projet de loi si leur vie privée était, de quelque façon que ce soit, compromise. Est-il juste de le dire?

M. Dufresne : Mon rôle est de mettre en lumière les lacunes en matière de protection de la vie privée et de formuler des recommandations pour améliorer les choses et renforcer la protection de la vie privée partout où je le peux.

C’est pourquoi j’ai dit qu’il y avait quelques problèmes concernant la portée et les mesures de protection de la vérification de l’âge dans la version précédente du projet de loi. Aujourd’hui, je dis que ces questions ont été abordées par des modifications concernant la définition de la pornographie, le rôle du gouverneur en conseil et la précision au sujet de ce qui est accidentel ou délibéré.

Il y a eu un resserrement et un renforcement des pouvoirs et des principes qui doivent exister pour la vérification de l’âge. On a accordé au gouverneur en conseil un pouvoir pour accorder plus de précision au sujet des éléments qui devaient être inclus ou exclus. La mise en garde que je souligne dans ma déclaration liminaire, c’est que c’est important — et je m’attends à jouer un rôle et à être consulté dans l’élaboration de ces règlements — car ils introduiront des éléments essentiels à l’étape de la mise en œuvre.

Le sénateur Dhillon : Sans vouloir devancer le travail en cours, j’aimerais entendre votre point de vue sur les normes. Lorsque des normes sont indépendantes, dans la mesure où il y a des fournisseurs de service de vérification de l’âge tiers, que devraient être, selon vous, ces normes pour garantir que les données personnelles sont ultimement détruites de manière sécuritaire et irréversible? Quels mécanismes ou quelles garanties devraient être en place pour permettre aux personnes et aux organismes de surveillance de vérifier que leurs renseignements personnels ont été détruits?

M. Dufresne : Ce sont les principes de protection de la vie privée clés qui s’appliquent ici pour ce qui est du contrôle de l’âge, mais, habituellement, ils s’appliquent à la plupart des dossiers dans le domaine de la protection de la vie privée. Il faut entre autres s’assurer de respecter les principes de nécessité et de proportionnalité; il ne faut pas obtenir plus d’information que ce qui est nécessaire; et il faut s’assurer que l’objectif est important, ce qui veut dire qu’il faut tenir compte du risque. C’est peut-être un niveau plus élevé que l’estimation de l’âge parce que le niveau de risque est plus élevé en ce qui concerne la pornographie.

Le même genre de processus d’estimation de l’âge ou de vérification de l’âge pourrait ne pas convenir si la situation comporte moins de risque. Par exemple, à la suite de nos consultations, notre opinion a changé à ce sujet. Nous sommes partis du principe qu’il fallait seulement effectuer une vérification de l’âge dans des situations à risque élevé. Nous avons reçu beaucoup de commentaires de groupes qui disaient que notre approche devait être plus nuancée et que nous devions nous fonder davantage sur le risque parce que nous ne devions pas écarter ne serait-ce qu’un risque modéré pour les enfants; nous devions aussi les protéger contre cela. L’intérêt supérieur de l’enfant est un principe fondamental. Nous avons apporté une nuance à cet égard.

La réduction au minimum des données recueillies, la nécessité, la destruction de l’information, le fait de ne pas conserver les renseignements plus longtemps que nécessaire et de s’assurer que ceux-ci ne servent pas à d’autres fins sont tous des aspects importants. Nous devons nous assurer d’être transparents, que les gens comprennent à quoi vont servir et à quoi ne serviront pas leurs renseignements, et il faut avoir un régime en place à ce sujet. La notion selon laquelle on a besoin du gouverneur en conseil pour garantir que les mesures qui s’imposent sont en place est un élément capital. Le fait de seulement envisager ces choses dans les versions précédentes donnait trop de latitude.

Le sénateur Dhillon : Vous avez aussi parlé de l’aspect réglementaire de ce dossier. Vous avez laissé entendre que ce n’était peut-être pas votre bureau qui était le mieux en mesure d’appliquer la réglementation. Je vous ai peut-être mal compris, et si ce n’est pas ce que vous avez dit, veuillez me corriger.

M. Dufresne : Je ne dis pas qu’il serait inapproprié pour mon bureau de faire le travail. Dans ce cas, la décision revient au ministre ou au gouvernement. Chaque pays peut prendre sa propre décision à cet égard.

Dans un certain nombre de cas, ce sera l’organisme de réglementation des communications, les télécommunications ou un commissaire spécialisé en méfaits en ligne ou en sécurité numérique. Ce n’est habituellement pas le travail de l’organisme de réglementation de la protection de la vie privée, mais ce n’est pas impossible. Si c’est ce que l’on décide, nous remplirons le mandat qui nous a été confié sous réserve que nous disposons des ressources nécessaires.

Le sénateur Dhillon : Disons que c’est vous qui prenez les décisions aujourd’hui; que recommandez-vous?

M. Dufresne : Je dirais qu’il faut s’assurer que, peu importe à quoi ce processus va ressembler, l’organisme de réglementation de la protection de la vie privée, mon bureau, doit être consulté, et il doit travailler en collaboration avec le gouvernement et l’organisme qui sera responsable du dossier, quel qu’il soit.

Le sénateur Dhillon : Merci.

La sénatrice Clement : Bonjour, monsieur Dufresne. Je suis toujours ravie d’entendre votre témoignage. Vous êtes toujours si pertinent. Cela fait avancer les choses. Merci.

J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet de la consultation et sur la réponse que vous avez donnée au sénateur Prosper. Vous semblez avoir tenu de nombreuses consultations. Avez-vous parlé à des groupes de jeunes et des jeunes? Ce qui m’inquiète, c’est que les jeunes sont beaucoup plus habiles avec la technologie que la plupart des gens, et ils vont tenter de contourner les mesures que nous mettrons en place.

Laissez-moi vous donner un exemple : les avocats se servent de la vérification de l’âge ou de la vérification de l’identité, mais les clients font confiance à leurs avocats et ils leur envoient de l’information sans se poser de questions.

Mais quand ces mesures de protection concernent un site pornographique, certains jeunes seront très motivés à trouver une façon de les contourner. Ce projet de loi est une de ces mesures. Compte tenu du travail que vous faites à la Global Privacy Assembly, que devons-nous faire de plus? Que font les autres administrations en plus de mettre en œuvre un projet de loi de ce genre?

La sénatrice Miville-Dechêne nous a dit que le projet de loi entraînera des changements technologiques et des progrès, mais que pouvons-nous faire de plus pour bloquer les moyens de contournement qui existeront toujours?

M. Dufresne : Toute la société doit y mettre du sien. La loi et le contrôle de l’âge ne résoudront pas tout. Vous avez raison. Les gens vont tenter de contourner les mesures en place.

La sénatrice Clement : Et pas seulement les jeunes; les adultes aussi.

M. Dufresne : En effet. Au Royaume-Uni, après l’adoption de la loi, il y a eu une forte augmentation du téléchargement d’applications de VPN. Il y a eu aussi une augmentation du téléchargement de Yoti, une application de contrôle de l’âge. Il est évident que des gens tenteront de contourner les mesures. Pour régler le problème, il faut renseigner les gens et travailler avec les jeunes et les parents. Les gens tenteront de contourner les règles, et nous devons penser à des façons d’y remédier. Mais le projet de loi protégera les enfants qui tombent sur ce contenu par hasard.

Les enfants qui voudront vraiment contourner les mesures en place y arriveront. Ce ne devrait pas être une raison pour ne pas mettre le régime en œuvre, parce qu’il vise vraiment à protéger, de nombreuses façons, les enfants qui tombent accidentellement sur ce contenu. Les enfants qui tentent de consulter ce genre de contenu en contournant les mesures, n’auront aucune incidence sur le régime.

C’est l’une des choses que nous avons entendues. Pour ce qui est de ce que vous avez demandé plus tôt, nous avons effectivement consulté des groupes de jeunes. Ils nous ont entre autres parlé des conséquences de certains sites pornographiques problématiques et violents sur la santé mentale et le développement des jeunes.

Selon notre enquête sur TikTok, dont nous avons rendu les résultats publics le mois dernier, l’application a des effets néfastes sur l’image corporelle et la confiance des enfants, et on y banalise les jeux d’argent.

Cet environnement est très néfaste, et, en tant que société, nous devons renseigner les parents et les jeunes. Je suis sur le point de terminer la sélection des membres qui formeront le conseil des jeunes que je vais créer. Nous devons donner une voix aux jeunes pour qu’ils soient entendus et que nous puissions voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et trouver une façon de diminuer le nombre de personnes qui veulent essayer de trouver des moyens de contournement.

Toutefois, les réseaux virtuels privés, ou VPN, continueront d’exister. Ils protègent la vie privée dans certaines situations. Ici, je crois qu’ils peuvent faire partie de la solution.

La sénatrice Clement : Je vous félicite de vouloir tenir davantage de consultations avec les jeunes. Merci.

Le sénateur K. Wells : J’ai quelques questions. Je vous remercie pour la conversation instructive.

Vous venez de parler, il y a quelques minutes, de TikTok et des médias sociaux. Nous avons déjà entendu dire que c’est sans doute sur les médias sociaux que les jeunes accèdent à la majeure partie du contenu pornographique; ils ne consultent pas les sites commerciaux.

Je veux seulement que ce soit clair; le projet de loi, tel qu’il est proposé, n’inclurait pas les médias sociaux et les préoccupations liées à la vie privée, à la santé et au bien-être que vous avez soulignées et que vous ont mentionnées les jeunes, c’est bien ça?

M. Dufresne : C’est exact. Les enjeux liés aux conséquences des médias sociaux sur les jeunes constituent un autre dossier. Le projet de loi concerne le contenu pornographique.

Le sénateur K. Wells : Il nous reste autant de travail à faire dans le dossier des médias sociaux et des autres préjudices en ligne, comme ceux que le projet de loi C-63 présenté lors de la dernière session parlementaire tentait de régler?

M. Dufresne : C’est exact. Encore une fois, notre décision quant à TikTok ne touchait pas la pornographie. Elle concernait le fait que des jeunes âgés de moins de 13 ans — 500 000 jeunes par année — consultent TikTok, et on ne le découvre que plus tard; de l’information est recueillie à leur sujet, ils reçoivent de la publicité, et le mal est fait. C’est une situation où nous avons conclu qu’il faut mettre sur pied un certain processus d’estimation de l’âge ou de vérification de l’âge pour protéger les enfants.

Nous devons continuer de travailler en collaboration avec la société civile et d’autres organismes de réglementation et dire : « Les plateformes de médias sociaux existent, et elles peuvent être bénéfiques, mais comment pouvons-nous protéger les enfants qui s’en servent? »

Le sénateur K. Wells : Sans oublier que l’algorithme leur propose du contenu violent, extrémiste, haineux et parfois pornographique... vous dites qu’ils tombent sur le contenu par hasard et qu’ils ne l’ont peut-être pas cherché volontairement.

M. Dufresne : C’est cela.

Le sénateur K. Wells : Donc, en ce qui concerne plus précisément le projet de loi que nous étudions et sa portée limitée, vous avez dit que si vous étiez à la tête de l’organisme de réglementation, vous auriez besoin de davantage de ressources pour appuyer sa mise en œuvre.

Avez-vous une idée du coût de ces ressources supplémentaires, que ce soit pour la dotation ou la réglementation, et une idée de ce que cela coûterait en général?

M. Dufresne : Non. Nous n’avons pas tenté de faire les estimations. Nous pourrions le faire si cela pouvait vous aider, mais nous n’en avons pas parlé dans les discussions.

Nous aurions certainement besoin de davantage de ressources pour pouvoir traiter les plaintes, émettre des avis et faire des suivis. Le projet de loi permet de recourir à la Cour fédérale, donc toutes ces choses ont besoin des ressources appropriées, que nous soyons l’organisme de réglementation ou non.

Le sénateur K. Wells : Il faut croire qu’il reste encore du travail à faire dans ce dossier. Parlons-nous de millions de dollars? De dizaines de millions de dollars? Quel est le coût associé à la mise en œuvre de quelque chose qui n’a pas une grande portée et qui permet toujours aux enfants d’accéder à beaucoup de contenu pornographique explicite? Est-ce que ce projet de loi ne fait qu’effleurer un enjeu beaucoup plus grand et, en fin de compte, est-ce qu’il n’aurait pas davantage une valeur symbolique qu’une valeur réelle pour ce qui est d’empêcher les jeunes d’accéder volontairement ou non à cette pornographie explicite?

M. Dufresne : Je pense que c’est un défi qui fait partie de notre réalité dans le domaine de la protection de la vie privée. Il est vrai que la portée du travail est immense. Les organisations que nous réglementons ont d’énormes ressources financières, beaucoup plus que nous pourrions jamais espérer en avoir.

Nous devons être réalistes en ce qui concerne les ressources publiques accessibles et nous concentrer sur des approches fondées sur le risque et des approches ciblées.

À mon bureau, j’ai dit entre autres que les priorités stratégiques mettent l’accent sur la protection de la vie privée des enfants et les technologies changeantes, tout en maximisant les retombées. Ce ne sont pas toutes les situations qui justifieront une étude approfondie. Nous tentons de régler les choses rapidement, et nous essayons de nous servir des outils promotionnels. Nous essayons de faire de la prévention.

D’une certaine manière, c’est aussi l’esprit de ce projet de loi, la notion que les organismes de réglementation seraient capables d’émettre un avis et de dire « eh bien, retirez le contenu. » Puis, on donne aux responsables un certain temps pour le retirer.

C’est toujours mieux de faire de l’éducation, de la prévention et de la promotion, même si les organismes de réglementation doivent sensibiliser les gens, et quand il n’y a pas de réponse positive de l’organisation ou qu’un nouvel enjeu juridique doit être précisé alors vous laissez les tribunaux s’en charger, avec le long processus que cela suppose.

Le sénateur K. Wells : J’ai une autre question rapide si vous me le permettez.

Je ne me souviens pas très bien de ce que vous avez dit, mais vous avez mentionné dans vos commentaires au sujet d’un pays, peut-être l’Australie, qu’il y a un commissaire à la sécurité numérique pour les enfants. Est-ce que c’est quelque chose que vous recommanderiez pour le Canada? Vous avez dit que cette personne travaillerait en collaboration avec votre bureau.

M. Dufresne : Eh bien, je pense que si le projet de loi est adopté, une entité devra être désignée. Le Parlement devra choisir une entité existante ou prendre des mesures pour en créer une autre.

Évidemment, il existe, dans d’autres administrations, un organisme de réglementation numérique. Il y en a un au Royaume-Uni, en Australie et en France.

Selon moi, en tant que commissaire à la protection de la vie privée, ce qui est important, c’est que je travaille en collaboration avec ces institutions, quelles qu’elles soient. C’est pour ça que nous avons mis sur pied le Forum canadien des organismes de réglementation numérique, qui travaille en étroite collaboration avec ces collègues. En fait, même à l’échelle internationale, les organismes de réglementation travaillent en collaboration, et l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, est l’un de ces organismes.

Il est de plus en plus évident que, à moins que vous ne mettiez sur pied un grand organisme de réglementation qui aura une énorme portée, tous les organismes de réglementation individuels doivent travailler ensemble, et c’est ce que nous faisons.

Le sénateur K. Wells : Ce qui est intéressant, puisque nous parlons des droits des enfants et des droits à la vie privée, c’est que, au Canada, nous n’avons même pas de commissaire national à l’enfance pour coordonner et défendre, comme vous l’avez dit, les intérêts des enfants au gouvernement fédéral et dans notre pays d’un océan à l’autre. C’est peut-être un sujet sur lequel nous devrions nous pencher dans un contexte plus large : la possibilité d’avoir une voix permanente qui défendrait les enfants et les jeunes dans notre pays.

M. Dufresne : En attendant, évidemment, la majeure partie des commissaires à la protection de la vie privée, mes collègues dans les provinces et partout dans le monde, ont fait de la protection de la vie privée des enfants une priorité.

Je ne dirais pas qu’il y a une lacune, mais nous pourrions en faire plus.

[Français]

La sénatrice Oudar : D’abord, merci, monsieur Dufresne, pour la qualité de votre présentation aujourd’hui et pour votre leadership. Cela a été dit en anglais, mais je vais également le dire en français : vous avez été élu président de tous les commissaires à la protection de la vie privée à travers le monde. Félicitations et merci. Le Canada, grâce à vous, exerce ce leadership de façon marquée. J’en suis très heureuse. Merci aussi pour ce que vous avez invoqué au sujet de votre leadership en faveur des jeunes. Cela mérite d’être souligné.

J’ai trouvé cela très clair ce matin. Hier, j’avais plusieurs questions sur le mémoire de l’Association du Barreau canadien, que nous entendrons plus tard. Vous vous distancez finalement du contenu de ce mémoire. Vous n’avez peut-être pas eu le temps de le lire, car nous ne l’avons reçu qu’hier. Je suis heureuse de voir vos conclusions.

J’avais effectivement la même question que la sénatrice Batters sur la territorialité des lois et l’application des dispositions législatives sur des organisations qui n’ont pas de frontière canadienne, mais se trouvent ailleurs dans le monde. Je comprends qu’avec la collaboration d’autres pays, vous réussissez à faire ce que vous pouvez.

Vous nous avez parlé d’un amendement. Je n’étais pas là au tout début des travaux sur les précédents projets de loi. Vous l’avez peut-être déjà soumis à un moment donné. Je serais très intéressée à ce que vous le partagiez avec les membres actuels du comité. Il y a de nouveaux membres au comité. Je sais qu’une loi ne doit pas affecter le budget — je sais que c’est pareil à l’échelle provinciale et je connais bien les règles législatives qui s’appliquent aux deux ordres de gouvernement —, mais je serais quand même intéressée de voir s’il y a des solutions possibles en respectant nos propres pouvoirs.

Si vous voulez argumenter un peu, cela me semble être une question de ressources et d’affectation du budget. Y a-t-il autre chose qui vous préoccupe? Qu’est-ce que nous pouvons faire pour cela?

M. Dufresne : Merci pour la question et les commentaires. Dans le secteur public, la loi habilitante est la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette loi date de 1983. La loi qui traite du secteur privé date de l’année 2000. Dans les deux cas, cela précède de beaucoup l’évolution technologique très importante que nous avons vécue. Il y a eu les médias sociaux et maintenant, il y a l’intelligence artificielle.

Il est vraiment temps que l’on modernise ces deux lois, à la fois pour le secteur public et le secteur privé. Le secteur public, par exemple, n’a pas l’obligation de nécessité ni de proportionnalité. On laisse beaucoup de marge de manœuvre au gouvernement en ce qui a trait à l’utilisation des renseignements personnels. Il n’y a pas d’obligation de faire des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée.

Des lacunes existent et on les a déjà soulignées. Le pouvoir d’émettre des ordonnances et des amendes nous fait ressortir à l’échelle internationale, mais pas de la bonne façon. Certaines provinces comme le Québec, la Colombie-Britannique et l’Alberta ont le pouvoir d’émettre des ordonnances. Le Québec a le pouvoir d’imposer des amendes. Le gouvernement fédéral n’a pas ce pouvoir.

En attendant, je vais utiliser la loi et les outils dont je dispose. Par exemple, on a mené l’enquête TikTok avec le Québec, la Colombie-Britannique et l’Alberta. Cette démarche a fait usage de mes pouvoirs et de leurs pouvoirs. J’ai mené l’enquête sur 23andMe avec le commissaire britannique. Il a le pouvoir d’imposer des amendes et d’émettre des ordonnances. Pour ma part, j’avais davantage de pouvoir dans l’enquête en ce qui concerne l’obtention de documents. On combine donc nos forces tout en minimisant nos faiblesses afin d’arriver au meilleur résultat pour les citoyens. À la fin de cette enquête, mon collègue a imposé une amende au site 23andMe, alors que moi, je ne pouvais pas le faire. Ce point a été soulevé. Les gens ont demandé pourquoi le Canada ne le faisait pas. J’ai répondu en leur disant que je n’avais pas l’autorité requise pour ce faire.

Je pense que c’est quelque chose qui pourrait être facilement corrigé par le Parlement, et j’espère que ce sera fait bientôt.

La sénatrice Oudar : Je ne sais pas si cette demande a été faite par écrit avec le libellé d’un amendement. Je serais intéressée de voir les documents qui ont circulé. Ils pourraient peut-être être déposés auprès du greffier afin que tous les membres du comité puissent en bénéficier. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci, et je me joins à mes collègues et vous félicite. Merci de votre travail.

Puisque j’ai moi-même tenté de faire des enquêtes au sein de certains ministères gouvernementaux, j’aimerais connaître les défis pratiques que vous rencontrerez au moment de mettre en œuvre ce projet de loi. Comme vous le savez, on peut vous empêcher de faire votre travail de bien des façons. Vous, votre ministère et moi avons été témoins de nombreux exemples.

Je me demande... Quelles embûches sont à prévoir? Quelles recommandations pouvons-nous faire pour en écarter un certain nombre?

M. Dufresne : Dans le contexte de ce projet de loi précis, il y a des sanctions pécuniaires. On pourrait recourir à la Cour fédérale. Il y a l’avis. Il y a l’intention d’une ordonnance. Donc, le processus existe. L’organisme de réglementation responsable aura besoin de suffisamment de ressources et devra pouvoir appliquer les mesures. Le système judiciaire devra aussi posséder les ressources nécessaires.

L’enjeu, c’est souvent les ressources organisationnelles. Évidemment, mon bureau n’a pas reçu davantage de ressources ni d’effectifs, même si nous avons de nouvelles responsabilités, par exemple en ce qui concerne les cyberattaques, il y en a de plus en plus malgré l’intelligence artificielle et l’amélioration technologique. Cela fait partie du problème. Par ailleurs, il y a l’application de la loi, les pouvoirs qui vous sont conférés, ou le manque de pouvoir.

Nous devons regarder à l’interne, et je parle des processus dans mon bureau. Pouvons-nous être plus agiles? Pouvons-nous aller plus rapidement? C’est le point que j’ai souligné plus tôt quand j’ai dit que je voulais essayer d’obtenir des résultats plus rapidement, et parfois sans avoir besoin d’une enquête complète, mais seulement de l’engagement du gouvernement ou de l’organisme.

On incite ainsi les organismes à faire la bonne chose plus rapidement et plus tôt, mais on s’assure aussi qu’il y a des conséquences s’ils ne le font pas. C’est là que j’aimerais assurément voir des améliorations; j’aimerais obtenir des résultats plus rapidement pour les Canadiens.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : J’ai une question très précise. Aujourd’hui, existe-t-il un mécanisme de vérification de l’âge qui vous satisfait?

M. Dufresne : L’Australie vient de mener une étude poussée sur ce domaine, car ils en ont l’obligation en vertu de leur loi. La conclusion a été que c’est possible et que cela peut être fait.

Nous n’avons pas encore fait cette vérification, car l’obligation juridique n’existe pas à ce stade-ci. D’après ce que je vois à l’échelle internationale, j’ai confiance que la technologie peut atteindre cet objectif. Il faut baliser le processus, prévoir les exigences et s’assurer que les correctifs sont faits. Toutefois, à mon avis, il est possible de le faire avec la technologie. On doit utiliser la technologie de façon appropriée pour protéger la vie privée.

La sénatrice Saint-Germain : À ce moment-là, les critères et les balises dont vous parlez pour atteindre ces objectifs ne devraient-ils pas, d’une part, se retrouver dans la loi? D’autre part, le règlement de mise en œuvre ne devrait-il pas, pour être efficace et applicable, attendre que ces technologies existent clairement et soient à votre satisfaction au pays?

M. Dufresne : Si le projet de loi est adopté, la prochaine étape sera de faire en sorte que le règlement soit adopté par le gouvernement. Il faut suffisamment de consultations et de vérifications avec l’industrie pour voir qui va le faire. Est-ce que ce sera une solution privée ou gouvernementale? Quelles seront les exigences? Il faut allouer suffisamment de temps pour que ce soit fait. On le voit dans d’autres administrations. En Australie, les règles entrent en vigueur pour interdire l’accès aux médias sociaux pour les personnes âgées de moins de 16 ans. Le travail se fait encore. Il ne faudrait pas que les règles entrent en vigueur immédiatement après la sanction royale. Je crois qu’on prévoit un délai d’un an, et il faudra faire en sorte que ce soit suffisant pour faire ce travail.

La sénatrice Saint-Germain : Vous n’êtes pas certain que ce soit suffisant, compte tenu de la complexité des vérifications à faire?

M. Dufresne : C’est plutôt au gouvernement et au processus réglementaire qu’il revient de s’assurer d’être en mesure de mettre les balises en œuvre. S’il y a des préoccupations à ce sujet, il s’agirait de proposer une entrée en vigueur différente par décret ou quelque chose du genre.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Commissaire Dufresne, j’aimerais revenir au paragraphe cité par la sénatrice Batters, dans la section Règlement, le paragraphe 12(2), mécanismes de vérification ou d’estimation de l’âge. Le projet de loi tel qu’il est rédigé ne prévoit ni exigences ni conditions obligatoires qui s’appliqueraient à la tierce partie qui offre les mécanismes de vérification ou d’estimation de l’âge. Il est indiqué dans le Règlement : « ...le gouverneur en conseil vérifie que le mécanisme envisagé... » il fait toutes ces choses et détruit les renseignements rapidement. Mais quel est le mécanisme d’application de la loi?

M. Dufresne : Il y aurait un certain nombre de mécanismes d’application de la loi. L’un d’eux tiendrait à la Loi sur la protection des renseignements personnels elle-même. Les organisations ne peuvent pas conserver de l’information plus longtemps que nécessaire. Un recours à cet égard serait possible selon mon projet de loi... tout comme ce serait le cas pour n’importe quelle organisation. On leur demanderait « Pourquoi conservez-vous cette information? » surtout s’il y a un projet de loi et un règlement qui dit explicitement : « Vous devez détruire l’information. Vous ne pouvez pas la conserver. » Il serait très difficile pour une organisation d’expliquer pourquoi elle a conservé l’information. Elle ne respecterait pas le cadre de la réglementation.

C’est à cela que servirait le recours... c’est vraiment lié à la conservation de l’information.

La sénatrice Simons : Quelles sont les sanctions et les conséquences? Si vous ouvrez une enquête et que vous découvrez que quelqu’un est en situation d’infraction, que se passe-t-il?

M. Dufresne : C’est l’autre enjeu que j’ai soulevé. Je ne peux pas imposer des amendes. Je n’ai pas le pouvoir d’émettre des ordonnances. Si on découvre qu’une organisation enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnels, je formule des recommandations. L’organisation peut décider de les suivre ou non, mais je ne peux pas imposer d’amendes. Si je voulais qu’il y ait des conséquences financières, je devrais m’adresser à la Cour fédérale. C’est dispendieux et long, et c’est pourquoi il est important de modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, et pas seulement pour ce type de situation, mais pour toutes les situations.

La sénatrice Simons : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Dans ce cas, je veux revenir à cela : conformément à ce régime réglementaire, quelles sont les mesures contraignantes qui m’assureraient, en tant que consommatrice, que ces données seront aussi confidentielles que l’exige la réglementation? Si vous n’avez pas de mécanisme d’application de la loi, et si tout ce que vous pouvez faire, c’est élaborer des règlements, comment peut-on faire fonctionner tout cela?

M. Dufresne : Le règlement établirait ce qui est une défense acceptable pour une organisation qui rend du contenu pornographique accessible.

La sénatrice Simons : Mais cela ne concerne pas l’organisation. Cela concerne la tierce partie, parce que ce n’est pas juste de rejeter la faute sur Pornhub ou X si une autre tierce partie est en situation d’infraction selon le gouvernement. Ce n’est pas la faute de Pornhub ou de n’importe quel autre distributeur. Il est indiqué ici « ...le gouverneur en conseil vérifie... », mais de quel mécanisme le gouverneur en conseil peut-il se servir pour faire sa vérification?

M. Dufresne : Le mécanisme serait un processus de dépôt de plainte à mon bureau, et donc nous revenons à la lacune...

La sénatrice Simons : Donc tout ce que vous pouvez faire, c’est formuler des recommandations. Vous ne pouvez pas imposer d’amende.

M. Dufresne : Sauf si je fais appel à la Cour fédérale. Il est possible de formuler une constatation, puis si on ne respecte pas la recommandation, on peut s’adresser à la Cour fédérale. Nous faisons cela dans certains cas, et je n’écarte pas cette possibilité dans un dossier comme celui-ci. Vous avez un projet de loi qui n’est pas respecté. Vous avez un règlement du gouvernement. Il s’agit peut-être d’un dossier où il est peut-être approprié de s’adresser à la Cour fédérale, mais je vais tout de même demander une réforme de la loi pour pouvoir le faire moi-même, parce que, encore une fois, cela nous donne plus de temps.

Laissez-moi vous dire ceci, et ça revient souvent : même si je veux pouvoir imposer des amendes et émettre des ordonnances, et c’est nécessaire, je ne veux pas minimiser les répercussions sur la réputation des organisations qui font l’objet d’une décision publique prise par mon bureau. Selon mon expérience, les organisations ne veulent pas que le commissaire à la protection de la vie privée tienne une conférence de presse publique pour dire qu’ils ont des mauvaises pratiques; ce n’est pas suffisant, mais c’est quelque chose. Je veux souligner cela. Évidemment, les organisations canadiennes gardent cela à l’esprit, mais nous devons vraiment en faire plus pour ce qui est des amendes et des choses de ce genre.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le président : J’ai deux petites questions à vous poser, monsieur Dufresne.

Tout d’abord, le sénateur K. Wells a déjà soulevé la question, mais s’il y a une entité désignée et que cela s’avère nécessaire, il faudra plusieurs millions de dollars pour financer et doter en ressources un tel organisme afin qu’il soit efficace et efficient. Est-ce bien cela?

M. Dufresne : Je suis d’accord. Vous devrez fournir des ressources à un organisme pour qu’il puisse le faire.

Le président : Deuxièmement, nous avons beaucoup entendu parler du fait que l’on compte sur la réglementation. Quelles normes minimales en matière de protection de la vie privée pourraient être intégrées dans cette loi, plutôt que dans le règlement, afin d’assurer aux Canadiens que leurs données seront minimisées et qu’il n’y aura aucune rétention de l’identité ni de lien entre les services, et que cela renforcera les capacités d’un auditeur indépendant et permettra de protéger la confidentialité des informations des adultes et de réduire les risques liés à la Charte.

M. Dufresne : Je crois que vous pouvez trouver cela dans les principes énoncés pour le gouverneur en conseil : l’efficacité, le principe d’autonomie, la confidentialité de l’utilisateur, la minimisation des données et la conformité avec les pratiques exemplaires générales. Je ne crois pas que les pouvoirs de mon bureau en matière d’ordonnance ou d’amendes découleraient de ce projet de loi ci. Ces pouvoirs découleraient d’un autre projet de loi sur la protection des renseignements personnels. Ce serait essentiel.

Si vous souhaitiez renforcer le processus de consultation et le rôle de mon bureau dans cette affaire, cela pourrait être ajouté comme une obligation, un devoir de consulter mon bureau, pendant la rédaction du règlement.

De notre côté, nous poursuivrons notre travail en ce qui concerne l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. J’ai dit qu’il s’agissait d’un autre élément où l’on constate un renforcement des pratiques des organisations. Cela devrait être une obligation pour toutes les organisations assujetties aux lois et règlements sur la protection des renseignements personnels.

Le président : Merci.

La sénatrice Batters : J’aimerais revenir brièvement à la discussion concernant le règlement dont est responsable le gouverneur en conseil, qui doit prendre toutes ces décisions, ainsi que sur le mot « vérifie ». Cette disposition dit que, « avant de prévoir un mécanisme de vérification ou d’estimation de l’âge en vertu de l’alinéa (1)b), le gouverneur en conseil... », c’est‑à‑dire le Cabinet ou le gouvernement, « vérifie que le mécanisme envisagé... » possède toutes les différentes caractéristiques, incluant la partie portant sur la destruction des renseignements personnels.

Je dirais qu’une autre mesure de protection — en plus de celle, importante, que vous avez mentionnée, à savoir la possibilité de porter l’affaire devant la Cour fédérale, et ce serait très dissuasif si le gouvernement agissait de la sorte —, c’est qu’il y a potentiellement un prix politique à payer aux urnes. Les électeurs pourraient juger le gouvernement s’il mettait en œuvre des mesures inefficaces et qu’il ne garantissait pas toutes les mesures de protection requises par un projet de loi adopté par le Parlement.

M. Dufresne : J’ai dit, dans ma déclaration préliminaire, que de remplacer le terme « examine » par le terme « vérifie » était une amélioration importante. Vous avez mis en évidence certaines des conséquences de ce changement. C’est un seuil bien plus discrétionnaire si vous avez simplement à le prendre en considération. Dans ce cas-ci, le libellé est beaucoup plus fort et, par conséquent, limite le champ d’action du gouvernement.

Le président : Chers collègues, joignez-vous à moi pour remercier nos témoins pour leur participation, ici, aujourd’hui. Cela nous a été d’une grande aide. Merci beaucoup.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir par vidéoconférence Me Brian Hurley, du Conseil canadien des avocats de la défense. Nous accueillons également Me Christiane Saad, présidente du Comité de direction de la section de Droit de la vie privée et de l’accès à l’information de l’Association du Barreau canadien. Merci d’être là. Joignez-vous à moi pour souhaiter la bienvenue à nos deux témoins.

Maître Hurley, nous commencerons par vous. Vous avez environ cinq minutes, monsieur, pour nous donner un aperçu de ce que vous souhaitez nous dire. Maître Saad, vous aurez également cinq minutes. Après les deux déclarations préliminaires, nous passerons aux questions.

Me Brian Hurley, avocat criminaliste et directeur, Conseil canadien des avocats de la défense : Merci beaucoup. J’aborde ce sujet du point de vue d’un avocat de la défense qui a travaillé en Alberta pendant 32 ans, en se consacrant uniquement à la défense, et j’aimerais dire que je m’inquiète quand une loi entrave l’accès à des formes d’expression ou à des produits légaux et qui donne à des parties tierces accès aux données personnelles de citoyens qui agissent dans le respect de la loi.

J’ajouterais que mon inquiétude est accentuée, et non atténuée, lorsqu’il est question d’une loi qui a expressément le noble objectif de protéger les enfants. À mon avis, toute loi de cette nature doit répondre à trois questions fondamentales, et y répondre par l’affirmative, avant que l’on puisse aller de l’avant avec une telle loi.

Premièrement, cette loi est-elle nécessaire? Le concept de nécessité comprend deux parties fondamentales. Y a-t-il un préjudice réel? C’est différent de ce que j’ai entendu dans un exposé précédent au sujet de l’intérêt supérieur des enfants. Si nous nous engageons sur la voie « de l’intérêt supérieur des enfants », je dirais que c’est très dangereux et que cela peut mener à la vérification de l’âge pour toutes sortes de produits légaux, mais potentiellement impopulaires, sur Internet. Y a-t-il un préjudice réel et avéré? Je suis certain que vous avez parlé à des experts, et j’ai jeté un œil à certains rapports d’experts portant sur les préjudices réels et avérés causés par la pornographie. J’ai moi-même eu des clients impliqués dans des activités criminelles au sujet desquelles des psychologues ont suggéré qu’une dépendance à la pornographie pendant l’enfance avait joué un rôle. Si cela existe, alors la réponse est oui.

Cependant, nous devons aussi confirmer que les parents sont incapables, sans l’intervention du gouvernement, de contrôler la consommation de ce matériel par leurs enfants — et je dis bien que les parents ne peuvent pas et non qu’ils ne veulent pas. J’ajouterais que j’aborde le sujet en tant que père de quatre enfants, qui sont maintenant dans la vingtaine, deux garçons et deux filles, et je concède qu’il est plausible que les parents ne puissent pas contrôler l’accès à ce matériel par les enfants.

Même si nous répondons à cette question par l’affirmative, nous en arrivons à la deuxième question : cette loi est-elle nécessaire? Cette loi a-t-elle réellement un effet significatif? Est‑il trop facile de la contourner par un RPV et par d’autres moyens qui la rendent inefficace?

L’exposé précédent, où l’on disait que la loi concerne ou protège seulement les enfants qui tombent accidentellement sur ce matériel puis quittent la page, m’inquiète. Un tel risque pour les renseignements personnels des citoyens respectueux de la loi n’est pas justifié par cela. Si tous les petits garçons de 13 ans — et je dis cela en tenant compte du fait que j’ai deux garçons, mais aussi deux filles —, mais si tous les enfants de 13 ans peuvent facilement contourner cette loi et que nous ne faisons rien d’autre à part mettre en danger les renseignements personnels, alors j’ai de véritables inquiétudes.

Si cette loi est nécessaire et efficace, son effet positif l’emporte-t-il alors sur les conséquences négatives qui en découleront probablement? Je suis prêt — comme, je crois, la plupart d’entre nous le sommes — à considérer que cette loi comporte un élément nécessaire et qu’il y a lieu d’être préoccupés. Je reste toutefois méfiant face à un préambule qui mentionne des attitudes et des stéréotypes négatifs. Cette insistance sur les idées et cette large portée m’inquiètent quand je pense aux lois qui pourraient être adoptées ultérieurement pour lutter contre d’autres choses sur Internet que le gouvernement du moment pourrait juger répréhensibles, comme la promotion d’attitudes, d’idées ou de stéréotypes négatifs.

Je cherche surtout à savoir si cela fonctionne, surtout, et je remarque que nous n’avons pas parlé du Texas ni du Tennessee, qui font déjà cela. Je me demande si, peut-être, nous ne portons pas attention au Texas et au Tennessee en raison de leurs politiques. Cela fonctionne-t-il au Texas et au Tennessee? Les enfants de 13 ans peuvent-ils avoir accès à de la pornographie malgré la vérification de l’âge qui est en place dans ces États depuis plusieurs mois déjà?

En tant qu’Albertain et Canadien, je me demande si cela ne va pas trop loin. En Alberta, Danielle Smith a banni le matériel sexuellement explicite des bibliothèques scolaires. Je sais que le projet de loi S-210 contenait le terme « sexuellement explicite » et le projet de loi S-209, le terme « pornographique », et qu’il s’agit là d’une amélioration et d’un changement important, mais nous devons nous préoccuper d’une portée excessive.

Je suis satisfait de l’ajout de l’article 6 provenant de l’ancien projet de loi qui contenait l’expression « de façon incidente », mais, encore une fois, il s’agit d’une formulation vague qui me préoccupe. La plus grande préoccupation est toutefois la vie privée des citoyens honnêtes qui consomment du matériel légal, une forme d’expression légale.

L’alinéa 12(2)d) me préoccupe particulièrement, lorsqu’il est question de renseignements et de rétention de renseignements et qu’il est indiqué « à moins que la loi ne prévoie d’autres fins ». Les renseignements personnels doivent être détruits immédiatement. Ils ne peuvent pas être retenus. Le fait d’utiliser à mauvais escient ou de ne pas détruire ces renseignements doit être considéré comme une infraction, dans ce projet de loi, s’il est adopté.

Notre commissaire à la protection de la vie privée nous a parlé de son pouvoir limité dans ce domaine. Avec tout le respect que je vous dois, les renseignements ont une valeur inestimable. Nous le savons. L’humiliation publique ne suffit tout simplement pas. L’utilisation abusive des renseignements devrait être une infraction, si ce projet de loi est adopté. Les renseignements d’un particulier qui accède légalement à du matériel devraient être détruits immédiatement.

Voilà ce qui conclut ma déclaration préliminaire. J’aimerais à présent céder la parole à mon amie de l’Association du Barreau canadien.

[Français]

Me Christiane Saad, présidente, Section de droit de la vie privée et de l’accès à l’information, Association du Barreau canadien : Je remercie le comité et les honorables sénateurs et sénatrices d’avoir invité l’Association du Barreau canadien. Je m’appelle Christiane Saad et je suis présidente de la Section de droit de la vie privée et de l’accès à l’information. En tant que mère d’adolescents, ce projet de loi me touche particulièrement.

Nous apprécions les changements et les précisions apportés depuis la présentation du projet de loi S-210, qui prouvent bien votre intention de permettre de la flexibilité tout en protégeant les jeunes et de cibler les sources de pornographie commerciale, et non l’infrastructure d’Internet en général.

Bien que nous appuyons généralement le projet de loi S-209 et son objectif, nous soulevons des préoccupations par rapport à sa mise en œuvre, surtout les aspects relatifs à la vie privée et à la protection des renseignements personnels sur lesquels je vais me concentrer.

L’un des effets souhaités de ce projet de loi est de forcer les distributeurs de matériel pornographique à mettre en place des méthodes prescrites de vérification et d’estimation de l’âge afin de limiter l’accès aux personnes âgées de plus de 18 ans. Le préambule souligne d’ailleurs l’évolution rapide des technologies et mentionne à quel point elles sont maintenant plus sophistiquées pour déterminer l’âge des utilisateurs pour répondre aux besoins du projet de loi.

Cependant, le projet de loi ne contient pas de détails, comme d’autres témoins l’ont souligné, sur la manière dont le gouvernement va concilier la vie privée et sa protection, et on laisse ces aspects aux étapes du règlement et de la mise en œuvre.

Bien que ce soit une approche courante de réserver la mise en place à la phase des règlements, dans le cas de ce projet de loi, cela comporte certains risques additionnels pour la protection des renseignements personnels. La vérification et l’estimation de l’âge servent à déterminer l’âge d’un utilisateur, mais elles diffèrent considérablement dans leurs méthodes d’application.

La vérification de l’âge implique des preuves directes d’identité ou même des indicateurs de données biométriques, alors que l’estimation de l’âge pourrait utiliser l’intelligence artificielle et des technologies de ce genre pour donner des résultats assez précis, même si ce n’est pas toujours le cas. En même temps, ceci pourrait préserver l’anonymat de l’utilisateur, mais ce n’est peut-être pas aussi précis que la première méthode.

Par contre, sans balises claires, ces technologies ouvrent la porte au risque d’une accumulation abusive de données critiques, un usage secondaire comme l’entraînement d’un système d’intelligence artificielle, et même une expansion des inférences avec d’autres caractéristiques personnelles.

Le projet de loi traite de la collecte et de la conservation des données. On a mentionné à quelques reprises que ces données doivent être détruites tout de suite après la vérification, mais cela s’est fait en utilisant des termes larges et fondés sur des principes de protection des renseignements et des données. Cependant, il manque certains détails clés qui pourraient nous aider à mettre des balises : par exemple, la définition d’un calendrier de conservation ou la clarté sur la vitesse à laquelle se fera la destruction de ces données, le mécanisme d’audit ou d’application et aussi l’emplacement de stockage de ces données qui seront collectées par ces organisations. Il faudrait également préciser quelles sont les solutions et les options pour les utilisateurs en cas de mauvaise gestion des données.

En conséquence, le projet de loi laisse de nombreuses garanties essentiellement au règlement futur en rendant l’application et les protections techniques fortement dépendantes de cette mise en œuvre plutôt que la loi elle-même.

Si les données sont recueillies, il faut que les Canadiens et Canadiennes puissent avoir certaines garanties sur la protection de leurs données par l’utilisation de ces techniques.

Le projet de loi soulève aussi certaines préoccupations en ce qui concerne l’utilisation d’organisations tierces. On sait qu’elles ont peut-être développé de meilleures technologies, mais on a des préoccupations : est-ce que ce sont des entreprises canadiennes? Est-ce que ce sont des entités privées? Où seraient stockées les données qu’elles vont utiliser?

Évidemment, à cause de l’intelligence artificielle et d’autres technologies, on pourrait voir une augmentation du risque d’exploitation commerciale directe ou indirecte des renseignements qui ont été collectés pour l’application de ce projet de loi. Cela soulève donc plusieurs questions sur certaines dérives fonctionnelles.

Finalement, même si l’article 10 donne à la Cour fédérale un pouvoir étendu d’ordonner aux fournisseurs d’accès Internet de bloquer certains accès aux organisations qui ne se conforment pas à la loi, de telles mesures risquent de mener à un blocage excessif ou même à la suppression de contenu légal, ce qui pourrait entraîner une censure collatérale pouvant restreindre ou donner l’impression de restreindre la liberté d’expression et l’accès à l’information pour certains citoyens.

C’est pour cette raison que la Section de droit de la vie privée et de l’accès à l’information de l’Association du Barreau canadien applaudit ce projet de loi, mais recommande d’y apporter certaines précisions ou modifications afin de tenir compte de ces préoccupations et de renforcer le message de confiance des citoyens. Merci.

[Traduction]

Le président : Merci aux témoins. Nous passerons maintenant aux questions, en commençant par la vice-présidente, la sénatrice Batters.

La sénatrice Batters : Merci. Nous apprécions que vous soyez venus ici tous les deux et les commentaires que vous nous avez faits aujourd’hui. J’ai deux ou trois choses à dire.

Premièrement, maître Hurley, vous avez mentionné des États américains, notamment le Texas. L’étude menée par notre comité n’a débuté qu’hier. Pour votre information, nous avons prévu entendre des témoignages à leur sujet et au sujet d’autres pays qui font face à ce genre de situation, afin de bien les comprendre.

Ensuite, sachez tous les deux qu’il s’agit d’un projet de loi émanant d’une sénatrice, non pas du gouvernement. La partie énoncée concerne le mécanisme qui permet de définir ce que le gouverneur en conseil, le Cabinet, doit faire en matière de réglementation, et il précise qu’il « vérifie » et non qu’il « examine ». Comme vient tout juste de le dire le commissaire à la protection de la vie privée, c’est quelque chose qui l’a énormément rassuré.

Cependant, ces dernières années, nous avons eu un certain nombre de projets de loi émanant du gouvernement dont la portée est similaire à certains de ces types de mesures. Nous avons eu le projet de loi C-11, le projet de loi C-63 sur les préjudices en ligne, et le projet de loi C-26 sur la cybersécurité, aujourd’hui le projet de loi C-8 déposé à nouveau par le gouvernement. Tous ces projets de loi présentaient des situations de portée excessive considérable et des passages utilisant des termes généraux fondés sur des principes, mais ils laissaient une grande partie à faire à l’étape du règlement que le gouvernement élaborerait dans les années à venir ou on ne sait quand.

Avez-vous, vous ou vos organisations, exprimé ce genre d’inquiétudes au sujet de ces types de projets de loi? Je vais commencer par vous, maître Saad.

Me Saad : Je vous remercie de poser ces questions. Nous sommes au courant de cette approche, car nous ne pouvons pas tout planifier dès le départ, dans la loi. Cependant, le règlement permettra, par la suite, l’application des spécificités de chacun.

Toutefois, l’Association du Barreau canadien, l’ABC, dans de précédents mémoires — pas celui-ci spécifiquement —, a soulevé certaines préoccupations quant à la portée excessive et au fait de laisser certains aspects à l’élaboration du règlement, car il faut parfois trop de temps pour mettre en œuvre efficacement le règlement requis. Tout dépendant du type de consultation nécessaire — comme l’a souligné précédemment le commissaire Dufresne, par exemple —, c’est parfois une préoccupation. Nous n’avons pas analysé cela en profondeur pour ce sujet précis, mais c’est une question qui a été soulevée par notre groupe.

La sénatrice Batters : D’accord, oui. J’étais la porte-parole concernant le projet de loi sur la cybersécurité, lors de la dernière législature, et je sais donc qu’il autorisait les ministres à contraindre une personne « à accomplir un acte ou à s’en abstenir... ». C’était une formulation des plus vagues. Je tiens à vous dire que ces préoccupations ne concernent pas seulement un projet de loi émanant d’un sénateur, dont la portée est beaucoup plus limitée, mais que, parfois, cela concerne le mécanisme gouvernemental dans son ensemble. Si l’on estime que cette façon de procéder est appropriée pour des projets de loi importants, elle pourrait très bien l’être également à plus petite échelle, comme dans le cas présent.

Maître Hurley, je vous pose la même question : pourriez-vous nous parler de ces autres types de projets de loi importants qui émanent du gouvernement?

Me Hurley : Maître Saad de l’ABC exprime les mêmes inquiétudes que j’aurais en tant qu’avocat et que mon organisation aurait. Nous sommes toujours préoccupés par la portée excessive et les formulations vagues, et nous nous préoccupons toujours des projets de loi dont la cause est noble.

Je suis un parent — comme je l’ai dit, mes quatre enfants sont maintenant des adultes —, mais je suis évidemment d’accord pour limiter la portée excessive des enfants à la pornographie juvénile. Cela va de soi. Le problème est l’excès et les formulations vagues. Dans ce projet de loi, le problème, c’est que l’on communique une grande quantité de renseignements personnels qui pourraient être monétisés ou utilisés à mauvais escient. Mais oui, ma réponse sera la même que Me Saad de l’ABC.

La sénatrice Batters : D’accord. Vous avez récemment été invité, évidemment, à participer à ce groupe de témoins, mais j’ignore si vous avez eu l’occasion d’entendre le témoignage du commissaire à la protection de la vie privée. Je peux dire d’après mon expérience qu’il ne formule généralement pas de commentaires positifs sur les mécanismes de confidentialité d’une chose ou d’une autre à moins d’être tout à fait à l’aise avec ceux-ci.

Cela vous rassure-t-il un peu? J’ignore si vous avez pu entendre son témoignage.

Me Hurley : J’ai bien entendu son témoignage. Il m’a rassuré un peu, mais il a également sonné l’alarme en ce qui concerne sa capacité à faire respecter la loi ou à sanctionner les infractions.

Tout comme Me Saad de l’ABC, je pense que, si nous devons faire appel à des tiers, il faut que ce soit des Canadiens qui contrôlent ces renseignements personnels. Nous devons également avoir la capacité de les contrôler, et la meilleure façon de contrôler une entreprise est de lui imposer des amendes en cas d’infraction.

De plus, en admettant que ce genre de pornographie est un produit légal et une forme d’expression libre et légale à laquelle les adultes ont droit, si ces derniers fournissent des renseignements personnels, ces renseignements devraient être détruits, immédiatement dès qu’il est confirmé que la personne qui accède à ce contenu est majeure.

La rétention, la distribution, la monétisation ou l’utilisation à mauvais escient de ces renseignements devraient être punissables en vertu de cette loi et ne devraient pas être laissées à une loi future ou à un commissariat à la protection de la vie privée qui n’a pas le pouvoir d’imposer des amendes ou de sanctionner. Il faut plus de mordant quand il s’agit des renseignements personnels que nous recueillons.

La sénatrice Batters : D’accord. Je crois que vous avez entendu le commissaire à la protection de la vie privée dire également qu’il estime qu’il y a une lacune générale dans l’actuelle loi canadienne sur la protection des renseignements personnels, et il cherche depuis longtemps à la faire modifier afin d’avoir plus de pouvoirs pour la faire appliquer. Cela ne concerne pas seulement cette loi-ci, mais toutes les dispositions de ce type.

J’ai une dernière question pour vous, maître Hurley. Vous venez de dire une chose qui m’amène peut-être à une autre question; j’ai été heureuse d’entendre, dans votre déclaration préliminaire, que vous sembliez douter que le fait de regarder de la pornographie puisse être nocif pour les enfants. Vous venez de dire quelque chose qui m’a fait réfléchir, mais j’aimerais vous donner l’occasion de clarifier vos propos.

Me Hurley : En tant que parent, je pars du principe très peu scientifique, fondé sur mon expérience, que cela est nocif pour les enfants, mais je garde à l’esprit que je suis parent et non pas scientifique.

Au cours de mes 32 années de pratique, j’ai rencontré quelques jeunes clients impliqués dans des activités criminelles; et le psychiatre ou le psychologue clinicien qui les a évalués disait que l’un des facteurs contributifs était une dépendance à la pornographie depuis l’enfance.

Vous êtes sans doute consciente, madame la sénatrice, qu’il existe plusieurs études qui traitent de l’effet de la pornographie sur les enfants et le développement mental des adolescents, et cela concerne généralement les garçons. J’ai commencé ma déclaration préliminaire en disant que j’ai eu des garçons et des filles, alors je ne généralise pas, mais il y a parfois des expériences différentes. Il y a également des études qui suggèrent que certaines de ces études-là exagèrent.

Nous voulons être prudents lorsqu’il est question d’un sujet aussi sensible et controversé et appuyer nos décisions sur des données scientifiques solides, plutôt que sur des réactions émotionnelles. La réaction émotionnelle est instantanée pour la grande majorité des êtres humains, mais il nous faut nous intéresser également aux aspects scientifiques.

Je sais que, en tant que criminaliste, lorsque je suis impliqué dans des affaires extrêmement émotionnelles, il est facile d’y introduire de mauvaises données scientifiques, car la situation est émotionnelle et nous voulons accepter ces données. Nous devons faire preuve de prudence lorsque nous utilisons la science. C’est tout ce que je dis.

Je ne sous-entends certainement pas que la pornographie est saine pour les adolescents, garçons ou filles, mais je crois que nous devons faire preuve de prudence quand nous utilisons la science et regarder le tout de manière objective.

La sénatrice Batters : Nous devrions peut-être avoir une petite discussion sur les aspects scientifiques, alors, au comité, car je crois qu’il existe depuis longtemps un important corpus d’information sur les dangers, en particulier sur les comportements criminels futurs et ce genre de choses. Nous devrions donc peut-être examiner un peu cette question.

Me Hurley : Et je l’ai vu dans ma pratique.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Maître Saad, j’ai lu votre mémoire et je vous avoue que j’ai le sentiment que vous avez une interprétation du projet de loi qui ne correspond pas forcément à la dernière version. Une des choses que vous dites dans ce mémoire, c’est que le projet de loi impose une preuve d’âge obligatoire pour tous. Pourtant, c’est faux. Le projet de loi suggère l’estimation de l’âge comme moyen de vérification, ce qui n’est pas une preuve obligatoire d’âge. C’est l’estimation de l’âge à travers l’intelligence artificielle. Donc, ce n’est pas exact.

Vous dites aussi que le projet de loi S-209 ne prévoit aucune mesure garantissant que ces données ne seront pas recueillies ou conservées par le gouvernement. Il n’a pas été question du tout dans tout ce projet de loi que le gouvernement conserve des données. On parle de tierces parties privées.

Or, à l’alinéa 12(2)f), il y a une phrase où il est inscrit ceci : « détruit, une fois faites la vérification ou l’estimation de l’âge, tout renseignement personnel recueilli à cette fin;»

Vous dites qu’il faudrait un calendrier de destruction. Dans un projet de loi, qui est quelque chose de granulaire, vous voulez qu’on mette un calendrier avec des dates? L’idée est d’émettre des principes qui seront articulés dans la réglementation.

Vous savez comme moi que la technologie évolue, et l’idée d’écrire six pages de précautions dans un projet de loi semble contre-productive, étant donné l’évolution de toutes ces données.

J’essaie de déterminer si vous avez bien porté votre regard sur ce projet de loi, qui a été par ailleurs, dans ce domaine précis, applaudi par le commissaire à la vie privée, qui a dit qu’il contenait des choses rassurantes. Comment pouvez-vous dire qu’il n’y a aucune précaution alors le commissaire à la vie privée dit qu’il est rassuré?

Me Saad : On ne dit pas qu’on est contre le projet de loi. On l’applaudit, comme je l’ai mentionné. On a soulevé des préoccupations qui sont ressorties au sein de notre groupe de travail.

Sans imposer aucune preuve d’âge pour tous, la façon de le dire, c’est pour tous les utilisateurs éventuels. C’est ce qu’on a compris du projet de loi. Ce sont tous les utilisateurs éventuels de ces sites de pornographie commerciale. C’était l’idée exprimée là.

Par contre, en ce qui concerne le gouvernement, ce n’est pas édicté, même si c’est mentionné dans le projet de loi que l’information sera détruite tout de suite après la vérification. C’étaient des préoccupations généralement exprimées par les membres de nos groupes. Qu’est-ce qui peut nous rassurer sur le fait que ces données ne seront pas conservées et réutilisées, ou même partagées avec le gouvernement dans une entente avec des organisations tierces?

Donc, ce sont les préoccupations qui sont ressorties. Ça ne veut pas dire que c’est peut-être l’intention du projet de loi, mais ce sont les préoccupations que nous avons entendues.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ça me rassure un peu. Monsieur Hurley, je me tourne vers vous sur la question de l’âge de 13 ans. Le commissaire a dit qu’il est vrai que beaucoup d’enfants découvrent la pornographie avec des pop-ups, c’est-à-dire de façon non intentionnelle. Sauf que les chiffres sont quand même importants. En effet, 27 % des enfants de 11 ans ont accès à la pornographie, comme 10 % des enfants de 9 ans; 50 % des enfants de 13 ans et plus ont vu de la pornographie. Nous ne sommes pas dans de petits nombres.

Vous vous demandez si cela vaut la peine d’avoir un projet de loi s’il ne fonctionne pas bien ou s’il n’arrive pas à contrôler les VPN. Aucun projet de loi n’est appliqué de façon absolue. Aucun projet de loi n’est respecté de façon absolue. C’est la même chose pour celui-là comme pour les autres.

Ce qu’on essaie de faire, c’est d’envoyer un signal et de convaincre le plus de gens possible que la pornographie n’est pas pour les enfants et, dans ce cas-ci, les enfants de 13 ans et moins n’ont pas souvent accès à un VPN, donc ils pourraient eux‑mêmes être protégés.

Cela ne vaut-il pas la peine d’avoir un projet de loi pour protéger les enfants les plus jeunes qui ne chercheront pas à contourner les règles? Tout comme les limites de vitesse qui ne sont pas toujours respectées, vous le savez, vous êtes avocat.

Est-ce un bon argument de dire que ce projet de loi sera contourné, donc on est mieux de ne pas le faire?

[Traduction]

Me Hurley : Je crois que cela entre dans le processus d’évaluation du projet de loi, et cela rejoint mes commentaires sur l’efficacité.

Si le projet de loi n’est pas efficace — et nous devons observer le Texas, le Tennessee, l’Australie et d’autres endroits qui font déjà cela —, si le projet de loi ne décourage pas les jeunes de 13, 14 ou 15 ans motivés à consommer du matériel pornographique, car il est trop facile à contourner, je crois que cela est lié à la manière dont nous équilibrons le projet de loi et à la question de savoir si les effets positifs ont une incidence sur les effets négatifs potentiels.

Si tout ce que nous bloquons est le visionnement accidentel de contenu pornographique par des enfants qui ne souhaitent pas le voir, cela reste tout à fait quelque chose que nous souhaitons bloquer. Ce n’est pas rien. Mais quel est l’intérêt, si c’est tout ce que nous bloquons, par n’importe quel adolescent de 13 ans motivé peut contourner cette mesure, alors qu’il y a un problème potentiel lié aux renseignements personnels?

Je ne suis pas en train de dire que ce n’est pas une bonne idée d’empêcher les enfants de visionner de la pornographie à un très jeune âge. La question est : si c’est tout ce que le projet de loi réussit à faire, et qu’il n’est pas efficace pour bloquer quiconque prend des mesures pour le contourner, devons-nous alors l’équilibrer différemment lorsque nous examinons les effets négatifs potentiels?

J’aime bien les changements que vous avez apportés, madame la sénatrice, à l’alinéa 12(2)a), pour remplacer « est fiable » par « est très efficace ». J’aime aussi les nouveaux alinéas 12(2)b) et 12(2)e), mais j’ai des préoccupations quant à l’alinéa 12(2)d), où il est écrit « à moins que la loi ne prévoie d’autres fins », pour ce qui est de la rétention.

Je me préoccupe de la rétention et des sanctions qui devraient être infligées à ceux qui utilisent de manière abusive les données recueillies. Comme je l’ai dit, je ne suis pas en désaccord avec l’objectif d’empêcher les très jeunes enfants d’accéder à de la pornographie, mais, si on peut être trop aisément contourner le projet de loi à l’aide d’un VPN, et tout le reste, il faudra le prendre en compte lorsque nous déciderons d’adopter ou de soutenir le projet de loi.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ajouterai que les projets de loi qui tentent de réglementer Internet, par définition, sont des projets de loi qui entrent dans un domaine nouveau et ils ne peuvent pas tout contrôler. À l’heure actuelle, la Grande-Bretagne se bat avec la question du nombre de VPN qui augmentent. Il y a là-bas des forces qui indiquent qu’on peut aussi demander aux distributeurs de VPN de participer à cette vérification de l’âge. Donc, il y a des solutions à venir.

L’idée qu’il faut qu’un projet de loi soit absolument sans faille pour passer le cap dans Internet me semble un peu irréalisable et irréaliste.

[Traduction]

Me Hurley : Je ne suis pas en désaccord.

Je tiens à vous dire que, quand je l’ai examiné il y a deux ou trois jours, en tant que père, j’ai immédiatement aimé le projet de loi. Puis, je l’ai envoyé sur une conversation de groupe avec des avocats criminalistes en leur disant que j’allais en discuter dans quelques jours, et que j’aimais le projet de loi. Je leur ai demandé à quelles préoccupations je devrais porter attention. J’ai reçu un déluge de préoccupations. Madame la sénatrice, cela m’a aidé à réfléchir sur mon approche concernant le projet de loi.

Le président : Il nous reste plus ou moins 20 minutes, nous devons donc être concis.

Le sénateur Prosper : C’est difficile d’être concis, mais je vais essayer.

Merci aux témoins.

Au risque de me répéter, j’écoutais la discussion sur la portée excessive et le caractère vague. Je vais commencer par Me Saad. Si je comprends bien, vous avez des préoccupations précises liées à la portée générale du projet de loi, et au fait que certains aspects sont repoussés à l’étape du règlement. Vous vous préoccupez du fait que le projet de loi n’est pas explicite et qu’il laisse certains aspects à l’étape ultérieure de la mise en œuvre, mais, en général, votre organisation et vous-même êtes en faveur du projet de loi. S’agit-il grosso modo de mises en garde dont nous devons tenir compte? D’accord, merci.

Maître Hurley, en ce qui concerne la portée excessive et le caractère vague, j’ai cru comprendre que, selon vous, ce qui a été ajouté, ce qui vient d’être discuté avec la marraine du projet de loi, c’est que le projet de loi n’est pas efficace et n’est donc pas nécessaire. De plus, il y avait des préoccupations liées à la présence de dispositions explicites concernant un calendrier de destruction des renseignements personnels. Si je ne m’abuse, vous êtes en désaccord avec le projet de loi? Ou est-ce que je n’ai pas bien compris votre position?

Me Hurley : J’essaie encore de trouver un équilibre. Comme je l’ai dit, quand je l’ai examiné la première fois, en tant que père, j’ai trouvé que c’était un bon projet de loi. Puis, deux ou trois dizaines d’avocats criminalistes m’ont fait part de leurs opinions, dans une conversation de groupe, et je me suis dit que leurs préoccupations étaient légitimes. Toute restriction de la liberté d’un citoyen devient un exercice d’équilibre. Nous allons restreindre la liberté des citoyens; nous allons restreindre la capacité des citoyens adultes d’accéder à un produit légal disponible librement. Nous imposons des restrictions aux citoyens qui agissent dans le respect de la loi.

Si nous allons le faire, pourquoi allons-nous le faire? D’accord, nous le faisons pour protéger les enfants. Tout le monde est d’accord avec cela. Protéger les enfants, c’est une bonne idée. Toutefois, est-ce que nous protégeons efficacement les enfants? Dans le cas contraire, pourquoi limitons-nous l’accès des adultes à quelque chose qui est légal?

Non seulement nous limitons l’accès des adultes à un produit légal, mais nous leur demandons de fournir des renseignements personnels qui pourraient être utilisés de manière abusive. C’est risqué.

Donc, nous devrons prendre toutes ces choses en considération lorsque nous déciderons d’appuyer ou non le projet de loi. Monsieur le sénateur, je n’ai pas encore une opinion arrêtée sur cette question.

Le sénateur Prosper : Merci.

La sénatrice Simons : Maître Hurley, c’est un plaisir de vous voir à Edmonton, ce matin.

Je veux tirer profit de votre expérience en tant qu’avocat criminaliste et examiner l’article 9 du projet de loi, qui traite de l’avis. À l’alinéa 9(2)c), il est écrit que, lorsqu’un avis est émis, il doit indiquer « les mesures que doit prendre l’organisation pour se conformer à la loi ».

Il me semble qu’il n’y ait aucune possibilité pour l’organisation présumée avoir commis une infraction à l’égard de ces étapes d’interjeter appel. Est-ce exact?

Me Hurley : Madame la sénatrice, je crois que le projet de loi est raisonnablement réglementaire et non pas pénal. C’est une des choses que j’ai aimées quand je l’ai examiné la première fois. Donc, vous feriez peut-être mieux de discuter avec un avocat spécialisé dans les processus réglementaires, mais je suis d’accord avec votre analyse.

La sénatrice Simons : D’accord. J’ai en fait discuté avec un avocat spécialisé dans les processus réglementaires avant de vous poser la question, et c’est pourquoi je semble plus intelligente que je le suis réellement.

Ce qui me préoccupe c’est que, si vous recevez un avis, il semblerait que vous n’auriez aucune possibilité de vous défendre contre les conditions telles qu’elles sont appliquées.

Me Hurley : La question concernant la réglementation est la suivante : est-ce que nous commençons par porter l’affaire devant un comité de réglementation pour ensuite aller devant les tribunaux? L’affaire est portée directement devant les tribunaux. Comme je l’ai dit, il serait peut-être préférable de demander l’avis d’un avocat spécialisé en droit administratif et réglementaire sur ce sujet.

La sénatrice Simons : Parlons alors de la demande à la Cour fédérale. Au paragraphe 10(5), il est écrit :

Si la Cour fédérale le juge nécessaire pour garantir que le matériel pornographique ne soit pas rendu accessible aux jeunes sur Internet au Canada, elle peut conférer à une ordonnance...

... essentiellement, l’effet d’empêcher l’accès à un site Web.

Croyez-vous qu’il est approprié pour la Cour fédérale de déterminer s’il est nécessaire de s’assurer que la pornographie n’est pas accessible?

Me Hurley : Ce n’est pas ainsi que je le comprends. Selon moi, la Cour fédérale doit prendre une ordonnance pour s’assurer que les jeunes n’ont pas accès à la pornographie.

La sénatrice Simons : Mais l’article dit que c’est nécessaire.

Me Hurley : Selon moi, cela signifie que le fournisseur de services Internet ne fait pas ce qu’il doit faire, et donc qu’une ordonnance est nécessaire pour s’assurer qu’il le fasse.

Je ne sais pas vraiment ce que dit la version en français du projet de loi, mais, peut-être que le libellé pourrait être peaufiné pour clarifier cet aspect.

La sénatrice Simons : Je crois que le sens est essentiellement le même en français.

J’ai une question pour Me Saad. L’une des options dont a parlé la sénatrice Miville-Dechêne est l’estimation de l’âge facial plutôt que la reconnaissance faciale, mais cela obligerait quand même une personne à montrer son visage. Je dois avouer que je suis peut-être de la vieille école à ce chapitre, parce qu’il y a beaucoup d’options sur nos téléphones — il y a des options à l’infini —, mais je les ai toutes désactivées. Évidemment, je suis une personnalité publique; mon visage est assez connu dans la nature, où les sénateurs jouissent d’un minimum de notoriété.

Des témoins du Royaume-Uni ont comparu pour discuter d’une des versions précédentes de ce projet de loi. Ils ont discuté de l’intention du Royaume-Uni de mettre en place la reconnaissance faciale dans les épiceries. Il s’agira d’une sorte de dispositif d’estimation de l’âge qui déterminera si vous avez le droit d’acheter de la bière ou des cigarettes. Je m’inquiète de cette dérive vers la reconnaissance faciale et de l’identification biométrique.

Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure les Canadiens devraient se sentir en confiance face aux risques perçus quand ils utilisent leur visage et leurs autres données biométriques afin d’accéder à toutes sortes de services?

Me Saad : Merci de la question. Lorsque j’ai parlé de mes préoccupations concernant l’utilisation de l’intelligence artificielle, c’en était une facette. Je ne suis pas une experte technique de toutes ces technologies. Il y a de sérieuses préoccupations, mais ce sont les outils que nous avons et ils évoluent constamment. Même si nous supprimons une image, nous déployons de nouveaux systèmes, et les images qui ont été, par exemple, téléchargées sur Internet ou dans une base de données pourraient être réutilisées ultérieurement à notre insu.

C’est maintenant facile de faire des déductions à partir d’autres types d’informations démographiques et d’obtenir un bon profil d’une personne.

Ce sont de sérieuses préoccupations, et je ne sais pas dans quelle mesure le public en est conscient. Nous les utilisons quotidiennement dans tous nos appareils, nos équipements domestiques, partout, et aujourd’hui, il n’est pas rare qu’il y ait des étapes supplémentaires dans certains services gouvernementaux ou pour des examens privés, par exemple, lorsque nous sommes surveillés. Ces technologies sont utilisées.

Il y a donc une facette liée à l’éducation des gens, mais aussi à la manière dont nous allons contrôler les technologies et nous assurer de les utiliser uniquement aux fins initialement prévues. C’est là que les principes dont nous avons discuté plus tôt deviennent pertinents.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Je remercie M. Hurley et Mme Saad.

Monsieur Hurley, au début de votre intervention, vous avez dit que ce projet de loi devait répondre à trois questions qui étaient, au fond, trois principes fondamentaux, le premier étant la nécessité du projet de loi et le deuxième, son applicabilité. Plus je vous entends, mieux je comprends; j’essaie de résumer que le père et la mère de famille en vous croient que le projet de loi est nécessaire, mais que le juriste en vous considère qu’il est non applicable parce qu’il est trop vague, qu’il laisse trop de place à la réglementation, qu’il est basé sur une technologie inconnue et qu’il peut ouvrir des contestations nombreuses au niveau de tribunaux supérieurs, notamment en ce qui a trait à la Charte canadienne des droits et libertés.

Croyez-vous vraiment que ce projet de loi est nécessaire? Faut-il absolument légiférer à ce stade-ci, par rapport à d’autres choix qui pourraient exister?

[Traduction]

Me Hurley : Être un utilisateur précoce est toujours dangereux et présente des inconvénients. Nous le voyons pour toutes sortes de choses, et j’encouragerais donc le comité à regarder ce qui se fait là où la technologie a été mise en place. Je suis toujours opposé aux projets de loi qui limitent ma liberté personnelle ou la liberté personnelle des citoyens. Mais je suis prêt à reconnaître que la liberté personnelle a ses limites, et que la liberté personnelle des adultes doit parfois être limitée pour protéger les enfants, mais c’est un exercice d’équilibre.

Nous devons élaborer un projet de loi qui fonctionne, qui empêche les enfants d’accéder à la pornographie qui le fait de manière efficace. S’il n’est pas efficace, vous limitez ma liberté personnelle et celle de tous les autres citoyens, sans raison valable.

Nous devons examiner des exemples concrets. C’est fabuleux d’être le premier utilisateur de quelque chose de noble si vous faites les choses correctement et que cela fonctionne. À Edmonton, nous avons acheté plusieurs autobus électriques, ce qui semblait être une excellente idée, mais nous étions les premiers utilisateurs et c’était des citrons et nous avons gaspillé l’agent des contribuables. Donc, c’est une idée noble, mais nous voulons une technologie éprouvée, qui fonctionne de manière vérifiable, et nous voulons des garanties de confidentialité qui fonctionnent réellement et qui sont applicables.

Je n’irais pas jusqu’à dire que je ne soutiens pas le projet de loi, mais je me préoccupe de l’équilibre et des limites imposées à des activités légales pour les adultes.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Considérez-vous aussi que ce projet de loi sous-estime ou s’ingère dans le rôle des parents, et qu’il sous-estime aussi le rôle de l’éducation en matière de sexualité et de civisme, qui est d’ailleurs accessible maintenant par l’intermédiaire des programmes de formation primaire et secondaire à l’échelle du pays?

[Traduction]

Me Hurley : C’est en partie pourquoi j’ai mentionné dans ma question que nous devons être certains que les parents ne peuvent pas contrôler la consommation de pornographie de leurs enfants — pas seulement qu’ils ne veulent pas, mais qu’ils ne peuvent pas. Si nous confirmons que les parents ne le peuvent, peut-être en effet que le projet de loi est nécessaire. Tout autant que je n’ai pas apprécié que Danielle Smith interdise certains livres —, je suis assez convaincu que je peux gérer les lectures de mes enfants, et peut-être qu’ils devraient lire La servante écarlate — je me préoccupe de la portée excessive, du fait que nous portons atteinte au droit des parents de contrôler ce que voient ou font leurs enfants, et de l’ingérence du gouvernement dans cette sphère. Le gouvernement devrait seulement intervenir dans cette sphère si un parent a besoin d’aide et ne peut pas le faire lui-même.

La pornographie est partout. Selon mon expérience en tant que parent, nous contrôlons nos enfants jusqu’à un certain âge. Après, nous devons tenir pour acquis que nous les avons bien élevés, parce que, à 15 ou 16 ans, ils sont certainement capables de contourner les contrôles que nous mettons en place. Donc nous devons supposer que nous les avons bien élevés et qu’ils sont capables de gérer des choses comme la pornographie. Est-ce que j’aurais aimé avoir de l’aide pour limiter la pornographie? Probablement.

Le sénateur Dhillon : Merci. J’apprécie vos commentaires et je vous remercie d’être ici aujourd’hui, et j’apprécie également le fait que vous êtes d’accord, mais que vous avez quelques préoccupations. Permettez-moi de parler très rapidement de ces préoccupations. Vous avez dit que vos préoccupations sont en grande partie liées — et n’hésitez pas à me corriger si nécessaire — aux renseignements personnels et à la rétention de ces renseignements.

Maître Saad, je crois que vous avez dit que les Canadiens doivent avoir certaines garanties que leurs données seront protégées, et nous avons également cité le projet de loi tel que prescrit par la loi.

À cet égard, peut-être que je trouve un certain réconfort dans ce qu’a dit le commissaire ce matin, mais je vous pose à tous deux la question suivante : est-ce que les lois fédérales et provinciales actuelles sur la protection de la vie privée vous donnent l’assurance ou le réconfort que ces questions seront traitées au moment de l’élaboration des lignes directrices et des règlements?

Me Saad : Je crois que le commissaire a traité de la question de manière très éloquente. Il a parlé des limites de ces lois. Nous avons un cadre et quelques outils en place. Ils pourraient peut-être être améliorés, mais nous avons certaines bases. Ce n’est pas parfait, mais nous avons une base.

Me Hurley : Je suis plus pessimiste. Je ne crois pas que les lois sur la protection de la vie privée sont assez solides. Parlons de la consommation de pornographie; la consommation sera immense, et une quantité phénoménale de données seront recueillies en raison de ce projet de loi pour ceux qui ne contournent pas la loi à l’aide de VPN, etc. Une telle quantité de données a de la valeur et pourrait être utilisée à mauvais escient. Vous devez faire preuve d’une grande prudence.

Le sénateur Dhillon : Merci.

Le sénateur K. Wells : Je crois que nous n’avons pas encore traité du sujet de ma question. Je veux mettre l’accent sur le fait que le projet de loi vise les personnes qui ont moins de 18 ans. Nous avons parlé des effets clairement dévastateurs pour les enfants. Nous avons parlé du fait que les adolescents plus âgés sont peut-être plus technophiles et capables de contourner le projet de loi à l’aide d’un VPN. Je sais que l’ABC a précédemment soulevé la question de l’incohérence entre l’âge du consentement et l’âge visé par le projet de loi. Croyez-vous que l’âge visé par le projet de loi devrait être modifié pour concorder avec l’âge du consentement? Quel serait le bon âge, si ce n’est pas 18 ans?

Me Saad : Pour ce projet de loi, nous n’avons pas examiné cette question particulière dans nos consultations. Nous pourrions vous donner nos commentaires plus tard.

Le sénateur K. Wells : Je crois que l’ABC a soulevé la question la première fois.

Me Saad : Oui, mais nous n’avons pas eu le temps de l’examiner.

Le sénateur K. Wells : Merci.

Qu’en est-il de la perspective du droit pénal?

Me Hurley : C’est une question difficile, et c’est une préoccupation. Nous savons certainement que des adolescents et des adolescentes produisent leur propre pornographie et la diffusent. Cela arrive. Cela fait partie de la vie des adolescents de notre époque. Nous n’avons pas de point de vue là-dessus, monsieur le sénateur, mais c’est une question intéressante. Comme vous l’avez dit, et comme je l’ai dit en tant que parents, nous pouvons exercer un contrôle sur nos enfants quand ils ont 9, 10, 11 et 12 ans, peut-être même 13 ans. Après cet âge, nous devons espérer que nous les avons bien élevés et qu’ils prennent de bonnes décisions, parce que c’est aujourd’hui presque impossible de contrôler ce qu’ils font sur Internet.

La sénatrice Clement : Maître Hurley, je voudrais résumer ce que vous avez dit. Vous me direz si mon analyse est correcte, puis j’aimerais bien entendre Me Saad.

Je suis à l’alinéa 12(2)a), où on a ajouté « est très efficace ». Vous aimez cela.

Me Hurley : C’est mieux que « est fiable », oui.

La sénatrice Clement : Puis, l’alinéa 12(2)b) dit « est l’œuvre d’une organisation tierce ». Vous avez dit que vous aimeriez qu’elle soit canadienne. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

L’alinéa 12(2)d) dit « recueille et utilise des renseignements personnels », mais vous retireriez le passage « à moins que la loi ne prévoie d’autres fins » de cet alinéa 12(2)d). Puis, l’alinéa 12(2)f) dit « détruit […] tout renseignement personnel ». Vous ajouteriez une sanction pour ceux qui ne détruisent pas les renseignements personnels immédiatement.

Est-ce que j’ai bien compris tout ce que vous avez dit là‑dessus?

Me Hurley : Vous avez bien compris, madame la sénatrice. Le projet de loi donne une énorme quantité d’information, compte tenu du volume de la consommation de pornographie, et une énorme quantité de renseignements personnels à une personne. Nous devons pouvoir contrôler cette personne. Nous ne pouvons pas la contrôler si elle ne se trouve pas au Canada, et les sanctions donnent du mordant à notre contrôle. Je ne vois pas le besoin de conserver des renseignements une fois que nous avons confirmé qu’il s’agit, par exemple, d’un homme de 57 ans.

La sénatrice Clement : Merci, maître Hurley. Je réfléchis simplement à de potentiels amendements — peut-être que oui, peut-être que non. J’aimerais que vous soyez plus précis. Merci.

Maître Saad, avez-vous quelque chose à ajouter? Est-ce que votre association serait d’accord avec ce genre de changement?

Me Saad : Non, ce sont les changements que nous avons proposés.

J’ai quelque chose à dire au sujet de l’alinéa 12(2)d). Vous avez parlé d’enlever « à moins que la loi ne prévoie d’autres fins » si nous faisons uniquement référence à cette loi spécifique. C’est le seul objectif pour lequel nous avons besoin de recueillir des renseignements.

La sénatrice Clement : D’accord. Merci.

La sénatrice Pate : Je sais que nous n’avons plus beaucoup de temps. C’est un peu comme si le génie était sorti de la bouteille. Nous ne pouvons pas retourner en arrière. Je vous demande à vous deux quelles sont vos recommandations. Si ce n’est pas ce projet de loi, de quoi s’agirait-il?

Me Hurley : Pour moi, madame la sénatrice, c’est plutôt une préoccupation liée à la technologie et à l’efficacité du projet de loi. J’ai 57 ans. Je ne suis pas la personne la mieux placée pour parler de technologie. Mais c’est une préoccupation liée à la technologie qui concerne également l’énorme quantité de renseignements qui sont recueillis, et c’est un enjeu de confidentialité, qui est également lié à la technologie, et encore une fois, je ne suis pas la personne la mieux placée pour en discuter.

La sénatrice Pate : D’accord. Maître Saad?

Me Saad : Je vais revenir à ce qu’a dit plus tôt le commissaire Dufresne sur la nécessité de faire davantage de consultations. Si nous voulons appliquer cette loi, y a-t-il des obstacles dont nous n’avons pas encore parlé? Comment allons-nous mettre la loi en œuvre? Nous devions peut-être consulter d’autres groupes ou des jeunes. Je ne sais pas. Nous pourrions peut-être consulter le conseil des jeunes du commissariat, par exemple. Ce n’est pas une initiative qui cible un seul groupe. Il s’agit d’une collaboration et cela concerne aussi des répercussions sur l’ensemble de la société. Ce sont mes recommandations.

La sénatrice Pate : Merci.

Le président : Voici ce qui marque la fin de la séance. Merci aux témoins de leur participation. C’était très utile.

(La séance est levée.)

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