LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 8 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique
Le sénateur David M. Arnot(président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir, honorables sénateurs. Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je m’appelle David Arnot. Je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité.
J’invite mes collègues à se présenter.
La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, également de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire Mi’kma’ki.
Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Simons : Paula Simons, également du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Pate : Bienvenue. Je m’appelle Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine Anishinaabeg.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Saint-Germain : Bon après-midi. Raymonde Saint-Germain, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Dhillon : Bonjour. Baltej Dhillon, de la Colombie-Britannique.
Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude du projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique.
Pour la première partie de notre réunion, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, par vidéoconférence, Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public, Faculté de droit de l’Université de Montréal; Victoria Nash, directrice et professeure agrégée, Oxford Internet Institute, de l’Université d’Oxford, également par vidéoconférence; et, en personne, Alison Boden, directrice exécutive de la Free Speech Coalition.
Merci à tous les témoins d’être parmi nous aujourd’hui. Nous allons commencer par les observations liminaires.
Je demanderai aux témoins de limiter leurs observations à cinq minutes — ce qui est très court — afin de présenter une vue d’ensemble, puis nous entrerons dans le vif du sujet avec les questions des sénateurs.
J’invite maintenant M. Trudel à ouvrir la séance en présentant sa déclaration liminaire. Allez-y.
[Français]
Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public, Faculté de droit, Université de Montréal, à titre personnel : Merci au comité de l’invitation à participer aux discussions portant sur le projet de loi S-209.
Je m’appelle Pierre Trudel. Je suis professeur de droit du cyberespace et du droit sur Internet à l’Université de Montréal et je m’intéresse depuis une trentaine d’années à la régulation d’Internet et aux bonnes façons d’assurer l’équilibre entre la liberté d’expression et les autres valeurs qui existent dans la société.
Le projet de loi S-209 s’inscrit dans cette ligne des initiatives qui se manifestent ailleurs dans le monde afin de répondre aux enjeux découlant de la circulation de certains types de contenus considérés comme présentant un potentiel important de causer des préjudices.
Le matériel comportant des représentations explicites d’activités sexuelles présente en effet un potentiel de risques qu’il importe de gérer. Les impératifs de santé publique sont des justifications pertinentes aux limites balisées que le projet de loi propose de mettre en place.
Un peu partout dans le monde, plusieurs groupes qui étudient les enjeux de la sécurité en ligne ont constaté que l’exposition à du matériel pornographique présentait un potentiel important susceptible d’amener un enfant à banaliser des comportements dangereux et à lever des inhibitions par rapport à ceux-ci, d’augmenter les risques de comportements problématiques et de nuire au développement d’une sexualité saine.
Le projet de loi S-209 impose une obligation de vérifier ou d’estimer l’âge des personnes accédant en ligne à du matériel pornographique. Il n’interdit pas le matériel pornographique en tant que tel, mais vise plutôt à en limiter l’accès aux personnes âgées de plus de 18 ans. À cet égard, cela ne diffère pas des interdits et des règles qui existent déjà pour limiter l’accès au matériel pornographique en dehors d’Internet.
Le projet de loi S-209 contribue à mettre en place des obligations de diligence pour les plateformes en ligne, celles qui bénéficient des revenus générés par la circulation de vidéos et autres contenus se trouvant notamment et principalement sur Internet.
L’article 5 du projet de loi pénalise le fait de rendre accessible à une personne de moins de 18 ans du matériel pornographique à des fins commerciales.
Le projet de loi exclut de sa portée le matériel ayant un but légitime lié à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts. Le projet de loi vise surtout les distributeurs commerciaux de pornographie. Il s’applique à des organisations dont la principale finalité est de proposer en ligne du matériel à caractère pornographique pour des motifs commerciaux.
L’infraction introduite par le projet de loi S-209 est conditionnée par un mécanisme prévu à l’article 9 du projet de loi et destinée à aviser l’entreprise en ligne afin qu’elle prenne les mesures nécessaires pour limiter l’accès au matériel pornographique seulement aux personnes âgées de plus de 18 ans.
C’est une autorité désignée, indépendante et dotée des expertises appropriées qui aura le pouvoir d’envoyer des avis aux sites qui contreviendraient à la loi.
Si les plateformes, qu’elles soient canadiennes ou étrangères, ne se conforment pas à la loi après un délai raisonnable, l’autorité désignée par la loi peut demander au tribunal d’émettre une ordonnance afin d’empêcher l’accès des jeunes au matériel prohibé.
La technologie est en constante évolution. Il est donc approprié — et il faut saluer le fait — que le projet de loi nous habilite à établir des règlements prescrivant les modalités de la vérification de l’âge. Ces règlements doivent assurer que les dispositifs utilisés sont efficaces, relèvent d’une organisation indépendante et, surtout, assurent le respect de la vie privée.
En conclusion, le projet de loi S-209 propose d’introduire dans le droit canadien des mécanismes juridiques tout à fait pertinents. Ces derniers garantiront que les conditions régissant hors ligne les accès à des contenus susceptibles de se révéler problématiques pour les enfants seront aussi applicables aux plateformes en ligne.
C’est un moyen efficace et ciblé de préciser le devoir de diligence qui doit incomber aux entreprises commerciales — qu’elles soient en ligne ou non — qui rendent du matériel sexuellement explicite disponible sur Internet. Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Le président : Merci.
Victoria Nash, directrice et professeure agrégée, Oxford Internet Institute, Université d’Oxford, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis très heureuse de m’adresser à vous cet après-midi. Comme indiqué dans l’introduction, je suis professeure agrégée au Oxford Internet Institute de l’Université d’Oxford, où nous menons des recherches sur les conséquences sur la société des technologies numériques, notamment Internet et l’intelligence artificielle. J’ai une formation de théoricienne politique et de scientifique, et je réalise des analyses politiques afin de trouver de meilleures approches de la réglementation des technologies numériques.
J’ai été particulièrement heureuse d’être invitée une deuxième fois et d’observer l’évolution de ce projet de loi au cours des deux dernières années. Je note avec une certaine satisfaction l’affinement de la définition du type de contenu et du type de service sur lesquels vous vous concentrez et, en particulier, comme l’a mentionné le témoin précédent, la possibilité de mettre en place des mesures qui guideront l’utilisation adéquate de la vérification de l’âge et les normes en la matière.
Depuis ma dernière comparution devant votre Parlement, nous avons connu des développements assez intéressants tant sur le plan technologique que politique dans ce domaine. Notamment, des États comme le Royaume-Uni ont adopté des approches similaires avec la loi sur la sécurité en ligne, qui est en place depuis 2023, mais dont les mesures concernant les responsabilités des fournisseurs de pornographie commerciale en ligne sont entrées en vigueur cet été. Nous avons constaté des progrès dans le développement des technologies d’estimation de l’âge, dont d’autres témoins vous parleront sans doute plus tard.
Cependant, malgré certaines de ces avancées, je tiens à souligner d’emblée que, selon moi, certaines préoccupations et certains compromis demeurent à l’heure actuelle. Plus particulièrement, ce comité devrait prendre les préoccupations relatives à la protection de la vie privée très au sérieux.
Je suis aujourd’hui beaucoup plus optimiste que je l’étais il y a deux ou trois ans quant au potentiel des technologies de vérification et d’estimation de l’âge en matière de protection de la vie privée. Je pense que les choses s’améliorent rapidement, mais je tiens à souligner que, dans de nombreux cas, la question de savoir si cette confidentialité est correctement protégée est empirique. Par exemple, en France, une enquête judiciaire a révélé qu’un service de vérification de l’âge conservait beaucoup plus de renseignements sur les vidéos auxquelles les utilisateurs souhaitaient accéder. Il s’agit donc d’une question pratique et empirique, et pas seulement technique.
J’aimerais également souligner un autre point — qui n’a pas changé de manière significative, mais dont l’ampleur s’est accrue ces deux ou trois dernières années — concernant les renseignements de base que nous fournissons déjà en ligne dans notre vie quotidienne. On pense souvent qu’en l’absence de vérification ou d’estimation de l’âge, nous pouvons accéder à des contenus et services en ligne sans fournir de renseignements sur nous-mêmes, sans laisser de traces numériques. Je tiens à souligner que je ne pense pas que ce soit le cas, que la majorité d’entre nous attire de petits éléments d’information de traçage comme des témoins ou transmet volontairement des renseignements partout où nous allons en ligne, par exemple lorsque nous utilisons les médias sociaux.
Il est pertinent d’envisager la confidentialité sous ces deux angles : d’une part, les pratiques techniques, mais empiriques liées à la collecte et à la suppression des données, et d’autre part, le contexte dans lequel elles s’inscrivent.
J’aimerais conclure par quelques remarques sur l’expérience britannique. Je crains qu’il soit trop tôt pour dire si notre législation a permis de limiter efficacement l’accès des mineurs à la pornographie en ligne. Je note que l’Ofcom, notre organisme de réglementation, a déjà ouvert des enquêtes sur plusieurs entreprises. Je pense qu’il s’agit de plus de 60 sites pornographiques, ce qui est encourageant. Nous avons toutefois rencontré une opposition juridique de la part de 4chan, qui a, je crois, intenté une action en justice aux États-Unis afin de contester l’applicabilité de notre loi au Royaume-Uni.
Nous avons également remarqué un autre élément qui pourrait intéresser ce comité : une augmentation présumée du téléchargement de ce qu’on appelle des réseaux privés virtuels, grâce auxquels les personnes peuvent contourner les mesures de vérification de l’âge en prétendant qu’elles accèdent aux services depuis un autre pays. J’ai constaté une augmentation supposée de 1 400 %. Je ne dispose pas de vérification indépendante de ce fait, mais je pense que le Royaume-Uni devra surveiller cette situation de près, tant les effets sur les mineurs que les preuves de contournement technique. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci.
Alison Boden, directrice exécutive, Free Speech Coalition : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner aujourd’hui. En tant que directrice de la Free Speech Coalition, l’association professionnelle de l’industrie du divertissement pour adultes, j’ai consacré ces dernières années presque exclusivement à la politique sur la vérification de l’âge.
En tant qu’ingénieure en logiciel expérimentée et ancienne directrice générale d’une plateforme en ligne pour adultes, je comprends pourquoi les entreprises membres de la Free Speech Coalition ont du mal à se conformer aux lois en vigueur dans deux douzaines d’États américains, au Royaume-Uni et en Europe qui ont trait à cette question.
Aujourd’hui, je vais vous présenter les résultats concrets des mesures obligatoires de vérification de l’âge imposées aux sites Web pornographiques et proposer des modifications au projet de loi S-209 qui, selon moi, permettraient de mieux protéger les enfants et les adultes au Canada.
Depuis le 1er janvier 2023, je remarque que la même situation se produit à chaque fois qu’une nouvelle loi sur la vérification de l’âge entre en vigueur : les adultes refusent de s’y conformer, les enfants continuent d’être exposés à des contenus explicites et les travailleurs du sexe en subissent les conséquences.
Malheureusement, bien que les sondages montrent que cette politique bénéficie d’un fort soutien de la part du public, la réalité est que moins de 5 % des utilisateurs achèvent le processus de vérification. Beaucoup échouent parce que les systèmes manquent de clarté ou ne sont pas fiables sur le plan technique, mais la grande majorité refuse tout simplement de s’y conformer.
Comme on l’a dit, quand les règles britanniques sont entrées en vigueur cet été, au cours de la première fin de semaine, un gros fournisseur de réseaux privés virtuels a signalé une hausse de 1 800 % des nouvelles inscriptions, et les données ont montré que 66 000 Britanniques supplémentaires avaient eu recours au Web clandestin pour éviter de se soumettre à la vérification de leur âge.
Il s’agit peut-être d’une réaction rationnelle dans un monde où, pour citer l’ancien directeur du FBI Robert Mueller, « Il n’existe que deux types d’entreprises : celles qui ont été piratées et celles qui vont l’être ». Les conséquences peuvent être désastreuses, comme nous l’avons vu récemment avec l’application Tea. Une atteinte aux données de vérification de l’identité a exposé des dizaines de milliers de femmes à la divulgation malveillante d’informations personnelles et au harcèlement en ligne.
On retrouve la même tendance aux États-Unis, ce qui crée des incitatifs pervers sur le marché. Des chercheurs de Stanford et de l’Université de New York ont constaté que lorsque les lois sur la vérification de l’âge sont entrées en vigueur, le trafic vers les sites conformes a chuté de 51 %, tandis que le trafic vers les sites non conformes a augmenté de 48 %.
Pire encore, étant donné que les lois de certaines administrations n’exigent la vérification de l’âge que pour les sites pornographiques, les enfants peuvent encore tomber sur des contenus explicites ailleurs. Des études ont montré à plusieurs reprises que la majorité des adolescents trouvent du contenu pornographique sur les réseaux sociaux et sont plus susceptibles de les trouver sur les moteurs de recherche que sur les sites pour adultes.
Enfin, les lois sur la vérification de l’âge, telles qu’elles ont été rédigées aux États-Unis et ailleurs, ont pour effet secondaire d’aggraver la précarité financière des travailleurs du sexe, une communauté déjà fortement marginalisée alors qu’elle offre une forme de divertissement tout à fait légale et très populaire.
Pour ces créateurs de contenu indépendants et autres petites entreprises, il est souvent impossible de faire face à un tel fardeau financier. La mise en place et l’exploitation d’un système de vérification de l’âge sur leurs sites Web peuvent coûter des centaines de milliers de dollars, ce qui dépasse largement les moyens dont disposent la plupart d’entre eux.
Près de la moitié des créateurs interrogés cette année ont déclaré avoir vu leurs revenus diminuer, car les fans — et même les créateurs eux-mêmes — ont eu du mal à accéder aux plateformes sur lesquelles ils vendent leurs contenus.
Après avoir travaillé pendant des années directement avec des entreprises qui tentent de se conformer aux lois sur la vérification de l’âge, j’en suis venue à la conclusion que, pour qu’une loi telle que le projet de loi S-209 soit efficace, elle doit répondre aux critères suivants.
Tout d’abord, la loi doit tenir compte de l’écosystème de l’expérience en ligne des enfants et ne pas exclure les sites Web et les plateformes où les enfants sont le plus susceptibles de tomber par inadvertance sur du contenu destiné aux adultes.
Deuxièmement, elle doit donner la priorité à la confidentialité des utilisateurs et faire en sorte qu’il soit plus facile de se conformer à la réglementation que de la contourner. L’approche actuelle, qui consiste à obliger les utilisateurs à vérifier leur âge à l’aide de services de vérification tiers inconnus sur plusieurs sites Web, ne fonctionne tout simplement pas. Heureusement, nous pourrions atteindre le but recherché en utilisant la technologie existante déjà mise au point par des fabricants d’appareils comme Apple. Il suffirait de la rendre accessible aux sites Web.
En conclusion, le Canada est bien placé pour jouer un rôle de chef de file mondial en tirant parti de l’expérience d’autres pays. L’adoption d’un cadre législatif permettant de préserver la vie privée des utilisateurs, de réduire considérablement les contournements et d’alléger le fardeau lié à la conformité permettrait de protéger plus efficacement les enfants canadiens tout en préservant les droits et la dignité des adultes.
Merci de m’avoir invitée aujourd’hui. J’ai hâte de répondre à vos questions.
Le président : Merci. Chers collègues, il nous reste environ 40 minutes et quatre minutes chacun pour les questions et réponses. Je demanderai aux sénateurs de poser des questions concises et aux témoins de donner des réponses brèves. La première question sera posée par la vice-présidente, la sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : Merci à tous d’être présents aujourd’hui et de nous fournir des témoignages importants sur ce projet de loi. Je vais commencer par M. Trudel.
Tout d’abord, je tiens à souligner que vous êtes un expert reconnu dans le domaine de l’Internet et de la protection de la vie privée. J’ai donc trouvé particulièrement important que vous ayez déclaré dans vos observations liminaires que, selon vous, ce projet de loi introduit des mécanismes juridiques pertinents de manière efficace et ciblée.
Certains détracteurs de ce projet de loi se demandent si les dispositions relatives à la vérification de l’âge pourraient être contournées par les jeunes qui utilisent des réseaux privés virtuels pour contourner les mesures de protection liées à la vérification de l’âge. Que répondriez-vous à ce sujet?
[Français]
M. Trudel : Il est sûr que sur Internet, il y a toujours un certain degré de contournement. Le grand enjeu est de s’assurer qu’il y en ait le moins possible. Invoquer que des personnes peuvent contourner la loi pour ne pas la mettre en place, à mon avis, n’est pas la bonne façon d’envisager la question.
En fait, la protection que la loi vise à apporter s’impose d’entrée de jeu. C’est, au premier chef, aux entreprises de s’assurer que la loi s’applique et elles doivent faire en sorte de prendre les mesures nécessaires pour l’appliquer. De plus, l’organisme que le projet de loi propose de mettre en place devrait évidemment suivre de très près les tendances en ce qui a trait aux recours à des mesures ou à des mécanismes de contournement, qui sont des données qu’on ne peut pas éviter. On doit constater qu’effectivement, il y a toujours du contournement. Ce n’est pas particulier à Internet. Toutes les lois peuvent être contournées. Il se trouve que c’est également le cas avec Internet.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Madame Nash, dans vos observations liminaires, vous avez indiqué que vous étiez désormais plus optimiste qu’auparavant quant au fait que les mesures de vérification de l’âge permettent de mieux protéger la vie privée. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Mme Nash : Volontiers. Je tiens à préciser que je ne suis pas ingénieure en informatique, mais d’après ce que j’ai compris, nous disposons désormais d’une gamme plus large d’outils. Imaginez une approche en cascade en vertu de laquelle vous commencez par utiliser les outils les plus efficaces en matière de protection de la vie privée, par exemple l’estimation de l’âge grâce à des technologies qui se fondent sur des images faciales. Ces outils ne vous obligent pas à fournir des renseignements sur votre identité ni à présenter des documents.
Vous pouvez commencer par ce type d’outil. Ces processus d’estimation ne sont pas parfaits. Ils peuvent vous donner une estimation de l’âge avec une marge d’erreur de trois à cinq ans. Si vous êtes trop proche de la limite d’âge qui vous préoccupe, vous pouvez alors envisager d’utiliser une autre mesure qui pourrait nécessiter une vérification à l’aide d’une méthode vous obligeant à fournir certains documents d’identité.
Nous disposons donc désormais d’une panoplie complète de mesures qui peuvent être utilisées séparément dans le respect de la vie privée. Vous n’utiliserez celles qui nécessitent plus de renseignements sur l’identité que dans les cas les plus difficiles. Il s’agit là d’une évolution nouvelle et importante.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma première question s’adresse à M. Trudel. Soixante-dix-sept pour cent des Canadiens, selon un sondage mené par Léger, souhaitent que l’on fasse cette vérification de l’âge.
Vous qui êtes un expert dans le domaine du numérique, comment expliquez-vous que ce projet de loi soit décrit par certains comme une menace à la liberté d’expression des amateurs de pornographie, puisqu’on ne leur interdit pas — au contraire — d’aller sur les sites avec ce projet de loi? Pourtant, on décrit ce projet de loi comme une menace à la liberté d’expression dans certains milieux.
M. Trudel : Évidemment, c’est de bonne guerre. C’est une stratégie très fréquente, pour un certain nombre de personnes, de décrire les mesures qui peuvent imposer certaines contraintes comme étant des violations de la liberté d’expression. En fait, la liberté d’expression telle qu’elle est reconnue au Canada est une liberté susceptible d’être limitée. Elle n’a jamais été comprise comme étant une liberté absolue.
Il existe dans presque tous les pays, et en particulier au Canada, un certain nombre de règles qui viennent limiter, de façon balisée et raisonnable, les libertés d’expression.
Par conséquent, invoquer la liberté d’expression sans s’interroger sur le caractère raisonnable et ciblé des limites qu’une loi comme le projet de loi S-209 impose est, à mon avis, passer à côté du vrai sujet, qui est le suivant : est-ce que la limite imposée par le projet de loi S-209 est une limite raisonnable dans une société libre et démocratique?
Or, il se trouve qu’au Canada, comme vous le soulignez, il y a un consensus très important pour considérer qu’il est nécessaire de limiter l’accès au matériel pornographique aux enfants. C’est une limite qui a été d’ailleurs jugée par les tribunaux comme étant raisonnable. Par conséquent, on n’a rien d’autre ici qu’un projet de loi qui vient imposer une limite raisonnable à la liberté d’expression, c’est-à-dire imposer des contraintes, notamment la vérification et l’estimation de l’âge des personnes qui souhaitent accéder à certains contenus, afin d’assurer la protection des personnes mineures, des enfants, chez qui ce matériel est susceptible d’engendrer des préjudices.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour Mme Nash. Vous qui êtes en Grande-Bretagne, au Royaume-Uni, quel bilan faites-vous de la mise en œuvre de l’Online Safety Act? Le 25 juillet, on a commencé à faire la vérification de l’âge. Bien sûr, il y a l’utilisation de réseaux privés virtuels, les RPV, mais autrement, y a-t-il eu des fuites de données, des événements négatifs ou des événements propres à nous refroidir lorsqu’il est question de vérification de l’âge?
[Traduction]
Mme Nash : J’aimerais pouvoir vous dire que nous avons des données claires à vous communiquer. Malheureusement, cette mise en œuvre ne remonte qu’à deux mois et demi. Pour l’instant, les rapports sur les téléchargements de réseaux privés virtuels sont les seules données concrètes dont je dispose. Je tiens à souligner que les entreprises ont eu largement le temps de s’adapter à cette nouvelle règle. Il est très frappant de constater que le dernier rapport du Commissaire britannique à l’enfance, publié au début de l’été, ne fait état d’aucune amélioration, juste avant l’entrée en vigueur du projet de loi.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup.
Le sénateur Prosper : Merci aux témoins de leur présence.
J’aimerais revenir sur quelques points. Madame Boden, merci pour vos observations liminaires et pour nous avoir présenté ce que vous avez appelé les « résultats concrets ». Je suis certain que vous suivez depuis longtemps l’évolution des technologies de vérification de l’âge et leurs conséquences, ainsi que les statistiques que vous avez mentionnées concernant l’essor des réseaux privés virtuels et du Web clandestin. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre expérience des conséquences concrètes de l’introduction de ce type de technologie?
Mme Boden : Merci pour votre question, sénateur. En substance, nous constatons que, bien que ces lois soient assurément adoptées de bonne foi, les utilisateurs sont très réticents à partager, que ce soit leur pièce d’identité officielle ou un simple balayage de leur visage censé, comme on l’a mentionné, estimer leur âge. Il semble que chaque semaine, nous découvrions une nouvelle violation massive de données. C’est très inquiétant, en particulier parce que ce type de données, qui concerne vos préférences sexuelles, est extrêmement sensible.
Le meilleur exemple à citer ici est peut-être celui d’Ashley Madison et, malheureusement, les suicides qui pourraient en avoir découlé. Ces données sont très sensibles. Les prestataires de services de vérification de l’âge eux-mêmes ne peuvent garantir la sécurité des données. Vous verrez dans mes observations écrites que j’ai sélectionné quatre prestataires différents et examiné leurs politiques de confidentialité. Ces politiques disaient toutes, en substance : « Aucun système n’est sûr à 100 %, et nous ne pouvons garantir ni assurer la sécurité des données que vous nous envoyez. » En tant qu’ancienne ingénieure en informatique, je sais que toute transmission de données via Internet comporte des risques.
L’utilisation des réseaux privés virtuels connaît une croissance fulgurante. C’est ce que montrent les recherches. Il existe également un phénomène dont nous n’avons vu que quelques indices, mais j’ai reçu plusieurs documents d’identité par courriel à la Free Speech Coalition, envoyés par des personnes qui ne savent pas exactement comment vérifier leur âge. Ils ont du mal à comprendre ces systèmes et sont très vulnérables aux attaques par hameçonnage. Ils reçoivent un message disant : « Oh, aimeriez-vous voir mon contenu? Je suis une personne adorable. » Et ils cliquent sur ce site Web. On leur demande de vérifier leur âge, puis peut-être de prendre une photo d’eux-mêmes avec leur pièce d’identité. Ces renseignements sont vendus sur le Web clandestin.
Il existe donc des cas d’utilisation très préoccupants, et je ne suis pas surprise que les gens ne soient pas disposés à se soumettre à ces règles pour éviter ce genre de situation.
Le sénateur Prosper : Vous venez de mentionner le Web clandestin. Pourriez-vous nous dire, d’après votre expérience, de quoi il pourrait s’agir?
Mme Boden : Oui, bien sûr. Je décrirais le Web clandestin comme étant similaire à l’Internet normal, mais secret. Il est caché. Vous ne pouvez pas y accéder avec votre navigateur habituel. Vous devez utiliser un navigateur spécial. On y trouve essentiellement toutes les activités criminelles imaginables.
L’idée que des gens y recherchent du contenu pornographique m’effraie réellement, car on peut non seulement se procurer des drogues ou des armes à feu sur le Web clandestin, mais aussi du matériel pédopornographique. Vous y trouverez de la pornographie vengeresse, ou des images intimes non consenties. Même en recherchant simplement du contenu pornographique grand public, les internautes courent un grand risque d’être exposés à des contenus illégaux.
Le sénateur Prosper : Merci.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Ma question s’adresse au professeur Trudel. Le projet de loi que nous étudions est, bien sûr, extrêmement noble dans son objectif, et personne ne s’oppose à cet objectif.
Nous avons cependant devant nous un projet de loi qui est beaucoup axé sur les principes et qui laisse une large place aux règlements, alors que nous demandons au gouvernement de préparer et d’implanter une loi à partir d’un règlement qui devra déterminer quels sont les meilleurs mécanismes de vérification et d’estimation de l’âge. Les expériences étrangères sont récentes et pas encore suffisamment probantes.
Or, sur le plan juridique, n’avez-vous pas une crainte qu’un tel projet de loi soit trop vague et ne corresponde qu’aux normes législatives minimales et qu’éventuellement, à cause d’une telle flexibilité, un régulateur approuve une méthode qui pourrait ensuite être invalidée par les tribunaux, mais surtout, une méthode pas suffisamment validée pour que les effets pervers et les risques liés notamment à la protection de la vie privée puissent être plus graves que l’effet bénéfique recherché?
M. Trudel : Il faut tenir pour acquis que, sur Internet, les choses évoluent très rapidement. C’est pour cette raison qu’il est souvent nécessaire de recourir au pouvoir réglementaire. Il faut qu’il y ait une espèce d’habilité exercée par un organisme public. Celui que propose le projet de loi, selon ma compréhension du projet de loi, devrait être un organisme doté de l’expertise nécessaire pour comprendre comment fonctionne Internet et comment il évolue afin d’agir rapidement, puisque dans cet univers cyberspatial les choses se passent très vite. Il faut donc être en mesure d’agir rapidement et potentiellement surveiller les tendances, être au fait des technologies, de leurs forces et de leurs faiblesses; par conséquent, il faut travailler avec les entreprises à la mise en place des meilleures pratiques et des meilleures façons de bien faire cette estimation et vérification de l’âge.
Cependant, on aurait tort de s’imaginer qu’il est possible d’adopter une loi qui s’appliquera sur Internet et de croire qu’elle va s’appliquer sans avoir besoin d’ajustements ou d’un processus de guidage qui devraient normalement être alimentés par des personnes expertes qui travaillent de concert avec l’industrie. Il faut justement non seulement identifier les écueils possibles, mais aussi chercher et développer les meilleures solutions possibles. C’est un processus continu qui doit, en quelque sorte, se dérouler de façon coopérative avec l’ensemble des acteurs impliqués.
Tous les acteurs ont à cœur d’assurer la protection des enfants. Donc, l’organisme public qui devrait être mis en place par le projet de loi devrait justement travailler avec les entreprises, avec les plateformes, pour faire en sorte que les meilleures pratiques soient utilisées et pour intervenir très rapidement si ces pratiques révèlent un certain nombre d’écueils afin d’y remédier dans toute la mesure du possible.
La sénatrice Saint-Germain : Pensez-vous dans ce contexte que le mandat d’un tel organisme public sera complexe et demandera des ressources spécialisées de haute nature et de grande importance?
M. Trudel : Absolument. Il est clair que, pour intervenir dans un environnement complexe comme Internet, nous parlons maintenant de la protection des enfants, mais il faut se rendre compte qu’il y aurait aussi beaucoup à faire pour intervenir auprès d’autres plateformes Web qui posent aussi des difficultés et mettent certains publics en danger. Il est indéniable qu’il faut avoir des mécanismes régulateurs performants et dotés de l’expertise nécessaire pour agir dans un environnement très complexe. J’ajouterais que ces organismes publics nationaux doivent travailler de concert avec leurs partenaires à l’étranger, puisque nous avons affaire à un environnement planétaire.
Il serait contre-indiqué de s’imaginer qu’un organisme comme celui-là travaillera simplement sur ce qui se passe au Canada; il devra travailler de concert avec ses homologues ailleurs sur la planète.
La sénatrice Saint-Germain : J’ai bien compris, je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Dhillon : Merci, chers témoins, pour votre expertise et votre expérience vécue. Je comprends parfaitement que vous êtes tous les trois favorables à la protection de nos enfants contre tout préjudice, nous partirons donc de ce principe.
Madame Nash, je veux vous laisser une certaine souplesse parce que vous avez dit que vous n’aviez pas de données pour étayer cette hypothèse, mais que, selon vous — et je sais que Mme Boden l’a confirmé — le recours à des réseaux privés virtuels a augmenté de 1 400 % depuis l’entrée en vigueur de ces lois.
Madame Nash, compte tenu de ce fait, croyez-vous toujours que ces projets de loi et ces lois sont importants et nécessaires?
Mme Nash : Merci pour cette question. Oui, je pense que ces projets de loi sont importants et nécessaires, mais je tiens à préciser qu’ils ne constituent pas, à mon avis, une solution parfaite.
Je pense que ces lois sont très utiles pour faire en sorte qu’il soit beaucoup plus difficile pour les enfants et les jeunes d’accéder à ce type de contenu, et surtout pour qu’ils tombent moins facilement dessus. Je pense honnêtement qu’il n’existe aucune loi qui puisse empêcher un adolescent déterminé de trouver un moyen d’accéder à la pornographie en ligne, et je ne pense pas que nous puissions ou devions viser cet objectif.
Le sénateur Dhillon : Merci. Nous espérons que les enfants de nos foyers utilisent leur intelligence et leurs compétences à d’autres fins que pour tenter de pirater ce type de sites, mais j’accepte votre réponse.
Madame Boden, dans un récent message publié sur LinkedIn, vous avez déclaré que les lois sur la vérification de l’âge « ... ne contribuent en rien à protéger les jeunes ». Pourriez-vous nous en dire plus sur cette position dans le contexte du projet de loi S-209 et nous expliquer sur quelles preuves ou expériences vous vous basez pour défendre ce point de vue?
Mme Boden : Merci pour votre question, sénateur. Le projet de loi cible du contenu qui ne se trouve pas où l’on commence à être exposé à ce type de matériel explicite, et met l’accent sur la motivation financière d’un site Web alors que les jeunes peuvent naviguer sur Twitter, X, Instagram ou n’importe quelle autre plateforme. Bien souvent, ils ne recherchent pas ce type de contenu. Ils y sont simplement exposés, que ce soit parce que quelqu’un le leur envoie ou parce qu’ils le voient dans leur fil d’actualité. Je sais que la plupart des moteurs de recherche essaient d’éviter ce genre de résultats, mais si vous recherchez un terme dont le sens est inoffensif aux yeux d’un enfant, il est probable que vous vous retrouviez face à un mur d’images...
Le sénateur Dhillon : Mon temps de parole est limité, alors je vais vous interrompre. Puis-je reformuler ma question pour obtenir une réponse?
Mme Boden : Bien sûr. Je suis désolée.
Le sénateur Dhillon : Croyez-vous que des mesures, comme celles dont il est question dans le projet de loi S-209, parviendront à protéger nos enfants contre ce contenu nuisible?
Mme Boden : Je pense que les adultes, plus que les enfants, ressentiront les effets du projet de loi dans sa forme actuelle. Si nous voulons vraiment aider à protéger les enfants, il faut intervenir au niveau des appareils, afin qu’ils ne puissent accéder à aucun contenu destiné aux adultes. On peut leur bloquer l’accès à ces contenus. Ainsi, les adultes ne seront pas entraînés sur cette voie dangereuse.
Le sénateur Dhillon : Madame Boden, vous avez également comparé la violation des données du site Ashley Madison au travail que nous effectuons ici. Dans un cas, il est question d’adultes cherchant à obtenir des services sexuels, et dans l’autre, de sites commerciaux proposant du contenu pornographique. Trouvez-vous que ces deux situations sont comparables?
Mme Boden : Malheureusement, oui. J’ai travaillé pour divers sites pornographiques, et si j’ai appris une chose, c’est bien que chacun a ses propres goûts. Ceux-ci ne correspondent pas toujours à ce que vous ou moi pourrions aimer, et notre société considère souvent la consommation de pornographie comme honteuse.
J’ai répondu à des courriels envoyés au service à la clientèle par des personnes désespérées qui souhaitaient que leur historique de navigation soit effacé afin qu’il ne puisse jamais être divulgué. Il n’est pas rare que les internautes s’inquiètent grandement que ces informations soient dévoilées. Et, honnêtement, dans ma propre vie, j’ai vu ce type d’informations utilisées contre des gens, entre autres pour tenter de leur retirer la garde de leurs enfants. Par conséquent, oui, ces informations sont sans contredit tout aussi dangereuses, sinon plus, que celles qui étaient hébergées sur le site Ashley Madison.
La sénatrice Pate : Monsieur Trudel, je crois comprendre que vous avez comparu devant le Comité permanent du patrimoine canadien en 2023 pour parler de l’importance de tenir responsables les géants internationaux de la technologie en vertu de la réglementation canadienne. Vous y avez expliqué que ces grandes entreprises utilisent des tactiques d’intimidation et de subversion pour se soustraire à la réglementation au Canada. Étant donné que ce projet de loi abordera probablement certaines de ces questions, pensez-vous que de telles tactiques pourraient nuire à l’application du projet de loi proposé?
[Français]
M. Trudel : Oui. Malheureusement, plusieurs grandes plateformes ont une puissance financière souvent supérieure à celle de certains États de la planète. Il faut effectivement tenir pour acquis que les plateformes que vous mentionnez, lorsqu’elles ne veulent pas être encadrées par des lois, peuvent mobiliser toutes sortes de stratégies pour tenter de faire déraper les processus législatifs. Il y a en effet un grand défi pour les législateurs, dans tous les pays démocratiques, pour ce qui est d’agir de façon suffisamment concertée avec leurs vis-à-vis d’autres pays comparables pour maximiser les chances que les lois démocratiquement adoptées dans les pays démocratiques pour contrôler et éventuellement baliser le champ d’activité de ces plateformes soient effectivement applicables. Cela représente un très grand défi.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Avez-vous d’autres recommandations pour tenir les plateformes responsables et ainsi atteindre les objectifs de ce projet de loi?
[Français]
M. Trudel : Une des recommandations qui pourraient être envisagées serait d’insister pour que l’organisme que l’on propose de mettre en place dans le projet de loi S-209 travaille en réseau avec les organismes comparables ailleurs dans le monde, avec les groupes citoyens, avec les chercheurs universitaires et même avec les membres des entreprises concernées, pour justement assurer un suivi et un monitoring industriel suffisamment fin et efficace pour identifier rapidement les écueils auxquels l’on se heurte, et pour déterminer quelles sont les meilleures façons ou stratégies, techniques ou réglementaires, d’y faire face.
Il faut faire un suivi constant, un peu comme les médicaments. Lorsqu’ils sont mis en circulation, les médicaments font l’objet d’un suivi; ce sont des objets dangereux. Souvent, plusieurs des activités sur le Web sont des objets dangereux qui présentent toutes sortes de facettes. Il faut se donner les moyens d’agir afin d’assurer une régulation efficace de ces outils complexes et merveilleux, mais qui comportent des risques.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci beaucoup pour vos lumières.
Au sujet de l’évasion fiscale à l’étranger — qui est, à mon avis, un autre dossier qui a tout de même des liens avec le sujet d’aujourd’hui —, le Canada est un pays qui a choisi de ne pas déployer d’efforts à cet égard. J’ai récemment eu des discussions avec un très petit pays, l’Islande, qui a choisi de s’attaquer au problème. Y a-t-il des pays qui s’y prennent bien et dont nous pourrions peut-être nous inspirer pour savoir comment prendre ce problème au sérieux et comment nous y attaquer avec sérieux?
[Français]
M. Trudel : Au sein de l’Union européenne, Mme Nash fait état de l’expérience britannique. Tout comme l’Australie, ce sont des pays avec lesquels, il me semble, les autorités canadiennes devraient travailler très étroitement.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci. En gros, vous dites qu’il faut une volonté politique et qu’il existe des moyens d’y parvenir.
[Français]
M. Trudel : Absolument.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Merci beaucoup à tous nos témoins. Madame Boden, j’aimerais commencer par vous. Jusqu’à présent, la plupart des témoignages ont porté sur les grandes entreprises — les sites comme Pornhub et les plateformes de médias sociaux comme X —, mais vous avez soulevé une question dont nous n’avons pas encore discuté ici : les producteurs indépendants, comme on pourrait les appeler. Le terme « camgirls » est-il approprié?
Mme Boden : Parfois.
La sénatrice Simons : Oui. Je parle des jeunes et de nombreuses femmes qui utilisent OnlyFans et d’autres plateformes pour se livrer à des activités sexuelles en sécurité, sans être en contact avec les clients. On peut ainsi gagner de l’argent sans mettre sa sécurité physique en danger.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que représenterait un tel projet de loi pour les petits producteurs indépendants, si je peux les appeler ainsi?
Mme Boden : Merci pour votre question, madame la sénatrice. Ce que nous constatons jusqu’à présent, c’est que, comme les clients ne sont pas disposés à procéder à la vérification de leur âge, ils ne sont plus des clients payants.
La sénatrice Simons : Parlez-vous par exemple de pays comme le Royaume-Uni et l’Australie?
Mme Boden : Tout à fait. Mais partout où la loi est adoptée, ces services perdent les clients de la zone géographique ciblée. Comme on l’a mentionné, Internet ne connaît pas de frontières mondiales, et donc un créateur — qui peut être basé ou non au Canada — pourrait très bien perdre des revenus provenant de clients canadiens. C’est ce qui se produit. Plusieurs personnes ont perdu 20 ou 30 % de leurs revenus annuels simplement parce que les clients ne sont pas disposés à faire vérifier leur âge.
La sénatrice Simons : Oui. Cela soulève une question qu’a soulevée Mme Nash. Je voulais vous poser cette question, à vous et à Mme Nash. Il me semble que nous pourrions mettre en place un système créant ce danger : un adolescent de 17 ans féru de technologie n’aurait aucun mal à accéder à ce contenu, alors que cela serait pratiquement impossible pour un homme solitaire de 70 ans. Madame Nash, y a-t-il un risque que nous privions des adultes consentants de contenus qu’ils ont légalement le droit de se procurer ou de regarder, sans pour autant faire grand-chose pour dissuader les jeunes de 15, 16 et 17 ans de voir ces mêmes contenus?
Mme Nash : Merci. C’est une excellente question, et je suppose, avec tout le respect que je vous dois, que vous êtes tous très bien placés pour y répondre, car il s’agit ni plus ni moins d’une question de compromis. Je ne pense pas qu’il existe de solution technique ou stratégique parfaite qui, comme vous le suggérez dans votre exemple, rendrait la tâche impossible pour un adolescent déterminé de 17 ans, tout en la rendant très facile pour un septuagénaire.
Cela dit, je pense que certaines des nouvelles solutions de vérification de l’âge seront beaucoup plus faciles à utiliser à l’avenir pour les utilisateurs plus âgés. En particulier, ces solutions ne devraient pas priver de leurs droits les personnes qui ne possèdent pas, par exemple, de passeport ou de pièce d’identité officielle.
Je pense donc que la situation s’améliore, mais je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’il faut faire un compromis. Je m’estime heureuse, d’une certaine manière, de ne pas être à votre place et de ne pas avoir à déterminer lequel de ces deux résultats est le plus approprié ou le plus souhaitable.
La sénatrice Simons : Madame Boden, je ne sais pas si vous voulez répondre à la question.
Mme Boden : J’ai personnellement essayé différents systèmes de vérification de l’âge. Souvent, si vous utilisez un ordinateur portable ou de bureau, vous devez aller chercher votre téléphone intelligent pour vous photographier, puis présenter une pièce d’identité. Même si vous n’avez pas à présenter votre pièce d’identité, il faut parfois balayer tout autour du visage. Ces systèmes sont très compliqués. Ils sont certainement beaucoup plus difficiles à utiliser pour les personnes âgées, comme je le constate moi-même dans des courriels qui non seulement contiennent des pièces d’identité, malheureusement, mais qui sont empreints d’une sorte de désespoir et d’un appel à l’aide. Par exemple, un courriel peut se lire ainsi : « Bonjour, j’ai payé pour ce contenu. Je ne comprends pas cette technologie. Je ne sais pas quoi faire. »
La sénatrice Simons : Par simple curiosité, avec quelle précision les systèmes ont-ils pu estimer votre âge?
Mme Boden : Je ne regarde pas les documents, donc je ne peux pas vraiment répondre à cette question. En général, nous nous exclamons « Oh, non, » et nous les supprimons. Je suis au début de la quarantaine. Je dirais que les systèmes estiment mon âge à moins de 20 ans près, très certainement.
La sénatrice Simons : Vingt ans? D’accord. Je trouve que vous semblez plutôt être à la fin de la vingtaine.
Mme Boden : Oh, merci beaucoup.
La sénatrice Simons : Je vous croirais si vous me disiez que c’est votre âge.
La sénatrice Batters : J’ai une question complémentaire à ce sujet. Vous évoquez la possibilité d’inclure les camgirls ou d’autres activités similaires, mais cette loi ne s’applique qu’aux organisations. Comme l’indique la définition dans ce projet de loi, « organisation s’entend au sens de l’article 2 du Code criminel ». Cette définition se lit ainsi :
organisation Selon le cas :
a) corps constitué, personne morale, société, compagnie, société de personnes, entreprise, syndicat professionnel ou municipalité;
b) association de personnes qui, à la fois :
(i) est formée en vue d’atteindre un but commun,
(ii) est dotée d’une structure organisationnelle,
(iii) se présente au public comme une association de personnes.
La définition est très précise et décrit des situations beaucoup plus organisées que celles des camgirls.
Le sénateur K. Wells : Ma question s’adresse à Mme Nash. Dans vos commentaires, vous avez cité l’exemple de la France et évoqué la violation de la vie privée et des renseignements personnels par un prestataire tiers chargé de la vérification de l’âge. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette situation? Vous avez mentionné que le contenu était compilé. De quel type de contenu s’agissait-il et dans quel but était-il compilé? À quelle peine s’est exposé ce prestataire pour cette violation de la vie privée?
Mme Nash : Je pourrai certainement vous fournir l’information exacte ultérieurement. Je n’ai lu que ce qui a été rapporté dans les médias à ce sujet. D’après ce que j’ai compris, c’est un prestataire tiers de services de vérification de l’âge, et non pas une organisation, qui effectuait la vérification de l’âge. Il y avait donc un intermédiaire dans ce processus.
La France impose que certains services soient fournis techniquement à double contrôle. Dans ce cas, c’est un prestataire qui offrait, en principe, cette vérification de l’âge à double contrôle.
L’enquête judiciaire a révélé que, au moment où l’utilisateur communiquait son intention de faire vérifier son âge auprès de ce fournisseur, celui-ci prenait note de la vidéo précise à laquelle l’utilisateur avait l’intention ou tentait d’accéder. Puis, cette information était ensuite stockée et associée à l’identité potentielle de l’utilisateur.
Il s’agit d’un cas assez complexe et inhabituel. Je pense que, au début de son intervention, Mme Boden a soulevé un point concernant l’écosystème des intervenants dans ce domaine. C’est une question à laquelle nous réfléchissons au Royaume-Uni et qu’il serait peut-être judicieux d’aborder dans le cas présent : quels services devraient être visés? S’agirait-il uniquement de ceux qui font la vérification ou l’estimation de l’âge? Y aurait-il de la réglementation ou des normes pour les autres tiers impliqués dans ce processus afin de garantir qu’ils respectent également des normes appropriées en matière de confidentialité et de minimisation des données? Je serais ravie de vous transmettre cet article en l’envoyant au greffier si cela peut être utile.
Le sénateur K. Wells : Cela nous serait très utile. Vous n’avez peut-être pas la réponse à cette question, et nous pourrons faire un suivi ultérieurement, mais compte tenu de la gravité d’une telle atteinte à la vie privée, quelles ont été les conséquences — sanctions ou autres — pour ce fournisseur?
Mme Nash : Fait intéressant, je ne pense pas avoir lu quoi que ce soit concernant l’application de sanctions à ce jour.
Le sénateur K. Wells : Cet exemple concret va au cœur d’une préoccupation exprimée par des centaines, voire des milliers de Canadiens au sujet de la sécurité de leurs données et, comme l’a dit Mme Boden, au sujet du caractère délicat des informations compilées et des objectifs derrière cette compilation.
Mme Nash : Dans mon introduction, j’ai souligné un autre enjeu important : dans de nombreux cas, ces utilisateurs fournissent déjà volontairement une grande partie de ces données aux entreprises commerciales elles-mêmes, ainsi qu’aux sociétés de paiement, par exemple, dont les services permettent de tirer un profit financier. De plus, les entreprises pornographiques vendent ces données à des compagnies qui font de la publicité. Bon nombre de ces données sont déjà accessibles. Nous ne devrions donc pas trop mettre l’accent sur cet aspect, même si c’est celui sur lequel vous vous concentrez.
Le sénateur K. Wells : Ce phénomène soulève des questions plus larges entourant la sécurité des données et la souveraineté en matière de sécurité. Merci pour ces réponses.
[Français]
La sénatrice Oudar : Merci aux trois témoins. C’est très intéressant comme discussion. Je vais commencer avec M. Trudel et poursuivre avec Mmes Nash et Boden.
Je m’interroge sur les recommandations à faire à l’autorité désignée, en appliquant évidemment le devoir de diligence de suivre rapidement les avancées technologiques, je dirais même sociotechnologiques, parce qu’elles ont une forte incidence sur la jeunesse. Quelles mesures voudriez-vous que cette autorité prenne pour que ces dispositifs qui sont mis en place par le projet de loi S-209 puissent rester pertinents face à l’évolution de tous les usages numériques et aux risques émergents, particulièrement en matière de création de nouvelles plateformes et de contenus non traditionnels qui deviennent accessibles aux jeunes?
Pour conclure, j’aimerais vous entendre sur une chose : que recommanderiez-vous à l’entité désignée si vous pouviez lui faire une ou deux recommandations? Ma question s’adresse à chacun de vous, en commençant par M. Trudel. Merci à tous les trois.
M. Trudel : Je crois que la principale recommandation, ce serait d’établir un réseau d’acteurs multiples, tant des régulateurs étatiques que des chercheurs, des spécialistes des technologies, des spécialistes des stratégies de conformité et des membres de l’industrie. Il s’agirait donc d’un réseau très serré qui interagirait rapidement et qui serait en mesure de voir et même d’anticiper les tendances et d’agir de façon efficace et rapide. Autrement dit, tout le contraire d’un organisme qui attend que l’on fasse une requête auprès de lui et qui prend six mois avant de réagir. Il faut essentiellement que ce soit un organisme qui peut agir de manière beaucoup plus proactive et concertée. C’est un très gros défi, mais c’est là le défi de la régulation des activités sur Internet, à mon humble avis.
La sénatrice Oudar : Merci.
[Traduction]
Mme Nash : Merci beaucoup. Pour ma part, je proposerais deux éléments. Premièrement, comme c’est le cas au Royaume-Uni, je recommande que l’autorité ou l’organisme de réglementation désigné dispose de ressources suffisantes pour se doter d’équipes de recherche, simplement pour suivre le rythme des progrès technologiques, par exemple.
Je serais probablement portée à recommander une autre mesure, qui servirait de source d’information pour des enjeux et des politiques dépassant la portée de ce projet de loi. À l’image d’organismes de réglementation comme l’Ofcom au Royaume-Uni qui disposent de groupes de réflexion composés de consommateurs, on pourrait faire appel à un groupe de réflexion formé de jeunes pour obtenir des renseignements et des conseils sur les pratiques et les changements de comportement, en particulier ceux des jeunes. Je pense que leur voix est souvent absente de ces débats.
Mme Boden : Je suis tout à fait d’accord avec les autres témoins, et je suggérerais que les consommateurs adultes participent à tout groupe de réflexion donnant de la rétroaction. Ainsi, ils seront en mesure de composer avec les contraintes qui leur seront imposées.
Je voudrais également que cet organisme de réglementation prenne en considération l’ensemble de l’écosystème. Comment peut-on empêcher les jeunes de voir ce contenu, sans que ce soit nécessairement en passant par les sites Web, si ce ne sont pas les endroits les plus stratégiques pour ériger les barrières? Comment pouvons-nous examiner la manière dont les jeunes se connectent à Internet et les appareils qu’ils utilisent? Je ne sais pas si votre réfrigérateur est connecté à Internet, mais, de nos jours, de nombreux réfrigérateurs le sont. Il serait très utile de disposer de l’expertise technique nécessaire pour comprendre cet environnement.
La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins. J’ai une question pour Mme Nash, puis pour Mme Boden.
Madame Nash, vous avez expliqué que nous laissons déjà des traces de notre identité partout. Toutes les plateformes de réseaux sociaux savent que je suis une femme noire qui préfère la musique hip-hop, mais comme l’a souligné Mme Boden, les informations à caractère sexuel sont dans une catégorie à part.
En réponse à la sénatrice Oudar il y a quelques instants, vous avez mentionné la mise sur pied d’un groupe de réflexion composé de jeunes. Le commissaire à la protection de la vie privée nous a fait cette recommandation la semaine dernière. Ce projet de loi reçoit beaucoup de soutien. Peut-il être amendé à ce stade? La semaine dernière, M. Hurley nous a dit souhaiter que le fait de ne pas détruire immédiatement des renseignements privés, lorsque cela est exigé, devienne une infraction punissable. Avez-vous pensé à des amendements à ce projet de loi?
Je m’adresse maintenant à Mme Boden. Je ne crois pas que, selon vous, le projet de loi puisse être amendé. Dans votre mémoire, vous parlez de repenser le système. Peut-être pourriez-vous en dire un peu plus sur la possibilité que les appareils effectuent la vérification de l’âge. Veuillez entrer dans les détails afin que je comprenne mieux votre proposition.
Mme Nash : Je vous remercie de la question. Peut-il être modifié? J’examinerais un aspect. C’est lié à la réglementation existante dans le secteur de la vérification de l’âge au Canada. Cela pourrait faire l’objet d’une modification à ce projet de loi, ou être traité séparément. Je crains de ne pas en savoir beaucoup à ce sujet, mais encore une fois, considérant l’écosystème dans son ensemble — des fournisseurs de services de vérification ou d’estimation de l’âge aux tierces parties —, la question est de savoir quelles sont les normes applicables, en quoi consiste la surveillance à cet égard et a-t-on les ressources nécessaires pour assurer l’application de ces normes? Voilà des aspects auxquels je porterais attention.
Permettez-moi un commentaire au sujet de la solution au niveau des appareils. Je pense que c’est une autre option, mais je soulignerais, du point de vue sociologique, que les enfants n’ont pas tous leur propre appareil. De nombreux appareils sont partagés, en particulier chez les jeunes adolescents. Donc, je vous prie de m’excuser d’ajouter cela.
Mme Boden : Merci, sénatrice. Bien que les appareils ne soient pas tous propres à chacun, je pense que l’on peut probablement compter sur les parents pour ne pas donner à leurs enfants des appareils permettant de regarder de la pornographie. L’idée d’une solution basée sur les appareils, c’est qu’il est beaucoup plus sûr d’avoir une seule source fiable — votre identifiant Apple sur votre ordinateur portable Mac, votre téléphone ou l’appareil lui-même où ces données sont stockées, par exemple — qui confirme qu’une personne a plus de 18 ans et qui répond uniquement à la question « Cette personne a-t-elle l’âge requis pour accéder à ce contenu? »
Le site Web pourrait demander « Cette personne est-elle autorisée? » Si la réponse est non, elle serait bloquée, simplement. Aucun VPN ne pourrait contourner cela. L’idée n’est pas d’exiger une pièce d’identité sur chaque site Web, mais simplement de faire une vérification sur le serveur en arrière-plan sans communication de renseignements personnels.
La sénatrice Clement : Existe-t-il déjà une technologie avancée pour cela...
Mme Boden : Apple a déjà créé une API capable de le faire. Elle est offerte pour les applications, mais pas pour les sites Web.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : Au nom de tous mes collègues, je tiens à remercier tous les témoins qui ont comparu et qui nous ont aidés dans notre travail.
Nous passons au deuxième groupe de témoins. Nous avons le plaisir d’accueillir, M. Solomon Friedman, partenaire et vice-président à la conformité chez Ethical Capital Partners, ainsi que M. Matt Kilicci, vice-président à la confiance et à la sécurité et aux risques et à la conformité chez Aylo Freesites. Nous accueillons également, par vidéoconférence, Mme Julie Dawson, directrice de la réglementation et des politiques chez Yoti.
Chers témoins, vous aurez chacun cinq minutes pour faire une présentation. Ensuite, nous passerons aux questions des sénateurs.
Solomon Friedman, partenaire, vice-président, Conformité, Ethical Capital Partners : Monsieur le président, madame la vice-présidente, honorables sénatrices et sénateurs, bonjour. Je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui.
Je représente Ethical Capital Partners, ou ECP, qui est propriétaire d’Aylo, une société qui exploite certaines des plateformes de contenu pour adultes les plus populaires au monde. Je suis également avocat agréé en droit pénal par le Barreau de l’Ontario et professeur auxiliaire de droit à l’Université d’Ottawa.
Nous sommes fiers que notre société de portefeuille fonctionne de manière sûre, responsable et légale. En effet, les plateformes d’Aylo sont aujourd’hui les seules plateformes gratuites de partage de vidéos sur Internet, pour adultes ou autres, qui vérifient et conservent la preuve d’âge, de consentement et de l’identité de toute personne figurant dans le contenu.
Cependant, le projet de loi S-209 ne porte pas sur la modération du contenu, mais sur la vérification de l’âge. La question dont vous êtes saisis n’est pas de savoir s’il faut protéger les enfants en ligne. Tout le monde est d’accord sur ce point : c’est une évidence.
Je tiens à féliciter et à remercier la sénatrice Miville-Dechêne de présenter ce projet de loi et de maintenir cette importante question à l’avant-plan de notre conscience collective.
En effet, du point de vue d’ECP, notre objectif est de veiller à ce qu’aucun mineur ne puisse accéder à du contenu pour adultes. La question est de savoir si le projet de loi S-209, dans sa forme actuelle, permettra d’atteindre cet objectif. La preuve indique que ce ne sera pas le cas. Pire encore, il exposera les Canadiens à de graves risques d’atteinte à la vie privée et poussera les utilisateurs, y compris les mineurs, vers les sites desquels le Parlement tient justement à les protéger.
C’est parce que le projet de loi S-209 prévoit un système de vérification de l’âge sur les sites Web. Bien franchement, je dois dire que cette approche n’est pas efficace. Elle comporte des risques importants, elle est inapplicable et, en fin de compte, elle ne permettra pas d’atteindre le but souhaité, qui est de protéger les enfants canadiens.
Cette prédiction repose sur des preuves; ce n’est pas spéculation. En effet, nous avons vu cette expérience se produire partout dans le monde. Les administrations qui ont imposé la vérification de l’âge sur les sites Web sont arrivées à trois constats clairs. Ces mesures étant impossibles à appliquer, les enfants continuent d’avoir accès à la pornographie en se tournant vers des sites Web non conformes, souvent non modérés et infestés de contenu illégal. Les adultes refusent en masse de fournir leurs renseignements personnels à des sites pornographiques et se tournent aussi vers des sites Web non conformes.
La petite minorité d’adultes qui acceptent ces conditions est contrainte de communiquer leurs renseignements personnels les plus délicats à maintes reprises. L’utilisation des RPV explose, et bon nombre de ces services vendent ou divulguent les données des clients.
Par exemple, après l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité en ligne au Royaume-Uni, comme vous l’avez entendu, la demande en RPV a été multipliée par mille en quelques jours seulement. C’était prévisible. Quant à ceux qui se conforment, leurs données sur le contenu regardé, leur identité, le type d’appareil et leur adresse IP sont tous collectés, conservés et potentiellement divulgués. Vous avez entendu parler de l’exemple français. La même chose est arrivée aux États-Unis. Adopter une loi obligeant les Canadiens à prouver leur âge à maintes reprises sur chaque site Web multipliera ces risques au lieu de les minimiser.
Au Royaume-Uni, même avec Ofcom, l’organisme de réglementation le plus rigoureux au monde, des milliers de sites Web non conformes demeurent librement accessibles. Vous pouvez facilement en faire l’expérience depuis votre bureau : utilisez un RPV et mettez votre localisation à « Royaume-Uni ». C’est avec plaisir que nous vous fournirons une liste de sites actuellement accessibles aux enfants au Royaume-Uni, ouvertement et librement, sans aucune vérification de l’âge.
Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que les organismes de réglementation canadiens surveillent des dizaines de milliers de plateformes à l’étranger.
En outre, le projet de loi S-209 n’empêchera pas les enfants de voir du contenu pour adultes là où, selon les experts, ils voient de tels contenus pour la première fois, à savoir les sites de médias sociaux grand public comme Reddit, X, les moteurs de recherche Google et autres plateformes semblables. En visant uniquement les entités qui rendent accessible du contenu pornographique sur Internet à des fins commerciales, ce projet de loi rate sa cible. Après tout, le plus important répertoire de contenu explicite en ligne n’est pas Pornhub ou toute autre plateforme pour adultes, mais Google images. Le projet de loi S-209, dans sa forme actuelle, ne ferait rien pour corriger la situation.
Cependant, il existe une meilleure solution : la vérification de l’âge sur les appareils. Au lieu d’imposer cette obligation à des millions de sites Web, il faut plutôt exiger que les trois fabricants de systèmes d’exploitation installent des mesures de vérification de l’âge. Microsoft, Apple et Google ont déjà les outils nécessaires. La vérification de l’âge sur l’appareil, cela signifie une vérification unique, la protection intégrée de la vie privée et l’application efficace de l’accès à Internet à la source. Cela permettra d’outiller les parents, de protéger les mineurs ainsi que la vie privée, et c’est techniquement réalisable dès maintenant.
Les sites Web n’auront jamais accès au nom ou au numéro d’identification des utilisateurs, ni à leurs données biométriques. Cette mesure est à la fois applicable, puisque les organismes de réglementation surveilleraient seulement quelques fournisseurs de système d’exploitation et non des millions de sites Web, et efficace, étant donné que les mineurs ne peuvent pas simplement la contourner en allant sur un autre site ou un domaine miroir, ou en utilisant un RPV.
C’est précisément ce qui a été fait au Missouri, qui exige explicitement que tout système d’exploitation mobile installé sur au moins 10 millions d’appareils aux États-Unis — ceux de Google, Apple et Microsoft — soit doté d’un système numérique de vérification de l’âge pouvant être utilisé par les sites Web et les applications.
Cette disposition reconnaît précisément ce que nous faisons valoir aujourd’hui : les solutions au niveau du système sont les seules solutions réalisables, évolutives et capables de protéger la vie privée pour réglementer l’accès aux contenus en ligne soumis à une limite d’âge.
La vérification de l’âge basée sur les appareils peut également être adaptée pour lutter contre d’autres problèmes, empêcher les enfants de voir des publicités sur les jeux d’argent, les produits du tabac ou l’alcool, et empêcher les adultes d’avoir accès de façon anonyme à des espaces en ligne destinés aux mineurs.
J’exhorte le comité à tirer les leçons des échecs des mesures législatives étrangères axées sur les sites et à trouver une meilleure avenue, une solution qui protège véritablement les mineurs.
Modifiez le projet de loi S-209 pour exiger la vérification de l’âge sur les appareils. Soyez des chefs de file en proposant une solution canadienne qui donnera des résultats. Faites en sorte que les appareils deviennent la clé. Les plateformes pour adultes seront ravies de jouer le rôle de serrures.
Je vous remercie. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Merci. Monsieur Kilicci, la parole est à vous.
Matt Kilicci, vice-président, Confiance et sécurité, Risques et conformité, Aylo Freesites : Monsieur le président, madame la vice-présidente, honorables sénatrices et sénateurs, bonjour. Je vous remercie de me donner l’occasion de présenter le point de vue d’Aylo sur le projet de loi S-209.
Aylo exploite des sites Web gratuits de contenu pour adultes, notamment Pornhub, YouPorn et Redtube, ainsi que des sites Web par abonnement comme Brazzers et Reality Kings. Nous appliquons des mesures de confiance et de sécurité exhaustives, notamment la vérification de l’identité et du consentement de l’ensemble des créateurs de contenu et de leurs interprètes, le balayage de contenu automatisé à l’aide d’une dizaine d’outils et de classificateurs différents, et la modération humaine de tout le contenu avant publication.
Permettez-moi de faire connaître notre position d’entrée de jeu : nous appuyons sans réserve la vérification de l’âge et l’initiative visant à protéger les mineurs en ligne. Nous convenons que l’accès des mineurs à du contenu qui ne convient pas aux enfants est un véritable problème et nous sommes favorables à la vérification de l’âge depuis longtemps.
Nous sommes reconnaissants de l’occasion de comparaître devant le comité et nous avons hâte de collaborer avec le gouvernement et l’industrie pour trouver une solution.
Au cours des dernières années, de nombreux pays et États ont adopté des lois sur la vérification de l’âge exclusivement axées sur l’obligation, pour les sites Web, de vérifier l’âge de leurs utilisateurs, c’est-à-dire à l’extrémité la plus large possible de l’entonnoir Internet.
On se trouve ainsi à exiger que des dizaines de milliers voire des centaines de milliers de sites Web mettent en œuvre des mesures de vérification de l’âge en fonction de normes et de lois distinctes, et à demander que les utilisateurs communiquent à répétition des renseignements permettant de les identifier pour chaque site Web à contenu pour adultes auquel ils souhaitent accéder.
Selon notre expérience, cette approche est fondamentalement viciée et contre-productive. Nous proposons une solution axée sur les appareils qui permettra de protéger les mineurs. Cette recommandation s’appuie sur notre expérience concrète du respect des lois en vigueur et sur les échecs que nous avons constatés directement.
Nous avons constaté une migration des utilisateurs vers des sites Web non conformes ou non modérés, le contournement des exigences en matière de vérification de l’âge à l’aide de réseaux privés virtuels, ou RPV, une quasi-absence d’application des règles et une augmentation importante des risques en matière de protection de la vie privée.
Cette semaine, Discord a fait état d’une atteinte à la sécurité des données, notamment les pièces d’identité numérisées présentées aux fins de la vérification de l’âge. Chaque nouveau point de collecte de données multiplie le risque de récurrence.
Dans l’ensemble, malgré de bonnes intentions, le mécanisme comporte des failles. Les mineurs ne sont pas mieux protégés qu’ils l’étaient sans ces lois. En réalité, nous estimons qu’Internet est devenu moins sûr.
La solution existe. La vérification de l’âge à l’aide des appareils est une solution efficace aux défis liés à la vérification de l’âge et à la protection des mineurs en ligne. Cette solution permettra de protéger les mineurs, d’assurer le respect de la vie privée des utilisateurs, de protéger les données des utilisateurs, d’assurer la conformité de manière équitable et d’éviter les conséquences imprévues de la vérification de l’âge axée sur les sites Web. La vérification de l’âge doit être appliquée à l’extrémité la plus étroite possible de l’entonnoir Internet, c’est-à-dire au point d’accès : l’appareil.
En guise de contexte, les appareils modernes connectés à Internet utilisent en grande majorité le système d’exploitation de trois entreprises : Google, Apple et Microsoft. Ils comprennent des fonctionnalités intégrées de contrôle parental et pourraient stocker des données sur l’âge en toute sécurité et transmettre aux sites Web et aux applications une confirmation d’âge par l’intermédiaire d’une interface de programmation d’applications.
Voici la solution que nous proposons. Premièrement, les fonctions de contrôle parental doivent être activées par défaut. Cela pourrait s’appliquer à tout nouvel appareil vendu au Canada. Pour les appareils existants, l’activation pourrait se faire grâce à une mise à jour logicielle.
Deuxièmement, il faut une seule vérification de l’âge. L’âge de l’utilisateur est déterminé sur l’appareil, soit à l’achat, soit par une vérification sur l’appareil. Une fois la vérification effectuée, les adultes peuvent désactiver les fonctions de contrôle parental. L’appareil pourrait transmettre, à l’aide d’un signal normalisé, uniquement la tranche d’âge et aucun autre renseignement — simplement si l’utilisateur est âgé d’au moins 18 ans ou non — pour accéder à des sites Web ou à des moteurs de recherche.
Troisièmement, cela pourrait servir à mettre en œuvre des restrictions universelles. Les sites Web, les moteurs de recherche et les applications, y compris les plateformes de réseaux sociaux, seraient tenus de bloquer les contenus pour adultes lorsqu’un signal indiquerait qu’un utilisateur a moins de 18 ans.
La technologie permettant aux fabricants de systèmes d’exploitation d’activer le contrôle parental, de déterminer une tranche d’âge et de communiquer cette information existe.
Une solution basée sur les appareils élimine pratiquement toute migration et tout contournement des RPV, protège les renseignements personnels des utilisateurs. Cela peut vraisemblablement être mis en œuvre.
Des lois adoptées récemment en Californie et au Missouri intègrent déjà une solution basée sur les appareils, ce qui valide la faisabilité du modèle.
Nous voulons faire partie de la solution, et cette solution, c’est la vérification de l’âge sur l’appareil. Nous exhortons respectueusement le comité à adopter cette approche en modifiant le projet de loi S-209 pour rendre obligatoire la vérification de l’âge sur l’appareil. Cela permettra de protéger efficacement les mineurs contre les contenus qui ne conviennent pas aux enfants sur Internet et d’atteindre l’objectif déclaré du projet de loi. Chaque appareil peut représenter un mineur protégé.
Je vous remercie. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Merci. Madame Dawson, la parole est à vous.
Julie Dawson, directrice de la réglementation et des politiques, Yoti : Honorables membres du comité, je vous remercie. C’est un grand plaisir d’être parmi vous aujourd’hui.
Je représente Yoti, une entreprise de vérification d’identité numérique et d’estimation de l’âge dont le siège social est situé au Royaume-Uni. Yoti est également membre du conseil directeur du Conseil canadien d’identification et d’authentification numériques, ou CCIAN, présidé par ma collègue Leigh Day. Je suis également coprésidente de l’Age Verification Providers Association et je participe à l’élaboration de normes en matière de vérification de l’âge depuis maintenant huit ans. C’est donc un véritable privilège de pouvoir contribuer à vos délibérations aujourd’hui.
Voici un aperçu de nos approches en matière de vérification de l’âge. Nous offrons une série de 12 méthodes d’assurance de l’âge couvrant toute la gamme de la vérification, de l’estimation et de l’inférence. Toutes ces approches sont conçues pour minimiser la collecte de données, c’est-à-dire que seulement les renseignements nécessaires pour les cas liés aux jeunes sont communiqués, par exemple pour déterminer si la personne a plus de 18 ans.
Nous effectuons plus d’un million de vérifications d’âge par jour. Nous avons effectué plus de 900 millions de vérifications — bientôt 1 milliard — sur l’ensemble des principales plateformes mondiales : Instagram, Facebook Dating, TikTok, PlayStation de Sony, Philip Morris International, LEGO et OnlyFans.
Lorsque plusieurs options leur sont offertes, la plupart des consommateurs choisissent l’estimation de l’âge par reconnaissance faciale. Chez les jeunes, l’estimation de l’âge est plutôt précise, soit un écart d’un an environ. Nous publions les niveaux de précision exacts. Plus de 95 % des personnes qui commencent la procédure parviennent à la compléter. La procédure prend environ une seconde et comporte trois étapes : la détection du visage, l’évaluation, y compris la détection des injections, puis la suppression de l’image. L’image est immédiatement et irréversiblement supprimée. Rien n’est conservé; il n’y a pas de gabarit biométrique ni de base de données centrale.
Chacun des déploiements que nous avons entrepris renforce notre conviction qu’une vérification de l’âge efficace et une forte protection de la vie privée peuvent et doivent aller de pair.
Yoti est certifiée de manière indépendante selon les normes internationales suivantes : ISO 27001 pour la sécurité de l’information; ISO 27701 pour la gestion de la protection des renseignements personnels; SOC 2 de type 2 pour la sécurité liée aux services gouvernementaux et financiers. Nous exerçons nos activités conformément au cadre de confiance en matière d’identité et d’attributs numériques du Royaume-Uni et nous collaborons étroitement avec le CCIAN pour l’élaboration d’un cadre de confiance.
Notre technologie d’estimation de l’âge par reconnaissance faciale a été évaluée par des organismes de protection des données, notamment le Bureau du commissaire à l’information du Royaume-Uni, qui a confirmé qu’aucune donnée unique de reconnaissance et d’identification ou aucune donnée biométrique n’est conservée. Elle a été examinée par l’organisme de réglementation allemand — Kommission für Jugendmedienschutz, ou KJM — qui a approuvé la technologie à des fins réglementées en 2022 et a récemment réduit à trois ans l’écart autorisé, qui était auparavant de cinq ans au-dessus de 18 ans.
Notre technologie a été évaluée par l’organisme Age Check Certification Scheme; par le National Institute of Standards and Technology des États-Unis, ou le NIST, la référence mondiale en matière d’estimation de l’âge par analyse faciale; et plus récemment, en juillet, par le programme d’évaluation de l’Australie.
Toutes ces évaluations ont démontré une précision constante de notre technologie pour tous les groupes d’âge, les genres et les teints de peau, ainsi qu’une collecte minimisée de données — seul l’attribut « 18 ans et plus » est communiqué.
Ces certifications et évaluations sont conçues pour donner aux organismes de réglementation et aux entreprises l’assurance qu’une supervision indépendante et une transparence sont intégrées dans la conception et la gouvernance de nos systèmes.
J’ai pensé que vous aimeriez que je vous parle de notre expérience de la mise en œuvre de la loi du Royaume-Uni sur la sécurité en ligne, ainsi que de l’application des règles relatives à l’accès au contenu pour adultes en France cet été. Nous en avons tiré plusieurs leçons importantes. Notamment, la minimisation de la collecte de données est essentielle pour gagner la confiance des utilisateurs, ce qui va dans le sens de l’article 7.
On nous a demandé si notre technologie était conforme aux normes canadiennes en matière de protection de la vie privée, qui exigent de limiter la collecte de données au strict nécessaire et de détruire les données immédiatement après l’utilisation. La réponse est oui, absolument. Ces normes reflètent les pratiques exemplaires que nous suivons déjà.
Pour revenir aux leçons tirées de la mise en œuvre de la loi sur la sécurité en ligne, nous avons constaté qu’environ un consommateur sur quatre choisissait des méthodes de vérification réutilisables. Il pouvait s’agir d’un jeton d’âge anonyme, de la fonction d’estimation d’âge faciale d’une application réutilisable ou encore d’un jeton stocké « 18 ans et plus » provenant d’une application de vérification d’âge réutilisable.
Contrairement à ce que certains craignaient, la vaste majorité des consommateurs étaient tout à fait disposés à se soumettre à la vérification. Nous n’avons constaté ni diminution de cette volonté ni contournement à grande échelle du processus de vérification. Oui, on entend beaucoup parler du contournement par RPV, mais jusqu’à maintenant, peu de données examinées par des pairs et peu de statistiques montrent dans quels pourcentages le contournement est fait par des adultes d’âge légal, par des bots ou par des enfants.
Nous allons continuer à investir dans l’innovation afin de pouvoir offrir des choix aux utilisateurs, comme des modèles de vérification de vivacité et de correspondance faciale sur appareil, et des outils d’estimation d’âge sur appareil.
Nous continuons également à chercher des moyens de rendre les vérifications abordables. Nous avons déclaré publiquement, par exemple, que les parts de notre application réutilisable, qu’il s’agisse de l’outil d’estimation d’âge par analyse faciale ou de la vérification « 18 ans et plus », sont offertes sans frais.
Nous avons présenté les données sur le volume. Après la réunion, je pourrai vous envoyer le mémoire d’amicus curiæ que nous avons préparé plus tôt cette année.
Nous encourageons les organismes de réglementation au Canada et partout dans le monde à collaborer avec le Réseau mondial des régulateurs de la sécurité en ligne et avec les commissaires de la protection des données du groupe de travail international sur le contrôle de l’âge afin d’établir des normes minimales claires et exécutoires sur la vérification de l’âge.
Des normes vagues ou facultatives risquent d’entraîner un nivellement par le bas; les sites Web peuvent alors choisir des solutions peu efficaces ou qui protègent mal les renseignements personnels.
En conclusion, partout dans le monde, les sociétés se posent la même question : comment protéger les enfants sans porter atteinte aux droits à la vie privée? La solution ne réside pas dans le rejet de la technologie, mais plutôt dans l’adoption de technologies adéquates. Il faut exiger des solutions indépendantes, transparentes, vérifiables et axées sur la protection de la vie privée; des outils qui combinent estimation et vérification pour servir le bien public.
Honorables sénateurs, nous nous engageons à soutenir la mise en œuvre de ce projet de loi et à préserver également la sécurité et la vie privée. Menée correctement, cette initiative permettra au Canada de devenir une référence internationale en matière d’assurance de l’âge. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Je vous remercie pour votre déclaration préliminaire.
Nous disposons d’environ 30 minutes. Il faudra donc être succinct.
La sénatrice Batters : Je remercie tous les témoins de leur présence et de leur appui. D’abord, monsieur Friedman, vous recommandez que la vérification de l’âge pour le matériel pornographique soit faite à partir de l’appareil plutôt qu’à partir du site Web. Or, l’article 12 du projet de loi S-209 ne confie-t-il pas aux membres du gouvernement du Canada la responsabilité de prévoir le mécanisme de vérification de l’âge, ce qui veut dire que la méthode privilégiée pourrait être la vérification axée sur l’appareil plutôt que sur le site?
M. Friedman : C’est possible, mais étant donné les risques et désavantages possibles des mécanismes de vérification de l’âge axés sur les plateformes qu’on a constatés ailleurs dans le monde, à mon humble avis, la question est trop importante pour la remettre à plus tard. En permettant aux milliers de plateformes d’utiliser une multitude de mécanismes, on s’expose à tous les risques qui ont été mentionnés et qui, à mes yeux, sont appuyés par des données probantes. Le projet de loi devrait exiger la vérification de l’âge à partir de l’appareil.
La sénatrice Batters : Vous avez bien expliqué, en vous fondant sur des données probantes, pourquoi vous êtes d’avis qu’une méthode est supérieure à l’autre. Si le projet de loi est adopté, j’espère que le gouvernement du Canada en tiendra compte et qu’il examinera toutes les mesures de protection prévues par le projet de loi pour déterminer quel mécanisme est le mieux choisi. Je vous remercie pour votre réponse.
Puisque je n’ai pas beaucoup de temps, j’aimerais m’adresser maintenant à Mme Dawson, de Yoti. Je vous remercie de nous avoir parlé des 12 méthodes et de la minimisation de la collecte de données. Vous avez également affirmé que, contrairement à ce que l’on craignait, vous n’aviez pas constaté de contournement à grande échelle des mécanismes de vérification. Il en a déjà été question au comité. D’après ce que j’ai compris, vous êtes l’une des entreprises qui offrent des services de vérification de l’âge au Royaume-Uni. J’aimerais vous donner un peu de temps pour que vous nous parliez de votre expérience, ainsi que des risques que l’on craignait, mais qui ne se sont pas concrétisés, d’après ce que vous avez vu jusqu’à maintenant.
Mme Dawson : Certainement; je vous remercie. En effet, on entend beaucoup parler de contournement à grande échelle, d’attaques généralisées et d’utilisation massive de RPV. Toutefois, ce qu’on n’a toujours pas vu, ce sont des données concrètes. Puisque les adultes ont le droit d’utiliser un RPV, ce que l’on ignore, c’est combien sont des bots, combien sont des adultes et combien sont des mineurs. Je pense que c’est la question qu’Ofcom veut examiner de beaucoup plus près.
Comme je l’ai déjà dit, nous avons constaté que 25 % des consommateurs choisissaient des méthodes réutilisables. Nous avons aussi vu certaines plateformes retirer ou bloquer du contenu légal à l’excès, sans raison. En outre, de faux sites sont apparus, ce qui souligne l’importance de mener des campagnes de sensibilisation et de délivrer des permis, ou encore de vérifier quels fournisseurs sont fiables dans un territoire donné.
Par ailleurs, il y a eu des cas de réutilisation d’identifiants et de recours à des identités fédérées. En réalité, les modèles qui se servent de comptes ou d’identités fédérées peuvent accroître le risque de suivi, de profilage et de communication des identifiants. À notre avis, cela démontre le besoin d’établir des bases de référence exécutoires, ainsi que l’importance de mesures comme la vérification de vivacité du NIST, la détection des injections, les exigences relatives à l’authenticité des documents, la limitation du nombre d’essais, la certification indépendante et l’examen de la proportionnalité. Aux États-Unis, par exemple, l’une des choses que le NIST examine, c’est ce que peuvent faire en 10 minutes et avec 10 $ des personnes peu spécialisées, comparativement à ce que peuvent accomplir en 1 000 heures et avec 1 000 $ des personnes hautement spécialisées. Il s’agit de trouver le juste milieu. Les organismes de réglementation partout dans le monde peuvent se pencher sur ces questions.
Il faut également préciser les exigences relatives à la fréquence de l’authentification. À titre d’exemple, en France, les jetons doivent être mis à jour après une période d’inactivité d’une heure. Les précisions de la sorte sont très utiles. Cela étant dit, dans l’ensemble, il est très clair qu’une vérification au point d’accès est vraiment utile.
Par rapport à l’observation de Mme Vicky Nash, nous avons constaté que les familles à faible revenu sont plus susceptibles de partager des appareils et d’utiliser des appareils usagés. De plus, la centralisation des vérifications au point d’accès soulève d’importantes questions par rapport aux monopoles et aux activités antitrust.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Friedman, dans vos remarques d’introduction, vous avez dit — et je vous cite mot pour mot — que les enfants migrent vers des sites qui ne respectent pas la loi en Grande-Bretagne.
Comment savez-vous d’où les enfants migrent, et si les enfants migrent vers des sites pornos qui ne respectent pas la loi? Avez-vous des pouvoirs magiques? Il n’y a aucune façon de le savoir, de la même façon qu’on ne sait pas si les enfants utilisent ou non des réseaux privés virtuels. Ce n’est pas inscrit que c’est ou ce n’est pas un enfant qui a acheté le réseau privé virtuel. Comment avez-vous la moindre idée de l’endroit où migrent les enfants?
On sait qu’il y a 50 grands sites pornographiques qui sont les plus consultés, et on sait très bien que les 600 autres sont beaucoup moins consultés. Franchement, je ne vois pas quelles sont vos sources sur ce sujet.
[Traduction]
M. Friedman : Tout d’abord, sénatrice, oui, j’ai des pouvoirs magiques. Normalement, je n’en parle pas publiquement; c’est un secret entre moi et mes proches.
En fait, il existe des données; nous sommes impatients de les fournir au comité. Je vais en parler et puis je vous les enverrai volontiers par écrit. Le premier État américain à imposer des mesures de vérification de l’âge aux sites Web a été la Louisiane. Ces mesures ont entraîné une diminution de 80 % de la fréquentation des plateformes conformes à la loi et une augmentation proportionnelle de 80 %.
Au Royaume-Uni, la fréquentation a chuté d’au moins 50 %, et l’achalandage des plateformes non conformes à la loi a augmenté dans une proportion équivalente de 40 à 50 %. Les plateformes qui ne suivent pas les règles de vérification de l’âge ne respectent pas non plus d’autres règles.
Vous avez raison : nous ignorons s’il s’agit d’enfants ou d’adultes. Or, le fait est que si les enfants ne peuvent pas accéder à certaines plateformes, mais que plusieurs milliers de plateformes de rechange demeurent accessibles, la conclusion très simple et logique qui s’impose, c’est que les enfants migrent vers des plateformes qui ne respectent pas la loi.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ils n’essaient peut-être pas d’accéder aux autres plateformes. Vous l’ignorez. Vous avancez des hypothèses que vous ne pouvez pas corroborer.
Je vais passer à une autre question.
[Français]
Vous dites que ce n’est pas à vous de faire la vérification de l’âge, mais à d’autres compagnies qui sont les opérateurs, notamment Google et Meta. C’est quand même extraordinaire. C’est comme si une compagnie qui était responsable de diffuser du matériel pornographique demandait à une autre compagnie de s’assurer que les enfants n’y aient pas accès. C’est votre responsabilité de vous assurer que les enfants n’entrent pas sur votre plateforme, pas celle de Google ou Meta.
Ce que vous faites, c’est une inversion des responsabilités, et franchement, ça me semble assez remarquable. De plus, si on demande à Google et à Meta de faire des vérifications, vous êtes d’avis que ça veut dire que tout le monde va subir une vérification de l’âge, et pas seulement ceux qui veulent accéder à des sites pornos.
Vous prenez une situation qui est à peu près grande comme cela, mais vous vous assurez que tous les gens sur Terre verront leur âge vérifié, même s’ils n’ont aucunement l’intention d’aller sur des sites pornos.
Ce que vous faites, monsieur Friedman, c’est déplacer le problème et vous assurer que ce ne sera pas vous qui devrez faire la moindre vérification de l’âge. N’est-ce pas?
[Traduction]
M. Friedman : Sénatrice, je vous rappelle que votre projet de loi exige que le mécanisme de vérification de l’âge soit fourni par un tiers indépendant. Il n’est pas question que les plateformes pour adultes s’occupent elles-mêmes de vérifier l’âge. Ce que je souligne, c’est qu’il est préférable d’effectuer la vérification à partir de l’appareil.
Ensuite, personne ne cherche à décharger quiconque de sa responsabilité. Il s’agit de reconnaître que les mesures de vérification de l’âge imposées aux sites Web comportent de graves lacunes que les mécanismes de vérification de l’âge axés sur les appareils ne présentent pas.
Vous avez dit, à la fin de votre intervention, qu’il faudrait vérifier l’âge de tous les gens sur Terre, même s’ils n’ont pas l’intention d’accéder à du contenu pour adultes. Sauf votre respect, je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas notre position.
Je pense que M. Kilicci l’a très bien dit; ses propos méritent que tous les membres du comité y réfléchissent. Selon M. Kilicci, Aylo, l’entreprise qui exploite Pornhub et dont il est le vice-président, aimerait que l’ensemble du contenu pour adultes soit bloqué par défaut sur tous les appareils au Canada n’ayant pas été soumis à une vérification de l’âge. C’est tout ce que l’entreprise demande. Il ne serait pas nécessaire de vérifier son âge si l’on ne voulait pas accéder à du contenu pour adultes. Il s’agit d’utiliser des contrôles parentaux par défaut sur les appareils, contrôles qui seraient désactivés au moyen de mécanismes de vérification de l’âge...
Sénatrice, vous m’avez posé une question. J’aimerais finir ma réponse.
Le président : Laissez-le répondre. Je vais vous donner le temps de poser votre question après.
M. Friedman : Je veux vraiment entendre toutes vos questions et y répondre.
L’idée serait d’activer les contrôles parentaux par défaut. Ils seraient désactivés ou contournés lorsque l’âge serait vérifié. Tous n’auraient pas à vérifier leur âge.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Si cette solution était la solution miracle que vous considérez, comment se fait-il que des pays comme la Grande-Bretagne, qui travaillent sur cette question depuis des années, n’aient pas choisi ce système? Comment se fait-il que ni la France ni l’Allemagne n’aient pas non plus choisi ce système et que la plupart des États américains, dont le Missouri, aient choisi d’autres systèmes? Est-ce que vous êtes les seuls à avoir raison?
[Traduction]
M. Friedman : Nous ne sommes certainement pas les seuls dans notre camp. Je conseille à tout le monde de lire le rapport de la commissaire à la sécurité en ligne de l’Australie, qui recommande la vérification de l’âge à partir de l’appareil comme la solution la plus viable. L’organisme de réglementation et de protection des données de l’Espagne a fait la même recommandation.
Cela étant dit, personne n’a encore parlé de trois grands acteurs qui ne peuvent passer sous silence, à savoir Google, Apple et Microsoft. Ces sociétés sont extrêmement puissantes, et leur emprise est considérable.
Depuis des années, notre Parlement — et je suis très fier d’être Canadien et de notre Parlement — se bat bec et ongles contre Google relativement à la Loi sur les nouvelles en ligne et contre Meta par rapport à des mesures législatives semblables. Il est très difficile de légiférer contre ces sociétés, qui résistent aux mesures réglementaires de la sorte. La réponse est là. C’est pour cette raison qu’on ne l’a pas fait.
De notre côté, en ce qui a trait au contenu pour adultes, nous voulons être réglementés. Nous réclamons de la réglementation. Je veux qu’aux termes de la loi, il soit interdit pour un site Web de ne pas s’identifier comme étant destiné aux adultes au moyen d’une métabalise, telle que « pour adultes seulement ». Cela devrait être un crime passible de sanction. En même temps, c’est à partir de l’appareil qu’il faut restreindre l’accès.
Je sais que Google, Microsoft et Apple sont de redoutables adversaires pour quiconque s’y oppose, mais le Canada peut bien faire les choses et il peut légiférer courageusement. C’est ce que votre projet de loi devrait faire.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je ne pense pas que vous vouliez être réglementés, mais arrêtons-nous là.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins pour la discussion intéressante et instructive. Ma question s’adresse à Mme Dawson.
Le président : Mme Dawson n’est pas en ligne en ce moment. Elle a dû quitter la réunion pour des raisons techniques.
Le sénateur Prosper : J’espère qu’elle se reconnectera.
J’aimerais revenir sur une partie de la réponse que vous avez donnée à la marraine du projet de loi. Vous avez dit que les mesures générales imposées aux sites Web comportaient de graves lacunes et qu’il était préférable d’avoir recours à des mécanismes ciblés axés sur les appareils. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Friedman : J’ai déjà parlé du contournement et des RPV. Je vais donc parler d’autre chose : la mise en application.
Pensez à l’organisme de réglementation que vous allez devoir mettre sur pied et financer pour appliquer la loi. Sa tâche sera impossible. Lorsqu’il forcera la fermeture d’une plateforme pour adultes basée en Moldavie, la même plateforme créera une nouvelle adresse URL, puis une autre.
J’ai remarqué que le projet de loi prévoyait des interventions de la Cour fédérale. J’ai pratiqué à la Cour fédérale. Je suis amicus curiæ auprès de cette cour. Je sais à quel point tous les tribunaux canadiens sont débordés.
Allez-vous intenter des milliers de poursuites judiciaires contre les nouvelles adresses URL qui seront créées? C’est comme jouer au chat et à la souris; c’est insensé. Apple, Google, Microsoft — le recours à des mécanismes ciblés faciliterait considérablement l’application de la loi.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie. J’aimerais attendre de poser ma question à Mme Dawson.
Le président : Si elle revient, nous nous assurerons que vous puissiez lui poser votre question.
La sénatrice Simons : Ma première question s’adresse également à Mme Dawson; j’aimerais donc y revenir, moi aussi. En attendant, je vais poser des questions à nos collègues qui sont dans la salle.
Comment l’État du Missouri a-t-il fait? Vous avez raison : la sénatrice Miville-Dechêne et moi avons travaillé toutes les deux sur le projet de loi C-18 au Comité sénatorial des transports. Nous savons qu’il est très difficile de convaincre Meta et Google de... « Coopérer » n’est même pas le bon terme.
Comment un petit État comme le Missouri a-t-il réussi à imposer de la réglementation visant les appareils?
M. Friedman : La loi a été adoptée, mais étant donné qu’elle entrera seulement en vigueur le mois prochain, nous ignorons comment elle fonctionnera. Les règles ont été publiées. Je peux les envoyer au greffier du comité, si vous voulez.
La sénatrice Simons : Je vous en prie.
M. Friedman : Comme je l’ai déjà dit, la limite établie est sage : 10 millions d’appareils aux États-Unis. Dorénavant, on doit pouvoir envoyer un jeton d’âge — moins de 18 ans ou plus de 18 ans — à toute plateforme qui l’exige.
Je ne sais pas si M. Kilicci a plus d’information à ce sujet.
M. Kilicci : Je n’ai pas davantage d’informations sur le Missouri en particulier, mais comme l’a dit M. Friedman, la version définitive sera vraisemblablement publiée au cours de la semaine prochaine. Son entrée en vigueur est prévue pour la fin du mois de novembre.
J’ajouterais également qu’un autre projet de loi se trouve sur le bureau du gouverneur de la Californie. Le texte a franchi toutes les étapes du processus — examen par la Chambre et par le Sénat — et a été soumis pour signature au gouverneur Newsom.
La sénatrice Simons : Je pense que le gouverneur Newsom est occupé ces temps-ci.
M. Kilicci : Je veux bien admettre qu’il est occupé, mais il a sur son bureau un projet de loi qui fait quelque chose de similaire : il exige que les systèmes d’exploitation et les fabricants d’appareils déterminent l’âge des utilisateurs et émettent un signal destiné aux applications, qui elles, pourront désactiver ou cacher le contenu inapproprié pour les mineurs en fonction de l’indication sur la tranche d’âge envoyée par l’appareil pour un utilisateur donné.
La sénatrice Simons : Ce serait bien si la Californie allait de l’avant. Puisque la taille de l’économie et de la population de cet État est comparable à celle du Canada, un geste en ce sens qui viendrait de la Californie aurait beaucoup plus de retentissement que s’il venait du Missouri, sans vouloir manquer de respect aux gens du Missouri.
Le président : Sénatrice Simons, Mme Dawson est de retour.
La sénatrice Simons : Madame Dawson, j’ai une question très simple pour vous.
J’aimerais parler des mécanismes d’estimation de l’âge au moyen de l’analyse faciale. Vous dites que votre système fonctionne, peu importe le genre et la race. Je ne sais pas si vous avez mentionné l’identité de genre.
Voici ma préoccupation. C’est une chose de pouvoir différencier une femme de 60 ans et un adolescent de 12 ans, mais comment ces outils peuvent-ils faire la distinction entre des personnes âgées de 17 ans et de 18 ans? Comment s’ajustent-ils aux personnes de différentes ethnies ou identités de genre, dont les traits ne concordent peut-être pas avec les données de référence habituelles?
Mme Dawson : Merci. C’est une excellente question.
Pour répondre à la première question sur l’exactitude des résultats et la conception des logiciels, nos estimations sont effectuées par des êtres humains. Elles ont un ordre de grandeur de quatre à huit ans grâce aux interactions que nous avons avec les membres de notre entourage.
L’intelligence artificielle est nourrie de millions d’images de visages associées à des données sur l’âge réel, qui ont été recueillies pendant des mois et des années. Grâce à cette méthode, l’exactitude des résultats s’est accrue progressivement au cours des huit ans du développement du logiciel.
Quant aux personnes en transition de genre, en travaillant avec Sparkle et MOSAIC, deux organismes LGBTQ sans but lucratif, nous avons constaté que les personnes en transition de genre et les membres de la communauté LGBTQ dans son ensemble ne sont pas plus désavantagés que les autres. Les résultats ont été vérifiés par un tiers indépendant, et nous continuons à améliorer l’outil.
Le niveau d’exactitude des résultats produits par le logiciel est un peu moins d’un an pour les personnes âgées de 16 ans et de 17 ans, et un peu plus d’un an pour les personnes âgées de 18 ans, et nous publions des données sur le niveau d’exactitude pour les hommes, les femmes, les personnes à la peau pâle ou foncée, dans la fourchette d’âge allant de 6 ans à 70 ans. Je suis heureuse de fournir un livre blanc...
La sénatrice Simons : Si vous pouviez fournir ces données, ce serait formidable parce que le droit des personnes âgées de 18 ou de 19 ans de visionner certains contenus sera sûrement compromis si nous utilisons un mécanisme d’estimation de l’âge au moyen de l’analyse faciale. En tout respect, je me demande comment ces logiciels permettront de distinguer une personne de 17 ans et 10 mois d’une autre âgée de 18 ans et 3 mois.
Mme Dawson : C’est une très bonne question. L’autorité réglementaire allemande applique une période tampon de trois ans. Cette période était initialement de cinq ans, en 2022, lorsque la technologie a été examinée et approuvée. L’outil a été inscrit par KJM, l’organisme de réglementation, après avoir reçu le sceau d’approbation d’un organisme de réglementation apparenté. La technologie est déployée depuis quelques années, mais avec une période tampon de trois ans. Les personnes âgées de plus de 21 ans peuvent ainsi l’utiliser pour avoir accès au contenu pour adultes en Allemagne.
Il faut soumettre cette technologie à une évaluation indépendante, et c’est avec plaisir que nous ferions cette évaluation pour vous.
La sénatrice Simons : J’aurais tendance à penser qu’une période tampon de 5 ans pourrait favoriser l’accès des adolescents de 13 ou 14 ans au matériel pornographique. À mes yeux, le système est loin d’être parfait.
Mme Dawson : Pour donner un peu de contexte, l’Allemagne préconise une période tampon de trois ans pour un niveau d’exactitude d’un an. Il faut donc être âgé au-delà du seuil de 21 ans pour utiliser une technologie d’estimation de l’âge au moyen de l’analyse faciale. Le niveau d’exactitude est d’un an. À 16 et 17 ans, le niveau d’exactitude est de 9 mois selon une évaluation effectuée par un tiers indépendant. Les résultats ont été examinés par le National Institute of Standards and Technology, ou NIST, et par le processus australien d’analyse comparative. La technologie fonctionne également avec les populations autochtones; elle a été mise à l’essai précisément dans ce groupe.
Chaque pays détermine en effet ce que devrait être la période tampon au-delà de 18 ans, mais toujours dans une perspective inclusive. Nous avons découvert que de nombreuses personnes ne sont pas à l’aise avec la vérification au moyen de documents. Tout le monde n’a pas accès à une carte de crédit ou à d’autres documents. Un processus à plusieurs niveaux pourrait être mis en place. La méthode en question pourrait être présentée comme une option parmi plusieurs, et les gens pourraient choisir celles qu’ils préfèrent.
La sénatrice Simons : Ces informations seraient très utiles.
Le sénateur Prosper : C’est un plaisir de vous revoir, madame Dawson.
Je voulais obtenir votre avis sur une déclaration de M. Friedman qui a alimenté nos échanges un peu plus tôt. Selon M. Friedman, les mécanismes installés sur des sites réussissent beaucoup moins bien que les mécanismes intégrés aux appareils à bloquer l’accès des jeunes au matériel pornographique. Qu’en pensez-vous?
Mme Dawson : Je pourrais vous fournir un document très détaillé que nous avons produit en collaboration avec un partenaire commercial, des techniciens et des entreprises technologiques. Mme Nash a soulevé quelque chose de très pointu : bon nombre de familles à faible revenu se partagent un même appareil ou achètent des appareils de seconde main.
Il nous faudra probablement encore plusieurs années pour régler tous les problèmes antitrust avec Apple, Google et Microsoft. Le déploiement ne peut pas se faire dans l’immédiat.
Les mécanismes intégrés aux appareils nécessitent la participation d’un des parents. A priori, le parent doit ajuster tous les appareils. Nous avons constaté différentes choses sur les contrôles parentaux — le PDG de Snap Inc. a rendu publics des chiffres selon lesquels chez vos voisins, aux États-Unis, 1 % des parents maîtrisent les contrôles parentaux de la plateforme. Quant aux parents un peu partout dans le monde, nous observons de grandes variations dans la capacité à utiliser les contrôles parentaux sur divers types d’appareils.
Imaginez un jeune enfant de moins de 10 ans, un adolescent et des grands-parents qui utilisent tous...
Le président : Madame Dawson, malheureusement, votre témoignage ne peut pas être interprété en ce moment.
Mme Dawson : Je comprends.
Le président : Je vous invite à essayer de vous joindre à la réunion sur votre ordinateur, si possible. Je suis désolé. Je ne peux rien faire d’autre pour l’instant.
La sénatrice Saint-Germain : Ma question s’adresse à M. Kilicci. Je suis ravie de constater que vous êtes vice-président, Confiance et sécurité, Risques et conformité, parce que mes questions sont liées à ces enjeux fondamentaux.
Dans votre mémoire, vous avez dit qu’à la fin de 2020, vous aviez exécuté sur votre plateforme vedette, Pornhub, ce que les observateurs ont appelé plus tard :
[...] le plus grand nettoyage de l’histoire des sites pornos, qui a entraîné le retrait de plus de 8 millions de vidéos téléversées par des utilisateurs non vérifiés et [la mise en place] d’un « système réservé aux télépartageurs vérifiés. »
Ma première question est la suivante : cette purge touchait-elle seulement les utilisateurs dont l’identité avait été vérifiée, ou visait-elle également les vidéos qui renfermaient de la violence problématique ou des contenus inappropriés pouvant engendrer des comportements criminels?
M. Kilicci : Merci de la question. À l’époque, nous avons établi que l’identité de tous les télépartageurs de la plateforme avait été soit vérifiée au moyen d’un document d’identité, soit non vérifiée. Nous avons annulé les comptes et retiré les contenus provenant des utilisateurs non vérifiés. Ces contenus n’étaient pas nécessairement problématiques. Ils ont été enlevés seulement parce qu’ils avaient été publiés par des télépartageurs dont l’identité n’avait pas été vérifiée.
Quant aux contenus en tant que tels, ceux qui se trouvent encore sur le site aujourd’hui ont été téléversés par des individus dont l’identité a été vérifiée au moyen d’un document. En 2020, les contenus étaient modérés par des êtres humains employés par l’entreprise. Nous contrôlons les contenus au moyen de normes strictes sur ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.
Dans le doute, les contenus sont soumis aux échelons supérieurs ou sont rejetés. Ils ne sont publiés que lorsque les personnes qui les évaluent ont la certitude qu’ils répondent à nos normes de sécurité et de confiance. Il faut aussi confirmer que l’identité des individus qui apparaissent dans les contenus a été vérifiée par la plateforme. Nous nous assurons que ces individus répondent aux normes associées à nos niveaux de service avant d’autoriser la publication du contenu.
La sénatrice Saint-Germain : Vous dites dans votre mémoire que vous vérifiez l’identité des personnes qui apparaissent dans les vidéos. Vous vous assurez également que ces personnes ont donné leur accord à cet effet et qu’elles sont prêtes à respecter les conditions, mais je comprends que le contenu éditorial lié à la violence n’est pas le principal objectif de ces vérifications.
Ma deuxième question est la suivante : en ce moment, hormis les lois pouvant entraîner des poursuites, avez-vous en place des mécanismes pour empêcher les mineurs d’utiliser vos sites Web? Puisque vous faites partie de ceux qui mettent en ligne des contenus inappropriés pour les enfants, estimez-vous que vous devriez assumer une partie du fardeau financier associé aux mesures nécessaires pour protéger les enfants contre ces contenus?
M. Kilicci : Merci de la question. Si je puis me permettre, je vais terminer ma réponse à la première question en disant que le processus de vérification comprend la vérification de l’identité des personnes. Cela dit, les contenus dont nous autorisons la publication doivent aussi répondre à des normes strictes sur les images et les actions qui y sont présentées. Cette vérification se fait également au moyen de la modération consistant à vérifier chaque contenu avant sa publication. Nous ne vérifions pas seulement les utilisateurs; nous regardons si les comportements présentés répondent à nos normes, y compris nos règles contre les contenus violents. Pour conclure sur ce point, voilà certaines des choses que nous vérifions.
Pour répondre à la question sur la vérification et sur les normes que nous avons en place pour les individus qui vont sur nos sites, je dirais tout d’abord que nous soutenons les fonctionnalités de contrôle parental. Comme M. Friedman l’a mentionné, l’étiquette « pour adultes seulement », qui apparaît sur tous nos sites Web, permet aux filtres de contrôle parental de bloquer l’accès à ces sites.
Ensuite, tous nos sites Web affichent une page d’avertissement ou de contrôle de l’âge, qui indique que le site renferme du contenu sexuel explicite réservé aux 18 ans et plus. Les utilisateurs ont deux options : « Oui. J’ai plus de 18 ans » ou « Non. J’ai moins de 18 ans ». Les internautes qui sont atterris par hasard sur le site peuvent alors le quitter. Voilà les deux principales fonctions en place sur nos plateformes qui contribuent à empêcher les mineurs d’y accéder.
La sénatrice Saint-Germain : Que répondez-vous à ma dernière question? Je voulais savoir si vous étiez prêt à payer une partie des coûts associés aux mesures à prendre pour empêcher les enfants d’accéder aux contenus inappropriés.
M. Kilicci : Comme je l’ai mentionné dans la solution que je propose — je présume que nous parlons des solutions possibles —, en considérant le problème à résoudre, je pense que nous essayons d’empêcher les mineurs d’accéder à des contenus inappropriés pour les mineurs en ligne, notamment les sites Web renfermant du contenu pour adultes. Je pense que les sites pour adultes ont un rôle à jouer. Comme je l’ai mentionné dans la solution proposée, nous demandons d’abord que tous les sites Web soient systématiquement bloqués. Cette solution exigerait moins de mesures de notre part parce que nous demandons que ces contrôles soient installés sur tous les appareils.
La partie de la solution qui exige des actions de la part de l’industrie et non pas seulement de la part des sites pour adultes est la réception d’un signal indiquant l’âge produit par l’appareil, que ce soit par un site de média social, un moteur de recherche, une application ou un site Web présentant du contenu pour adulte. Il faudrait demander aux sites Web d’interroger le système d’exploitation et l’appareil pour déterminer si l’utilisateur est âgé de plus ou de moins de 18 ans et qu’ils bloquent ou permettent à ce dernier l’accès au site en conséquence. Notre responsabilité est de demander ce signal et de prendre les mesures nécessaires si l’utilisateur n’a pas 18 ans ou plus.
La sénatrice Pate : Ma question s’adresse à Aylo. La dernière fois que le comité a entendu des représentants d’une entreprise de production de matériel pornographique, lors de l’étude de la version précédente de ce projet de loi, ces témoins ont dit sans équivoque que la majeure partie de l’industrie ne se conformerait pas au projet de loi. Ils ont souligné également l’absence de mesures incitatives. Vous semblez dire quelque chose de différent aujourd’hui. Je voudrais savoir ce qui a changé depuis la dernière fois.
M. Kilicci : Merci de la question, sénatrice. Je ne sais pas en quoi mes propos sont différents. Pourriez-vous préciser ce que j’ai dit de différent ou de contradictoire?
La sénatrice Pate : À l’heure actuelle, selon vous, les organisations se conformeraient-elles ou non au projet de loi? Y a-t-il quelque chose qui les incite à ne pas se conformer?
M. Kilicci : Je ne sais pas si je peux parler des mesures incitatives, mais je peux parler de notre expérience et de ce que nous voyons ailleurs. Des lois qui ressemblent au projet de loi S-209 ont été adoptées dans 24 États américains. Le Royaume-Uni fait quelque chose de semblable au sujet des outils de vérification de l’âge installés sur les sites. D’autres pays européens ont adopté des mesures similaires. Du côté des 24 États américains, nous constatons que la vaste majorité des sites Web ne se conforment pas à la loi.
En janvier 2023, la Louisiane a été le premier État à adopter une loi exigeant des sites Web qu’ils vérifient l’âge avant de permettre l’accès aux sites Web pour adultes. Jusqu’à présent, la plus grande plateforme pour adultes ne vérifie toujours pas l’âge des utilisateurs avant de leur donner accès à ses sites en Louisiane, et ce, deux ans et demi après l’entrée en vigueur de la loi. Autrement dit, il est difficile d’obliger des dizaines de milliers ou des centaines de milliers de sites Web dans différents États et différents pays de se conformer à ces normes. C’est la voie la plus tortueuse pour atteindre l’objectif. Il existe un meilleur moyen d’y parvenir.
Je ne vois aucune raison pour laquelle ce que nous observons aux États-Unis, dans tous ces États, serait différent au Canada. Peut-être que certains de ces exploitants agiront autrement en sol canadien. C’est possible, mais l’histoire des deux dernières années et demie est là pour le prouver. Nous pouvons utiliser un réseau privé virtuel, ou RPV, ou un serveur mandataire pour nous rendre dans n’importe lequel de ces États et essayer d’accéder aux 20 sites Web les plus populaires. Vous pouvez constater par vous-même lesquels autorisent l’accès et lesquels exigent une vérification de l’âge.
La sénatrice Pate : Vous avez mentionné les méthodes de vérification sur les appareils. Y a-t-il autre chose? Quel genre de procédures ou de mesures économiques pourraient être mises en place pour encourager des entreprises comme la vôtre à respecter la loi?
M. Kilicci : Lorsque nous parlons de solution, il est vrai que tout commence sur l’appareil, car c’est là que la vérification peut se faire. Une fois que c’est fait, il est plus facile pour les sites Web du monde entier — et pas seulement dans chaque administration — d’interroger et d’empêcher l’accès aux utilisateurs à partir du signal reçu de ces systèmes d’exploitation. Google, Apple et Microsoft exploitent 98 % des appareils au Canada. Cette proportion est de 97 % à l’échelle mondiale. La situation est la même partout dans le monde. Ce sont trois entreprises qui exploitent les appareils à l’échelle mondiale. Si elles sont en mesure de donner accès au signal, cette mesure faciliterait grandement non seulement le contrôle parental pour empêcher l’accès, mais aussi le blocage par les médias sociaux, les sites Web à contenu pour adultes et les moteurs de recherche de l’accès à certains contenus en fonction de la tranche d’âge des utilisateurs.
M. Friedman : Sénatrice, puis-je ajouter une chose?
La sénatrice Pate : Bien sûr.
M. Friedman : À la fin de votre question, vous demandiez ce qui encouragerait des entreprises comme la vôtre à respecter la loi. Je parle au nom du groupe de propriétaires. La société Aylo se conformera toujours aux lois des administrations dans lesquelles elle opère. Nous le faisons déjà et continuerons à le faire. C’est le cas au Royaume-Uni, où une vérification de l’âge est proposée, ainsi qu’en Louisiane, et ainsi de suite. Nous le ferons au Canada. Cela ne fait aucun doute. Mais si Aylo le fait, se comporte correctement et met en place un mécanisme de vérification de l’âge, alors que des milliers d’autres sites ne le font pas, nous savons où le trafic va aboutir.
La sénatrice Pate : Vous dites qu’à l’heure actuelle, si cette loi était adoptée, elle serait respectée.
M. Friedman : Au nom du groupe de propriétaires, Aylo se conformera aux lois de chaque administration dans laquelle elle opère.
La sénatrice Pate : D’accord. Nous avions entendu le contraire précédemment.
M. Friedman : De la part d’Aylo?
La sénatrice Pate : Pas de la part d’Aylo, mais de MindGeek.
M. Friedman : D’accord. Je dis qu’Aylo se conformera à la loi, comme nous le faisons aujourd’hui.
Le sénateur K. Wells : Si je comprends bien, Mme Dawson n’est pas présente.
Le président : Non, et nous allons lui dire qu’elle peut répondre aux questions par écrit, et que ses réponses seront distribuées à tous les membres du comité. Le problème est le suivant : il y a une politique au Sénat. Elle ne dispose que d’un téléphone, mais ce moyen ne permet pas d’assurer une interprétation adéquate.
Le sénateur K. Wells : Est-il possible de l’inviter à revenir pour qu’elle réponde aux questions? Nous n’avons pas encore clos le débat, pour ainsi dire.
Le président : Nous allons examiner cette possibilité et voir si elle est disponible.
Le sénateur K. Wells : J’ai des questions à poser à nos témoins.
Le président : Allez-y, je vous en prie.
Le sénateur K. Wells : Je vous remercie d’être venus nous faire part de vos déclarations et de votre expertise. Nous avons entendu vos témoignages et ceux d’autres témoins au sujet des méthodes de vérification de l’âge sur les appareils. Si l’on examine le libellé initial du projet de loi, le paragraphe 12(2) traite des mécanismes de vérification ou d’estimation de l’âge. Seriez-vous favorables à apporter une modification supplémentaire, par exemple à ajouter un alinéa 12(2)h) après l’alinéa 12(2)g), qui mentionnerait expressément la vérification de l’âge sur les appareils?
M. Friedman : Le problème à l’article 12, c’est que la disposition dirait essentiellement qu’il s’agit d’un mécanisme de vérification de l’âge pouvant être employé. Elle n’impose rien à Google, Apple et Microsoft. En revanche, au Missouri, si vous proposez des systèmes d’exploitation au-delà d’un certain seuil numérique, vous devez fournir une confirmation d’âge aux applications et aux plateformes qui le souhaitent, ce qui les obligera à le faire.
Vous pourriez l’inscrire ici dans la législation, mais si Google et Microsoft refusent d’obtempérer, nous nous retrouverions dans la même situation qu’aujourd’hui.
Le sénateur K. Wells : Le mécanisme ne peut donc pas être facultatif. De votre point de vue, il doit être obligatoire.
M. Friedman : C’est exact.
M. Kilicci : C’est la deuxième fois qu’on dit qu’il s’agit d’une méthode, mais nous ne considérons pas la vérification de l’âge sur les appareils comme une méthode. Celle-ci pourrait être la vérification de l’identité. C’est une méthode pour vérifier l’âge, mais nous parlons ici de l’endroit où cette vérification a lieu. Nous préconisons que cette vérification se fasse une seule fois, sur l’appareil, et que les utilisateurs n’aient plus à la faire par la suite.
Google, Apple et Microsoft peuvent déterminer comment ils vont vérifier l’âge des utilisateurs sur l’appareil. Cela pourrait se faire par une vérification de l’identité. Les utilisateurs pourraient passer par Yoti ou un autre fournisseur, mais ce sont les géants qui se chargent du processus. Ils emmagasinent les résultats et les mettent ensuite à la disposition des applications, des moteurs de recherche et des sites Web.
Il faudra probablement modifier l’amendement pour les inclure au champ d’application, en tant que fabricants de systèmes d’exploitation. Pour les appareils commercialisés au Canada, par exemple, ils ont le mandat de déterminer l’âge de l’utilisateur et de fournir une confirmation qui peut être partagée avec les sites Web, les applications et les moteurs de recherche. Il y a aussi l’activation des filtres, si cet aspect intéresse le Sénat. L’activation par défaut des filtres pourrait s’inscrire dans ce cadre.
Le président : J’ai une question pour M. Friedman. Vous avez dit plus tôt que le projet de loi prévoit des poursuites devant la Cour fédérale du Canada. À votre avis, les tribunaux pourraient être submergés de poursuites. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Je pense que c’est une question qui n’a été abordée par aucun autre témoin jusqu’à présent.
M. Friedman : Mon point de vue à ce sujet découle moins de ma fonction de représentant de l’Ethical Capital Partners que de mes 15 années d’expérience à titre d’avocat criminaliste ayant exercé devant les tribunaux provinciaux, la Cour supérieure, les cours d’appel et la Cour fédérale.
L’alinéa 11b) de la Charte des droits et libertés garantit à toute personne, y compris aux organisations, le droit d’être jugée dans un délai raisonnable. Nous parlons ici expressément des conséquences pénales ici. Cela signifie que nos tribunaux doivent donner la priorité à certaines affaires. Ils ont tendance à privilégier les affaires pénales aux affaires réglementaires ou administratives.
Dans un contexte où les juges en chef de nos tribunaux réclament à grands cris de nouvelles nominations à la magistrature en raison de l’épuisement des ressources judiciaires, si vous imposez potentiellement à la Cour fédérale le fardeau de milliers de poursuites, vous retarderez et refuserez l’accès à la justice à des Canadiens qui en ont besoin. C’est pourquoi il faudrait une solution simple où la réglementation et l’application de la loi concernent un nombre très limité d’entités.
Le président : Merci, monsieur Friedman.
Je remercie tous les témoins d’être venus témoigner aujourd’hui et d’avoir aidé le comité dans son travail.
(La séance est levée.)