LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 9 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 h 35 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique.
Le sénateur David M. Arnot (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Je m’appelle David Arnot. Je suis le président du comité. J’invite mes collègues à se présenter.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
[Français]
La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Sénateur Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire des Micmacs.
Le sénateur K. Wells : Kris Wells, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.
La sénatrice Simons : Paula Simons, aussi de l’Alberta et du territoire visé par le Traité no 6.
La sénatrice Pate : Je suis Kim Pate et je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine anishinabe.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Dhillon : Bonjour. Je suis Baltej Dhillon, de la Colombie-Britannique.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique.
Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir, par vidéoconférence, lord James Bethell; M. Tobias Schmid, directeur de l’Autorité des médias de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et commissaire des affaires européennes de la Conférence des directeurs des autorités allemandes des médias; et Mme Laurence Pécaut-Rivolier, membre, Arcom France.
Merci beaucoup aux témoins de se joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par lord Bethell, suivi de Tobias Schmid et de Laurence Pécaut-Rivolier. Vous avez la parole pour cinq minutes environ, pour une brève présentation, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs et sénatrices. Lord Bethell, veuillez commencer. Je vous en prie.
James Bethell, lord, Chambre des lords : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous.
Je suis ici pour vous présenter un point de vue pratique concernant le Royaume-Uni, où nous avons passé cinq ans à élaborer et à mettre en œuvre des dispositions législatives visant à protéger les enfants en ligne, notamment contre l’exposition à la pornographie violente et dégradante. Permettez-moi d’être clair au sujet du premier point : cela est faisable.
La Online Safety Act du Royaume-Uni, adoptée en 2023, exige une vérification très claire de l’âge pour l’accès aux sites de pornographie commerciaux. Malgré la résistance initiale qu’elle a suscitée, la mesure a donné de très bons résultats. L’industrie de la technologie, y compris, ce qui est très important, X, anciennement connu sous le nom de Twitter, s’est conformée. L’appui du public est fort et, ce qui est plus important encore, les données probantes montrent que les enfants expriment leur soulagement, et il est clair qu’ils se sentent en sécurité en ligne.
Honorables sénateurs et sénatrices, les préoccupations relatives à la protection de la vie privée sont importantes, mais nous avons constaté qu’elles sont gérables. Nous avons entendu des arguments libertariens selon lesquels la vérification de l’âge menace la vie privée; en pratique, ce n’est pas le cas. Le Royaume-Uni a adopté des technologies d’estimation de l’âge qui préservent la vie privée, comme l’analyse faciale et la vérification de documents, dont il est démontré qu’elles ne permettent pas de stocker des données personnelles. Ces systèmes sont déjà utilisés dans le secteur bancaire, ainsi que dans ceux du jeu et de la vente d’alcool. Nous avons appliqué les mêmes normes en ligne.
Honorables sénateurs et sénatrices, l’argument concernant les réseaux privés virtuels, ou RPV, est exagéré. Oui, certains adultes peuvent utiliser des RPV pour contourner les restrictions. Ces réseaux sont coûteux et intrusifs, mais l’idée qu’ils rendent la politique inefficace est un mythe. Les RPV ne sont pas couramment utilisés par les jeunes enfants. Ils coûtent de l’argent et sont difficiles à administrer.
L’objectif n’est pas la perfection, mais bien la réduction des préjudices. Des barrières même partielles réduisent considérablement l’exposition et retardent les premiers contacts avec du contenu néfaste. Le problème concernant la pornographie auquel nous faisons face dans notre société n’est pas lié aux jeunes enfants qui cherchent à avoir accès à de la pornographie, mais plutôt au fait que de jeunes enfants se font envoyer de la pornographie par des prédateurs, des intimidateurs et des algorithmes des géants du numérique.
L’exemple du Royaume-Uni montre qu’il est possible d’arriver à quelque chose. Nous avons travaillé pendant des années pour établir un consensus, consulter des intervenants et élaborer des normes techniques. Nous sommes le premier pays au monde à exiger une vérification de l’âge à cette échelle pour la pornographie en ligne. C’est un exemple concret de démocratie libérale qui agit de manière décisive pour protéger les enfants, sans compromettre la liberté des adultes.
Il est important de souligner qu’il ne fait aucun doute que nous ne reviendrons pas en arrière sur cette question. Une fois que les mesures de protection sont en place, elles font partie des attentes du public et de l’expérience des enfants. L’idée de les supprimer est politiquement et socialement intenable. C’est pourquoi j’exhorte le Canada à agir maintenant. Les retards ne font que prolonger les préjudices causés aux enfants.
Au Royaume-Uni, nous avons fait le nécessaire pour que les mesures de protection ne soient pas discriminatoires à l’égard des communautés LGBTQ+ ou des travailleurs du sexe. La loi cible les plateformes commerciales, et non les particuliers. C’est une question de responsabilité des entreprises. Il n’y a pas de jugement moral.
Si vous n’étudiez pas ce projet de loi, qu’arrivera-t-il? Le projet de loi de la sénatrice Miville-Dechêne est réfléchi et adapté. Si le Parlement choisit de ne pas l’adopter, je vous invite à trouver une option de rechange, parce que l’inaction n’est plus défendable. Les preuves de préjudices sont accablantes. Il existe des outils pour agir. Le public, et en particulier les parents, exige des changements, et le tsunami de pornographie produite par l’intelligence artificielle qui vise nos enfants est absolument terrifiant.
En terminant, j’aimerais dire que le Royaume-Uni a démontré que les lois sur la sécurité en ligne peuvent être efficaces, adaptées et respectueuses des droits. Le Canada a l’occasion de jouer un rôle de chef de file en Amérique du Nord, comme nous l’avons fait en Europe. Je vous exhorte à saisir cette occasion.
Merci beaucoup.
Le président : Merci.
Tobias Schmid, directeur de l’Autorité des médias de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et commissaire des affaires européennes de la Conférence des directeurs des autorités allemandes des médias : Honorables sénateurs et sénatrices, je suis heureux de m’adresser à vous. Malheureusement, il y a eu un petit problème avec ma présentation, ce qui fait que je dois vous parler sans notes, mais tout devrait bien aller. S’il y a un problème avec la traduction, veuillez me faire signe. Quoi qu’il en soit, je vous remercie de me donner les cinq prochaines minutes pour vous faire part de notre expérience sur la question de la vérification de l’âge sur les plateformes de pornographie.
Le président : Je suis désolé de vous interrompre. La raison pour laquelle je le fais, c’est que les interprètes ici à Ottawa sont incapables d’interpréter vos propos en raison de difficultés techniques. Le greffier essaiera de trouver avec vous un autre moment, à votre convenance et selon la disponibilité du comité, pour vous recevoir. Je suis désolé. Cela arrive souvent, malheureusement. Je m’en excuse. Nous vous reverrons à un autre moment, monsieur, si cela vous convient.
[Français]
Laurence Pécaut-Rivolier, membre, Arcom France, Arcom : Je vais vous parler de l’expérience française qui, depuis quelques années, a mis en place une législation pour que les plateformes pornographiques soient obligées de mettre une interdiction pour les mineurs pour les empêcher d’y accéder.
Nous avons un texte dans le Code pénal qui oblige les plateformes en ligne à empêcher les mineurs d’accéder au contenu. Cependant, il y a jusqu’à peu de temps, toutes les plateformes pornographiques se contentaient de mettre en place une case à cocher disant : « Oui, je suis majeur », et cela suffisait pour entrer sur le site pornographique.
Grâce à un institut, nous avons fait une étude qui nous a permis d’avoir les données de fréquentation des sites en ligne; en 2024, cette étude a montré qu’un tiers des mineurs en France fréquentaient un site pornographique au moins une fois par mois.
Nous savons que les mineurs commencent à fréquenter des sites pornographiques en masse à partir de l’âge de 11 à 12 ans — puisque nous avons les chiffres — et que, à partir de 13 ans, 50 % des garçons y vont au moins une fois par mois. Pour la France, ce fut un signal d’alerte maximal, puisque le fait d’aller sur des sites pornographiques quand on a 10 ans ou 13 ans est évidemment gravissime, d’abord, parce que ce n’est vraiment pas l’âge pour avoir accès à de la pornographie et qu’en plus, les sites pornographiques en ligne fréquentés par les mineurs présentent de la pornographie extrêmement violente et très contre-indiquée, qui leur montre une image de la sexualité qui n’est évidemment pas celle qu’il serait souhaitable qu’ils connaissent à cet âge, voire plus tard.
Donc, la France a décidé de réagir et en 2024, une loi a donné certains pouvoirs à l’Arcom, d’abord pour développer un référentiel technique, des solutions de vérification de l’âge qui pouvaient être mises en place par les sites pornographiques pour empêcher les mineurs d’y accéder. En effet, tout ce que disaient les sites pornographiques lorsqu’ils étaient devant la justice, c’était : « Vous voulez que nous mettions en place un système de vérification de l’âge, mais cela n’existe pas », ou bien : « Ce que nous mettrions en place serait, de toute façon, tellement contre-indiqué en ce qui concerne la vérification des données personnelles que ce serait plus dangereux qu’opérationnel ».
Ce que le législateur français a demandé à l’Arcom, c’est de produire un référentiel montrant qu’il y avait bien des outils techniques qui permettaient de faire cette vérification de l’âge tout en respectant les données personnelles. En France, nous avons travaillé avec notre autorité de régulation des données personnelles, la CNIL, et nous avons donc développé ce référentiel qui donne un certain nombre d’outils techniques permettant de faire une vérification de l’âge qui est à la fois opérationnelle et respectueuse des données personnelles.
Ce référentiel technique a été rendu public en janvier 2025. Le temps qu’il soit notifié à la Commission européenne, puisqu’il s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la législation sur les services numériques. Le temps qu’il soit notifié à différents opérateurs, il est entré en application en avril 2025. En avril 2025, on a pu mettre en œuvre la loi de 2024 pour la première fois, c’est-à-dire en envoyant les premiers courriers aux sites pornographiques pour leur demander de se mettre en conformité avec la loi et avec le référentiel.
Nous avons formellement contrôlé au total 12 sites pornographiques que nous avons choisis comme étant ceux qui ont le plus haut taux de fréquentation en France. Cela a donné des résultats, puisque la plupart des sites pornographiques, y compris d’autres, se sont mis en conformité et ont mis en place un système de vérification de l’âge qui correspond à ce que l’on souhaitait, bien que les analyses soient en cours pour certains.
Le groupe connu sous le nom d’Aylo, qui possède notamment le site Pornhub, a choisi de fermer ses sites en France, en considérant que la vérification de l’âge qui lui était imposée était soi-disant une restriction à sa liberté.
Nous avons finalement bloqué un seul site sur les 12 sites contrôlés, parce qu’il n’avait même pas d’interlocuteur à qui l’on pouvait envoyer une mise en demeure.
Voilà où nous en sommes aujourd’hui par rapport aux plus gros sites. Nous allons refaire une analyse, une étude de la fréquentation des sites pornographiques par les mineurs dans quelques semaines pour voir quel effet ces mesures ont eu sur la fréquentation des sites pornographiques par les mineurs.
Par ailleurs, nous allons étendre nos demandes à d’autres sites ayant une fréquentation moins importante, et nous rendrons la main à la Commission européenne dans le cadre de la législation sur les services numériques dès que des outils auront été mis en place en Europe.
[Traduction]
Le président : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions en commençant par la sénatrice Batters, vice-présidente.
La sénatrice Batters : Je vous remercie de prendre le temps d’être avec nous aujourd’hui, malgré vos journées très occupées et nos fuseaux horaires très différents. C’est très apprécié parce qu’il est important d’obtenir ce genre de renseignements sur des systèmes qui ont été mis en place dans des pays qui s’apparentent au Canada. D’après ce que vous dites tous les deux, cela fonctionne bien. Je suis donc très heureuse d’entendre cela.
Tout d’abord, lord Bethell, je vous remercie beaucoup pour les arguments importants que vous avez présentés sur la façon dont cela peut se faire et de nous avoir simplement rappelé que l’objectif n’est pas la perfection, mais la réduction des préjudices. Vous avez dit qu’il s’agit d’un projet de loi réfléchi et productif et qu’on ne sait pas très bien ce qui se passera s’il n’est pas adopté. Comme vous l’avez vu, les preuves de préjudices sont accablantes.
J’ai des questions pour vous au sujet des RPV et de la possibilité que les mesures soient contournées. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le fait que, d’après votre expérience jusqu’à maintenant, cela n’a pas été un obstacle important au Royaume-Uni? Vous avez décrit l’une des raisons, à savoir qu’il s’agit d’une méthode coûteuse pour essayer de contourner la loi. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les RPV?
Lord Bethell : Si vous me le permettez, j’aimerais faire trois brèves observations. Merci beaucoup.
Premièrement, il s’agit d’une question controversée. On ne dispose pas de chiffres exacts. Les seuls chiffres proviennent de l’industrie des RPV proprement dite, et je considère qu’il s’agit d’une source biaisée. Les entreprises de cette industrie travaillent en collaboration avec les grandes sociétés de technologie et de pornographie pour essayer de dénigrer l’efficacité du projet de loi, alors je prends avec une grosse pincée de sel tous les détails et toutes les données qui en émanent.
Deuxièmement, il est techniquement assez difficile d’installer et de gérer un RPV et d’y souscrire. Il faut une carte de crédit pour ne pas recevoir trop de publicité, ce qui est assez détestable. La plupart des enfants n’ont pas de carte de crédit et n’ont pas non plus les 20 ou 30 livres ou dollars nécessaires. L’affirmation selon laquelle les enfants de Grande-Bretagne s’abonnent à des RPV contre la volonté de leurs parents est donc ridicule.
Troisièmement, il s’agit d’une compréhension erronée de la façon dont la pornographie s’immisce dans la vie des enfants. La commissaire à l’enfance de la Grande-Bretagne a réalisé une étude très importante auprès de 300 000 enfants sur la façon dont la pornographie s’immisce dans leur vie. Ce n’est pas parce qu’ils la recherchent. Il ne s’agit pas d’adolescents libidineux qui cherchent désespérément à regarder des vidéos de rapports sexuels violents et abusifs. Il s’agit surtout d’enfants qui se font envoyer de la pornographie par des intimidateurs à l’école, par des prédateurs qui essaient de les attirer dans une conversation, ou par les algorithmes proprement dits.
Honorables sénateurs et sénatrices, je dois vous dire que si vous suivez Kim Kardashian, Ronaldo le footballeur et des artistes hip-hop sur Twitter, votre expérience est très différente de ceux qui suivent des politiciens libéraux ou des journalistes de la télévision. L’idée que les RPV minent de quelque façon que ce soit les règles est, j’ai bien peur de le dire, fausse.
La sénatrice Batters : Je vous remercie d’avoir soulevé ce point parce que j’allais vous poser une question au sujet de Twitter et de X, et je suis très heureuse d’entendre qu’au Royaume-Uni, comme vous l’avez dit, les règles sont respectées. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? En tant que sénatrice, je suis abonnée à Twitter, Facebook et Instagram, et je dois convenir qu’avec le nombre de messages insensés et inquiétants qui sont envoyés sur Instagram, et l’expérience sur Twitter, où il faut constamment bloquer des sites pornographiques envoyés par des robots et ce genre de choses, cela semble être une chose très répandue. Pourriez-vous nous parler davantage de la conformité de Twitter, et êtes-vous au courant de l’expérience Meta sur Instagram, où ce genre de choses semble aussi être répandu?
Lord Bethell : Dans son rapport, la commissaire à l’enfance a indiqué très clairement que Twitter était la principale porte d’entrée de la pornographie pour les enfants. En effet, 42 % des enfants ont déclaré que leur première expérience avec la pornographie avait eu lieu par l’entremise de Twitter, sans que ce soit à leur initiative dans de nombreux cas. Cela leur a été envoyé soit par l’algorithme, soit directement par des gens à l’école, ou des prédateurs, parce que vous savez qu’il s’agit d’une plateforme ouverte sur laquelle les adultes peuvent envoyer des messages aux enfants, ce qui me semble inapproprié. C’est la même chose sur Instagram.
Nous étions très inquiets qu’Elon Musk se déchaîne, comme il l’a fait au Brésil, et qu’il fasse tout un plat de cela. Je suis heureux de dire que ce n’est pas ce qui s’est produit. Au lieu de cela, la plateforme s’est en grande partie conformée. On y utilise une méthode de vérification de l’âge qui est assez créative et qui a peu d’impact. Il sera intéressant de voir si cela fonctionne dans les faits. Il faudra donc effectuer une certaine validation et vérification, mais je suis encouragé par le fait que l’ingéniosité et les compétences en matière de données du secteur des technologies ont été mises à profit, afin d’offrir aux utilisateurs une expérience simple et harmonieuse. C’est ce que nous voulons en fin de compte. Personne ne veut de portes d’entrée lourdes et encombrantes qui perturbent l’expérience pour les adultes. Nous voulons deux réseaux Internet, un qui est sûr pour les enfants et un autre qui est plus explicite pour les adultes.
Je dirais qu’il en va de même sur Instagram. Meta a mené des activités de lobbying et des campagnes s’opposant vivement à la vérification de l’âge. Je trouve cela très décevant pour une entreprise à laquelle nos enfants consacrent autant de temps et qui prétend vouloir le bien de la société, mais je suis heureux de dire qu’elle a pris des mesures pour revoir ses façons de faire.
La sénatrice Miville-Dechêne : Avant de poser ma question à lord Bethell, j’aimerais faire un commentaire. Contrairement à ce qu’a dit hier le représentant d’Ethical Capital Partners, le projet de loi S-209 ne cible pas seulement les plateformes de pornographie comme Pornhub. Aux termes de l’article 12 du projet de loi, cette décision revient au gouvernement, et c’est lui qui décidera de la portée. Il pourrait donc décider d’inclure des médias sociaux comme X. Je voulais simplement dire cela en guise de préambule à ma question parce qu’elle porte sur X.
Lord Bethell, merci d’être ici. J’aimerais savoir comment on fait la vérification de l’âge sur X. Ici, au Canada, on entend souvent dire qu’il faudrait que toute la plateforme X fasse une vérification de l’âge pour empêcher les enfants d’avoir accès à de la pornographie. On a beaucoup entendu parler de cela. Pouvez-vous nous dire comment cela se fait techniquement? Je comprends également que dans le cas de X, il ne s’agit pas d’un vérificateur tiers. Vous avez donné le choix à certaines plateformes de faire la vérification elles-mêmes.
Lord Bethell : Oui. X a en grande partie retiré le contenu pornographique de sa plateforme au Royaume-Uni. Pour que votre identité soit vérifiée, vous devez donner une adresse de courriel. On vérifie ensuite s’il s’agit de votre adresse électronique en vous envoyant un courriel, puis on établit une correspondance entre cette adresse de courriel et votre profil qui est stocké dans les données sur Internet, grâce à une comparaison avec vos autres profils sur les réseaux sociaux et votre historique en ligne. Autrement dit, il n’y a pas de documents à fournir, aucun passeport, permis de conduire, ou carte de crédit. Si, grâce à la combinaison de la reconnaissance faciale et de la reconnaissance par courriel, il est déterminé avec certitude que vous êtes un adulte, on vous offre une expérience, et si vous êtes un enfant, une autre expérience. Autrement dit, c’est un système fondé sur le risque. Ce n’est pas une barrière qui exige une confirmation pour tout le monde. Je pense que c’est adapté pour ce dont nous parlons.
Nous devons déterminer si cela répond aux critères juridiques. Dans notre loi, il est question de grande efficacité, ce qui n’implique pas de pourcentage, et nous avons fait pression sur notre organisme de réglementation pour qu’il en fixe un. Étonnamment, l’organisme de réglementation s’est montré réticent. À mon avis, par grande efficacité, on entend 95 %, 97 % ou quelque chose du genre, un pourcentage qui permettrait de voir si le seuil est atteint.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que l’adresse de courriel est demandée uniquement pour les pages de pornographie et le contenu néfaste ou sur toutes les pages de X?
Lord Bethell : Sénatrice, j’ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à cette question. D’après ce que je comprends, les choses évoluent un peu et on essaie différents systèmes. Je peux vous écrire pour vous donner une réponse concrète, si cela peut vous être utile.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais aussi poser une question à Mme Pécaut-Rivolier. Votre système ne fait que viser les plateformes pornographiques; pouvez-vous parler de vos démêlés avec Ethical Capital Partners et Pornhub?
Selon ce que je comprends, depuis 2020, vous avez fait l’objet de poursuites de la part de cette compagnie qui est quand même basée à Montréal et au Canada et qui ne respecte pas la loi en vigueur.
Mme Pécaut-Rivolier : Merci de votre question.
Effectivement, avant la loi de 2024, nous avions déjà une loi en 2020 qui nous donnait un certain nombre de pouvoirs. Donc, notre loi s’adresse aux sites qui mettent du contenu pornographique à l’écran en les obligeant à mettre en place un système de vérification de l’âge. Depuis 2020, nous faisons l’objet de plusieurs litiges de la part de divers poursuivants qui souhaitent se défendre contre toutes les actions que nous avons essayé de mener pour que la vérification de l’âge soit effective.
Nous avions entrepris des actions en justice pour obliger les plateformes à mettre ce système en place. Les plateformes se sont défendues en disant qu’aucun système n’était acceptable. Je crois qu’actuellement, nous avons au moins une quinzaine de litiges en cours dans toutes les juridictions qui existent en France et en Europe sur la base de divers arguments qui sont à la fois le risque d’atteinte aux données personnelles et à la vie privée, surtout par rapport au fait que les effets de la vérification de l’âge étaient disproportionnés. Ces litiges concernent non seulement Aylo, mais aussi les grands sites pornographiques de manière générale. Nous avons eu des questions de constitutionnalité, de conventionnalité. Nous menons des combats juridiques assez forts. Mais ce que je constate, c’est que —
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais vous arrêter une seconde pour vous demander ceci : pourquoi Aylo, Ethical Capital Partners et Pornhub ont-ils quitté la France, alors que vous aviez établi la double authentification sur vos plateformes?
Mme Pécaut-Rivolier : Nous les avons contactés pour savoir quel était le problème, selon eux. L’argument qui nous a été donné, c’est que les demandes qui étaient faites étaient trop lourdes à mettre en œuvre pour eux, et que, par conséquent, elles étaient disproportionnées par rapport à l’objectif de protection des mineurs.
Sur leur site accessible en France, ils ont mis en place un pastiche du célèbre tableau de Delacroix qui s’appelle La liberté guidant le peuple.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup pour vos explications.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Merci beaucoup à nos témoins de nous aider à comprendre ce sujet très important.
Je tiens à revenir à certains des témoignages que nous avons entendus dans le cadre de notre étude du projet de loi. Ce qui me préoccupe, c’est l’efficacité de ce projet de loi, parce que des gens comme Mme Boden, de la Free Speech Coalition, et M. Friedman, d’Ethical Capital Partners, nous disent que ce n’est pas le cas. Ce qu’on nous dit, c’est qu’il peut être contourné. Je comprends la dimension des RPV et comment vous qualifiez cela de mythe.
Par l’entremise des témoins, nous avons entendu parler de solutions de rechange, et j’aimerais que vous me disiez tous les deux ce que vous en pensez. M. Friedman, d’Ethical Capital Partners, semble avoir résumé la situation en disant que la vérification de l’âge et des choses de cette nature sur les sites comporte des lacunes graves, et que si cette vérification se faisait plutôt sur un appareil, cela les éliminerait.
Qu’en pensez-vous? Croyez-vous que les technologies de vérification de l’âge sur les sites, qui font en sorte que les jeunes n’ont pas accès à du matériel pornographique, comportent des lacunes graves? Pensez-vous que le mécanisme ou la voie qui convient le mieux pour régler ce problème est l’appareil proprement dit? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Lord Bethell : M. Friedman a raison, et je vais expliquer pourquoi, mais cela ne constitue pas une lacune grave ni une raison de ne pas agir.
J’aimerais beaucoup qu’Apple et Google intègrent une vérification de l’âge dans l’App Store et sur les téléphones. C’est la seule façon d’avoir une division efficace et à long terme des sites Internet entre ceux qui sont sécuritaires pour les enfants et ceux qui comportent du contenu dérangeant réservé aux adultes. Je suis très déçu que deux sociétés sérieuses, qui valent des centaines de milliards de livres, aient résisté avec autant de véhémence, aient dépensé des centaines de millions de dollars pour faire campagne contre cette mesure, et soient intervenues à Downing Street et au plus haut niveau du gouvernement pour empêcher la mise en œuvre de cette mesure sensée. Cela en dit long sur ces deux organisations.
Toutefois, cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas avoir recours aux autorisations sur le Web. Il y a une dimension universelle à cela et à de nombreux problèmes dans la vie, qui fait en sorte que plusieurs mesures doivent être prises pour qu’il se passe quelque chose. Maintenant, il a raison de dire que l’autorisation sur les sites pourrait bien ne pas être efficace très longtemps. Il pourrait y avoir des échappatoires et des façons de contourner les règles. Les enfants — j’en ai quatre — sont incroyablement inventifs. Je ne dis pas que ce sera parfait. Je viens du domaine de la santé publique, où l’on s’occupe de réduction des préjudices ou des risques. Nous ne sommes pas le département de la Sécurité intérieure, où si un seul terroriste vous échappe, vous avez un problème.
Je pense donc qu’il va un peu loin, mais il est justifié qu’il soit en colère contre les fabricants d’appareils qui ont essentiellement jeté tout le problème dans sa cour.
Le sénateur Prosper : Merci.
[Français]
Mme Pécaut-Rivolier : Je suis exactement dans la même ligne de pensée que lord Bethell. Si on le demande aux sites pornographiques, c’est parce que ce sont eux qui sont responsables des images qu’ils diffusent et qu’elles ne doivent pas être vues par des mineurs. Donc, tant qu’il n’y a pas d’autres systèmes plus efficaces, il est normal de leur demander de mettre en place une protection.
Deuxièmement, il y aura bien sûr des contournements si on met en place des protections. C’est normal. Ce sont des technologies, et il y aura toujours de nouvelles technologies qui permettront de contourner les technologies existantes. Nous souhaitons surtout protéger les plus jeunes mineurs, notamment ceux de 10 à 15 ans. Ceux-ci ne peuvent accéder à des technologies plus évoluées, parce qu’elles sont payantes et plus complexes à mettre en œuvre. Si l’on protège cette catégorie d’enfants, on aura déjà gagné une partie du combat.
Ensuite, cela ne nous empêche pas d’avoir des systèmes comprenant la vérification de l’âge à la base. En France comme en Angleterre, nous essayons de travailler là-dessus. Effectivement, sur le support, sur la téléphonie, c’est un travail que nous sommes en train de faire. Nous espérons arriver à obtenir ces vérifications. Il semblerait que Google, notamment, bouge un peu en ce sens. Toutefois, cela ne nous semble pas du tout choquant que pour l’instant, et tant qu’on n’aura pas pu trouver des technologies plus avancées sur les supports, on demande aux principaux responsables des contenus contre-indiqués aux mineurs de mettre en place d’urgence un système de protection.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Merci à tous les deux.
La sénatrice Simons : Le sénateur Prosper m’a volé ma question, alors c’est une bonne chose que j’en aie une autre.
Lord Bethell, vous avez mentionné à quelques reprises le problème des enfants qui sont victimes d’intimidation et à qui du contenu inapproprié est envoyé, que ce soit par des camarades de classe ou des pédophiles. En quoi votre loi empêche-t-elle cela? Elle peut empêcher quelqu’un d’envoyer un lien, mais elle ne peut certainement pas empêcher quelqu’un d’envoyer une image offensante ou dérangeante.
Lord Bethell : Oui, c’est exact. Elle n’empêche pas les envois sur WhatsApp, par exemple. Elle n’empêche pas quelqu’un d’envoyer une vidéo téléchargée sur WhatsApp, mais elle fait en sorte que le message ne peut pas inclure de lien et pousser quelqu’un à cliquer sur ce lien. Cela met fin à ce cycle — que nous connaissons tous maintenant —, cette escalade de la violence, cette boucle de dopamine extrémiste dans laquelle même nos enfants sont pris, hélas. Il se peut qu’ils regardent des photos de femmes torse nu un jour, mais ce n’est pas long avant qu’ils soient entraînés vers de la pornographie horrible, graphique et violente, mettant en scène des actes illégaux, comme des viols et des inconduites sexuelles, et qu’ils se retrouvent dans des endroits très glauques. Je suis désolé d’être aussi direct, mais c’est ce qui se passe à très grande échelle.
La sénatrice Simons : Cela semble contredire ce que vous avez dit tout à l’heure, à savoir que le principal problème n’est pas que les enfants cherchent de la pornographie, mais qu’ils se font imposer de la pornographie. Je vous pose à nouveau la question : si nous avions un système intégré aux appareils, serait-il plus efficace, potentiellement, pour protéger les enfants contre ce que l’on appelle communément des « dick pics »?
Lord Bethell : Non, cela n’entre pas en contradiction avec ce que j’ai dit. La puissance de ces algorithmes signifie que la pornographie est devenue très, très addictive pour les adultes — ce qui ne pose pas de problème parce que ce sont des adultes —, mais aussi pour les enfants. Ce que j’ai dit, c’est que l’accès est imposé et non pas recherché.
Ce qui se passe — surtout chez les garçons, j’en ai bien peur —, c’est qu’une fois qu’ils ont pris l’habitude de regarder, comme c’est le cas dans toute économie axée sur la dopamine addictive et sur la recherche d’attention, ils sont de plus en plus attirés, et assez rapidement, ils passent de représentations assez banales de rapports sexuels à de la pornographie assez troublante et dégoûtante, qu’ils cherchent ensuite à reproduire avec leurs petites amies. Cela leur donne une perspective très troublante du monde et devrait avoir un effet sur notre courbe démographique et nuire aux piliers fondamentaux de la société, comme la famille.
Vous avez raison de dire qu’un système intégré aux appareils serait probablement plus efficace et de portée plus large, mais il comporte son propre lot de problèmes. Par exemple, cela suppose que chaque appareil soit identifié à une personne dont l’âge est connu.
Je pense qu’il ne faut pas envisager cela sous l’angle de solutions uniques. Comme pour tout ce qui concerne les médias et la technologie, il faut penser à des programmes interreliés qui fonctionnent ensemble, afin de résoudre un problème de santé plus vaste. Je viens du milieu de la santé publique, et c’est ainsi que j’ai tendance à voir les choses. Il s’agit plutôt de l’addition de mesures que d’un tout.
[Français]
La sénatrice Simons : J’ai aussi une question pour Mme Pécaut-Rivolier.
[Traduction]
L’un des défis auxquels je fais face, en tant que femme très ennuyeuse, hétérosexuelle et vanille sur Internet, c’est qu’on me sert constamment ce que lord Bethell a appelé du contenu explicite, que je le veuille ou non. J’ai fermé ma page Facebook du Sénat parce que Meta m’envoyait un flot infini de pornographie douce. J’ai pris la mesure de cela le jour où, participant à un événement pour le Nouvel An chinois à Edmonton, après que j’aie affiché beaucoup de photos du quartier chinois, j’ai reçu sur mon téléphone, en plein après-midi, quelque chose de très bizarre, de la pornographie fétichiste asiatique.
J’aimerais savoir si Arcom ou quelqu’un en Grande-Bretagne a envisagé de poser la question à ces plateformes de médias sociaux — j’adorerais en effet pouvoir appuyer sur un bouton pour interrompre l’envoi de ce genre de choses. D’après mon expérience, les interactions avec ces plateformes s’apparentent à couper la tête de l’hydre. Dès qu’on fait quoi que ce soit, y compris essayer de mettre fin aux envois, on empire les choses et on reçoit encore plus de contenu.
[Français]
Mme Pécaut-Rivolier : Effectivement, j’ai le même souci que vous, d’autant plus que dans le cadre de ma mission il m’arrive souvent d’aller cliquer vers des sites pornographiques, ce qui me vaut un certain nombre de propositions qu’il m’est très difficile de refuser. En France, nous nous inscrivons dans le cadre de la mise en œuvre du Règlement sur les services numériques. Pour la mise en œuvre, nous voudrions réussir à ce que l’Europe — parce que la France toute seule n’a pas cette force — puisse imposer aux plateformes un certain nombre de règles qui éviteraient de mettre d’abord les mineurs, et accessoirement les personnes majeures, devant ces contenus.
Ce qui est demandé dans le cadre de la Commission européenne, qui vient de sortir des lignes directrices pour l’application de l’article 28 du Règlement sur les services numériques, c’est d’avoir en premier lieu un système de vérification de l’âge interopérable; c’est ce dont on parlait plus tôt, qui permet à la base de connaître l’âge de la personne qui consulte un site et d’avoir tout un système de mécanismes qui se mettent aussitôt en place. Ensuite, nous voudrions qu’il y ait des règles permettant par défaut que les contenus proposés aux mineurs et les algorithmes proposés aux mineurs soient adaptés à l’âge des mineurs. Par exemple, c’est quelque chose de très fort pour nous, parce qu’on a constaté que c’est l’une des sources de danger les plus importantes. Nous souhaitons éviter que les mineurs se retrouvent en contact avec des adultes inconnus et souvent peu bienveillants. Ce sont des choses sur lesquelles on voudrait avancer.
On le fait dans le cadre de l’Europe, dans le cadre du Règlement sur les services numériques. Ce que l’Europe nous a autorisés à faire dans l’immédiat — parce qu’on a dit qu’il y avait une urgence —, c’est de travailler sur les sites pornographiques pour empêcher cet accès. Or, on voudrait évidemment passer ensuite à l’autre étape, qui est une protection beaucoup plus opérationnelle et beaucoup plus générale des mineurs sur toutes les plateformes en ligne — ce qu’on appelle les blogues —, qui sont les plus grandes plateformes que fréquentent la majorité des mineurs.
La sénatrice Oudar : Merci aux deux témoins d’aujourd’hui. Ma question s’adresse à Mme Pécaut-Rivolier. Avant que je pose ma question, je veux souligner le combat de la France dans la protection des enfants face aux sites pornographiques, combat qui a été consacré par la Commission européenne. Madame Pécaut-Rivolier, j’apprécie que vous soyez avec nous ce matin et que vous partagiez avec nous toute cette perspective internationale très pragmatique, basée sur des données concrètes. Je suis certaine que votre témoignage peut servir de leçon précieuse pour le Canada sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Je tiens à vous remercier de l’apport du régulateur de la communication audiovisuelle et numérique Arcom.
J’ai lu beaucoup de choses en me préparant pour cette réunion du comité et je vois qu’en matière d’expérience française et de recherche de solutions techniques — et vous l’avez évoqué —, on parle d’une solution de double anonymat qui concilie la vérification et la vie privée.
Je voudrais vous entendre plus particulièrement sur cette solution.
Mme Pécaut-Rivolier : Merci. Effectivement, nous avons travaillé avec notre autorité de protection des données personnelles pour avoir une solution qui soit à la fois protectrice des mineurs, mais aussi des données des adultes qui devront se plier à cette vérification de l’âge. Or, la solution la plus aboutie est celle du double anonymat qui passe par un tiers, qui pourra vérifier la majorité, mais qui ne pourra pas conserver les données, c’est-à-dire que finalement les données ne seront conservées nulle part, dans la mesure où il y aura des intermédiaires.
Or, cette solution est lourde et nous en avons bien conscience. Nous avons donc prévu dans le référentiel dès le départ que les sites pornographiques devaient donner le choix aux utilisateurs entre cette solution, qui préserve au mieux les données personnelles, mais aussi une autre solution qui serait moins sécurisée en ce qui a trait aux données personnelles, mais que les utilisateurs pourraient privilégier si elle est plus simple pour eux. Tout cela nous semble être des solutions d’attente, c’est-à-dire que ce que nous avons constaté, c’est qu’il fallait tout de suite dire aux sites pornographiques : « Arrêtez de nous dire que les solutions n’existent pas. » Elles existent, elles sont peut-être un peu coûteuses ou parfois lourdes pour les adultes, mais c’est la condition pour préserver la sécurité mentale des mineurs. Donc ces solutions existent.
Maintenant, on va faire bouger le marché. On constate que jusqu’à présent, cela n’était pas obligatoire. On n’avait pas un marché qui permettait d’avoir des solutions de vérification de l’âge efficaces et moins coûteuses. Maintenant, on sent que les choses bougent. La Commission européenne est en train de travailler sur un portefeuille européen dans l’objectif d’avoir une application sur les téléphones intelligents qui permettra de montrer qu’on est majeur, peu importe la raison d’entrer ces données sur cette application. Cette application pourra ensuite diffuser partout le fait qu’une vérification a été faite et qu’on est majeur. Ce sont des solutions qui seront beaucoup plus opérationnelles, fluides et simples pour tous. C’est l’avenir. Cela se mettra en place. Il fallait juste qu’on soit suffisamment contraignants au départ pour que tous les sites, toutes les plateformes se rendent compte que cela deviendrait inexorablement nécessaire à un moment donné d’avoir cette vérification de l’âge, pour offrir ainsi un nouveau marché avec des solutions qui ne sont pas si complexes que cela à l’arrivée.
La sénatrice Saint-Germain : Madame Pécaut-Rivolier, ma question s’adresse à vous. Je vous demanderais d’être brève dans votre réponse. J’ai des collègues qui veulent réagir.
Vous avez dit ce matin qu’il y a une obligation dans le Code pénal français en matière de pornographie. Vous avez dit qu’il y a la loi d’avril 2024, et vous venez tout juste de dire, en réponse à ma collègue, que votre loi est suffisamment contraignante. Elle l’était au départ. Le projet de loi S-209 que nous étudions est un projet de loi peu prescriptif. Beaucoup est laissé à l’application de la réglementation, notamment le choix de la technologie. On n’a aucun critère, aucune exigence concernant la nature de la technologie.
Comparativement à votre législation et à la réglementation dans votre pays — et éventuellement aussi pour vous, lord Bethell —, considérez-vous que le projet de loi S-209 devrait être modifié pour être plus prescriptif?
Mme Pécaut-Rivolier : Ce que la loi française prévoit, c’est que l’Arcom, le régulateur de la communication audiovisuelle et numérique en France, utilise un référentiel technique. La loi elle-même n’a rien prévu d’autre que le fait qu’il fallait qu’il y ait un système qui soit à la fois suffisamment efficace pour que les mineurs n’aient plus accès aux sites pornographiques tout en protégeant les données personnelles. Il a confié à l’Arcom le soin de définir comment cela pourrait se mettre en place techniquement. L’avantage de ce système de renvoi est que nous-mêmes pouvons modifier le référentiel au fur et à mesure des évolutions techniques et des améliorations futures.
[Traduction]
Lord Bethell : Il s’est produit la même chose pour le projet de loi sur la sécurité en ligne. Il s’agissait d’une loi habilitante qui donnait beaucoup de latitude aux organismes de réglementation, notamment parce que, selon notre expérience, la technologie évolue et qu’il ne sert donc à rien d’inscrire les choses nommément dans un projet de loi. Il faut donner à l’organisme de réglementation l’obligation de tenir compte des intervenants de l’industrie et des enfants, ainsi que la capacité de modifier les choses au besoin.
J’aimerais mentionner que l’une des raisons pour lesquelles nous avons obtenu du succès, à mon avis, c’est que nous avons mis en place des modalités d’application de la loi très rigoureuses. Nous avons fait intervenir la responsabilisation des cadres supérieurs. C’est l’une des leçons que nous avons tirées de la crise financière. Lorsque nous avons fait intervenir la responsabilité financière des cadres supérieurs pour les banques, leurs comportements se sont améliorés de façon spectaculaire. Nous avons fait de même pour les entreprises de médias, et c’est pourquoi nous pensons que les grandes entreprises technologiques et les grands producteurs de pornographie se sont alignés au Royaume-Uni. Les amendes ne suffisent pas. Il faut aussi la menace d’une peine d’emprisonnement.
J’ai vu votre projet de loi. Il ne comporte pas ce genre de modalités d’application. J’aurais tendance à aller de l’avant avec ce que vous avez et à ajouter des éléments au fur et à mesure. Je suis conscient qu’il est toujours difficile pour un parlement de trouver du temps à consacrer à une mesure législative, mais je crois que le fait d’inscrire quelque chose dans la loi est plus important à ce stade-ci que de préciser chacun des petits éléments.
Le sénateur Dhillon : Lord Bethell, je vous remercie de votre témoignage d’aujourd’hui. Il est encourageant de prendre connaissance des progrès que vous avez réalisés et de la ténacité dont vous faites preuve pour ce qui est de protéger nos enfants. Ma question est la suivante : qui sont vos organismes de réglementation?
Lord Bethell : Nous avons un important organisme de réglementation appelé Ofcom. Je ne suis pas un expert de la réglementation en France, mais je pense qu’elle est similaire. Mme Pécaut-Rivolier pourrait sûrement nous en dire davantage à ce sujet.
Cet organisme fait très bien son travail. Nous avons quatre grands organismes de réglementation au Royaume-Uni, dans les domaines des finances, de la médecine, du droit et des médias, qui sont assez bien financés. Ce n’est peut-être pas ce qu’ils vous diraient, mais je pense que c’est le cas. Ils recrutent aux échelons les plus élevés de l’industrie et de la fonction publique. Celui chargé des médias était axé autrefois sur les médias détenteurs d’une licence, c’est-à-dire la télévision, la radio et la téléphonie mobile. Ce que je trouvais difficile, c’est qu’ils semblaient meilleurs pour gérer des partenariats que pour traiter avec les géants de la technologie, avec leurs avocats coriaces et leur attitude libertarienne. Il est vrai qu’ils ont passé pas mal de temps — deux ans et demi, ce qui est plus long que je ne l’aurais voulu — avec les entreprises technologiques pour peaufiner les règlements. Cependant, je dois les féliciter parce qu’il s’est avéré qu’ils ont fait du bon travail, je pense, et que jusqu’à maintenant, tout se passe bien. Le 25 juillet, il y a eu un changement important et palpable dans l’expérience en ligne pour les enfants. Le dur travail de mobilisation et de rédaction de milliers et de milliers de pages de règlements, ce qui représente un effort extraordinaire, s’est révélé efficace jusqu’à maintenant.
J’ajouterais simplement que nous ne savons pas ce qui se profile à l’horizon avec la pornographie améliorée par l’intelligence artificielle. Cela me terrifie au plus haut point, et je m’inquiète de l’impact que cela aura sur l’imagination et sur les esprits malléables de nos enfants. Je suis très heureux que nous ayons mis en place une sorte de barrière, mais il va falloir revoir cela très bientôt.
La sénatrice Clement : Je vous remercie tous les deux de vos témoignages et de votre travail.
Deux choses m’ont frappé, lord Bethell, dans vos interventions. Je vais vous poser une question au sujet des atteintes à la protection des données et de l’importance du risque de détruire ces renseignements. Je vais aussi vous poser une question au sujet de votre commentaire sur la façon dont les enfants expriment leur soulagement. Je sais que vous avez mené de vastes consultations, ou que la commissaire l’a fait. Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet des enfants qui expriment leur soulagement, et aussi de la façon dont vous avez pris connaissance de cela? Vous avez dit qu’il existe des preuves qu’on se débarrasse des données. Comment le savez-vous?
[Français]
J’aimerais aussi avoir la réaction de Mme Pécaut-Rivolier aux mêmes questions.
[Traduction]
Lord Bethell : Le cadre auquel je pense, ce sont les témoignages de la commissaire à l’enfance et d’autres intervenants, selon lesquels la plupart des enfants aimeraient que les médias sociaux n’existent pas. Si vous demandez aux enfants s’ils seraient prêts à débourser de l’argent pour être sur Instagram, Facebook et Discord, ils répondent qu’ils ne paieraient pas un sou. En fait, ils paieraient pour que d’autres personnes n’y soient pas. Cette énorme pression sociale pour être sur les médias sociaux est devenue un véritable fardeau pour nos enfants. L’un des aspects du problème, c’est ce contenu pornographique incessant qui leur est imposé par les algorithmes, les intimidateurs et les prédateurs.
La commissaire à l’enfance a fait beaucoup de travail. Je vous encourage à l’inviter si possible, mais je peux vous en dire un peu plus à son sujet. Elle est très impressionnante. Elle a recueilli les témoignages très francs des enfants eux-mêmes, qui ont ressenti pendant des années cette énorme pression — la confusion, la pression morale, la pression de tous les autres enfants qui regardent et réagissent —, ainsi que le racisme, la misogynie et la violence de cette pornographie qui font partie de leur vie et qui touchent particulièrement les filles. Si vous me permettez d’ajouter un mot au sujet des garçons, je dirais qu’ils ne vont pas très bien. Ils ont beaucoup de mal à maintenir leurs relations. Ils sont confus quant à leur rôle dans la société, et cette pornographie leur a donné une idée très bizarre de la façon dont ils devraient interagir avec les autres garçons et avec les filles.
Je pense vraiment que c’est l’un des aspects les plus dommageables de la société moderne, même si je suis favorable à la technologie. Je ne suis pas réactionnaire et je ne veux pas revenir en arrière. Je veux embrasser la technologie et tous les avantages qu’elle nous apporte, mais cette contamination qui a été promue par les grandes sociétés technologiques, par des hommes qui ne comprennent pas la différence entre les enfants et les adultes et qui ne se rendent pas compte du tort causé, particulièrement aux filles, par le contenu à caractère sexuel, est un désastre qui dure depuis 30 ans. Je pense que nous devrions revenir en arrière et essayer de changer les choses.
La sénatrice Clement : Merci. Qu’en est-il des atteintes à la protection des données?
Lord Bethell : Jusqu’à présent, tout va bien. C’est certain qu’il y aura une atteinte à la protection des données. Cela ne fait aucun doute. Chaque fois que des données sont recueillies, il y a une possibilité qu’elles réapparaissent quelque part. Cela se produit partout. La seule chose que je dirais, c’est qu’il y a déjà eu une tonne d’atteintes à la protection des données par les sites pornographiques. Il suffit de consulter CheckYourName pour voir ce qui a été fait. Je suis impressionné jusqu’à maintenant.
Ce que j’aimerais, c’est qu’Amazon, Google et Meta utilisent leur technologie, leurs protocoles de cybersécurité et leurs infrastructures de plusieurs milliards de livres pour appuyer ce système de vérification de l’âge. Comme Mme Pécaut-Rivolier l’a expliqué, jusqu’à maintenant, nous dépendons en grande partie de tierces parties, et il y a une bonne raison à cela, les gens faisant parfois plus confiance à des tiers qu’aux fournisseurs traditionnels, mais ce n’est probablement pas une solution à long terme. Mark Zuckerberg sait comment résoudre ce problème. Il a réglé des problèmes beaucoup plus importants que de garder les enfants à l’abri de la pornographie. Il est temps qu’il utilise une partie de son argent, de son intelligence et de sa créativité pour résoudre ce problème, et c’est vraiment dommage qu’il ne l’ait pas fait jusqu’à présent.
La sénatrice Clement : Merci.
Madame Pécaut-Rivolier?
[Français]
Mme Pécaut-Rivolier : Nous avons réalisé une étude publiée la semaine dernière — je vous la ferai parvenir —, qui montre que les mineurs disent eux-mêmes qu’ils ne se sentent pas en sécurité, effectivement. Évidemment, ils fréquentent beaucoup les réseaux sociaux et les sites pornographiques, mais il n’y a pas assez d’encadrement. Ils en réclament un et ils voudraient que les adultes comprennent mieux ce qui se passe, quitte à contourner cet encadrement. Évidemment, la jeunesse est là pour essayer de contourner les règles. Les jeunes demandent des règles pour être plus rassurés. Nous avons une étude qui quantifie cette demande des mineurs.
En ce qui concerne les données personnelles, je rejoins ce que disait lord Bethell : on a un dispositif qui est le plus sécurisé possible. Évidemment, on n’est pas à 100 % dans la garantie actuellement, mais on est sûrement dans une meilleure garantie de protection des données personnelles qui passent par ce double anonymat que lorsque les données étaient recueillies par les sites pornographiques jusqu’à présent. Avec ce système de portefeuille européen dans lequel nous fondons beaucoup d’espoir, nous aurons une garantie qui sera pour le coup quasiment totale, puisque cela passera par un système ultra sécurisé au sein des États.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci beaucoup à tous les témoins.
Ma question s’adresse à vous deux. Comment les dispositions législatives que vos administrations respectives ont mises en place ont-elles interagi avec le travail de lutte contre la violence qui se fait dans vos pays, particulièrement en France? Nous sommes au courant du cas très médiatisé de Mme Pelicot et des efforts déployés pour lutter contre la violence, en particulier celle à l’endroit des femmes et des enfants.
De plus, d’après votre expérience, quel a été l’impact des sanctions financières? Je vous ai bien entendu, lord Bethell, en ce qui concerne les peines d’emprisonnement. D’après ma longue expérience de travail dans ce domaine, cela signifie habituellement que les entreprises prennent des avocats et que très peu de gens sont tenus responsables. Je suis curieuse de savoir comment les pénalités financières ont réglé ce problème.
Peut-être que Mme Pécaut-Rivolier pourrait répondre en premier, puis lord Bethell.
[Français]
Mme Pécaut-Rivolier : Nous avons beaucoup renforcé le rôle de la justice par rapport à la cybercriminalité. Effectivement, je crois qu’il fallait prendre conscience de l’importance de ce phénomène et du fait que nos lois actuelles et notre manière d’agir n’étaient pas adaptées à la rapidité, à la violence et à la manière dont les choses se déroulaient. Maintenant, nous avons notamment en France un parquet spécialisé en cybercriminalité et nous avons des juges et des policiers de plus en plus formés sur ces questions.
Nous avons aussi une opinion publique qui est maintenant sensibilisée par rapport à ces questions — à cause d’affaires récentes, malheureusement —, ce qui fait qu’il y a une véritable volonté et une acceptation de la part de tous de règles plus fortes et mieux appliquées contre ces violences. Nous avons l’impression que cet ensemble de choses fait que nous sommes mieux en mesure de répondre à ces situations qu’avant, mais nous ne sommes pas au bout de nos peines et nous y travaillons chaque jour davantage. L’autorité de régulation française travaille main dans la main avec les autorités de police et de justice pour faire en sorte que chacun, dans sa zone de compétence, puisse être efficace et faire avancer les choses.
[Traduction]
Lord Bethell : Nous avons eu une expérience légèrement différente au Royaume-Uni. Les versions originales du projet de loi — en passant, il a fallu près de sept ans pour le faire adopter par le Parlement — visaient à s’attaquer à un très large éventail de préjudices et de problèmes en ligne, y compris l’extrémisme et la violence en ligne. Il a été restreint — à juste titre, selon moi — pour mettre l’accent sur les enfants et les dommages causés aux enfants. D’un point de vue politique, en tant que parlementaire, il m’a été plus facile de défendre la protection des enfants que de m’attaquer aux problèmes très vils, importants, mais délicats, des préjudices et de la violence en ligne.
Je dirais aussi qu’en tant que tactique législative, j’ai trouvé qu’il était plus facile de surveiller le périmètre que de s’attaquer à l’algorithme. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a d’autres enjeux que nous avons cherché à résoudre, notamment en ce qui a trait aux idées suicidaires, à l’anorexie et à d’autres problèmes en ligne — ce que nous appelons les préjudices — et qui ont réellement à voir avec la réglementation du fonctionnement de l’algorithme. J’aimerais que les grandes entreprises de technologie soient suffisamment responsables pour utiliser des algorithmes de façon réfléchie avec les enfants, mais il est difficile de leur dire comment faire. Il s’agit de leur modèle de base. Les enfants sont à l’origine d’environ 25 % des pages vues. Les préjudices sont un important accélérateur du nombre de pages vues. Il ne faut pas se faire d’illusions. La raison pour laquelle ils utilisent leurs algorithmes pour promouvoir la pornographie et les préjudices causés aux enfants, c’est que cela suscite beaucoup d’attention et leur rapporte beaucoup d’argent. Il s’agit d’une décision commerciale et ouverte prise par les grandes entreprises de technologie. À notre avis, la surveillance du périmètre était plus facile à appliquer. Cela ne règle pas tous les problèmes, mais si vous tenez la pornographie à l’écart, vous avez déjà fait des progrès, et personne ne peut penser que c’est une bonne idée que les enfants regardent de la pornographie, même pas Mark Zuckerberg. Donc, d’un point de vue politique, c’est plus facile à réussir.
J’ai bien peur de devoir dire que cela n’a pas été lié à une lutte contre la violence faite aux femmes à l’extérieur d’Internet. C’est la prochaine chose à régler pour nous. Je pense que c’est un peu décevant, mais c’est simplement la façon dont les choses se sont déroulées au Royaume-Uni. Je suis conscient de l’affaire Gisèle Pelicot en France. Nous ne faisons pas face à une telle situation à l’heure actuelle, alors cela ne fait pas partie du débat national de la même façon.
Pour ce qui est des amendes, il n’y en a pas eu jusqu’à maintenant. Des entreprises ont été interpellées. Elles ne sont pas tendres à l’égard de ceux qui veulent leur faire la leçon. Je souhaiterais qu’il n’y ait pas d’amendes. Je veux que cela se fasse dans le cadre d’un partenariat, de façon consensuelle, les règlements devant être pris raisonnablement, par délibération et en partenariat, mais il y aura des gens qui essaieront de mettre la loi à l’épreuve, et je ne veux pas voir quiconque aller en prison. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, sénatrice. Ils peuvent faire appel à des avocats, mais la menace de prison, nous l’avons constaté — certainement dans le milieu des finances —, signifie qu’ils ne peuvent pas se contenter de payer des amendes et poursuivre leurs activités. Il faut que les comportements s’adaptent. J’en reviens à ce que j’ai dit tout à l’heure. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles les grandes entreprises technologiques et les grands producteurs de pornographie sont entrés dans le rang au Royaume-Uni, c’est que lorsqu’ils se sont rendu compte des conséquences juridiques du non-respect de la loi et du fait qu’ils pouvaient se retrouver en prison, aucun d’entre eux n’a voulu s’engager dans cette voie.
Le sénateur K. Wells : Je vous remercie tous les deux de nous consacrer du temps aujourd’hui.
Nous avons entendu beaucoup de préoccupations au sujet de la vérification par des tiers et du risque d’atteinte à la protection des données. En fait, lord Bethell, je crois que vous avez dit que ces risques étaient inévitables. Je me demande si nos deux témoins pourraient nous dire quelles sont les conséquences prévues dans le projet de loi pour les tiers qui contreviennent aux exigences en matière de sécurité et de protection des données, et si des sanctions ont effectivement été appliquées dans vos administrations respectives. Lord Bethell, je vous en prie.
Lord Bethell : J’espérais que Mme Pécaut-Rivolier commence, parce qu’elle s’occupe de réglementation. Je vais répondre brièvement.
La cybersécurité est couverte par une pléthore de lois. Ce n’était pas le rôle du projet de loi sur la sécurité en ligne d’instaurer un règlement sur l’information. Nous avons un commissaire à l’information, et c’est un dur à cuire. Il pourrait être très sévère à l’égard des personnes qui pourraient enfreindre les règles de sécurité des données, et celles-ci pourraient voir leurs entreprises fermer leurs portes.
L’industrie de la pornographie et d’autres entreprises de médias sociaux, comme TikTok, sont celles qui ont le plus contrevenu aux lois sur la sécurité des données. TikTok a le record du Royaume-Uni pour la plus grosse amende, soit 29 millions de dollars, pour ses atteintes à la protection des données. C’est le monde dans lequel nous vivons en ce moment. Je ne pense pas que les atteintes à la protection des données soient une raison de s’inquiéter au sujet de ce projet de loi.
Le sénateur K. Wells : Qu’en est-il précisément de la vérification de l’âge par une tierce partie que vous utilisez? Y a-t-il eu des atteintes à la protection des données et, le cas échéant, quelle responsabilité ou quelles sanctions ont été imposées aux entreprises qui stockent et conservent ces renseignements, les donnent ou les vendent à des tiers?
Lord Bethell : Je ne suis au courant d’aucune atteinte à la protection des données depuis le 25 juillet. J’ai pris connaissance d’un cas où l’une des tierces parties avait fixé à tort l’âge à 23 ans, je crois, plutôt qu’à 18 ans, pour la reconnaissance faciale, ce qui, bien sûr, a ouvert l’accès à plus de gens que prévu. Ils ont été réprimandés et je crois qu’on leur a imposé une amende pour cela, et leur cas a été consigné sur le site Web de l’ICO. Nous examinons tout cela de près, mais je ne suis au courant d’aucune atteinte grave à la protection des données jusqu’ici.
Le sénateur K. Wells : Excellent. Je me tourne maintenant vers notre spécialiste de la réglementation.
[Français]
Mme Pécaut-Rivolier : En ce qui nous concerne, effectivement, la loi nous a obligés à travailler sur un référentiel technique à deux autorités : l’autorité Arcom, donc la régulation des communications audiovisuelles, et la CNIL, qui est spécialisée dans la régulation des données personnelles. Nous avons conçu les obligations techniques comme devant être respectueuses des données personnelles. Cela signifie que lorsque le site pornographique a recours au double anonymat en passant par des sociétés tierces, ces dernières prennent des engagements de respect des données personnelles; si elles ne les tiennent pas, elles tombent sous le coup des textes de droit civil et des textes de droit pénal qui sont applicables en cette matière.
Encore une fois, c’est une situation transitoire. Nous sommes très attentifs à tous les autres modes de vérification de l’âge, notamment la reconnaissance faciale, dont a parlé lord Bethell, qui évacue tous ces problèmes de données personnelles, car à ce moment-là il y a juste une reconnaissance de l’âge sans identité, donc cela ne pose plus de problème. Ce n’est pas encore totalement au point, mais c’est en train d’évoluer positivement. Il y aura le portefeuille européen. Pour l’instant, cela tient à des tiers dignes de confiance et qui sont passibles de sanctions pénales s’ils ne respectent pas les données personnelles. Demain, normalement, nous n’aurons même plus cette difficulté.
[Traduction]
Le sénateur K. Wells : Vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question au sujet des atteintes à la protection de la vie privée qui ont été commises. AI Forensics en a signalé une concernant AgeGO en France. Quelles ont été les conséquences? Ces plateformes de vérification par des tiers ou les entreprises avec lesquelles vous travaillez conservent les données et effectuent la vérification, et lorsque des atteintes se produisent, quelles sont les conséquences, ou y a-t-il des conséquences? Ma question concerne Arcom et la situation en France.
[Français]
Mme Pécaut-Rivolier : Pour l’instant, nous n’avons pas eu de plaintes pour signaler des fuites de données en lien avec la question de la vérification de l’âge. Comme je vous le disais, si nous en avons, ce sera traité dans le cadre des textes existants qui, en droit civil et en droit pénal, incriminent le fait de pouvoir divulguer des données personnelles confiées dans un but de protection. Pour l’instant, à ma connaissance, il n’y a pas eu de plaintes à ce sujet.
[Traduction]
Le sénateur K. Wells : Merci.
Le président : Lord Bethell, j’ai une question à vous poser au sujet du coût de la réglementation. J’aimerais comprendre quel a été l’engagement budgétaire total pour les programmes de vérification de l’âge et de sécurité en ligne de l’Ofcom depuis 2023. D’après les dossiers publics, il y a eu plus de 160 millions de livres en financement initial, et entre 60 et 90 millions de livres additionnels par année par la suite. Hier, un témoin nous a dit que l’Ofcom mène actuellement une soixantaine d’enquêtes qui, bien sûr, donnent lieu à des poursuites. De plus, vous avez ce que vous appelez un système très robuste. Est-il exact de dire que les comptes de l’Ofcom montrent qu’il y a environ 1 500 employés et un laboratoire technique en ligne spécialisé dans la sécurité pour aider à réglementer ce domaine de la législation au Royaume-Uni?
Ma question est essentiellement la suivante : si le Parlement du Canada promulguait une loi comme le projet de loi S-209, mais que le gouvernement ne fournissait pas de nouveaux fonds ou de nouveaux pouvoirs à un organisme d’application de la loi, vous attendriez-vous à ce qu’un tel système échoue et ne connaisse pas le même succès qu’au Royaume-Uni?
Lord Bethell : Merci, sénateur.
Oui, le coût est un facteur très important, tant pour ce qui est du coût financier d’un organisme de réglementation que des frictions avec l’industrie et de l’impact sur les investissements au Royaume-Uni. C’est sans aucun doute une question importante. J’ose penser que cela a fait de la Grande-Bretagne un endroit plus intéressant où investir pour les entreprises de technologie. Je crois que nous contribuons à faire valoir une expérience Internet plus sécuritaire, plus durable et plus résiliente pour les familles.
En ce qui concerne les chiffres que vous m’avez présentés, j’ai bien peur de dire qu’ils ne me semblent pas exacts, sénateur. Le budget total de l’Ofcom en 2024-2025 était de 168 millions de livres, ce qui comprenait toute la réglementation pour toutes les compagnies de téléphonie mobile, toutes les compagnies de télévision, tout l’Internet et toute la radio. J’ai bien peur de devoir dire que ce chiffre n’est pas tout à fait exact. Je me ferai un plaisir d’écrire au comité et de vous donner des chiffres détaillés, mais c’est loin des 160 millions que vous avez mentionnés, je crois.
Pour ce qui est du nombre de personnes, il est beaucoup moins cher de contrôler la vérification de l’âge que d’essayer de restreindre les activités en ligne, ce qui exige beaucoup de personnel. Je reviens à ce que j’ai dit tout à l’heure au sujet du contrôle des barrières. C’est beaucoup moins cher que d’essayer de régler le problème des algorithmes. Voilà pourquoi c’est un bon point de départ. Cela ne veut pas dire que les algorithmes ne sont pas importants. J’aimerais que nous puissions tenir les grandes sociétés technologiques beaucoup plus responsables de la façon dont elles programment leurs algorithmes, mais c’est encore une boîte noire et c’est une victoire juridique que nous n’avons pas gagnée.
Oui, il y a un coût. Nous avons une taxe sur les services en ligne ici au Royaume-Uni, et je crois qu’elle est d’environ 2 %. Le coût de la vérification de l’âge ne représente qu’une infime fraction de ce que nous procure cette taxe en ligne.
Le président : Je remercie tous les témoins qui ont comparu aujourd’hui.
Honorables sénateurs et sénatrices, pour la suite de notre étude du projet de loi S-209, nous recevons aujourd’hui en personne Natalie Campbell, de l’Internet Society, ainsi que Penelope Rankin du Conseil national des femmes du Canada. Nous accueillons également par vidéoconférence Monique St. Germain, avocate générale du Centre canadien de protection de l’enfance et Tamir Israel, de l’Association canadienne des libertés civiles. Merci.
Nous allons commencer par une brève déclaration préliminaire de chacun d’entre vous, d’environ trois ou quatre minutes, afin que les sénateurs aient la chance de poser les nombreuses questions qu’ils ont pour vous.
Me Monique St. Germain, avocate générale, Centre canadien de protection de l’enfance : Je remercie le comité de m’avoir invitée à témoigner aujourd’hui. Je m’appelle Monique St. Germain et je suis avocate générale du Centre canadien de protection de l’enfance, un organisme de bienfaisance national dont le but est de réduire le nombre de cas d’enfants disparus ou exploités sexuellement. Nous appuyons les objectifs du projet de loi S-209 et nous sommes favorables à un dialogue continu sur ce sujet important.
Nous exploitons Cyberaide.ca, une ligne de signalement des crimes contre les enfants commis en ligne au Canada. En date du 31 mars, près de 450 000 signalements avaient été traités par cette voie. Nous gérons également le Projet Arachnid, qui s’occupe principalement du retrait du matériel en ligne lié à des abus sexuels commis sur des enfants. Dans la grande majorité des cas, les signalements concernent soit du matériel sexuel relatif à un enfant, soit des délinquants qui communiquent en ligne avec des enfants, mais depuis le lancement, nous avons également reçu de nombreux signalements de matériel sexuel ou de contenu concernant des adultes ou des personnes dont il n’est pas possible de déterminer l’âge.
Nous recevons ces signalements parce qu’il n’y a vraiment pas d’autre façon pour les Canadiens de faire part de leurs préoccupations au sujet de ce contenu. Ce que nous voyons, c’est que le contenu sexuellement explicite, qu’il concerne un enfant ou un adulte, est de plus en plus troublant et comprend des éléments de sadisme, d’asservissement, de torture et de bestialité. Le contenu est de plus en plus violent et, pour ce qui est des enfants, les victimes semblent être de plus en plus jeunes. Il est très difficile pour nos analystes d’évaluer le matériel relatif aux enfants qui nous arrive, alors nous avons dû faire de notre mieux pour limiter leur exposition à la pornographie adulte, qui est tout simplement trop horrible. Il importe de comprendre que si cela figure dans un signalement qui nous est fait et que nous pouvons facilement y accéder en un clic de souris, alors un enfant peut aussi.
Cyberaide existe depuis 2022. Entretemps, la technologie a évolué à une vitesse vertigineuse et les torts causés aux enfants s’accumulent. Nous savons que beaucoup de choses ont été faites pour veiller à ce que les personnes qui maltraitent des enfants rendent des comptes, en supposant que nous puissions les identifier et les poursuivre, mais c’est une tout autre question. On ne peut pas en dire autant d’un autre joueur crucial, les plateformes en ligne. Il s’agit d’entreprises qui facilitent non seulement les contacts des prédateurs avec les enfants, mais qui rendent aussi accessibles et amplifient le contenu néfaste.
Avant Internet, il était bien entendu que le fait d’exposer les enfants à la pornographie leur causait des préjudices. Depuis l’avènement d’Internet, le débat tourne autour de la nécessité de protéger la vie privée des adultes et leur droit présumé à une confidentialité absolue en ligne.
Nous savons que pour s’attaquer aux problèmes en ligne, il ne faut pas se limiter à une chose et qu’il n’y a pas de solution miracle, mais au cours des huit dernières années, notre organisation a comparu ou présenté des mémoires sur ce sujet à plusieurs reprises.
Il y a d’abord eu la motion M-47, qui visait à étudier les effets sur la santé publique de la facilité d’accès à la pornographie. À l’époque, on s’inquiétait du fait que des algorithmes servaient à diffuser de la pornographie sans qu’un utilisateur l’ait cherchée. Maintenant, le problème des algorithmes est encore pire. Le contenu prolifère non seulement sur les sites pour adultes, mais aussi sur des plateformes comme X.
Le 11 avril 2017, notre directrice générale a comparu devant le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, qui étudiait la motion M-47. Elle s’est dite profondément préoccupée par la prévalence de la pornographie de plus en plus troublante, qui est librement accessible, et par la facilité d’accès à ce contenu pour les mineurs. C’était il y a huit ans, et à ce moment-là, elle faisait référence à une quantité croissante de recherches établissant un lien entre la pornographie vue par les adolescents et de nombreux résultats négatifs pour la santé, comme les agressions, la toxicomanie, la dépression, les comportements sexuels à risque et la déviance sexuelle.
Depuis, nous avons eu le projet de loi S-203, le projet de loi S-210 et, en 2024, l’étude du Comité permanent du patrimoine canadien sur les préjudices causés par le matériel sexuellement explicite.
Dans toutes les présentations auxquelles nous avons participé, nous sommes demeurés convaincus que la grande disponibilité de la pornographie sur Internet est un problème auquel il faut s’attaquer. Le fardeau de la gestion de ces préjudices est toujours assumé par les parents. Pendant que ce débat fait rage, toute une génération d’enfants a été laissée pour compte. Il est temps d’aller de l’avant et d’essayer quelque chose. D’autres pays le font, et la technologie s’est grandement améliorée, au point où il est possible à la fois de protéger les enfants et de respecter la vie privée des adultes. Nous saluons ces efforts et nous sommes reconnaissants à la sénatrice Miville-Dechêne et au comité d’avoir persévéré dans leur quête d’une solution viable.
Merci.
Le président : Merci.
Natalie Campbell, directrice principale, Affaires gouvernementales et réglementaires nord-américaines, Internet Society : Je remercie le comité sénatorial de m’avoir invitée à comparaître au sujet du projet de loi S-209.
Je m’appelle Natalie Campbell et je suis mère de deux enfants. C’est mon premier emploi. Je suis également directrice principale des Affaires gouvernementales et réglementaires de l’Amérique du Nord à l’Internet Society.
L’Internet Society apprécie les efforts de la sénatrice Miville-Dechêne et du comité concernant la sécurité des enfants en ligne. Nous sommes une organisation mondiale composée de nombreux parents et fournisseurs de soins, comme moi-même, qui travaillent tous pour faire en sorte qu’Internet s’adresse à tout le monde et que tout le monde puisse vivre des expériences sécuritaires en ligne, surtout les enfants. Pour ce faire, nous appuyons des solutions communautaires visant à offrir un accès rapide et abordable à Internet dans certains des endroits les plus difficiles à brancher au monde. Nous aidons également les décideurs à comprendre comment ces types de dispositions législatives visant la sécurité en ligne pourraient involontairement miner nos objectifs communs d’un Internet plus sûr et ce qui doit venir au premier plan.
Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que les enfants ne devraient pas être exposés à du contenu pornographique, surtout involontairement. La vérification de l’âge peut aider à protéger les enfants contre des expériences en ligne non désirées ou inappropriées, mais la façon dont ces vérifications sont effectuées revêt une grande importance parce qu’elles comportent toutes des compromis et qu’aucune n’est à l’abri du risque d’atteinte à la protection des données.
Nous voyons une vague de propositions de ce genre à l’échelle mondiale, avec un large éventail de méthodes, allant de l’obligation pour les utilisateurs de télécharger des pièces d’identité du gouvernement à la numérisation faciale, en passant par le recours à des courtiers en données tiers. Bien que ces mesures découlent d’un désir légitime de protéger les enfants, elles créent souvent des risques nouveaux et importants pour leur vie privée, leur sécurité et même leur capacité d’accéder à Internet. Bon nombre de ces risques sont pris en compte dans le projet de loi S-209.
Nous apprécions le travail accompli pour améliorer ce projet de loi. La nouvelle version n’est pas parfaite, mais il est clair que ceux qui la parrainent ont travaillé fort pour répondre aux préoccupations des intervenants.
L’Internet Society a plusieurs préoccupations au sujet du projet de loi S-209, mais compte tenu du temps limité dont nous disposons, je vais me concentrer sur deux d’entre elles.
Premièrement, la vérification de l’âge. En tant que mère, je suis évidemment très préoccupée par la sécurité de mes enfants en ligne et je comprends ma responsabilité personnelle à cet égard. Je comprends aussi pourquoi je ne peux pas faire confiance à un service en ligne pour leurs données personnelles. C’est une contradiction qui constitue un fardeau pour les parents et représente une complexité de la politique de vérification de l’âge. Je ne veux pas que mes enfants soient suivis en ligne, et je ne veux pas que des gens mal intentionnés aient accès à leurs renseignements personnels en cas de violation, ou parce que les gens voient qu’ils sont des enfants. Alors, comment pouvons-nous assurer la sécurité de nos enfants et protéger leur vie privée et celle de tout le monde en ligne? Les mères comme moi veulent que ce soit plus facile et plus sécuritaire. Nous avons besoin de mesures pour assurer la sécurité des enfants et protéger nos renseignements délicats.
Le projet de loi S-209 envisage des mesures de sauvegarde importantes. Il réduit l’éventail des entités tenues de procéder à la vérification de l’âge. Nous sommes reconnaissants des efforts déployés pour éviter d’imposer cette obligation aux services qui assument des fonctions importantes dans l’infrastructure d’Internet et qui ne sont pas toujours au courant du contenu qui transite par leurs réseaux. Cela réduira le nombre de services tiers auxquels les gens devront confier leurs données les plus confidentielles simplement pour utiliser Internet.
Mais les exclusions bien intentionnées du projet de loi sont encore trop vagues pour fournir une certitude juridique. Elles peuvent encore couvrir de nombreux services participant au fonctionnement de base d’Internet et des communications privées. On a également besoin de mesures garantissant qu’aucune entité contrôlée ne soit obligée de contourner, d’affaiblir ou de compromettre des outils de sécurité cruciaux comme le chiffrement pour se conformer à la loi. Le chiffrement est notre bouclier le plus efficace pour protéger la vie privée et la sécurité en ligne, surtout en l’absence d’une loi moderne sur la protection des renseignements personnels au Canada.
Il y a ensuite le blocage de contenu. Le projet de loi prend acte du fait que des ordonnances judiciaires pourraient mener à un verrouillage excessif de contenus légitimes, bien qu’il n’y ait aucune mesure de sauvegarde. Mais le plus troublant est que la définition de « fournisseur de services Internet » est très large. Dans l’état actuel des choses, les tribunaux pourraient facilement délivrer des ordonnances de blocage à des cafés, des centres communautaires, des bibliothèques publiques et des universités offrant un accès public à Internet. Cela pourrait également viser des dizaines de petits réseaux communautaires sans but lucratif, de la collectivité arctique d’Ulukhaktok au North End Connect de Winnipeg, qui offrent une connectivité abordable aux localités mal desservies partout au Canada. Visé par une ordonnance judiciaire, n’importe lequel d’entre eux serait probablement contraint de cesser ses activités puisqu’ils manquent, pour la plupart, de l’expertise, des ressources ou des moyens financiers nécessaires pour mettre en place de coûteux mécanismes de blocage de contenu. Et cela aurait un impact disproportionné sur les communautés autochtones.
Par ailleurs, le blocage de contenu est inefficace et présente, pour la sécurité, des risques qui compromettent les objectifs du projet de loi. L’époque où les magasins de location de vidéos dissimulaient du contenu pour adultes derrière des rideaux est révolue. Le matériel resterait accessible à quiconque serait déterminé à trouver une solution de contournement, comme des sites et des applications douteux et les nombreux sites Web qui ne respecteraient tout simplement pas le projet de loi.
Nous voulons tous que les enfants soient en sécurité en ligne. Malheureusement, ce projet de loi nuit à la possibilité d’atteindre cet objectif. Il pourrait finir par empêcher certains enfants d’accéder aux sites Web pour adultes, mais les risques l’emportent de loin sur les objectifs.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Nous entendrons maintenant M. Tamir Israel, de l’ACLC. Veuillez être bref, monsieur.
Tamir Israel, directeur, Programme sur la protection des renseignements personnels, la surveillance et les technologies, Association canadienne des libertés civiles : Je ferai de mon mieux.
Honorables sénateurs et sénatrices, bonjour et merci de nous avoir invités à témoigner sur le projet de loi S-209.
La vérification de l’âge est un processus complexe et difficile à réglementer, qui met en cause la vie privée de tout le monde en ligne. Cela peut également avoir un effet paralysant puisque certaines personnes hésiteront à fournir une pièce d’identité pour accéder à un site Web. Et cela pourrait avoir une incidence disproportionnée sur les personnes 2ELGBTQ.
Nous sommes reconnaissants au comité d’avoir entamé une étude approfondie de cet enjeu et de tenir compte des compromis difficiles qui découlent des exigences législatives relatives à la vérification de l’âge. Nous accueillons favorablement l’ajout de garanties essentielles dans cette version du projet de loi pour répondre aux préoccupations légitimes en matière de libertés civiles que soulevait la version antérieure. Nous avons encore des réserves, et je vais concentrer la majeure partie de mon témoignage d’aujourd’hui sur certaines d’entre elles.
Avant d’en parler, je tiens à souligner qu’il s’agit d’un écosystème qui évolue rapidement et que de nouvelles mesures et contre-mesures sont constamment mises au point, avec des mécanismes de vérification de l’âge qui continuent d’être lacunaires. Comme vous le savez, il y a déjà eu des atteintes à l’intégrité des données, une augmentation substantielle de l’utilisation des réseaux privés virtuels et une baisse importante du trafic vers les sites Web conformes. Une étude indépendante effectuée au Royaume-Uni a révélé des baisses de trafic allant jusqu’à 50 % pour les sites Web conformes et une certaine augmentation du trafic vers les sites non conformes au cours de la même période. Des mécanismes de vérification de l’âge continuent également d’être élaborés, dont des solutions qui préservent mieux la vie privée que les mécanismes envisagés dans ce projet de loi. Compte tenu de cette évolution rapide, nous vous invitons à ne pas légiférer trop vite.
Concernant plus particulièrement le projet de loi S-209, nous sommes toujours inquiets du risque qu’il couvre trop large. De façon générale, l’application du projet de loi est trop souvent laissée à la discrétion du gouvernement, alors qu’elle devrait être confiée à un organisme de réglementation indépendant.
Plus précisément, l’ajout de l’article 6 est tout à fait bienvenu. Cela dit, nous sommes très inquiets du point de vue exprimé par le comité ce matin, à savoir que les plateformes de médias sociaux pourraient quand même être directement visées, en dépit de cet article. Nous aimerions avoir des précisions à ce sujet.
Nous sommes également préoccupés par le fait que les avis communiqués en vertu de l’article 9 pourraient servir à imposer des conditions aux plateformes de médias sociaux pour qu’elles soient considérées comme des transmetteurs fortuits et involontaires de contenus sexuellement explicites. Si c’était le cas, cela transformerait effectivement le projet de loi en un système de modération du contenu, mais il n’est pas conçu pour le faire efficacement. C’est pourquoi nous vous invitons instamment à envisager plutôt un mécanisme qui ne s’appliquerait qu’aux services en ligne fonctionnant principalement dans le but de rendre du contenu explicite accessible au public à des fins commerciales.
Nous nous inquiétons aussi du fait que les organismes réglementés pourraient être obligés de bloquer les réseaux privés virtuels en vertu de l’article 9 et que cet article pourrait servir à compromettre les services de chiffrement de bout en bout sécurisés et de messagerie privée. Ce serait une mesure tout à fait exagérée, et nous recommandons que ce genre de répercussions soient explicitement interdites par le projet de loi.
Enfin, nous sommes préoccupés par l’inclusion de dispositions sur le blocage des sites Web. Ces dispositions pourraient être déclenchées par une seule contravention appliquée à un fournisseur de services Internet et ne prévoient pas de pouvoir discrétionnaire. Nous sommes d’avis que c’est une mesure exagérée.
Brièvement, nous avons également des préoccupations liées à l’intelligence artificielle. Le Canada n’a pas de cadre fédéral pour l’IA, et les mécanismes de vérification de l’âge reposent souvent sur des algorithmes d’intelligence artificielle dont on sait qu’ils sont imparfaits à plusieurs égards. Par exemple, les déclarations générales sur l’exactitude de ces algorithmes masquent souvent des taux d’erreur nettement plus élevés quand les mécanismes de vérification de l’âge sont évalués en fonction de données démographiques précises. Le projet de loi S-209 exige effectivement que les méthodes de vérification de l’âge définies en vertu de l’article 12 soient très efficaces, mais il n’exige pas qu’elles soient évaluées régulièrement, et il n’y a pas non plus de mécanisme pour le faire.
Très brièvement, en matière de protection de la vie privée, le Canada dispose effectivement d’un cadre fédéral efficace, mais celui-ci comporte certaines lacunes qui, à notre humble avis, soulèvent des questions pour ce projet de loi. Par exemple, la LPRPDE, notre loi fédérale sur la protection des renseignements personnels, ne s’applique qu’au traitement des données dans le cadre d’activités commerciales. Il est possible, et même préférable, qu’une entité sans but lucratif devienne le tiers fournisseur de services de vérification de l’âge envisagé par le projet de loi S-209, mais, dans ce scénario, la LPRPDE ne serait pas applicable.
Nous sommes également inquiets du fait que le projet de loi S-209 permettrait la conservation, la préservation et la divulgation des données personnelles lorsque la loi l’exige. Les fournisseurs pourraient être légalement tenus de conserver et même de divulguer des données personnelles confidentielles à des organismes d’application de la loi étrangers ou nationaux. Rien dans la LPRPDE ne l’empêcherait. Nous vous invitons donc instamment à inclure dans le projet de loi une série plus complète de mesures exécutoires de protection des renseignements personnels et l’obligation d’assurer une certaine surveillance indépendante de leur application.
C’était mon exposé préliminaire pour aujourd’hui. Je vous remercie encore une fois de nous avoir invités à comparaître. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci.
Penelope Mary Rankin, présidente, Conseil national des femmes du Canada : Je vous remercie, au nom du Conseil national des femmes du Canada, de me donner l’occasion d’appuyer sans réserve le projet de loi S-209. Cette mesure législative est nécessaire de toute urgence pour protéger les enfants et les adolescents du Canada d’un environnement numérique saturé de contenu nuisible, notamment de pornographie — contenu qui représente désormais plus de 30 % du trafic Internet mondial dans un secteur dont la valeur annuelle est estimée à 97 milliards de dollars.
Environ 28 000 recherches liées à la pornographie sont effectuées à chaque seconde, soit 8,4 millions de fois dans les cinq minutes dont je dispose. Il est particulièrement troublant que 21 % de ces recherches concernent du matériel violent, misogyne, chosifiant et agressif. En 2019 seulement, Pornhub a déclaré plus de 42 milliards de visites — au point que l’entreprise s’est vantée en disant que, si une personne avait commencé à regarder les nouvelles vidéos publiées cette année-là sans arrêt depuis 1850, elle serait encore en train de les regarder en fin d’année.
Qui donc ne voudrait pas protéger les enfants contre le spectacle d’étranglements non mortels et de viols, qui sont deux exemples flagrants de pornographie sauvage circulant sur Internet?
L’âge moyen de la première exposition se situe entre 9 et 11 ans, parfois moins, et 2,7 millions de jeunes Canadiens âgés de moins de 11 ans sont actifs sur Internet. Un simple calcul mathématique suffit à conclure qu’il ne s’agit pas simplement d’une poignée d’enfants à risque.
Selon les données de Girlguiding, au Royaume-Uni, 73 % des filles estiment que la pornographie en ligne nuit à l’opinion qu’ont les adolescents des relations sexuelles et favorise des stéréotypes sexistes préjudiciables. Des fillettes âgées de 7 à 10 ans ont exprimé leur anxiété devant le spectacle inattendu d’images « grossières », parfois déclenchées par la recherche innocente de jouets pour enfants comme My Little Pony ou Pokémon. Chez les garçons, la surexposition est associée à une dysfonction érectile et à des pensées perturbantes au sujet du sexe et du consentement. « Est-ce que je dois l’étrangler? » sont six mots qui révèlent clairement comment la pornographie nourrit la chosification et une confusion profonde. Nous devons entendre les enfants et leurs voix, leurs préoccupations et leurs luttes. C’est leur vie, après tout.
Les études confirment par ailleurs que ces préjudices peuvent susciter parmi les adolescents exposés à la pornographie des taux plus élevés d’anxiété, de dépression, de faible estime de soi, d’image corporelle déformée et de comportements sexuels problématiques. Le document intitulé Recovery Alberta y ajoute l’agressivité et la délinquance, et on voit clairement qu’il s’agit d’un enjeu important en matière de santé publique.
L’idée répandue — et pour tout dire inexacte — que les très jeunes Canadiens se portent bien est fausse. UNICEF Canada, qui est en faveur de la vérification de l’âge, brosse un tableau différent. Le Canada se classe au 19e rang de 36 pays à revenu élevé sur le plan du bien-être global des enfants et des adolescents. La satisfaction de vivre est en baisse chez les adolescents. L’anxiété, la dépression, l’intimidation et l’isolement social sont endémiques. Le rapport montre clairement que les politiques et les mesures de protection ne répondent pas aux besoins réels des enfants, surtout en matière de sécurité numérique et de soutien en santé mentale.
Changement de propos, le projet de loi S-209 aligne le Canada sur ses obligations en vertu de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, ratifiée il y a 35 ans, où le commentaire 20 exige une protection contre toutes les formes de violence numérique et où le commentaire 25 demande de solides mesures de vérification de l’âge pour protéger les enfants contre le contenu non adapté à leur âge. Ces recommandations, ainsi que le rapport de 2007 du Sénat intitulé Les enfants — des citoyens sans voix : mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants invitent instamment le Canada à agir. C’est ce qu’on appelle le devoir de diligence.
Le plaidoyer du Conseil national des femmes du Canada sur cet enjeu a mobilisé un large soutien diversifié dans la société. Notre lettre ouverte à l’appui du projet de loi S-210, prédécesseur du projet de loi S-209, a été appuyée par 80 organisations nationales, régionales et locales partout au Canada, dont aucune ne s’est retirée s’agissant du projet de loi S-209. Un sondage Léger révèle que 77 % des Canadiens appuient le principe de la vérification de l’âge. Il s’agit là d’un mandat public clair et fort.
L’adoption du projet de loi S-209 est une mesure essentielle dans le cadre de l’engagement juridique et moral du Canada à l’égard des droits et de la sécurité des enfants. En l’absence d’un commissaire indépendant et impartial chargé de défendre et de protéger les droits des enfants, le Conseil national des femmes du Canada ainsi que 80 organisations et de nombreux autres intervenants s’engagent à soutenir le projet de loi et à envisager un environnement numérique où les enfants puissent apprendre, grandir et se développer à l’abri de tout préjudice, et notamment de toute exploitation, car cela arrive. La pornographie est utilisée pour insensibiliser et « éduquer » les victimes de la traite, dont un nombre disproportionné sont des jeunes filles et des femmes. Depuis plus de 132 ans, nous sommes vouées à l’amélioration de la vie des femmes, des enfants et de la société et, pour reprendre les mots de notre hymne national, nous garderons l’honneur de nos enfants.
Merci.
Le président : Merci aux quatre témoins de leurs exposés préliminaires. Nous allons maintenant passer aux questions.
La sénatrice Batters : Je vous remercie tous de votre présence et des témoignages importants que vous nous avez présentés pour nous aider à évaluer ce projet de loi.
Comme nous avions moins de temps que ce à quoi vous auriez pu vous attendre pour vos exposés préliminaires et compte tenu du nombre de questions qui pourraient vous être posées, je voudrais donner à quelques-uns d’entre vous l’occasion de répondre et de nous fournir davantage de renseignements. J’aimerais commencer par Me St. Germain, à qui je voudrais donner un peu plus de temps. Je crois, maître, que vous alliez parler de ce que l’on sait des torts causés aux enfants qui regardent de la pornographie, et j’aimerais vous donner un peu plus de temps pour le faire. Je vous en prie.
Me St. Germain : Merci.
Nous avons présenté plusieurs mémoires sur les versions antérieures du projet de loi, en soulignant les éléments d’information en jeu à ce moment-là. Nous pouvons présenter de nouveau cette information et la mettre à jour grâce à des études supplémentaires. Il est évident que l’accès à la pornographie nuit aux enfants.
La sénatrice Batters : Ce serait très utile. Pourriez-vous nous donner quelques exemples importants? Nous vous serions reconnaissants de transmettre ces renseignements supplémentaires à la greffière pour que tous les membres du comité puissent en prendre connaissance.
Me St. Germain : Entendu.
La sénatrice Batters : Très bien. Pourriez-vous nous donner quelques exemples importants?
Me St. Germain : Dans le cadre de Cyberaide.ca, des enfants et des familles du Canada nous parlent tous les jours, bien sûr, et nous savons qu’il sont en difficulté non seulement à cause de la pornographie qui circule en ligne, mais aussi de ce que le monde virtuel leur balance et qui met les parents dans une situation où ils sont seuls à protéger leurs enfants. On parle beaucoup, évidemment, à l’échelle internationale, etc., de la nécessité d’une réglementation numérique. Nous sommes tout à fait d’accord. Ce projet de loi est un pas dans cette direction. Nous avons évidemment besoin d’une réglementation générale dans de nombreux domaines différents, et il est clair que la volonté de la population est là. On sait parfaitement que des enfants subissent régulièrement des préjudices, et les données de Cyberaide le confirment. Nous devons agir.
La sénatrice Batters : Madame Rankin, pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Si vous n’avez pas assez de temps maintenant, n’hésitez pas à soumettre au comité ce que vous souhaitez lui faire savoir. Merci.
Mme Rankin : Je vous ai parlé de données provenant du Royaume-Uni. Il est très difficile d’analyser ces effets ou d’en parler directement aux enfants. On ne peut pas soumettre les enfants à des études. On ne peut pas les exposer à de la pornographie pour analyser leurs réactions. On peut seulement avoir des conversations après coup. Je compatis beaucoup avec les parents qui doivent s’occuper d’un enfant exposé à des choses aussi graves qu’un étranglement, par exemple.
Dans le rapport Girlguiding — que je vous ai remis et qui a été traduit —, vous allez voir quelques commentaires directs, et c’est important. Il y a tellement d’expertise autour de cette table, et vous avez invité des spécialistes. Je suis ici pour vous rappeler que nous parlons de nos enfants. Il faut les écouter et savoir comment ils vivent cela.
Ce que l’UNICEF a déclaré au sujet des jeunes Canadiens est vrai. Ils ne vont pas bien. Ils ont des difficultés. Leur relation à Internet et le temps qu’ils y passent, leur exposition à ses contenus, que ce soit par TikTok ou, comme d’autres nous l’ont dit, par l’accès involontaire à de la pornographie — c’est dévastateur pour eux. Le cerveau des enfants n’est pas suffisamment développé pour qu’ils puissent distinguer et comprendre ce qu’ils voient.
Il y a d’autres enjeux à examiner en dehors de la sexualité proprement dite, par exemple le fait que les filles sont maintenant considérées comme des objets par les garçons. C’est la réalité. Quand j’ai parlé de la question « dois-je l’étrangler? », je citais un ami qui travaille avec des adolescents aux prises avec leur exposition à la pornographie et leur compréhension de ce qu’est la sexualité. Il est vrai que les jeunes filles et la société en général sont très exposées à la façon dont le corps des femmes est présenté en ligne.
C’est un enjeu qui, à mon avis, nécessite qu’on agisse, mais personne ne bouge. Il n’y a pas de commissaire à l’enfance pour dire : « Il faut prendre telle ou telle mesure. » Je vous invite tous à prendre connaissance du document dont j’ai parlé, Citoyens sans voix, publié en 2007. C’est une étude réalisée par le Sénat pour évaluer la mesure dans laquelle notre pays respecte ses obligations au regard de ce que nous avons ratifié. Le commentaire 20, le commentaire 25 et beaucoup d’autres conventions que nous avons signées nous invitent clairement — en fait, ils ne nous invitent pas. Ils exigent que nous protégions nos enfants. C’est un devoir de diligence.
La sénatrice Batters : Merci. Je vous suis très reconnaissante de nous rappeler aussi ce rapport du Sénat. Sujet très important. Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Madame Rankin, on ne parle pas beaucoup des enfants. Depuis que j’ai commencé à travailler sur ce projet de loi, je me demande pourquoi on n’entend pas la voix des enfants, alors qu’on entend très bien la voix de ceux qui veulent protéger la vie privée des clients de sites pornographiques.
Bien sûr, c’est important de protéger la vie privée des clients, mais je veux vous entendre sur cette question : comment se fait-il que la première chose que je me fais dire tout le temps, c’est que ce n’est pas à l’État de s’occuper de cela, que c’est aux parents de protéger leurs enfants? On est encore dans l’argumentaire qui veut que l’État n’ait pas à intervenir sur ces questions, alors qu’il le fait dans le monde réel, et que ce sont les parents qui doivent s’assurer que le téléphone cellulaire — parce que maintenant, on parle de téléphone mobile et non d’un appareil au milieu de la maison — ne contient pas de pornographie. C’est ce que j’entends le plus souvent comme argument.
À l’occasion d’un de ses nombreux témoignages devant ce comité, Michael Geist, qui est un expert de l’Université d’Ottawa en matière d’Internet, a utilisé cet argument en disant que c’était aux parents de s’en occuper, point final.
Que répondez-vous à cela?
[Traduction]
Mme Rankin : Les parents ne peuvent absolument pas affronter seuls cette situation. Nous tous autour de cette table avons de la difficulté à l’affronter. On ne peut donc pas s’attendre à ce qu’un parent soit le seul barrage. On a discuté aujourd’hui de la question de la vérification de l’âge dans les appareils et sur les plateformes. C’est un peu comme pour la protection des passagers dans une voiture : on a commencé par imposer les ceintures de sécurité, puis on s’est rendu compte qu’on avait besoin de coussins gonflables. Nous avons besoin — et les parents ont besoin — de soutien. C’est le gouvernement du Canada qui a ratifié ces accords. Il doit assumer ses responsabilités et soutenir les parents. Ceux-ci ne peuvent pas y arriver seuls. Quand on parle d’adolescents, de toute façon, on parle de jeunes qui vivent dans le monde extérieur. Leurs parents ne les suivent pas partout en tout temps. Le WiFi est partout, et les adolescents sont exposés aux contenus d’Internet partout. Il est vrai que les parents peuvent, dans une certaine mesure, surveiller leurs enfants et installer certains pare-feu, par exemple, mais ce ne sera pas suffisant.
C’est comme pour un cancer. La chimiothérapie ne suffira pas à elle seule. La chirurgie ne suffira pas à elle seule. La radiothérapie ne suffira pas à elle seule. Il faudra attaquer la maladie par tous les moyens possibles. Les parents ne peuvent pas le faire seuls. Le gouvernement doit intervenir. Nous n’avons pas seulement besoin de lois et de leur mise en œuvre, mais aussi de leur application. C’est essentiel. Faute de quoi, nous aurons coché la case indiquant que nous prenons bien soin de nos enfants, mais nous les aurons quand même laissés tomber.
D’après les données de l’UNICEF que je vous ai fournies, il est clair que nous manquons à nos obligations envers nos enfants. Le Canada affiche l’un des taux de suicide chez les adolescents les plus élevés du monde occidental, et nous sommes comparés, selon les rapports, à 38 ou 42 pays homologues en termes de PIB et d’autres critères.
Nos enfants ont accès à énormément de possibilités intéressantes sur Internet. Nous ne voulons pas les en exclure. J’aimerais qu’il y ait un meilleur accès dans le Grand Nord, par exemple, mais je ne veux pas d’un système dicté par des entreprises qui seraient par ailleurs en mesure de contribuer à régler ce problème. On a dit tout à l’heure que M. Zuckerberg serait peut-être en mesure de faciliter les choses. Absolument, car les parents ne peuvent pas y arriver seuls. Nous avons tous assez de mal à simplement espérer être protégés par nos propres téléphones portables. Eh bien, non. Nous avons besoin d’aide, nous avons besoin du gouvernement et nous avons besoin de mesures concrètes. Merci.
Le sénateur Prosper : Merci à tous les témoins ici présents.
J’essaie, probablement comme la plupart d’entre nous ici, de comprendre l’ampleur de cet enjeu. Dans le groupe de témoins précédent, lord Bethell nous a parlé de l’efficacité de la loi au Royaume-Uni. Rien n’est parfait, a-t-il rappelé, mais il faut, comme vous venez de le dire, madame Rankin, prendre toutes sortes de mesures pour régler ce problème.
J’ai été notamment intrigué quand il a parlé de la pornographie assistée par l’intelligence artificielle. Je crois qu’il a dit — et je le cite — que cela le terrifiait au plus haut point. Si l’un ou l’autre des témoins peut nous en dire plus, je leur pose la question. Je suis simplement curieux de comprendre cette préoccupation et d’en mesurer la gravité. L’un de vous peut-il nous expliquer à quoi ressemble la pornographie assistée par l’intelligence artificielle?
Mme Campbell : C’est une bonne question et, comme parent, cela m’inquiète énormément. Quand il est question de la sécurité des enfants sur Internet, il n’y a pas de solution binaire. Il ne s’agit pas simplement de savoir si c’est le gouvernement ou si ce sont les parents qui doivent faire quelque chose. On a besoin d’une perspective globale, notamment en veillant à la protection des renseignements personnels et à la sécurité si on vérifie l’âge, surtout à une époque où les technologies de l’intelligence artificielle sont plus efficaces que jamais pour recueillir nos données et les données personnelles de nos enfants, compte tenu du risque que ces données puissent contribuer à la pornographie assistée par l’intelligence artificielle. C’est absolument terrifiant pour moi, comme parent. J’y pense à chaque fois que mes enfants vont sur Internet, compte tenu de ce qu’ils partagent, de ce qu’ils sont obligés de communiquer aux services et de ce qui pourrait être compromis, divulgué et utilisé par de grands modèles de langage pour contribuer à l’un ou l’autre des préjudices que nous ne voulons pas voir en ligne. Je vous remercie de votre question.
Me St. Germain : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, du point de vue de notre organisation, la quantité de matériel lié à l’exploitation sexuelle des enfants généré par l’intelligence artificielle augmente depuis plusieurs années. Cela a une incidence énorme sur les mécanismes de justice pénale. Certains organismes d’application de la loi ne sont pas en mesure de faire la différence entre les deux parce que la technologie est de plus en plus efficace. Cela se passe du côté de l’exploitation sexuelle des enfants.
N’importe qui aujourd’hui peut évidemment être le sujet d’une production pornographique générée par l’intelligence artificielle, qui peut ruiner la vie des gens. La pornographie deepfake est un gros problème. À propos de l’intelligence artificielle en général, on entend maintenant parler de robots de clavardage dans les nouvelles et de familles dont un enfant s’est suicidé à cause d’incitations fournies par ces robots. Notre société est en très mauvaise posture, et nous n’avons pas fait assez — loin de là — pour protéger nos enfants et pour reprendre les rênes des mains des entreprises. C’est à nous d’agir. On ne peut pas continuer à laisser aller les choses ainsi.
La sénatrice Simons : Mes questions s’adressent au professeur Israel et à Mme Campbell.
Il semble y avoir une contradiction, que vous avez tous les deux soulignée, entre l’article 6 du projet de loi, qui semble protéger les entités n’ayant fourni qu’incidemment et non délibérément l’accès, par acheminement, transmission, téléchargement ou stockage, à des contenus sur Internet, comme les exemples que vous avez cités, madame Campbell, de petits cafés Internet ou de réseaux indépendants, notamment dans les communautés autochtones du Nord. L’article 6 semble les exonérer, mais il y a par ailleurs l’alinéa 12(1)a, qui confère au gouverneur en conseil une très grande latitude pour préciser ce qui constitue ou non du matériel pornographique proposé à des fins commerciales. Je crois que c’est la tension à laquelle vous faisiez allusion dans vos commentaires, monsieur Israel. Pourriez-vous m’expliquer un peu comment il faudrait procéder pour que les gens innocents qui fournissent des services à des tiers ne se retrouvent pas du mauvais côté de la loi?
Mme Campbell : Je vous remercie d’avoir soulevé cette importante question. C’était l’une de nos principales préoccupations après l’examen de cette nouvelle version du projet de loi.
Nous sommes très reconnaissants des efforts déployés pour définir les services qui sont au cœur des fonctions d’Internet, mais je crois que le manque de clarté risque de créer de l’incertitude pour certains services, et qui sait ce qu’il adviendra au cours du processus d’élaboration de la réglementation. Il y a énormément de services dans la composition de l’infrastructure d’Internet, et ils sont très vastes. Ce que je crains, c’est que le flou concernant les exclusions ou les exemptions fasse en sorte que certaines personnes soient à tort visées par la réglementation.
Il serait peut-être utile de préciser à qui la réglementation s’applique effectivement et d’indiquer clairement que cela n’empêchera pas les gens d’utiliser nos outils les plus solides pour garantir la sécurité sur Internet, notre propre sécurité et celle de nos enfants, comme le chiffrement, qui est utilisé par de nombreux services d’infrastructure Internet.
M. Israel : Je vous remercie de la question.
Nous partageons ces préoccupations. Nous sommes sensibles à l’ajout de l’article 6 et à l’intention à laquelle il renvoie. Nous voulions préciser que l’intention était effectivement d’exclure tout site qui n’est pas exploité principalement dans le but de faire circuler du matériel sexuel explicite. Cette disposition ne devrait pas pouvoir s’appliquer aux plateformes de médias sociaux ou à d’autres types de sites Web de partage de contenu, où ce type de contenu n’est qu’une petite fraction de ce qui y circule généralement.
Par ailleurs, le projet de loi contient une disposition qui permettrait d’ordonner aux fournisseurs de services Internet de bloquer l’accès à des sites qui enfreignent les exigences en matière de notification. Je pense que, à cet égard également, le respect de ces exigences et la mise en œuvre des dispositions relatives au blocage des sites Web pourraient être très onéreux pour les petits fournisseurs de services Internet, comme ceux qui exercent leurs activités dans le Nord ou les petits cafés qui exploitent des réseaux sans fil, qui pourraient être visés par la définition de FSI et faire l’objet d’une ordonnance très générale visant à bloquer l’accès à un site considéré comme non conforme.
Je crois qu’il serait bon de préciser cette disposition, ainsi que l’exclusion prévue à l’article 6. Merci.
La sénatrice Simons : Ces entités seraient visées au titre de la transmission. Ils auraient des ennuis s’ils ne respectaient pas l’ordonnance de blocage, n’est-ce pas?
M. Israel : Oui, exactement.
La sénatrice Simons : Pourtant, si vous avez écouté les témoignages antérieurs — et je crois que c’est le cas —, des témoins européens nous ont dit que ce sont en fait des sites de médias sociaux comme X et Meta qui sont parmi les plus importants sujets de préoccupation. J’avoue que je ne sais toujours pas s’ils sont visés ou non, compte tenu de la grande latitude que prévoit la réglementation.
M. Israel : Si c’était effectivement destiné à viser les sites de médias sociaux, il faudrait examiner cela de plus près. D’après ce que nous avions compris, l’article 6 vise à exclure ces types de sites, mais, ce matin, il semble qu’ils soient encore dans le champ d’application du projet de loi, sous réserve de règlements et peut-être de la définition de « rendre accessible » ou peut-être de la façon dont certains avis de conformité seraient émis. Si c’est le cas, nous souhaiterions beaucoup plus de mesures de protection et nous souhaiterions examiner le projet de loi sous cet angle. Nous avons supposé que ces entités ne seraient pas directement visées, mais la conversation de ce matin semble donner à penser qu’elles pourraient l’être, tout dépendant de la façon dont le gouvernement mettrait ce projet de loi en œuvre. Beaucoup de choses sont laissées à son interprétation par voie réglementaire, et nous craignons donc maintenant que ces entités puissent être visées.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Le président : Madame Campbell, vouliez-vous faire un commentaire?
Mme Campbell : Oui, s’il vous plaît, et merci de cette question.
Je partage également la préoccupation de M. Israel, qui craint, compte tenu des commentaires de ce matin, que cela puisse signifier que d’autres sites Web se trouveraient assujettis à cette disposition. Si les sites Web et les plateformes de médias sociaux y sont assujettis, je me demande si les communications privées le seront. C’est pourquoi il me semble essentiel de bien préciser que l’utilisation du chiffrement, les communications privées et les choses sur lesquelles nos enfants comptent pour communiquer en ligne en toute sécurité avec les familles sont protégées. C’est non négociable. Nous avons besoin du chiffrement pour vivre des communications en ligne sécuritaires. Ces mesures de protection devraient figurer dans le projet de loi pour nous assurer que nous ne privons pas les gens du bouclier le plus solide qui leur permette d’avoir des communications en ligne sécuritaires.
Deuxièmement, au sujet de la question qui a été posée au sujet du blocage de contenu, pour aller dans le sens de ce que M. Israel vient de signaler, il y a au Canada des dizaines de réseaux communautaires qui aident à combler les lacunes pour les collectivités mal desservies ou celles où l’accès à Internet est tout simplement inabordable. J’ai vécu dans les Territoires du Nord-Ouest pendant de nombreuses années. J’y ai visité de nombreuses collectivités où c’est la réalité. Les réseaux communautaires sont des solutions communautaires qui aident les gens à prendre en main la connectivité et à apporter des solutions qui répondent à leurs propres besoins. On en trouve dans l’Arctique. On en trouve à Winnipeg, où ils desservent la plus importante population autochtone urbaine du Canada. On en trouve dans des communautés autochtones partout au Canada.
Internet Society appuie ce genre de solutions depuis de nombreuses années, et nous savons à quel point il est important pour les collectivités de veiller à ce que les enfants puissent faire leurs devoirs et que les gens puissent faire des études à distance et trouver des possibilités d’emploi en ligne. Si l’un de ces réseaux devait faire l’objet d’une ordonnance judiciaire de blocage — je parlais justement à des membres de North End Connect la semaine dernière —, il serait contraint de cesser ses activités. Il ne serait pas en mesure de gérer les ordonnances de blocage de contenu, et encore moins d’assumer les frais de contestation devant un tribunal. C’est irréaliste.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup de nous signaler ce problème.
Le sénateur Dhillon : Merci à tous les témoins de leur présence parmi nous. J’ai un certain nombre de questions, mais je vais m’en tenir à une, compte tenu du temps dont nous disposons.
M. Israel, de l’Association canadienne des libertés civiles, nous a mis en garde contre le fait que des organismes d’application de la loi puissent accéder aux données sur les clients d’organisations privées sans mesures de protection suffisantes, en faisant valoir que les cas d’accès par la police soulignent la faiblesse des mesures de rétention et des contrôles d’accès. Comme ancien agent d’application de la loi, cette affirmation me laisse perplexe. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets à l’appui de cette affirmation?
M. Israel : Ce qui m’inquiète, c’est que le projet de loi devrait empêcher que les fournisseurs tiers de services d’identité désignés en vertu de l’article 12 soient obligés de conserver les renseignements qu’ils recueillent aux fins de l’application du projet de loi et de les communiquer aux organismes d’application de la loi. Nous ne créons pas un véhicule d’application de la loi, mais bien un mécanisme permettant de vérifier l’identité des gens. Les forces de l’ordre canadiennes ou étrangères ne devraient pas pouvoir s’en servir pour obtenir des éléments d’identification ou des pièces d’identité ni pour obliger un tiers fournisseur d’identité à faire le suivi des sites visités quand ils vérifient que les visiteurs sont effectivement âgés de plus de 18 ans.
Le sénateur Dhillon : Vous convenez donc que les organismes d’application de la loi n’auront pas accès à cette information parce qu’elle n’existe pas?
M. Israel : Les organismes d’application de la loi peuvent délivrer ce qu’on appelle une ordonnance de préservation, qui contraint une entreprise à conserver l’information plus longtemps qu’elle ne le ferait normalement, puis obtenir une ordonnance de production obligeant l’entreprise...
Le sénateur Dhillon : Je comprends. Au départ, on disait que les organismes d’application de la loi pourraient avoir accès à ces renseignements à titre extrajudiciaire. Êtes-vous en train de dire que c’était erroné?
M. Israel : Je ne pense pas avoir dit « à titre extrajudiciaire ». Même si le projet de loi C-2 est adopté dans sa forme actuelle, il serait possible de demander des renseignements s’appliquant à un tiers fournisseur de services d’identité, comme ce qu’envisage ce projet de loi, et cela permettrait à la police d’exiger que le fournisseur confirme si telle ou telle personne a créé un profil sur son site. Dans d’autres pays...
Le sénateur Dhillon : Mais conformément aux dispositions en vigueur dans le Code criminel...
M. Israel : Dans d’autres pays, il existe de nombreux pouvoirs extrajudiciaires qui le permettent, et, si on fait appel à un fournisseur international, beaucoup de ces pouvoirs extrajudiciaires ont une portée transfrontalière.
Notre préoccupation est plus vaste. Nous estimons que les forces de l’ordre ne devraient pas avoir accès à ces renseignements. Cela ne devrait pas être un outil d’application de la loi, et la police ne devrait tout simplement pas pouvoir y avoir accès, avec ou sans ordonnance judiciaire.
[Français]
La sénatrice Oudar : Merci aux quatre témoins. On manque de temps. Nous avons tous plusieurs questions. Je vais donc me limiter à une seule question qui s’adresse à Mme St. Germain.
Selon vous, quel mécanisme devrait être prévu pour permettre aux différents ordres de gouvernement, y compris les instances de gouvernance autochtones, dont on a peu parlé ici, de personnaliser certains détails de mise en œuvre qui pourraient garantir à la fois la pertinence locale tout en soutenant nos engagements en matière de consultation d’autodétermination et de réduction des disparités géographiques et culturelles? En effet, pour ce qui est de la protection des enfants en ligne, tout le monde doit être égal. J’aimerais vous entendre là-dessus.
[Traduction]
Me St. Germain : Je ne suis pas en désaccord.
Dans ce projet de loi, les mécanismes prévus supposent beaucoup de travail ultérieur en matière de réglementation, et je m’attends à ce qu’on tienne compte de tous ces facteurs dans le cadre du processus réglementaire.
J’ai écouté le témoignage du commissaire à la protection de la vie privée du Canada, par exemple, qui a laissé entendre au comité qu’il est très important que le Commissariat, en sa qualité d’organisme de réglementation de protection de la vie privée au Canada, participe activement à la mise en œuvre du projet de loi, et nous sommes tout à fait d’accord. C’est logique. Le Commissariat une expertise très précise à cet égard.
C’est un domaine très complexe, et notre organisation en a une expérience directe compte tenu du travail que nous faisons depuis des années. Nous sommes conscients du fait que les enfants et les familles du Canada sont vraiment aux prises avec tout ce qu’on leur balance sur le plan technologique, que la pandémie a amplifié tous les préjudices et qu’il est désespérément nécessaire que le gouvernement intervienne et commence à agir. C’est un pas dans la bonne direction.
Mais il faut aussi adopter une perspective beaucoup plus large de la réglementation. Le projet de loi C-63 était une tentative en ce sens, en particulier la partie 1. C’est peut-être quelque chose qui revient. Nous avons absolument besoin d’une infrastructure. On peut constater tout le travail qui a été fait au Royaume-Uni, qui a vraiment pris des mesures. On peut s’inspirer de ce pays et de l’Australie, mais le moment est venu pour le Canada de faire quelque chose.
[Français]
La sénatrice Oudar : Merci, madame St. Germain; je partage le même point de vue.
En résumé, dans le cadre juridique qui est habilité par la loi, on n’a pas besoin d’ajouter des modifications supplémentaires au projet de loi à ce stade-ci; toutes les mesures dont on vient de discuter pourraient être réalisées dans le cadre réglementaire dont il est question à l’article 12, si je ne me trompe pas. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Je suis consciente du temps qui passe et de l’horaire de tout le monde, et je m’adresse donc à tous les témoins. Si vous avez des suggestions sur ce qui, en dehors de ce projet de loi, pourrait réellement permettre d’atteindre ses objectifs et si vous pouviez nous les communiquer par écrit, ce serait formidable. Merci.
Le président : Je remercie les quatre témoins ici présents de leurs conseils et des renseignements convaincants qu’ils ont fournis pour aider le comité. Merci.
(La séance est levée.)