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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 5 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Le sénateur David M. Arnot (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir honorables sénateurs et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je m’appelle David Arnot. Je suis un sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’invite maintenant mes collègues à se présenter.

La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kma’ki.

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué de la nation algonquine anishinabe.

Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, d’Edmonton, en Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Dhillon : Baltej Dhillon, de la Colombie-Britannique.

Le président : Honorables sénateurs, nous sommes réunis pour entamer notre étude du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir l’honorable sénatrice Kim Pate, marraine du projet de loi, et Emily Grant qui va l’assister depuis son bureau. C’est un plaisir de vous recevoir toutes les deux aujourd’hui.

Nous allons commencer par les déclarations liminaires avant de passer aux questions des membres du comité. Je sais que vous connaissez toutes les deux très bien ce processus. Vous avez la parole, sénatrice Pate, pour environ sept minutes.

L’honorable Kim Pate, marraine du projet de loi : Merci beaucoup, sénateur Arnot, et merci à tous mes collègues d’être ici. Merci à toutes les personnes en coulisses qui ont rendu tout cela possible. Je parle des techniciens, des interprètes, du personnel et de toute l’équipe de notre bureau, notamment ma directrice des affaires parlementaires, Emily Grant, ainsi qu’Andrew Osborne et les formidables stagiaires qui travaillent dans notre bureau.

Je suis très heureuse de me trouver ici pour parler de la « Loi de Tona » qui va essentiellement modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en vue d’offrir des mesures de surveillance et des solutions de rechange à l’isolement dans les prisons fédérales.

En 2019, le Canada s’est engagé à mettre fin au recours à l’isolement, notamment à l’isolement cellulaire, dans les prisons fédérales. Cet engagement a été pris en réponse à une série de jugements ayant établi que le système d’isolement en place était inconstitutionnel. Ces jugements reconnaissaient les méfaits psychologiques, neurologiques et physiologiques de l’isolement.

Le Canada n’a pas tenu sa promesse de mettre un terme à l’isolement. Au lieu de cela, les unités d’intervention structurée, ou UIS, créées pour remplacer l’isolement, ont en fait perpétué, voire étendu, le recours à ce mode d’incarcération. Parmi les gens les plus durement touchés par ces violations continues des droits de la personne, on trouve les Autochtones, les Canadiens noirs et les personnes ayant des problèmes de santé mentale.

La « Loi de Tona » s’appuie sur le travail collectif de notre institution, le Sénat du Canada, notamment à la faveur des visites de 47 sénateurs dans des prisons de partout au pays. Elle propose quatre mesures pour mettre fin à l’isolement et respecter les droits de la personne et les droits garantis par la Charte qui nous protègent tous, y compris les prisonniers.

Chaque mesure de la « Loi de Tona » a déjà été approuvée par le Sénat : en 2019, sous la forme des amendements proposés par le Sénat au moment de la création des UIS; en 2021, sous la forme des recommandations que le Comité des droits de la personne a formulées dans son rapport sur les droits humains dont jouissent les personnes purgeant une peine fédérale; et quand le Sénat a adopté le projet de loi précédent, le projet de loi S-230, et l’a renvoyé à la Chambre des communes pour étude.

Depuis la dernière mouture de ce texte, le mandat du comité consultatif ministériel a pris fin. Il est intéressant de noter que, dans le rapport du comité, il est indiqué que, dans un cas sur deux, l’incarcération dans les unités d’intervention structurée répond désormais à la définition d’isolement cellulaire, malgré les changements apportés à la loi en 2019. Autrement dit, ces détenus passent 22 heures dans leurs cellules sans contact humain significatif. Pour une personne sur dix, l’isolement cellulaire est tellement long — plus de 15 jours — que la loi l’assimile à de la torture. En fait, le comité consultatif ministériel a souligné que le temps moyen passé en isolement est plus long maintenant que sous l’ancien régime d’isolement, puisque plus de la moitié des personnes sont détenues pendant plus de 15 jours et que certaines y restent jusqu’à 769 jours.

Le régime de surveillance indépendante prévue dans le projet de loi C-83 prévoyait le recours à des décideurs externes indépendants. Toutefois, leur intervention n’est garantie par la loi qu’au bout de 90 jours d’isolement en unité d’intervention structurée, et 30 % du temps, le Service correctionnel du Canada, le SCC, a omis de confier ces dossiers à des décideurs externes indépendants dans le délai de 90 jours. Dans les situations où des décideurs externes indépendants ont ordonné que des gens soient libérés de l’isolement, leurs ordonnances n’ont pas toujours été respectées. Depuis, des décideurs externes indépendants nous ont appris que leur mandat n’avait pas été reconduit parce qu’ils avaient contesté la décision de l’administration correctionnelle.

Ce projet de loi énonce quatre mesures visant à mettre fin à l’isolement dans les prisons fédérales. La première est la surveillance par les cours. Essentiellement, les autorités carcérales qui souhaitent placer un détenu en isolement pendant plus de 48 heures devront s’adresser aux tribunaux pour y être autorisées. Pourquoi 48 heures? Selon la Cour d’appel de l’Ontario, c’est à ce moment-là que des dommages irréversibles et permanents peuvent apparaître chez les détenus. C’est moins que le temps requis pour les mandats et les enquêtes sur cautionnement. À l’heure actuelle, cela représente en moyenne 1 800 personnes par année.

Les détenus peuvent aussi demander à un tribunal de réduire leur peine; c’est ce qu’on appelle le « recours Arbour » que certains d’entre vous connaissent. En 1996, la juge Louise Arbour, à l’issue des travaux de sa commission d’enquête sur certains événements survenus à la prison pour femmes de Kingston, a recommandé qu’il y ait non seulement une surveillance judiciaire, mais aussi un recours lorsque le traitement des détenus par les services correctionnels équivaut à des violations des droits de la personne ou à des violations de la Charte. C’est ce que la juge a recommandé, et que nous avons inclus dans le projet de loi.

Le projet de loi exige aussi que l’on rende compte de l’isolement, peu importe le nom qu’on lui donne. Certains d’entre vous connaissent sans doute les rapports successifs de l’enquêteur correctionnel du Canada, en particulier le plus récent, et savent que l’enquêteur correctionnel ainsi que le comité consultatif ministériel ont démontré qu’outre les unités d’intervention structurée — celles qui portent ce nom —, il existe de nombreuses autres unités similaires où les conditions de détention sont les mêmes, mais où aucune des mesures de surveillance, aussi limitées soient-elles, prévues dans le projet de loi C-83 n’est appliquée. Il peut s’agir d’unités de santé mentale — que l’enquêteur correctionnel appelle parfois « cellules de dégrisement », cellules cachées, « quartiers thérapeutiques » ou « quartiers à associations volontaires limitées ». L’expression la plus récente que j’ai vue est « cellule de détention temporaire ». À bien des emplacements, les unités des centres régionaux de traitement, comme l’établissement de Millhaven, l’établissement de Stony Mountain et l’établissement de Kent, se trouvent juste à côté des unités d’intervention structurée, et elles sont à peine identifiables. La personne que l’on destine à l’une de ces unités peut ne pas se rendre compte de là où elle va aboutir.

Le projet de loi interdit également la mise à l’isolement des personnes ayant des problèmes de santé mentale invalidants. C’est ce qui est ressorti de l’enquête sur le décès d’Ashley Smith. C’était la première fois que nous voyions cette recommandation. Quand je dis « nous », je veux dire le Canada. En 2012, c’était la recommandation du jury d’enquête sur le décès d’Ashley Smith. Pour ceux qui aurait oublié, Ashley, alors âgée de 19 ans, est décédée dans une cellule d’isolement à l’Établissement pour femmes Grand Valley, à Kitchener, en 2007. Son décès a été considéré comme un homicide par le jury d’enquête, qui a recommandé qu’aucune autre personne ayant des problèmes de santé mentale ne soit emprisonnée.

La mesure prévoit le transfert de personnes vers les systèmes provinciaux de santé mentale, notamment des hôpitaux médico-légaux. Il y a déjà des échanges d’ententes de service avec chaque province et territoire du pays pour permettre cela. Certains d’entre vous se souviendront que, lors de l’adoption du projet de loi C-83, des fonds avaient été affectés pour que le Service correctionnel du Canada puisse recourir à des lits externes à contrat. Il a reçu quelque 74 millions de dollars pour de nouvelles ressources en santé mentale.

Devant le Comité des affaires sociales de l’époque, le commissaire du Service correctionnel du Canada, qui est toujours le commissaire du Service correctionnel du Canada, a indiqué qu’il était question de conclure un contrat pour des lits en santé mentale et d’embaucher des défenseurs externes en santé mentale. Les réponses données au Comité des finances, au Comité des affaires juridiques et au Comité des droits de la personne ont montré qu’en fait, aucune de ces ressources n’a été utilisée pour des défenseurs externes ou pour des lits externes en santé mentale.

Nous savons que l’isolement des personnes sans surveillance se poursuit et qu’il pose un problème. Nous savons également que, pendant un certain temps, la Commission des droits de la personne, l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et le Réseau des femmes handicapées du Canada se sont donné pour mission, en collaboration avec le Service correctionnel du Canada, d’élaborer un plan pour chaque personne placée en isolement dans une prison pour femmes. À un moment donné, alors que le Comité des droits de la personne menait son étude, seules cinq femmes étaient en isolement.

Cela fait partie des raisons qui ont motivé l’amélioration de l’accès à l’article 29 et, en particulier, aux articles 81 et 84. Les articles 81 et 84 ont été ajoutés à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en 1992 dans le but précis de contribuer à réduire le nombre d’Autochtones en prison, mais les paragraphes de ces deux dispositions permettent également de les appliquer aux détenus non autochtones.

Le projet de loi S-205 tient compte de cela et traite plus précisément de certains groupes en particulier, ce qui les rendrait plus accessibles.

Ce sont les éléments clés du projet de loi. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, sénatrice Pate.

Nous allons maintenant passer aux questions.

La sénatrice Batters : Je vous remercie, sénatrice Pate, de votre présence et de votre déclaration liminaire.

Il y a une ou deux semaines, nous nous sommes parlé. À ce moment-là, je crois que vous envisagiez sérieusement d’apporter un amendement assez substantiel au projet de loi qui éliminerait l’obligation de transférer les détenus souffrant de problèmes de santé mentale invalidants dans un hôpital. Cependant, je ne vous ai pas entendu en parler dans votre déclaration liminaire. Proposez-vous toujours cet amendement au projet de loi — alors que nous commençons notre étude — ou avez-vous décidé de ne pas le faire?

La sénatrice Pate : Je ne proposerai pas cet amendement, mais je crois qu’un autre sénateur le fera. Même si je crois inévitable qu’une telle approche finisse par prévaloir, je suis prête à m’assurer que nous ayons un contrôle judiciaire, ce qui est un des éléments clés du projet de loi, pour que cela puisse aller de l’avant.

En fait, la question des détenus qui n’ont pas accès à des services de santé mentale fait actuellement l’objet d’un certain nombre de poursuites judiciaires. Je citerai notamment l’appel de la décision Warren, dont certains d’entre vous m’ont entendu parler dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, quand le juge Pomerance a ordonné que M. Warren soit hospitalisé. Il ne l’a pas été. Cette décision ayant fait l’objet d’un appel, la cour tranchera à un moment donné. Je suis prête à envisager cet amendement.

La sénatrice Batters : Il faut examiner cet amendement dès le début de l’étude, car s’il était adopté, il pourrait avoir une incidence considérable sur les types de témoins que nous entendrons, dans la mesure où cela nous dispenserait d’examiner une partie importante du projet de loi. Or, il s’agit là d’un élément essentiel.

Quand cela pourrait-il être fait? Cela se fera-t-il seulement à l’étape de l’étude article par article, ou cette question pourrait-elle être transmise au comité plus tôt afin que nous puissions l’inscrire à notre étude?

La sénatrice Pate : Je pense que nous en parlerons sous peu. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain. En réalité, certains témoins pourraient nous parler de santé mentale. Les membres du comité, avec tout le respect que je leur dois, devraient les entendre, car ils nous renseigneront sur d’autres types d’unités, notamment les unités de santé mentale dans les prisons. Cela nous aidera à comprendre la nécessité d’améliorer aussi les options prévues aux articles 81 et 84.

La sénatrice Batters : Oui, et pour vous donner un peu d’information à ce sujet, quand nous avons étudié le projet de loi précédent, le projet de loi S-230, la commissaire du Service correctionnel du Canada, Mme Anne Kelly, nous a dit qu’à l’heure actuelle, environ 650 lits sont disponibles dans les cinq centres de traitement régionaux. Il y a environ 20 lits pour les femmes à l’Établissement de détention de Rivière-des-Prairies ainsi que 15 lits pour les femmes et 3 lits pour les hommes à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. Le directeur parlementaire du budget a estimé que la définition de « troubles mentaux invalidants » dans ce projet de loi pourrait s’appliquer à un maximum de 5 000 détenus, ce qui représente environ 38 % de la population carcérale fédérale.

En outre, au cours de cette étude, le Dr Dufour a prévenu que, si la définition de « troubles mentaux invalidants » reliée au paragraphe 37.1(1) demeurait trop générale, elle risquerait de surcharger les hôpitaux psychiatriques provinciaux.

Donc, dans ce contexte, je vais vous demander ce que vous en pensez. Vous avez peut-être déjà tiré cette conclusion, c’est pourquoi vous proposez cet amendement au projet de loi. En effet, si la définition englobe un si grand nombre de détenus qui pourraient être transférés dans des hôpitaux psychiatriques provinciaux, nous risquons de submerger le système de soins de santé mentale canadien, qui est déjà débordé.

La sénatrice Pate : Je ne conteste pas le fait que notre système de santé mentale est débordé, surtout dans les prisons.

Le personnel du Comité des droits de la personne nous a demandé de mener cette étude quand nous avons parcouru le pays pour étudier les personnes purgeant une peine fédérale. Un grand nombre d’employés nous ont demandé d’étudier ce problème.

Je ne crois pas que le Service correctionnel du Canada nous ait répondu. J’ai justement posé cette question au commissaire du Service correctionnel, et nous n’avons pas obtenu de chiffres définitifs. Toutefois, dans le rapport qu’il a publié la semaine dernière — et il a aussi mentionné cela dans ses communiqués de presse —, l’enquêteur correctionnel a souligné que le coût à investir dans les cinq centres régionaux de traitement actuels qu’administre le ministère ainsi que dans le centre de traitement Shepody, qui est en construction, atteindra près de 1,3 milliard de dollars, soit presque le triple du coût annoncé par le ministre à l’époque. Il a ajouté que, si le Service correctionnel du Canada et le ministre de la Sécurité publique se rendaient dans les provinces où se trouvent ces centres régionaux de traitement — il y a cinq régions correctionnelles — et qu’ils leur offraient ne serait-ce que leur portion régionale de ces 250 millions de dollars, il pouvait presque garantir qu’ils créeraient au moins 30 lits, et même beaucoup plus que cela.

La dernière fois que le Service correctionnel du Canada s’est adressé à un gouvernement — des témoins nous en ont parlé lors de notre dernière séance —, c’était au sujet de l’Institut Pinel. Pour 3 millions de dollars, cet institut a offert d’ouvrir 20 lits, mais le ministère a trouvé cela trop coûteux. Pourtant, il prévoit maintenant d’y investir 1,3 milliard de dollars. Dans certains centres de traitement régionaux, toutes les données indiquent que les troubles mentaux des détenus s’aggravent.

Comme vous le savez, nous avons nommé ce projet de loi en l’honneur de Tona parce que, quand elle a été admise dans le système de santé mentale, on a diagnostiqué chez elle une schizophrénie due à la période de dix ans qu’elle avait passée en isolement.

La sénatrice Batters : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai deux brèves questions. C’est la première fois que je prends part à cette étude. Je n’ai pas participé à la précédente étude.

J’ai de la difficulté à concilier la période de 48 heures — qui est le maximum, selon vous — et le fait que, dans le projet de loi C-83, si je me rappelle bien, c’était 90 jours avant qu’il y ait une révision. Cela me semble une énorme différence. Est-ce que la période de 48 heures dont vous parlez est une période où il y a des pauses? Je comprends qu’on essaie de donner quelques heures de répit à ceux qui sont dans les cellules d’isolement.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Désolée, le son de l’interprétation était très faible, mais je pense avoir saisi l’essentiel de votre question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il y a une différence énorme entre 48 heures et 90 jours, et j’ai de la peine à comprendre cela. Je me demandais si, pendant ces 48 heures, quand les détenus passent ces quatre ou cinq heures non pas en liberté, mais hors de leur cellule...

La sénatrice Pate : Pardonnez-moi, je ne me suis pas exprimée clairement. Le délai de 90 jours est un élément déclencheur qui oblige les décideurs indépendants de l’extérieur à procéder à un examen; le service correctionnel doit leur envoyer le dossier. Ils ne sont pas censés garder un détenu en isolement pendant plus de cinq jours. En fait, ils doivent revoir la situation chaque jour. D’ailleurs, cette période maximale de 15 jours est tirée de la définition de l’ONU, selon laquelle toute période d’isolement dépassant 15 jours serait considérée comme de la torture.

En réalité, ces décideurs sont censés revoir la situation chaque jour. Cette période de 48 heures découle d’une décision la Cour d’appel de l’Ontario. Constatant que l’isolement pouvait causer des préjudices permanents, elle a recommandé que l’on maintienne une supervision. Le service correctionnel a des raisons légitimes de maintenir un détenu en isolement au-delà des 48 heures, il doit présenter ses preuves. Cependant, pour obtenir ces preuves, il faut intenter une action en justice. Voilà pourquoi nous avons choisi cette solution.

Quand nous en avons discuté avec des gens qui travaillent dans le système, ils ont jugé que c’était raisonnable, puisqu’ils traitent des milliers de demandes de mise en liberté sous caution ainsi que des mandats et d’autres types de révisions.

En réalité, ce genre de mécanisme de surveillance judiciaire sert le plus souvent à la prévention. Si le service correctionnel n’a pas un dossier solide à présenter, il ne gardera probablement même pas le détenu en isolement pendant 48 heures. Cette supervision vise à garantir l’obligation redditionnelle du système.

Quand le directeur parlementaire du budget s’est penché sur la question, il a dit que le service correctionnel envisageait d’en faire beaucoup plus et de traduire des gens en justice. Ceux d’entre vous qui se sont rendus dans des prisons savent que la majorité de ces audiences ne se déroulent pas en personne; personne ne se rend au tribunal. Ces audiences se déroulent par vidéo et sont le plus souvent organisées par la prison, car elle détient tous les dossiers.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une autre question.

J’ai relu le témoignage du Dr Dufour, de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. Il a dit que les unités d’intervention structurée doivent suivre certaines procédures sur le transfèrement des détenus. On ne les amène pas nécessairement à l’Institut Pinel. On les envoie dans leur Centre régional de santé mentale. Il y en a cinq au Canada.

En quoi consistent ces centres? Sont-ils indépendants, de sorte qu’il n’y aurait pas de coûts supplémentaires? Les jugeriez-vous adéquats?

La sénatrice Pate : Ce sont justement les centres que l’enquêteur correctionnel a recommandé de ne pas maintenir. En fait, le service correctionnel devrait conclure des contrats avec des hôpitaux de l’extérieur. Il y a beaucoup trop de cas documentés, notamment celui d’Ashley Smith, qui avait été placée dans l’un de ces centres régionaux de traitement. Quatre d’entre eux sont des établissements pénitentiaires et hospitaliers dûment désignés, selon les autorités provinciales. L’un d’eux, au Québec, n’est même pas considéré comme un hôpital, ce qui explique en partie pourquoi le service correctionnel a subi des pressions supplémentaires pour conclure un contrat avec l’Institut Pinel.

Soulignons aussi qu’il y a les Règles Mandela, auxquelles le Canada adhère, et les Règles de Bangkok, qui visent particulièrement les détenues. Les Règles Mandela ont été nommées en l’honneur de Nelson Mandela; elles présentent les normes minimales de l’ONU pour le traitement des prisonniers. Elles exigent que nous éliminions progressivement l’isolement et que les détenus qui ont des troubles de santé mentale ne soient jamais placés en isolement.

Certains acceptent la période de 48 heures, mais d’autres trouvent cette période trop longue. Le tribunal a souligné que l’isolement risque de causer des préjudices irréparables. C’est pourquoi nous avons choisi cette durée; nous trouvions que ce délai est raisonnable pour réunir les faits à présenter par vidéo au tribunal.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

Le sénateur Prosper : Quel plaisir de vous revoir, sénatrice Pate. Je tiens à vous remercier pour vos activités de défense des droits. Vous aidez non seulement les détenus, mais de nombreuses autres personnes.

J’aimerais essayer de comprendre une chose. Dans des témoignages précédents, vous nous avez présenté certaines données scientifiques. Je sais que nous entendrons d’autres témoins, mais vous abordez les aspects psychologiques, physiologiques et neurologiques de cette question et la façon dont ils se traduisent en préjudices permanents et irréversibles pendant les périodes d’isolement. Certaines données scientifiques soutiennent la durée de ce délai de 48 heures.

Je reconnais que tout cela est très complexe, mais pourriez-vous retracer les principaux aspects qui les relient?

La sénatrice Pate : Bien sûr. Je vous remercie pour cette question et pour vos aimables commentaires.

Les aspects physiologiques, neurologiques et psychologiques ont été étudiés aux États-Unis et en Grande-Bretagne plus qu’au Canada. Ces types de preuves ont été présentées pendant l’enquête sur la mort d’Ashley Smith et examinées par les tribunaux. Nous savons que très peu de détenus placés en isolement, même pendant quelques heures, échappent à l’anxiété, à la claustrophobie et à bien d’autres préjudices.

Je vous remercie, madame Grant, de m’avoir rappelé que le tribunal a souligné qu’en 48 heures de privation sensorielle, d’autres préjudices irréversibles peuvent prendre racine. Au bout de sept jours, l’activité cérébrale peut se modifier de façon permanente. La Cour d’appel a déclaré que l’isolement...

... a été associé à plusieurs reprises à divers éléments : problèmes d’appétit et de sommeil, anxiété, panique, rage, perte de contrôle, dépersonnalisation, paranoïa, hallucinations, taux accru de suicide et d’automutilation.

Merci encore, madame Grant, de m’avoir trouvé cette information.

Ce que j’ai observé... Eh bien, Tona en est un parfait exemple. Elle souffre du cancer, et son oncologue pense que les nombreuses années pendant lesquelles elle n’a pas pu bouger, car elle était retenue et enchaînée à un lit ou au plancher de sa cellule, tout cela aura pu contribuer aux troubles de santé dont elle souffre.

Nous avons là l’opinion d’un médecin. En réalité, j’ai connu beaucoup de détenus qui ont passé de longues périodes en isolement et qui sont morts très tôt comparativement aux autres. Nous avons là une cause de décès précoce, mais on a aussi diagnostiqué chez bon nombre d’entre eux de graves troubles psychiatriques. En prison, les détenus disent que, si vous arrivez en isolement sans troubles de santé mentale, vous en développerez pendant votre période d’isolement. Ils ajoutent que, si vous avez déjà des troubles de santé mentale en entrant en isolement, ils seront bien pires quand vous en sortirez.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci, sénatrice Pate. Je veux également saluer votre travail, notamment au bénéfice du respect des droits résiduels des personnes incarcérées. C’est un travail important et nécessaire.

J’ai deux questions. La première porte sur l’amendement que vous proposez au paragraphe 81(1) pour inclure des exemples d’entités de gouvernance autochtone, ce qui vient préciser la loi en vigueur à l’heure actuelle. Je n’ai pas de difficulté, c’est très clair lorsque vous parlez des groupes autochtones. Par contre, vous ajoutez aussi ce qui suit, aux alinéas 81(1)c) et 81(1)d), et c’est là où j’aimerais avoir des précisions :

c) un groupe ou un organisme communautaire œuvrant au service d’une population défavorisée ou en situation minoritaire;

d) toute autre entité qui fournit des services de soutien dans la collectivité.

Dans le cas des groupes visés par les alinéas c) et d), pouvez-vous nous apporter plus de précisions? Parmi ces précisions, en quoi considérez-vous que ces groupes auraient l’expertise nécessaire pour conclure des accords et offrir des services à ces populations vulnérables?

[Traduction]

La sénatrice Pate : C’est une excellente question. En fait, la première version de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition était plus générale que cela. Les limites imposées aux organismes autochtones faisaient partie des modifications apportées à la Loi par le projet de loi C-83. Donc, d’une certaine façon, mon amendement reprend une partie de cet espace. Cependant, il ajoute le fait que certains groupes, comme les centres d’amitié autochtones, peuvent ou non être perçus comme des organismes, surtout si leurs ressources sont limitées. De nombreux groupes informels se forment autour de populations particulières, comme les prisonniers trans, les prisonniers noirs ou d’autres groupes de défense des droits.

Nous avons examiné le nombre de communautés non autochtones encouragées à utiliser ces mécanismes dans le passé. Cela dépendait de qui pouvait fournir un soutien garantissant la sécurité publique, de qui pouvait répondre aux besoins de la personne, comme la réadaptation ou le traitement. Il fallait aussi élaborer un plan. L’article 81 vise les personnes qui purgent leur peine dans la collectivité, et l’article 84 vise celles qui sont en liberté conditionnelle dans la collectivité.

La sénatrice Saint-Germain : J’allais aussi vous poser une question sur l’article 84, mais vous venez d’y répondre. J’ai une autre question très brève.

Pouvez-vous nous expliquer plus en détail la différence entre l’article 198.1 proposé, sous « Réduction de peine », et le droit d’interjeter appel qui est déjà reconnu pour les personnes criminalisées et incarcérées? Quelle est la différence?

La sénatrice Pate : C’est la solution que la juge Louise Arbour a apportée après avoir examiné ce qui s’était passé à la prison des femmes de Kingston en 1994 et en 1995. Certains d’entre vous sont peut-être trop jeunes pour s’en souvenir, mais, dans cette situation, un homme de l’équipe d’intervention d’urgence de l’établissement d’en face — la prison pour hommes de Kingston — est venu déshabiller et attacher des femmes, les laissant nues dans leurs cellules. Elles n’ont pas eu accès à un avocat pendant environ 12 jours. Elles n’avaient pas accès à l’eau courante. Essentiellement, elles étaient nues en cellule sèche. Ensuite, six d’entre elles ont été transférées au pénitencier de Kingston, dans le « centre de traitement », comme on l’appelait à l’époque, qui était essentiellement une unité de ségrégation pour les délinquants sexuels. Nous avons dû obtenir un habeas corpus pour les ramener à la prison des femmes. Elles sont ensuite restées en isolement pendant 10 mois.

La solution recommandée par la juge Louise Arbour... Nous sommes intervenus de nombreuses fois par la voie juridique. Cependant, aucun de ces recours n’a réussi à les faire sortir de l’isolement. En effet, une fois qu’elles ont eu des avocats, les agents de correction les ont enfermées dans leurs cellules en leur disant qu’elles ne sortiraient pas de l’isolement si elles ne plaidaient pas coupables à une série d’accusations. Elles ont aussi été maltraitées et elles ont subi des fouilles corporelles forcées.

En prenant connaissance de tout cela, la juge Louise Arbour — et de nombreux autres exemples ont été soulevés pendant la commission d’enquête —, a remarqué que l’on n’avait pas cessé de maltraiter les détenues. En fait, Tona était en isolement pendant que la commission menait cette enquête. la juge Arbour a donc vu que ce qui s’était produit à ce moment-là continuait à se produire à la prison des femmes. Elle a entendu des témoignages selon lesquels ces mauvais traitements avaient aussi lieu dans d’autres établissements. Elle a dit qu’il s’agissait essentiellement d’une ingérence correctionnelle de la sanction émise par un juge.

Quand un juge condamne des accusés à une peine de prison, il les condamne à être séparés de la collectivité et non à se faire punir de multiples autres façons. Elle a ajouté cela à son plaidoyer, soulignant qu’elle ne faisait pas appel de la peine et de la condamnation, mais que l’accusée subissait des peines auxquelles le juge ne l’avait pas condamnée. Il est donc possible de retourner devant le tribunal pour réviser la peine et l’inadmissibilité à la libération conditionnelle.

La raison pour laquelle elle a recommandé cela — je lui ai posé la question avant que nous examinions ce projet de loi —, c’est que, dans certains cas, on n’intervient pas sur la détermination de la peine. Même s’il s’agit d’une peine d’emprisonnement à perpétuité, il est possible de modifier la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en fonction du traitement reçu par les détenus.

Je vous remercie pour cette question.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, sénatrice Pate.

Je vais commencer par le début du projet de loi et par ce que vous avez dit au sujet de la définition du terme « unités d’intervention structurée ». Dans le système correctionnel, une unité d’intervention structurée est un endroit très précis. Cependant, vous avez aussi parlé de certaines pratiques qui ne sont pas celles d’unités d’intervention structurées, mais d’unités d’intervention fonctionnellement structurées.

Selon votre définition, cela inclurait-il les périodes d’isolement volontaire et d’autres formes d’isolement qui ne sont pas strictement des unités d’intervention structurée?

La sénatrice Pate : C’est exact.

La sénatrice Simons : Devrait-on modifier cette définition pour en éliminer le terme « unités d’intervention structurée »?

La sénatrice Pate : Nous en avons tenu compte. En fait, quand j’en ai parlé au légiste — parce que le service correctionnel voulait changer le terme « isolement » pour « unités d’intervention structurée », nous avons jugé que la façon la plus simple serait d’élargir le sens de cette définition ou de la rendre plus complète afin qu’elle ne puisse pas être utilisée comme un obstacle à la circulation.

À l’heure actuelle, elle pose un obstacle à la circulation. Quand je vais voir quelqu’un — j’étais à l’établissement Nova pour femmes la semaine dernière, et la semaine précédente, j’étais à Stony Mountain. Les dernières fois où je suis allée dans des prisons, je me suis rendue directement dans les unités d’isolement à Nova — les trois femmes qui s’y trouvaient étaient autochtones, soit dit en passant. Je suis ensuite allée à l’unité d’à côté, qui est un peu différente, car c’est une aire commune. C’est une unité maximale, puis il y a une autre unité maximale.

Puis je suis allée à Stony Mountain, où il y a toute une série d’unités d’intervention structurée. L’une d’elles est considérée comme une unité d’observation médicale, l’autre une unité de détention temporaire, et l’autre encore est une unité d’intervention structurée. Je ne me souviens pas du terme utilisé pour désigner l’unité suivante.

Quand je suis allée à Millhaven, j’ai cherché M. Warren. M. Warren et d’autres personnes pensaient qu’il était dans une unité d’intervention structurée. Il n’y était pas, il se trouvait au centre régional de traitement. Les gens pensaient qu’il était dans l’unité d’intervention structurée, parce que le centre se trouve juste à côté. Je pense qu’on avait pris soin de le placer au centre régional de traitement parce que son placement dans l’unité d’intervention structurée aurait carrément contrevenu à la décision du juge Pomerance, qui avait spécifié qu’il ne devrait jamais être placé en isolement. Le juge Pomerance avait ordonné qu’on place M. Warren dans un hôpital, parce que, chaque fois qu’il était détenu dans un établissement fédéral, on le plaçait dans un type d’unité d’isolement, et sa situation ne cessait d’empirer.

J’ai demandé à son avocat d’évaluer s’il avait une déficience intellectuelle, ce qui est un tout autre problème. Si l’on place les détenus qui ont des troubles de santé mentale dans un hôpital où ils reçoivent un meilleur traitement, ils peuvent s’améliorer. Cependant, une personne qui a une déficience intellectuelle ne peut pas s’améliorer.

La sénatrice Simons : Je voudrais poser une autre question pendant qu’il me reste du temps.

Je suis allée visiter les unités d’intervention structurée de la prison à sécurité maximale d’Edmonton. J’ai été surprise d’apprendre qu’un bon nombre des détenus que j’y ai rencontrés et avec lesquels j’ai parlé n’y avaient pas été placés pour des comportements particulièrement dangereux ou pour des troubles de santé mentale. Ils s’y trouvaient pour échapper à la violence des gangs dans les prisons, car ils ne pouvaient pas rester dans la population générale. Dans l’établissement d’Edmonton, cela semblait causer un énorme problème. Il s’y trouve de nombreux gangs rivaux. On y a affiché une carte de noms expliquant qu’un type de détenus ne doit surtout pas fréquenter un autre type de détenus, et cetera. C’est un casse-tête de logique à vous donner le vertige.

Dans une situation où des détenus sont régulièrement placés dans des unités d’intervention structurée ou dans d’autres unités d’isolement pour des raisons de sécurité, comment est-il possible de gérer cela d’une manière équitable tout en administrant l’établissement de manière à protéger les détenus les uns des autres?

La sénatrice Pate : C’est une excellente question.

Depuis que je fais ce travail, l’un des plus grands défis provient du fait que les agents de correction ont de plus en plus recours à des mesures de sécurité au lieu d’intervenir en personne pour régler les problèmes et désamorcer les situations. Nous manquons aussi de programmes pour nous attaquer à ces problèmes. Certains d’entre vous ont rencontré M. Rick Sauvé, qui s’est désaffilié d’un gang. En fait c’était l’une des recommandations du directeur parlementaire du budget et du rapport du Comité des droits de la personne. C’est un phénomène toujours plus courant quand les gens arrivent en prison.

Les interventions peuvent dissiper ces conflits de nombreuses façons. Dans un établissement à sécurité moyenne, ces mêmes détenus peuvent vivre ensemble. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes, mais si vous les placez dans un établissement à sécurité maximale, on peut presque prédire le comportement qu’ils adopteront.

L’un des défis qui ont poussé, selon moi, — et nous pourrons le lui demander — l’enquêteur correctionnel à proposer une surveillance accrue dans les zones de haute sécurité est l’utilisation croissante d’une sécurité statique plutôt que d’une intervention humaine, communément appelée « sécurité dynamique » Les constatations découlant de l’expérience et des rapports produits démontrent depuis des décennies que plus on applique une sécurité statique, plus les problèmes s’accroissent.

Je vais vous donner un exemple. La dernière fois que j’étais au pénitencier de Dorchester — nous allions visiter le centre de guérison Shepody avec quelques sénateurs —, les agents ont fait descendre plusieurs gars. J’ai remarqué qu’ils venaient de différentes unités. Tant qu’ils étaient avec nous, la rencontre s’est déroulée sans problèmes. Cependant, quand nous nous préparions à partir, ils m’ont regardée et m’ont demandé si je pouvais attendre. J’ai accepté. J’ai expliqué à nos deux collègues pourquoi nous devions attendre avant de partir. Ensuite, j’ai dit aux détenus qu’ils expliqueraient mieux que moi à mes collègues pourquoi nous devions attendre. Ils nous ont expliqué que, si nous partions et qu’ils se retrouvaient seuls, ils devraient se bagarrer. Tout le monde s’attend à ce qu’ils se bagarrent. S’ils ne le font pas et que quelqu’un, un détenu ou un membre du personnel, remonte et dit qu’ils ne se sont pas bagarrés — parce qu’ils sont tous dans des unités différentes —, ils auront des problèmes. Et...

La sénatrice Simons : Un problème pour les membres du gang?

La sénatrice Pate : Oui, et pour leur sécurité, que ce soit du personnel ou autre.

La sénatrice Simons : C’est comme un changement de camp ici!

La sénatrice Pate : Je suis très sérieuse, sénatrice Simons.

C’est une dynamique dangereuse. Il y a quelques mois à peine, vous avez vu des reportages sur les clubs de combat et autres. Tout cela est réel. Il ne faut pas les prendre à la légère.

Si nous pouvons y aller, c’est en partie parce que j’ai établi des liens avec des gens depuis longtemps. Je n’ai jamais été attaquée dans une prison, et ce n’est pas parce que je suis une personne spéciale. Cela indique que, devant des gens comme nous ou devant un juge qui examine une situation, les détenus ont un comportement différent. Ensuite, la personne qui détient les clés ou qui extorte de l’argent ou autre — cela en dit long sur ses besoins. Il y a tellement d’études de recherche sur les défis que posent les outils d’évaluation des risques et sur l’étiquetage des détenus. Tout cela pour dire que les interventions, comme celles de Rick Sauvé et d’autres, provoquent des réactions très différentes.

Je pensais que vous alliez me demander — alors je vais y répondre aussi — si quelqu’un est là pour sa propre protection, pourquoi ne pas l’y laisser? Je me souviens que M. Don Davies était député quand je n’étais pas sénatrice en mesure de poser cette question. Je lui ai dit : « Allez-y sans moi et visitez toutes les unités d’isolement de votre territoire. Demandez aux détenus combien d’entre eux désirent y rester. »

La sénatrice Simons : Non, j’y suis allée et je le leur ai demandé. J’ai vu.

Nous devrions conclure, mais je voulais juste dire à la sénatrice Batters que ces amendements seront distribués sous peu.

Le sénateur K. Wells : Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour le travail que vous accomplissez depuis longtemps sur ce problème et sur tant d’autres au nom des Canadiens vulnérables d’un océan à l’autre. Votre travail est très apprécié, et nous l’admirons beaucoup.

Ma question porte sur le traitement des personnes transgenres et de diverses identités de genre qui se retrouvent dans des établissements correctionnels. Pourriez-vous nous décrire l’expérience de ces personnes dans ces unités d’intervention structurée qui, si je comprends bien, sont souvent prescrites pour leur propre sécurité dans les établissements correctionnels.

La sénatrice Pate : Ce placement se fonde parfois sur une évaluation des risques discriminatoires et, d’autres fois, sur des attitudes discriminatoires. Les personnes transgenres et de diverses identités de genre sont beaucoup plus susceptibles d’être placées dans une situation d’isolement, quelle qu’elle soit. Elles ne sont pas toujours placées dans une unité d’intervention structurée, mais plutôt dans un centre régional de traitement. On peut aussi limiter les détenus que ces gens fréquentent ou les placer en détention temporaire.

En fait, quand nous étudiions le projet de loi C-16 au Sénat — j’espère que je cite le bon numéro. Merci, madame Grant. Quand des gens venaient me voir pour me demander s’ils devraient placer des détenus dans telle ou telle prison, je les encourageais à appliquer les articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et à souligner qu’ils avaient développé des ressources communautaires et, essentiellement, élaboré un plan pour garantir la sécurité.

C’est un exemple de ma vision pour ce projet de loi. La loi nous le permet déjà, mais ce projet de loi nous donne un peu plus de pouvoir, si je puis dire, car il stipule que, si une communauté s’adresse au service correctionnel en se disant prête à accueillir des détenus, le service correctionnel doit élaborer un plan. S’il ne peut ou ne veut pas le faire, il doit justifier cette décision.

Le sénateur K. Wells : Serait-il juste de dire que la Loi canadienne sur les droits de la personne et les lois provinciales et territoriales sur les droits de la personne s’appliqueraient en milieu correctionnel?

La sénatrice Pate : Les lois fédérales s’appliquent dans les prisons fédérales, et les lois provinciales s’appliquent dans les prisons provinciales.

Le sénateur K. Wells : Donc ces établissements ne devraient pas faire de discrimination en fonction de l’orientation sexuelle, de l’identité et de l’expression sexuelles réelles ou perçues d’une personne.

La sénatrice Pate : Oui. Il y a l’affaire Ewert, qui présente une étude approfondie de la nature discriminatoire à l’égard des peuples autochtones. En 2004, la Commission canadienne des droits de la personne a publié un rapport sur la nature discriminatoire du système de classification. Elle y mentionnait le sexe, la race et les handicaps, mais à cela s’ajoute l’identification du genre.

Le sénateur K. Wells : Merci.

[Français]

La sénatrice Oudar : Merci, sénatrice Pate, pour votre engagement et votre passion pour ce sujet, ainsi que pour toute l’énergie que vous avez mise dans ce dossier depuis de nombreuses années.

Je vais continuer dans la même ligne de questions que la sénatrice Saint-Germain vous a posées plus tôt concernant le rapport Arbour et l’article 198 du projet de loi. Cet article énonce les critères d’un nouveau recours qui permet au tribunal de réduire une peine en présence d’une injustice dans l’administration de la détention. Cette injustice pourrait être, entre autres, une décision déraisonnable, injuste, oppressive ou indûment discriminatoire.

Quand on regarde le rapport Arbour, que j’ai examiné rapidement, on semble recommander que l’isolement carcéral soit limité ou soumis à un contrôle judiciaire externe, donc idéalement à un tribunal, mais utilisé seulement en dernier recours pour prévenir tout abus ou garantir la primauté du droit. Or, les critères inscrits dans l’article 198 sont plus beaucoup larges quand on parle de décisions déraisonnables, injustes, oppressives ou discriminatoires.

Si le problème est que les recours n’offrent pas une réparation adéquate pour l’injustice subie, pourquoi la solution appropriée serait-elle de réduire une peine plutôt que d’ordonner des changements aux conditions de détention? Ce changement dans la peine risque d’altérer la proportionnalité fondamentale entre le crime et la sanction. C’est la base du droit. J’aimerais d’abord vous entendre sur la non-corrélation que je vois entre le rapport Arbour et toutes les conditions qui sont dans l’article 198, puis sur la réduction de la peine et sur le risque de transgresser la proportionnalité entre le crime et la sanction, dont on n’a pas beaucoup parlé. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je vous remercie pour cette question. La juge Louise Arbour a formulé cette recommandation en 1996. Beaucoup de choses se sont produites depuis 1996. En fait, à cette époque, l’une de ses recommandations était d’imposer la même limite d’isolement préventif que la limite fixée pour l’isolement disciplinaire, soit 30 jours, à l’époque. Elle a également recommandé, en dernier recours, que nous envisagions une surveillance judiciaire.

Entre-temps, M. Howard Sapers, puis maintenant, M. Ivan Zinger, l’enquêteur correctionnel du Canada, ainsi que d’éminents universitaires et des gens embauchés par le service correctionnel, comme M. Michael Jackson, professeur émérite de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, ont longtemps recommandé et essayé d’instaurer la surveillance par des tiers indépendants.

Les propos de M. Michael Jackson m’ont brisé le cœur. Il a affirmé qu’au bout de 50 ans de réformes, il en a conclu que ces pratiques sont inscrites dans l’ADN du service correctionnel et que la seule chose qui pourrait changer ces comportements serait peut-être la surveillance judiciaire. C’était terrible. J’aurais préféré me tromper et entendre une idée nouvelle, mais le service correctionnel a contourné toutes les mesures qu’on a essayé d’appliquer. Si le tribunal ne se penche pas sur un problème et n’exige pas de changements — même lors de l’arrêt de la juge Pomerance —, s’il ne s’agit pas d’une modification de la durée de la peine, nous devons essentiellement compter sur ceux qui se rendent dans les prisons pour changer la situation, pour continuer à documenter ce qu’ils observent ou pour ramener le service correctionnel devant les tribunaux.

Nous le faisons déjà. Nous le faisons au moment de la détermination des peines et des conditions d’incarcération. Cela se fait un peu partout. En termes de contestation, ce qui s’est passé à Maplehurst fait actuellement la une des journaux, car de nombreuses accusations ont été abandonnées à cause des mauvais traitements subis par des personnes pendant leur détention provisoire. En vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, il est déjà possible de retourner devant le tribunal afin de réviser la peine des détenus qui se comportent bien. On n’en parle pas souvent, parce qu’il s’agit de jeunes et que leur dossier est confidentiel, mais ces dispositions sont disponibles. En fait, je me suis inspirée de ce modèle, de ces dispositions qui nous sont déjà disponibles.

Je ne devrais probablement pas mêler la juge Arbour à tout cela, mais je lui ai demandé ce qu’elle recommanderait. En 2016, elle a dit publiquement qu’en 1996, c’est ce qu’elle avait constaté et proposé. Elle n’avait jamais imaginé que la situation empirerait; en fait, elle pensait que les choses s’amélioreraient. Nous étions nombreux à penser que les recommandations de la commission Arbour seraient mises en œuvre, mais ce n’est jamais arrivé. J’étais jeune et naïve à cette époque. Maintenant, je suis vieille et naïve.

La sénatrice Clement : Sénatrice Pate, je vous remercie du fond du cœur pour votre travail admirable. Je remercie aussi Mme Grant et M. Osborne de vous avoir continuellement appuyée.

J’ai deux questions à vous poser. La première concerne la langue. Cette question a été soulevée au Sénat après le discours de la sénatrice Dasko sur ce que nous appelons les populations minoritaires ou défavorisées. Certaines lois utilisent les termes « noires » et « racialisées ». Pourriez-vous nous dire si le libellé de l’article 81 proposé, « au service d’une population défavorisée ou en situation minoritaire », s’applique à l’heure actuelle? Les populations autochtones et noires sont les deux populations systématiquement surreprésentées dans les prisons. Voilà, c’est ma première question.

Deuxièmement, je vous remercie d’avoir mentionné M. Rick Sauvé, qui s’est battu pour le droit de vote jusqu’à la Cour suprême. Comme vous le savez, cette année, juste avant les élections fédérales, je suis allée dans de nombreuses prisons pour voir comment les prisonniers exercent leur droit de vote. Quand j’ai parlé de ce projet à ma famille pendant le dîner de Pâques — à des Canadiens —, la réaction n’a pas été très positive. Les membres de ma famille se demandaient pourquoi les prisonniers devraient avoir le droit de voter.

Dans le cas qui nous occupe, le recours que vous décrivez concerne les droits de la personne. Pourquoi les Canadiens devraient-ils se préoccuper du fait qu’on viole les droits de la personne dans les prisons? Comment devrions-nous en parler aux Canadiens?

La sénatrice Pate : Je reviens toujours à ce que M. Nelson Mandela a dit en sortant de prison. Beaucoup de gens ne savent pas que l’une des premières lois qu’il a promulguées interdit que les mères qui ont un enfant de moins de 12 ans soient emprisonnées. Bien des gens ne le savaient pas. Des hommes ont contesté cette loi dans l’affaire Hugo.

M. Mandela a dit deux choses : si les droits de la personne ne sont pas respectés en prison, ils ne le seront nulle part ailleurs. Si l’on ne garantit pas cette protection à ceux qui sont le moins susceptibles d’en jouir, on ne la garantira à personne d’autre. Il affirmait qu’emprisonner une mère dans cette situation — cela remonte à quelque temps déjà — revenait à condamner les générations futures à l’asservissement.

Grâce au travail de notre regretté collègue, M. Murray Sinclair, et à d’autres personnes, nous savons que les prisons sont nos pensionnats actuels. Nous savons qu’une femme sur deux et un homme sur trois purgeant une peine de ressort fédéral sont des Autochtones, et que les chiffres augmentent pour les personnes d’origine africaine et pour d’autres groupes.

Ce libellé vise à capturer le plus grand nombre possible de populations, en tenant compte du fait que, dans certaines régions... par exemple, en Colombie-Britannique, nous avons un nombre croissant de prisonniers sud-asiatiques. Nous nous sommes demandé s’il fallait nommer toutes ces populations, mais je craignais d’en omettre ou de lancer une tendance potentielle atroce. Je serai heureuse de recevoir des suggestions pour améliorer ce libellé. Merci d’avoir soulevé cette question, et merci à tous pour vos aimables commentaires.

Le sénateur Dhillon : Je vais vous remercier une fois de plus pour votre travail et pour votre engagement envers ce problème.

Les gens pensent généralement que, quand une personne est envoyée en prison, elle va repayer sa dette envers la société. Cependant, on ne s’attend pas à ce que cette personne subisse d’autres préjudices. Ce sentiment s’insère dans notre discussion. C’est pourquoi il est important que nous tenions la promesse que nous avons faite à ceux qui ont été traduits en justice et qui repaient maintenant leur dette à la société. Nous ne voulons pas qu’ils en ressortent pour avoir subi les préjudices que nous désirons prévenir.

À cette fin, cependant, vous avez observé — et je l’ai aussi remarqué quand je participais à la lutte contre le crime organisé et les gangs —, qu’en prison, les gangs rivaux affichent leurs couleurs et marquent leur espace. Pour ces détenus, c’est souvent une question de survie.

Je voudrais savoir, quand vous parlez de sécurité statique et d’intervention dynamique, si vous pouvez nous citer des cas où ces stratégies ont réussi sans que l’on ait dû isoler les membres de gangs pour les protéger?

La sénatrice Pate : C’est une excellente question. Merci.

Oui, les interventions les plus efficaces que j’ai vues sont celles entre pairs. M. Rick Sauvé porte encore — en fait, cela n’existait pas quand il était en prison — une désignation de groupe menaçant la sécurité. On lui a affiché cette désignation quand on l’a créée à cause des motifs pour lesquels il avait été condamné, il y a près de 40 ans. Mais les hommes qui sont passés par là, qui ont rejeté et abandonné leurs couleurs, leurs affiliations et autres, sont justement ceux que les détenus écoutent.

Ce qui est horrible, maintenant, c’est que les détenus doivent presque dire qu’ils sont affiliés à un gang pour jouir d’une certaine protection. C’est épouvantable. Donc, en nous concentrant sur les gangs plutôt que sur les interventions, je pense que nous avons en fait — et je dis « nous », parce que je n’ai pas réussi à changer cela moi-même — aggravé ce problème. Je peux vous donner en exemple quelques cas où nous n’avons pas suivi cette approche. Quand je travaillais auprès des jeunes, à Calgary, nous avons décidé de ne pas nous concentrer sur les gangs. Nous avons discuté des façons d’intervenir dans la vie des jeunes vulnérables et qui risquaient le plus de se joindre à un gang. Que pouvions-nous faire dans l’immédiat? Les gens ont donné toutes sortes de noms à ces interventions, comme les interventions auprès des délinquants récidivistes, et autres. Bref, bon nombre de ces jeunes ne se sont jamais joints à des gangs.

Quand nous sommes allés au Manitoba pour tenter de régler le problème, l’attention s’est immédiatement portée sur les gangs de jeunes Autochtones. Il serait difficile de ne pas compter au moins trois ou quatre générations de gangs depuis cette époque.

Donc j’ai remarqué qu’en nous concentrant sur la question des gangs par opposition à celle de l’inégalité économique, de l’inégalité raciale ou de tout autre problème, comme le désir d’appartenir à un groupe, en constatant le nombre d’enfants pris en charge qui sont recrutés par des gangs, j’ai compris que nous avons créé une partie de ce problème nous-mêmes. Cela n’excuse pas le comportement de ces jeunes, mais je pense que c’est de notre faute si nous avons élevé des enfants qui se soucient davantage d’acheter une paire de baskets que de manger.

Ce projet de loi ne règle pas le problème, mais il y a beaucoup d’autres problèmes sur lesquels nous devrons nous concentrer pour le régler. La sécurité dynamique est une solution, mais la confiance que nous plaçons dans les détenus sortis de prison qui s’efforcent de nous aider en est une autre. Il nous a été extrêmement difficile de renvoyer M. Sauvé dans un établissement à sécurité maximale pour faire ce travail. Pourtant, son intervention a probablement été la plus efficace de toutes dans ce domaine. Il nous a offert d’intervenir dans tous les établissements à sécurité maximale du pays pour 200 000 $. C’est une somme dérisoire par rapport au budget annuel de 3,2 milliards de dollars du système correctionnel. Le Ministère n’en consacre que 6 % à la collectivité, et tout le reste va dans les prisons. Pas étonnant que nous assistions à une telle prolifération.

En ce qui concerne les interventions dynamiques en isolement, je ne suis au courant que d’un très petit nombre de cas. Sous le gouvernement précédent, l’Ontario comptait mettre en œuvre une loi, qui est toujours en vigueur, mais qui n’a jamais été appliquée. Elle aurait éliminé les unités d’isolement de quatre prisons en Ontario. Or, il a été jugé que cela n’était pas politiquement vendeur, et la loi a été retirée. Toutefois, nous avons réussi à travailler auprès des gens dans certaines prisons — auprès des autorités provinciales et des jeunes, en particulier —, et à un moment donné, ici en Ontario, l’inspecteur du Centre William E. Hay a déclaré qu’il voulait s’en débarrasser. Il est en fait illégal de placer des mineurs en isolement. Le fait que cela se fasse partout au pays est un tout autre problème, mais ce projet de loi ne réglera pas le problème. Dans ce cas, nous nous sommes rencontrés et avons parlé. Certains mineurs passaient des jours, voire des semaines, en isolement. L’inspecteur a mis en place une politique prévoyant que, si un membre du personnel souhaitait placer un détenu en cellule de « tranquillisation » — on ne parlait pas d’isolement —, un gardien devait s’installer dans l’encadrement de la porte et dialoguer en continu avec le détenu. La durée de ce genre de dialogue est passée de plusieurs semaines à quelques heures, voire quelques minutes. Comme les autorités n’ont pas voulu que le gardien à la porte soit assis, le personnel était dans l’impossibilité de lire ou de faire quoi que ce soit d’autre. Les gardiens devaient se tenir debout à la porte pour dialoguer avec les détenus. À elle seule, cette politique a changé une pratique établie.

J’ai bon espoir que ce projet de loi contribuera à changer les pratiques. Cette mesure n’est pas une panacée et elle ne permettra pas de tout contrôler, mais elle pourrait aider à impulser le changement nécessaire.

Le président : Merci pour votre visite, sénatrice Pate, et de marrainer ce projet de loi. À l’instar de mes collègues, je vous remercie pour votre excellent travail et pour vos prises de position dans ce dossier. Merci, madame Grant, d’avoir aidé votre sénatrice.

Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir des représentants du Service correctionnel du Canada, soit Marie Doyle, commissaire adjointe, Services de santé, et Jay Pyke, commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels.

Je remercie les deux témoins de leur présence. Nous allons commencer par une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions. Vous connaissez cette pratique, j’en suis sûr. Soyez les bienvenus. Madame Doyle, vous pouvez commencer, si vous le voulez bien.

Marie Doyle, commissaire adjointe, Services de santé, Service correctionnel Canada : Merci, monsieur le président.

Honorables sénateurs, c’est un plaisir pour moi d’être parmi vous aujourd’hui. Comme le président l’a indiqué, je m’appelle Marie Doyle, et je suis commissaire adjointe des Services de santé au Service correctionnel du Canada. Je suis accompagnée de Jay Pyke, commissaire adjoint des Opérations et des programmes correctionnels.

À titre de commissaire adjointe des Services de santé, j’assure la surveillance de la prestation des services de santé aux détenus sous responsabilité fédérale, avec l’appui d’une équipe de professionnels de la santé agréés. Les services qu’ils fournissent sont indépendants sur le plan clinique, axés sur la personne et adaptés à la culture.

Notre modèle de prestation de services de santé mentale offre un continuum de soins aux délinquants, allant de leur admission à l’expiration de leur peine. Cela comprend les centres régionaux de traitement, qui offrent des services psychiatriques en milieu hospitalier et des services intermédiaires de santé mentale aux détenus présentant un besoin en santé mentale reconnu.

Je constate qu’une bonne partie des discussions que vous avez eues au sujet de ce projet de loi ont porté sur les besoins en santé mentale des détenus. Je suis certaine que nous serons toutes et tous d’accord pour dire que les soins de santé mentale sont une composante essentielle de la réhabilitation des délinquants, et c’est pourquoi nous accordons autant d’importance à l’atteinte de meilleurs résultats en matière de santé pour les personnes dont nous avons la charge et la garde.

Nous avons fait beaucoup de travail important pour mieux mesurer les répercussions de nos services et de notre approche en matière de soins, notamment d’accès aux soins. Dans le cadre de ce programme, nous avons été en mesure de nous assurer que 95 % des détenus ayant des besoins identifiés en matière de santé mentale reçoivent un traitement et que 98 % d’entre eux sont suivis par un médecin ou une infirmière praticienne identifiés, qui est en quelque sorte le fournisseur de soins le plus responsable.

Étant donné l’importance de cette question, nous sommes déterminés à en faire encore plus pour améliorer les services de santé mentale pour les délinquants. Nous avons entrepris un examen ciblé de la prestation des soins de santé afin de nous assurer que les détenus reçoivent les bons services, au moment opportun et des bons professionnels. Cela nous permet aussi de nous assurer que nous tirons parti de l’expertise et de l’expérience de notre effectif.

En mai dernier, nous avons lancé un examen de nos centres régionaux de traitement pour établir une référence normalisée en matière de services à l’échelle du pays, y compris pour les délinquants autochtones et les délinquantes. Cet examen vise à s’assurer que les services répondent aux besoins sanitaires des délinquants et qu’une combinaison adéquate de soins psychiatriques en milieu hospitalier, de soins intermédiaires en santé mentale et de soins médicaux de courte de durée est offerte.

Par ailleurs, nous examinons actuellement l’infrastructure de nos installations de soins de santé pour mieux favoriser la réhabilitation et le rétablissement.

De plus, nous lançons le Service de représentation des patients, qui est appuyé par un comité consultatif mis sur pied au printemps. Ce comité est composé d’intervenants internes et externes provenant de divers milieux, qui fourniront des conseils pour nous aider à mieux répondre aux besoins des personnes dont nous avons la charge.

Nous avons aussi terminé un examen des soins intermédiaires de santé mentale sous la direction de notre psychiatre principal national, en collaboration avec des experts externes. L’examen visait à améliorer les résultats en matière de santé mentale et la qualité de vie des détenus souffrant de troubles mentaux. Des améliorations continueront d’être apportées à ce modèle pour améliorer davantage les soutiens et les résultats.

C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions au sujet de la prestation des soins de santé. De plus, M. Pyke pourra répondre aux questions des membres du comité concernant le fonctionnement des unités d’intervention structurée et les opérations.

Avant cela, je veux vous parler brièvement de quelques réussites et améliorations que nous avons constatées, étant donné que le projet de loi porte sur les unités d’intervention structurée, ou UIS.

Nous avons observé une augmentation annuelle du pourcentage de transfèrements réussis hors d’une UIS. On parle de transfèrements réussis quand les détenus ne sont pas réadmis dans une UIS dans les 120 jours suivant leur retour au sein de la population carcérale régulière. Nous avons aussi observé une diminution du nombre médian de jours que les délinquants ont passé dans une UIS entre 2023 et 2025. Malgré cela, nous avons pris des mesures pour améliorer davantage le fonctionnement des UIS.

Par exemple, nous avons instauré une série de politiques révisée qui tient compte des changements opérationnels, renforce la surveillance et précise d’autres attentes en ce qui a trait au respect des lois. Nous avons aussi établi des objectifs clairs pour les UIS visant à renforcer l’esprit de la loi, à améliorer la compréhension des rôles et des responsabilités, et à favoriser l’uniformité de la prestation de services. Cela s’ajoute aux tribunes spéciales mises sur pied pour examiner les cas complexes dans les UIS, déterminer les pratiques exemplaires et explorer des solutions de rechange aux transfèrements vers une UIS à l’échelle du pays.

Et nous avons amélioré la formation et le soutien destinés aux intervenants en compétences comportementales qui travaillent auprès des détenus dans les UIS pour veiller à ce qu’ils soient outillés pour répondre aux besoins des délinquants. Grâce à ces mesures, nous entendons continuer de renforcer la surveillance et le fonctionnement des UIS.

Je tenais aussi à parler brièvement de la surreprésentation de certains groupes de personnes dont nous avons la charge et la garde. Nous savons que les délinquants autochtones et noirs demeurent surreprésentés dans notre système de justice pénale, et nous avons de nombreuses initiatives en cours pour en réduire le nombre dans nos établissements fédéraux.

Dans le cadre de ces efforts, le SCC fournit du financement aux collectivités et organismes autochtones pour renforcer les partenariats, appuyer les initiatives de collaboration et offrir des interventions adaptées à la culture qui aident les personnes à passer de l’établissement à la collectivité et à surmonter les difficultés que pose leur réinsertion au sein de leur collectivité d’origine ou d’un milieu urbain et qui font progresser la planification de la libération aux termes de l’article 84.

Pour les délinquants noirs, nous sommes en train de mettre en œuvre une stratégie relative aux délinquants noirs, laquelle est inspirée des commentaires de plus de 400 délinquants noirs, y compris des initiatives qui appuient de meilleurs résultats correctionnels et tiennent compte de leurs vécus. Une somme de 7,9 millions de dollars sera investie dans ces initiatives au cours des deux prochaines années.

Par le biais des mesures mentionnées, nous demeurons déterminés à améliorer nos services pour mieux répondre aux besoins de notre population de délinquants. M. Pyke et moi serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie de votre déclaration liminaire. Nous allons passer aux questions.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup de votre présence et de votre assistance dans l’étude de ce projet de loi. Le projet de loi S-205 traite des problèmes de santé mentale invalidants au sens de l’article 37.11 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui s’entendent du refus d’interaction sociale, des actes d’automutilation, des symptômes de surdose et des signes de détresse émotionnelle ou des comportements indicatifs d’un besoin urgent de soins de santé mentale. D’après votre expérience, dans quelle mesure ces conditions sont-elles courantes chez les détenus pendant leur incarcération? Et croyez-vous que, si cette disposition du projet de loi S-205 était appliquée telle quelle, cela pourrait mener à un nombre important de transferts en milieu hospitalier?

Mme Doyle : Je vous remercie de la question. Nous avons étudié de près le niveau des besoins en santé mentale de la population carcérale. Le nombre de détenus ayant des besoins très aigus en matière de santé mentale, qui seraient acceptés par un hôpital extérieur, est relativement faible par rapport au nombre total de détenus sous notre garde qui ont des besoins en matière de santé mentale, notamment des besoins intermédiaires, qui restent importants, mais moins considérables.

Nous nous sommes notamment attachés à répondre aux besoins en matière de santé mentale de l’ensemble des détenus que nous voyons, quelle que soit la complexité de leur situation, y compris ceux qui ont des besoins plus aigus. Nous avons fait de notre mieux dans le cadre de l’examen des centres de traitement régionaux et nous avons amélioré le placement et le nombre de lits destinés aux soins de santé mentale intermédiaires afin de répondre à leurs besoins. La proportion des personnes ayant un besoin aigu en santé mentale est plus faible que celle des personnes ayant un besoin intermédiaire en la matière.

La sénatrice Batters : Les informations que je vous ai lues font référence à ce qu’on appelle les « troubles mentaux invalidants », et c’est cette définition très particulière qui s’applique, et non pas quelque chose qui détermine, comme vous l’avez mentionné, les besoins aigus ou les besoins intermédiaires. Je dirais que bon nombre des éléments que je viens de lire relèvent plutôt du besoin intermédiaire. Compte tenu de cette définition, combien de personnes seraient concernées? C’est ce que nous devons vraiment déterminer dans le cadre de l’étude de ce projet de loi.

Mme Doyle : Je vais devoir vous revenir à propos des chiffres.

La sénatrice Batters : Merci. Je vous invite à le faire assez rapidement, parce que l’étude du projet de loi pourrait être écourtée et que nous devons connaître ces chiffres assez rapidement.

De plus, le budget fédéral a été dévoilé hier et il comporte un très gros déficit, le plus important après celui de la COVID-19, qui est de 78 milliards de dollars et qui comporte beaucoup de dépenses. Je me demande quelles mesures pourraient être utiles dans le cadre d’un projet de loi comme celui-ci, quels types de services sont nécessaires dans vos installations, quel genre de dépenses le gouvernement prévoit-il dans le budget pour aider à régler ce genre de problèmes?

Mme Doyle : Sur le plan organisationnel, nous avions déjà bénéficié d’investissements par l’entremise du projet de loi C-83. Cela nous a permis de renforcer les services de psychiatrie et le niveau de dotation déjà en place dans certains de nos centres de traitement.

Dans la mesure du possible, nous avons également essayé d’étendre nos activités de sensibilisation aux hôpitaux externes. Encore une fois, nous ne pouvons pas obliger les hôpitaux de l’extérieur à accepter nos patients, mais nous avons déjà reçu des investissements à la faveur du projet de loi C-83 qui nous ont permis de renforcer les soins et les services.

La sénatrice Batters : Le projet de loi C-83 remonte à plusieurs années. Je me demande ce qu’il y avait dans le budget d’hier qui aiderait à régler ce genre de problèmes.

Mme Doyle : Pour ce qui est des détails du budget et de ses répercussions sur le SCC, nous attendons le débat sur le budget et les prochaines étapes.

La sénatrice Batters : Vous attendez le débat sur le budget, mais le document est disponible et je pense que vous pourriez nous dire quelle partie de cette dépense a été faite. Encore une fois, s’il vous plaît, pourriez-vous nous revenir là-dessus?

Mme Doyle : Absolument.

La sénatrice Batters : Comment évaluez-vous le risque pour la sécurité et le bien-être des détenus vulnérables et menacés s’il y a des retards dans le traitement des demandes de prolongation par les cours supérieures pour les séjours dans une unité d’intervention structurée?

Mme Doyle : Je vais céder la parole à mon collègue. Je tiens à souligner que le nombre de délinquants ayant les besoins considérables que vous avez mentionnés est d’environ 160.

Jay Pyke, commissaire adjoint, Secteur des opérations et programmes correctionnels, Service correctionnel Canada : Pour ce qui est de la question du risque, il convient de souligner qu’il s’agit d’une population très complexe. D’après mon expérience, la durée maximale de 48 heures qui est proposée n’est pas suffisante, dans certains cas, pour être en mesure d’atténuer les causes de l’incarcération dans une UIS ou d’aller au fond du problème. Cette dynamique pourrait être... par exemple, si une personne est agressée par un groupe, il y a beaucoup d’étapes à franchir pour que des discussions se tiennent et pour que soit examiné ce qui a pu contribuer à l’incident, sur la base de renseignements de sécurité préventive. Les délinquants ne sont pas nécessairement enclins à fournir des renseignements sur la cause première. Il pourrait par exemple s’agir d’un problème de dette ou de drogue.

Mais je dirais que, souvent, lorsqu’il s’agit de préserver la vie, la santé et la sécurité du délinquant en question, ainsi que du personnel, cette période de 48 heures n’est tout simplement pas suffisante dans certaines circonstances pour prendre la décision réfléchie de réintégrer cette personne en toute sécurité dans la population générale. Selon les circonstances entourant le placement, il peut s’agir de sa propre sécurité ou de celle des autres.

La sénatrice Batters : Avant de terminer, j’aimerais revenir brièvement au chiffre de 160 donné par Mme Doyle. S’agit-il des besoins aigus dont vous parliez tout à l’heure, ou êtes-vous d’avis maintenant que cela engloberait les cas correspondant à la définition dont je vous parlais tout à l’heure? Si vous avez besoin de nous revenir à ce sujet, je comprends, mais j’aimerais avoir un chiffre exact sur la base de la définition qui est comprise dans cette loi.

Mme Doyle : Nous essaierons d’être plus précis. Le chiffre de 160 correspond au nombre de personnes ayant des besoins aigus en santé mentale, alors nous vous reviendrons avec une réponse plus détaillée, c’est certain.

La sénatrice Batters : Merci.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Bienvenue. Bonjour à vous deux.

J’ai lu avec intérêt votre réponse au rapport de 2024-2025 du Bureau de l’enquêteur correctionnel, votre ombudsman. Vous y parlez entre autres de vos services de soins en santé mentale, les soins intermédiaires. Vous y avez fait référence, madame Doyle, dans votre déclaration préliminaire : 94 % des personnes détenues ont un médecin, un membre de la famille ou du personnel infirmier praticien qui est leur point de contact désigné. Je ne vous donnerai pas les détails, mais dans la population en général, selon des statistiques de 2024 de Statistique Canada, 83 % des Canadiens ont un médecin de famille. C’est donc moins élevé. Au Québec, ma province, on parle de 74 % seulement. On voit que dans la population en général, selon l’étude de l’Institut canadien d’information sur la santé, 38 % des adultes qui ont besoin des besoins en santé mentale n’ont accès ni à des soins ni à des services. Dans ce contexte, j’ai une question très crue pour vous : ne serait-il pas préférable de considérer que les personnes détenues qui ont des problèmes de santé mentale sont mieux soignées actuellement que ce que le système public peut leur offrir?

[Traduction]

Mme Doyle : Merci beaucoup de la question.

En fait, nous comparons nombre de nos services aux normes de l’Institut canadien d’information sur la santé, ou ICIS, simplement à titre de repère. En termes simples, oui, dans bien des cas, pour ce qui est de l’accès aux soins, il y a un meilleur accès pour une population de patients que celui qui pourrait être offert dans certaines provinces et — je suis originaire des Territoires du Nord-Ouest — dans certaines régions éloignées.

Compte tenu de l’importance du bien-être et des traitements en santé mentale pour la sécurité publique, nous sommes très heureux d’avoir pu renforcer les soins de cette façon et améliorer l’accès, absolument.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Ma deuxième question concerne la section de la loi qui concerne les libérations conditionnelles. Donc, il y a une proposition, en situation de libération conditionnelle, en vue d’ajouter au paragraphe 81(1) des entités de gouvernance autochtone, ce qui vient préciser la loi en vigueur. On y inclut également, aux alinéas c) et d) — et je m’intéresse dans ma question uniquement à ces deux alinéas —, et je cite :

c) un groupe ou un organisme communautaire œuvrant au service d’une population défavorisée ou en situation minoritaire;

d) toute autre entité qui fournit des services de soutien dans la collectivité.

Cela me semble vraiment très large dans un contexte de libération conditionnelle. Que pensez-vous de ces ajouts? Auriez-vous des suggestions à nous faire afin de faire en sorte que les organismes visés soient en mesure de remplir les obligations que la loi leur conférerait?

[Traduction]

M. Pyke : Merci.

En ce qui concerne la proposition, je pense que ce sont les articles 81 et 84 auxquels nous nous reportons pour ce qui est du critère que Service correctionnel Canada a toujours utilisé pour les collectivités autochtones, à savoir le retour dans une collectivité autochtone. Pour l’instant, ou jusqu’à maintenant, le travail de SCC avec les collectivités autochtones s’est concentré exclusivement sur la conclusion d’accords en vertu de l’article 81 pour les Autochtones.

Toutefois, pour répondre à votre question en ce qui a trait à d’autres groupes, la première chose que je ferais personnellement pour être plus à l’aise serait de discuter des articles 81 et 84 avec les peuples autochtones, car c’était le but visé et c’est ce que nous avons fait jusqu’ici. Envisageons-nous d’autres solutions pour d’autres groupes racialisés? Prenons l’exemple des délinquants noirs de la région de l’Ontario. Nous commençons à envisager d’autres solutions concernant la semi-liberté. Existe-t-il d’autres options dans la collectivité? Comme j’étais auparavant dans la région de l’Atlantique, je vais utiliser l’exemple de la communauté afro-néo-écossaise de cette région. Je veux parler de la recherche d’un soutien à l’intérieur ou à l’extérieur de cette communauté, c’est-à-dire des programmes qui pourraient être offerts pour appuyer les membres de ce groupe au moment de leur libération.

Nous envisageons également de commencer... nous examinons les antécédents sociaux, qui jouent un rôle important pour les Autochtones, et nous nous penchons sur la planification correctionnelle et la planification de la libération en ce qui les concerne. Nous commençons à peine à examiner, par exemple, les antécédents sociaux d’un délinquant noir. Quelle incidence ont-ils pour que les choses soient peut-être envisagées un peu différemment, par exemple, l’exposition précoce à la justice pénale et les préjugés au niveau national auxquels la dynamique entourant ces antécédents sociaux a donné lieu?

De plus, nous cherchons à former des agents de liaison communautaire. Je vais citer mon expérience récente dans la région de l’Atlantique concernant l’affectation d’un agent de liaison auprès de la communauté noire, quelqu’un qui servira de pont entre celle-ci et les délinquants, c’est-à-dire qui examinera ce qui existe en matière de soutien potentiel, ce qui est prévu pour organiser les choses avant la libération, et quels types de mesures peuvent être mises en place pour aider à améliorer les compétences culturelles en milieu carcéral, afin de changer l’expérience des personnes autochtones, noires et de couleur pendant leur incarcération. Merci.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux d’être ici. La dernière fois, c’était la commissaire qui était parmi nous. Vous êtes dans la position peu enviable de défendre des points de vue qui... comme il m’arrive souvent de parler à des gens du système correctionnel, je me fie la plupart du temps à des personnes comme vous qui savent qu’il y a souvent un fossé entre la politique et les pratiques en milieu carcéral. Je vous remercie donc d’être venus. Les questions que je vais poser se situent d’ailleurs dans ce contexte.

Je vais commencer par vous, madame Doyle. Vous savez que dans la décision Warren, le juge Pomerance a ordonné que M. Warren ne purge pas sa peine en prison, mais qu’il soit plutôt hospitalisé. J’ai vu la correspondance des services correctionnels, et il n’est pas étonnant qu’aucun hôpital n’ait accepté M. Warren, parce qu’aucune ressource n’était offerte. On a simplement demandé aux hôpitaux s’ils voulaient accepter cette personne et, évidemment, ils ont tous répondu non.

Je pense que l’argument qu’a fait valoir l’enquêteur correctionnel, en réponse au rejet par Service correctionnel de sa recommandation selon laquelle des ressources devraient être affectées, en vue d’obtenir des lits en santé mentale à l’extérieur, reflète le défi que cela représente. Nous ne voyons pas l’impact que vous décrivez par rapport à vos objectifs. Nous ne voyons pas l’impact concret de ce qui se passe lorsque les gens sortent de ces unités et réintègrent la collectivité. En fait, comme vous le savez, ce retour dans la collectivité prend beaucoup de temps.

Comment réagissez-vous au fait que l’enquêteur correctionnel, qui a documenté la situation, produit un rapport très approfondi et formulé ces recommandations, est très préoccupé par la multiplication par trois du budget prévu pour le Centre de rétablissement Shepody, ainsi qu’au fait que je reçois régulièrement des appels de psychiatres qui travaillent au sein de Service correctionnel Canada, pour me demander d’intervenir dans des cas, afin de tenter de faire sortir des gens du système carcéral. La sécurité est toujours perçue comme ayant la priorité par rapport à la thérapie. Vous savez que la majeure partie de cette information... je reçois de l’information des prisonniers parce que je vais dans les prisons, mais j’en reçois aussi beaucoup du personnel.

Comment conciliez-vous cela? Comment nous encourageriez-vous à concilier cela, compte tenu du fait que votre travail est de défendre le service pour lequel vous travaillez? Si vous pouvez nous éclairer à ce sujet, ce serait extrêmement utile.

Mme Doyle : Je vous remercie de la question.

Pour ce qui est du point particulier de la communication avec les hôpitaux, elle s’est accompagnée de réunions et de démarches auxquelles ont participé notre chef national en psychiatrie et notre psychiatre régional, qui avaient les contacts nécessaires. Il est certain qu’une lettre ne suffit pas. C’est le travail que nous continuons de faire pour tirer parti des partenariats, afin de dépasser les limites de SCC et d’établir des liens avec les services. Cela a donné des outils à notre chef national en psychiatrie. Cela s’est fait par notre entremise, dans le cadre d’un partenariat avec l’Hôpital Royal, ici à Ottawa. Ce réseau de réseaux est très important dans notre recherche de lieux pour offrir des soins. Je dirais donc qu’il y a la lettre, mais qu’il y a aussi tous ces efforts.

Je tiens à dire une dernière chose, qui concerne davantage les possibilités ou les remboursements de partenariats. Nous avons discuté avec l’organisme de passation de marchés interne de SCC au sujet d’un processus d’appel d’intérêt. Ce serait un processus plus solide pour ce qui est de la communication avec les hôpitaux, dans le but d’amplifier les efforts de partenariat.

L’amélioration des résultats est quelque chose qui me tient vraiment à cœur. Je suis arrivée à SCC il y a un peu plus d’un an et demi, et l’une de mes priorités — et cela témoigne de l’importance des besoins de notre population carcérale en matière de santé mentale et de toxicomanie — est, sans nul doute, comme vous le savez, de renforcer les résultats et de veiller à offrir aux gens le bon type de service au bon moment. Cela revêt une grande importance.

Au sein de SCC, comme dans les systèmes de santé, il y a des défis liés aux ressources humaines. Le « qui » en ce qui a trait aux soins de santé est vraiment important. Par conséquent, une grande partie du travail que j’ai accompli depuis mon arrivée à SCC a été d’élaborer, en partenariat avec nos milieux de la santé, une stratégie des ressources humaines en santé. Cela aide à solidifier la base de professionnels de la santé dont nous disposons pour faire des évaluations, afin de nous assurer que les ressources nécessaires sont en place pour répondre aux besoins en matière de santé mentale et de toxicomanie des patients dont nous sommes chargés. Je pense que c’est pour cela qu’il est très important de mettre l’accent sur l’amélioration continue dans le cadre des soins de santé, comme cela se fait dans les systèmes de santé.

La sénatrice Pate : Malheureusement, je ne pourrai pas poser ma question à M. Pyke, mais y a-t-il des sommes associées à cela? Il n’en était pas question dans les lettres que j’ai vues. Je suis d’accord avec M. Zinger pour dire que si Service correctionnel Canada allait dans chacune des régions et offrait 250 000 $ pour mettre sur pied une unité de 20 ou 30 lits, la réponse serait probablement différente. Dans le cas de M. Warren, par exemple, quels chiffres ont été utilisés pour déterminer le coût pour lui fournir ces services?

Mme Doyle : À l’heure actuelle, le tarif journalier de l’Institut Pinel est de 1 200 $ par lit. Je pense que cela faisait partie des activités externes, mais, pour revenir à ce que vous disiez au sujet de chiffres et de détails précis, nous pouvons envisager d’inclure ce niveau d’information dans le processus de demande d’information.

Pour ce qui est des services externes et un peu de ce que nous entendons à ce sujet, c’est que la capacité est plus limitée, surtout en ce qui concerne les affaires judiciaires complexes. Dans de nombreux hôpitaux de santé mentale au Canada, bon nombre des personnes dont nous sommes chargés ont des besoins uniques en matière de soins, ce qui peut parfois présenter un défi.

Mais je suis tout à fait d’accord pour que nous poursuivions le recours à des services externes et, comme je l’ai dit, pour que nous soyons aussi explicites que possible au sujet de notre intérêt à établir des partenariats et du potentiel de partenariat, dans le cadre d’un processus d’appel d’intérêt. Je tiens toutefois à souligner que nous poursuivons également nos efforts en vue d’essayer d’enrichir les services actuels dans nos différents sites à l’externe, c’est-à-dire d’établir des partenariats, tant pour ce qu’ils peuvent fournir en matière de lits que pour ce qui est du renforcement des soins et des services que nous offrons déjà.

La sénatrice Pate : Je crois que mon temps est écoulé.

Le président : La sénatrice Pate pourrait peut-être vous aider et poser brièvement la question à M. Pyke, afin qu’il puisse répondre par écrit.

La sénatrice Pate : Une des questions que j’aimerais poser concerne le nombre de cas de semi-liberté autres et leur répartition démographique. Il y a eu quelques cas pendant la pandémie. Il s’agissait de personnes que les services correctionnels avaient classées comme présentant un risque si élevé que personne n’en voulait, et c’est l’une des raisons pour lesquelles il y a eu ces cas de semi-liberté autres. Cette ventilation m’intéresse.

Madame Doyle, j’aimerais aussi savoir combien de psychiatres et de psychologues vous essayez encore d’embaucher, parce que dans bon nombre des prisons que j’ai visitées, il n’y avait pas suffisamment de personnel. Merci.

La sénatrice Simons : Monsieur Pyke, mes questions portent sur la définition d’une unité d’intervention structurée et sur les populations qui l’utilisent. La sénatrice Pate a fait remarquer qu’il y a d’autres secteurs des prisons qui sont utilisés fonctionnellement de façon très semblable à une unité d’intervention structurée.

Lorsque j’ai visité les unités d’intervention structurée à Edmonton, j’ai été impressionnée par certains des programmes offerts, mais bon nombre des gens que j’ai rencontrés... en fait, la plupart des gens qui étaient dans les UIS n’y étaient pas en raison d’un comportement dangereux ou de problèmes de santé mentale, mais à cause des tensions entre les gangs au sein de l’établissement.

Je me demande si vous pourriez nous dire si, à votre avis, il est juste, comme l’a dit la sénatrice Pate, d’inclure tous les types de lieux où des gens sont isolés dans la définition d’UIS. Pouvez-vous nous donner une idée de la répartition — je ne veux pas dire des UIS — de la population en isolement? Qui sont ces personnes?

M. Pyke : Je dirais que personne n’est en isolement.

La sénatrice Simons : Si nous voulons avoir un débat sémantique, nous allons perdre beaucoup de temps.

Ce que je veux savoir, c’est le pourcentage des personnes qui sont dans une unité d’intervention structurée, pour utiliser votre expression, et qui sont là pour leur propre protection ou en raison de tensions au sein de la population carcérale qui font en sorte qu’elles ne peuvent pas être dans la population générale. Parmi ces personnes, combien sont là en raison de comportements problématiques ou de besoins médicaux?

M. Pyke : Pour ce qui est des chiffres réels, je vais devoir vous fournir ces statistiques plus tard, mais je peux parler des principes, si c’est là le sens de votre question.

Les autres secteurs dont vous parlez, je crois, seraient les unités d’association limitée volontaire, où les gens vivent à l’écart, ne sortent pas et s’occupent de leurs propres loisirs, mais ont aussi accès aux programmes offerts. Je ne considère pas cela comme un régime d’UIS dans le sens où ils ont accès à des programmes plus généraux. Ils ont leur propre routine. Bien sûr, un seuil minimal de quatre heures à l’extérieur de la cellule et de deux heures est appliqué. Nous examinons les routines générales en mettant l’accent sur le maintien du minimum de quatre et de deux heures.

Il y a aussi les cellules nues. Une nouvelle loi régit ces cellules; une nouvelle politique. Le cas des cellules nues est très différent. Elles sont utilisées lorsque nous avons des motifs raisonnables de croire que des détenus dissimulent des articles de contrebande.

La sénatrice Simons : Afin de les faire entrer.

M. Pyke : Exact. L’utilisation qui est faite de ces cellules est un peu différente de ce qu’elle était. À l’heure actuelle, lorsqu’ils sont là pendant 48 heures, il faut en aviser un sous-commissaire régional. Au-delà de 48 heures — je dirais le jour 3 —, il faut un avis au directeur général de la sécurité à l’administration centrale. C’est la même chose après 4 jours et, bien sûr, après 5 jours, ils doivent être sortis de cette cellule.

Les contacts sont très limités dans cette situation parce que l’on craint qu’ils essaient de se débarrasser des produits de contrebande s’ils se trouvent dans un autre secteur. Ils sont constamment sous surveillance lorsqu’ils sont dans une cellule nue. C’est un autre exemple de secteur qui me vient à l’esprit. Je ne considère pas cela comme un régime d’UIS, les deux situations étant très différentes. Très franchement, ce type de placement est également rare dans l’ordre des choses.

Nous essayons également de mettre en place une nouvelle technologie qui permettra de résoudre certains de ces problèmes. Je vais prendre l’exemple de la cellule nue. Nous avons mis en place des détecteurs à balayage corporel au cours de la dernière année. Ils se sont révélés très efficaces pour ce qui est de réduire la nécessité d’utiliser une cellule nue.

La sénatrice Simons : Vous êtes donc en mesure d’identifier les gens qui ne sont pas en possession de produits de contrebande?

M. Pyke : Nous pouvons déterminer, au moyen d’un détecteur à balayage corporel, s’ils dissimulent quelque chose ou non, sans qu’il y ait aucun doute.

La sénatrice Simons : Mais s’ils dissimulent des choses, doivent-ils demeurer dans la cellule nue?

M. Pyke : Ils ont aussi le choix de coopérer. Grâce aux nouveaux détecteurs à balayage corporel, un grand nombre d’entre eux remettent les produits de contrebande qu’ils ont en leur possession sans devoir aller dans la cellule nue.

La sénatrice Simons : Pour ce qui est du nombre de personnes qui sont là pour leur protection... lorsque j’étais à Edmonton, je n’ai pas vu d’associations volontaires, mais plutôt des gens isolés, pour utiliser le sens courant du mot, de la population générale. Vous avez raison de dire qu’on leur permet de sortir peut-être plus d’une heure par jour, mais ils sont quand même assez isolés.

Dans le projet de loi de la sénatrice Pate et selon sa définition d’unité d’intervention structurée, croyez-vous que cet objectif est atteignable et que tous les éléments qui devraient être pris en considération le sont?

M. Pyke : Je suis tout à fait d’accord avec la définition d’unité d’intervention structurée que SCC utilise maintenant. Il y a d’autres sous-populations. Je répondrais que j’ai expliqué qu’il y a des différences entre les autres sous-populations et l’intention, et ce qu’est une unité d’intervention structurée.

L’objectif est-il atteignable? Je pense qu’il y a d’autres dynamiques qui justifient leur présence là et qui font en sorte que les minimums de quatre et deux heures ne sont pas pertinents pour eux, l’idée étant que nous avons des motifs raisonnables de croire qu’ils dissimulent des objets de contrebande. Je dirais donc que non.

La sénatrice Simons : Je parle de gens qui font l’objet d’une forme de garde préventive parce qu’ils appartiennent à un gang en particulier. Certains des messieurs que j’ai rencontrés à Edmonton avaient été déplacés de prisons situées à l’extérieur de la région des Prairies et ont découvert en arrivant qu’ils étaient considérés comme...

M. Pyke : Incompatibles, disons.

La sénatrice Simons : Ce serait une façon polie de dire cela.

M. Pyke : Je ne peux pas mettre tous les cas dans le même panier parce que chacun est un peu différent, pour être franc, en ce qui concerne le profil du détenu et la dynamique de chaque site. Chaque site à son profil. Dans le cas d’une personne qui est là pour sa propre sécurité et parce qu’elle est en danger, je répète que l’objectif est de remédier à la situation le plus tôt possible.

Ce sont des cas complexes, alors c’est parfois très difficile. Vous avez utilisé l’exemple du groupe menaçant la sécurité. Un grand nombre de groupes menaçant la sécurité au pays avaient autrefois un champ d’action très régional.

La sénatrice Simons : Un groupe menaçant la sécurité est-il un gang?

M. Pyke : Oui, dit plus simplement, il s’agit d’un gang.

La sénatrice Simons : Nous sommes de simples sénateurs et sénatrices. Vous devez utiliser des termes que nous comprenons.

M. Pyke : D’accord, nous allons utiliser le mot « gang ». C’est un peu simpliste en ce qui concerne certains de ces groupes, mais, d’accord, nous allons utiliser le mot « gang ». En ce sens, il s’agit vraiment de savoir où nous pouvons les placer. Pour ce qui est de cette population, lorsqu’elle doit être incarcérée, ma principale préoccupation est de sauver des vies. Je suis un ancien directeur de prison. J’ai travaillé comme agent correctionnel. Il n’est pas toujours facile d’obtenir de l’information et des renseignements. Parfois, les détenus ne veulent pas donner d’information. Parfois, le comité de bien-être des détenus auquel nous nous adressons n’offre pas d’ouverture. Il faut donc un peu de travail pour déterminer si, au bout du compte, la personne en question peut s’intégrer.

Si le comité de bien-être des détenus dit qu’ils ne sont pas les bienvenus et qu’ils ne peuvent pas sortir, je peux débattre tant que je veux de la raison pour laquelle ils sont considérés comme indésirables dans cette population, mais la réalité demeure qu’ils le sont et qu’il n’existe aucune garantie à leur sujet. Nous nous tournons donc vers d’autres milieux, d’autres établissements où nous pouvons essayer de remédier à la situation.

Je répète que l’objectif est de résoudre le problème le plus tôt possible. C’est très complexe. Si nous pouvions contrôler cela, je ne permettrais jamais qu’ils se retrouvent là. À l’heure actuelle, il faut du travail pour régler le problème et trouver un environnement approprié qui est sécuritaire. Il y a des gens qui, très franchement, ont choisi d’aller dans une UIS, sans justification particulière, sauf le fait qu’ils estiment que c’est pour leur propre sécurité. Il est très difficile de parler à ces personnes pour leur dire : « Vous n’avez pas besoin d’être ici; vous pouvez vous intégrer. » Vous pouvez amener les comités de bien-être des détenus à avoir des conversations, mais au bout du compte, ils doivent se sentir à l’aise avec cela, ce qui explique certaines des nouvelles ressources que nous avons mises en place — des spécialistes du comportement, des conseillers, en particulier — pour composer avec des problèmes de trouble de la personnalité qui peuvent empêcher certaines personnes de s’intégrer à une population en toute sécurité. Parfois, c’est simplement leur façon de vivre. Parfois, c’est simplement une question de propreté. Parfois, c’est leur manque de compréhension du monde ou des choses qu’ils pourraient dire et qui pourraient entraîner des problèmes politiques ou sociaux. J’espère que je réponds à votre question.

La sénatrice Simons : Je vous remercie de cette réponse très réfléchie.

[Français]

La sénatrice Oudar : Je voudrais aborder la question de la situation des femmes incarcérées, particulièrement les femmes autochtones et noires qui subissent, vous l’avez mentionné aussi, certains préjudices disproportionnés. On le sait, ces femmes incarcérées présentent des taux plus élevés en matière de troubles mentaux, d’antécédents traumatiques, d’automutilation et de risque de suicide en raison de ces préjudices. Dans le projet de loi, il n’y a pas de mécanisme de mise en œuvre qui tient compte des réalités liées au genre. On cherche à protéger cette population. Toutefois, risque-t-on de ne pas répondre aux besoins que je viens d’exprimer?

Ma deuxième question est la suivante : comment peut-on mieux aborder ces problèmes en matière de santé et de réintégration? Mme Doyle en a déjà parlé. Je voudrais aborder aussi la situation précédant la réintégration, quand le problème existe. J’aimerais vous entendre plus spécifiquement sur ces sujets.

[Traduction]

Mme Doyle : Je vous remercie de la question. Nous avons mis l’accent en partie sur les besoins particuliers de différentes populations, y compris les femmes et les femmes autochtones, et sur la façon de tenir compte de la complexité et de l’acuité de leurs besoins, notamment en veillant à ce que les cliniciens adoptent une approche des soins qui tient compte des traumatismes. Nous avons augmenté les ressources dans de nombreux établissements pour femmes, en raison notamment de la complexité des soins. Pour en revenir à ce que j’ai dit au sujet du recours au bon fournisseur de soins au bon moment, l’un des problèmes qui ont été cernés est qu’il arrive que ce soit un aîné ou un guérisseur traditionnel qui est le mieux placé pour fournir des soins et du soutien en santé mentale. L’avantage, c’est que cela permet parfois à cette personne de rétablir des ponts avec la collectivité ou d’obtenir du soutien. Nous cherchons donc à renforcer le rôle des aînés au sein de l’équipe de santé, compte tenu du fait qu’ils font depuis longtemps partie des interventions qu’offre SCC, mais aussi parce que les aînés et les guérisseurs traditionnels font partie des soutiens propres aux soins de santé pour les femmes, en particulier les femmes autochtones.

Je dirais aussi que l’un des aspects vraiment importants de notre planification des ressources humaines en santé, c’est de reconnaître plus particulièrement que les histoires complexes de traumatismes font en sorte qu’il est très difficile pour ces personnes de raconter leur histoire plusieurs fois. C’est très difficile. Nous voulons donc nous assurer que le premier point de contact, souvent une infirmière, est équipé pour gérer le bagage de tous ces patients ou détenus. Nous veillons à ce que les fournisseurs de soins de santé de première ligne soient plus forts et mieux outillés pour répondre aux besoins complexes en matière de santé mentale. Cela comporte un lien étroit avec ce que nous avons entendu au sujet de l’importance pour les personnes de raconter leur histoire. Lorsqu’une personne tente d’obtenir des soins, elle souhaite que ce premier point de contact soit quelqu’un en mesure de l’aider à le faire.

Ces bonnes expériences en matière de soins de santé et de soutien positif sont, à mon avis, essentielles à la réinsertion sociale parce qu’elles permettent aux personnes de considérer les soins de santé et d’autres soutiens — les aînés et le soutien communautaire — comme faisant partie de leur cercle de soutien, de leur réseau, les aidant lorsqu’elles sont détenues et ensuite, à l’extérieur.

Mais nous avons du travail à faire. Il y a un besoin à cet égard, et cela continue d’être une priorité pour nous. Je profite de ma collaboration étroite avec Kathy Neil, qui est responsable des programmes autochtones, mais qui a aussi un solide réseau de partenaires communautaires avec lesquels elle travaille déjà. Nous essayons simplement de nous assurer que nous sommes en contact avec des gens, des fournisseurs de services et d’autres qui possèdent déjà cette expertise.

[Français]

La sénatrice Oudar : Est-ce que ce projet de loi répondra à ces besoins? Ma question est ouverte à tous.

[Traduction]

Mme Doyle : En ce qui concerne les services de soins de santé, je dirais que, dans bien des régions du Canada — surtout compte tenu de la complexité des cas des détenus et des patients que nous soutenons —, il peut être difficile pour eux d’établir un lien avec les services. Je pense qu’il n’y a pas de moyen simple pour s’assurer que les besoins complexes des gens sont satisfaits.

Au sein de SCC, nous misons sur une approche axée sur le travail d’équipe, mais comme nous avons travaillé avec d’excellents partenaires externes, la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique et d’autres partenaires clés, nous savons que les besoins sont complexes et qu’il n’y a pas d’approche unique pour assurer le succès.

M. Pyke : Pour ce qui est du plafond de 48 heures, par exemple, j’ai exprimé certaines réserves plus tôt. Je pense que nous essayons vraiment de mettre fin à l’incarcération dans une UIS dès que possible. Pour être tout à fait franc, je pense que l’imposition d’un plafond pourrait parfois constituer une entrave, en raison de la dynamique que j’ai expliquée. Il y a parfois beaucoup d’aspects complexes. En ce sens, il est risqué de devoir essayer de tout régler dans un délai de 48 heures, plutôt que d’attendre une révision judiciaire potentielle dans ce délai. Je dirais qu’il y a un risque. Dans certains cas, je crois que ce risque est important. Voilà donc ma réponse en ce qui concerne l’examen judiciaire dans les 48 heures.

Le président : Si nous terminons nos travaux à 18 h 25, il nous reste 20 minutes.

Le sénateur K. Wells : Ma question porte sur une population très petite, mais extrêmement vulnérable au sein du système correctionnel, soit les personnes transgenres et de diverses identités de genre. J’aimerais que vous nous parliez un peu de l’utilisation des unités d’intervention structurée pour cette population et des mesures supplémentaires prises par Service correctionnel Canada pour assurer son bien-être dans les unités d’intervention structurée.

M. Pyke : Bien sûr. Je vais commencer. Merci.

Je dirais qu’il y a eu très peu de cas jusqu’à maintenant, mais nous avons certainement fait l’expérience de l’incarcération de personnes transgenres dans une unité d’intervention structurée. Je dirais que les critères d’admission ne sont pas différents. Pour ce qui est de l’accès aux programmes, les risques en ce qui a trait au comportement et aux interventions sont les mêmes. La dynamique peut parfois être très différente dans le cas d’une personne transgenre, selon le site et les raisons qui ont mené au placement dans les unités d’intervention structurée, ou UIS. Ma réponse est un peu hypothétique parce que, tout d’abord, je ne suis pas au courant des dynamiques à l’origine de ces placements. Si c’est pour des raisons de sécurité, je crois que cela contribue à atténuer le problème.

Je peux vous dire qu’il y a de vastes consultations qui ont lieu avant, disons, l’incarcération d’un homme transgenre dans un établissement pour hommes en ce qui concerne le plan d’action et la dynamique. Au départ, nous allons prendre des mesures pour essayer de protéger l’intimité de cette personne pendant la douche, et même pour assurer la proximité avec le bureau de sécurité ou la surveillance des gens qui circulent près de la cellule de cette personne, ou encore pour résoudre tout problème qu’elle pourrait avoir en ce qui concerne les personnes qui passent devant sa cellule.

Si c’est pour la sécurité d’autrui, c’est la même chose. La question qui se pose est la suivante : pouvons-nous atténuer cette dynamique au moyen d’un règlement informel ou de dispositions avec les comités de bien-être des détenus? S’agit-il plus particulièrement d’une escalade du niveau de sécurité? Avons-nous une approche tout à fait différente? Non. Nous consultons le Secrétariat des considérations liées au genre dans des cas comme ceux-là pour déterminer ce qu’il convient de faire et s’il est justifié d’obtenir son aide. En fait, tout revient à la personne et aux conversations avec elle.

S’il y a un élément particulier pour les personnes transgenres, mis à part les interventions et tout ce que nous avons qui réglerait évidemment les problèmes qui se posent, c’est que la démarche serait assez semblable à celle utilisée pour toute autre personne qui entre dans une unité d’intervention structurée.

Le sénateur K. Wells : Vous voudrez peut-être faire un suivi par écrit, à moins que vous ne sachiez la réponse spontanément. Êtes-vous en mesure de nous dire combien de personnes transgenres ou de diverses identités de genre sont actuellement dans des unités d’intervention structurée? Si oui, quel est le nombre total de jours qu’elles y ont passés?

M. Pyke : Je ne pourrais pas vous donner le nombre exact, mais je peux vous dire qu’il est très faible. Je suis certainement au courant d’au moins une personne; il pourrait y en avoir d’autres. Nous pouvons vous fournir ces statistiques sans problème.

Le sénateur K. Wells : Si vous voulez plus de détails sur ce que je veux savoir, je peux également en faire part au greffier. Je vous remercie de votre collaboration.

La sénatrice Clement : Je vous remercie de votre témoignage.

Nous savons tous que les Canadiens noirs sont surreprésentés dans le système de justice pénale en général et aussi en isolement.

Madame Doyle, vous avez parlé de la Stratégie pour les délinquants noirs et de l’investissement de 7,9 millions de dollars sur deux ans. Une année s’est écoulée. Avez-vous des données qui permettent de savoir si cela a eu des résultats? Que faites-vous précisément avec cet argent? Cela ne semble pas beaucoup par rapport au nombre de prisons que nous avons et à la taille du pays. Je ne sais pas trop comment ce montant de 7,9 millions de dollars est affecté et s’il sera maintenu dans le nouveau budget.

Mme Doyle : Le montant de 7,9 millions de dollars est limité à deux ans en ce qui concerne ces ressources. M. Pyke pourra peut-être vous en parler plus en détail. La stratégie s’appuie sur des efforts qui étaient déjà en cours dans les régions de l’Atlantique et de l’Ontario, où nous avons une plus grande représentation de délinquants noirs. Elle est liée aux services dans la collectivité et à d’autres efforts.

Pour ce qui est du volet santé, nous mettons vraiment l’accent sur la lutte contre le racisme, car nous savons que notre système de soins de santé, comme les autres systèmes de soins de santé, n’est pas à l’abri des préjugés. J’ai eu l’occasion de discuter avec des gens dont les efforts ont déjà abouti, comme les responsables du Centre de toxicomanie et de santé mentale, ou CAMH. On y travaille précisément à la formation des professionnels de la santé. Il faut mettre l’accent sur la formation et le renforcement des relations avec les partenaires communautaires.

Le financement, bien qu’il ait été annoncé et confirmé, commence tout juste à être déployé dans toutes les régions. C’est arrivé tout récemment. Nous vous fournirons avec plaisir plus de détails sur la mise en œuvre au cours du prochain mois.

Monsieur Pike, je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose.

M. Pyke : Nous menons une stratégie pluriannuelle pour les délinquants noirs, dont vous avez entendu parler. Elle s’étend sur trois exercices financiers. La phase 1 est terminée et a donné lieu à un guide et à une évaluation de projets pilotes et d’investissements futurs. Dans certains cas, il s’agit des éléments d’hygiène de base, mais cela va jusqu’à l’aiguillage vers les services internes et externes, en passant par les ressources communautaires que nous pouvons utiliser pour faciliter la réinsertion sociale.

Cela nous amène à la deuxième phase. J’ai donné l’exemple du Canada atlantique et de l’agent de liaison avec la communauté afro-néo-écossaise. Il s’agit d’un projet pilote d’agents de liaison communautaire...

La sénatrice Clement : J’ai entendu votre réponse à la sénatrice Saint-Germain. Est-ce à cela que vous faites allusion?

M. Pyke : Ce que je veux dire, c’est que cela en fait partie. Vous avez posé une question au sujet de l’argent, dont une partie va à ces projets pilotes d’agents d’intégration pour essayer d’accroître les services internes et externes et d’améliorer ces dynamiques.

La troisième phase consiste à examiner un indice de rendement : quelles sont les mesures, et qu’est-ce que nous mesurons? Quel est le taux de réussite? Qu’est-ce qui a changé par rapport aux deux phases précédentes en ce qui concerne l’élaboration d’un cadre pour déterminer les progrès que nous mesurons?

La sénatrice Clement : Cette information est-elle disponible si nous communiquons avec vous pour l’obtenir?

M. Pyke : Pour ce qui est déjà fait, oui. L’indice est en cours d’élaboration, alors je ne peux pas vous le fournir. Cela fait partie du plan.

La sénatrice Clement : D’accord, merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans le projet de loi S-205, le Service correctionnel du Canada devra faire la demande au tribunal pour prolonger la durée d’une incarcération dans une unité d’intervention structurée au-delà de 48 heures. Dans combien de situations une incarcération au-delà de 48 heures est-elle nécessaire? Avez-vous des chiffres ou des pourcentages à nous fournir? Quelles pressions additionnelles cette disposition va-t-elle imposer sur vos services? Autrement dit, est-ce réaliste? Qu’est-ce que vous allez devoir changer si tel est le cas?

[Traduction]

M. Pyke : Je vous remercie de la question.

Je ne peux pas vous fournir de statistiques sur l’importance ou le nombre, mais je dirais que la majorité des délinquants dans les unités d’intervention structurée y ont passé plus de 48 heures. Il s’agit donc de la vaste majorité de notre population carcérale dans les unités d’intervention structurée.

Je ne peux pas parler de la pression que cela exercerait sur la magistrature — les cours supérieures ou les cours provinciales —, car je ne sais pas si des consultations ont eu lieu à ce sujet. Il est important de savoir ce qu’ils vivent à l’heure actuelle, alors c’est une préoccupation en ce sens.

Pour nous, cela représenterait beaucoup de ressources. Je ne peux pas imaginer à quoi ressemblerait ce processus, parce qu’il faudrait être là tous les jours. Dans le cas des prolongations au-delà de 48 heures, il faudrait consacrer un poste à temps plein à SCC pour demander les prolongations et fournir les justifications nécessaires. Comme je l’ai dit, la dynamique ou les complexités de la population sont importantes. Par conséquent, 48 heures pour essayer de remédier à une situation où la sécurité personnelle d’une personne est en danger ou une personne peut représenter une menace pour la sûreté et la sécurité d’autres personnes dans l’établissement, c’est peu, compte tenu de la coopération que nous obtenons parfois lorsque nous essayons d’obtenir suffisamment de renseignements pour prendre une décision éclairée en matière de réinsertion sociale.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous garderiez les personnes dans ces unités jusqu’à ce qu’il y ait une décision du tribunal, j’imagine. Au-delà de 48 heures, il faut demander une prolongation, mais vous devrez attendre une décision de la cour.

[Traduction]

M. Pyke : C’est à souhaiter. C’est le but. S’il s’agissait d’un plafond ferme et que nous n’avions pas l’autorisation au-delà de 48 heures, ce serait une tout autre histoire en ce sens que je m’inquiéterais vraiment du risque en l’absence d’une décision, s’il fallait que ces personnes retournent dans la population générale. Je ne pense pas que ce soit envisageable pour des raisons de sécurité dans certains cas.

Si la réalité était que nous pouvions détenir ces personnes dans l’unité d’intervention structurée jusqu’à ce que le tribunal rende sa décision, encore une fois, cela représenterait un fardeau administratif important, mais au moins la situation serait sécuritaire en attendant.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une dernière question. J’aimerais obtenir une réponse par écrit de votre part. Vous dites que c’est une majorité, mais est-ce que vous avez des statistiques sur le nombre de détenus dans ces unités? Évidemment, il n’y a pas de moyenne, mais avez-vous des chiffres pour nous dire de combien d’êtres humains nous parlons?

[Traduction]

M. Pyke : Oui, nous en avons. Je comprends que nous avons des contraintes de temps, mais je pourrais peut-être vous fournir au moins une médiane.

Ce que je peux vous dire, c’est qu’à la fin de 2024-2025, notre dernier exercice financier, 63,1 % des détenus qui ont été transférés dans une unité d’intervention structurée ont été en mesure de réintégrer avec succès la population générale. Pour répondre à votre question sur le nombre médian de jours passés dans une UIS au cours du dernier exercice, il était de 15.

Le sénateur Dhillon : J’ai une très brève question. Merci d’être ici.

Madame Doyle, vous avez dit que le séjour médian dans l’unité d’intervention structurée avait diminué, si j’ai bien compris, d’une année à l’autre, mais quels étaient les chiffres? On est passé de quoi à quoi?

Mme Doyle : Je vais laisser le responsable des opérations répondre en ce qui a trait à la réduction du nombre de séjours dans les UIS d’une année à l’autre, à la différence.

M. Pyke : L’ensemble du séjour? En 2021-2022, le séjour moyen était de 26 jours, et l’an dernier, il était de 15 jours. Je n’ai pas les chiffres sous les yeux. Il y a eu une petite différence entre les deux. Je pense que nous étions à environ 18 ou 19 jours l’année d’avant, mais je peux vous dire que l’an dernier, statistiquement, c’était 15 jours. Deux ans auparavant, le séjour était de 26 jours.

Le sénateur Dhillon : À quoi attribuez-vous cela?

M. Pyke : La situation évolue. Nous avons examiné le modèle et ajouté différentes ressources. Je dirais que les spécialistes en compétences comportementales ont eu une influence importante en ce qui a trait aux comportements qui mènent au placement dans une unité d’intervention structurée. Nous pouvons nous pencher sur la planification correctionnelle et les programmes réguliers, mais la réalité est que l’examen de la dynamique a changé légèrement pour ce qui est de ce qui contribue à l’incarcération de personnes dans l’unité d’intervention structurée. Une perspective un peu plus interventionniste en ce qui concerne l’utilisation des programmes a été utile, je pense.

Le sénateur Dhillon : Merci, monsieur Pyke. Je sais que mon temps est presque écoulé. Il serait utile pour moi, monsieur le président, et je ne sais pas si ce serait utile au comité, d’avoir une réponse plus complète sur ce qui a contribué à la réduction du nombre de jours.

M. Pyke : Parfait.

Le sénateur Dhillon : Merci.

Le président : Vous répondrez par écrit. Vous pouvez envoyer votre réponse au greffier. Merci beaucoup.

Au nom de mes collègues, je remercie les témoins d’être venus aujourd’hui pour nous aider dans notre étude du projet de loi S-205. Merci de votre participation. Merci, honorables sénateurs et sénatrices.

(La séance est levée.)

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