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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 6 novembre 2025.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Le sénateur David M. Arnot (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle David Arnot. Je suis le président du comité.

J’invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, du territoire Mi’kma’ki.

Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Bienvenue à tous. Je m’appelle Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué des Algonquins anishinabes.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Dhillon : Bonjour. Bienvenue. Baltej Dhillon, de la Colombie-Britannique.

Le président : Merci. Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Nous avons le plaisir de recevoir deux témoins, M. Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada, qui a soumis un rapport à notre attention, et Me Debra Parkes, professeure et titulaire de la chaire d’études juridiques féministes à la faculté de droit Peter A. Allard de l’Université de la Colombie-Britannique, par vidéoconférence.

Nous remercions les témoins de leur présence aujourd’hui. Comme à notre habitude, nous vous donnerons l’occasion de présenter des observations préliminaires. Je vous demanderai de vous limiter à cinq minutes. Ensuite, les sénateurs vous poseront des questions.

Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada, Bureau de l’enquêteur correctionnel : Merci de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui devant le comité, tandis qu’il poursuit son examen du projet de loi S-205. J’ai comparu devant ce comité en février de l’année dernière pour parler de ce qui était alors le projet de loi S-230.

Je parlerai des quatre principaux points soulevés dans ce projet de loi et je soulignerai les préoccupations connexes évoquées dans les rapports annuels de mon bureau.

Premièrement, en ce qui concerne les solutions de rechange à l’incarcération pour les personnes ayant de graves problèmes de santé mentale, mon bureau déclare depuis plusieurs années que les personnes atteintes de maladies mentales graves et persistantes — celles qui souffrent de crises psychiatriques aiguës, qui se mutilent de façon chronique ou qui ont des idées suicidaires — ne devraient pas être détenues dans des pénitenciers fédéraux. Ces personnes ont besoin de soins spécialisés que les établissements correctionnels ne sont pas en mesure de fournir.

Le Service correctionnel du Canada, ou SCC, gère cinq centres de traitement régionaux, les CTR, qui fonctionnent comme des établissements de santé mentale ou des hôpitaux psychiatriques. Ces centres ont une capacité totale d’environ 600 lits pour les hommes et de seulement 20 lits pour les femmes. Je soulignais dans mon dernier rapport annuel que ces établissements, souvent situés dans des infrastructures carcérales vieillissantes, servent de plus en plus de centres de détention pour des personnes âgées et infirmes, au lieu de fournir les soins psychiatriques nécessaires.

Dans ce rapport, je recommandais que les CTR soient officiellement redéfinis comme étant des établissements de soins de santé mentale intermédiaires ayant une capacité limitée à gérer les cas psychiatriques d’urgence. Les personnes qui ont des besoins urgents de soins devraient être transférées dans des hôpitaux psychiatriques externes de la collectivité qui sont mieux adaptés à la prestation de soins de longue durée.

À l’heure actuelle, SCC a juridiquement le pouvoir de transférer des personnes dans des établissements psychiatriques provinciaux externes, mais à mon avis, il ne fait pas bon usage de cette possibilité.

La disposition du projet de loi visant à faciliter le transfert dans des hôpitaux va dans le bon sens, mais il faut qu’elle soit étayée par des critères d’admissibilité clairs, un financement suffisant et des ententes officielles avec les systèmes de santé provinciaux, afin de garantir des soins appropriés et en temps opportun.

Le deuxième point concerne les unités d’intervention structurée, les UIS. Depuis les modifications législatives de 2019 qui ont remplacé l’isolement préventif par des UIS, mon bureau suit de près leur mise en œuvre et il a relevé plusieurs sujets de préoccupation continus, notamment des lacunes persistantes dans la collecte de données qui font qu’il est difficile d’évaluer la conformité aux exigences légales; des failles dans la conformité aux exigences juridiques en ce qui concerne le temps passé hors des cellules et les contacts humains réels; le fait que les détenus noirs et autochtones restent largement surreprésentés dans les UIS, ce qui amène à s’interroger sur une éventuelle discrimination systémique; les examens indépendants, qui se limitent souvent à des évaluations sur papier, n’ont pas de caractère contraignant et sont souvent ignorés; et les personnes détenues dans d’autres espaces restrictifs — comme les unités d’association limitée volontaire, les unités de garde pour femmes et les rangées de suivi thérapeutique — connaissent souvent des conditions semblables à celles des UIS ou pires, sans toutefois bénéficier des protections juridiques accordées aux détenus placés dans des UIS.

Ces conclusions sont corroborées par l’ancien comité consultatif indépendant et le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. La proposition du projet de loi de limiter à 48 heures le placement en UIS, sauf en cas de prolongation approuvée par un tribunal, introduit un mécanisme de contrôle externe. Cependant, le recours à cette mesure devra être mûrement réfléchi, afin d’éviter de faire peser une charge indue sur les tribunaux et les systèmes de santé provinciaux.

[Français]

Je parlerai maintenant de l’amélioration de l’accès prévue aux articles 81 et 84 de la loi.

Le projet de loi S-205 propose d’élargir l’accès aux articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui avaient été conçus à l’origine pour réduire la surreprésentation des Autochtones en détention fédérale.

Le projet de loi étendrait l’admissibilité aux personnes non autochtones et élargirait la portée des fournisseurs de services au-delà des organisations autochtones.

L’enquête de 2023 menée par mon bureau sur les expériences des personnes autochtones condamnées à une peine fédérale a démontré que ces dispositions demeurent gravement sous‑utilisées. Les pavillons de ressourcement pour Autochtones gérés par des communautés autochtones en vertu de l’article 81 sont sous-financés, comparativement aux centres de ressourcement gérés par le Service correctionnel du Canada (SCC). La capacité de lits est extrêmement limitée, avec 138 lits, ce qui représente environ 2 % de la population carcérale autochtone.

Le SCC continue de ne pas respecter ses obligations envers les individus et les communautés autochtones. Ces préoccupations ont été soulevées à maintes reprises par la Commission de vérité et réconciliation du Canada, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le vérificateur général et divers comités parlementaires.

Bien que je comprenne l’intention derrière l’élargissement de l’accès, cela risque de détourner des ressources et l’attention des communautés autochtones et de compromettre potentiellement l’objectif initial de ces dispositions. Je recommande fortement au comité de consulter directement les titulaires de droits autochtones avant d’aller de l’avant avec cet amendement.

Finalement, au chapitre de la réduction des peines comme recours à une violation des droits, cette disposition aborde le problème de longue date des violations des droits de la personne et du non-respect légal par le SCC. Il existe des précédents historiques pour considérer la réduction de peines comme recours. En 1996, la juge Louise Arbour a recommandé que le ministère de la Justice explore des mécanismes pour réduire les peines dans les cas d’illégalité, de mauvaise gestion grave ou d’injustice. Malheureusement, cette recommandation n’a jamais été mise en œuvre.

Plus récemment, mon bureau a reconnu que la réduction de peine peut être appropriée dans des cas exceptionnels où des individus ont subi des injustices procédurales démontrables ou des violations de droits. Par exemple, pendant la pandémie de COVID-19, l’accès aux programmes correctionnels principaux a été sévèrement restreint, ce qui a retardé l’admissibilité à la libération conditionnelle et prolongé l’incarcération sans que la personne soit responsable. Les conditions de confinement étaient nettement plus dures que la normale. Dans certains cas, la libération a été retardée.

Au-delà de la pandémie, les retards systémiques dans les prestations des programmes, le manque de services culturellement appropriés et les conditions prolongées semblables à l’isolement continuent d’affecter de manière disproportionnée les personnes autochtones et racisées, les personnes ayant des besoins en matière de santé mentale et les détenus en milieu de sécurité maximale.

Mon bureau appuie une exploration plus approfondie de cette disposition, y compris l’élaboration de critères clairs et de garanties et l’établissement d’un processus d’examen indépendant pour assurer la transparence, l’équité et la cohérence dans son application.

Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie, monsieur Zinger.

Me Debra Parkes, professeure et titulaire de la chaire d’études juridiques féministes, faculté de droit Peter A. Allard, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour, sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce projet de loi.

En fait, j’ai pris la parole en 2019 devant un comité sénatorial qui examinait ce qui était alors le projet de loi C-83, la loi actuelle qui établit les unités d’intervention structurée, les UIS. À l’époque, j’intervenais aux côtés du professeur Allan Manson de l’Université Queen’s. M. Manson était une figure emblématique du droit pénitentiaire canadien et des droits des détenus. Il est décédé récemment. En 2019, M. Manson et moi‑même avons souligné les aspects du projet de loi, aujourd’hui devenu loi, qui ne répondaient pas aux normes constitutionnelles.

Je m’adresse à vous en tant que spécialiste du droit constitutionnel et en tant que personne qui travaille depuis 25 ans sur les questions de surveillance et de responsabilité des prisons du point de vue des droits constitutionnels.

Six ans après cette audience de 2019 et la mise en œuvre de la loi, je ne suis malheureusement pas surprise que le régime des UIS pâtisse des mêmes problèmes et des mêmes lacunes constitutionnelles, ou presque, que le régime d’isolement préventif prévu par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui a été déclaré invalide dans plusieurs décisions rendues par des tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario.

Le projet de loi S-205 modifie la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition de plusieurs façons importantes afin de remédier à ces problèmes constitutionnels et à des conditions qui s’apparentent à de la torture. Je parlerai donc aujourd’hui de certains de ces points.

Je pourrais parler d’autres aspects, mais dans le peu de temps dont je dispose aujourd’hui, je me concentrerai sur l’exigence constitutionnelle d’un contrôle externe efficace des placements à l’isolement, quel que soit le nom qu’on leur donne, sur l’insuffisance du régime des décideurs externes indépendants, les DEI, du point de vue des droits constitutionnels, et sur la nécessité de passer à une forme de contrôle judiciaire susceptible de faire respecter ces droits constitutionnels.

J’ai dit en 2019 — et cela s’est malheureusement confirmé — que le défaut majeur du projet de loi du point de vue des droits de la personne et de la Constitution était l’absence d’un véritable contrôle externe indépendant des placements dans les UIS ou d’autres formes d’isolement.

Il est évident, à la lecture des principales affaires constitutionnelles — tant en Colombie-Britannique qu’en Ontario — et des propres données du gouvernement sur le fonctionnement des UIS, selon leur analyse par le Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée et par l’enquêteur correctionnel, comme vous venez de l’entendre, que le fonctionnement de ces unités enfreint les normes de la Charte qui sont énoncées dans ces affaires et qui sont consacrées par nos lois.

Premièrement, il n’y a pas de limite au temps qu’une personne peut passer dans une UIS. Il n’existe que des points de référence pour les examens internes ou externes des dossiers, au mépris des règles de droit et sans aucun moyen d’application. Le Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée a montré la persistance des longs séjours en UIS, qui n’est pas très différente de celle observée sous l’ancien régime de l’isolement préventif.

Deuxièmement, l’examen par les DEI est tout à fait insuffisant pour répondre aux normes de la Charte. Il s’agit d’examens sur papier. Il n’y a aucune obligation de rencontre en personne, aucune audition et aucun processus en bonne et due forme.

Troisièmement, les tribunaux ont clairement indiqué que, quel que soit le nom donné à ces unités, les conditions mêmes de la détention doivent être conformes à la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans de nombreux cas, les DEI n’examinent les placements qu’après que la personne y a passé 90 jours consécutifs. Il arrive, dans certains cas, qu’ils examinent plus rapidement les décisions, et ils ont le pouvoir de demander le transfert d’une personne, mais aucun moyen de l’imposer. Ils peuvent le demander et formuler cette recommandation, mais en fin de compte, comme M. Zinger vient de le dire, le Service correctionnel du Canada ne s’y conforme pas.

Ce régime ne tient aucunement compte des conclusions factuelles et juridiques concernant les préjudices causés par l’isolement, qui sont documentés dès 48 heures, ni de la limite internationale de 15 jours imposée par les Règles Nelson Mandela des Nations unies.

Le projet de loi S-205 est l’occasion de se conformer aux décisions rendues en vertu de la Charte et d’éviter des violations de celle-ci. Le projet de loi part à juste titre du principe que tous les placements en isolement effectif, que l’on parle ou pas d’UIS, sont exceptionnels et généralement interdits. Si une personne est placée à l’isolement pendant 48 heures, cela déclenche un examen automatique par le tribunal. Ce n’est pas différent des autres formes de détention. Nous avons des examens de la mise en liberté sous caution en vertu du Code criminel. À mon avis, le projet de loi utilise à juste titre le critère des 48 heures, car les tribunaux ont conclu que les preuves de préjudice apparaissant dès ce moment rapportées dans la littérature, et dans les témoignages en cour, sont avérées, notamment dans la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Corporation of the Canadian Civil Liberties Association.

Un modèle de contrôle judiciaire s’impose face aux graves conséquences et à la nature extraordinaire du placement à l’isolement prolongé, sous quelque forme que ce soit, en milieu carcéral. Si cette pratique préjudiciable est utilisée, elle doit l’être avec parcimonie et pour des périodes très courtes. Nous avons constaté dans le passé qu’en cas de contrôle judiciaire, comme dans les deux affaires de placement à l’isolement qui ont été portées devant les tribunaux, le nombre de personnes placées à l’isolement diminue nettement.

Je peux citer d’autres exemples pendant la période de questions pour montrer à quel point les chiffres peuvent nettement fluctuer et être réduits lorsque des efforts concertés sont déployés et que les tribunaux s’intéressent à ce qui se passe dans les prisons. Un contrôle judiciaire véritablement indépendant de ce pouvoir de maintenir des personnes dans des conditions assimilables à de la torture est nécessaire.

L’enquêteur correctionnel, M. Zinger, qui est présent aujourd’hui, a déjà montré en quoi le Canada dispose du meilleur système correctionnel doté de ressources humaines du monde, si je comprends bien — même si cela peut varier légèrement —, avec un ratio impressionnant d’un détenu pour un membre du personnel, comme l’a démontré son bureau.

Avec ce niveau extraordinaire de ressources et la preuve que, lorsque cela est nécessaire, il est possible de trouver des solutions de rechange à des pratiques barbares préjudiciables, il n’y a aucune raison que l’on ne puisse satisfaire à ces exigences.

Des problèmes de sûreté et de sécurité se posent, évidemment, dans le contexte carcéral. Cependant, il existe toute une gamme d’outils qui peuvent être utilisés pour y remédier. Nous avons des exemples à l’étranger, notamment celui de New York et du système fédéral américain, en ce qui concerne les exigences en matière de désescalade et les ressources allouées pour nettement limiter le recours à l’isolement cellulaire à des périodes très courtes, de quelques heures ou de quelques jours.

Les ressources que le gouvernement attribue au régime des UIS pourraient être affectées à des moyens plus productifs pour répondre à ces besoins en matière de sûreté et de sécurité.

Faute de temps, je m’arrêterai là et je laisserai place aux questions.

Le président : Je vous remercie, maître Parkes.

La sénatrice Batters : Merci à vous deux d’être présents pour nous aider dans notre étude de ce projet de loi. Je commencerai par M. Zinger.

Monsieur Zinger, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le Service correctionnel du Canada a l’obligation de fournir aux personnes condamnées par des tribunaux fédéraux les soins de santé et les soins de santé mentale essentiels qui favorisent leur réadaptation et une réinsertion sociale réussie. La loi précise également que les cinq centres de traitement régionaux ont pour mission d’offrir des services spécialisés de courte durée visant à stabiliser les patients avant leur retour dans leur établissement d’origine. Cependant, dans votre dernier rapport, vous indiquez que ces centres servent maintenant à héberger une population vieillissante et de plus en plus handicapée et que près de 30 % des personnes qui y sont admises ne répondent pas aux critères d’admission de SCC en matière de santé mentale. Vous avez mentionné le très petit nombre de lits pour les hommes et les femmes dans ces établissements.

Que pensez-vous de l’écart entre le mandat défini par la loi et la réalité observée sur le terrain?

M. Zinger : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. Il est vrai que, lorsque nous nous sommes rendus dans les cinq centres de traitement régionaux, nous avons été très surpris de constater qu’environ 30 % des personnes qui s’y trouvent ne répondent à aucun diagnostic psychiatrique médico-légal qui justifierait l’occupation d’un lit psychiatrique. Nous sommes d’avis que bon nombre d’entre elles pourraient être prises en charge en toute sécurité dans la collectivité à un coût nettement moindre et qu’il existe quantité de possibilités pour le service de s’associer à des ONG existantes ou même au secteur privé pour leur offrir une autre option que le milieu carcéral, qui va malheureusement trop loin en matière de prise en charge de ces personnes.

J’ai clairement indiqué au commissaire, ainsi qu’au ministre de la Sécurité publique, que, même lorsque nous parlons de coupes budgétaires, il est possible d’économiser de l’argent en transférant dans la collectivité nombre de ces personnes qui sont en soins palliatifs et reçoivent des soins de fin de vie, qui sont alitées, atteintes de démence, de la maladie d’Alzheimer, qui souffrent de graves ou très graves problèmes de mobilité ou qui reçoivent des soins de santé importants, afin qu’elles puissent être prises en charge de manière plus humaine, plus conforme à la dignité humaine, sans risque excessif et pour une fraction du coût dans les conditions actuelles.

Il ressort de la recherche que garder des personnes âgées et mourantes en milieu carcéral peut coûter de deux à quatre fois plus cher. Nous savons aujourd’hui que le coût annuel moyen pour garder une seule personne dans un établissement pénitentiaire est supérieur à 200 000 $. Les économies seraient donc réelles.

Pour moi, ces mesures devraient faire partie des efforts déployés par le gouvernement pour rationaliser le système et obliger SCC à traiter ces personnes d’une manière très différente.

La sénatrice Batters : Comment le gouvernement réagit-il à vos conclusions? Vous avez mentionné le ministre de la Sécurité publique. Je ne sais pas s’il s’agit de l’actuel ministre actuel ou de son prédécesseur. Savez-vous si le gouvernement a pris des mesures concrètes pour remédier à la situation ou pour donner suite à vos recommandations? Pensez-vous que ce problème reste dans une large mesure inchangé ou qu’il s’est peut-être aggravé? Je me demande, en outre, si le budget de cette semaine prévoit des mesures pour remédier à ces problèmes.

M. Zinger : Ce n’est pas nouveau, mais je talonne sans cesse le gouvernement à ce sujet. En collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne, nous avons mené une enquête systémique sur le vieillissement et la mort dans les pénitenciers, qui remonte à 2018, et nous avons formulé plusieurs recommandations. Malheureusement, le Service correctionnel du Canada n’a donné suite à aucune de nos recommandations et n’a pas cherché d’autres solutions pour ces personnes.

En ce qui concerne les dernières réductions proposées par le gouvernement, de 15 %, j’ai pris l’initiative de contacter le ministre et la sous-ministre de la Sécurité publique ainsi que la commissaire pour leur dire que c’était l’occasion de faire des économies et de prendre la bonne décision. J’ai clairement indiqué que ce genre de propositions devrait être pris en compte dans la réflexion sur la manière de faire cette contribution de 15 % à la réduction du déficit.

La sénatrice Batters : Le budget comporte-t-il des mesures?

M. Zinger : Non. Jusqu’à présent, je n’ai rien vu de précis dans le budget lui-même ni de la part du ministre de la Sécurité publique, de la sous-ministre ou de la commissaire.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Monsieur Zinger, c’est un plaisir de vous retrouver. Cela me rappelle mes années de protectrice du citoyen, quand je vous ai connu d’abord comme haut fonctionnaire au ministère, puis comme enquêteur correctionnel. J’ai toujours apprécié la solide collaboration entre nos services, la rigueur de vos interventions et de celles de votre équipe et votre connaissance intime du terrain.

C’est avec le souvenir de mes constats de ces 10 années passées à titre de protectrice du citoyen et ombudsman correctionnel du Québec que j’ai lu le projet de loi. J’ai une question générale que j’aimerais que vous puissiez développer. Elle porte strictement sur le projet de loi que nous étudions.

Croyez-vous que ce projet de loi puisse être mis en œuvre, avec les contraintes actuelles que l’on connaît et avec ce qu’il imposerait au système judiciaire, aux services de santé et aux services sociaux des provinces et des territoires et aux organismes communautaires, notamment les organismes autochtones, mais aussi ceux que le projet de loi ajoute aux alinéas 81(1)c) et 81(1)d), c’est-à-dire « un groupe ou un organisme communautaire œuvrant au service d’une population défavorisée ou en situation minoritaire » — définie précédemment dans le projet de loi — et « toute autre entité qui fournit des services de soutien dans la collectivité »? Il y a donc trois échelons qui seraient interpellés, soit le système judiciaire, les services hospitaliers et sociaux ainsi que les organisations communautaires.

M. Zinger : Quand j’ai lu le projet de loi, je me suis posé certaines questions. Il y a assurément des obstacles qui doivent être abordés avec ce projet de loi. Cela dit, cela dépend du niveau de consultation que votre comité veut faire pour faire en sorte qu’il y ait un engagement qui sera fait pour éliminer ces nombreux obstacles.

Parlons du transfert de personnes qui ont de sérieux problèmes de santé mentale. Il est clair pour moi qu’il y a déjà des montants qui ont été mis de côté et qui pourraient être réalloués pour faire en sorte que les personnes qui ont des problèmes sérieux de santé mentale, qui s’automutilent de façon chronique ou qui sont suicidaires puissent être transférées de façon appropriée, avec un financement approprié, aux partenaires provinciaux. Par exemple, on sait que le SCC a négocié avec le ministère de la Sécurité publique une allocation de 1,3 milliard de dollars pour simplement construire et remplacer le Centre régional de traitement — Atlantique en construisant un édifice à l’intérieur des murs du pénitencier de Dorchester. Pour moi, il s’agit d’un exercice futile, et les sommes sont faramineuses pour essayer de gérer environ 150 personnes.

Il serait plus opportun d’utiliser ce genre de financement pour aider les provinces à prendre en charge ces individus. On parle d’environ 150 individus répartis dans les cinq centres régionaux de traitement à travers le pays. Le SCC nous dit qu’ils ont déjà contacté les nombreux hôpitaux provinciaux, et que personne ne veut prendre ces individus. Toutefois, je ne pense pas qu’ils l’aient fait sérieusement. Ils auraient pu dire qu’ils ont 250 millions de dollars pour 30 patients et leur demander s’ils étaient intéressés à participer à une collaboration entre le fédéral et le provincial. S’ils avaient commencé par ce genre d’introduction, bien des hôpitaux auraient au moins eu intérêt à étudier ce type de collaboration. Ces obstacles peuvent être...

La sénatrice Saint-Germain : Je me permets de vous interrompre là-dessus.

Je comprends aussi que le ministre a rejeté votre recommandation concernant le Centre de rétablissement Shepody. Vous nous indiquez qu’à votre connaissance, les hôpitaux ou centres de traitement psychiatriques dans les provinces ne sont pas en mesure d’assumer cette demande additionnelle de transfert.

Pouvez-vous maintenant nous parler davantage du système judiciaire et des responsabilités accrues qui lui seraient dorénavant confiées? Quelle est votre lecture de la capacité du système judiciaire?

M. Zinger : Je voudrais juste revenir sur la question de la santé mentale. Il serait important pour le comité de consulter certains des hôpitaux psychiatriques qui ont été contactés par le SCC et de voir quel genre de discussions ils ont eues. Selon moi, le SCC a toujours voulu garder les ressources et présenter des options qui étaient loin d’être favorables à un transfert.

Aussi, si on demande aux cours provinciales de faire des revues après un délai de 48 heures, il serait important de les amener à la table et de leur demander si c’est quelque chose qui peut être fait avec les ressources actuelles. Cela créera-t-il un fardeau disproportionnel difficile à gérer? Il est important de faire en sorte de mener des consultations qui incluent les gens qui sont potentiellement affectés par ce projet de loi.

La sénatrice Saint-Germain : J’ai un dernier point rapide : les ressources de réinsertion communautaires, en particulier celles qui seraient visées par les alinéas 81(1)c) et 81(1)d).

M. Zinger : Comme je vous l’ai dit, on a publié deux rapports, l’un en 2013 et l’autre en 2023. Dans notre rapport sur les Autochtones — le dernier —, on a bel et bien vu que le SCC finance les centres de ressourcement évoqués à l’article 81 à la hauteur de 0,62 $ par dollar, comparativement à leur propre centre de ressourcement géré par le SCC. Il y a un sous‑financement chronique. À mon avis, c’est inapproprié et discriminatoire.

On peut discuter pour déterminer si l’élargissement de leur mandat est une bonne chose ou non, mais en ce moment, il y a un problème chronique : le SCC n’a pas mis en œuvre les dispositions prévues aux articles 81 et 84 de manière appropriée pendant plus de 30 ans. Comme je vous l’ai indiqué précédemment, il y a moins de 2 % des prisonniers autochtones qui sont en ce moment dans des centres de ressourcement prévus à l’article 81. C’est infime. Avant de considérer un élargissement du mandat, on devrait s’assurer que le SCC agit tout à fait conformément à ses obligations, qui sont, à mon avis, quasi constitutionnelles quand on parle des articles 81 et 84.

La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Zinger.

J’ai feuilleté votre rapport. J’ai été frappée par cette phrase :

Malgré des décennies d’investissement, le SCC demeure incapable de répondre aux besoins complexes en matière de santé mentale de cette population.

Le mot « incapable » est assez lourd et fort.

Je veux revenir sur quelque chose qui a été dit plus tôt. Plus de la moitié des personnes qui sont restées dans une unité structurée n’ont pas bénéficié du nombre d’heures minimum requis à l’extérieur de la cellule dans plus de 75 % des cas. Pourquoi pensez-vous que les exigences minimales ne sont pas respectées dans ces unités d’intervention structurée? Je vous ramène à ce que Me Debra Parkes a dit tout à l’heure : il y a un nombre très élevé d’employés dans les services correctionnels — le ratio est pratiquement d’un employé pour un individu incarcéré. Est-ce un problème de manque de personnel ou d’organisation? Qu’en pensez-vous?

M. Zinger : En 2019, la loi a été modifiée pour faire basculer l’isolement préventif vers un nouveau régime.

On a mis l’accent sur la question de la conformité, soit que le SCC serait en mesure de démontrer parfaitement que les individus seraient hors de leur cellule au minimum quatre heures par jour, dont deux heures consacrées aux communications humaines avec d’autres personnes. Le SCC, à l’époque, avait essayé de mettre en œuvre un système qui était censé régler le problème de conformité. Cela veut dire que chaque fois que la porte était ouverte, la personne qui ouvrait la porte avec un téléphone cellulaire allait taper sur la porte, et il y avait un capteur qui devait indiquer quand la porte était ouverte et le genre d’interaction qui se produisait, par exemple. Cette méthode a été abandonnée relativement vite à cause de problèmes techniques. Le SCC continue d’éprouver des difficultés à montrer clairement que la loi est mise en œuvre à la lettre.

La sénatrice Miville-Dechêne : [Difficultés techniques] ou d’organisation du personnel?

M. Zinger : Je ne sais pas si je peux vous dire cela. Ce que je peux vous dire — et c’est pour cela qu’ils ont un taux qui se trouve sous le seuil de conformité —, c’est que souvent, les détenus eux-mêmes ne veulent pas sortir. Alors, cela crée un problème. Il faut alors se poser la question : pourquoi ne veulent-ils pas sortir? Souvent, si on leur demande d’aller marcher tout seuls dans une toute petite cour en béton, ce n’est pas exactement quelque chose qui est intéressant.

Il existe beaucoup de raisons qui expliquent pourquoi ils ne veulent pas sortir. Si on leur offre de sortir avec d’autres, mais qu’ils se sentent toujours en danger, ils vont dire non. Je pense que cela fait partie du défi pour s’assurer de cette conformité absolue. Je vous dirais que, en général, si l’on compare à avant 2019, il est clair pour moi qu’ils sortent beaucoup plus que par le passé. Ils ont beaucoup plus d’occasions d’échanger avec le personnel ou avec d’autres détenus, mais ce sont loin d’être des conditions très favorables.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Merci à nos deux témoins. Je vous suis très reconnaissant du travail que vous faites. C’est très instructif. Ma question s’adresse à vous deux. J’ai bien aimé votre témoignage.

Cela semble faire partie de la culture même du SCC, presque de l’ADN de l’institution, de penser d’une certaine manière. On observe un biais dans la vision des choses, d’où la nécessité d’une surveillance. Je suis certain que les enjeux sont complexes, mais il y a certainement une voie à suivre. J’aimerais que vous nous parliez de cette culture au sein du SCC, de votre point de vue.

Monsieur Zinger, j’ai lu le livre Une question de spiritualité. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous l’avez intitulé ainsi?

Me Parkes : C’est une question très pertinente et importante. Récemment, le comité consultatif sur la mise en œuvre a examiné les données du gouvernement sur les unités d’intervention structurée, les UIS, leur utilisation et leur fonctionnement, et a constaté qu’elles créent toujours des conditions qui s’apparentent à de la torture et à des violations des droits garantis par la Charte.

C’est un sujet sur lequel je travaille, comme mon prédécesseur ici à l’Université de Colombie-Britannique, l’UBC, le professeur Michael Jackson, le fait depuis les années 1970. Des preuves bien documentées montrent qu’une surveillance externe est nécessaire et que cela fait partie de la nature même de l’incarcération. Cela fait partie de la culture qui se développe. Des réponses institutionnelles sont élaborées, et on devient dépendant de la voie tracée. Il existe des préoccupations quant à la mise en place d’un examen externe véritablement significatif, et cela a été rejeté dans ce projet de loi. Les tribunaux l’avaient demandé — un examen externe véritablement indépendant — et nous avons obtenu un système qui ne le prévoit pas.

Si vous me le permettez, en guise de réponse, je vais parler brièvement de la capacité des tribunaux à traiter cette question, car elle semble liée à la question de savoir pourquoi et comment nous en avons besoin. La juge Arbour l’a décrit en 1996 et a parlé des recours utiles prévus par la Charte et des paragraphes 24(1) et (2) de la Charte, qui ont changé le comportement de la police et des procureurs, et nous en avons également besoin dans le système correctionnel. C’est grâce à une surveillance judiciaire significative, même si ce n’est pas une panacée pour tout. Nous avons besoin de changements dans d’autres domaines, mais au moins, si nous constatons des violations notoires des droits garantis par la Charte, nous avons besoin d’un mécanisme de révision conséquent.

En ce qui concerne la capacité, nous ne disons pas aux policiers : « Nous n’avons pas les ressources judiciaires nécessaires pour poursuivre » en cas de violations de la loi et « Vous ne devriez pas porter d’accusations parce que nous n’avons pas la capacité judiciaire nécessaire ». Dans le contexte carcéral, en cas de violation de la loi, un examen et un recours concrets s’imposent. Comme le cadre législatif actuel ne comporte pas d’examen ni de recours concrets, nous avons besoin de cet examen judiciaire. Je m’en tiendrai là pour l’instant, et je me ferai un plaisir de répondre à d’autres questions.

M. Zinger : Je pense que le système correctionnel n’est pas différent des forces de l’ordre, de la sécurité nationale ou de l’armée sur le plan organisationnel. Il y a une allergie sévère à toute forme de surveillance. Prenons simplement le projet de loi sur les UIS, le projet de loi de 2019. Si vous vous souvenez bien, il a fallu trois tentatives — trois projets de loi distincts — pour y parvenir, et nous avons obtenu le plus faible dénominateur possible, à savoir un examen documentaire des décisions, que le Service correctionnel du Canada et la commissaire elle-même peuvent ignorer au bout du compte.

Pour ce qui est d’élaborer une politique officielle, ce projet de loi portant sur les UIS est probablement l’un des meilleurs exemples de ce qu’il ne faut pas faire. Il est clair pour moi que tant que le SCC n’acceptera pas un examen du public, une surveillance et les avantages d’un regard extérieur sur son organisation, la culture restera fermée et opaque. Le SCC continuera de ne pas être une organisation pleinement ouverte, responsable et redevable.

Lorsqu’elle s’est penchée sur la question — je pense que cela est tout aussi pertinent aujourd’hui qu’au moment où cela a été écrit —, la juge Arbour elle a déclaré qu’il fallait laisser le SCC essayer de résoudre le problème en interne lorsqu’il s’agissait d’un placement, puis laisser un arbitrage indépendant entrer en jeu. Son option préférée — parce que je pense qu’elle avait prévu l’avenir — était les tribunaux.

Ainsi, après un certain temps, on s’adresse aux tribunaux pour demander s’il est pertinent de maintenir le placement. Je pense que le système correctionnel bénéficierait certainement d’une surveillance supplémentaire.

J’ai également beaucoup écrit sur la nécessité pour le Canada de signer et de ratifier le protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui permettrait d’exercer une surveillance supplémentaire sur les pénitenciers et tous les lieux de détention au Canada. Je m’en tiendrai là.

Quant à Une question de spiritualité, c’est mon prédécesseur qui, en 2013, a trouvé ce titre, que je trouve très juste, et je suis en fait très fier d’avoir été associé à son leadership et d’avoir eu l’occasion de faire un suivi sur 10 ans qui, malheureusement, ne brosse pas un portrait reluisant de la capacité du SCC à faire des progrès réels dans ce domaine.

Le président : Six sénateurs sont prêts à poser des questions. Je suggère arbitrairement de terminer à 11 h 40. Cela signifie que les questions devront être un peu plus concises et que les deux témoins devront peut-être présenter leurs réponses par écrit. Je veux m’assurer que tous les sénateurs aient la possibilité de poser leurs questions.

La sénatrice Simons : Je vais faire vite. Hier, lors du témoignage de Mme Doyle, la sénatrice Batters a eu un échange très intéressant avec elle sur le nombre de détenus souffrant de troubles mentaux invalidants. J’ai été très surprise lorsqu’elle a déclaré qu’environ 160 détenus dans l’ensemble du système correctionnel souffrent de troubles mentaux graves et invalidants.

Monsieur Zinger, ce chiffre vous semble-t-il exact?

M. Zinger : Le chiffre était de 160?

La sénatrice Simons : Oui, 160. Est-ce bien ce dont vous vous souvenez?

La sénatrice Batters : Je lui ai demandé à plusieurs reprises de se référer à la définition établie, car je pensais qu’il s’agissait des niveaux aigu et intermédiaire, mais elle parlait toujours du niveau aigu, le niveau le plus élevé.

La sénatrice Simons : Néanmoins, 160 me semblait un chiffre très bas.

M. Zinger : Je suis d’accord. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, le Service correctionnel du Canada dispose d’environ 600 places en psychiatrie destinées à accueillir des hommes atteints de troubles mentaux très graves, et d’environ 20 places pour les femmes.

Puis, il y a la possibilité de Philippe-Pinel pour 20 personnes de plus. Je ne suis donc pas tout à fait sûr. Par contre, je peux vous dire que s’il s’agit de déterminer la prévalence, la tâche est vraiment difficile. Si vous vous interrogez sur la prévalence de tout trouble mental parmi la population carcérale à l’échelle fédérale, elle sera supérieure à 80 %, car cela inclut, par exemple, les troubles de la personnalité ou les troubles liés à la toxicomanie. Si vous essayez de restreindre cela aux maladies mentales graves — qui comprennent, par exemple, la dépression, le trouble bipolaire ou la schizophrénie —, alors le taux serait d’environ 12 % pour les hommes et d’environ 16 % pour les femmes.

La sénatrice Simons : Donc, je suppose que ce serait plus de 160.

M. Zinger : Oui. Et si l’on considère le nombre de personnes qui ont besoin de services psychologiques ou psychiatriques dès leur admission, on arrive à environ 30 % pour les hommes et près de 50 % pour les femmes. Un autre domaine dont nous n’avons pas encore parlé, mais qui me préoccupe également beaucoup, est celui des déficits cognitifs, qui sont totalement distincts des maladies mentales, mais ces personnes ont besoin de services et de soutien, et elles doivent passer par un dépistage et une évaluation appropriée.

Nous avons un nombre excessif de personnes présentant des troubles du développement intellectuel, un syndrome d’alcoolisme fœtal, des troubles du spectre de l’autisme, des lésions cérébrales traumatiques, des troubles de l’attention et d’hyperactivité. Ces personnes s’adaptent mal au milieu carcéral et sont en fait punies parce qu’elles ont des difficultés à contrôler leurs impulsions ou à prendre des décisions judicieuses.

La sénatrice Simons : Maître Parkes et monsieur Zinger, je m’interroge au sujet des unités d’intervention structurée : il ne devait pas s’agir d’un simple changement sémantique dans la nomenclature. L’idée était d’offrir une intervention structurée. J’aimerais que vous me disiez très brièvement si vous pensez que les unités d’intervention structurée fournissent cette intervention, ces soins et ce soutien d’une manière que l’ancien isolement cellulaire ne faisait pas. Y a-t-il eu une différence qualitative et quantitative?

Le président : Maître Parkes et monsieur Zinger, je pense que vous devrez répondre à cette question par écrit. C’est une question importante qui mérite d’être approfondie, mais nous allons manquer de temps.

La sénatrice Simons : Merci, monsieur le président.

Le président : Savez-vous comment faire? Je suis sûr que vous l’avez déjà fait. Vous remettrez vos réponses écrites au greffier. Merci.

[Français]

La sénatrice Oudar : Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Zinger et concerne l’article 198 du projet de loi, qui crée un nouveau recours pour permettre au tribunal de réduire une peine en raison d’une injustice dans l’administration de la détention. Cette injustice peut être définie, conformément aux critères figurant dans l’article, par des décisions déraisonnables, injustes, oppressives ou indûment discriminatoires.

Dans votre rapport, vous semblez sous-entendre que cela devrait être plutôt limité à des cas exceptionnels et avec des critères clairs et transparents. J’aimerais vous entendre sur l’article 198 plus précisément. Avez-vous des suggestions pour en améliorer la rédaction?

M. Zinger : Je vous remercie pour la question. C’est quelque chose dont on a discuté pendant plus de 30 ans. Je crois que lorsqu’il y a des violations importantes des droits de la personne, un recours serait approprié.

Je vous dirais que je suis au courant d’au moins deux décisions de cour de première instance où un juge a utilisé l’article 24 de la Charte pour faire exactement cela. À la suite d’une violation importante des droits de la personne, la sentence d’un individu a été réduite. C’est quelque chose qui est légalement possible, mais très rare. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’avocats qui sont prêts à faire ce genre de démarche.

Donc, s’il y avait quelque chose de plus structuré dans une loi, cela aurait plus de sens. Il faut évidemment essayer d’en définir quelque peu le contexte.

Je pense que c’est quelque chose que les cours sont en mesure de faire, et elles ont justement des outils comme l’article 24 de la Charte pour s’assurer d’un remède approprié, basé sur la gravité de la violation.

La sénatrice Oudar : Êtes-vous d’accord sur les critères énoncés dans l’article 198? Dois-je comprendre de votre réponse que vous seriez d’avis qu’il faudrait les définir plus clairement?

M. Zinger : Le témoignage d’un expert en droit criminel serait peut-être plus approprié. Selon moi, cette option visant à prévenir les violations des droits de la personne quand c’est possible, de les détecter et d’y remédier pour qu’elles ne se reproduisent plus serait bonne pour le système correctionnel du Canada. Il faut s’assurer d’apprendre de difficiles leçons quand ce genre de chose se produit.

[Traduction]

Le sénateur K. Wells : Merci d’être parmi nous. Merci pour le travail que vous accomplissez. Je crois comprendre que vous prendrez votre retraite l’an prochain, alors nous vous souhaitons bonne chance dans vos nouveaux projets.

Ma question porte sur certains travaux antérieurs que votre bureau a menés, si j’ai bien compris, sur le vécu des personnes transgenres et de genre divers incarcérées. Je me demande si vous pourriez nous parler de manière générale du sort réservé à ces personnes, surtout dans le contexte du projet de loi et des unités d’intervention structurée. Nous ne pourrons peut-être pas aborder tous les aspects, mais je vous invite à fournir toute information utile par écrit au comité. Si nous avons le temps, j’aimerais toutefois vous demander de nous faire part de quelques commentaires.

M. Zinger : Nous savons qu’environ 200 personnes ont un statut particulier qui oblige le Service correctionnel du Canada à prendre des mesures en matière d’identité ou d’expression de genre. Parmi ces personnes, environ un tiers ont été placées dans des établissements pour femmes et les autres dans des établissements pour hommes. Bon nombre de ces personnes demeurent vulnérables dans ces établissements pour hommes. C’est une question qui a posé de nombreux défis au Service correctionnel du Canada, mais je dois dire que c’est également un défi pour l’ensemble des Canadiens et pour l’acceptation même dans la société canadienne. Le fait que cela se passe dans un système pénitentiaire complique encore plus les choses.

Dans notre enquête systémique sur la contrainte et la violence sexuelles dans les pénitenciers, nous avons constaté que de nombreux membres de ces groupes sont particulièrement ciblés, très vulnérables et victimes de manière disproportionnée de contrainte et de violence sexuelles. Ce travail a été réalisé il y a près de cinq ans, et le SCC n’a pris aucune mesure concrète pour tenter de résoudre le problème. On n’a pas encore réalisé — et nous l’avons signalé au ministre de la Sécurité publique — un sondage anonyme pour essayer d’obtenir plus d’information sur la prévalence de la contrainte et de la violence sexuelles, qui ont été mal gérées à la fois par le SCC et par Sécurité publique Canada, et cela n’a toujours pas été fait.

C’est la norme d’excellence, même pour nos voisins du Sud. Les Américains ont un régime beaucoup plus rigoureux avec leur Prison Rape Elimination Act. Le Canada est très, très en retard.

Le sénateur K. Wells : Je vous remercie.

Le président : Si vous souhaitez compléter votre réponse, vous pouvez le faire par écrit, monsieur. Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux pour le travail que vous avez accompli tout au long de votre carrière dans ce domaine. Je regrette que vous preniez votre retraite, monsieur Zinger, mais elle est certainement bien méritée.

Je voudrais revenir sur quelques points que vous avez tous deux soulevés, et je vais poser toutes mes questions. Si nous manquons de temps, nous pourrons peut-être obtenir les réponses par écrit.

Maître Parkes, concernant la question de la sénatrice Oudar sur les recours, je me demande si vous pourriez également y répondre par écrit, car je pense que votre expérience et vos recherches sur la responsabilisation, ainsi que le travail que vous avez accompli dans ce domaine, seraient extrêmement utiles.

Je voudrais me concentrer sur les articles 81 et 84. Comme vous le savez tous les deux, je pense, lorsque la loi a été promulguée au début des années 1990, elle permettait déjà d’inclure les prisonniers non autochtones dans le champ d’application des accords. J’apprécie beaucoup le travail accompli par votre bureau, tant lorsque vous occupiez un autre poste dans le cadre du projet Une question de spiritualité que dans le cadre de la mise à jour. L’un des défis que j’ai constatés en parcourant le pays, comme vous le savez sans doute, en rencontrant les Premières Nations, les communautés noires et les communautés transgenres, est le rétrécissement du champ d’application de ces dispositions dans les services correctionnels. Le législateur n’a pas restreint le champ d’application. Le rétrécissement et le choix de financer de manière particulière étaient également liés à l’évaluation des risques. Vous vous souviendrez que lorsque la Maison de ressourcement Buffalo Sage a ouvert ses portes, aucune femme autochtone n’était classée comme présentant un niveau de sécurité suffisamment faible pour pouvoir y aller, alors on a invoqué le paragraphe 81(2) et on y a placé un groupe de femmes non autochtones.

Vous savez également que lorsque l’on a voulu fermer la prison pour femmes, celles-ci se sont battues et ont saisi la justice. Comme celles qui se trouvaient encore dans les prisons pour femmes étaient classées comme présentant un risque maximal et que les services correctionnels voulaient les transférer, on les a toutes reclassées comme présentant un risque moyen ou transférées ailleurs dans la région. Pendant 18 à 24 mois, dans ce pays, aucune femme n’a été classée comme présentant un risque maximal dans la région de l’Ontario.

Or, d’après ce que j’entends des organisations autochtones qui fournissent des ressources au titre des articles 81 et 84, on leur dit que ce projet de loi aurait en fait une incidence sur leur financement. À mon sens, c’est ridicule. Cela me rappelle l’approche globale adoptée à l’égard des Autochtones et des personnes marginalisées, qui consiste à dire que si nous fournissons les services que la loi nous oblige à fournir à tout le monde, cela privera ceux qui en ont moins.

Je me souviens que 6 % du budget des services correctionnels est consacré aux services correctionnels communautaires. Si nous sommes généreux, nous pourrions peut-être dire jusqu’à 11 % si nous prenons en compte d’autres mesures.

Il me semble que c’est une tentative de miner l’objectif même de la loi, qui est d’aider les gens à rester dans la société. Vous avez dit à maintes reprises dans vos rapports, tout comme votre prédécesseur, que nous devons nous concentrer sur l’insertion des gens dans la société.

Je me demande si vous pourriez tous les deux, si vous le souhaitez, dire quelques mots à ce sujet. Êtes-vous d’accord pour dire qu’une partie de cette situation est due à la décision des services correctionnels de limiter l’accès des peuples autochtones, mais aussi de toutes les autres personnes, comme vous l’avez dit? Ce matin même, j’ai rencontré le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, qui s’occupe du problème des personnes atteintes de troubles cognitifs qui ne sortent pas de prison.

Il me semble que ce sont des décisions politiques prises par les services correctionnels qui ont ensuite une incidence sur l’affectation des ressources. Nous ne devrions pas adhérer à leur analyse, mais plutôt faire pression sur le ministre pour qu’il assume sa responsabilité de garantir l’accès, comme l’exige actuellement la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Êtes-vous d’accord avec cela?

M. Zinger : Pour moi, il est clair que les articles 81 et 84 visent à remédier à la surreprésentation flagrante des Autochtones et à trouver des alternatives au système pénitentiaire traditionnel, qui ne répond pas à leurs besoins. Ma seule préoccupation est qu’il s’agit d’une disposition qui n’a pas été pleinement mise en œuvre et adoptée.

La sénatrice Pate : J’en conviens.

M. Zinger : Comme nous l’avons vu au début des années 2000, dans notre premier rapport intitulé Une question de spiritualité, le système correctionnel a pratiquement cessé d’investir dans des partenariats avec les collectivités et les organisations autochtones, et a réaffecté les fonds à des initiatives pénitentiaires, principalement Pathways.

Ma seule préoccupation ici est donc que cette disposition n’a pas été mise en œuvre correctement. J’aimerais qu’elle soit correctement mise en œuvre et réponde à l’intention législative de 1992, avant même que nous envisagions d’autres groupes. Vous pouvez être d’accord ou non.

Au minimum, je propose que ce comité invite quelques directeurs exécutifs à donner leur avis sur l’article 81. Je pense qu’ils sont mieux placés que moi pour répondre à cette question.

La sénatrice Pate : Merci pour cette réponse. Je pense également qu’il faudrait entendre ceux qui ont présenté une demande, mais qui n’ont pas les ressources nécessaires, car j’en connais un certain nombre.

Maître Parkes?

Me Parkes : J’allais dire qu’à un autre titre, je suis vice‑présidente du conseil d’administration de la West Coast Prison Justice Society, qui a écrit un rapport intitulé Decarceration through Self-Determination, dans lequel sont documentées — et je peux le partager avec le comité — les façons dont l’article 81 a été largement sous-utilisé, et dont de nombreuses organisations autochtones ont tenté d’obtenir des installations en vertu de cet article, sans succès. Toutefois, il s’agit d’une question de financement. Il s’agit d’une question de politique, comme le dit la sénatrice Pate.

Et, avec tout le respect que je vous dois, cela renvoie à la question sur les personnes transgenres qui a été posée il y a un instant. L’une des façons dont cet amendement pourrait être utilisé serait de soutenir les personnes transgenres de manière appropriée au sein de la collectivité, afin de répondre à un certain nombre de problèmes bien documentés concernant la coercition, les préjudices, la discrimination et la violence subis par cette population.

Le fait qu’il n’ait pas été utilisé correctement est un problème qui doit être traité en tant que tel. Le mandat du SCC comprend déjà les services correctionnels communautaires, qui sont censés produire l’effet recherché. Toutefois, nous constatons que les ressources sont toujours affectées au volet institutionnel et non au volet communautaire. Ce serait une façon de clarifier ce mandat.

Cela ne signifie pas pour autant que les fonds devraient être retirés aux collectivités autochtones. Ce serait une perversion totale du projet de loi.

La sénatrice Clement : Je remercie les deux témoins pour leur carrière. Je pense que vous avez répondu aux questions du sénateur Prosper et de la sénatrice Pate, mais je tiens à figurer dans le compte rendu au nom des Canadiens noirs.

Nous savons donc que les Canadiens noirs, et en particulier les hommes noirs, sont surreprésentés. Monsieur Zinger, vous avez déclaré dans votre témoignage qu’ils sont également largement surreprésentés dans les situations relevant des unités d’intervention structurée, UIS.

Je suis attentive à l’Association des avocats noirs du Canada, qui s’intéresse à la jurisprudence. Je citerai un exemple :

Si une peine est plus lourde pour un homme noir en raison du racisme systémique anti-Noirs dans le système correctionnel, alors toute peine que j’impose doit être réduite pour tenir compte de ce fait.

On prend donc de plus en plus conscience que les expériences des personnes noires, transgenres et autochtones sont différentes.

Nous avons appris hier que le service correctionnel avait mis en place un Plan de mise en œuvre de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires. Il a investi 7,9 millions de dollars sur deux ans. Je ne sais pas si vous pouvez vous prononcer à ce sujet ni si cela est suffisant. S’agit-il d’une goutte d’eau dans l’océan? Ils viennent de commencer, vous n’avez donc peut-être pas de commentaire à faire, mais je vous serais reconnaissante d’en faire un.

Maître Parkes, je vous ai entendue dire que le Service correctionnel du Canada est l’un des services correctionnels les mieux dotés en ressources au monde. Pourriez-vous nous en dire davantage?

Vous avez également fait des observations selon lesquelles les préjudices sont documentés dès les premières 48 heures d’isolement. Disposez-vous de données ventilées par race pour montrer ce que cela peut représenter pour les personnes noires dans ces situations, après 48 heures?

Me Parkes : Souhaitez-vous que je réponde à ces questions maintenant? Avons-nous le temps?

Le président : Veuillez continuer.

Me Parkes : En ce qui concerne la dernière partie de votre question, portant sur la période d’isolement de 48 heures, il s’agit des conclusions d’experts qui étudient l’isolement en milieu carcéral depuis des décennies, à savoir le Dr Craig Haney et le Dr Stuart Grassian. Ces derniers ont notamment témoigné dans des affaires concernant l’isolement préventif, en Colombie-Britannique et en Ontario, mais aussi dans d’autres affaires. Ils ont donc documenté ces préjudices à partir des premières 48 heures.

Ces affaires ont également donné lieu à des conclusions de fait sur l’impact disproportionné et néfaste de l’isolement préventif sur les personnes noires et autochtones. Je peux vous fournir une réponse plus complète par écrit, mais des informations sont déjà disponibles à ce sujet.

En ce qui concerne la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires, il est peut-être trop tôt pour en voir les résultats potentiels. Cependant, ce que nous savons, c’est que les ressources ne semblent pas être allouées —, du moins d’après ce que j’ai pu observer jusqu’à présent, même si j’espère que cela peut changer —, à la libération : pour remédier concrètement au fait bien documenté que les Autochtones et les Noirs ont moins de chances d’obtenir une libération conditionnelle lorsqu’ils y ont droit, et pour allouer les ressources nécessaires à la préparation de la libération et à la facilitation de la libération conditionnelle dans la collectivité, ainsi qu’aux ressources appropriées sur place. Il semble que l’accent soit encore largement mis sur l’institution et moins sur la libération. C’est quelque chose qui, selon moi, nécessite d’être mis en œuvre.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup.

M. Zinger : En 2013, nous avons mené la première enquête systémique du genre sur les Canadiens d’origine africaine. Nous avons interrogé de nombreuses personnes noires incarcérées, notamment de jeunes détenus. Nous avons formulé une série de recommandations.

À l’époque, le Service correctionnel du Canada, je crois, était sourd à nos préoccupations et n’y a pas répondu de manière appropriée. Quelques années plus tard, j’ai été interviewé par le rapporteur spécial des Nations unies et nous avons présenté le travail que nous avions accompli. Il est intéressant de noter que le rapporteur spécial de l’ONU a repris une grande partie de nos recommandations, qui ont été déposées à l’Assemblée générale de l’ONU. Toutefois, le Service correctionnel du Canada n’y a pas répondu de manière positive.

Nous avons donc effectué un suivi sur 10 ans, ce qui nous amène à 2023, et nous avons constaté que les préoccupations étaient toujours les mêmes. Il a été difficile de mener cette étude, car je pense que la situation a été beaucoup mieux prise en compte, ce qui est positif, mais les actions entreprises ont été très limitées.

La seule fois où nous avons constaté une action de la part du Service correctionnel du Canada, c’est lorsque le gouvernement Trudeau a lancé une campagne contre le racisme et a exigé que chaque ministère y contribue. Nous avons alors vu des fonds alloués et un peu plus d’efforts de la part du service, ce qui n’aurait pas été possible 10 ans auparavant.

Je vais aborder le sujet de manière générale, car je travaille au Bureau de l’enquêteur correctionnel depuis 20 ans et j’ai vu se succéder cinq stratégies différentes concernant les peuples autochtones.

Malgré toutes ces stratégies, force est de constater que les indicateurs correctionnels concernant les peuples autochtones n’ont pas changé au cours des 20 dernières années. Les Autochtones, tout comme les Noirs, sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale. Ils sont plus souvent victimes d’une utilisation excessive de la force, sont plus souvent placés dans des unités d’intervention structurée, tentent plus souvent de se suicider ou de s’automutiler et sont plus souvent incarcérés que les non-Autochtones ou les non-Noirs. Près de 80 % des Autochtones ne sont pas libérés avant d’avoir purgé les deux tiers de leur peine. Ils sont également plus susceptibles de récidiver et de voir leur libération conditionnelle révoquée ou suspendue.

Tous ces résultats correctionnels sont restés relativement stables, malgré toutes ces stratégies et tous ces investissements. C’est là une partie du nœud du problème. Nous continuons à croire que les dernières stratégies nous sortiront de l’ornière et que nous verrons des changements dans les tendances. Au fil des ans, je deviens de plus en plus sceptique quant à l’issue de cette situation.

La sénatrice Clement : C’est un témoignage bouleversant, monsieur.

M. Zinger : Je suis vraiment désolé.

Je constate que la communauté noire pense qu’une mesure telle que l’arrêt Gladue, spécifique aux Noirs, pourrait changer les choses. Or, l’arrêt Gladue n’a pas aidé les Autochtones. Elle a peut-être quelque peu atténué le problème, mais lorsque j’ai commencé ma carrière au Bureau de l’enquêteur correctionnel, il y a 20 ans, le taux d’incarcération des Autochtones au niveau fédéral était de 15 %. Il est aujourd’hui de 33 %, et jusqu’à 50 % des femmes incarcérées sont autochtones. Gladue a été conçu pour réduire et remédier à la surreprésentation; ce n’est donc pas une panacée. Si les gens pensent qu’adopter une approche de type Gladue pour les Canadiens noirs est un moyen de garantir davantage d’égalité et d’équité, je ne suis pas certain que cela suffira à faire pencher la balance de manière significative.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Dhillon : Je serais ravi de recevoir vos réponses par écrit. Monsieur, en tant qu’ancien député des forces de l’ordre, je partage votre observation concernant la forte allergie de ces institutions à la surveillance. Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. J’apprécie votre travail.

Je voudrais revenir sur ce que la sénatrice Saint-Germain a dit tout à l’heure, à savoir qu’il y aura des pressions sur le pouvoir judiciaire, les hôpitaux, les organisations de la collectivité, etc. Hier, nous avons reçu la visite de représentants du Service correctionnel du Canada. Deux sous-commissaires étaient présents. Je tiens à préciser d’emblée que ce que je m’apprête à dire n’est pas une excuse pour ne pas poursuivre le travail que nous faisons afin de nous tenir responsables, ainsi que nos institutions, de la Charte et des droits des Canadiens. Cela prime sur tout le reste. Cependant, il y a ici certains obstacles et défis que nous devons surmonter. L’une des choses qui a été mentionnée hier est que la mise en place d’une surveillance pour un isolement de plus de 48 heures constitue un fardeau excessif pour le SCC en ce qui concerne certaines des évaluations qu’il effectue en matière de risque, de sécurité, etc. Je me demande si vous, monsieur Zinger, et vous, maître Parkes, avez réfléchi à cette question. C’est là que le droit rencontre parfois les actions et que l’on comprend ce que signifie réellement le principe dont nous parlons et comment il s’applique dans le monde réel.

Je serais ravi de recevoir tout conseil, information ou commentaire concernant cette préoccupation particulière que le SCC nous a fait part hier. Je vous remercie.

Le président : Souhaitez-vous obtenir une réponse par écrit ou préférez-vous qu’ils répondent maintenant?

Le sénateur Dhillon : Je suis conscient du temps qui passe, monsieur le président.

Le président : Nous pouvons obtenir des réponses concises de leur part, mais celles-ci devront probablement être complétées par écrit. Il s’agit toutefois d’une question importante, et nous souhaiterions connaître votre opinion.

M. Zinger : Je soupçonne que les tribunaux provinciaux pourraient être surpris de devoir traiter cette question si rapidement. Je pense fondamentalement qu’il s’agit d’une décision qui touche aux droits résiduels à la liberté, ce qui est d’une importance capitale. Je ne sais pas si 48 heures est un délai trop court. Ce que je peux vous dire, c’est que chaque fois qu’un délai est imposé pour un travail conséquent, les gens ont tendance à résoudre les problèmes rapidement. Que vous fixiez un délai de 48 heures ou de 15 jours, ils trouveront une solution beaucoup plus rapidement, juste avant d’avoir à effectuer tout ce travail. C’est mon opinion.

Me Parkes : Je peux fournir plus d’informations par écrit, mais c’est là le point essentiel. Lorsque nous avons constaté des exemples de pression exercée par le pouvoir judiciaire sur les services pénitentiaires, les forces de l’ordre et ce type d’institutions, des changements ont eu lieu. C’est la responsabilité réelle qui permet d’agir plus rapidement. L’un des problèmes de longue date est le fait que, lorsqu’on s’en remet au système juridique prévoyant des niveaux multiples d’examens internes tout au long de la chaîne de commandement du SCC, des personnes croupissent dans des conditions de détention illégale et tortueuse. Je serais heureuse d’aborder cette question plus en détail dans des observations écrites, mais c’est possible, comme nous l’avons constaté dans d’autres cas.

Le président : Merci. Au nom de mes chers collègues, je tiens à remercier nos deux témoins. Je vous remercie pour vos réponses exhaustives. Il est évident que les sénateurs se sont montrés très intéressés par vos propos. Certains témoignages ont été très convaincants et utiles. Je vous remercie d’avoir aidé le comité dans son travail sur l’étude du projet de loi S-205.

(La séance est levée.)

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