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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 27 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 h 34 (HE), afin d’étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

La sénatrice Denise Batters (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour. Je suis Denise Batters, sénatrice de la Saskatchewan. Je suis vice-présidente du comité, et aujourd’hui, j’ai la chance de le présider. J’invite mes collègues à se présenter.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

La sénatrice Simons : Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, clairement le plus beau des territoires.

La sénatrice Pate : Bienvenue à tous. Je m’appelle Kim Pate et je vis ici, sur le territoire non cédé, non abandonné et non restitué du peuple algonquin anishinabe.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Dhillon : Bonjour. Je suis Baltej Dhillon, de la Colombie-Britannique.

La vice-présidente : Nous nous réunissons aujourd’hui afin de poursuivre notre étude du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Nous avons le plaisir d’accueillir parmi nous, du Syndicat des agents correctionnels du Canada, Frédérick Lebeau, président national, et Jeff Wilkins, vice-président national. Nous accueillons également Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada. En ligne, nous entendrons Emilie Coyle, codirectrice générale de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, ou ACSEF. Bienvenue à vous tous. Merci de vous joindre à nous.

Nous allons commencer par vos déclarations préliminaires avant de passer aux questions des sénateurs. Nous entendrons d’abord les représentants du Syndicat des agents correctionnels du Canada, qui seront suivis de Catherine Latimer, puis d’Emilie Coyle. Vous disposerez chacun de cinq minutes lorsque vous serez prêts. Nous commencerons par le Syndicat des agents correctionnels du Canada. Je vous remercie.

[Français]

Frédérick Lebeau, président national, Syndicat des agents correctionnels du Canada : Bon avant-midi à tous. Je me présente : je suis Frédérick Lebeau, président du Syndicat des agents correctionnels du Canada, affilié à la CSN. Bien que j’occupe cette fonction depuis bientôt un an, mon poste d’attache demeure celui d’agent correctionnel de niveau 2 à l’Établissement Archambault, au Québec, un établissement de sécurité moyenne, plus précisément au Centre régional de santé mentale. J’exerce la profession d’agent correctionnel depuis 2010.

À mes côtés aujourd’hui se trouve le vice-président du syndicat, M. Jeff Wilkins, qui occupe également un poste d’agent correctionnel à l’Établissement Springhill, dans la région de l’Atlantique. M. Wilkins a par ailleurs déjà assumé la présidence de notre syndicat au cours des six dernières années.

En tant que représentants de 7 500 agents correctionnels fédéraux, nous intervenons aujourd’hui afin de partager notre perspective sur le projet de loi S-205. Notre rôle consiste à porter la voix de l’ensemble des agents et agentes sur les enjeux que ce projet de loi pourrait soulever, tant au chapitre des conditions de travail que de la mission globale du Service correctionnel du Canada.

Dans le mémoire que nous avons transmis à ce comité, qui reprenait les éléments déjà exposés lors de l’étude du projet de loi S-230, nous avons clairement identifié nos principales préoccupations en ce qui a trait à ce projet de loi.

Trois éléments importants retiennent surtout notre attention aujourd’hui en raison de l’ampleur de leur portée sur les conditions de travail de nos membres, sur leur sécurité ou sur la sécurité publique, ou de l’ampleur que représente leur mise en œuvre en raison de ressources déjà insuffisantes dans un contexte budgétaire comprimé : la modification proposée concernant les unités d’intervention structurée, ou UIS, les nouvelles mesures en matière de santé mentale, ainsi que la possibilité, pour tout détenu ou toute détenue, de demander à la cour de réduire sa peine.

Si le projet de loi est adopté, il imposera une contrainte majeure au Service correctionnel du Canada. Nous sommes d’avis que, avec l’ajout de cette notion large de troubles mentaux invalidants, la pénurie chronique de professionnels de la santé rendra très difficile, voire illusoire, l’évaluation opportune de l’état de santé mentale de chaque détenu dès son accueil dans le système carcéral. Escorter les détenus vers des établissements provinciaux n’est pas réaliste non plus, en raison du manque de ressources humaines à la fois au Service correctionnel du Canada et dans les réseaux de la santé des provinces.

Quant au volet du projet de loi sur les unités d’intervention structurée, l’environnement correctionnel est un écosystème fragile. Chaque modification aux opérations, aussi mineure soit‑elle, devrait être soupesée avec prudence, car elle pourrait entraîner des répercussions majeures sur la sécurité et le bien‑être des employés, des détenus et du public.

Or, ce que nous observons, c’est que les changements apportés à nos procédures de travail depuis la suppression de l’isolement préventif et de l’isolement disciplinaire, ainsi que leur remplacement par les unités d’intervention structurée, ont profondément bouleversé cet écosystème. L’adaptation aux enjeux soulevés par ce changement législatif demeure une préoccupation majeure pour nos membres. Néanmoins, je voudrais souligner que nos membres ont fait preuve d’une grande souplesse, abordant cette évolution complexe avec diligence et professionnalisme.

Tout au long de la transition, la santé, la sécurité ainsi que le respect des obligations légales de toutes les parties prenantes ont toujours été prioritaires. Nos agents et agentes ont su maintenir ces principes fondamentaux tout en essayant de susciter un engagement important de la part des détenus au sein des nouvelles unités. Toutefois, il convient de rappeler que des défis opérationnels persistent à ce jour. Parmi ceux-ci figurent notamment des problématiques liées à l’infrastructure, à la compatibilité entre certains détenus et aussi à la capacité des unités, qui demeure parfois insuffisante au regard de la taille de la population carcérale à gérer.

L’abolition de l’isolement disciplinaire, notamment, comme outil de responsabilité des détenus et son remplacement par les unités d’intervention structurée ont déjà eu des conséquences; une diminution de la responsabilité des détenus entraîne inévitablement une hausse de la violence dans nos établissements carcéraux. Depuis 2019, date à laquelle les isolements préventif et disciplinaire ont été abolis, nous avons pu observer une augmentation notable des actes de violence dans nos milieux de travail, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des unités d’intervention structurée. Cette corrélation souligne l’importance d’un encadrement rigoureux afin d’assurer un climat sécuritaire pour tous; il s’agit d’un rappel de l’équilibre délicat qui caractérise le système carcéral canadien dont il faut absolument tenir compte lorsqu’on envisage de modifier quelque élément que ce soit.

Malheureusement, les perspectives financières annoncées dans le dernier budget laissent présager des années à venir particulièrement difficiles. Cette situation préoccupante touche non seulement nos membres, mais également les autres employés et, plus largement, l’ensemble de la population carcérale. Ce contexte accentue les défis quotidiens rencontrés dans nos établissements.

J’aimerais également sensibiliser ce comité à la crise de santé mentale qui touche non seulement la population carcérale, mais aussi nos agents correctionnels, et ce, de manière particulièrement préoccupante à l’échelle nationale. En 2018, l’Institut canadien de recherche et de traitement de la sécurité publique, composé d’une équipe multidisciplinaire, a entrepris d’étudier les effets sur la santé mentale des exigences liées à diverses professions du portefeuille de la sécurité publique. Les conclusions de ces travaux se sont révélées éloquentes, indiquant que les agentes et agents correctionnels sont fréquemment exposés à des conditions de travail qui portent atteinte à leur santé mentale, en raison de la nature périlleuse et souvent stressante ainsi que des tensions psychologiques inhérentes à leur profession. Nous croyons que les changements proposés dans ce projet de loi ne feront qu’aggraver cette véritable crise de santé mentale qui afflige tant de nos membres en empirant la volatilité et la dangerosité à l’intérieur de nos pénitenciers.

Je souhaite conclure mes commentaires en soulignant la grande fierté que m’inspire le travail inlassable de nos membres, qui exercent leur profession d’agentes et agents correctionnels au quotidien, dans des conditions particulièrement exigeantes. Il convient de rappeler que très peu d’enfants grandissent en entretenant le rêve de devenir agente ou agent correctionnel; nous le devenons habituellement en raison de circonstances individuelles propres à nos parcours de vie. Cette vocation, souvent méconnue, révèle la force et la résilience de ces femmes et de ces hommes qui choisissent de remplir une mission essentielle au sein de la société.

Nous sommes tout à fait disposés à répondre à toutes les questions que vous souhaitez nous poser.

[Traduction]

La vice-présidente : Merci. Nous entendrons maintenant la directrice générale de la Société John Howard du Canada. Je vous demande à tous de vous limiter à cinq minutes. J’ai laissé un peu de temps supplémentaire au témoin pour lui permettre de terminer, mais nous voulons nous assurer d’avoir suffisamment de temps. Merci.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Merci beaucoup. Je suis heureuse de comparaître devant le comité au nom de la Société John Howard du Canada pour appuyer le projet de loi S-205, qui propose d’importantes modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin de rendre le système correctionnel plus efficace, plus juste et plus humain. Il y parviendra principalement de deux façons : par la surveillance judiciaire et par des solutions de rechange civiles et communautaires plus efficaces aux mesures correctionnelles institutionnelles. Il est urgent que les décisions et les pratiques qui ont une incidence sur les droits et la santé mentale des détenus fassent l’objet d’une surveillance judiciaire. Le projet de loi propose de le faire de deux manières : en limitant à 48 heures les placements dans les unités d’intervention structurée, ou UIS, sauf ordonnance contraire de la cour permettant un placement plus long, et en soumettant à un contrôle judiciaire les peines des détenus et des personnes libérées sous condition qui ont subi de la violence.

Les unités d’intervention structurée perpétuent, plutôt que de corriger, les pratiques que les tribunaux jugent contraires aux droits garantis par la Charte en matière d’isolement cellulaire. Comme vous l’avez entendu de la bouche de Howard Sapers, le Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée a constaté que les personnes placées en UIS sont soumises à l’isolement cellulaire, et qu’une partie d’entre elles subissent un isolement cellulaire prolongé, ce qui est interdit par l’ONU car cela équivaut à une forme de torture ou de cruauté. Les tribunaux canadiens ont déterminé que les placements en isolement cellulaire qui ne font pas l’objet d’un examen externe indépendant, tant pour la décision initiale de placement que pour la décision de maintenir les détenus en isolement cellulaire, violent l’article 7 de la Charte.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans l’affaire de la BCCLA et de la Société John Howard contre l’isolement préventif, ne pourrait être plus claire à ce sujet. Au paragraphe 83, la Cour affirme que de nombreuses affaires impliquant des placements involontaires en isolement préventif requièrent l’arbitrage d’un différend factuel entre l’établissement et un détenu et sont de nature conflictuelle. La Cour estime que selon la Charte, les détenus devraient avoir droit à un arbitrage externe indépendant dans les cinq jours suivant leur placement en isolement cellulaire. La Cour suprême du Canada a statué que les décisions correctionnelles qui violent les droits garantis par la Charte sont sans fondement et qu’elles sont donc illégales.

Le régime des unités d’intervention structurée ne prévoit pas d’arbitrage externe indépendant des décisions de placement dans le délai requis de cinq jours. Par conséquent, ces unités sont remplies de détenus dont les droits garantis par l’article 7 de la Charte ne sont pas respectés et qui sont illégalement placés en isolement cellulaire. Le moyen le plus sûr de remédier à ce problème est de soumettre les décisions de placement à un contrôle judiciaire. Le projet de loi S-205 permettrait d’atteindre cet objectif.

Le projet de loi S-205 permettrait également aux personnes dont les droits ont été bafoués ou dont la peine a été mal administrée de demander aux tribunaux une réduction de peine à titre de réparation. Si de tels abus avaient lieu pendant la détention préventive, les juges réduiraient la peine pour cause de mauvais traitements. Il semblerait logique et souhaitable que la même chose s’applique également aux personnes qui purgent une peine d’emprisonnement.

Comme le révèle le dernier rapport de l’enquêteur correctionnel, le Service correctionnel du Canada, ou SCC, n’est pas en mesure de répondre adéquatement aux besoins des personnes atteintes de troubles mentaux. La réforme législative proposée dans le projet de loi S-205 faciliterait un diagnostic plus approprié des maladies mentales en plus d’offrir aux personnes qui en souffrent la possibilité de recevoir un traitement dans des hôpitaux civils. La Société John Howard estime que si c’est aux gardiens de prison qu’il revient de leur fournir des soins de santé, les décisions médicales sont nécessairement faussées par des considérations de sécurité et financières. Le fait d’élargir l’accès aux hôpitaux civils contribuerait à garantir des soins de santé appropriés, surtout pour les personnes atteintes de maladies mentales graves.

Bien que la Société John Howard appuie pleinement l’élargissement de l’accès à des peines correctionnelles à purger dans la collectivité pour les personnes défavorisées ou victimes de discrimination, nous tenons à préciser que cela devrait s’ajouter aux peines déjà offertes aux Autochtones. Il ne devrait pas s’agir d’une réduction, mais d’un élargissement des deux options. La Société John Howard souhaite particulièrement cet élargissement pour les détenus âgés dont la santé physique et le déclin cognitif ne peuvent être pris en charge de manière adéquate dans les prisons fédérales. Il serait plus facile de leur offrir des soins palliatifs et des soins infirmiers dans le cadre d’une peine correctionnelle purgée dans la collectivité.

Pour conclure, je dirais que les unités d’intervention structurée ne fonctionnent pas. D’autres réformes et les révisions et modifications législatives nécessaires ne voient pas l’heur d’arriver. Le projet de loi S-205 nous offre une bonne occasion de nous attaquer dès maintenant à la crise qui fait rage dans nos prisons fédérales, et nous vous exhortons à l’adopter. Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Vous avez terminé juste à temps. Pourrais-je maintenant entendre la porte-parole de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry pour cinq minutes? Merci.

Emilie Coyle, codirectrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Merci beaucoup de nous avoir invités à nous exprimer sur ce projet de loi. Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire traditionnel partagé de la Première Nation Kwanlin Dün et du Conseil Ta’an Kwäch’än, connu sous le nom colonial de Whitehorse.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, depuis près de 50 ans, notre organisation travaille dans les pénitenciers fédéraux destinés aux femmes. Nous surveillons les conditions de détention. Nous aidons les femmes criminalisées et les personnes de la diversité sexuelle à prendre conscience de leurs droits et à obtenir de meilleurs résultats par la voie judiciaire. Notre mandat nous place dans une position unique, mais troublante. Nous aidons les gens à utiliser la loi pour obtenir justice et dignité, mais notre travail quotidien révèle qu’il est fondamentalement impossible d’accéder à la véritable justice en milieu carcéral. C’est cette contradiction qui est au cœur de notre témoignage aujourd’hui.

Nous devons également mentionner les tendances répressives qui sous-tendent cette discussion : la crise de l’incarcération massive d’Autochtones et de l’incarcération démesurée des femmes les plus victimisées et marginalisées de notre pays. Le système que nous essayons actuellement de réformer au moyen du projet de loi S-205 consiste à enfermer, punir et faire disparaître celles et ceux qui sont jugés socialement inutiles. Les améliorations proposées dans le projet de loi S-205 sont urgentes et fortement souhaitées par notre association. Elles constituent par ailleurs des ajustements à un système fondamentalement défaillant. Elles viennent réduire les torts causés par un cadre carcéral conditionné pour causer des souffrances. Nous estimons donc que nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre ce système moins nocif. Il y a des vies en jeu aujourd’hui.

Le projet de loi S-205 constitue une avancée nécessaire et importante. Il faut savoir que le maintien du statu quo entraînerait une crise humanitaire. Nous publierons sous peu un rapport consultatif spécial sur notre travail de surveillance des conditions d’incarcération que nous effectuons chaque mois. Il montre qu’à l’heure actuelle, les conditions dans les pénitenciers fédéraux pour femmes violent la dignité humaine fondamentale et les normes internationales.

La double occupation des cellules est courante, ce qui signifie que les femmes dorment près des toilettes. Les espaces réservés aux programmes ont été transformés en logements de fortune. Il y a des problèmes persistants : moisissure, contamination de l’eau, nourriture inadéquate et peu nutritive. De plus, dans de nombreux établissements, les visites familiales privées et le Programme mère-enfant ont été suspendus ou sont beaucoup moins accessibles. Les femmes autochtones, qui représentent plus de 50 % de la population carcérale féminine fédérale, sont souvent éloignées de leur collectivité, ce qui les prive de moments culturels et familiaux. Malgré les réformes visant à éliminer l’isolement cellulaire, les mesures de restriction des déplacements et d’isolement sont de plus en plus fermes. On ne parle pas d’inconvénients administratifs, mais de conditions qui ont des effets psychologiques et physiques durables. Il s’agit là de conditions qui ont été qualifiées à maintes reprises comme étant cruelles, inhumaines et dégradantes au regard du droit international et national par le Bureau de l’enquêteur correctionnel.

Pour ce qui est des dispositions du projet de loi, je vais mentionner quelques points. Si vous avez des questions précises plus tard, je serai heureuse de tenter d’y répondre.

Au sujet de l’isolement cellulaire, nous croyons qu’une surveillance judiciaire obligatoire assortie de conditions sur une limite de temps ferait probablement en sorte que la prison envisage sérieusement des solutions de rechange moins restrictives. C’est particulièrement important dans le contexte des prisons pour femmes, qui, contrairement aux prisons pour hommes, disposent toutes d’unités d’intervention structurée facilement accessibles. De plus, ces unités y sont utilisées à d’autres fins que pour une intervention structurée.

En ce qui concerne le transfèrement à un hôpital, le Service correctionnel du Canada refuse actuellement de céder sa compétence en matière de normes de sécurité pour les personnes qui y sont transférées. Le projet de loi doit préciser si, lorsqu’une personne est transférée à un hôpital, les normes relatives au confinement sont déterminées par l’hôpital plutôt que par la prison, car les conditions carcérales peuvent être reproduites dans les hôpitaux.

Pour ce qui est de la surveillance et de la réduction de la peine, il existe un précédent bien établi dans le système provincial, avec une réduction des peines pour le temps passé en détention. Nous voulons également nous assurer que cette disposition fait ressortir la persistance de la plupart des violations des droits dans les prisons, qui sont rarement des événements isolés.

Je terminerai en disant que, dans le contexte actuel où les politiques de durcissement de la répression de la criminalité ne font qu’empirer les conditions, l’étude du projet de loi S-205 constitue une occasion exceptionnelle pour le législateur de porter son attention sur la dignité et les droits de toutes les personnes incarcérées. Merci beaucoup.

La vice-présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Frédérick Lebeau.

Le projet de loi limite à 48 heures la détention dans des unités d’intervention structurée. Vous avez dit que cela vous inquiétait. Vous avez dit qu’il y a déjà plus d’actes de violence depuis les changements qui ont eu lieu par rapport à l’isolement.

Expliquez-nous concrètement comment se passent vos rapports avec les détenus en isolement. Combien de fois allez‑vous les voir? Est-ce qu’il y a régulièrement des visites de psychiatre ou de personnel expert? Comment cela se passe‑t‑il pour des gens qui ne sont pas en prison, comme nous? Pourquoi vous inquiétez-vous? Quels éléments violents pouvez‑vous rapporter, qui font que le projet de loi va trop loin, à votre avis?

M. Lebeau : Merci, madame la sénatrice. C’est une excellente question.

Quarante-huit heures en unité d’intervention structurée — M. Pyke, de Service correctionnel Canada, a témoigné à ce sujet lors des travaux du comité —, ce n’est pas suffisant pour faire une enquête et une analyse profonde de ce qui s’est passé. Souvent, quand on voit des actes de violence, cela peut être lié à de la contrebande, à des voies de fait ou à des assauts. Il faut prendre le temps d’analyser les choses et d’enquêter sur ce qui se passe et ce qui s’est passé sur les lieux. Est-ce que c’est lié à des gangs de rue? Est-ce que c’est lié à de la criminalité à l’intérieur des murs? Est-ce que c’est un incident isolé? Il faut donc prendre le temps de faire ces enquêtes, de regarder les vidéos et de parler aux détenus. Les agents du renseignement de sécurité en établissement ont aussi des sources. Il faut donc contacter ces sources et s’assurer du bienfait et de la sécurité des détenus, du personnel civil et des agents correctionnels.

Comment est-ce que cela fonctionne en unité d’intervention structurée? Les détenus qui sont placés là ont quatre heures de sortie et deux heures de contact significatif. On effectue des rondes chaque heure. Chaque jour, le centre de soins vient. Des infirmiers et infirmières viennent et font une évaluation du détenu.

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que vous travaillez là personnellement?

M. Lebeau : Non; je travaille au Centre régional de santé mentale. Je n’ai jamais travaillé dans une unité d’intervention structurée à ce jour.

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que votre collègue a travaillé dans des unités comme celles-là?

M. Lebeau : Non.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous nous parlez de la façon dont cela se passe normalement, mais vous rapportez aussi qu’il y a plus de violence maintenant qu’il y en avait il y a quelques années. Sur quoi est-ce que vous vous basez pour dire cela? Sur quoi est-ce que vous vous basez pour dire que c’est lié aux changements de conditions en isolement volontaire? J’aimerais savoir de quel genre de violence l’on parle. Est-ce envers vos agents? Envers qui, envers quoi, puisqu’ils sont enfermés?

M. Lebeau : Envers les détenus et envers les agents correctionnels. Il n’y a pas une journée où le Centre national de surveillance du Service correctionnel ne contacte pas le syndicat pour nous dire qu’il y a eu une agression sur un agent correctionnel. Depuis 2019, on voit une hausse à cause du manque de responsabilité des détenus. Avec le projet de loi C-83, l’isolement disciplinaire a été supprimé, donc il y a un manque à gagner de ce côté. Il y a plus ou moins de responsabilité de la part des détenus. Il y en a justement qui posent des actes pour être transférés dans une unité d’intervention structurée ou dans un autre établissement, donc la violence a vraiment augmenté. On fait une corrélation avec ce projet de loi et l’introduction des unités d’intervention structurée à l’époque.

La sénatrice Miville-Dechêne : Quand un détenu en unité d’intervention structurée devient agité ou semble avoir des problèmes psychologiques ou psychiatriques, que faites-vous? Avez-vous des ressources disponibles à envoyer sur place?

M. Lebeau : Malheureusement, on manque de formation. On essaie, tant bien que mal, de désamorcer la situation, d’intervenir et d’interagir avec le détenu. Souvent, on peut faire appel aux Aînés et à certaines ressources. Les infirmiers et infirmières, les psychologues ou les psychiatres peuvent être là également pour travailler en interdisciplinarité. C’est ce qu’on a comme outils.

La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, 48 heures, pour vous, cela ne fonctionne pas?

M. Lebeau : Cela créerait une pression immense. On le voit. Je ne suis pas sûr que tous les systèmes de cour provinciale seraient capables d’accueillir un flot de détenus et d’avoir une surveillance de 48 heures pour chaque transfert en unité d’intervention structurée. Je ne pense pas que ce soit possible. On se retrouverait donc dans une situation où les détenus seraient probablement placés pendant 48 heures en unité d’intervention structurée, puis en sortiraient. On aurait probablement des situations potentiellement explosives.

La sénatrice Miville-Dechêne : Mais ils sortiraient; ils resteraient en prison?

M. Lebeau : Oui, ils resteraient en prison. Ils iraient dans leur unité respective, mais est-ce que c’est sain pour eux d’y retourner? Est-ce que le conflit était réglé? Est-ce que c’est une guerre de gangs qui se profile à l’horizon? Est-ce qu’il y a encore des tensions? Est-ce que les dettes sont encore gérées actuellement par l’individu ou non? On doit répondre à toutes ces questions et on doit s’assurer que la gestion est efficace et que les renseignements sont bons. Il en va également de la protection du détenu.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La vice-présidente : J’aimerais poser une question à M. Wilkins. Lors d’un précédent témoignage devant ce comité, à l’époque où vous étiez président national de votre organisation, vous avez déclaré qu’il y avait eu une hausse de la violence en établissement depuis que l’on a mis fin au recours à l’isolement en 2019, en particulier parce que la responsabilité des détenus est diminuée. Je me demande simplement — un peu comme la sénatrice Miville-Dechêne — si vous pouvez nous en dire plus à ce sujet. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour les agents correctionnels de première ligne? Quelles sont les répercussions sur la sécurité du personnel au quotidien?

Jeff Wilkins, vice-président national, Syndicat des agents correctionnels du Canada : Merci beaucoup pour les questions. Comme l’a indiqué mon collègue, Frédérick Lebeau, nous avons constaté une forte hausse de la violence dans les établissements carcéraux depuis 2019.

L’une des raisons concerne la responsabilité des détenus, en particulier les actes de violence commis à l’encontre du personnel. Nous avons constaté entre autres qu’il n’était pas facile pour un détenu de se faire placer dans l’UIS lorsqu’elle a été créée. Un moyen facile pour un détenu d’y être incarcéré — par exemple, pour éviter une dette, échapper au risque de violence à son propre égard et se cacher, essentiellement, dans l’établissement — était d’attaquer un agent correctionnel. Nous avons constaté que la violence à l’égard du personnel avait augmenté pendant cette période.

La vice-présidente : D’accord. J’aimerais également vous poser une question au sujet de la limite de 48 heures. Votre collègue a indiqué que c’était probablement trop court. L’un ou l’autre d’entre vous peut répondre à ma question. Je me demande simplement si l’imposition de cette nouvelle limite obligatoire rendrait les agents correctionnels plus vulnérables puisque cette mesure aurait pour effet d’ajouter une contrainte à des moments où l’on pourrait avoir besoin de souplesse pour agir rapidement afin d’assurer la sécurité des gens.

M. Wilkins : Absolument. Vous pouvez imaginer que si un détenu sait que je ne vais à l’unité d’intervention structurée que pour me cacher, par exemple, pendant 48 heures, et que je vais revenir, que va-t-il faire? Il va attaquer un autre agent correctionnel ou commettre une autre agression dans l’établissement. Je crois que la violence va de nouveau augmenter dans l’établissement.

La vice-présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Mes questions s’adressent à MM. Lebeau et Wilkins et elles sont dans la foulée des questions des deux collègues qui m’ont précédée.

Vous présentez ici un point de vue assez unique. Nous avons entendu essentiellement des organismes et des universitaires spécialisés en matière de défense des droits des personnes détenues.

Vous avez parlé de votre réalité sur le terrain et de ce que vous avez entendu qui nous permet de voir jusqu’où le projet de loi, d’une certaine manière, met en jeu la défense des droits résiduels des personnes détenues, notamment le droit de tous les détenus à la sécurité.

J’aimerais que vous mettiez en évidence certains préjugés qui sont, selon vous, à l’origine de ce projet de loi, certaines informations qui sont exagérées par rapport à la réalité pénitentiaire et les principaux défis que vous voyez par rapport à la mise en œuvre de ce projet de loi.

M. Lebeau : Merci, madame la sénatrice.

Sur la question des préjugés, il y en a beaucoup. Un des préjugés auxquels on fait face, c’est que tous les détenus ne coopèrent pas et sont méchants; ce n’est pas vrai. Certains coopèrent et suivent leur plan correctionnel.

On travaille main dans la main en équipe de gestion de cas avec ces détenus lorsque cela fonctionne bien. C’est souvent la majorité des cas en établissement; on ne voit pas seulement des histoires d’horreur.

Quand on a affaire à des groupes criminalisés, c’est différent. On le voit : il y a souvent une corrélation avec ce qui se passe à l’extérieur, car cela se réplique souvent dans l’écosystème à l’intérieur. C’est là que cela pose problème, c’est là que cela vient influer sur le cheminement et la réhabilitation de ces détenus.

Quand on a à faire face à une crise d’opioïdes à l’intérieur des murs, quand on fait face à une montée de la violence, aux livraisons quotidiennes de drogues par drones et au manque de ressources et d’outils, des situations auxquelles que les agents et agents correctionnels doivent faire face au quotidien, c’est sûr que cela vient influencer et augmenter ces préjugés.

La sénatrice Saint-Germain : À votre avis, est-ce que le projet de loi apporte des éléments constructifs par rapport à la solution de ces problèmes, tant au niveau intérieur, donc dans les centres de détention, y compris pour ce qui est des services médicaux disponibles, qu’au niveau des systèmes hospitaliers, notamment dans les centres de traitement de santé mentale? Est‑ce que vous croyez que ce projet de loi peut améliorer la situation et peut être mis en œuvre?

J’insiste sur les commentaires que vous avez faits sur la question des unités d’intervention structurée, sur la définition élargie d’une unité d’intervention structurée, par rapport à la réalité qui serait la vôtre en matière d’application de la loi, si une telle définition devait être retenue et, donc, devenir légale.

M. Lebeau : Pour nous, ce projet de loi viendrait un peu anéantir ce que l’on fait au quotidien. Ce ne serait pas nécessairement efficace et cela ne viendrait pas remédier à ce dont on a besoin.

Le gouvernement doit investir davantage dans les pénitenciers; il faut équiper et moderniser l’infrastructure. C’est ce qu’il faut faire. Jusqu’à maintenant, on a principalement des programmes d’intervention qui fonctionnent quand même bien, mais c’est le manque général d’outils qui est devenu problématique.

Quant à la mise en œuvre en 48 heures, quand on voit cela en unité d’intervention structurée, comme j’en ai témoigné un peu plus tôt, cela devient difficile. Il y a des gens qui commettent des actes, et c’est comme dans la société en général, comme si on disait : « On n’a plus de prison à court terme, on n’emprisonne plus les gens qui commettent des actes de violence. Après 48 heures, on va les laisser sortir. ». Parfois, cela prend du temps pour mener ces enquêtes, pour connaître la vérité ainsi que tous les tenants et aboutissants de ce qui s’est passé. Donc, il faut se donner du temps pour assurer de la sécurité de tout un chacun.

La sénatrice Saint-Germain : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Ma question s’adresse à M. Lebeau et à M. Wilkins.

Je voudrais seulement préciser quelque chose : le contrôle après 48 heures ne signifie pas que les personnes sont libérées de l’UIS après 48 heures. Cela signifie simplement qu’il faut informer un juge qu’elles s’y trouvent. N’est-ce pas ainsi que vous interprétez la mesure législative? Il ne s’agit pas d’une détention de 48 heures, mais d’un délai maximal de 48 heures sans qu’il n’y ait de contrôle judiciaire. Est-ce exact?

[Français]

M. Lebeau : Merci pour la question.

C’est vrai, sauf qu’en réalité, nous sommes d’avis que cette contrainte va justement imposer un relâchement, un transfert en dehors des UIS. On le voit : nos cours sont submergées. Il y a beaucoup de gens en attente de procès devant la Cour supérieure. Cela vient ajouter une couche supplémentaire et nous ne sommes pas certains que cela va fonctionner, ces 48 heures. Aller devant une cour, préparer le dossier judiciaire et monter la preuve, nous sommes d’avis que cela sera impossible à gérer en 48 heures.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Et si c’était plus long? Si c’était 72 heures? Pensez-vous plutôt qu’il ne devrait pas y avoir de contrôle judiciaire?

M. Lebeau : Il est certain qu’il faut que ce soit plus de 48 heures. Je le dis parce que, dans le contexte du projet de loi C-83, à ce stade-ci, nous avons un aperçu avec les directeurs d’établissement. Ce n’est probablement pas suffisant, mais un contrôle est effectué.

La sénatrice Simons : J’ai eu l’occasion de visiter l’établissement d’Edmonton — non pas en janvier dernier, mais en janvier de l’année précédente. Les membres du personnel correctionnel avec qui j’ai discuté m’ont dit beaucoup de bonnes choses au sujet des UIS et m’ont expliqué qu’elles permettaient aux détenus d’avoir accès à davantage de programmes, de sorte qu’ils pouvaient réintégrer la population carcérale générale de façon plus sécuritaire. Ils avaient également beaucoup recours aux UIS pour la gestion des gangs — si je puis m’exprimer ainsi — pour des personnes qui n’avaient certes pas agressé un gardien, mais qui avaient demandé à être protégées. On avait autorisé leur placement dans l’UIS pour cette raison et parce que le personnel pénitentiaire estimait qu’il était raisonnablement probable que des actes de violence soient commis si elles demeuraient dans la population carcérale générale. Que répondez-vous à vos collègues qui pensent que les UIS sont un outil qui leur permet de mieux gérer la population carcérale?

M. Wilkins : Je ne dis pas le contraire. Les UIS sont en fait un bon outil. C’est en fait le seul outil disponible. Depuis que la pratique de l’isolement préventif a été abolie, la grande majorité des détenus qui se trouvaient sous ce régime étaient placés là de leur propre initiative. Ils demandaient à être placés en isolement parce qu’ils avaient besoin de s’éloigner de la population générale. Très peu d’entre eux étaient en isolement pour des raisons disciplinaires.

Nous avons ici un régime des UIS qui offre aux détenus un maximum de possibilités de sortir de leur cellule. Ils peuvent toujours participer aux formations et aux programmes proposés par l’établissement. J’entends beaucoup dire que c’est en quelque sorte la continuation de l’isolement cellulaire, mais c’est très loin de ce que les Règles Nelson Mandela définissent comme étant l’isolement cellulaire. Je suis donc d’accord avec mes collègues pour dire que les UIS sont utiles pour gérer certaines de ces tensions au sein de la population carcérale.

La sénatrice Simons : Néanmoins, vous avez avancé un argument sans aucune preuve, outre de l’information d’ordre général, selon lequel les UIS sont à l’origine d’une augmentation de la violence dans les prisons.

Je peux imaginer qu’il y ait d’autres facteurs. Premièrement, s’il y a une hausse de la violence, j’aimerais voir les statistiques. Deuxièmement, j’aimerais voir des preuves que cette hausse est liée — totalement ou en partiellement — au passage aux UIS. J’imagine qu’il existe d’autres facteurs. S’il y a une montée de la violence — et c’est fort probable, car nous parlons de personnes enclines à la violence, sinon elles ne seraient pas en prison —, comment pouvez-vous déterminer ce qui en est la cause, qu’il s’agisse d’une augmentation du nombre de personnes qui sont membres d’un gang, du trafic de drogue dans les prisons ou du nombre de personnes considérées comme présentant un risque maximal? Pourquoi blâmer les UIS?

M. Wilkins : Il y a certainement de nombreuses variables qui entrent en jeu dans le phénomène que nous observons actuellement au sein des établissements pénitentiaires, soit l’augmentation de la violence. Les drogues en font certainement partie. Au cours des six à huit dernières années, nous avons vu que des stupéfiants sont livrés par drone dans nos établissements pénitentiaires — nous n’avons jamais vu autant de drogues. Il ne s’agit pas seulement de tabac ou d’autres produits similaires, les produits qui étaient livrés auparavant dans les établissements, mais aussi de méthamphétamine, de fentanyl et d’autres substances très dangereuses. Bien sûr, la drogue est une variable. La culture de la drogue contribue à la hausse de la violence que nous observons dans nos établissements. Les UIS sont le seul outil dont nous disposons pour gérer certaines de ces populations.

Lorsqu’une personne est accusée d’avoir participé à la culture de la drogue ou qu’elle se fait prendre en possession de drogue, nous voulons nous assurer qu’elle peut être renvoyée dans la population générale à un moment donné, mais nous devons intervenir de manière structurelle pour ce type de comportement. Peut-être faut-il la transférer dans un autre établissement ou encore l’envoyer dans un autre établissement de sa région, afin d’essayer de contrer ce comportement.

Ce n’est pas tant que les UIS ont fait augmenter la violence dans l’établissement. Nous croyons que l’abolition de l’isolement...

La sénatrice Simons : Vous l’avez bien dit.

M. Wilkins : Depuis la mise en place des UIS, nous avons constaté une hausse de la violence, mais c’est en raison de l’abolition de l’isolement.

La sénatrice Simons : Avez-vous des statistiques à ce sujet?

M. Wilkins : Nous pouvons certainement vous fournir des statistiques. C’est quelque chose que nous communiquons tous les mois au SCC. Chaque mois, nous rencontrons notre commissaire et nous lui remettons les statistiques que nous calculons et recueillons dans les différentes régions au sujet de la violence en établissement, et chaque mois, ces chiffres augmentent. Nous pouvons certainement vous fournir quelque chose.

La sénatrice Simons : Merci.

La vice-présidente : Une question m’est venue à l’esprit pendant cet échange. Pourriez-vous expliquer, à nous et au public, quelles sont les principales différences entre l’isolement cellulaire, que les gens connaissent bien, et les unités d’intervention structurées, les UIS?

M. Wilkins : D’après ce que je comprends, selon la définition de « l’isolement cellulaire » tirée des Règles Nelson Mandela, une personne est enfermée dans sa cellule pendant 22 heures par jour sans contacts humains réels. En fait, on précise que des périodes prolongées de telles conditions seraient considérées comme une peine cruelle et inusitée.

Une UIS permet à un détenu de passer au moins quatre heures par jour hors de sa cellule. Certains le refusent. Ils préfèrent rester dans leur cellule. Nous suivons tous les déplacements des détenus dans une UIS. Ils passent au moins quatre heures en dehors de leur cellule et ont des contacts humains réels au cours de la journée. Dans une UIS, il y a davantage de professionnels de la santé et d’agents correctionnels. L’unité compte davantage de personnes, ce qui la différencie considérablement de ce qu’on appelle « l’isolement cellulaire ».

La vice-présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Oudar : Je voudrais donner mon temps de parole à MM. Lebeau et Wilkins, s’ils le souhaitent. Vous avez amené un point sur lequel nous devons nous pencher en tant que comité. En tant qu’ancienne présidente de la CNESST, vos propos résonnent dans mes oreilles. Je tiens à rassurer la sénatrice Simons : ce sont des statistiques que j’ai vues dans les établissements provinciaux. Je confirme que l’augmentation de la violence est très bien documentée. Je suis certaine que vous pourrez fournir au comité l’ensemble de ces statistiques.

Je reviens sur ma préoccupation. Merci de nous amener ici aujourd’hui la question de la sécurité des agents correctionnels. Vous avez mentionné tout à l’heure que le projet de loi ne ferait qu’aggraver — voire anéantir, pour reprendre vos propos — ce que vous faites au quotidien. Je voudrais vous donner tout mon temps de parole pour que vous puissiez continuer de sensibiliser le comité sur cette question très importante. Par la suite, j’aimerais entendre votre recommandation ultime : est-ce qu’on rejette le projet de loi, ou est-ce qu’on retarde son entrée en vigueur jusqu’à ce que toutes les conditions soient établies, afin de ne pas créer un second problème en voulant régler celui-ci? Merci à l’avance, monsieur Lebeau.

M. Lebeau : Merci, madame la sénatrice. On le voit, et j’ai parlé dans mes remarques d’ouverture de crise de santé mentale : être agent correctionnel est difficile au quotidien. C’est un milieu fermé et souvent négatif. On travaille très fort, comme agent correctionnel, pour ne pas être blessé au quotidien. En travaillant au Centre régional de santé mentale, j’ai été moi-même témoin de gestes de violence et d’automutilation. J’ai vu des détenus tenter de s’enlever la vie à maintes reprises. Quand on retourne à la maison prendre soin de notre famille, cela a un impact.

Quand on ne prend pas en charge cette composante, quand on n’intervient pas, c’est là que des accidents de travail surviennent. C’est là que les gens subissent des chocs post-traumatiques, qu’ils souffrent de problèmes de santé mentale, qu’ils boivent plus ou qu’ils ont des problèmes de dépendance à certaines drogues. Ce n’est pas facile à gérer. Cela prend du soutien.

Quand il y a plus d’accidents de travail dans un milieu — vous en avez été témoin au courant de votre carrière —, cela a un impact néfaste sur le travail. Il y a plus d’heures supplémentaires forcées, donc les gens doivent rester sur les lieux de travail pour compenser le manque de personnel. Il y a des établissements où il manque souvent jusqu’à 30 % de la force de déploiement d’agents correctionnels, car ils sont tout simplement absents. Ils sont malades ou blessés psychologiquement. Cela a un impact.

Votre rôle, comme sénateurs et sénatrices, est de faire en sorte que cette facette soit également prise en charge dans vos travaux. Pour répondre à votre question, adopter ou ne pas adopter le projet de loi, je vais vous laisser travailler et examiner le projet de loi dans son entièreté. Une chose est sûre : tel qu’il est présenté, le projet de loi aurait assurément des répercussions négatives sur les services correctionnels dans les 49 établissements canadiens. Assurément.

La sénatrice Oudar : Merci. Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Wilkins?

[Traduction]

M. Wilkins : Au fil du temps, nous avons observé une diminution progressive du budget alloué au Service correctionnel du Canada. Le projet de loi traite de quelques questions clés qui sont essentiellement des faits. Le nombre de personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale augmente dans nos établissements, tant parmi les détenus que, comme l’a expliqué mon collègue, parmi les membres du personnel. La santé mentale est une préoccupation majeure dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Il ne me semble pas très logique que le financement soit rattaché à un professionnel de la santé mentale spécialisé qui travaille à l’extérieur d’un établissement, étant donné que nous sommes responsables des soins, de la garde et du contrôle de ces détenus pendant toute la durée de leur peine. Ils sont censés suivre des programmes au sein de nos établissements afin que, lorsqu’ils retourneront dans la société — car ils y retourneront —, ils soient réadaptés. Ces ressources devraient être consacrées à nos établissements.

Avons-nous besoin de plus de psychologues? Oui. Avons-nous besoin de plus de psychiatres? Oui. En avons-nous parfois besoin pour notre personnel? Je pense que oui. Nous devons veiller à encourager les bons comportements et à sanctionner sévèrement les mauvais comportements dans nos établissements.

Le sénateur Dhillon : Merci à tous d’être ici. Merci, messieurs, pour votre service et le travail que vous accomplissez. C’est un travail difficile. Je le comprends. Je ne pense pas — je parle en mon nom propre — que l’intention du comité soit de vous causer davantage de tort en faisant évoluer les choses dans le cadre du travail que nous devons accomplir pour protéger les droits des détenus. Je pense que c’est un sentiment qui fait l’unanimité. J’ai l’impression que vous êtes un peu pris entre deux feux ici.

Cela dit, quelle est actuellement la proportion d’agents correctionnels par rapport aux détenus dans l’ensemble du pays?

M. Lebeau : Nous ne disposons pas précisément de cette information. En général, dans un établissement qui compte plus de 400 détenus, il peut y avoir plus de 30 ou 40 agents pendant le quart de jour. Cela dépend.

M. Wilkins : Je peux peut-être clarifier votre question. Demandez-vous combien il y a de détenus par rapport au nombre d’agents correctionnels? Ou parlons-nous d’un seul quart?

Le sénateur Dhillon : Non, c’est ce que je cherche à savoir.

M. Wilkins : En tout? Eh bien, nous représentons environ 7 400 agents correctionnels au pays. Je ne connais pas le nombre total de détenus, mais je suis sûr que nous pouvons trouver l’information. J’ai entendu l’autre témoin dire 14 000. Parfait.

Le sénateur Dhillon : Je vous remercie. Je voudrais également réitérer ma demande concernant les données.

Sénatrice Oudar, merci d’avoir confirmé certains des éléments. Il nous serait utile d’obtenir les chiffres sur l’augmentation de la violence pour la période qui a précédé 2019 et celle qui a suivi, afin de mieux comprendre la situation. Selon vous, quels facteurs contribuent à la violence? Ces renseignements nous seraient utiles. Certaines de vos observations empiriques sur la présence accrue de drogues, de gangs et du crime organisé sont utiles, mais si vous pouviez les étayer d’une manière ou d’une autre par des données, cela nous aiderait également.

Je vais maintenant poser ma prochaine question à Mme Latimer. Lorsque M. Wilkins a parlé de la distinction qu’il faisait entre les Règles Nelson Mandela et ce que nous avons pour l’UIS, j’ai remarqué que vous hochiez la tête.

Mme Latimer : Oui, et c’est parce que, dans les unités d’intervention structurée, les personnes sont détenues suivant la définition de l’isolement cellulaire dans les Règles Mandela. Lorsque les professeurs Doob et Sprott ont mené leur étude, ils ont constaté qu’environ 10 % des personnes interrogées, soit 195 personnes, étaient soumises à un isolement cellulaire pendant une période prolongée de 15 jours, ce qui, selon les règles Mandela, en fait une forme de torture.

Je pense qu’on nous induit un peu en erreur si on croit vraiment que les personnes détenues dans les unités d’intervention structurées sortent de leur cellule quatre heures par jour. On leur offre quatre heures par jour, souvent dans des circonstances qui compromettent leur sécurité personnelle. Comme mes collègues l’ont mentionné, il y a des problèmes d’infrastructure. Par exemple, à Millhaven, le nombre maximal de détenus que l’unité d’intervention structurée peut accueillir et qui peuvent bénéficier de ces quatre heures par jour hors de leur cellule est d’environ 22 ou 23. Cependant, il y en a généralement près de 50. Il y a donc une non-conformité intrinsèque à l’obligation des quatre heures par jour. Cela ne peut pas être respecté dans ces unités d’intervention structurée.

Le sénateur Dhillon : C’était mes questions. Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : J’ai une série de questions à poser. Je vais toutes les poser et j’espère que vous aurez chacun le temps d’y répondre. J’ai aussi une observation pour commencer.

Monsieur Wilkins et monsieur Lebeau, je suis frappée par ce qui suit : lorsque j’ai commencé mon travail dans les prisons, les syndicats des gardiens avaient souvent le même point de vue que les organismes qui sont ici avec vous aujourd’hui, à savoir qu’un bon cadre de vie pour les détenus était un bon environnement de travail pour le personnel. Si cela a changé, j’aimerais l’entendre.

J’aimerais également avoir votre avis sur le fait que, selon l’enquêteur correctionnel, le ratio personnel-détenus est d’au moins un pour un, et parfois d’un pour trois, pour ce qui est du budget global. Nous avons également entendu dire que l’augmentation de la violence est liée à l’utilisation accrue de la force et de l’isolement et à la diminution de l’accès aux programmes. Cela a été bien documenté au fil du temps.

Selon les documents mêmes du Service correctionnel du Canada, le système de griefs est inefficace, ce qui veut dire, par conséquent, que les moyens dont disposent les détenus pour faire part de leurs préoccupations sont un problème.

J’aimerais connaître vos opinions respectives sur la manière dont la définition de l’isolement cellulaire avant le projet de loi C-83 diffère de celle du projet de loi S-205, car il s’agit en fait de la même définition que celle qui était utilisée avant le projet de loi C-83. Quelles sont les conditions actuellement pour placer quelqu’un en isolement cellulaire?

Mme Latimer : Je vais commencer par dire, si vous me le permettez, que les détenus ne peuvent pas contester leur placement dans une unité d’intervention structurée ni demander à un décideur externe indépendant d’examiner les motifs de leur placement. J’ai passé beaucoup de temps dans ces unités, et de nombreux détenus contestent les motifs de leur placement. Beaucoup sont détenus pendant de très longues périodes — je parle de quatre mois — parce qu’ils y sont placés pour le troisième motif, à savoir que cela nuirait à une enquête.

Il n’existe absolument aucune intervention structurée qui permettrait d’accélérer une enquête externe pour déterminer si un incident s’est produit. Je ne sais pas pourquoi on place les détenus dans des unités d’intervention structurée pour cette raison. C’est une question qui doit être examinée.

Le mécanisme interne de validation est extrêmement inadéquat. Je peux vous donner un exemple. Un membre du personnel doit autoriser la mesure et avoir des motifs raisonnables de croire que l’une des conditions est remplie. Le membre du personnel a déclaré que le détenu avait poussé le gardien, ce qui équivaut à une agression, un acte de violence. La vidéo a révélé qu’il n’y avait pas eu d’acte de violence, qu’il n’y avait pas eu de contact physique.

J’ai assisté à l’examen du placement. Le directeur adjoint présidait la séance et a déclaré qu’ils avaient examiné les enregistrements et qu’il n’y avait pas eu de contact physique, mais qu’il y avait eu un langage corporel agressif ou affirmé.

Réduire la liberté d’un grand homme noir en raison de son langage corporel est totalement injustifié et n’est pas une bonne idée. C’est pourquoi il faut un contrôle judiciaire, un contrôle indépendant des décisions de placement.

La sénatrice Pate : Quel est le processus d’examen actuel?

Mme Latimer : Il s’agit d’un processus interne. Il faut attendre jusqu’à 90 jours avant que des décideurs externes indépendants interviennent. Le critère qu’ils examinent est le suivant : le SCC a-t-il fait tout en son pouvoir pour faire sortir cette personne de l’unité d’intervention structurée? Personne ne vérifie si ces personnes y ont été placées pour des raisons légitimes et valides, ce qui constitue une violation de l’article 7 et enfreint les principes fondamentaux de justice. Il faut que cela change.

La sénatrice Pate : D’après ma lecture de la loi, les raisons du placement d’une personne dans une unité d’intervention structurée doivent être documentées dans les 24 heures, ce qui est plus court que la période requise pour les présenter à un juge.

Mme Latimer : Oui.

La sénatrice Pate : Pourrais-je avoir la réponse du syndicat? Je serais aussi heureuse de l’avoir par écrit.

[Français]

M. Lebeau : Si je peux reprendre l’exemple de Mme Latimer, pour reprendre vos mots, lorsqu’on prend un grand homme noir qui est placé en unité d’intervention structurée, c’est vraiment du temps dont on a besoin pour faire cette investigation et ces enquêtes.

Ce qu’on voit sur la caméra, c’est un geste qui est en train de se passer, mais qu’est-ce qui s’est passé auparavant? Est-ce que l’homme était impliqué dans son plan correctionnel? Est-ce que cela fonctionne bien? Est-ce que l’événement est lié aux gangs de rue?

Il y a plusieurs fonctions et plusieurs choses qu’il faut valider avant pour assurer la sécurité du public, du pénitencier et ultimement de l’ensemble des détenus.

[Traduction]

Le sénateur K. Wells : Ma question s’adresse à Mme Coyle et à Mme Latimer. D’après votre expérience, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la nouvelle politique sur les unités d’intervention structurée dont nous discutons actuellement, ainsi que les affirmations voulant qu’elle compromette la sécurité des gardiens et des détenus?

Mme Coyle : Je vous remercie. Ce qui se passe ici, c’est le fait que nous avons un désaccord fondamental sur l’objectif. Certains voient l’isolement cellulaire sous l’angle du contrôle de la population, comme ici aujourd’hui, soit un outil permettant de gérer un grand nombre de détenus et de comportements dans les établissements pénitentiaires. Nous, par contre, nous le voyons — et nous encourageons le Sénat à le voir ainsi — sous l’angle des droits de la personne, en considérant les détenus comme des titulaires de droits, ce qui veut dire qu’il faut imposer des limites strictes à ce que l’État peut faire qui pourrait nuire à leur dignité et à leur santé. Il s’agit là de deux approches fondamentalement différentes.

C’est pourquoi vous avez ces différents points de vue aujourd’hui. Je vous demanderais, lors de l’examen de ce projet de loi, de penser à ceux qui s’y trouvent. Si c’était un membre de votre famille ou un être cher, nous ne parlerions pas d’un désaccord sur une politique abstraite, mais de la personne qui se trouve devant vous, et c’est elle que nous avons en tête tous les jours. C’est notre point de départ.

Si on voit les choses du point de vue des droits de la personne, de ce sentiment d’humanité qui nous habite tous, nous allons nous poser des questions différentes. Par exemple, que fait-on au corps et à l’esprit d’une personne lorsqu’on la place en isolement cellulaire?

Nous avons de nombreuses preuves dans le droit international et le droit canadien qui montrent que si nous n’imposons pas de restrictions à cet égard, les détenus seront traités avec cruauté et, en fin de compte, torturés. J’en resterai là.

Mme Latimer : Mme Coyle a très bien formulé cela. Il y a beaucoup de violence dans les prisons de nos jours. Le fait que c’est le cas également dans les établissements provinciaux suggère qu’il n’y a pas de lien avec les unités d’intervention structurée, car il n’y en a pas dans les établissements provinciaux.

Franchement, il s’agit tout simplement d’un manque d’humanité. Comme me l’a dit un détenu, lorsqu’il est arrivé au début, on l’appelait « M. Untel ». Aujourd’hui, on ne les appelle plus que par leur nom de famille. Les détenus devaient aussi appeler les agents pénitentiaires « M. Untel ». On instaurait ainsi un certain respect, mais aujourd’hui, ce respect a complètement disparu, au point qu’il règne une hostilité active et que les détenus sont souvent provoqués pour être agressés par les agents correctionnels. Il se passe des choses vraiment difficiles derrière les barreaux, et il faut y remédier.

La vice-présidente : Merci. Une dernière chose avant de conclure : nous avons constaté un écart important dans le ratio détenus-agents correctionnels. Pourriez-vous nous fournir par écrit ce que vous estimez être le ratio réel? Cela nous serait utile.

La sénatrice Pate : Veuillez également nous mentionner si vous n’êtes pas d’accord avec les chiffres avancés par l’enquêteur correctionnel à ce sujet, en quoi ils diffèrent et quelle est votre explication pour ces différences.

M. Wilkins : En fin de compte, s’il y a 14 000 détenus, nous représentons 7 500 agents correctionnels. Je pense que le ratio d’un pour un pourrait s’appliquer à l’ensemble du personnel.

La vice-présidente : Nous parlons en fait du travail correctionnel, de la ligne de front.

M. Wilkins : Le ratio serait plutôt de deux pour un : deux détenus pour un agent correctionnel.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous remercions tous nos témoins d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui, de répondre à nos questions et de nous aider dans cette étude.

Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Nous sommes heureux d’accueillir le Dr Mathieu Dufour, psychiatre légiste, chef du département de psychiatrie de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, qui témoigne par vidéoconférence. Nous accueillons aussi en personne Farhat Rehman, cofondatrice de Mothers Offering Mutual Support, et par vidéoconférence, le Dr Gary A. Chaimowitz, membre du conseil d’administration et chef du service de psychiatrie légale, au St. Joseph’s Healthcare.

Nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions d’être avec nous. Nous allons commencer par les déclarations préliminaires avant de passer aux questions des sénateurs.

Nous allons entendre en premier le Dr Mathieu Dufour, qui sera suivi de Farhat Rehman et du Dr Chaimowitz.

Dr Mathieu Dufour, psychiatre légiste, chef du département de psychiatrie, Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel : Je vous remercie beaucoup. Je pourrai répondre à vos questions en anglais ou en français.

Je suis psychiatre légiste. Je travaille à Montréal, au Québec. Je suis également chef du département de psychiatrie de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. Comme nous enseignons aussi pour la plupart à l’université, je suis professeur agrégé à l’Université de Montréal.

Je suis ici pour représenter l’Institut Pinel. Comme vous le savez, l’Institut Pinel est le plus grand établissement ou hôpital exclusivement réservé à la psychiatrie légale au Canada. Nous sommes un établissement à haute sécurité. Il existe trois établissements à haute sécurité en psychiatrie légale au Canada, et nous sommes l’un d’entre eux.

Nous avons un mandat provincial au Québec, où nous donnons des conseils. Nous assurons une certaine coordination pour le compte du ministère de la Santé de la province afin de coordonner l’ensemble du système de psychiatrie légale au Québec, qui est assez vaste et compte 45 hôpitaux désignés.

L’un de nos rôles uniques au sein de la province de Québec, et du Canada, est notre relation avec nos partenaires du secteur correctionnel. Nous avons des liens solides, bien entendu, dans la province de Québec avec les prisons provinciales, et les prisons où nous fournissons des soins psychiatriques dans ces prisons à Montréal.

Comme vous le savez peut-être, nous avons également des partenariats étroits — d’où mon invitation ici aujourd’hui — avec le Service correctionnel du Canada, ou SCC, avec lequel nous avons un contrat depuis de nombreuses années pour 20 lits. Nous disposons de 15 lits pour des patientes, qui peuvent venir du SCC dans l’une de nos unités ici à l’Institut Pinel. Nous avons également un contrat pour cinq lits pour des détenus masculins qui ont besoin de soins psychiatriques.

Nous avons eu l’occasion d’examiner en interne certaines des modifications proposées à la loi. À notre avis, il pourrait être plus difficile pour certaines personnes accusées — donc certains patients pour nous — d’obtenir une libération sous caution.

Il pourrait donc en résulter une augmentation de la population carcérale, principalement dans les prisons provinciales. En psychiatrie légale, lorsque nous travaillons dans les prisons, nous constatons que les personnes souffrant de maladies mentales graves sont surreprésentées.

Dans la population générale, environ 5 % des personnes souffrent de schizophrénie, de troubles bipolaires ou de dépression grave. En prison, dans tout établissement pénitentiaire, cette proportion de personnes atteintes de troubles mentaux graves atteint 15 %, soit trois fois plus.

En raison de cette surreprésentation, on s’attendrait donc à ce qu’il y ait plus de soins psychiatriques dispensés par des équipes interdisciplinaires dans les établissements pénitentiaires — et je ne peux parler que du Québec en raison de mon rôle —, mais à l’heure actuelle, les services psychiatriques au sein du système carcéral ne sont même pas outillés pour traiter la population actuelle en raison de cette surreprésentation. S’il y avait encore plus de personnes en prison et en détention, cela pourrait en fait augmenter la charge et la demande de services psychiatriques au sein du système carcéral. En ce moment, les services sont déjà insuffisants.

Par exemple, dans tous les centres de détention gérés par les autorités provinciales au Québec, seule la moitié d’entre eux ont un psychiatre. Chez les autres professionnels de la santé mentale, nous sommes chanceux si nous avons des travailleurs sociaux et des infirmières spécialisés en santé mentale. Nous n’avons pas de psychologues ni d’autres équipes interdisciplinaires dans les prisons provinciales.

La solution à ce problème consiste évidemment à offrir davantage de services au sein du système carcéral et à envisager la conclusion d’autres ententes comme celle qui existe entre le SCC et Pinel. Nous devons offrir davantage de services aux détenus, mais au sein de certains hôpitaux provinciaux. C’est ce que nous allons nous efforcer de faire dans la province de Québec et à Pinel.

Voilà qui conclut ma déclaration liminaire. Merci.

La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup.

Nous passons maintenant à Farhat Rehman, qui est ici avec nous en personne. Vous avez cinq minutes. Merci.

Farhat Rehman, cofondatrice, Mothers Offering Mutual Support : Merci. Je suis reconnaissante de pouvoir m’exprimer au nom des familles de nombreux proches incarcérés qui souffrent de troubles mentaux.

Je suis cofondatrice de Mothers Offering Mutual Support, ou MOMS, un groupe créé en 2010 qui rassemble plus de 160 femmes dont des membres de la famille sont incarcérés dans des prisons fédérales et provinciales au Canada.

Au cours de mes 15 années de réunions, de collaborations avec d’autres partenaires communautaires, de lectures et de contributions à la recherche dans ce domaine, j’ai appris que l’expérience de mon fils n’est pas unique, mais qu’elle reflète le vécu de beaucoup d’autres.

Mon fils a souffert d’anxiété, de dépression et de troubles obsessionnels compulsifs pendant son adolescence et au début de son âge adulte. Il a suivi des traitements à l’hôpital Royal Ottawa pendant des années jusqu’en février 2001, date à laquelle il a été accusé de meurtre au deuxième degré pour la mort de son ami et mentor, et placé en détention provisoire au centre de détention d’Ottawa-Carleton.

Pendant son séjour là-bas, et en particulier après le 11 septembre, il a beaucoup souffert du racisme tant des gardiens que des prisonniers, ce qui a entraîné de nouveaux symptômes de peur et de paranoïa débilitantes. Il m’appelait pour me demander de changer les serrures de ma maison ou de déménager. Il m’imaginait morte et était très soulagé lorsque je répondais à ses appels téléphoniques.

Lors d’une audience au tribunal en 2003, il a été jugé inapte à subir son procès et le juge a ordonné qu’il reste au centre de santé mentale médico-légale Royal Ottawa. Après presque cinq ans de détention provisoire — je dis bien cinq ans —, il a plaidé coupable, a exprimé ses remords à la famille et a été condamné à la prison à vie avec possibilité de libération conditionnelle après 15 ans.

Pendant cette période de détention provisoire, j’ai plaidé sa cause auprès des avocats et des psychiatres, en attirant leur attention sur ses maladies mentales, dans l’espoir qu’il soit déclaré non criminellement responsable, mais en vain. Mon fils a été envoyé au Centre régional de traitement du pénitencier de Kingston, et non dans la population carcérale générale.

Il a connu de nombreux épisodes au fil des ans, notamment un cas grave de catatonie survenu en 2007, au cours duquel il n’a ni dormi ni mangé pendant plusieurs jours. Il a été placé à répétition en isolement et en isolement cellulaire pendant des semaines, voire des mois, sous surveillance 24 heures sur 24, avec les lumières allumées la nuit. Sa santé s’est considérablement détériorée et il a été en proie à des épisodes récurrents de psychose.

Le Bureau de l’enquêteur correctionnel est intervenu à plusieurs reprises, une fois en 2014 et une autre fois en 2017, et a recommandé à deux reprises que le service place mon fils dans un hôpital psychiatrique médico-légal extérieur comme Pinel, mais son équipe de gestion de cas n’a pas exploré ces options.

Après la fermeture du pénitencier de Kingston, mon fils a été transféré au Centre régional de traitement de Millhaven, un établissement à sécurité maximale. Ce n’est qu’en octobre 2015 qu’il est arrivé à l’établissement à sécurité moyenne de Bath.

Là-bas, il a connu de longues périodes de stabilité sur le plan de la santé et du mieux-être personnel. Cependant, ses demandes de semi-liberté ou d’absences temporaires pour rendre visite à sa famille ou se rendre dans une maison de transition ont toujours été rejetées. Il n’a pas pu assister aux funérailles de ses deux oncles ni de ses grands-parents.

En juillet 2017, Rehan a été retrouvé inconscient sur le sol du centre de traitement de Bath. Le quatrième jour, un interne de l’hôpital m’a informé que mon fils était dans le coma, intubé et sous assistance respiratoire dans l’unité de soins intensifs. Ma fille et moi nous sommes précipitées à ses côtés après avoir passé une journée à demander la permission de le voir. Il n’a repris conscience qu’au bout de neuf jours et a été renvoyé le jour même au centre de traitement de Millhaven, un établissement à sécurité maximale. Il ne s’était pas encore remis d’une pneumonie diagnostiquée, d’une enflure au bras due à une erreur dans la pose d’une perfusion intraveineuse et d’un caillot dans une veine. J’ai demandé pourquoi il avait été renvoyé à Millhaven et non à Bath. On m’a répondu que Millhaven était le seul établissement offrant des soins infirmiers 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Au cours des dernières années, mon fils a été victime du recours à la force à plusieurs reprises lorsque les agents correctionnels le considéraient comme menaçant ou agressif et procédaient à un transfèrement non sollicité de Bath à Millhaven. Il a subi ces transfèrements à au moins une demi-douzaine de reprises au cours des dernières années. Chaque fois, cela lui cause une souffrance et un traumatisme irréparables, car il est privé de ses effets personnels et de ses habitudes pendant des semaines, voire des mois. Parfois, des équipes d’intervention d’urgence ont également été appelées pour lui administrer de force des médicaments antipsychotiques.

En février prochain, cela fera 25 ans que mon fils est emprisonné. Donc, 25 ans à passer de crise en crise, dans la crainte d’une rechute, ou pire, et d’un transfèrement.

Mes quatre années d’expérience au sein du Comité consultatif sur la mise en œuvre des UIS ont confirmé le fait que, partout au Canada, les directeurs d’établissements qui ne sont pas entièrement équipés pour fournir les traitements nécessaires utilisent les transfèrements non sollicités pour gérer les détenus les plus difficiles. Cela est corroboré par les conclusions du rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel présenté au début du mois, que certains d’entre vous ont peut-être lu. Le rapport montre bien que les détenus ayant des besoins complexes en matière de santé mentale doivent être transférés vers des hôpitaux externes. J’espère sincèrement que les recommandations proposées par la sénatrice Kim Pate avec la loi de Tona seront mises en œuvre par l’adoption de ce projet de loi. Merci beaucoup.

La vice-présidente : Merci beaucoup pour votre histoire poignante. J’ai jugé important de vous laisser terminer votre déclaration. J’apprécie votre prise de position. Merci.

Dr Gary A. Chaimowitz, membre du conseil d’administration et chef du service, psychiatrie légale, St. Joseph’s Healthcare, Association des psychiatres du Canada : Merci d’avoir invité l’Association des psychiatres du Canada, ou APC, à prendre la parole aujourd’hui.

Fondée en 1951, l’APC est le porte-parole national des psychiatres et des psychiatres en formation au Canada, ainsi que la principale autorité en matière de psychiatrie au pays. L’APC fournit des conseils sur les programmes, les services et les politiques les plus efficaces pour offrir les meilleurs soins de santé mentale possibles aux Canadiens et cherche à collaborer avec les gouvernements et les parties prenantes pour trouver des solutions.

En ce qui concerne mon expérience personnelle dans le domaine de la psychiatrie légale, je suis chef de service et responsable académique du programme de psychiatrie légale à l’Hôpital St. Joseph’s Healthcare de Hamilton, ainsi que professeur au département de psychiatrie et de neurosciences comportementales de l’université McMaster. J’ai de nombreuses années d’expérience auprès de personnes ayant été incarcérées dans des établissements correctionnels fédéraux et provinciaux.

D’après mon expérience, depuis trop longtemps, les personnes atteintes de maladies mentales graves croupissent dans des établissements correctionnels, sans traitement, ou dans des conditions qui ne sont pas propices à un traitement fondé sur des connaissances scientifiques et tenant compte des traumatismes subis.

Les Canadiens, y compris les personnes incarcérées, ont droit à des soins de santé. Les personnes atteintes de maladie mentale ont souvent de la difficulté à obtenir des soins psychiatriques, en partie à cause de leur maladie, de la stigmatisation et de la discrimination, ainsi que du manque de ressources. Ces difficultés sont souvent accentuées pour les groupes marginalisés. Il est impératif que les services psychiatriques soient facilement accessibles aux personnes prises en charge par le système correctionnel, qu’il s’agisse de détenus, de personnes en liberté conditionnelle ou de personnes en probation.

Il est essentiel de déterminer qui, parmi les détenus, a besoin de services de santé mentale et de leur fournir des soins en temps opportun, et ce, à toutes les étapes de leur parcours, depuis l’évaluation initiale au moment de la condamnation, du transfèrement ou de l’incarcération dans un établissement pénitentiaire, pendant toute la durée du séjour, jusqu’à la remise en liberté.

Si SCC n’est pas en mesure de fournir des services pour les détenus gravement malades, ils devraient être transférés vers des établissements de santé mentale capables de les traiter, y compris des établissements avec lesquels le SCC a conclu des accords. Le coût du traitement des détenus pénitentiaires devrait être pris en charge par le gouvernement fédéral afin d’éviter que ce coût ne devienne un obstacle à la prestation de soins en temps opportun.

Le placement d’un détenu dans une UIS doit être rigoureusement examiné et surveillé, et prendre fin dès que possible. L’isolement est préjudiciable à la santé mentale de toute personne, mais surtout aux patients psychiatriques qui présentent un risque d’automutilation. Si quelqu’un souffrait d’une appendicite aiguë, vous ne le mettriez pas dans une pièce pendant trois jours pour voir si son état s’améliore. Il s’agit d’urgences médicales, et il est tout à fait sensé de transférer dès que possible les personnes qui ne peuvent pas être traitées dans les établissements pénitentiaires vers des services extérieurs.

Il est logique d’élargir la liste des organismes avec lesquels SCC peut conclure des contrats afin d’y inclure des groupes et des services communautaires, à condition que ces organismes et services disposent des ressources et de l’expérience nécessaires pour accueillir les patients. Il est particulièrement important d’obliger SCC à travailler en étroite collaboration avec les organismes communautaires et les détenus afin d’organiser le suivi des soins de santé mentale après la libération, afin de garantir que les personnes en probation et en liberté conditionnelle soient bien préparées à une réinsertion sociale réussie. Cela permet d’éviter la récidive due au fait que les personnes libérées ne bénéficient pas de services et de soutiens appropriés.

En plus d’améliorer l’accès aux services civils de santé mentale lorsque le SCC ne peut fournir les soins nécessaires, il faut également redoubler d’efforts pour permettre aux détenus, aux libérés conditionnels et aux personnes en probation d’avoir régulièrement accès à des psychiatres. Cela devrait permettre aux entretiens psychiatriques de se dérouler dans une certaine intimité et d’offrir des séances d’évaluation et de traitement d’une durée similaire à celle des séances offertes dans la communauté.

Compte tenu de la prévalence des dépendances, les services de traitement de la toxicomanie devraient être renforcés et intégrés aux services de santé mentale dans les établissements correctionnels, en particulier pour les jeunes et les adolescents. Il faudrait également envisager la création d’une équipe mobile spéciale au sein de SCC pour s’occuper des détenus aux problèmes complexes et réfractaires au traitement qui ont des comportements autodestructeurs répétés.

Merci. Ceci conclut ma déclaration liminaire.

La vice-présidente : Merci beaucoup à vous tous. Vous avez soulevé de nombreux points importants dont nous devons nous souvenir : le lien qui existe souvent entre la maladie mentale et la toxicomanie, ainsi que l’impact considérable que ces situations ont non seulement sur les détenus, mais aussi sur les membres de leur famille pendant 25 ans. C’est une période extrêmement longue.

Nous apprécions vos précieux témoignages dans le cadre des travaux de notre comité. Nous vous sommes reconnaissants d’être venus aujourd’hui.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est une question qui s’adresse au Dr Mathieu Dufour.

J’aimerais revenir au projet de loi S-205, qui exige que l’isolement ne dure que 48 heures et qui exige le transfert dans un hôpital de toute personne souffrant de troubles mentaux invalidants. J’imagine que vous connaissez la définition. Je vous la rappelle : le détenu refuse d’interagir avec les autres, il commet des actes d’automutilation, il présente des symptômes de surdose de drogue, il présente des signes de détresse émotionnelle ou un comportement laissant croire qu’il a un urgent besoin de soins de santé mentale. Cela étant dit, vous n’avez pas parlé de la capacité de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel d’accueillir ces détenus. J’aimerais que vous m’en disiez un peu plus. Vous n’avez que 5 lits pour les hommes — ce qui me semble peu, étant donné la population carcérale masculine assez importante — et 15 pour les femmes. Que pensez-vous de cette définition? Correspond‑elle aux exigences d’hospitalisation d’un patient? Comment votre institut est-il capable d’accueillir ces personnes?

Dr Dufour : Merci pour la question.

Selon mon opinion de psychiatre légiste, c’est une définition un peu trop large. Je ne parle même pas de la psychiatrie légale, mais en psychiatrie générale, quand on est à l’urgence et qu’on doit admettre un patient avec les critères actuels contenus dans la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui au Québec, pour une hospitalisation involontaire, il faut souvent qu’il y ait un danger grave et immédiat. Ce sont souvent des patients qui sont dans des crises très intenses, qui ont des psychoses; ils entendent des voix, ils ont des délires. Les gens qui adoptent des comportements d’automutilation ou qui souffrent d’une détresse moins sévère que quelqu’un qui vit un grave épisode de psychose, normalement, on ne les admet pas à l’hôpital; on essaie de les traiter en clinique externe avec d’autres sortes de suivis. La définition est trop large pour ce qui existe réellement sur le terrain en psychiatrie générale.

Quand ces patients ont seulement une détresse, commettent des actes d’automutilation ou ont des idées suicidaires chroniques, ils ne sont pas nécessairement admis à l’hôpital, mais on leur offre des soins psychiatriques en consultation externe. Pour la deuxième question, avons-nous la capacité à Pinel d’admettre plus de cinq patients hommes? La réponse est non, pas actuellement, pas avec le contrat actuel et toutes les pressions que l’on a. On est un centre de psychiatrie légale, on reçoit des demandes de tout le Québec et on n’a pas les ressources nécessaires pour admettre plus que 5 patients hommes et 15 patientes femmes.

Si avec le projet de loi il y a beaucoup plus de transferts dans des hôpitaux provinciaux comme Pinel, il faut avoir plus de lits à des endroits comme Pinel. Je fais aussi l’argument qu’à Pinel, on est un hôpital à sécurité maximale. On devrait donc recevoir les patients qui ont de plus grands besoins psychiatriques, mais aussi, du point de vue de la sécurité, qui ont besoin d’un cadre sécuritaire maximal, ce qui n’est pas le cas pour tous les patients.

Je travaille aussi au pénitencier, au Centre régional de santé mentale à Sainte-Anne-des-Plaines, au Québec. Il y a des patients qui auraient besoin d’aller à l’hôpital, mais qui n’ont pas nécessairement besoin du cadre sécuritaire de Pinel. Il pourrait y avoir d’autres contrats avec des hôpitaux plus régionaux et d’autres programmes de psychiatrie légale de sécurité moyenne pour augmenter la capacité, justement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez été très clair. Cela me convient.

La sénatrice Saint-Germain : Mes questions s’adressent également au Dr Dufour. Je vais continuer dans la même foulée en vous ramenant aux années 1960 et 1970 lorsqu’il y a eu une désinstitutionalisation en santé mentale au Québec. Depuis, on se plaint toujours du manque de ressources dans la communauté. Par rapport à ce projet de loi, dans la foulée de la définition de la santé mentale, mais aussi de la nécessité du recours additionnel aux tribunaux dans les 48 ou 72 heures après une évaluation, des droits d’appel et des recours supplémentaires donnés aux personnes détenues...

Voici ma question. D’une part, pouvez-vous nous indiquer si vous voyez des impacts par rapport au risque de convertir les hôpitaux psychiatriques en hôpitaux-prisons psychiatriques? D’autre part, prévoyez-vous un impact sur l’accroissement du besoin d’utilisation des services de psychiatres comme témoins experts auprès des tribunaux?

Dr Dufour : Pour la première question, vous avez demandé s’il y aurait un impact si par exemple on envoyait plus de détenus dans des hôpitaux à vocation générale, tant à l’échelle provinciale que fédérale. Je peux mieux me prononcer sur le Québec; je joue d’autres rôles, mais je représente l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, qui fait partie de système québécois. Je dirais qu’il y aura un impact majeur, car le système québécois a déjà du mal à satisfaire les besoins de base en psychiatrie. C’est tout juste si l’on réussit à avoir assez de lits actuellement pour hospitaliser ces patients quand il y a des besoins.

Si l’on ajoute plus de gens qui doivent être évalués et éventuellement hospitalisés, avec les capacités actuelles du réseau provincial d’hôpitaux, je ne crois pas qu’on ait les ressources nécessaires pour faire cela. Est-ce que le fait d’avoir plus de ressources serait une solution? Oui, mais cela appartient à chacun des gouvernements provinciaux; il pourrait aussi y avoir une solution mitoyenne. On a cinq centres de traitement à l’échelle fédérale qui fonctionnent assez bien, selon notre expérience en psychiatrie légale; ce n’est pas parfait, mais ça fonctionne quand même assez bien. Par contre, on n’a pas l’équivalent au provincial. Certains hôpitaux ont des contrats avec les prisons provinciales pour avoir accès à des lits, mais ce n’est souvent pas suffisant pour répondre aux besoins. Il y aura un impact, et il faudra manifestement plus de ressources si le projet de loi est adopté pour que l’on soit en mesure d’offrir des soins à ces détenus dans les hôpitaux psychiatriques dans le système actuel.

Pour répondre à votre deuxième question, qui portait sur l’utilisation des psychiatres qui travaillent dans le milieu correctionnel comme témoins experts, la plupart d’entre nous sont des psychiatres légistes. C’est une année supplémentaire en psychiatrie légale, en plus de nos cinq ans de résidence et de nos quatre ou cinq ans de médecine. Il y a 160 psychiatres légistes au Canada et environ une quarantaine au Québec.

Nous sommes habitués à témoigner devant la cour comme témoins experts; c’est dans notre zone de confort. Par contre, ce n’est pas le cas pour les psychiatres généralistes, pour qui, dans un monde de plus en plus légaliste, ce pourrait être un frein pour ce qui est de l’intérêt à travailler en milieu correctionnel, si en plus ils devaient être des témoins experts. Au Québec, on a une grande difficulté à recruter des psychiatres qui travaillent en milieu correctionnel. Ce sont des conditions difficiles, car les mouvements des patients sont souvent arrêtés pour des raisons sécuritaires. Cela pourrait donc compliquer le recrutement de psychiatres en milieu correctionnel.

La sénatrice Saint-Germain : On a entendu des témoignages sur la limite de 48 heures de détention en unité d’intervention structurée. On nous dit qu’il est parfois évident pour certains détenus qu’il est préférable qu’ils soient isolés pour leur propre sécurité, mais que certains détenus eux-mêmes sont plus à l’aise d’être en isolement dans certaines situations quand leur santé mentale est menacée. Avez-vous un commentaire à faire à cet effet?

Dr Dufour : C’est strictement un commentaire en raison de mon expérience clinique. J’ai des patients en psychose aiguë, la psychose d’hallucination ou de délire, qui sont tellement paranoïaques qu’ils se sentent plus en sécurité en isolement. Ce pourrait être bien pour ces personnes en épisode aigu, mais dès qu’elles commencent à aller mieux, l’isolement pourrait avoir un impact et empirer la psychose à long terme. Il faut rapidement avoir accès à des groupes de thérapie et à des activités psychosociales pour éviter que la psychose n’empire.

La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup.

[Traduction]

La vice-présidente : Tout d’abord, j’aimerais poser une question à Mme Rehman.

Hier, nous avons entendu M. Spratt, un criminaliste chevronné. Il a évoqué plusieurs aspects qui pourraient être utiles. Il est favorable au projet de loi, mais estime que certains éléments pourraient aider les détenus et le système. En voici quelques-uns : permettre une divulgation proactive, comme celle faite dans le cadre d’une procédure pénale; permettre la désignation d’un conseiller, semblable à la désignation d’un avocat, pour aider les détenus à gérer leur situation; et permettre également le recours à la vidéoconférence afin que les détenus n’aient pas à faire constamment des allers-retours pour se présenter en personne aux procédures judiciaires.

Que pensez-vous de ce genre de mesures? Seraient-elles utiles?

Mme Rehman : Tout ce qui permet de voir les choses du point de vue de l’histoire vécue par un détenu, qui est ensuite divulguée à ce moment-là, ne peut qu’améliorer la situation. Malheureusement, le tribunal de santé mentale n’existait pas lorsque mon fils a été arrêté. Je pense qu’il aurait été utile. De plus, la vidéoconférence n’existait pas en 2001. Le transport entre le centre de détention et le palais de justice pendant l’hiver à Ottawa est très pénible. Il n’y a pas de mesures de sécurité particulières, et les détenus doivent attendre leur tour dans une cellule au sous-sol. Tout cela prend beaucoup de temps, mais la proposition faite hier par Michael Spratt permettrait d’alléger ces conditions.

La vice-présidente : Je comprends.

La sénatrice Simons : Merci à tous nos témoins, mais surtout, si je peux me permettre, à Mme Rehman d’avoir partagé son expérience avec nous. Il faut beaucoup de courage pour faire cela.

Mme Rehman : Merci, sénatrice.

La sénatrice Simons : J’ai une question qui s’adresse à vous trois.

Au début de cette étude, l’une de nos témoins était Marie Doyle, commissaire adjointe aux services de santé de Service correctionnel Canada. La sénatrice Batters lui a posé une question très pertinente, à savoir combien de personnes feraient partie du groupe de personnes souffrant de troubles mentaux invalidants, qui comprennent des symptômes tels que le refus de toute interaction sociale, des actes d’automutilation, des symptômes de surdose de drogue et des signes de détresse émotionnelle ou de comportement indiquant un besoin urgent de soins de santé mentale.

J’ai été très surprise lorsque Mme Doyle nous a dit qu’il y en avait 160, c’est-à-dire qu’il n’y avait que 160 personnes dans le système correctionnel fédéral qui souffraient de troubles mentaux invalidants. Soit il s’agit d’un problème très facile à résoudre, et nous devrions le résoudre, car trouver des lits pour 160 personnes ne devrait pas être si difficile, soit ce nombre est sous-estimé, c’est du moins l’impression que j’ai.

J’aimerais que chacun d’entre vous dise, à partir de son expérience professionnelle et personnelle, ce qu’il pense de l’estimation de Mme Doyle selon laquelle seulement 160 personnes dans les établissements correctionnels fédéraux — sur un total de 14 000, d’après ce que l’on vient de nous dire — souffrent de troubles mentaux invalidants. Docteur Dufour, pouvons-nous commencer par vous?

Dr Dufour : Merci.

C’est une bonne question. Je n’ai pas les chiffres et je n’ai pas fait de recherches à ce sujet. Cependant, 160 me semble un peu faible, du moins d’après ma propre expérience. Je travaille au CTR un jour par semaine, et il y a 120 lits. Il y a généralement plus de personnes qui devraient être hospitalisées. Elles ne sont évidemment pas toutes dans un état grave; beaucoup d’entre elles souffrent de schizophrénie, mais elles ne sont pas en phase aiguë, elles ne sont donc plus psychotiques, ou leur état est maîtrisé, et elles peuvent fonctionner raisonnablement bien parce qu’elles prennent leurs médicaments, bénéficient d’un environnement structuré, d’un traitement, etc.

Donc, 160 semble généralement faible. Cela dit, je ne suis pas sûr, encore une fois, que toutes les personnes qui souffrent de troubles émotionnels ont besoin d’être hospitalisées. Elles pourraient avoir besoin d’une prise en charge plus multidisciplinaire au sein du système pénitentiaire. C’est tout à fait possible. L’hôpital n’est pas non plus une panacée. Nous essayons généralement de nous assurer de gérer la crise, puis la majorité du suivi est effectué en externe avec une équipe multidisciplinaire.

Voilà mes premières réflexions.

Dr Chaimowitz : Merci. C’est une excellente question.

Le nombre de personnes atteintes de maladies mentales graves dans les établissements correctionnels est assez élevé, bien supérieur à 160. Cependant, comme l’a dit le Dr Dufour, toutes les personnes atteintes d’une maladie mentale grave n’ont pas besoin d’être hospitalisées. Je soupçonne que le nombre est supérieur à 160, si l’on veut utiliser ce nombre comme référence, et nous avons besoin de ces données. Je peux vous dire que 160, c’est 160 de trop. Ce nombre correspond à un grand hôpital psychiatrique. Comme l’a dit le Dr Dufour, le système médico‑légal fonctionne à plus de 100 % de sa capacité, il n’y a donc pas de lits disponibles. Il nous manque au moins 160 lits, ce qui signifie qu’il nous manque un hôpital psychiatrique. Je pense que le nombre pourrait être plus élevé; j’imagine qu’il est plus élevé. Quoi qu’il en soit, 160, c’est 160 de trop, et nous n’aurions nulle part où placer ces personnes en 2025.

La sénatrice Simons : Je ne m’attends pas à ce que vous ayez les données statistiques, mais d’après vos observations…

Mme Rehman : Je peux vous dire que pour 99 % de nos membres, soit 160 femmes à l’heure actuelle, un point commun ressort de leurs expériences : elles ont commencé à souffrir, dès leur adolescence, soit de dépendances suivies de psychoses, soit d’autres formes de troubles mentaux. Ainsi, 99 % d’entre elles présentent de tels symptômes ou des problèmes de santé mentale, pour lesquels elles n’ont pas reçu de traitement adéquat, et elles sont ensuite tombées dans le système pénal en raison d’un acte quelconque.

Nous nous basons également sur les statistiques présentées par le Bureau de l’enquêteur correctionnel. Nous savons que, dans certains contextes, 70 % de la population carcérale souffre de troubles mentaux. Donc, oui, les chiffres peuvent être beaucoup plus élevés, mais si Marie Doyle parlait des personnes atteintes de troubles mentaux très graves — je ne sais pas d’où vient ce chiffre, mais il s’agit d’une situation généralisée en ce qui concerne les troubles mentaux.

La sénatrice Simons : J’inscris mon nom pour une deuxième série de questions, s’il y en a une.

La vice-présidente : Je ne pense pas qu’il y en aura, mais merci.

Pour clarifier les choses : oui, c’est bien ce que je lui ai demandé. Elle m’a répondu 160, mais je pense qu’elle s’est davantage concentrée sur la catégorie de « trouble mental invalidant », c’est pourquoi elle a parlé de 160 personnes. Je lui ai ensuite lu la définition, qui est assez vague, tirée de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui inclut l’automutilation chronique, le refus d’interagir socialement, la détresse émotionnelle et les besoins urgents en matière de santé mentale. Pour moi, c’est une définition très vaste et très générale. Comme Mme Rehman l’indiquait, oui, on parle probablement de 99 % des cas. Il est presque trompeur d’utiliser le terme « trouble mental invalidant », car je dirais que de nombreuses personnes considérées comme atteintes d’une maladie mentale, mais qui sont toujours fonctionnelles et actives dans la société, entreraient probablement dans cette catégorie.

Je lui ai donc demandé de nous communiquer le nombre réel, conformément à cette définition, et je pense que nous attendons toujours cette information. J’espère que nous la recevrons bientôt.

La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins. Mes questions s’adressent à vous tous. Je vais commencer par faire des déclarations; j’aimerais savoir ce que chacun d’entre vous en pense.

Docteur Dufour, vous avez parlé des contrats avec Pinel. Comme vous le savez, je m’y suis rendue quelques fois. Docteur Chaimowitz, vous avez témoigné dans l’enquête sur Ashley Smith et l’affaire concernant l’isolement en Ontario. La création des unités mises en place à Pinel est le résultat d’actions qui ont été intentées pour contester le traitement, ou l’absence de traitement, des problèmes de santé mentale, en particulier pour les femmes. Au départ, le SCC a signé un contrat pour l’unité pour femmes. D’après ce que je comprends, l’unité pour hommes comprend cinq places, mais elles sont fournies sur la base d’indemnités quotidiennes.

Quand le SCC est allé frapper à la porte de Pinel, je crois qu’une entente de 3 millions de dollars a été proposée pour l’ajout d’une unité. Toutefois, le SCC a refusé cette proposition parce qu’il voulait une approche fondée sur des indemnités quotidiennes. Des négociations semblables ont aussi été menées avec l’hôpital Royal d’Ottawa pour la création d’une unité au centre de la vallée du Saint-Laurent et avec un hôpital de la Nouvelle-Écosse pour la création d’une unité spéciale.

D’après ce que je comprends, et comme vous le savez peut‑être, l’enquêteur correctionnel vient de recommander qu’au lieu d’investir 1,3 million de dollars pour construire une nouvelle unité à Dorchester, on utilise ces ressources pour créer des unités de ce genre dans les provinces.

J’aimerais beaucoup avoir votre avis sur les mesures prises dans le passé et sur la recommandation de l’enquêteur correctionnel.

Madame Rehman, vous en avez un peu parlé, mais pouvez‑vous nous en dire plus sur les différences dans l’expérience que votre fils a vécue à l’hôpital Royal d’Ottawa et à Millhaven? Selon mes discussions avec des psychiatres d’un océan à l’autre et d’ailleurs dans le monde, l’une des entraves au recrutement, c’est qu’il arrive souvent que les établissements correctionnels ne suivent pas les directives sur le traitement données par les psychiatres, ce qui nuit à leur capacité de remplir leurs obligations professionnelles. J’aimerais vous entendre là‑dessus.

J’invite le Dr Chaimowitz à répondre en premier, suivi du Dr Dufour, puis de Mme Rehman.

Dr Chaimowitz : J’ai plusieurs observations.

Les services psychiatriques offerts au Canada laissent à désirer. Nous savons tous qu’il est très difficile d’obtenir des services pour ses proches, même pour les gens qui sont liés au système. Pour les patients en milieu correctionnel, il est deux, trois ou quatre fois plus difficile d’accéder à des services psychiatriques. Contrairement aux hôpitaux et établissements psychiatriques, les établissements correctionnels ne sont pas conçus pour offrir des services de santé mentale. Je sais que les services correctionnels déploient des efforts en ce sens, mais ce ne sont pas des hôpitaux. À mon avis, il n’y a pas suffisamment de ressources à l’extérieur du SCC. Des services doivent être mis en place, et ils auront un coût. Il ne suffit pas de déplacer des ressources; il faut des fonds supplémentaires. La population canadienne a augmenté, mais pas l’offre de services. Le Canada accuse du retard par rapport aux autres pays sur le plan des services psychiatriques, et surtout, au chapitre des lieux où nous hébergeons les gens — des établissements correctionnels où nous plaçons les Canadiens.

Je suis sûr qu’aucun d’entre vous ne voudrait passer une seule nuit, ou plus d’une nuit, dans un établissement correctionnel quelconque. Le Canada devrait avoir honte de ne pas disposer de ressources adéquates.

Nous avons entendu aujourd’hui qu’il devrait y avoir du matériel de vidéoconférence dans les établissements et les hôpitaux afin que les détenus puissent parler à leurs proches et comparaître devant le tribunal. Il faut plus de ressources. Je pense que l’enquêteur correctionnel a réfléchi longuement et sérieusement à ces questions, mais il est important d’assurer l’accès aux services et aux hôpitaux, parce que le système actuel fonctionne à plus de 100 % de sa capacité. Il faut investir de nouvelles sommes dans des établissements conçus spécifiquement pour les détenus. Autrement dit, il ne faut pas chercher à créer des milieux carcéraux à l’intérieur d’hôpitaux; il faut plutôt construire des hôpitaux modernes, dignes et respectueux. Il faut également veiller à ce que des soins adéquats soient prodigués par des personnes compétentes. Il faudra de nouveaux fonds, de nouvelles ressources et, surtout, des idées novatrices pour fournir les services nécessaires. Nous avons du chemin à faire, mais j’ai bon espoir que les discussions comme celle d’aujourd’hui nous aident à aller de l’avant.

La vice-présidente : Je prie les deux autres témoins de répondre à la question de la sénatrice Pate en moins de 30 secondes.

Mme Rehman : Mon fils a été placé en détention provisoire à l’hôpital de psychiatrie légale pendant la période d’évaluation. Il s’est fait évaluer deux fois. Quand le juge a décidé qu’il devrait rester à l’hôpital Royal d’Ottawa, je l’ai vu s’épanouir. Il avait le droit de jouer au basketball. Il interagissait avec les autres. Pendant ces périodes, jamais il n’a représenté un danger ou une menace. En revanche, même si le Service correctionnel du Canada affirme que c’est un hôpital, la prison n’offre pas un milieu propice au traitement ou à la réadaptation. Il est surveillé, et il y a un aspect punitif. Le système évite les risques et il surestime les risques que les patients en santé mentale représentent pour les agents correctionnels parce que certains n’ont pas la formation requise pour comprendre ce qui se passe. À mon avis, c’est ce qu’il faudrait, mais certains politiciens qui adhèrent à d’autres idéologies s’opposent à fournir aux détenus un milieu thérapeutique propice au rétablissement. Or c’est la solution, et c’est la direction que nous voulons que le Canada prenne.

La vice-présidente : Docteur Dufour, la parole est à vous.

Dr Dufour : Je tenterai d’être bref. En ce qui concerne les mesures prises dans le passé, sénatrice Pate, je pense que vous avez raison. C’était avant mon arrivée à Pinel, mais maintenant, le contrat doit être renouvelé, et nous sommes tout à fait disposés à examiner les options. L’unité devrait-elle être financée sur la base d’indemnités quotidiennes? Il faut aussi de la diversification. Oui, nous sommes un établissement à sécurité maximale, mais d’autres contrats pourraient être conclus avec d’autres hôpitaux, et non seulement avec Pinel. L’idée n’est pas de déplacer le milieu vers un autre hôpital, mais il faut que le traitement soit fourni par une équipe interdisciplinaire.

Souvent, les patients que je soigne au centre régional de traitement reçoivent de très bons soins de la part d’une équipe interdisciplinaire. S’ils étaient transférés dans une autre unité, ailleurs qu’à Pinel, ils recevraient de meilleurs soins au centre régional de traitement, entre autres parce que l’équipe est plus grande. Ainsi, il ne suffit pas de modifier le milieu; il faut également une équipe interdisciplinaire.

J’ai une dernière observation. Il a beaucoup été question des hôpitaux, mais les services offerts aux détenus dans la collectivité une fois qu’ils sont libérés représentent aussi un grand défi. C’est très difficile de trouver des services de consultation externe pour eux, surtout s’ils ont purgé une peine dans un pénitencier fédéral. Il y a beaucoup de préjugés contre les anciens détenus de pénitenciers fédéraux. Il faut également augmenter les ressources allouées aux services de consultation externe.

La vice-présidente : Je remercie chaleureusement tous les témoins qui se sont joints à nous aujourd’hui. Vous nous avez fourni des témoignages précieux qui nous aideront à réaliser notre étude. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence.

Chers collègues, avant de lever la séance, je veux vous informer que la semaine prochaine, le comité entreprendra l’étude préalable du projet de loi C-15 du gouvernement, Loi no 1 d’exécution du budget de 2025. L’étude du comité sera axée sur les dispositions des sections 30 et 31 de la partie 5 du projet de loi. J’invite les sénateurs qui ont des témoins à proposer à envoyer leurs suggestions au greffier dès que possible. Merci.

(La séance est levée.)

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