LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 7 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, toute question concernant les prévisions budgétaires du gouvernement en général et d’autres questions financières.
Le sénateur Claude Carignan (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et sénatrices ainsi qu’aux Canadiens qui nous suivent sur sencanada.ca.
Je suis Claude Carignan, sénateur du Québec et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter.
Le sénateur Forest : Bonjour et bienvenue. Éric Forest, sénateur indépendant de la division du Golfe, au Québec.
Le sénateur Gignac : Bonjour. Clément Gignac, sénateur de la division de Kennebec, au Québec.
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : Bonjour et bienvenue. Je suis le sénateur Tony Loffreda, de Montréal, au Québec.
La sénatrice Kingston : Mon nom est Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Ross : Mon nom est Krista Ross, du Nouveau‑Brunswick.
La sénatrice MacAdam : Mon nom est Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
La sénatrice Hébert : Martine Hébert, du Québec.
Le président : Vous voyez que les sénateurs québécois sont passionnés par la finance, notamment.
Honorables sénateurs, nous tenons aujourd’hui la première d’une série de réunions consacrées à une mise à jour générale de la situation financière et économique du Canada.
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, de la Chambre de commerce du Canada, M. Andrew DiCapua, économiste principal, et M. Matthew Holmes, vice-président principal, International, et chef des politiques publiques; de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, M. Jasmin Guénette, vice-président, Affaires nationales, et Mme Christina Santini, directrice, Affaires nationales; enfin, nous accueillons par vidéoconférence, du Conseil canadien des affaires, M. Theo Argitis, premier vice-président, Politiques.
Bienvenue à tous. Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation et de vous joindre à nous ce matin. Vous avez sûrement, dans le cadre de vos fonctions, beaucoup de travail avec tout ce qui bouge au chapitre de l’économie.
Nous allons entendre en premier lieu les déclarations préliminaires de MM. Dicapua et Holmes. Ils seront suivis de M. Guénette, Mme Santini et M. Argitis.
Nous vous accordons cinq minutes chacun; merci de respecter le temps alloué. Nous aurons ensuite une période de questions et une discussion avec les sénateurs.
Matthew Holmes, vice-président exécutif, International, et chef des politiques publiques, Chambre de commerce du Canada : Merci, monsieur le président. Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices.
[Traduction]
Merci de me donner l’occasion de comparaître devant vous ce matin pour parler de la situation économique et financière du Canada. Je suis accompagné de mon collègue Andrew DiCapua, notre économiste principal.
La Chambre de commerce du Canada est le plus dynamique et vaste réseau d’affaires au pays. Elle représente environ 400 chambres de commerce et plus de 200 000 entreprises de toutes tailles, issues de tous les secteurs et provenant de toutes les régions.
La position économique du Canada, même avant les récents changements commerciaux, était fragile. Voilà pourquoi, en février, la Chambre de commerce du Canada a demandé au gouvernement de s’associer aux entreprises dans le cadre de ce que nous avons appelé un plan uni pour le Canada qui en plus de réduire les dégâts des droits de douane tracerait une voie vers un avenir prospère pour le pays. Le plan s’attaque à trois graves problèmes nécessitant des mesures immédiates.
Il y a premièrement la croissance économique. Nous comptons depuis des années sur le commerce avec les États-Unis pour compenser les lacunes de notre propre économie intérieure. Cela doit cesser. Il est temps de faire tomber les barrières au commerce intérieur afin d’instaurer le libre-échange au Canada. On estime que l’on pourrait ainsi augmenter le PIB de 4 %. À l’extérieur de nos frontières, il faut miser sur les relations et les accords commerciaux existants avec la région indo-pacifique, le Mexique, l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Comme nous sommes un pays commerçant, les entreprises canadiennes ont besoin de moyens de transport efficaces pour envoyer nos produits dans les marchés outre-mer. Il est donc urgent d’élargir nos infrastructures aéroportuaires, ferroviaires, portuaires et routières. Nous ne pouvons pas non plus permettre que l’arrêt répété d’activités essentielles empêche la circulation des produits et la prestation des services, car cela nuit à la réputation du Canada comme partenaire commercial fiable. Quand les chaînes d’approvisionnement sont compromises, il faut du temps avant que les choses rentrent dans l’ordre. Nous félicitons le gouvernement d’avoir fait adopter le projet de loi C-5 rapidement, mais nous demeurons préoccupés par l’émergence possible d’un système à deux volets qui donne l’aval à certains projets, mais qui en freine d’autres. Il faut appliquer un processus prévisible, raisonnable et transparent à tous les projets.
Deuxièmement, il y a la compétitivité à l’échelle mondiale. L’attrait du Canada comme endroit où faire des affaires est en déclin. Il nous faut un environnement réglementaire et fiscal qui attire les investissements canadiens et étrangers, aide les entreprises à croître et encourage le démarrage de nouvelles entreprises. En ce moment, nous nous préoccupons des droits de douane, mais le véritable défi pour la compétitivité à long terme du Canada, ce seront les changements structurels aux cadres réglementaire et fiscal des États-Unis.
Troisièmement, il faut combler les lacunes du Canada au chapitre des compétences. Uniquement cette année, la pénurie de talents a coûté à notre économie 2,6 milliards de dollars, selon le Conference Board du Canada. Nous avons besoin d’une stratégie nationale sur la main-d’œuvre prévoyant des investissements dans le perfectionnement et le recyclage des travailleurs, surtout ceux dont l’emploi est menacé par l’automatisation et l’intelligence artificielle, mais aussi d’un système d’immigration stratégique qui respecte les besoins et les contraintes des provinces, des territoires, des municipalités, des employeurs et des employés.
Le Canada ne parviendra pas à la sécurité économique s’il n’agit pas avec audace sur ces trois fronts. Je cède maintenant la parole à mon collègue.
Andrew DiCapua, économiste principal, Chambre de commerce du Canada : Merci, Matthew, et merci à vous, honorables sénateurs, de nous donner l’occasion de comparaître aujourd’hui. Je vais faire une brève présentation du contexte économique au Canada.
L’économie du Canada est à la croisée des chemins. Nous avons déjà eu à composer avec de l’incertitude. Or la situation actuelle nous présente une nouvelle occasion de tracer notre voie vers un avenir prospère.
Le commerce demeure un fondement de cette prospérité. La relation commerciale que nous avons avec les États-Unis soutient à elle seule près de trois millions d’emplois au Canada. Exception faite de la pandémie, les récents droits de douane des États-Unis sur les produits canadiens représentent pour le Canada un des plus gros chocs externes depuis la crise financière de 2008.
Les données reflètent cette pression. Les données sur les exportations pour le mois d’août publiées ce matin montrent une diminution de 3 %. Il s’agit du premier déclin mensuel dans les exportations depuis avril. Pendant le deuxième trimestre, le volume des exportations a diminué de 7,5 %. L’investissement dans la machinerie et l’équipement a diminué de 9,4 % en raison de l’incertitude qui complique la prise de décisions dans les entreprises. Le marché du travail s’est aussi affaibli. Il y a eu des pertes d’emplois modérées au cours des derniers mois. Le taux de chômage a augmenté à 7,1 %, et les secteurs tributaires du commerce ont perdu près de 80 000 emplois depuis janvier.
En 2025, nous nous attendons à ce que la croissance réelle du PIB soit d’environ 1 % au Canada. Le Rapport sur la politique monétaire de juillet 2025 de la Banque du Canada prévoit une croissance similaire pour le reste de 2025, alors que le consensus chez les économistes du secteur privé est encore plus pessimiste, puisqu’ils s’attendent à une croissance d’environ 0,5 % pour les troisième et quatrième trimestres cette année. Pour sa part, la Chambre de commerce prévoit pour l’immédiat une croissance d’environ 1,5 % pour le troisième trimestre, ce qui porte à croire que le pire est passé et que le Canada évitera probablement une récession.
Sur une note positive, l’inflation se situe dans la fourchette cible de la Banque du Canada depuis 20 mois consécutifs, ce qui a permis de réduire les taux d’intérêt et donner un léger coup de pouce aux ménages, qui sont demeurés forts au cours de cette période. Il y a toutefois des signes avant-coureurs qui montrent que cet élan pourrait s’essouffler.
Quoi qu’il en soit, le choc qui a frappé les échanges commerciaux a laissé une cicatrice structurelle et a abaissé la trajectoire de l’économie de façon permanente. Comme mon collègue l’a souligné, le renforcement de la compétitivité, l’accélération de la productivité et celle de la diversité — chez les gens et dans les marchés — seront cruciaux. Le Canada est vulnérable à ces chocs externes, il est donc essentiel d’améliorer la résilience du pays à ceux-ci.
Enfin, nous n’avons pas encore pris entièrement conscience des répercussions qu’auront les cicatrices laissées par les gestes récents des États-Unis. Nous devons faire preuve d’ambition et agir de toute urgence afin de relancer la croissance, d’améliorer la résilience et d’établir un plan optimiste pour parvenir à une prospérité à long terme.
Merci.
Jasmin Guénette, vice-président, Affaires nationales, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Bonjour, je ferai ma présentation en français, et ma collègue fera la sienne en anglais.
[Français]
Je suis Jasmin Guénette, vice-président, Affaires nationales, à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, ou FCEI. Ma collègue Christina Santini est directrice, Affaires nationales. Nous voulons remercier le comité pour cette aimable invitation.
Tout d’abord, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante représente 100 000 PME à l’échelle du Canada. Nous avons des membres dans tous les secteurs de l’économie et dans toutes les régions du pays; 50 % de nos membres sont des entreprises de neuf employés ou moins. Nous menons régulièrement des sondages auprès de nos membres afin de connaître l’état général de la situation des PME. Nos données nous ont permis de constater que le niveau d’optimisme des entrepreneurs est très bas actuellement. Plusieurs raisons expliquent cela.
Dans un premier temps, les frais d’exploitation des PME ont explosé. Chaque ligne budgétaire d’une petite entreprise est en hausse. Qu’il s’agisse des charges salariales, de la fiscalité et des coûts réglementaires, du coût des assurances, des loyers ou des intrants, tout coûte plus cher. Ensuite, ce qui limite le plus les ventes et la croissance des PME est la demande insuffisante, c’est-à-dire que les entreprises ne font pas assez de ventes et que les consommateurs dépensent moins. Les entreprises n’arrivent donc pas à avoir un niveau de vente qui leur permettrait d’absorber toutes les augmentations de coûts — sans compter les effets sur les entreprises de la situation tarifaire entre le Canada et les États-Unis.
Nos recommandations visent à aider les PME dans le contexte que je viens de décrire.
Je cède maintenant la parole à ma collègue Christina.
[Traduction]
Christina Santini, directrice, Affaires nationales, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : L’utilisation stratégique de mesures d’allégement fiscal simples peut procurer un répit financier et engendrer d’importantes retombées économiques pour les entreprises, leurs employés et l’économie. Pour encourager l’investissement, le gouvernement devrait élargir et rendre immédiate la passation en charge, mais aussi rendre la déduction pour amortissement accélérée permanente. En outre, une exemption supplémentaire des gains en capital, s’ils sont réinvestis au Canada, pourrait aussi être une mesure stratégique utile pour inciter à l’investissement.
Pour réduire les coûts d’exploitation et fournir des liquidités aux propriétaires d’entreprise afin de rembourser leurs dettes ou d’investir dans leur entreprise, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante recommande de réduire considérablement le taux d’imposition des petites entreprises, qui est actuellement de 9 %, comparativement à 4 % au Québec et 3,2 % en Ontario.
Le moment serait également venu d’augmenter le seuil maximal des petites entreprises de 500 000 $ à 700 000 $ et d’indexer celui-ci à partir de maintenant. Ce seuil n’a pas changé depuis 2009 et a perdu de sa valeur au fil du temps.
En outre, le gouvernement devrait considérer réduire le taux de cotisation à l’assurance-emploi pour les petits employeurs, par exemple, au moyen de crédit remboursable permanent comme le crédit pour l’emploi visant les petites entreprises qui existait en 2015-2016.
Le gouvernement devrait aussi envisager de remettre l’argent recueilli au moyen des contre-mesures tarifaires aux entreprises qui ont versé cet argent — des entreprises de tous les secteurs et de toutes les tailles —, pas seulement sous forme de prêts, mais aussi sous forme de versements directs de prestations comme la remise canadienne sur le carbone pour les petites entreprises.
Une récente étude de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a comparé le montant qu’une microentreprise et une petite entreprise paient en impôt dans 10 provinces canadiennes et 20 États américains. Elle a conclu qu’en moyenne le fardeau fiscal est beaucoup plus élevé au Canada qu’aux États‑Unis. L’administration états-unienne a adopté des politiques pour créer un contexte fiscal qui attire les entreprises aux États-Unis et qui soutient les investissements des entreprises dans ce pays. Le Canada doit faire la même chose, ou son assiette fiscale, à laquelle un taux d’imposition plus élevé s’applique, pourrait s’effriter parce que les entreprises canadiennes ne seront pas capables d’être compétitives et de croître.
Je vous remercie de nous donner l’occasion de vous faire part du point de vue de nos membres. Nous serons heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir.
[Français]
Le président : Merci beaucoup. Nous entendrons maintenant M. Theo Argitis.
[Traduction]
Theo Argitis, premier vice-président, Politiques, Conseil canadien des affaires : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous souhaite le bonjour de Calgary. Je vous remercie de votre invitation à comparaître devant vous aujourd’hui. C’est un honneur de participer à vos importants travaux.
Je suis ici aujourd’hui pour le compte du Conseil canadien des affaires, qui représente les PDG de plus de 170 entreprises canadiennes de premier plan dans tous les secteurs de l’économie. Ensemble, nos membres emploient plus de deux millions de Canadiens, et leurs entreprises sont responsables de la majorité des exportations, des investissements et du mécénat au pays.
Nous nous rencontrons aujourd’hui dans un contexte qui aura des conséquences bien réelles sur l’élaboration de nos politiques économiques. La semaine dernière, le Conseil canadien des affaires a dévoilé les résultats de ses consultations budgétaires pour 2025. Nous avons sondé les chefs d’entreprise, les économistes et les investisseurs. Le message est on ne peut plus clair : le Canada est au beau milieu d’une crise en matière d’investissements. L’investissement des entreprises prend du retard par rapport à nos concurrents mondiaux depuis des années, la productivité est stagnante et notre capacité à attirer et à retenir des capitaux est mise à rude épreuve. L’incertitude mondiale, aggravée par la réorientation des politiques commerciales et industrielles des États-Unis, n’a fait qu’accroître la pression.
Nos consultations ont fait ressortir trois grandes priorités.
Premièrement, la croissance doit être le moteur du programme. Je peux vous dire que la priorité des PDG au Canada est la croissance. L’économie canadienne a considérablement ralenti, et l’investissement est faible lorsque le PIB par habitant diminue. Sans une forte croissance économique, il sera de plus en plus difficile de financer les programmes sociaux et les services publics essentiels.
Deuxièmement, la viabilité budgétaire est cruciale. Les chefs d’entreprise veulent voir de la discipline, de la transparence et de la planification à long terme pour restaurer la confiance des investisseurs. C’est pourquoi nous aimerions voir le gouvernement s’engager à employer des garde-fous budgétaires, à stabiliser ou à diminuer le ratio dette-PIB ainsi que le ratio intérêts-recettes à moyen terme et à maintenir la croissance des dépenses pour les programmes en deçà de la cadence à laquelle évolue l’économie à moyen terme. Sans cette discipline, il y a un risque de perte de confiance dans les marchés et d’augmentation du coût du capital dans toutes les sphères de l’économie.
La troisième grande priorité qui ressort de nos consultations est d’entreprendre de toute urgence une réforme structurelle. On ne saurait séparer la viabilité financière du défi que le Canada doit relever au chapitre de la compétitivité. Les chefs d’entreprise et les experts exhortent le gouvernement à se concentrer sur la relance des investissements dans l’économie. Il faut prévoir une réforme fiscale globale qui réduit les impôts sur les nouveaux investissements et procéder à une modernisation en profondeur du cadre de réglementation au Canada afin d’éliminer les lourdeurs administratives, réduire les délais et créer un climat de confiance pour les investisseurs. Il faut aussi un examen des dépenses de programme plus ambitieux qui repose sur des principes fondamentaux afin que le gouvernement se concentre sur ses responsabilités fondamentales plutôt que de forcer les entreprises privées à partir.
Ensemble, ces priorités permettront de préparer le terrain pour une croissance à long terme et la création d’une économie qui accorde la priorité à la compétitivité, récompense l’investissement, stimule la productivité et fait en sorte que nous ayons la capacité financière de faire face à de futurs défis.
Le dernier point que j’aimerais faire valoir, c’est que nous ne pouvons pas atteindre la prospérité à coup d’emprunts. Le Canada doit élargir les infrastructures favorisant le commerce, moderniser la défense et créer un environnement où l’investissement privé peut être injecté dans des projets favorisant la croissance. Nous sommes en faveur d’emprunts contractés par l’État pour des initiatives visant à stimuler la productivité et la compétitivité, mais les chefs d’entreprise n’appuient pas les emprunts servant à financer des programmes politiques ou la consommation courante.
Honorables sénateurs, nos recommandations découlent de la conviction que plus le Canada est compétitif, plus il est fort. Une économie novatrice en croissance générera les recettes nécessaires pour maintenir les services publics, réduire les iniquités et multiplier les débouchés pour tous les Canadiens. Voilà le défi devant nous. Si nous nous y prenons correctement, le Canada sera de nouveau perçu comme l’un des meilleurs endroits au monde où investir, grandir et prospérer.
Je serai heureux de discuter de ces recommandations plus en profondeur et de vous faire part de l’ensemble des idées découlant de nos consultations, ainsi que de répondre à toutes les questions que le comité souhaitera soulever.
[Français]
Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant à la période des questions. Comme il est 10 heures et que 10 sénateurs souhaitent poser des questions, je vais accorder quatre minutes par sénateur. Nous allons tenter d’être précis.
Le sénateur Forest : Le gouvernement a lancé le mois dernier des consultations publiques sur l’Accord Canada—États‑Unis—Mexique, ou ACEUM. Quelles seraient vos principales recommandations, dans un premier temps, à la Chambre de commerce, monsieur Holmes ou monsieur DiCapua?
[Traduction]
M. Holmes : Je vous remercie de votre question.
Compte tenu des problèmes de compétitivité plus larges dont nous avons parlé dans notre déclaration liminaire, une analyse comparative entre le régime fiscal et le cadre de réglementation aux États-Unis et au Canada serait à conseiller. Le présent comité sénatorial, si je puis me permettre, pourrait même envisager de confier cette étude à un sous-groupe. Il faudrait analyser les réformes états-uniennes en détail, les comparer au régime fiscal du Canada, cerner les avantages compétitifs créés par les réformes états-uniennes et présenter une feuille de route visant une harmonisation ou un alignement stratégique permettant de conserver au Canada sa compétitivité. Il s’agirait d’une perspective à plus long terme de cet aspect.
À court terme, nous sommes de l’avis de nos collègues de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Il serait bon de se pencher sur le régime fiscal et le fardeau fiscal des entreprises dans l’immédiat, et de rendre le programme d’incitatifs à l’investissement accéléré permanent. Ces deux choses donneraient des résultats immédiats et tangibles pour les entreprises.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci. Monsieur Argitis, avez-vous des recommandations différentes pour ce qui est de cette consultation publique sur l’ACEUM?
[Traduction]
M. Argitis : Je crois que nous ne ferons pas de recommandations précises. Nous voulons un budget axé sur l’investissement. Nous sommes ouverts à l’idée que le gouvernement utilise tous les outils à sa disposition. Au cours des 10 dernières années, bien des gens ont présenté beaucoup de recommandations pour stimuler l’investissement et la productivité. Je crois que la seule chose qui manque, c’est le courage politique. Nous voulons un budget qui montre un certain courage politique pour prendre des décisions difficiles et qui est axé sur l’investissement.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci. Ma deuxième question s’adresse à M. Guénette. Une des mesures clés annoncées par le gouvernement pour les PME touchées par les tarifs américains et chinois est l’Initiative régionale de réponse tarifaire. Ce programme varie selon les agences de développement qui l’administrent. Par exemple, Développement économique Canada pour les régions du Québec administre le programme dans l’Est du Québec. Je sais que vous entretenez un dialogue étroit avec vos membres. Avez-vous des commentaires à partager? Comment ce programme est-il reçu? Est-il vraiment à point et utile pour nos petites et moyennes entreprises?
M. Guénette : Merci de la question. À ce moment-ci, nous sommes inquiets que l’argent passe par les agences de développement économique régional, et ce, pour un certain nombre de raisons. La première, c’est que les critères d’admissibilité varient d’une agence à l’autre, ce qui va créer beaucoup de confusion au sein des PME. Ensuite, de façon générale, les agences requièrent des applications qui génèrent beaucoup de paperasserie, ce qui fait augmenter la paperasse des PME simplement pour avoir accès à ces sommes. Souvent, les agences prennent du temps à remettre ces sommes. Le processus est fastidieux et long.
Prenons, par exemple, les critères de l’agence de la Colombie‑Britannique. Elle demande que les entreprises aient un minimum de 10 employés pour avoir accès à ces fonds, ce qui pourrait exclure un très grand nombre de PME. Nous souhaitons que les critères d’admissibilité soient revus pour que l’ensemble des PME qui ont été touchées par les contre-tarifs canadiens puissent recevoir les sommes que le gouvernement a perçues. Toutefois, le véhicule des agences de développement économique régional suscite une très grande inquiétude chez nous.
[Traduction]
La sénatrice Ross : Ma question s’adresse à la Chambre de commerce du Canada. Dans vos commentaires, vous avez parlé du projet de loi C-5 et du Bureau des grands projets. Ce bureau suscite beaucoup d’intérêt dans le milieu des affaires d’un océan à l’autre, et les cinq premiers projets approuvés sont pratiquement prêts, mais comme l’a dit le premier ministre Carney, cette désignation les aidera à franchir la ligne d’arrivée.
J’aimerais savoir ce que vous pensez du Bureau des grands projets et quelles sortes de projets devraient figurer ou être approuvés dans la tranche du mois de novembre. Quels projets ou types de projets sont d’intérêt national et auront les plus grands effets globaux sur l’économie?
M. Holmes : Je vous remercie de votre question, sénatrice.
Le projet de loi C-5 comporte deux parties. Je reviendrai sur la deuxième dans un moment. La première partie, que l’on tend à oublier, porte sur le commerce intérieur. Globalement, nous sommes en faveur du projet de loi C-5 dans son ensemble parce qu’il porte sur des enjeux cruciaux au sein de notre économie, à commencer par les obstacles au commerce intérieur au Canada, qui existent depuis longtemps.
La deuxième partie du projet de loi C-5 est celle qui a trait au Bureau des grands projets et à votre question. L’importance des infrastructures commerciales est ici cruciale. L’examen de la première tranche de projets ainsi que des autres qui ont été retenus pour faire l’objet d’un examen plus poussé montre que ceux-ci sont pour la plupart axés sur le rail, l’énergie, les ports, l’infrastructure et sur le type de composantes d’infrastructure essentielles que nous demandons dans notre déclaration liminaire. Nous pensons qu’il s’agit d’une priorité pour le pays, non seulement parce que cela favorise la croissance à court terme, mais parce que cela contribue de manière fondamentale à notre PIB et à notre capacité économique à long terme. Il n’y a qu’à voir la récente expansion du GNL sur la côte Ouest pour comprendre l’effet que cela a sur notre économie; 50 000 emplois ont été créés pendant la courte période qu’il a fallu, de 2018 à 2025, environ, pour que tout soit construit et fonctionnel. L’avantage pour l’économie intérieure, mais aussi pour les échanges commerciaux à l’échelle mondiale avec de nouveaux partenaires commerciaux est majeur.
En ce qui a trait aux projets du Bureau des grands projets dans l’avenir, nous aimerions assurément que l’on continue de s’intéresser aux corridors commerciaux et aux infrastructures commerciales, mais aussi à d’autres corridors. La population canadienne a besoin d’un meilleur réseau de télécommunication, qui est plus rapide — pensons à la fibre optique — afin de rejoindre les collectivités nordiques et éloignées, mais aussi de permettre au secteur manufacturier de pointe de réellement prospérer au pays.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je suis frappée en vous écoutant tous à cause des fleurs que vous lancez à l’économie américaine ou, du moins, au traitement des entreprises là-bas. Il reste que nous vivons dans un pays différent où l’on taxe davantage les entreprises, parce qu’on a des services publics en matière de santé et autres qui sont gratuits et qui sont souvent plus performants que ceux que l’on retrouve aux États-Unis. On ne peut donc pas se coller à ce point à l’économie américaine en disant qu’il faut que tout soit égal.
Est-ce juste la bureaucratie que vous critiquez ou est-ce le fond même de notre pays, qui est basé sur une société un peu plus juste?
Ma deuxième question s’adresse au Conseil canadien des affaires. Il me semble que vous comptez beaucoup sur les énergies et les combustibles fossiles pour maximiser la sécurité énergétique des Amériques. Cela me semble entrer en contradiction avec ce qui se passe pour contrer le réchauffement climatique. Jugez-vous que c’est le bon moment pour faire de cet aspect une priorité? Ma première question est peut-être plus philosophique.
[Traduction]
M. Holmes : Je vous remercie de votre question.
Étant donné que les soins de santé sont une compétence provinciale, je crois que je m’en remettrais aux décisions prises par les gouvernements provinciaux. Évidemment, le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer pour aider les gens à l’échelle du pays, mais je crois qu’il est aussi important de reconnaître que les décisions d’affaires sont prises par des entreprises, et que celles-ci prendront des décisions stratégiques globales en déterminant quel sera l’endroit le plus propice aux affaires. Nous l’avons vu à maintes reprises au pays. Si notre économie n’est pas compétitive et n’attire pas d’investissement, nous n’aurons pas d’entreprises bien pourvues, en mesure de soutenir les collectivités où elles sont installées.
À la Chambre de commerce du Canada, nous sommes convaincus qu’une économie forte et des entreprises qui ont les reins solides sont le socle des collectivités fortes et des services sociaux sur lesquels nous comptons. Si nous ne rendons pas notre économie propice aux activités commerciales, nos collectivités en souffriront.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Guénette, vous avez aussi parlé tous les deux de la beauté de l’économie américaine en raison de la façon dont elle traite ses entreprises. Ne voyez-vous pas là une contradiction?
M. Guénette : Merci de votre question, madame la sénatrice.
Je serais très heureux d’avoir une longue conversation avec vous sur la « gratuité » de notre système de soins de santé et sur sa performance. Évidemment, notre système de santé n’est pas gratuit et on le paie avec nos impôts.
Pour ajouter un élément à ce que M. Holmes vient de mentionner, je discutais dernièrement avec une députée dont la circonscription est située au sud, très proche de la frontière américaine. Elle me disait à quel point elle entendait presque quotidiennement des entrepreneurs dire que si les choses ne changeaient pas, ils considéreraient déménager des opérations aux États-Unis. Certaines entreprises canadiennes ont déjà des opérations aux États-Unis. Ne pas regarder cet enjeu en face, c’est se cacher la tête dans le sable; on doit faire face à la réalité.
Le Big Beautiful Bill, comme ils l’appellent aux États-Unis, vient creuser encore davantage le fossé entre la fiscalité canadienne et la fiscalité américaine.
Je pense qu’il est important d’avoir des politiques publiques au Canada qui encouragent l’investissement et l’entrepreneuriat, et cela passe principalement par une fiscalité qui encourage nos entreprises à se développer.
Évidemment, le Canada est un pays différent qui a des programmes différents, mais cela ne devrait pas nous empêcher de baisser les impôts des entreprises et de transformer notre économie afin d’être plus compétitifs.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : Je vous souhaite de nouveau la bienvenue au comité.
Ma question s’adresse à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. J’aimerais parler des résultats du rapport Votre voix de juillet 2025. Pour ceux qui ne connaissent pas Votre voix, il s’agit d’un sondage mensuel que vous menez auprès de vos membres sur une variété de questions d’actualité. Dans l’édition de juillet, vos membres ont indiqué être fortement en faveur d’un allégement fiscal prononcé, dont vous venez de parler dans votre témoignage et que vous avez associé, sans surprise, à un allégement de coût immédiat et à une croissance économique à long terme.
Selon vos conclusions, 55 % des répondants ont indiqué qu’une baisse d’impôts leur permettrait de stabiliser des opérations ou de gérer la hausse des coûts, tandis qu’un tiers seulement a indiqué qu’ils utiliseraient les économies pour investir et faire prendre de l’expansion à leur entreprise. Je souhaiterais, comme de nombreux Canadiens, que ce soit le contraire, que davantage d’entrepreneurs favorisent l’expansion et estiment pouvoir utiliser l’allégement fiscal pour prendre de l’expansion. Les résultats sont similaires quand on demande aux entrepreneurs s’ils envisagent de faire prendre de l’expansion à leur entreprise ou de vendre celle-ci. Un bon nombre préféreraient vendre plutôt que de prendre de l’expansion.
Serait-il juste d’interpréter ces résultats comme étant un reflet du coût élevé des activités commerciales en ce moment ou bien les frais d’exploitation sont-ils tellement élevés maintenant que bien des entreprises n’ont tout simplement plus la capacité d’investir et de prendre de l’expansion, même en obtenant une marge de manœuvre financière? De façon plus générale, quels facteurs empêchent les petites et moyennes entreprises d’investir davantage en ce moment?
Mme Santini : Le coût et la productivité sont les principaux facteurs qui limitent les investissements au sein des entreprises en ce moment. L’autre point important à souligner est que les années 2020 ont été hautement imprévisibles. Notre Baromètre des affaires mensuel évalue chaque mois l’optimisme de nos membres à long terme. Nous avons indiqué que celui-ci a diminué : il est faible. Si vous consultez le baromètre attentivement, vous verrez que l’optimisme a été dans tous les sens au cours des cinq dernières années. Cela reflète la situation financière et économique des petites entreprises et explique pourquoi elles ne peuvent pas nécessairement chercher à prendre de l’expansion. Elles n’ont aucune idée de ce que l’avenir réserve, et elles ont aussi accumulé des dettes pendant la COVID. Bon nombre remboursent encore ces dettes. Les coûts ont augmenté, et comme mon collègue l’a dit, la demande a diminué. Ce n’est pas une formule qui favorise la croissance. La stabilisation aide à conserver les emplois existants.
À mon avis, le 55 % est un signal d’alarme qui indique qu’il faut effectivement accorder cet allégement pour que les entreprises demeurent en activité et que leurs propriétaires puissent être compétitifs et continuer d’employer les personnes en place. Il est formidable que 35 % puissent prendre de l’expansion. Comment pouvons-nous leur donner les moyens de le faire?
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.
Mon autre question est pour le Conseil canadien des affaires. Monsieur Argitis, j’ai pris connaissance des notes de la présidence du Conseil canadien des affaires dans le cadre des consultations budgétaires de 2025 de la semaine dernière. Vous y résumez les idées tirées de vos échanges avec 50 des principaux PDG du pays — c’est fort impressionnant — ainsi qu’avec près de 20 économistes, investisseurs et anciens hauts fonctionnaires respectés. Vos consultations ont souligné la nécessité d’avoir une gestion budgétaire fondée sur la croissance, disciplinée et crédible, avec un cadre qui donne la priorité à la viabilité financière tout en s’attaquant aux problèmes structuraux, comme le déclin des investissements et la faiblesse de la productivité.
Parlons du volet de l’investissement. Pourriez-vous nous en dire plus sur les points de vue communiqués lors de vos consultations sur le soutien ciblé et l’investissement initial du gouvernement afin d’aider à réduire les risques liés aux grands projets? Que vous a-t-on dit au sujet de l’impôt sur l’investissement et le capital? Plus précisément, que demandent vos membres et vos partenaires en ce qui a trait à la réforme de la fiscalité des entreprises?
M. Argitis : Je vous remercie de votre question.
La priorité des PDG canadiens est la croissance, et nous avons eu un débat plutôt vigoureux sur la façon d’envisager la politique budgétaire à partir de maintenant. Nous avons maintenant en place un gouvernement qui réfléchit sérieusement à l’économie, ce que nous réclamons depuis 10 ans. Nous sommes prêts à soutenir des investissements qui amélioreront l’économie et la productivité. L’économie a besoin d’infrastructures — des ports, des chemins de fer et des projets d’édification de la nation. Il y a eu une question sur le type de projets que nous aimerions voir au Bureau des grands projets. Nous aimerions que ce soit des projets qui attirent des investissements privés. Il faut que l’environnement devienne plus propice à l’investissement.
Il y a de nombreuses choses que le gouvernement peut faire pour améliorer l’économie. Il y a beaucoup de choses qu’il peut faire sans dépenser un sou en ce moment, principalement du côté de la réglementation, du plafond d’émission sur le gaz, de la réglementation sur l’électricité propre et du projet de loi C-69. Il y a beaucoup de choses qu’il peut faire, mais il semble avoir choisi d’aller de l’avant avec une sorte de financement au moyen de déficits afin de faire des investissements. Nous voulons voir de vrais investissements, pas de faux investissements, et une volonté d’appuyer un programme axé sur l’investissement.
À l’heure actuelle, la concurrence pour le capital est féroce. Une grande partie du capital est investie aux États-Unis en ce moment en raison des incitatifs, sans compter que l’impôt y est bien moins élevé. Plus précisément, il nous faut une fiscalité compétitive. Je ne sais pas quelle forme il faut lui donner, et nous attendons de voir ce que le gouvernement proposera, mais nous sommes prêts à soutenir un programme axé sur l’investissement ainsi que le recours à un large éventail d’outils pour ce faire.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Gignac : Ma première question s’adresse aux représentants de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. J’aimerais parler du fardeau réglementaire. Une de vos prédécesseures que l’on connaît bien nous a souvent parlé du fardeau réglementaire, et je pense qu’en début d’année, vous avez publié votre septième rapport sur la paperasserie au Canada, qui, je crois, est encore pire qu’avant la pandémie.
Est-ce que vous pouvez nous en parler? Quel est l’impact de ceci sur l’activité économique? Je pense que même Statistique Canada avait fait des simulations à ce sujet.
M. Guénette : Merci de votre question, sénateur Gignac. Oui, c’est pire qu’avant la pandémie. En 2024, on a évalué le coût de la réglementation au Canada à 51 milliards de dollars. C’est un poids énorme sur l’ensemble de l’économie canadienne. De plus, de cette somme de 51 milliards de dollars, 18 milliards de dollars sont considérés comme étant de la paperasserie, donc des réglementations qui peuvent être éliminées sans causer de problèmes pour les travailleurs ou pour l’environnement, entre autres. On pourrait améliorer l’économie de cette façon, rapidement, en éliminant la réglementation inutile.
Nous avons un certain nombre de recommandations à cet égard. La priorité numéro un serait de baisser le nombre de réglementations. Il faudrait s’assurer de connaître le nombre de règles qui existent au pays. Je suis certain que si l’on demandait aux gens dans cette salle ou à n’importe qui sur la Colline du Parlement combien il y a de règles, de réglementations et de lois au Canada, personne ne pourrait le dire.
Il faudrait vraiment bien connaître la situation.
Ensuite, il faudrait réduire le nombre de règlements. Pour ce faire, nous recommandons de mettre en place un système de deux pour un. Ainsi, pour chaque nouvelle règle mise en place, on en élimine deux. De cette façon, on pourra réduire la paperasserie. Je dis souvent que c’est la façon la plus rapide et la moins coûteuse pour le gouvernement d’aider les entreprises, et cela demeure une priorité pour notre organisation.
Encore une fois, au cours des prochains mois, une semaine sera consacrée à la paperasserie, et nous invitons toutes les personnes qui sont ici à s’intéresser à nos travaux durant cette semaine.
[Traduction]
Le sénateur Gignac : Ma prochaine question s’adresse au Conseil canadien des affaires. Le directeur parlementaire du budget par intérim a dit que la situation financière et budgétaire du gouvernement fédéral est non viable. Souscrivez-vous à une telle affirmation? Si la seule cible budgétaire adoptée par le gouvernement fédéral est d’effacer le déficit de fonctionnement, serez-vous à l’aise avec cette proposition? Ou bien demanderez-vous une autre cible budgétaire?
M. Argitis : Je crois que la situation financière du Canada est viable en ce moment. Elle est évidemment fragile. La trajectoire n’est pas brillante à moyen terme. Il faut apporter des correctifs à moyen terme, mais nous ne sommes pas en situation de crise. Des investisseurs achètent des obligations canadiennes. Je ne suis pas d’accord avec le directeur parlementaire du budget à cet égard, même si les chiffres que nous avons vus sont sérieux et montrent une trajectoire difficile, j’en conviens. Cela dit, les taux d’intérêt au Canada sont plutôt bas, ils sont plus bas qu’aux États-Unis. Cela signifie que les investisseurs achètent nos obligations et indique qu’ils ont confiance dans la crédibilité du Canada.
Pourriez-vous me répéter la deuxième question?
Le sénateur Gignac : Si la seule cible budgétaire adoptée par le gouvernement fédéral consiste à effacer le déficit de fonctionnement, serez-vous à l’aise avec cette proposition ou demanderez-vous une autre cible budgétaire?
M. Argitis : Je ne suis pas un chaud partisan de la division entre les dépenses de fonctionnement et d’investissement. En théorie, c’est une bonne idée, mais nous croyons que la création d’un budget distinct, permettant d’enregistrer des déficits, un peu comme du crédit préautorisé, ouvre la porte à de l’abus. Nous préférons une vision globale.
En ce qui a trait aux cibles budgétaires, nous préférons un tableau de bord avec des paramètres. Nous ne pensons pas qu’une seule cible budgétaire suffira. Il faut un tableau de bord pour avoir une bonne idée de la santé financière du pays.
Le sénateur Gignac : Merci.
La sénatrice MacAdam : Ma question s’adresse à la Chambre de commerce du Canada. Dans votre consultation prébudgétaire publiée en août, vous parlez de l’importance de créer une stratégie nationale en matière de main-d’œuvre et vous soulignez la nécessité d’investir pour que les travailleurs puissent se perfectionner ou se recycler, surtout ceux qui sont menacés par l’automatisation et l’intelligence artificielle.
Premièrement, quels sont les cadres et les politiques que le Canada doit adopter pour atténuer les risques et exploiter le plein potentiel de l’intelligence artificielle afin d’améliorer la productivité, tout en s’assurant d’aider adéquatement les travailleurs à se perfectionner pour qu’ils puissent occuper des emplois plus productifs?
M. Holmes : Je vous remercie de votre question.
Le Canada est perçu sur la scène internationale comme un pionnier et un chef de file dans le développement de l’intelligence artificielle, des technologies liées à l’intelligence artificielle générative et des théories qui sous-tendent celles-ci. Pourtant, nous figurons parmi les retardataires pour ce qui est de l’adoption. Nous sommes loin derrière la région indo-pacifique et même des pays de l’OCDE auxquels nous nous comparons. L’un des éléments cruciaux avec l’intelligence artificielle, c’est son adoption et son utilisation par les entreprises. Il est possible d’appliquer différents modèles pour encourager son adoption par les PME en particulier, étant donné que celles-ci représentent une grande part de notre économie.
En ce qui a trait à la main-d’œuvre, toutefois, l’adoption de l’intelligence artificielle pourrait évidemment entraîner des bouleversements dans certaines catégories d’emploi qui verront l’effet d’une indexation accrue. Il y a différentes voies. L’une d’elles est de développer des compétences en intelligence artificielle au sein de la main-d’œuvre. La réponse facile est de dire que ce n’est pas l’intelligence artificielle qui menace vos emplois; ce sont les personnes qui savent l’utiliser. Sans vouloir en aucune manière minimiser le problème, il est important de développer des compétences en intelligence artificielle dans l’ensemble de la main-d’œuvre en adoptant celle-ci. Il y a des domaines où, comme nous le voyons dans le contexte actuel, il y aura des discussions au sujet d’industries entières qui devront s’adapter ou se perfectionner à mesure que le contexte évoluera. Nous observerons aussi cela au fil du temps dans certains secteurs.
La sénatrice MacAdam : Merci.
Selon Statistique Canada, le taux de chômage des 15 à 24 ans a atteint 14,6 % en juillet 2025, par rapport à 10,3 % en juillet 2023. Il s’agit du taux de chômage chez les jeunes le plus élevé depuis septembre 2010, sauf pendant la pandémie de COVID. Avez-vous des observations sur la façon dont le Canada peut atténuer les risques liés au chômage chez les jeunes? Avez‑vous des observations sur l’importance des stratégies de renforcement pour permettre aux nouveaux venus de faire leur entrée sur le marché de l’emploi?
M. Holmes : Oui. C’est une excellente question. Le taux de chômage actuel chez les jeunes est une tendance fort préoccupante, surtout à la fin de l’été, où il y a normalement une petite hausse. De nombreux facteurs expliquent ce problème. Mon collègue voudra peut-être en parler, cependant nous ne voyons pas de corrélation entre la présence de travailleurs étrangers temporaires et le chômage chez les jeunes. Nous avons compilé certaines données qui n’indiquent aucun lien direct entre les deux ou alors un lien très ténu. Je vais inviter mon collègue à poursuivre sur le sujet.
M. DiCapua : Merci de votre question, sénatrice.
C’est une tendance alarmante. La croissance est très lente au Canada. Généralement, lorsqu’il y a un ralentissement dans le cycle économique, les premiers emplois à disparaître sont, malheureusement, ceux des jeunes. C’est malheureux, et c’est visible dans différents secteurs. Mon collègue a parlé d’une tendance intéressante, celle de la période estivale, où l’on s’attend à ce que le taux d’emploi chez les jeunes soit élevé, mais cela n’a pas été le cas. Le taux d’emploi chez les jeunes a diminué de près de 2 %. C’est une tendance préoccupante.
En ce qui a trait aux recommandations, je laisse cela à mon collègue. Quoi qu’il en soit, nous sommes dans une situation unique. Il y a des programmes d’assurance-emploi, du soutien, et cetera, pour ceux sans emploi, mais c’est une période très délicate pour le chômage chez les jeunes. C’est effectivement préoccupant.
La sénatrice Kingston : Je vous souhaite à tous la bienvenue ici aujourd’hui.
Ma première question s’adresse à la Chambre de commerce du Canada. J’aimerais savoir quels sont les principaux facteurs qui freinent les investissements dans les entreprises au Canada. Vous avez parlé de certains facteurs, mais quelle est l’importance des droits de douane par rapport à d’autres facteurs?
M. Holmes : Je vais commencer, et je verrai si mon collègue a quelque chose à ajouter.
Les droits de douane sont assurément un facteur en ce moment. Ce ne sont pas tant les droits de douane que le climat d’incertitude dans le monde des affaires. Les règles ne cessent de changer. Les taux tarifaires eux-mêmes changent constamment. Êtes-vous conforme à l’ACEUM ou non? Est-ce que cela a une incidence sur votre secteur et sur votre accès? Est-ce qu’un droit de douane prévu à l’article 232 s’applique à un certain secteur ou à des produits résiduels en raison de ces matériaux? Toutes ces questions créent un environnement incroyablement incertain pour le commerce. De nombreuses entreprises choisissent de prendre une pause et d’attendre que le brouillard se dissipe un peu. C’est pourquoi il n’y a pas d’expansion, de croissance ou d’investissement dans de nouveaux projets d’immobilisation, dans la machinerie et dans les gens. On voit que le lancement de produits, les projets d’expansion ou de nouveaux sites sont retardés. Tout cela accélère le refroidissement que nous observons. Ce n’est pas seulement le commerce qui est en cause, c’est le climat d’incertitude qui envahit l’économie.
M. DiCapua : Merci de votre question, sénatrice.
L’incertitude commence à diminuer à certains égards. Évidemment, les taux tarifaires changent sur une base hebdomadaire, et même quotidienne, mais par rapport à d’autres pays, le Canada a un taux tarifaire relativement bas — un argument repris par le gouvernement, et qui est relativement exact. Il pourrait s’agir d’un avantage compétitif pour nous dans cette nouvelle ère de commerce avec les États-Unis. Comme l’a dit mon collègue, l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, l’ACEUM, protège presque tous les produits exportés aux États‑Unis, ce qui a permis la poursuite du commerce avec les États‑Unis. Les entreprises devront tenir compte de ces taux tarifaires et de la compétitivité de l’économie. Tous les témoins l’ont dit aujourd’hui. Il faudra refaire les calculs, et le résultat permettra de prendre des décisions en matière d’investissement, comme tout le monde l’a dit.
Le Laboratoire de données sur les entreprises, en consultant les travaux de recherche de Statistique Canada, s’est penché sur la réglementation fédérale. D’après les mesures de Statistique Canada, environ 350 000 règlements fédéraux ont, pendant l’horizon examiné — la dernière décennie —, réduit le PIB de 1,7 %, et l’investissement, de 9 %. Il est donc manifeste que la réglementation fédérale a une incidence sur les investissements ainsi que sur le PIB. Nous avons maintenant l’occasion, avec le gouvernement fédéral actuel et le prochain budget, de créer des conditions propices à la réussite et de redéfinir l’économie du Canada par rapport à celle des États-Unis, en la présentant comme étant celle d’un pays qui est prudent sur le plan budgétaire, mais qui a un programme de croissance. On vous dit que c’est un équilibre qu’il est très difficile d’atteindre, mais c’en est un auquel il nous faut parvenir si nous voulons être compétitifs.
[Français]
La sénatrice Hébert : J’aurais une première question pour la FCEI et les chambres de commerce, puis une autre question pour le Conseil canadien des affaires. Je voudrais vous entendre sur les questions de main-d’œuvre. On sait que beaucoup d’investissements s’en viennent au Canada, mais on aura besoin de main-d’œuvre pour construire les maisons et les infrastructures que l’on souhaite construire. On sait que, au chapitre des politiques en matière d’immigration, particulièrement pour le Programme des travailleurs étrangers temporaires, les compressions qui ont été annoncées affectent la capacité des entreprises à maintenir leur niveau de production, et cela sera encore plus exacerbé avec ce qui s’en vient. J’aimerais vous entendre sur ces questions et sur ce qu’on devrait faire par rapport à cela, sachant que l’immigration crée des pressions sur certains programmes sociaux.
Mme Santini : Oui, surtout dans le domaine de la construction, où la pénurie de main-d’œuvre est assez élevée; c’est l’une des pressions qui affectent leur capacité de livrer les biens selon les contrats en cours, de croître et de s’assurer de respecter leurs engagements. On demande plus de flexibilité par rapport aux programmes d’immigration, pour faire en sorte que le secteur ait toujours accès à ces travailleurs. En ce moment, le secteur de la construction est protégé par le resserrement du Programme des travailleurs étrangers temporaires, mais pas le secteur manufacturier, qui produit des intrants qui vont dans le domaine de la construction. Il faut considérer le système d’immigration de manière plus intégrée. On doit s’assurer que les changements au programme s’alignent avec les besoins en matière de main-d’œuvre. C’est le programme qui est le plus lié, qui a les tests requis et la capacité de renforcer les tests pour s’assurer de rester aligné sur les besoins du marché, là où il y a un manque de main-d’œuvre.
M. Guénette : Puis-je me permettre d’ajouter un point? Les changements qui ont été apportés au programme l’an dernier ont des répercussions sur plusieurs PME partout au pays ainsi qu’au Québec. Des gens nous contactent pour nous dire qu’ils craignent de perdre des travailleurs qu’ils ont embauchés par l’entremise du Programme des travailleurs étrangers temporaires, ou PTET, donc les changements qui ont déjà été faits ont eu une incidence sur plusieurs PME au pays.
On souhaite que le gouvernement s’assure que les entreprises qui ont besoin de cette main-d’œuvre-là par l’entremise du PTET puissent avoir accès à cette main-d’œuvre, car parfois, il n’y a pas d’autres travailleurs disponibles. Cela se révèle encore plus vrai dans les régions, que ce soit au Québec ou ailleurs au pays; nos régions ont besoin de main-d’œuvre et ce sont souvent les travailleurs étrangers temporaires qui jouent le rôle de cette main-d’œuvre. Il y a beaucoup de travail à faire pour garder ces gens-là au pays et pour s’assurer que les entreprises aient accès à la main-d’œuvre issue de l’immigration, car ce n’est pas vrai qu’elles peuvent avoir tous les travailleurs dont elles ont besoin en comptant strictement sur les gens qui sont déjà au pays.
[Traduction]
M. Holmes : Je vous remercie de votre question.
Bon nombre de ces emplois sont saisonniers ou peuvent comporter des quarts de nuit. Il peut s’agir d’emplois qui n’intéressent pas la population canadienne ou qui se trouvent dans des endroits où il y a peu de main-d’œuvre. Voilà pourquoi, au fil du temps, nous avons développé des outils et des politiques qui permettent aux entreprises de trouver la main-d’œuvre dont elles ont besoin. Ce qui est paradoxal dans l’économie en ce moment, c’est que de nombreuses entreprises, surtout des PME, ont du mal à trouver le bon bassin de main-d’œuvre. Le système — le Programme de mobilité internationale et le Programme des travailleurs étrangers temporaires — peut-il être peaufiné et amélioré? Il devrait assurément faire l’objet d’un examen et être peaufiné. Toutefois, nous ne pouvons pas éliminer ces programmes. Ils sont essentiels à l’économie : l’économie de services; la construction, comme on l’a mentionné; et l’agroalimentaire.
À la Chambre de commerce du Canada, nous sommes d’avis que moins le gouvernement fédéral sera impliqué dans ce dossier, mieux ce sera; plus nous pourrons le transférer aux provinces, aux municipalités ou même aux employeurs, mieux ce sera. C’est à ce niveau que les décisions sont prises, et que l’on voit le mieux le véritable problème entre la main-d’œuvre et les talents qui sont disponibles et la population en général.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup.
Mes collègues ont posé de nombreuses questions intéressantes. J’ai une petite question afin de mieux comprendre cela, puis j’aurai une question pour le Conseil canadien des affaires en particulier.
Deux choses semblent faire l’unanimité dans vos présentations. La première est que l’environnement américain est très favorable à l’investissement, à l’innovation et à la productivité. En même temps, vous dites aussi que l’économie canadienne est très paresseuse, que nous nous fions trop aux Américains, que tout va aux États-Unis et que nous dépendons des Américains.
Je reviens tout juste des États-Unis. J’ai lu que le chômage est élevé, que le PIB réel est faible, qu’il y a une baisse des dépenses de consommation, que les marchés boursiers ont décliné, que la confiance des consommateurs est faible, que l’inflation est élevée et que les gens ne se sentent pas en sécurité. Donc, à quelle partie des États-Unis voulons-nous ressembler : celle qui est ouverte à l’investissement ou celle qui est sécuritaire? C’est ma première question.
M. DiCapua : Je vous remercie, sénatrice, de cette question.
Je conviens avec vous que l’économie américaine ne connaît pas une croissance très rapide actuellement. Au début de l’année, ainsi qu’à l’automne dernier, l’idée de l’exceptionnalisme américain était dans toutes les lèvres, mais les droits de douane auront pour effet de ralentir l’économie. On voit une inflation élevée. La Réserve fédérale n’abaissera pas les taux bien en deçà des taux actuels. Leur économie va donc ralentir. La croissance n’est que de 1,8 %, environ. Ce n’est pas beaucoup plus que la nôtre, mais ils investissent dans l’intelligence artificielle, discutent des bonnes choses et mobilisent le gouvernement fédéral et des capitaux privés en fonction de l’avenir.
Nous avons les discussions appropriées. Nous devons simplement harmoniser nos actions. Inciter le monde des affaires à cesser de penser aux États-Unis et à se tourner vers le Canada sera un combat de tous les instants pour nous. Nous avons maintenant l’occasion de le faire. Les gens considèrent les États‑Unis comme une source de risque, ce qui n’était pas arrivé depuis très longtemps.
La sénatrice Galvez : Monsieur Argitis, dans votre récent rapport intitulé « Vendre nos forces », la sixième recommandation au gouvernement fédéral est la suivante : « Assurer l’avenir de l’avantage du Canada en matière de faibles émissions de carbone ». Nous savons qu’un des projets est lié au gaz naturel liquéfié, ou GNL, mais la Chine et la Russie ont annoncé des accords d’approvisionnement de GNL à la Chine, et l’University College de Londres, ou UCL, estime que cela deviendra un actif standard. Qui investira là-dedans? Pourquoi les entreprises ne se bousculent-elles pas aux portes pour investir dans ce secteur maintenant? Pourquoi attendent-elles que le gouvernement investisse en premier?
M. Argitis : Je vous remercie de votre question.
Il y a beaucoup d’investissements dans le secteur du GNL — les vents y sont très favorables — et tout cela se passe aux États‑Unis. Les entreprises canadiennes investissent dans le secteur du GNL aux États-Unis, et nous devons assurer notre présence dans ce type d’économie. On ne parle pas seulement de l’utilisation des énergies conventionnelles, mais aussi de nouvelles énergies, avec l’intelligence artificielle et la gestion de l’énergie des centres de données. C’est une bonne partie de ces vents favorables. De nombreux investissements sont réalisés à l’échelle mondiale, mais pas ici au Canada.
[Français]
Le président : J’ai deux questions. Ma première s’adresse à M. Guénette. Vous avez identifié les questions de la paperasserie et de la quantité de textes réglementaires. Statistique Canada disait en 2021 qu’il y avait 321 000 textes réglementaires, et j’imagine que ce nombre n’a pas diminué. Le Secrétariat du Conseil du Trésor a lancé un examen administratif en juillet et produit un rapport préliminaire en septembre. Selon ce rapport, on a identifié 500 réalisations récentes de diminution réglementaire et de mesures visant à réduire la paperasserie.
Avez-vous été consultés? Avez-vous une liste de règlements ou de normes que vous identifiez comme étant non essentiels?
M. Guénette : Oui, nous avons une liste. Je ne sais pas si elle concerne exactement ce que vous venez de mentionner, mais nous avons identifié, au fil du temps, des examens de réglementations lourdes et inutiles.
En se penchant sur l’exercice qui a été fait récemment avec mes collègues, on a constaté qu’il y avait plusieurs actions que le gouvernement avait posées il y a plusieurs années. C’est comme un recyclage d’annonces qui avaient été faites il y a un certain nombre d’années. Nous n’avons pas été très impressionnés par ce qui avait été annoncé.
Le président : Bref, je comprends que vous n’avez pas été consultés. Deuxièmement, pourriez-vous nous envoyer votre liste? Nous aimerions non seulement des exemples, mais une liste exhaustive qui nous sera utile pour interroger nos futurs témoins.
M. Guénette : Oui, certainement, nous allons le faire avec plaisir.
Le président : Merci. On parle beaucoup de réduire notre dépendance aux États-Unis et du fait qu’on doit miser sur l’Europe. Vous avez soulevé plusieurs éléments latents dans les lacunes. La bureaucratie et le reste sont des éléments qui existaient, mais ils sont amplifiés désormais par le protectionnisme américain et les tarifs imposés. Je parle aussi de l’incertitude créée par ces tarifs, car je crois que l’incertitude est pire que les tarifs. Le gouvernement vous aide-t-il à aller vers l’Europe pour vous diversifier? Sentez-vous que des gestes précis sont posés? Avez-vous des suggestions précises à faire pour améliorer les choses? Les Européens nous invitent à leur envoyer notre énergie et ils nous disent qu’ils veulent faire affaire avec nous.
M. Guénette : Je peux peut-être répondre en une minute. Tout d’abord, sur la diversification, il existe différents services au gouvernement fédéral. En général, ils ne sont pas très bien connus des entrepreneurs. Améliorer la communication serait sûrement bénéfique pour un certain nombre d’entreprises qui veulent justement se diversifier, parce que ce qui existe actuellement est souvent mal connu.
Avant de céder la parole à mes collègues, j’ajouterais ce qui suit. Oui, la diversification est l’une des solutions à la situation tarifaire entre le Canada et les États-Unis, mais il faut du temps. On ne peut pas trouver des clients en Europe instantanément. Il faut faire des démarches et ce sont des choses qui prennent du temps. Il s’agit donc d’accompagner les entreprises et de les aider à trouver des clients. On avait l’habitude de transiger avec nos amis américains, mais s’il faut se diversifier, il faut y mettre du temps.
[Traduction]
M. Holmes : La semaine prochaine, je me rendrai au Royaume-Uni et à Bruxelles pour des représentants de chambres de commerce du Canada et de chambres de commerce binationales de partout en Europe. La semaine dernière, j’étais au Japon pour rencontrer des représentants de chambres de commerce canadiennes — de chambres binationales — de la région indo-pacifique dans le but de les regrouper et créer un réseau de services qui pourraient être offerts aux entreprises du monde entier dans les principaux marchés commerciaux. C’est important pour nous. Comme mon collègue l’a dit, cela ne se fera pas du jour au lendemain, et nous avons également besoin d’infrastructures commerciales pour atteindre ces marchés et y élargir nos activités.
[Français]
Le président : Merci beaucoup.
Honorables sénateurs et sénatrices, pour notre deuxième groupe, nous avons le plaisir d’accueillir par vidéoconférence, de l’Institut C.D. Howe, M. William Robson, président et chef de la direction. Nous accueillons également par vidéoconférence, du Centre for Future Work, Jim Stanford, économiste et directeur. Bonjour, monsieur Stanford. Nous accueillons également en personne Mme Armine Yalnizyan, économiste et titulaire de la bourse de recherche Atkinson sur l’avenir des travailleurs. Bienvenue, madame.
Merci d’avoir accepté notre invitation.
[Traduction]
William Robson, président et chef de la direction, Institut C.D. Howe : Bonjour, et merci de m’avoir invité. J’espère que mes réponses à vos questions vous aideront dans votre travail.
En guise de préparation pour cette discussion, j’aborderai rapidement cinq aspects pour lesquels le Canada doit se doter d’une politique budgétaire fédérale plus rigoureuse. Mes observations se rapprocheront peut-être davantage de celles du groupe de témoins précédent qu’à celles des autres témoins ici présents, M. Jim Stanford et Mme Armine Yalnizyan.
Parler de rigueur accrue sous-entend que l’approche récente à l’égard des finances fédérales a manqué de rigueur. À titre d’exemple, soulignons l’approche désinvolte à l’égard de la présentation de budgets, la priorité accordée aux phrases creuses plutôt qu’à la substance dans les budgets, l’accélération récente des dépenses et des emprunts, la politique fiscale populiste et la réticence à reconnaître les preuves irréfutables que l’absence de rigueur budgétaire nuit à notre rendement économique.
Je vais commencer par le moment du dépôt du budget. L’Institut C.D. Howe publie chaque année un rapport sur la responsabilité financière des grandes administrations publiques du Canada. Nous accordons une importance considérable à la ponctualité, car la présentation d’un budget ne devrait pas venir après le début d’un exercice financier, sinon le Parlement se trouve à approuver les dépenses après coup. Au cours des six exercices financiers depuis 2020-2021, le gouvernement fédéral n’a présenté qu’un seul budget avant le début de l’exercice financier. Il n’a présenté aucun budget en 2020, ce qui était sans précédent. Nous ne savons pas — du moins, je ne sais pas — ce qui est prévu pour le budget du 4 novembre, mais s’il porte sur l’exercice 2026-2027, nous aurons un budget avant cet exercice‑là, ce qui est bien, mais cela laisse entendre qu’il n’y aurait pas de budget pour 2025. Un véritable respect sérieux de l’intendance des finances publiques par le Parlement exige de faire mieux.
Quant au contenu du budget, notre rapport pose une question fort simple : dans quelle mesure les chiffres clés du budget sont‑ils accessibles? Tout utilisateur motivé peut-il les trouver facilement?
Dans les récents budgets fédéraux, le plan budgétaire s’est retrouvé enfoui dans une annexe de centaines de pages. La plupart des autres grandes administrations publiques le placent en première page, comme pour tout budget sérieux. L’explosion des dépenses et des emprunts fédéraux pose problème pour maintes raisons. Si je dis que cela ne fait pas sérieux, c’est que cela mine la crédibilité de la planification financière du fédéral.
Remontons à 2019. L’Énoncé économique de l’automne précédant le budget de 2020, que nous n’avons pas eu, prévoyait des dépenses de 421 milliards de dollars pour l’exercice 2024-2025. Deux ans plus tard, après les mesures liées à la COVID-19, l’Énoncé économique de l’automne 2021 prévoyait des dépenses de 465 milliards de dollars en 2024-2025. Encore deux ans plus tard, l’Énoncé économique de l’automne 2023 estimait les dépenses de l’exercice 2024-2025 à 523 milliards de dollars. Dans l’Énoncé économique de l’automne dernier, c’était 543 milliards de dollars. Nous n’avons pas encore les Comptes publics fédéraux, qui tendent à être publiés tardivement depuis un certain temps. Toutefois, lorsque nous aurons les chiffres, je ne serais aucunement surpris de voir les dépenses dépasser les 550 milliards de dollars. L’augmentation de 25 milliards de dollars des dépenses projetées chaque année démontre que le gouvernement lui-même prend ses projections budgétaires à la légère. Nous avons besoin de projections budgétaires que nous pouvons prendre au sérieux.
Sur le plan fiscal, une fiscalité rigoureuse permet de financer les services publics sans nuire indûment à la prospérité. Nous échouons lamentablement à cet égard : nos impôts sur le revenu et les investissements sont trop lourds; nos taxes à la consommation sont trop faibles; nous contractons des dettes qui garantissent des impôts plus élevés à l’avenir. À petite échelle, l’augmentation de l’impôt sur les gains en capital, qui ne s’est jamais concrétisée, creuse des trous dans la TPS. À cela s’ajoute l’incertitude actuelle entourant les retraits minimaux pour 2025 qui touchent les détenteurs d’un FERR. Lorsque l’on aborde la politique fiscale avec rigueur, on élabore les détails avant d’annoncer des changements et on examine l’incidence de leur raison d’être et de leur mise en œuvre sur la confiance. Nous avons besoin que le gouvernement fédéral présente une politique fiscale sérieuse.
Pour terminer, je dois faire un commentaire sur la tenue lamentable de la productivité et la stagnation du niveau de vie dont ont parlé les témoins précédents et mes amis David Dodge et Don Drummond dans le Globe and Mail d’aujourd’hui. J’utilise comme baromètre l’investissement par travailleur. Depuis une décennie, l’investissement des entreprises dans les bâtiments non résidentiels, la machinerie et l’équipement et les produits de propriété intellectuelle au Canada sont inférieurs à la dépréciation et à l’accroissement de la population. Le capital par travailleur est en baisse. Cela ne s’était jamais produit auparavant; il n’est donc pas étonnant que la productivité et les revenus réels ne soient pas en hausse. Ce n’est pas le cas ailleurs, en particulier aux États-Unis. J’ajoute une statistique frappante à celles que vous avez entendues ce matin : au deuxième trimestre, les entreprises américaines ont investi dans la machinerie et l’équipement, par travailleur, trois fois plus que les entreprises canadiennes. Les États-Unis sont à la fois notre plus important partenaire commercial et notre principal concurrent, et ils œuvrent à se moderniser tandis que nous tombons en décrépitude.
À mon avis, ce n’est pas une coïncidence si les investissements ont stagné alors que les dépenses et les emprunts gouvernementaux ont bondi et que la politique fiscale a été davantage axée sur le populisme que sur la prospérité. Il nous faut une politique budgétaire fédérale sérieuse qui s’attaque aux défis qui minent notre compétitivité et notre niveau de vie.
Je vous remercie encore de l’invitation à comparaître. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Français]
Le président : Merci beaucoup pour votre déclaration, monsieur Robson.
[Traduction]
Jim Stanford, économiste et directeur, Centre for Future Work : Merci beaucoup, honorables sénatrices et sénateurs.
En raison des attaques sans précédent menées par l’administration Trump aux États-Unis contre notre prospérité et notre souveraineté, l’économie canadienne se trouve aujourd’hui à un tournant historique, et le budget à venir sera un jalon important de notre réponse à ce défi. Ce n’est pas un budget habituel, et il ne peut être débattu et analysé dans l’optique habituelle. Les impératifs économiques que sont la défense de notre pays, la protection de nos industries et le soutien de nos collectivités doivent façonner les décisions prises dans ce budget.
Le rôle du gouvernement n’est jamais d’équilibrer ses livres. Le rôle du gouvernement est de faire tout ce qui est nécessaire pour protéger ses citoyens, un impératif qui est d’autant plus urgent actuellement. Cela ne signifie pas que l’équilibre budgétaire est sans importance, mais simplement que la question doit être comprise dans le contexte plus vaste de la mission et des responsabilités du gouvernement.
Comme on pouvait s’y attendre, le discours public au sujet du budget porte presque exclusivement sur la taille du déficit, ce qui n’est pas utile. Le déficit sera important, cela ne fait aucun doute, et il doit être important, en partie parce que le Canada est en voie d’entrer en récession — s’il ne l’est pas déjà, principalement en raison des attaques provenant du sud de la frontière, et que les déficits sont appropriés dans ce genre de situation —, mais surtout en raison des responsabilités considérables qui incombent au gouvernement en ce moment et dont le financement nécessitera manifestement un déficit, notamment le soutien aux industries exportatrices, les investissements en infrastructure, le renforcement du soutien au revenu comme l’assurance-emploi, les services publics pour les Canadiens qui en ont besoin, les dépenses de défense, etc. Ces choses doivent être faites. Comme Keynes l’a si bien démontré, si nous pouvons faire quelque chose, nous en avons les moyens.
Au 30 juin, la dette financière nette du gouvernement fédéral représentait 33 % du PIB. Le déficit cumulé, y compris le passif actuariel à la fin de l’exercice 2024, s’élevait à 42 % du PIB. Les déficits prévus pour le dernier exercice et l’exercice à venir devraient être de l’ordre de 2 % à 3 % du PIB. Il n’y a donc pas urgence. En effet, dans un contexte macroéconomique approprié caractérisé par une croissance raisonnable et des taux d’intérêt modérés, on pourrait enregistrer des déficits de cette ampleur chaque année tout en maintenant la stabilité du ratio de la dette au PIB, ce qui est un indicateur beaucoup plus pertinent de l’état des finances publiques que le montant des dépenses nominales ou le déficit nominal mesuré en milliards de dollars.
Au Canada, la dette publique est relativement moins importante que la dette privée. La dette des sociétés non financières représente 150 % du PIB. La dette des ménages canadiens représente 175 % de leur revenu disponible. Ils paient des taux d’intérêt plus élevés sur leur dette, ont une capacité moindre de gérer le contexte général dans lequel ils évoluent et leur situation financière est plus précaire que celle des gouvernements. Réduire la dette du gouvernement fédéral en transférant le fardeau fiscal aux ménages ou aux entreprises par des réductions des dépenses ou d’autres mesures aggrave la situation générale de la dette au lieu de l’améliorer. Le déficit et la dette du Canada sont moins élevés que ceux de la plupart des autres pays industrialisés, en particulier les États-Unis.
Pour ce qui est des commentaires de M. Robson, il y a quelques instants, concernant la hausse importante des investissements dans la machinerie et les technologies aux États‑Unis, c’est vrai, mais si cela découlait d’une probité financière, cela ne devrait pas se produire, car le déficit américain, les réductions d’impôts populistes et d’autres politiques fiscales incertaines — un manque de sérieux évident au sud de la frontière — auraient dû entraîner une baisse des investissements. Or, c’est le contraire qui s’est produit.
Dans ce contexte, j’estime nécessaire d’exprimer ma déception face aux récentes interventions du directeur parlementaire du budget par intérim, M. Jacques. Son affirmation selon laquelle le Canada frôle la crise financière et la situation budgétaire du gouvernement fédéral est stupéfiante et choquante est fausse sur les plans économique et historique et, franchement, irresponsable. Son mandat consiste à fournir aux parlementaires des informations impartiales sur les questions budgétaires, mais ses observations, tant leur contenu que leur formulation, ont versé dans le plaidoyer et nui à la tenue d’un discours éclairé sur les politiques. Il devrait corriger le tir, car ces déclarations minent la crédibilité de tout ce qui sortira de son bureau à l’avenir.
Je suis très favorable à l’idée de traiter séparément les investissements et les dépenses courantes dans la politique et la planification budgétaires. Dans une certaine mesure, nous le faisons déjà, bien sûr, entre autres avec la comptabilité d’exercice, mais une ventilation plus claire des dépenses en capital et des dépenses courantes est utile, notamment afin que les Canadiens puissent mieux comprendre la raison d’être et l’importance de la dette publique dans le contexte des investissements. Toutefois, cette distinction entre investissement et épargne ne justifie pas des mesures d’austérité dans les dépenses de programmes actuelles. Au contraire, traiter les investissements publics comme un pilier distinct de la politique budgétaire offre une marge de manœuvre accrue sur les plans budgétaire et politique pour maintenir le soutien fédéral aux programmes courants, et non l’inverse.
En résumé, il faudra un ensemble de mesures urgentes pour renforcer l’économie canadienne face à la guerre commerciale menée par M. Trump, et ces mesures nécessiteront toutes du gouvernement fédéral une intervention plus énergique et déterminée, et des dépenses fédérales plus importantes. Il s’agit de priorités historiques. Le gouvernement fédéral a une capacité financière amplement suffisante pour s’acquitter de sa responsabilité de guider le Canada vers un nouveau chapitre de son histoire économique.
Merci beaucoup. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Français]
Le président : Merci beaucoup.
Armine Yalnizyan, économiste et titulaire de la bourse de recherche Atkinson sur l’avenir des travailleurs, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui alors que vous étudiez l’état de l’économie canadienne et les défis auxquels fait face le budget fédéral canadien.
[Traduction]
Je suis économiste. Je suis l’ancienne présidente de l’Association canadienne de science économique des affaires, et titulaire de la bourse de recherche Atkinson sur l’avenir des travailleurs.
Cet été, j’ai présenté des recommandations prébudgétaires au ministère des Finances et au Comité permanent des finances de la Chambre des communes. En tête de ma courte liste, j’ai présenté des arguments appuyant trois réformes essentielles de l’assurance-emploi alors que nous nous dirigeons vers une récession. J’ai donné une copie à votre greffière à titre d’information.
Cependant, ma présentation d’aujourd’hui ne sera pas axée sur les questions prébudgétaires. Elle vise à vous aider à comprendre le contexte dans lequel le budget du 4 novembre sera présenté. Aujourd’hui, je vais me concentrer sur le moteur économique qui est entièrement de notre ressort — l’économie des soins — et les mesures que vous pouvez prendre, dans vos sphères de compétence respectives à titre de sénateurs, pour éviter une crise de plus en plus profonde qui nous touche tous, directement ou indirectement. Elle façonne notre économie future.
L’économie des soins comprend deux catégories industrielles de Statistique Canada : soins de santé et assistance sociale, et éducation. L’économie des soins comprend tout, de la garde d’enfants à l’enseignement postsecondaire en passant par les soins de santé et les soins de longue durée. Elle comprend les dépenses publiques et privées. L’économie des soins n’est pas un élément souhaitable de l’économie, mais un élément indispensable. La manière dont nous prenons soin des autres ou non accroît ou mine, selon le cas, notre potentiel économique et notre productivité.
Les soins consomment des ressources publiques, mais ils favorisent aussi la richesse publique en améliorant le bien-être, les compétences et l’ingéniosité du principal facteur de production qui génère le PIB : les gens. Ce sont les Canadiens qui ont créé la neuvième économie la plus importante de la planète.
La stratégie industrielle qui est élaborée pour protéger notre souveraineté économique a omis un élément très important : l’économie des soins. C’est une erreur. Statistique Canada en tient compte dans la base industrielle du Canada; le gouvernement devrait lui aussi en tenir compte, tout comme vous, parce que l’économie des soins est une puissance économique. Elle représente 13,6 % du PIB du pays. C’est le secteur le plus important. Son concurrent le plus proche est l’immobilier, qui se situe à 13,2 %, et comme nous l’avons appris très douloureusement, il ne faut pas que ce secteur soit le moteur de notre économie.
L’économie des soins produit une fois et demie plus de PIB que l’ensemble du secteur manufacturier. Elle est presque deux fois plus importante que le secteur de la construction industrielle et résidentielle, et près de trois fois plus importante que le PIB généré par toutes les formes d’exploitation minière, d’exploitation en carrière et d’extraction, y compris — sans s’y limiter — le pétrole et le gaz. C’est aussi la plus grande source de revenus gagnés pour les Canadiens. Plus d’un emploi sur cinq sur le marché du travail canadien fait partie de l’économie des soins. C’est presque deux fois plus que le deuxième secteur le plus riche en emplois, à savoir le commerce de détail.
Comme la croissance réelle dépassera à peine 1 % cette année et l’an prochain, selon le directeur parlementaire du budget, la restriction des dépenses publiques en matière de soins obligera certaines personnes à réduire leurs heures de travail rémunéré cette année pour prendre soin de personnes trop âgées, trop jeunes ou trop malades pour pouvoir prendre soin d’elles-mêmes. Cela aggravera ce qui semble être une récession inévitable, que nous découvrirons le 28 novembre. La production potentielle pourrait être réduite pour les années à venir.
La demande de services comme la garde d’enfants, les soins de santé et les soins de longue durée augmente plus rapidement que l’économie dans son ensemble. La situation se produit dans toutes les régions du monde où il y a eu un baby-boom après la Seconde Guerre mondiale. Les investisseurs l’ont remarqué. Ils considèrent l’économie des soins comme une source de plus en plus rare de croissance de la demande organique. Ils y voient des flux de trésorerie prévisibles soutenus par le gouvernement associés à des dépenses publiques. Si l’on se fie à l’expérience des citoyens aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe, les Canadiens finiront par payer plus et recevoir moins pour les dépenses publiques si le gouvernement ne balise pas mieux cet investissement.
Les agences de dotation en personnel infirmier et la privatisation croissante des soins font grimper les coûts publics sans améliorer ni la quantité ni la qualité des soins. La prolongation des délais d’attente entraîne une augmentation des dépenses personnelles pour les services de santé, et cette augmentation fait partie des facteurs de l’inflation qui se sont le plus accrus depuis l’année dernière.
Les ménages et les gouvernements gaspillent de l’argent inutilement. Même si l’abordabilité et les restrictions budgétaires demeurent les principales préoccupations, nous avons besoin d’une stratégie industrielle qui tient compte de l’économie des soins. Il est très important que le gouvernement se concentre sur l’augmentation des investissements pour pouvoir maintenir la capacité de production canadienne et réaliser des gains d’efficacité, mais cette stratégie doit être nuancée. Les mesures de protection relatives aux investissements privés dans les soins peuvent éviter une augmentation inutile des coûts privés et publics. Des investissements publics accrus dans la prestation de soins de haute qualité et à faible coût peuvent stimuler la productivité et la croissance.
Je conclurai en soulignant que les comités sénatoriaux ont toujours eu des réflexions très approfondies sur les questions de politique publique de l’heure. Je vous demande de poursuivre cette tradition en lançant une enquête sénatoriale sur la croissance et le financement de l’économie des soins.
[Français]
Le président : Merci beaucoup.
Je dois vous aviser que M. Robson était avec nous, mais il a dû nous quitter. Il semble qu’il y ait un enjeu. Il y avait une alarme incendie à l’endroit où il se trouvait. S’il revient, on pourra garder quelques questions pour lui.
Le sénateur Forest : J’avais une question brûlante pour lui, mais je vais attendre.
Ma question s’adresse à M. Stanford.
Dans le cadre de nos travaux, on a surtout entendu parler d’un appel à plus de responsabilité fiscale de la part du gouvernement, et avec raison. Cependant, il m’apparaissait intéressant de vous avoir ici aujourd’hui pour que l’on parle des travailleurs et des mesures qui devraient être mises en place pour mieux les protéger, ainsi que les PME, dans un contexte commercial difficile. Des secteurs entiers de notre économie sont appelés à se transformer, compte tenu de ce que l’on vit actuellement.
Dans le cadre du budget, quelles sortes de programmes et de mesures attendez-vous pour aider les travailleurs et les industries touchés par cette guerre commerciale?
[Traduction]
M. Stanford : Je vous remercie pour votre question, sénateur.
L’aide aux industries exportatrices touchées par les droits imposés par M. Trump — et d’abord et avant tout aux travailleurs — doit passer par le renforcement du régime d’assurance-emploi. Je suis d’accord avec Mme Yalnizyan à ce sujet. Notre régime n’est pas assez solide. Il est trop difficile d’y avoir accès. Une grande partie des chômeurs, en particulier les jeunes, ne peuvent recevoir aucune prestation. Le niveau des prestations est très bas. La période d’attente et l’interaction entre les prestations d’assurance-emploi et la participation à des programmes de recyclage ou de formation professionnelle représentent des problèmes. Nous voulons encourager les gens à se former, mais les règles de l’assurance-emploi les en découragent en ce moment. De nombreux changements ont été proposés. Le Congrès du travail du Canada a un programme de réformes du régime d’assurance-emploi très bien élaboré. Je félicite le gouvernement pour certains des changements qu’il a apportés depuis le début de la guerre commerciale de M. Trump, notamment en éliminant la période d’attente dans les industries touchées. Je dirais que l’assurance-emploi est la grande priorité en vue de fournir un soutien aux travailleurs.
Il faut aussi soutenir les industries, bien sûr. Le gouvernement prend certaines mesures, comme la récente aide financière accordée à Algoma Steel. Nous aurons besoin d’un soutien important pour l’industrie automobile et pour d’autres industries à forte valeur ciblées par M. Trump.
Je tiens à souligner la tendance relative aux droits imposés par M. Trump, en particulier ceux de l’article 232, ceux qui ne sont pas réduits par la conformité en vertu de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique en place. Ces industries subissent tout le poids de ses droits de douane, et elles ont toutes ceci en commun : elles sont toutes des exemples de réussite dans l’économie industrielle, sont toutes du domaine de la haute technologie et ont toutes une forte valeur. Elles sont surtout des domaines des métaux primaires, de l’automobile, des camions lourds — depuis hier —, de l’aérospatiale, des produits pharmaceutiques et de la machinerie industrielle. Ce sont ces industries qui nous permettent de transformer nos ressources en produits de grande valeur, et c’est ce que vise M. Trump. Il est absolument impératif que nous préservions l’empreinte de ces industries et que nous les aidions à faire la transition vers un monde moins dépendant des marchés américains.
La sénatrice Ross : Vous avez fait des recommandations générales et prébudgétaires aux gouvernements au nom des organisations et intervenants que vous représentez. J’aimerais savoir quel est selon vous le changement économique ou fiscal le plus important que vous ayez recommandé au gouvernement de mettre en œuvre. Madame Yalnizyan, j’aimerais commencer avec vous. Vous avez parlé de trois réformes cruciales de l’assurance-emploi. Est-ce la recommandation la plus importante à votre avis?
Mme Yalnizyan : Il faut régler les problèmes de l’assurance‑emploi immédiatement. Nous ne sommes pas prêts pour une récession. Nous allons voir le 28 novembre. Je suis d’accord avec M. Stanford à certains égards. Je vous encourage à examiner les recommandations que j’ai présentées dans mon mémoire au Comité des finances de la Chambre des communes de même que dans le cadre des consultations prébudgétaires du ministère des Finances. Je ne vais pas en parler plus longuement, parce que ces recommandations sont faciles à suivre et à préconiser.
Ce qui est plus difficile, c’est de comprendre l’importance de l’économie des soins et de comprendre que si nous ne faisons pas les choses correctement, ce qui est aujourd’hui une puissance économique hypothéquera plus tard les personnes, les ménages et l’économie dans son ensemble. On considère souvent l’économie des soins comme une bonne chose à faire. L’accord pancanadien sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants nous a permis de constater que le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral est associé à une grande force financière lorsque des conditions y sont rattachées. Nous savons que les gouvernements qui n’ont pas respecté les ententes qu’ils avaient signées avec le gouvernement fédéral ont connu une explosion des soins à but lucratif. Nous avons vu ailleurs dans le monde que lorsque les établissements à but lucratif s’emparent du marché, les gens paient plus cher et obtiennent moins de services. De plus, la qualité des emplois se dégrade et ils perdent de la valeur. J’ai dit plus tôt que 21,5 % de tous les emplois au Canada se trouvaient dans l’économie des soins... Les ratios de dotation sont plus faibles; les taux de révocation et de rejet augmentent alors que nous avons besoin des soins. Les conditions de travail sont le reflet des conditions de soins. Il faut faire attention à ce que l’on souhaite lorsqu’il est question d’investissements.
Je vous encourage à lire mon mémoire prébudgétaire au ministère des Finances, où je présente six mesures qui peuvent être prises en ce qui a trait à l’économie des soins, dont certaines n’entraînent aucun coût. On a beaucoup insisté plus tôt pour dire que la réglementation était terrible et qu’il fallait s’en débarrasser. Sans règlements, nous allons payer plus et obtenir moins. Il y a un moyen pour que le gouvernement fédéral restreigne la part du marché des fournisseurs de soins privé et ce qu’ils peuvent faire pour répondre aux besoins en dotation, et ce, sans frais. Je vous invite à y jeter un coup d’œil.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Madame Yalnizyan, vous parlez avec beaucoup d’emphase et de connaissance de ce secteur, de cette économie des soins. J’y crois beaucoup. On a tendance à la sortir de l’économie, alors qu’il y a là une force de travail importante pour ce qui est de l’éducation, des soins aux enfants, des soins aux personnes âgées et surtout de la santé. Ce sont surtout des femmes qui travaillent dans ce secteur, donc il y a là un angle féministe intéressant.
Vous dites qu’il faut investir, mais il y a aussi dans ce secteur un manque de flexibilité et des problèmes de rigidité de la main‑d’œuvre. Cela fait qu’au Québec, par exemple, on a recours au privé pour des chirurgies et à des agences, donc ce n’est pas le paradis auquel on peut penser. Oui, les gens travaillent fort, mais il y a des rigidités et un manque de flexibilité dans le système qui augmentent les coûts. Diriez-vous qu’il faut procéder à des réformes dans le secteur ou simplement y investir davantage?
Mme Yalnizyan : Les deux. Merci pour la question, sénatrice.
[Traduction]
Tout d’abord, je tiens à préciser que les femmes sont les travailleuses prédominantes de l’économie des soins. Elles représentent la moitié de la masse salariale. Si nous ne réglons pas le problème de l’économie des soins — et que les gens ne peuvent pas trouver les services de garde à long terme ou les soins de santé dont ils ont besoin —, nous allons réduire la productivité de la main-d’œuvre en général parce que les gens feront moins de travail rémunéré ou n’arriveront pas à se concentrer sur ce travail. C’est un problème qui touche l’ensemble de l’économie.
Pour ce qui est des investissements, on ne peut pas en avoir plus sans payer plus. C’est impossible. La seule question à se poser est donc la suivante: allons-nous payer plus de notre poche pour que certains d’entre nous puissent en obtenir plus, ou allons-nous payer plus collectivement par l’entremise d’investissements publics? Pour y arriver, il faudra assortir la dotation de conditions et reconnaître les travailleurs formés à l’étranger.
On a parlé plus tôt de l’importance des travailleurs étrangers temporaires, particulièrement au Québec. Nous n’avons pas de voie d’accès à la résidence permanente pour ces travailleurs. Les groupes de la construction et de la santé ont été cloisonnés lorsque des changements ont été apportés dans ce dossier. C’est de la folie. Nous n’avons pas les ressources humaines nécessaires pour faire un travail qui leur permettrait de rester au pays.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que vous reconnaissez qu’il y a un problème de souplesse, ou est-ce que vous dites...
Mme Yalnizyan : De la part de qui?
La sénatrice Miville-Dechêne : Au sein des systèmes, qui sont hautement syndiqués. Il est difficile de déplacer un travailleur au sein du système de santé. Il y a de nombreuses mesures bureaucratiques qui le rendent compliqué. Le gouvernement provincial du Québec est aux prises avec cela. Il a mis en place une agence pour tenter d’accroître la fluidité. Ce système n’est pas parfait. C’est ce que je veux dire.
[Français]
Le président : Je m’excuse, mais je suis obligé de donner trois minutes seulement à chaque sénateur. C’est sûr que si on fait de grandes introductions, cela affecte les délais.
[Traduction]
Le sénateur Gignac : Ma question s’adresse à M. Stanford, du Centre for Future Work. Sur votre site Web, vous faites valoir que le Canada a un solde d’investissement étranger positif de 1,6 billion de dollars avec les États-Unis. C’est ce que vous avez dit aussi lors d’une conférence à laquelle j’ai assisté récemment. Vous avez dit que les fonds de pension pouvaient jouer un rôle à cet égard. Pourriez-vous nous en dire plus?
M. Stanford : Oui. Nous avons fourni des renseignements généraux sur le changement intéressant et, à mon avis, sous‑estimé dans la nature de nos relations en matière d’investissement étranger avec le reste du monde en général, mais avec les États-Unis en particulier.
Contrairement aux périodes précédentes de l’histoire du Canada où nous dépendions des capitaux américains pour aider au développement de nos industries, la situation a complètement changé depuis la dernière génération. Au cours des 10 dernières années, le solde d’investissement étranger avec les États-Unis a été positif et a connu une croissance assez importante, atteignant maintenant un montant net de 1,6 billion de dollars. Cela signifie que les Canadiens ont investi plus d’argent aux États-Unis que les Américains n’en ont investi au Canada, à hauteur de 1,6 billion de dollars. C’est le reflet de toutes sortes de changements dans les décisions d’investissement individuelles, les investissements institutionnels et nos régimes de retraite. Même le Régime de pensions du Canada réalise la moitié de ses investissements aux États-Unis.
À un moment où nous avons besoin de plus de capitaux au Canada pour développer nos infrastructures en vue de soutenir nos industries d’exportation face à la guerre commerciale de M. Trump, il semble approprié de songer à des façons d’attirer ces capitaux chez nous. Je crois que le monde des placements de retraite est particulier, parce qu’il faut s’assurer que les fiduciaires obtiennent un rendement sain, mais je crois aussi qu’il y a des façons de mettre en commun les réformes selon certains des paramètres qui régissent les placements de fonds de pension, y compris le Régime de pensions du Canada, mais aussi les régimes de retraite professionnels afin qu’une plus grande part de capitaux serve à la tâche colossale qu’est l’investissement au Canada.
[Français]
Le président : Il est intéressant que vous veniez de parler du Régime de pensions du Canada (RPC). Pour faire le lien avec les soins, le RPC investit dans les soins en Europe, mais pas au Canada. C’est assez particulier.
M. Robson est de retour. C’était une fausse alerte, j’imagine.
[Traduction]
M. Robson : C’était une fausse alerte, oui.
[Français]
Le président : Je suis bien content de vous revoir. J’invite les sénateurs à vous poser des questions, s’ils en ont.
[Traduction]
La sénatrice MacAdam : Monsieur Robson, le gouvernement mettra en place un nouveau cadre de budgétisation des immobilisations et fera une distinction entre les dépenses de fonctionnement quotidiennes et les investissements en capital. Le communiqué de presse du ministère des Finances fait référence aux pratiques exemplaires d’autres économies avancées. Je me demande si vous pouvez nous dire quelles économies utilisent ce genre de cadre de budgétisation des immobilisations.
Connaissez-vous un cadre généralement accepté pour catégoriser les différents types de dépenses liées à la formation de capital? Je connais bien les normes comptables du secteur public, alors je sais que c’est différent.
J’aimerais enfin que vous nous parliez de la confusion possible que pourrait créer le recours aux normes comptables pour le secteur public afin de déterminer l’état des opérations et le déficit accumulé, d’une part, et la présentation d’un autre chiffre ensuite... Parce que le gouvernement s’est engagé, après trois ans, à équilibrer les dépenses de fonctionnement quotidiennes. Il pourrait y avoir deux chiffres différents qui circulent; l’un serait vérifié et l’autre non... Du moins, c’est ainsi que je l’interprète pour le moment.
Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez?
M. Robson : Merci. Vous connaissez les normes comptables pour le secteur public. Pour ceux qui ne les connaissent pas, je dirais qu’elles illustrent assez bien ce que sont les pratiques exemplaires internationales en la matière. Elles sont très bien pensées, très bien articulées et très bien respectées. C’est un grand atout pour nous.
Je pourrais dire qu’à bien des égards, le principe directeur veut que le déficit ou le surplus accumulé doive être une mesure utile de la capacité d’un gouvernement à fournir des services. C’est l’une des raisons pour lesquelles je pense qu’il est logique de se concentrer davantage sur le résultat net que certains autres témoins ne l’ont peut-être indiqué. Ce n’est pas parfait. On pourrait se demander s’il n’y a pas une meilleure façon de faire, mais le but est de mesurer la capacité de notre gouvernement à fournir des services, et lorsque le bilan est négatif, cela donne à penser que cette capacité se détériore, ce qui suppose des impôts plus élevés à l’avenir pour un niveau de services donné.
Comme vous le savez, sénatrice, les normes comptables du secteur public au Canada tiennent compte de l’amortissement du capital, de sorte que les investissements en capital, l’utilisation du capital et l’amortissement du capital sont déjà pris en compte et intégrés adéquatement dans les états financiers du gouvernement. Cela me semble assez clair. Ainsi, lorsqu’on emprunte pour investir dans un bien durable comme une infrastructure, le montant ne figure pas immédiatement dans le déficit, mais il sera comptabilisé comme une dépense au fil du temps, à mesure qu’on tire parti de l’utilité de l’actif.
Je ne comprends pas exactement ce que le gouvernement a en tête lorsqu’il parle d’un budget distinct pour les immobilisations et les dépenses de fonctionnement. Je pense que cette idée va semer la confusion. Je pense que la définition potentielle des dépenses liées aux immobilisations dans le cadre budgétaire du gouvernement fédéral serait si large qu’elle serait non pas dénuée de sens, mais elle n’aiderait certainement pas à comprendre ce qui permet vraiment de créer une immobilisation. Je reste donc sur mes gardes. Le cadre comptable actuel est excellent, et nous devrions faire de notre mieux pour nous y conformer, et veiller à ce que la population le comprenne mieux et à ce que le gouvernement l’utilise comme ligne directrice pour sa politique budgétaire. En effet, je pense que ce cadre est bel et bien une ligne directrice.
La sénatrice Kingston : Ma question s’adresse tout d’abord à Mme Yalnizyan, et je demanderai peut-être aussi à M. Stanford d’y réagir si le temps le permet.
J’ai déjà lu que le filet de sécurité sociale du Canada et d’autres politiques sociales telles que les services de garde d’enfants peuvent être considérés comme un atout pour attirer des investissements au Canada. En outre, j’ai remarqué que M. Stanford a parlé par le passé d’autres paramètres pour mesurer le niveau de vie et le bien-être et a comparé le Canada aux États-Unis, en particulier, en utilisant ces paramètres. Pourriez-vous commenter cette vision d’ensemble, selon laquelle nous pourrions considérer l’économie des soins comme un atout pour attirer les investissements?
Mme Yalnizyan : Tout à fait, et je vous remercie de la question et de votre effort pour prononcer mon nom.
Prenons l’exemple du secteur automobile. Nous avons un grand nombre d’excellentes usines au Canada, notamment parce que notre productivité est bien supérieure à celle des États-Unis : notre main-d’œuvre est mieux formée et en meilleure santé que chez nos voisins du Sud. Cette réalité est en partie attribuable aux soins de santé universels. Cette universalité des soins réduit les coûts pour les fabricants américains en sol canadien qui doivent payer des prestations d’assurance privée aux États-Unis. Voilà donc un microcosme qui illustre votre propos.
Je tiens à préciser que le secteur à but non lucratif vient en aide à un très grand nombre de personnes qui passent entre les mailles du filet de notre système de protection sociale de plus en plus défaillant, et qu’il n’y a actuellement pas d’argent pour l’aider. D’ailleurs, je prononcerai ce soir un discours lors d’un sommet sur les données organisé pour le secteur caritatif et je m’adresserai jeudi à Imagine Canada. Les organismes ont du mal à venir en aide au nombre croissant de personnes sans abri et souffrant d’insécurité alimentaire — certains de leurs propres employés vivent dans ces conditions —, et nous traitons ce secteur comme s’il n’avait aucune importance. Si nous ne réformons pas des programmes comme l’assurance-emploi, les personnes qui touchent un salaire annuel de plus de 100 000 $ vont perdre leur capacité à refinancer leur hypothèque cette année. Elles perdront leur maison et devront se tourner vers le marché locatif.
Alors que la guerre commerciale se poursuit, les employés qui travaillent actuellement dans les secteurs du détail et de l’hôtellerie — où les salaires sont légèrement supérieurs au salaire minimum — vont toucher 55 % d’un salaire légèrement supérieur au salaire minimum. Ils risquent de perdre leur logement locatif, sans avoir un autre endroit moins cher où aller. Si nous ne réformons pas l’assurance-emploi, nous allons assister à une cascade de bouleversements économiques que le secteur à but non lucratif sera appelé à tenter de panser, alors qu’il perd à la fois des dons et des bénévoles. Je lui souhaite la meilleure des chances.
Nous pouvons y arriver. Nous avons montré au monde entier que, à vrai dire, l’entraide favorise la croissance économique, comme nous le constatons principalement dans les pays scandinaves. Or, le secteur est à bout de souffle en ce moment. Il n’incarne pas nécessairement la solution, comme c’était le cas par le passé, principalement pour certaines des raisons qu’a évoquées la sénatrice Miville-Dechêne et que l’on constate au Québec et partout ailleurs au pays. Nous assistons à l’effondrement du système, et la seule solution est de payer de notre poche, car il n’y a pas de soins. Les soins ne sont pas accessibles en temps opportun. Les coûts vont augmenter et la situation va empirer pour nous tous.
La sénatrice Hébert : Ma question s’adresse à M. Robson. Vous avez demandé que le gouvernement adopte une politique budgétaire rigoureuse. Pouvez-vous nous dire quelles sont, selon vous, les trois conditions principales à remplir pour considérer que notre politique budgétaire soit rigoureuse?
M. Robson : Eh bien, merci de cette invitation.
J’ai mentionné dans ma déclaration deux points qui peuvent sembler un peu superficiels : le calendrier budgétaire et la présentation des nombres budgétaires. Je pense que ces petits détails en disent long sur l’approche d’un gouvernement. Si le nouveau cadre qui vient d’être annoncé fait en sorte que les budgets d’automne seront prêts, disons, en décembre pour l’année à venir, ce sera un grand pas en avant. Un tel calendrier témoignerait d’un plus grand respect pour le Parlement et sa gestion des deniers publics.
J’ai mentionné ce qui peut sembler être une question superficielle, mais pouvez-vous trouver les nombres? Si vous examinez les budgets fédéraux récents, vous constaterez que cela s’avère très difficile. Dans les budgets de territoires comme le Yukon ou de provinces comme la Saskatchewan, en revanche, les nombres sont clairement indiqués.
À l’heure actuelle, on ne sait pas encore très bien quel sera le lien entre le Budget principal des dépenses et le plan budgétaire. Dans de nombreuses provinces, le budget des dépenses et le plan budgétaire sont présentés simultanément, ce qui permet de faire des liens entre eux. Le gouvernement fédéral ne procède pas ainsi, alors qu’il devrait vraiment le faire.
En ce qui concerne la direction de la politique budgétaire et les enjeux importants, je ne veux pas donner une réponse trop longue. Je voudrais voir un retour à l’équilibre budgétaire. Je pense qu’il n’y a d’autre choix que de réfléchir sérieusement à l’essentiel : vaut-il mieux dépenser un dollar pour ceci ou cela? Ou encore, s’il faut générer un dollar de recettes, quelles recettes choisir? Il ne faut pas simplement emprunter et repousser le remboursement à plus tard.
Pour relancer l’économie, je privilégierais une mesure assez radicale à court terme. Je ne pense pas que nous serons en mesure de mener à bien une réforme fiscale globale, comme l’ont évoqué certains intervenants pendant la séance précédente, dans les délais nécessaires compte tenu des pressions concurrentielles que nous subissons auprès des États-Unis. Une mesure que nous pourrions prendre à très court terme avec une grande confiance et qui aurait l’effet escompté est de créer un crédit d’impôt à l’investissement. La mesure coûterait certes cher au Trésor public, mais elle aurait certainement un effet choc et aiderait de nombreuses entreprises à s’outiller, ce dont nous avons grandement besoin en ce moment.
J’espère avoir bien répondu à votre question.
La sénatrice Hébert : Vous avez en partie répondu à ma question suivante lorsque vous avez parlé du crédit d’impôt à l’investissement. Diriez-vous que le manque de prévisibilité nuit gravement à la capacité du Canada et de nos entreprises d’attirer les investissements étrangers?
M. Robson : Oui, je pense que c’est le cas. Il est certain que l’agressivité sur le plan commercial démontrée par l’administration Trump a amplifié cette problématique. Nous ne pouvons pas faire grand-chose directement contre cette agressivité commerciale, mais nous pouvons améliorer notre environnement économique à l’échelle nationale. Au cours de la séance précédente, quelqu’un a fait remarquer qu’il était difficile de distribuer des fonds par l’intermédiaire d’agences de développement régional ou d’autres mécanismes où les délais sont longs et les décisions incertaines. L’un des aspects que j’apprécie dans une mesure fiscale à large assiette, c’est qu’elle s’applique à tout le monde, qu’elle prend effet immédiatement et que nous pouvons être assez certains de ses effets. Ce type de certitude serait très bienvenu pour les entreprises et les particuliers canadiens en ce moment.
La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à M. Stanford. Nous attendons le budget qui sera présenté en novembre, et nous savons qu’il y aura des fonds pour le projet de loi C-5, les projets d’intérêt national. J’ai une question concernant la différence exacte entre un investissement, une subvention, et une dépense. Par exemple, le projet TMX a été présenté par le gouvernement comme un investissement, mais nous avons appris par la suite que ce pipeline ne serait pas vendu et que nous allions perdre de l’argent. Au final néanmoins, ce projet sera considéré comme une subvention au secteur pétrolier et gazier. Bref, pourriez-vous clarifier la différence entre investissements, subventions, et dépenses?
M. Stanford : C’est une bonne question. Puisqu’il s’agit d’investissement, cela me donne l’occasion de rebondir sur le commentaire de M. Robson au sujet du crédit d’impôt à l’investissement. C’est un sujet sur lequel lui et moi sommes d’accord. Je conviens qu’un crédit d’impôt à l’investissement serait une mesure immédiate et importante pour stimuler l’investissement au Canada, qui a été trop faible.
En ce qui concerne les grands projets de construction nationaux, nous disposons, comme l’a souligné M. Robson précédemment, de normes comptables qui définissent clairement ce qu’est un investissement en matière d’actifs. L’avantage, pour la politique budgétaire, de considérer conceptuellement les investissements en capital comme distincts des dépenses courantes est qu’il permet d’affirmer que même les investissements publics financés par la dette dans des actifs productifs à longue durée de vie peuvent en réalité être assez neutres sur le plan budgétaire. Vous ajoutez évidemment un passif à votre bilan, mais vous ajoutez également un actif. L’impact sur le déficit courant est faible. En fait, s’il s’agit d’un actif susceptible d’améliorer la capacité et la production de l’économie à l’avenir. Ainsi, les retombées positives de cet investissement contribueront à payer ou à compenser les intérêts encourus pour réaliser le même investissement. C’est pourquoi je pense que, d’un point de vue conceptuel, la budgétisation des investissements est tout à fait logique, même si, comme l’a souligné M. Robson, nous disposons de normes comptables qui établissent ces distinctions.
Selon ce qu’en disent les comptables, un investissement dans un actif est quelque chose qui dure pendant une certaine période, au cours de laquelle l’actif est amorti. Lorsque le soutien à un actif se transforme en subvention, comme vous l’avez souligné avec le pipeline TMX, c’est comme si vous investissiez dans quelque chose qui ne rapporte pas ce que vous pensiez ou ce qui avait été annoncé au départ. Dans ce cas, votre investissement dans un actif ne génère pas de rendement, mais une perte. Il peut s’agir simplement d’un investissement qui ne porte pas ses fruits, ou d’une subvention délibérée. Dans le cas de ce pipeline, et en fait des futurs pipelines pétroliers s’ils font l’objet de discussions, il y a une importante composante de subvention, car les composantes de base du secteur privé ne suffisent pas pour ces projets.
Bien que je soutienne la notion de budgétisation des investissements en capital, il est évident que nous devons veiller à ce qu’elle ne soit pas utilisée à mauvais escient.
Le sénateur Loffreda : Je tiens tout d’abord à saluer la présence parmi nous aujourd’hui de deux lauréats récents du prix Galbraith, qui récompense les contributions exceptionnelles à l’économie, à savoir Mme Yalnizyan et M. Stanford. Félicitations à vous deux, c’est un privilège de vous avoir parmi nous aujourd’hui.
Madame Yalnizyan, vous avez fait ce matin des observations éloquentes concernant l’économie des soins : 13,6 % de notre PIB, et, avec 13,2 %, l’immobilier occupe la deuxième place dans notre économie. Le Canada représente la neuvième économie mondiale, c’est donc important. Mais les remarques auxquelles je fais référence sont celles que vous avez faites en 2024 lorsque vous avez reçu votre prestigieux prix. Vous avez longuement parlé de l’économie des soins, la décrivant comme le fondement de l’économie au sens large et suggérant qu’elle a le potentiel de faire advenir la classe moyenne du XXIe siècle, tout comme l’industrie manufacturière l’a fait au XXe siècle. Mais vous avez exprimé des inquiétudes quant au rôle croissant des fonds d’investissement privés dans l’économie des soins et à ce que vous avez appelé la montée en puissance des grands propriétaires au sein de divers secteurs. Au bénéfice des travaux du comité, ainsi que pour ma propre compréhension, pourriez‑vous développer votre point de vue sur l’économie des soins et expliquer pourquoi vous vous inquiétez de la voir de plus en plus soumise aux forces du marché, ainsi que les garde-fous ou les conditions que vous recommanderiez?
Mme Yalnizyan : Je vous remercie de la question, sénateur.
Je n’aurai probablement pas le temps d’y répondre et d’accorder du temps à tout le monde. Je pense sincèrement que le Sénat devrait ouvrir une enquête sur la croissance et le financement du secteur des soins de santé et de l’économie des soins en général.
Il y a plus d’argent que jamais dans le monde, et une grande partie provient du capital-investissement. Qu’est-ce que le capital-investissement? Il peut s’agir de fonds occultes, qui ne peuvent pas être retracés. À l’inverse, les actions et les obligations cotées en bourse, il est possible de vérifier à chaque moment de la journée leur valeur exacte. Avec le capital‑investissement, vous ne voyez la valeur créée ou vendue que lorsqu’un actif est acheté ou vendu, si les entités souhaitent que vous voyiez ce qui est acheté ou vendu.
Il existe de bons et de mauvais types de capital-investissement. Néanmoins, ce que nous observons en Australie, aux États-Unis, en Europe, au Royaume-Uni, partout, c’est que de plus en plus d’investisseurs arrivent, dépouillent les actifs, les démantèlent, revendent le produit, un peu comme les marchands de biens immobiliers. La question est de savoir s’ils embellissent les lieux, les mettent en valeur, ou s’ils créent réellement une valeur ajoutée que le secteur public ou que le propriétaire-exploitant précédent n’étaient pas eux-mêmes en mesure de le faire.
Nous assistons à une très mauvaise tendance à travers le monde, et nous nous y engageons les yeux fermés parce que nous voulons attirer davantage d’investissements. Nous avons les moyens d’y remédier, mais nous devons connaître l’ampleur de ce secteur au Canada, son rythme de croissance et la provenance des fonds en question.
Je conclurais en disant que le capital-investissement au Canada est largement déterminé par nos régimes de retraite publics, et pourtant, nous n’attendons pas beaucoup de rendement de la part des régimes de retraite publics canadiens en ce qui concerne la manière dont les fonds sont investis. C’est le contraire de la raison pour laquelle ils ont été créés dans les années 1960, où ils ont contribué à financer le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.
[Français]
Le président : Comment peut-on rapatrier la main-d’œuvre ou limiter l’exode des cerveaux ou des travaux? Je m’explique. Dans une étude récente, le Conference Board du Canada a dit qu’il manquait environ 64 000 ingénieurs. En plus de ce manque, on ne tient pas compte des ingénieurs qui sont en Inde, des travaux qui sont faits par des entreprises canadiennes pour du développement, des programmeurs, des ingénieurs qui travaillent dans d’autres pays. Avez-vous calculé le coût de cette perte de main-d’œuvre en raison des travaux qui sont faits par des ingénieurs en Inde, par exemple, par opposition à ce qu’ils soient faits ici? Est-ce que vous avez une stratégie à suggérer pour ramener ces fonctions ici, au Canada, que ce soit des stratégies fiscales ou autres?
[Traduction]
M. Stanford : Monsieur le président, je ne suis pas certain à qui cette question était adressée.
Le président : La question s’adresse à M. Robson, ainsi qu’à vous.
M. Stanford : Je ne me suis pas particulièrement intéressé à la question des ingénieurs et des liens entre l’Inde et le Canada, mais j’ai bien sûr suivi la question de l’immigration et son importance dans le développement de la main-d’œuvre au Canada.
Il existe certainement un besoin énorme et une opportunité considérable pour le Canada en matière d’immigration afin de contribuer, tout d’abord, au renouvellement de notre main‑d’œuvre. Notre taux de fécondité national est nul, voire inférieur à zéro, nous avons donc besoin de l’immigration pour que la main-d’œuvre puisse continuer à croître. Malheureusement, le dossier de l’immigration dans son ensemble a été perturbé et compromis par ce qui s’est passé ces dernières années, avec l’utilisation abusive des flux migratoires non permanents à des fins d’activités lucratives à court terme.
Compte tenu notamment de la situation actuelle aux États‑Unis, je pense que le Canada a une occasion unique de redoubler d’efforts pour attirer des immigrants qualifiés dans le domaine de l’ingénierie et dans bien d’autres domaines. La qualité de vie supérieure au Canada, le système de santé public et d’autres avantages renforcent, à mon avis, cette opportunité. J’espère que le gouvernement réfléchira à la manière de réformer l’immigration en se concentrant sur les voies d’immigration permanente et les voies d’immigration assistée, afin de garantir que les personnes qui viennent ici puissent y construire leur vie.
M. Robson : Monsieur le président, puis-je également donner mon avis à ce sujet?
[Français]
Le président : Merci. Allez-y rapidement.
[Traduction]
M. Robson : Le système d’immigration canadien, qui repose sur un système de points, a connu dans le passé un énorme succès tant sur le plan économique que politique. Je suis donc tout à fait d’accord avec ce que vient de dire mon collègue, M. Stanford.
L’autre élément qui mérite une attention particulière est le nombre d’immigrants qui viennent s’installer au Canada avant de déménager aux États-Unis. Statistique Canada a d’ailleurs publié de nouvelles données à ce sujet. Il est évident que le Canada constitue en quelque sorte une étape pour de nombreuses personnes qui ont déjà démontré leur volonté de déménager, et je pense que nous devrions également examiner notre traitement fiscal des personnes à revenu élevé. Il s’agit d’un facteur dissuasif. Je pense que nous tous, et notamment ceux d’entre nous qui ont des enfants, sommes à même de constater l’intérêt considérable que suscitent les États-Unis. Dans plusieurs cas, cet engouement incite plusieurs de nos concitoyens à s’y installer. J’aimerais que les avantages matériels liés au fait de rester au Canada soient un peu plus intéressants, car il ne fait aucun doute qu’il existe de nombreux autres avantages, et nous ne devrions pas perdre autant de travailleurs au profit des États-Unis.
[Français]
Le président : Merci. Le plus connu est Elon Musk.
Merci beaucoup. Cela conclut notre séance d’aujourd’hui. Nous reprendrons notre étude demain à 18 h 45. Merci.
(La séance est levée.)