LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 21 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 3 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, toute question concernant les prévisions budgétaires du gouvernement en général et d’autres questions financières.
Le sénateur Claude Carignan (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, afin d’assurer le bon déroulement des travaux du comité, les directives suivantes doivent être respectées par tous les participants afin de prévenir les incidents acoustiques. Je vous invite à consulter les cartes placées sur les tables dans la salle de comité pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. De plus, les oreillettes doivent être gardées à l’écart de tous les microphones en tout temps. Les microphones ne doivent pas être touchés. Leur activation et leur désactivation seront contrôlées par l’opérateur de console. Évitez de manipuler votre oreillette lorsque le microphone est activé. L’oreillette doit rester sur l’oreille ou être déposée sur l’autocollant prévu à cet effet à chaque siège. Merci à tous de votre coopération.
Bienvenue à tous les sénateurs et sénatrices, ainsi qu’à tous les Canadiens qui nous suivent sur sencanada.ca.
Je m’appelle Claude Carignan, sénateur du Québec et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
La sénatrice Hébert : Martine Hébert, du Québec, district de Victoria.
[Traduction]
La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Ross : Krista Ross, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Kingston : Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, de la division De Lorimier, au Québec.
Le sénateur Gignac : Clément Gignac, du Québec.
Le sénateur Forest : Éric Forest, de la division du Golfe, au Québec.
Le président : Merci beaucoup, honorables sénateurs et sénatrices.
Ce matin, nous tenons notre première série de réunions consacrées à une mise à jour générale de la situation financière et économique du pays. Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir parmi nous aujourd’hui, par vidéoconférence, Olaf Weber, professeur à la chaire CIBC en finance durable à l’Université York. Bienvenue, professeur. Nous avions un autre témoin, mais il n’a pu se joindre à nous en raison de problèmes de santé.
Merci d’avoir accepté notre invitation, professeur. Je vous demande de faire une déclaration préliminaire. Habituellement, le temps alloué est de cinq minutes, mais étant donné que vous êtes seul, si c’est un peu plus long que cinq minutes, on ne vous en tiendra pas rigueur. Je vous cède la parole.
[Traduction]
Olaf Weber, professeur, chaire CIBC en finance durable, Université York, à titre personnel : Merci et bonjour. Soyez assurés que je m’en tiendrai aux cinq minutes dont je dispose.
Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître comme témoin au sujet de la mise à jour économique et financière nationale du Canada, avant le dépôt prévu du budget fédéral en novembre.
Je suis titulaire de la chaire CIBC en finance durable et professeur à la Schulich School of Business de l’Université York, où je dirige également le Centre of Excellence in Responsible Business, ou COERB. De plus, je suis professeur auxiliaire à la School of Environment, Enterprise and Development, ou SEED, de l’Université de Waterloo, et membre de l’Institute for Sustainable Finance.
Mes recherches et mon enseignement portent sur l’intersection entre le secteur financier et le développement durable, et plus particulièrement les relations entre les résultats en matière de durabilité, les résultats financiers et la résilience économique. J’étudie le rôle des institutions financières dans la promotion de la durabilité, l’efficacité des cadres volontaires et réglementaires, le développement des services bancaires sociaux et de l’investissement à impact social, l’importance des risques et des occasions liés à la durabilité, ainsi que l’utilisation de l’intelligence artificielle pour évaluer les risques et les possibilités en matière environnementale, sociale et de gouvernance.
Par conséquent, j’aimerais aujourd’hui axer mes observations sur la finance durable et la transition du Canada vers une économie à faibles émissions de carbone dans le contexte du budget.
Je vais d’abord parler du climat et de la situation économique. Le Canada fait face à des pressions sur deux fronts : le risque croissant de perturbations économiques liées au climat et l’élan mondial grandissant à l’égard d’un cadre financier et d’une réglementation harmonisés aux changements climatiques. D’une part, les droits de douane et les risques commerciaux menacent les exportations canadiennes vers les États-Unis; d’autre part, le resserrement de la réglementation sur la durabilité et la divulgation dans l’Union européenne et dans d’autres pays établit de nouveaux repères internationaux. Cette situation fait ressortir l’urgence de prendre des mesures budgétaires permettant de stabiliser l’économie, tout en accélérant les investissements dans la transition climatique.
Malgré les engagements du Canada, les progrès en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou GES, demeurent limités. Selon l’Agence internationale de l’énergie, ou AIE, le Canada figure parmi les 15 grands émetteurs de GES par habitant dans le monde. Bien que les émissions dans des secteurs comme l’industrie, le transport et l’agriculture aient diminué, celles dans le secteur pétrolier et gazier continuent d’être élevées, n’ayant connu que des baisses légères jusqu’à présent.
Nous devons également reconnaître que les changements climatiques et la croissance économique sont étroitement liés. Une étude récente menée par mes collègues Bilal et Känzig de Stanford et de la Northwestern University a révélé que chaque degré supplémentaire de réchauffement planétaire réduit le PIB mondial à long terme de plus de 20 %, le coût social du carbone dépassant 1 500 $US la tonne.
Pour ce qui est du Canada en particulier, l’Institut climatique du Canada signale que les dommages causés par les répercussions des changements climatiques au pays sont déjà présents et qu’ils s’accumulent. D’ici 2025, les impacts climatiques entraîneront un ralentissement de la croissance économique du Canada de 25 milliards de dollars par année, ce qui équivaut à 50 % de la croissance prévue du PIB. Tous les ménages subiront une perte de revenu, et ceux à faible revenu seront les plus touchés.
Les changements climatiques entraînent des pertes d’emplois. Celles-ci pourraient doubler d’ici le milieu du siècle et atteindre 2,9 millions d’ici 2100. Chaque dollar consacré aux mesures d’adaptation permet d’économiser de 13 à 15 $ en avantages directs et indirects. L’adaptation proactive peut réduire de moitié les coûts climatiques et, lorsqu’elle est combinée à des mesures d’atténuation globales, elle peut les réduire de trois quarts.
Parallèlement, les investissements mondiaux dans l’énergie propre ont atteint 1,7 billion de dollars en 2023, ce qui fait ressortir d’importantes possibilités pour le Canada de tirer profit de l’innovation, des infrastructures et du leadership en matière de finance durable.
Compte tenu de ces faits, quelles recommandations stratégiques et financières peut-on faire? Ces conclusions montrent clairement qu’il n’y a pas de compromis possible entre la prospérité économique et l’action climatique. Les deux se renforcent mutuellement. Retarder les mesures nuira à la compétitivité à long terme, au revenu des ménages et à la stabilité budgétaire. Cependant, le financement durable et le financement climatique demeurent sous-développés au Canada. Le financement public des mesures d’atténuation et d’adaptation reste limité, et l’engagement du secteur privé, bien que croissant, nécessite des incitatifs plus vigoureux et une coordination plus grande.
Pour combler cet écart, les budgets futurs devraient harmoniser les mesures de relance avec le plan national du Canada sur la transition climatique, afin que tous les investissements publics contribuent à une économie faible en carbone et résiliente; mettre à profit des mécanismes de financement mixtes qui combinent des capitaux publics et privés pour rendre les investissements durables moins risqués; attirer des investisseurs institutionnels et réduire le fardeau sur les finances publiques; accorder la priorité aux investissements dans les infrastructures de transition essentielles, y compris le transport en commun à faibles émissions de carbone, la production et le transport d’électricité propres, les logements écoénergétiques et abordables, les chaînes d’approvisionnement en véhicules électriques et les minéraux critiques, ainsi que l’évaluation et la protection des actifs naturels qui contribuent à l’atténuation des changements climatiques et à l’adaptation.
Les budgets futurs devraient également élargir les marchés des obligations vertes souveraines et liées à la souveraineté, ce qui permettrait aux gouvernements de financer efficacement les projets de transition et d’attirer des co-investissements privés.
En résumé, la stratégie financière et économique du Canada doit être explicitement alignée sur les objectifs de transition climatique du pays. Les preuves sont sans équivoque : la résilience aux changements climatiques et la croissance économique ne sont pas contradictoires, mais dépendent l’une de l’autre. En intégrant des principes de finance durable dans la politique budgétaire et en tirant parti du capital privé au moyen d’un financement mixte, le Canada peut se positionner comme chef de file mondial de l’économie à faibles émissions de carbone et stimuler ainsi la prospérité, l’innovation et la stabilité à long terme pour tous les Canadiens.
Je vous remercie, honorables sénateurs et sénatrices, de votre attention et de votre engagement à promouvoir des politiques qui garantissent l’avenir économique et environnemental du Canada.
[Français]
Le président : Merci beaucoup, professeur. Nous allons commencer notre période des questions par le sénateur Forest.
Le sénateur Forest : Merci. Dans le contexte actuel avec nos voisins du Sud, on parle de plus en plus de diversifier notre économie et nos exportations. Je pense que c’est une voie très importante. D’autre part, certaines administrations sont en train de mettre en place des ajustements carbone aux frontières. Je pense notamment à la pleine mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne au Royaume-Uni, qui devrait commencer en 2026-2027. Dans quelle mesure la mise en œuvre de mécanismes d’ajustement carbone aux frontières dans l’Union européenne et au Royaume-Uni pourrait-elle influencer la concurrentialité des exportateurs canadiens dans ces marchés?
[Traduction]
M. Weber : Vous avez raison. Oui, elle pourrait le faire. Le gros problème, comme vous l’avez dit, c’est que nous sommes en présence de deux frontières. D’une part, on met pour ainsi dire moins l’accent sur le climat. D’autre part, dans l’Union européenne, on met davantage l’accent sur le climat. Par conséquent, nous avons absolument besoin de diversifier nos exportations, et nous devons aussi créer une stratégie pour tenir compte de ces deux réalités.
J’ai aussi parlé à des gens d’Exportation et développement Canada, qui sont directement touchés par cela. Le Canada doit trouver une façon de nous permettre, d’une part, de continuer à exporter vers les États-Unis et, d’autre part, de continuer à exporter vers l’Union européenne. C’est le problème que nous devons régler.
La diversification de nos activités économiques, comme cela a commencé dans le secteur minier, la production de batteries et d’autres secteurs, pourrait être utile à cet égard. Nous avons absolument besoin de stratégies pour réduire la teneur en carbone des exportations, et cela ne nuira pas non plus aux exportations vers les États-Unis. Ce qu’il faut faire, c’est de déterminer comment aborder le contenu en carbone de nos exportations.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci. Dans ce dossier, on sent que la volonté de l’ensemble de nos administrations et de nos gouvernements pour ce qui est d’avoir une économie durable s’affaiblit considérablement. Nous constatons que les politiques en matière d’économie durable deviennent beaucoup plus molles. À votre avis, comment faudrait-il redresser cet objectif — qui est, à mon avis, fondamental pour l’avenir de la planète — à court ou à moyen terme?
[Traduction]
M. Weber : Nous devons mettre l’accent sur le fait que les changements climatiques et la croissance économique ou le développement économique ne sont pas contradictoires. C’est quelque chose qui est encore souvent présent dans l’esprit des gens. Nous devons voir que les investissements dans l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation aux changements climatiques — dans les énergies renouvelables et d’autres technologies — profitent également à l’économie.
C’est ce sur quoi nous devrions nous concentrer en premier lieu, c’est-à-dire déterminer les activités économiques, les industries et les secteurs qui pourraient faire les deux, puis créer de la croissance et s’attaquer aux changements climatiques.
[Français]
Le sénateur Forest : Pour les exportateurs et pour nos gens d’affaires, comment la mise en œuvre de l’ajustement carbone aux frontières des autres pays — on parle notamment de l’Europe et du Royaume-Uni — pourrait-elle influencer les décisions des exportateurs canadiens quant à leurs investissements en matière de production?
[Traduction]
M. Weber : Je ne sais pas si cela a une influence sur les décisions, mais cela a pour conséquence que nous devons nous occuper de la réglementation. Nous devons comprendre ce qu’elle veut dire, ce qui est complexe et ardu. Au sein même de l’Union européenne, la réglementation a été modifiée et rendue moins complexe parce que de nombreuses entreprises avaient aussi des problèmes à s’y conformer.
La première étape consiste à comprendre les conséquences de cette réglementation. À l’étape suivante, il faudra essayer d’y donner suite. En général, si nous avons mis en œuvre une politique climatique, y compris la tarification du carbone pour la production, tout devrait bien aller. Les exportateurs devraient pouvoir composer avec cela.
La première chose, à mon avis, c’est de comprendre le point de vue juridique et la réglementation pour pouvoir s’y conformer.
La sénatrice Ross : Bonjour et merci d’être parmi nous aujourd’hui. Ma question porte sur le Bureau des grands projets, ou BGP. Pouvez-vous nous expliquer un peu votre point de vue sur les projets qui ont été approuvés dans la première tranche de projets?
Il y a eu la phase 2 du projet de gaz naturel liquéfié pour Kitimat, le projet de nouvelle centrale nucléaire de Darlington, celui du port de Montréal, le projet de mine de cuivre en Saskatchewan et l’expansion de la mine Red Chris dans le Nord‑Ouest de la Colombie-Britannique.
L’objectif de ce bureau est bien sûr de faire avancer les grands projets et de rationaliser ou d’accélérer la réglementation et l’approbation fédérales. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur les projets qui ont été sélectionnés et leur impact? De plus, quel serait le projet idéal pour figurer dans les annonces de novembre?
M. Weber : Je vous remercie de cette question. Elle est compliquée, mais évidemment très importante.
Je pense que certains de ces projets entrent vraiment dans la catégorie de ceux qui permettent de s’attaquer à la fois aux changements climatiques et à la croissance économique, même si, bien sûr, un projet minier a des répercussions dès le départ. Ce que nous voyons, c’est la nécessité d’électrifier davantage notre parc automobile, ce qui fait que nous avons besoin de projets miniers. Je pense que c’est une excellente occasion pour le Canada. Je crois aussi que ces projets sont logiques du point de vue climatique.
Nous devons améliorer les infrastructures, et je peux vous dire ce que j’aimerais voir à ce chapitre.
Pour le GNL, ou gaz naturel liquéfié, je ne sais pas. Selon certains rapports, l’utilisation du GNL et son expansion seront de très courte durée. Selon de nombreux rapports, un sommet sera atteint à l’échelle internationale dans cinq ans. À mon avis, il faut donc se demander s’il est logique d’investir dans un projet de cette envergure pour livrer du gaz naturel liquéfié au reste du monde. Je ferais très attention à cela, non seulement du point de vue du climat — cette ressource étant évidemment critiquée pour ses émissions —, mais aussi pour la durabilité économique à long terme. Je ne suis pas sûr. J’ai vu des rapports d’institutions au Canada disant que c’est à trop court terme et, bien sûr, que c’est un gros investissement. À mon avis, il faut faire attention.
Il y a certains des projets que j’aime. Ils sont excellents. Je suis à Toronto, vous êtes à Ottawa et il y a Montréal. Pour moi, le train rapide représenterait un investissement évident dans les infrastructures. Si on regarde le nombre de vols par jour entre nos villes — et aussi vers Montréal — et ce qu’il serait possible de faire avec un train rapide, je pense que cela aurait des impacts économiques importants en termes d’emplois au moment de la construction des voies, ainsi que dans l’avenir, lorsque le train sera fonctionnel et que nous aurons besoin des services. C’est quelque chose que j’aimerais voir.
J’aimerais aussi qu’il y ait plus d’énergies renouvelables. Vous avez également mentionné Darlington. Je ne veux pas parler des risques et des possibilités du nucléaire, mais c’est une façon de régler le problème des émissions et de l’électricité. De ce point de vue, le projet est logique, mais j’aimerais qu’on investisse davantage dans le domaine des énergies renouvelables. Si vous regardez ce que d’autres pays font avec l’énergie éolienne et solaire, je pense que le Canada peut faire beaucoup plus, et nous avons les infrastructures nécessaires. Nous avons aussi l’espace nécessaire pour avoir plus d’énergie éolienne et solaire.
De plus, nous avons déjà commencé à soutenir la production des batteries qui sont utilisées pour les véhicules électriques. Ce n’est qu’une utilisation possible. L’autre utilisation est l’énergie renouvelable parce que nous avons besoin de stockage pour cela. Lorsque l’on commence à investir dans la production de batteries, je pense qu’il est logique d’investir davantage dans l’énergie renouvelable.
La sénatrice Ross : J’aimerais connaître votre point de vue sur certaines des idées qui émanent du Nouveau-Brunswick, la province d’où je viens. On parle de projets dans les ports, d’une mine de tungstène, de PRM — ou petits réacteurs modulaires —, de gaz naturel liquéfié et de pipelines. Donnez-moi une idée de ce que vous envisagez pour le Nouveau-Brunswick.
M. Weber : Encore une fois, en ce qui concerne le lien avec les changements climatiques et la question de savoir si cela est conforme ou non, il est important que des lignes directrices relatives à l’évaluation environnementale et sociale soient maintenues, et il ne faut pas nous concentrer uniquement sur la rapidité des projets. Bien sûr, nous devons accélérer les choses, mais nous devons maintenir les pratiques en place pour faire preuve de diligence raisonnable. Pour certains projets, je dis oui, s’ils sont liés à l’exportation et ainsi de suite. Les infrastructures électriques sont également un sujet important. C’est logique.
Pour tous ces projets, j’aimerais simplement garder à l’esprit le lien avec les changements climatiques. Sont-ils conformes à la stratégie de transition?
La sénatrice Ross : Merci beaucoup.
La sénatrice Hébert : Merci, monsieur Weber. Vous avez parlé d’électrification et de l’industrie des batteries. On sait que le gouvernement du Québec a investi dans le secteur des batteries, et on a pu voir que ce dernier a eu des difficultés, en raison des conditions du marché et d’une demande beaucoup plus faible que prévu. En ce qui concerne l’électrification des transports, certains experts disent que le Canada devrait s’ouvrir au marché chinois et essayer d’attirer des investissements ou de la production ici — en imposant des quotas, en agissant avec prudence et en tenant compte de nos relations avec notre voisin.
Cela ne veut pas dire que je suis de cet avis. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Weber : C’est une excellente question. Si nous voulons soutenir la production de batteries, je pense que ce qu’il faut vraiment, c’est créer un marché. Cela n’a pas de sens d’appuyer la production et de subventionner le secteur sans avoir de marché au bout du compte. Je crois que c’est un gros problème avec l’énergie renouvelable au Canada. La même situation s’est produite avec les panneaux solaires.
Nous devons accroître la demande de véhicules électriques. Une façon de le faire serait d’offrir des véhicules électriques moins chers. C’est habituellement à ce niveau que se situe le problème principalement. Les prix baissent, mais ils sont encore plus élevés que ceux des véhicules conventionnels. L’autre facteur est l’étendue de la gamme, mais je pense que cela se règle lentement parce que les modèles offerts augmentent constamment.
Oui, les importations de la Chine seraient une façon de diminuer les prix. Bien sûr, c’est une décision délicate. Je comprends cela, mais j’appuierais une telle décision. Je dirais que nous devrions essayer d’avoir une meilleure offre de véhicules électriques à bon prix. Si nous ne pouvons pas le faire ici avec les produits que nous avons déjà, nous devons nous tourner vers d’autres sources. Bien sûr, comme vous l’avez dit, la façon idéale serait de produire ces véhicules au Canada, plutôt que de simplement les importer.
Dans l’ensemble, je dirais que le nombre d’emplois dans l’industrie automobile au Canada est relativement faible. On en discute assez souvent, mais il n’y en a pas beaucoup. Si nous autorisons davantage d’importations, combien d’emplois disparaîtront vraiment de l’industrie automobile et combien d’autres seront créés? Si une entreprise chinoise produit ici, elle aura besoin de gens pour le faire. Nous avons besoin des ventes, du soutien et du service, et nous avons besoin des batteries qui pourraient être utilisées à l’avenir.
Je pense que la stratégie visant à offrir des véhicules électriques à un prix plus bas est utile, et que l’importation de véhicules en provenance de la Chine pourrait aider.
La sénatrice Hébert : Vous avez parlé de politique fiscale. Certains gouvernements envisagent de remplacer la taxe sur le carburant par une taxe kilométrique. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Weber : De façon générale, c’est logique évidemment; on veut réduire le transport et l’utilisation de l’automobile. D’un autre côté, nous devons réfléchir aux possibilités qui s’offrent à nous. À l’heure actuelle, la façon dont les infrastructures sont construites fait en sorte qu’il faut une voiture pour se rendre au travail. Malheureusement, ce n’est pas comme si on vivait près de notre lieu de travail. Il y a de nouvelles approches qui s’offrent à cet égard.
Si on instaure une telle taxe, on ne fait que pénaliser ceux qui doivent se rendre au travail en voiture ou autrement. C’est une question délicate.
Oui, si nous offrons la possibilité de réduire le kilométrage, il sera logique d’utiliser les revenus pour améliorer la situation. Si nous ne faisons qu’imposer un fardeau aux gens, sans leur offrir de solution de rechange, je ne pense pas que nous devrions aller dans cette direction.
C’est la même chose pour le transport. Si nous avons besoin de transport et qu’il n’y a pas d’autre solution, la question est de savoir si une taxe kilométrique est une option logique. Si nous pouvons offrir des solutions de rechange pour de plus courtes distances, cela pourrait être acceptable.
[Français]
La sénatrice Hébert : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Weber, vous avez dit que la croissance économique et la résilience climatique peuvent aller de pair et qu’il n’y a pas de choix à faire entre les deux. De façon plus concrète, comment les programmes fédéraux de dépenses — et je pense évidemment au logement — peuvent‑ils tirer parti des mécanismes de financement social comme les obligations sociales ou l’investissement à impact social?
M. Weber : C’est une excellente question. À l’heure actuelle, nous avons un fonds public qui investit, et lorsqu’il est à court d’argent, les investissements disparaissent. Nous constatons qu’avec le fonds de croissance, de l’argent est toujours disponible et il sert à aider les entreprises, ce qui est formidable. Bien sûr, c’est logique. Le problème, c’est que ce n’est pas suffisant — nous le savons tous —, et que tout prend simplement fin quand les fonds sont épuisés.
Une solution de rechange pourrait être d’établir ce type de financement, ces programmes, de façon à ce que de l’argent puisse être dépensé uniquement si d’autres investisseurs emboîtent le pas. Par exemple, disons que l’on utiliserait le fonds pour le logement uniquement si d’autres prêteurs hypothécaires ou d’autres investisseurs participaient au projet.
On le voit dans d’autres pays. L’Allemagne a KfW, la banque publique, qui s’apparente à une société d’État. Elle a des budgets, mais ils ne sont pas accessibles directement. Il faut passer par les fournisseurs de services financiers ou une banque, par exemple. Le financement institutionnel peut également jouer un rôle. En combinant les avantages d’un financement public à faible taux d’intérêt ou à faible coût avec un investissement privé qui, espérons-le, sera attrayant, on obtient une offre globale intéressante.
D’autre part, nous pouvons tirer parti du financement public et poursuivre les projets, même si les fonds publics sont épuisés. L’expérience montre que les bailleurs de fonds privés restent souvent dans ce genre de projets parce qu’ils sont déjà impliqués et qu’ils savent comment les investissements fonctionnent.
Ce que je propose, c’est que si nous avons ce genre de financement public — provenant des sociétés d’État et du budget —, nous devons veiller à avoir aussi des investisseurs privés. Pour le logement social, nous avons besoin de financement hypothécaire; nous avons besoin de promoteurs et de fonds de pension qui financent ces projets. Nous ne pouvons pas nous limiter simplement aux fonds publics, y concentrer toutes les dépenses, et voir cela comme la seule option pour le logement social, tout le reste étant une décision du marché. Nous devons vraiment intégrer les deux et utiliser un concept de financement mixte.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Il faudrait donc un assez grand changement de mentalité pour arriver là. J’aimerais vous entendre sur cette idée qu’on peut à la fois s’occuper du climat et de la croissance économique. Nos gouvernements sont frileux. Ici au Canada, il est question depuis longtemps d’un plafond d’émission de CO2. Cela semble de plus en plus lointain comme promesse. Est-ce essentiel d’avoir ce plafond d’émission de CO2 pour essayer de rattraper le temps perdu au chapitre du combat contre les changements climatiques?
[Traduction]
M. Weber : Si l’on veut atteindre les objectifs de zéro émission nette d’ici 2050 ou presque, nous avons besoin d’une stratégie pour contrôler et suivre notre progression. Il est logique que les plafonds baissent au fil du temps. Quant à savoir si nous les utilisons comme un absolu, en deçà duquel les émissions doivent se situer, ou si nous nous en servons comme stratégie pour voir si nous sommes sur la bonne voie, c’est une autre question. Mais nous devons suivre une certaine stratégie pour réduire les émissions. Nous ne pouvons pas attendre jusqu’en 2048 et dire : « Il nous reste deux ans pour atteindre nos objectifs. »
Ces plafonds doivent s’échelonner dans le temps. Quant à savoir si nous les associons à une tarification du carbone ou si nous utilisons d’autres stratégies pour nous maintenir en deçà, c’est une autre question.
Si vous regardez les stratégies des entreprises, vous constaterez qu’elles font la même chose. Les entreprises qui veulent atteindre leurs objectifs climatiques ont toutes une stratégie. Il est important de savoir ce qui va se passer au cours des 5, 10 ou 15 prochaines années et à quoi nous voulons arriver, afin de pouvoir mesurer si nous sommes sur la bonne voie.
Le sénateur Gignac : J’ai bien aimé votre discussion avec la sénatrice Hébert au sujet de la possibilité que des véhicules électriques chinois soient importés au Canada.
Toujours en ce qui concerne la Chine, mais sur un autre plan, j’ai l’impression que vous n’êtes pas favorable aux projets de GNL, mais si nous développons des projets de GNL et que cela aide la Chine à fermer des mines de charbon, qui ont une énorme empreinte carbone, nous soutenons le village mondial. Ce qui est bon pour la Chine serait bon pour la planète et bon pour le Canada. Oui, le Canada fait déjà partie des 15 grands émetteurs de gaz à effet de serre; je comprends cela. Mais au bout du compte, pourquoi ne pas penser globalement? Dans l’ensemble, si c’est mieux pour la planète, pourquoi ne pas exporter et avoir un contrat à long terme pour le gaz naturel liquéfié avec la Chine? Qu’en pensez-vous?
M. Weber : Il y a encore des centrales au charbon en Chine, et même des nouvelles. On les remplace par des énergies renouvelables, pas par le gaz. Voilà le problème. Il y a peut-être une possibilité pour les cinq prochaines années, et il y a des rapports détaillés à ce sujet, mais je ne pense pas qu’il y ait une possibilité à long terme, parce que l’énergie des combustibles fossiles ne sera pas remplacée par le GNL. Elle sera remplacée par des énergies renouvelables et peut-être aussi par le nucléaire et l’hydroélectricité. Je pense que c’est une politique risquée à moyen et à long terme.
Le sénateur Gignac : Corrigez-moi si je me trompe, mais 60 % de l’énergie de la Chine provient du charbon, qui a la pire empreinte carbone, alors croyez-vous ce genre d’études selon lesquelles le sommet sera atteint dans cinq ans? D’où viennent ces études?
M. Weber : Je peux vous éclairer à ce sujet. Il s’agit d’un sommet à l’échelle mondiale, mais la Chine a aussi le taux de mise en œuvre le plus élevé des énergies renouvelables. Oui, elle utilise toujours du charbon, mais elle est en voie de réduire cette utilisation.
C’est l’hypothèse que je fais, mais je ne peux pas prédire l’avenir. Toutefois, je ne les vois pas remplacer ces centrales par du gaz naturel liquéfié. L’autre question est de savoir s’il y a des ressources qui sont plus faciles à obtenir. La Chine collabore toujours avec la Russie. Nous devons déterminer si nous pouvons vraiment soutenir la concurrence dans ce cas-ci. C’est un autre problème.
Le sénateur Gignac : D’accord. Merci.
Dans un autre ordre d’idées, puisque vous êtes président de la chaire CIBC en finance durable, pourriez-vous nous expliquer ce qui est arrivé concernant ce que notre premier ministre actuel, M. Carney, a lancé en 2020-2021 au sujet de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero? C’était très prometteur à l’époque, avec la participation de plus de 450 institutions financières dans le monde. Tout à coup, avec le président Trump, les choses se sont accélérées, et il semble maintenant que le projet est en train de tourner court. Pouvez-vous nous expliquer, à mes collègues et à moi, ce qui s’est passé et quel était le concept, et pourquoi nous en sommes arrivés là? Le projet était prometteur, mais soudainement, il ne semble plus fonctionner.
M. Weber : Oui. L’idée était que les institutions financières mondiales adhèrent à une politique de carboneutralité — afin d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050 ou avant. Il y avait beaucoup d’enthousiasme, comme vous l’avez dit. Nous nous sommes rendu compte, tout de suite après, que la plupart des signataires ne savaient pas vraiment où ils en étaient à ce chapitre. Donc, des collègues experts-conseils et universitaires recevaient des appels du secteur financier qui leur demandait : « comment pouvons-nous faire cela? »
Je pense que la décision de signer quelque chose a été prise très rapidement et que les parties prenantes ne savaient pas vraiment ce qu’elles faisaient. Je ne dis pas que c’était un mauvais accord, mais je pense que c’est l’un des gros problèmes qui se sont posés.
Puis, dans les années qui ont suivi, les premières questions se sont posées : comment y arriver? Que devons-nous vraiment faire? Quelle est la stratégie pour y arriver? Et je pense que cela a créé beaucoup d’insécurité. Et puis, bien sûr, avec l’arrivée de Trump qui s’en prend à ce genre d’associations — et aussi certains États américains où, tant que vous êtes signataire, vous ne pouvez pas faire affaire avec des entités publiques —, tout s’est accéléré.
Je pense que la vraie question était la suivante : savaient-ils vraiment ce qu’ils signaient? Avaient-ils de vraies stratégies ou ont-ils commencé à en élaborer? Si l’on compare ces activités à ce qui se fait habituellement — avant qu’une banque signe un accord important, il y a habituellement beaucoup d’analyses et de diligence raisonnable —, je pense que c’était un peu trop rapide et qu’on n’avait pas suffisamment réfléchi aux aboutissants. Nous l’avons vu dans le cas de certaines banques également qui disaient en quelque sorte : « nous voulons investir 500 milliards de dollars dans les énergies renouvelables » ou « Nous voulons investir 200 milliards de dollars dans cela. » Je répète que ces chiffres n’étaient pas vraiment fondés sur une analyse financière approfondie. Il s’agissait plutôt de communication. Je pense donc que nous devons être prudents à cet égard.
Si l’industrie financière veut s’attaquer aux changements climatiques, elle doit le faire de façon sérieuse et non pas superficielle en se limitant à faire des déclarations qu’elle ne peut étayer.
La sénatrice MacAdam : En décembre 2024, le Canada a publié les Normes canadiennes d’information sur la durabilité, qui sont harmonisées avec les normes internationales. Pouvez‑vous nous parler de l’importance de ces normes et des prochaines étapes qui, à votre avis, permettront de réaliser d’importants progrès en vue de leur adoption? Pourquoi y a-t-il eu des retards, et quelles en sont les répercussions pour le Canada?
M. Weber : Merci. C’est une excellente question, qui nous ramène à celle du début concernant les exportations vers l’Union européenne. C’est exactement ce dont nous avons besoin pour continuer à exporter vers l’Union européenne, parce que ces lignes directrices sont harmonisées avec les lignes directrices internationales. Si nous les mettons en œuvre au Canada, cela aidera notre économie à s’y conformer.
Donc, de mon point de vue, elles devraient devenir obligatoires. Je ne sais pas pourquoi il y a du retard. Lorsque j’ai commencé mon travail au Canada en 2010, il y avait les lignes directrices de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario sur les risques climatiques, qui auraient dû être mises en œuvre plus ou moins immédiatement, mais qui ne le sont toujours pas.
Il s’agit de volonté politique, mais je pense que nous avons besoin de cela. Je pense que la plupart des membres de l’industrie veulent avoir une certitude à cet égard. Je ne crois pas que l’industrie résiste à ce genre de lignes directrices, surtout si elles les aident dans leurs exportations vers l’Union européenne.
Alors oui, je pense que nous devrions les rendre obligatoires. Certains pays ont déjà commencé à rendre obligatoires les IFRS 1 et IFRS 2. Nous sommes en quelque sorte sur la bonne voie, et je pense que nous devrions accélérer ce processus.
La sénatrice MacAdam : Pensez-vous que cela a une incidence sur nos investissements? Pensez-vous que le Canada tire de l’arrière à l’échelle mondiale? Le Canada était-il à l’avant-garde? Commence-t-il à accuser un retard?
M. Weber : Je ne pense pas que le Canada ait été à l’avant‑garde, mais il y a un risque que nous commencions à tirer de l’arrière si nous ne commençons pas à les rendre obligatoires et à nous concentrer sur elles. Au bout du compte, nous verrons dans quelle mesure elles auront une incidence sur les exportations en particulier. Je pense que c’est le principal enjeu à cet égard.
Je ne sais pas s’il y a un impact direct sur les investissements au Canada. Mais je pense que cela aide à créer de la transparence. Si vous avez des investisseurs et des lignes directrices obligatoires, vous pouvez dire : « Nous avons ces mesures en place. » Cela les aide à faire preuve de diligence raisonnable et leur permet d’évaluer plus facilement les risques et les occasions liés à ces investissements.
La sénatrice MacAdam : On a récemment annoncé que vous aviez été nommé fellow de l’Institute for Sustainable Finance et que votre objectif était d’élaborer un outil qui permettrait aux acteurs du secteur des finances d’évaluer leur harmonisation avec les normes, les règlements et les taxonomies durables. Pouvez-vous nous parler davantage de votre travail dans ce domaine et des lacunes qu’il visera à combler?
M. Weber : Oui. Nous avons constaté qu’il y a environ 90 lignes directrices, règlements et taxonomies à l’échelle mondiale, qui sont plus ou moins pris en compte par les institutions financières au Canada à l’heure actuelle. Nous utilisons ces lignes directrices. Nous prévoyons mettre au point un outil qui permettra aux institutions financières, aux caisses de retraite et à d’autres entités de télécharger leurs rapports sur la durabilité et de voir dans quelle mesure ils sont conformes à ces différentes lignes directrices, réglementations et taxonomies. Bien sûr, elles pourront ensuite décider lesquelles sont plus ou moins importantes.
Dans l’ensemble, c’est un outil qui permet à une entreprise de vérifier si elle respecte ces lignes directrices, et peut-être qu’à l’avenir nous le ferons pour d’autres industries également. Mais il devrait s’agir d’un outil qui les aide à voir si nous sommes sur la bonne voie avec ces lignes directrices ou rapports ou si nous nous attaquons à des problèmes différents de ceux qui sont abordés à l’échelle internationale et nationale.
La sénatrice MacAdam : Merci.
La sénatrice Kingston : Bienvenue, monsieur Weber. J’aimerais aller un peu plus loin ou obtenir des précisions sur les questions de mes collègues concernant les politiques financières durables qui nous permettraient d’être mieux alignés avec nos partenaires commerciaux.
Vous avez dit qu’il faudrait que quelqu’un décide laquelle est la plus importante. Ma question est la suivante : selon vous, quelles seraient les trois plus importantes, disons, à mettre en œuvre immédiatement, d’ici un an ou deux, afin que nous puissions progresser dans la bonne direction? J’aimerais aussi vous poser une question au sujet des incitatifs.
M. Weber : Je pense qu’il est important de tenir compte des lignes directrices de l’Union européenne — les lignes directrices sur la production de rapports et celles sur le carbone. C’est la priorité absolue, à mon avis, surtout maintenant, compte tenu du contexte américain. Nous devons diversifier nos activités, respecter les lignes directrices de l’Union européenne et permettre à notre économie de s’y conformer. Je pense que c’est la première étape.
Deuxièmement, je crois que le Canada a besoin d’une stratégie de transition et qu’il doit l’harmoniser avec les lignes directrices et la réglementation en matière de rapports. Nous devons le faire parce qu’il y a été fait mention d’investissements. Nous devons donc être crédibles et transparents dans notre démarche. Je pense que nous devons mettre en œuvre une stratégie, des règlements et des lignes directrices sérieux sur les rapports au Canada. Ce sont des aspects prioritaires.
Je pense que le troisième point porte sur ce dont nous avons discuté au début concernant les projets. Nous voulons mettre en œuvre de grands projets au Canada. C’est important. Nous voyons actuellement un lien avec la façon de traiter avec la Chine et l’Inde sur le plan économique, parce que ce sont des acteurs importants, qui prendront plus d’importance à l’avenir. Comment pouvons-nous régler les problèmes à cet égard? Quel est leur lien avec les changements climatiques? Quels sont les aspects envisagés? Quelles sont leurs lignes directrices en matière de rapports, le cas échéant? À mon avis, ce sont là les principales questions que nous devrions aborder.
La sénatrice Kingston : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé d’incitatifs. Je pense aux mesures incitatives à l’intention du public, dont deux ont récemment commencé à disparaître, si j’ai bien compris. Il y a d’abord l’incitatif fédéral pour l’achat d’un véhicule électrique. Il y a aussi l’incitatif que représentaient des prêts sans intérêt pour les panneaux solaires destinés aux maisons individuelles.
Quelle est leur importance? Est-ce que ce sont les bonnes mesures? Dans l’ensemble, ont-elles une incidence sur l’adhésion du public?
M. Weber : Elles ont certainement un impact. J’ai constaté que, tant que les véhicules électriques étaient subventionnés, les chiffres de ventes étaient beaucoup plus élevés. Nous devons réfléchir à la question de savoir si nous pouvons continuer à nous permettre cela et si nous créons une perception d’injustice, parce que certains sont subventionnés pour acheter une voiture et d’autres ne le sont pas. Bien sûr, si quelqu’un achète un véhicule électrique, cela avantage les autres aussi parce qu’il y a moins de pollution atmosphérique, mais c’est un problème général. Pouvons-nous encore financer cela?
Je pense qu’il est évident que, tant pour les véhicules électriques que pour les panneaux solaires abordables, les subventions ont contribué à accroître les ventes et l’utilisation. La question est la suivante : comment pouvons-nous créer des incitatifs avec moins de subventions? C’est ce que j’ai dit au début : comment pouvons-nous collaborer avec l’industrie? En ce qui concerne les prêteurs hypothécaires, que peuvent-ils offrir si quelqu’un veut mettre en place une thermopompe ou un système photovoltaïque?
Dans d’autres pays, il existe des liens clairs entre le risque hypothécaire et les activités environnementales que le propriétaire entreprend. Habituellement, ceux qui ont investi dans les énergies renouvelables ou l’isolation de leur maison courent moins de risques de défaut de paiement. Nous devons penser à la corrélation positive, au lien positif entre ces deux choses, afin d’éviter de nous limiter à donner des subventions. Si le financement disparaît, nous ne pourrons plus faire cela. Ce n’est pas viable. Nous devons voir comment nous pouvons appuyer cela avec, peut-être, des règles hypothécaires.
Par exemple, si vous avez des coûts de construction plus élevés en raison de l’isolation ou des installations d’énergie renouvelable, cela augmente le prix de votre maison et réduit en quelque sorte le montant de l’hypothèque que vous pouvez obtenir parce que vous ne pouvez avoir que 80 % de ce que vous pourriez avoir avec une maison comparable. Il s’agit d’un règlement. Même si une banque veut le faire, elle ne peut pas. Nous devons déterminer s’il est possible d’accorder des exemptions ou d’avoir une réglementation spéciale pour ceux dont les coûts sont plus élevés, mais qui se préoccupent des risques climatiques et de l’énergie renouvelable.
Je pense que nous devons créer ces incitatifs financiers pour les énergies renouvelables et les véhicules électriques, mais nous devons vraiment réfléchir à la façon de combiner les incitatifs publics et le financement public de ces incitatifs avec les activités du marché.
La sénatrice Kingston : Merci.
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup de votre exposé. J’ai deux questions. Premièrement, pensez-vous que les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral et même les administrations municipales s’éloignent des politiques durables, compte tenu de l’abolition de la taxe sur le carbone, de la réduction des cibles pour les voitures non électriques, de la disparition des incitatifs à l’achat de voitures électriques et du manque d’infrastructures pour les voitures électriques en dehors des centres-villes dans de nombreuses villes? Sommes-nous sur la mauvaise voie? Sommes-nous en train de nous éloigner des politiques durables?
M. Weber : Je dirais que oui en partie. Nous devons absolument continuer à soutenir cela financièrement également. Nous devons nous demander si une taxe sur le carbone est utile ou non. Nous devons être honnêtes et analyser la situation : cette taxe a-t-elle réduit les émissions de carbone? Y a-t-il d’autres façons de réduire les émissions qui pourraient être plus efficaces?
Il se peut que nous ayons maintenant l’impression que nous n’avons plus besoin d’une taxe sur le carbone, mais il y a d’autres problèmes. Nous avons également éliminé des subventions. Cela pourrait indiquer que nous négligeons les changements climatiques. Par contre, il y a les infrastructures. À Waterloo, par exemple, ce qui est disponible en matière de transport public, de bicyclettes et d’autres choses est assez impressionnant. Il y a beaucoup d’améliorations à cet égard.
J’ai toujours hâte d’entendre parler des trains et des infrastructures de transport en commun. Dans la région du Grand Toronto, nous devons faire quelque chose. Nous ne pouvons absolument pas continuer d’avoir des infrastructures de transport axées sur l’automobile. La situation ne cesse de s’aggraver.
Il y a des activités en cours. De mon point de vue, elles pourraient progresser plus rapidement, et je pense que nous devrons les examiner également. Dans la région de Toronto, nous avons fait d’importants investissements pour améliorer le système ferroviaire. Je suppose que des choses sont faites dans d’autres villes également. À Montréal, il semble y avoir constamment des infrastructures de transport en commun qui sont construites, mais je ne suis pas un expert en la matière.
Nous devons réfléchir aux activités qui améliorent vraiment nos résultats. Nous avons vu en Ontario, par exemple, que l’élimination progressive du charbon a eu la plus grande incidence. Les taxes sur le carbone et la tarification du carbone n’ont pas eu un effet semblable. Je pense que nous devons vraiment réfléchir aux approches qui ont les plus grandes répercussions et les suivre.
Le sénateur Dalphond : D’après ce que vous avez dit tout à l’heure, devons-nous comprendre qu’en ce qui concerne les infrastructures — et je crois que c’est une bonne chose de construire des infrastructures —, nous ne mettons peut-être pas l’accent sur le bon type d’infrastructures? Au lieu d’envisager la construction de pipelines, devrions-nous construire davantage de trains rapides, améliorer les réseaux électriques dans les villes et améliorer les interconnexions entre les provinces, afin que l’électricité circule partout au pays?
M. Weber : Cela devrait être une priorité. La façon de déterminer si nous faisons une chose et pas l’autre est une autre question.
Il y a une étude à Toronto, selon laquelle si on veut vraiment avoir le nombre de véhicules électriques qu’on prévoit, il faut doubler les infrastructures. C’est un gros projet, alors nous devons le faire. Il n’y a pas d’autre option. Nous ne pouvons pas dire que nous voulons vendre une fois et demie plus de véhicules électriques, sans avoir ce qu’il faut pour les recharger. On parle d’une ville, et à l’extérieur des villes, la situation est peut-être encore pire. De plus, en ce qui concerne les infrastructures publiques, nous investissons encore beaucoup d’argent dans les routes. Une partie de cet argent est nécessaire pour les réparer, mais nous devons réfléchir à la façon dont nous faisons les investissements, afin d’avoir une stratégie à long terme.
Comme je l’ai mentionné, nous devons nous demander si bon nombre des pipelines sont durables à long terme. Est-ce qu’on investit dans quelque chose qui ne sera utilisé que pour quelques années? Sommes-nous vraiment prêts à faire cela? Ou bien investissons-nous dans des infrastructures à long terme, comme les transports en commun, les infrastructures électriques et ainsi de suite?
La question a été posée au début également. Certains des grands projets devraient être axés sur ces problèmes.
Le sénateur Cardozo : Merci pour votre présentation, monsieur Weber. Je regrette d’avoir manqué le début de la séance, mais je siégeais à un autre comité. Si vous avez déjà abordé ce sujet, je m’en excuse, mais je souhaite poursuivre sur la lancée du sénateur Dalphond et aller un peu plus loin. Le climat politique qui règne aux États-Unis concernant des enjeux comme celui-ci n’a-t-il pas une incidence certaine sur le débat qui a lieu au Canada? J’ai l’impression qu’il y a une forte opposition à tout ce qui semble être pro-environnement.
En matière de diversité, d’équité et d’inclusion, ou DEI, je constate que c’est à peu près la même chose. Des gens qui travaillent dans ce domaine sont actuellement criminalisés et congédiés, qu’ils soient de gauche, du centre ou de droite, et les personnes qui œuvrent dans le domaine de la promotion environnementale le sont aussi jusqu’à un certain point.
Ce climat politique vous inquiète-t-il? Comme le faisait remarquer le sénateur Dalphond, on constate un regain d’intérêt pour les pipelines, au détriment de certains enjeux environnementaux et climatiques. Êtes-vous préoccupé par le changement de discours politique et avez-vous l’impression que les gens ne seront pas intéressés à aller dans cette direction — ou qu’ils s’y opposeront fermement, en avançant que ces objectifs sont contre-productifs pour l’économie, pour le bien-être des travailleurs et pour les emplois?
M. Weber : Pour être honnête, oui, je suis inquiet. Ce sont probablement les États-Unis qui sont les plus durement frappés pour le moment et cela s’explique en quelque sorte par le système électoral américain. Si nous regardons ce qui se passe ailleurs, nous constatons que nous sommes aux prises avec les mêmes problèmes. Un nombre croissant de citoyens et de partis s’opposent aux mesures d’atténuation des changements climatiques, à l’adaptation climatique et aux efforts d’inclusion et de diversité. C’est une tendance généralisée et je pense que nous devons prendre des mesures pour la contrer.
Il y a quelques bonnes nouvelles. Au Texas, par exemple, l’énergie renouvelable est en plein essor. L’exploitation de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire est la façon la moins coûteuse de produire de l’électricité dans cet État et c’est ce que les Texans font. Par contre, le Texas s’oppose à toute mesure de protection de l’environnement et de lutte contre les changements climatiques, de même qu’à la diversité dans d’autres domaines, malgré les avantages économiques que tout cela représente. Bien entendu, ces efforts ne suffiront probablement pas à prévenir la discrimination à l’encontre de certaines personnes. Ma réponse est donc oui, nous devons être prudents.
Je crains que nous ne soyons pas en mesure de régler ces problèmes et que nous en subissions le contrecoup économique. Cela concerne aussi bien la diversité que les changements climatiques. De nombreuses études démontrent que la diversité contribue au développement économique. Je pense que c’est un problème sur lequel nous devons nous pencher...
Le président : Monsieur Weber, votre temps est écoulé. Merci pour votre exposé, nous vous en sommes très reconnaissants.
M. Weber : Je vous remercie.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, nous allons reprendre avec notre deuxième groupe de la matinée. Nous sommes heureux d’accueillir, d’Exportation et développement Canada, Scott Moore, vice-président directeur, Finances et chef de l’exploitation, ainsi que Ross Prusakowski, économiste en chef adjoint et directeur, Renseignements sur les pays et les secteurs. Nous accueillons également, par vidéoconférence, Ian Lee, professeur agrégé à la Sprott School of Business de l’Université Carleton. Vous avez cinq minutes pour faire une présentation initiale, puis nous passerons à une ronde de questions.
Scott Moore, vice-président directeur, Finances et chef de l’exploitation, Exportation et développement Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de m’avoir invité aujourd’hui.
[Traduction]
Je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue Ross Prusakowski, économiste en chef adjoint d’EDC. Nous sommes impatients de contribuer à l’étude du comité sur la situation économique du Canada.
[Français]
Pour ceux et celles qui connaissent moins bien Exportation et développement Canada, ou EDC, permettez-moi de vous présenter rapidement cette organisation. EDC est une société d’État. Nous avons pour mandat de soutenir et faire croître les exportations canadiennes à l’aide d’une gamme de solutions financières qui aident à réduire les risques pour les exportateurs et les investisseurs canadiens avec des produits du savoir, comme des webinaires et du contenu numérique, et en tissant des liens avec des institutions financières internationales grâce à notre présence sur le marché. Ensemble, ces offres donnent aux entreprises canadiennes les outils dont elles ont besoin pour réduire les risques financiers ainsi que le soutien en capital nécessaire pour percer de nouveaux marchés et y investir avec confiance et pour ultimement croître à l’échelle internationale.
Pour vous donner un peu de contexte, l’année dernière, ces produits et services ont permis d’appuyer près de 28 000 entreprises au Canada et de faciliter des activités d’exportation, d’investissement à l’étranger et de développement du commerce totalisant plus de 123 milliards de dollars.
Comme les membres du comité le savent peut-être déjà, EDC a toujours été rentable tout au long de ses 80 ans d’histoire. Elle verse régulièrement des dividendes au gouvernement du Canada. Nous appliquons des principes commerciaux fondés sur la viabilité financière, en nous assurant en tout temps que notre travail complète celui des compagnies d’assurance et des banques commerciales privées. Conformément à ce modèle, EDC n’accorde aucune subvention.
Comme nous le savons tous ici, le Canada est une nation commerçante. Notre prospérité repose sur un flux constant de biens et de services entrant et sortant de notre pays. Ensemble, les importations et les exportations représentent 65 % du PIB du pays. Les exportations représentent, à elles seules, 32 %.
Cette année, cependant, le pays qui était depuis des générations notre partenaire le plus fiable a commencé à prendre une direction différente. Il y a très peu de certitude quant aux relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, et nous commençons vraiment à en voir les effets.
Ce mois-ci, Statistique Canada a publié des données montrant que les exportations ont diminué en août, poussant le déficit commercial du Canada à son deuxième niveau le plus élevé jamais enregistré. Cela montre clairement l’incertitude que ressentent les exportateurs à l’égard du paysage commercial canadien.
[Traduction]
Ces sentiments se reflètent dans l’indice semestriel de confiance commerciale d’EDC, qui surveille et analyse le sentiment des exportateurs canadiens et des entreprises prêtes à se lancer dans l’exportation.
Selon le sondage de la mi-année 2025, l’indice de confiance se situait à 65,7, en baisse de 3,3 points par rapport au sondage de la fin de 2024 et la tendance à la baisse des niveaux de confiance se poursuivait, une première depuis la fin de 2022.
En poussant l’analyse plus loin, on constate que 40 % des répondants ont signalé une baisse des commandes américaines, comparativement à seulement 16 % six mois plus tôt.
Malgré cette baisse de confiance, le sondage a aussi révélé que les exportateurs explorent activement de nouveaux marchés. La plupart des répondants, soit plus de 70 %, ont l’intention de percer de nouveaux marchés d’ici deux ans et se concentrent sur les pays avec lesquels le Canada a conclu des accords de libre‑échange.
Nous constatons néanmoins que ces turbulences ralentissent la croissance prévue du PIB du Canada qui, selon la Banque du Canada, est sur une trajectoire permanente de croissance plus faible depuis que les États-Unis ont commencé à imposer des tarifs.
Pour atténuer les effets des tarifs douaniers américains, plusieurs sociétés d’État ont lancé des programmes au printemps dernier : la Banque de développement du Canada, ou BDC, a annoncé des prêts d’une valeur de 500 millions de dollars dans le cadre de son programme Pivoter pour se propulser; Financement agricole Canada offre 1 milliard de dollars en financement pour le secteur agricole canadien, et EDC est prête à investir 5 milliards de dollars sur deux ans pour soutenir les PME exportatrices, la pierre angulaire de l’économie canadienne.
Nous savons pertinemment qu’EDC doit absolument accroître son soutien parce que nos clients s’en tirent beaucoup mieux que les exportateurs qui ne profitent pas de notre soutien.
Selon une étude réalisée par Statistique Canada l’an dernier, les exportateurs canadiens soutenus par EDC ont généré 23 % plus de recettes, employé 16 % plus de main-d’œuvre et ont été 6 % plus productifs que les exportateurs du même calibre qui ne faisaient pas affaire avec EDC.
Au-delà d’une capacité financière accrue, nous offrons également des produits du savoir axés sur la diversification des marchés. À titre d’exemple, notre récent webinaire « Exporter en Europe » a attiré 500 participants en direct. C’est une excellente nouvelle, parce que la diversification — en Europe, en Amérique latine, dans les pays de l’Indo-Pacifique et ailleurs — est la clé pour saisir cette possibilité de transformation. Cette année d’incertitude nous donne l’occasion de nous sortir de nos dépendances économiques du passé et de devenir une économie concurrentielle, résiliente et sûre qui s’appuie sur des relations commerciales fiables avec les marchés du monde entier.
[Français]
Je vous remercie de m’avoir accordé du temps pour partager quelques informations sur EDC.
[Traduction]
M. Prusakowski et moi-même sommes disposés à fournir plus de détails aux membres du comité et à répondre à vos questions.
[Français]
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Moore.
[Traduction]
Monsieur Lee, vous avez la parole.
Ian Lee, professeur agrégé, Sprott School of Business, Université Carleton, à titre personnel : Sénateurs, je vous remercie.
Je vais commencer par vous donner quelques renseignements à mon sujet. Premièrement, je ne suis membre d’aucun parti, je ne contribue à aucune caisse de parti et je n’installe jamais de pancarte électorale devant chez moi. Deuxièmement, j’ai signé l’analyse empirique finale du programme de réduction des effectifs mis en place par le gouvernement Chrétien en 1995 — l’article s’intitulait « Pink Slips and Running Shoes » — et l’analyse du programme de compression du gouvernement Harper de 2013, dans la publication How Ottawa Spends parue aux presses universitaires McGill-Queen’s.
Les sénateurs ont discuté de déficits budgétaires, de viabilité, de garde-fous financiers et de nombreux autres sujets qui revêtent une importance cruciale pour notre avenir.
Pour votre information, je ne crois pas que le Canada se trouve au bord d’un effondrement financier imminent. Il est vrai que nous sommes engagés sur un chemin escarpé, sombre et dangereux vers un endettement toujours plus lourd, surtout lorsqu’il est correctement déclaré en tant que dette brute et non nette, en pourcentage du PIB, ce qui nous place au neuvième rang des pays de l’OCDE, selon les derniers chiffres publiés par l’organisation.
Mais cette façon binaire de voir les choses révèle comment nous en sommes progressivement arrivés là où nous sommes aujourd’hui, malgré les leçons que nous avons apprises à la dure dans les années 1980 et 1990 qui ont culminé sur le plus vaste programme de compression des dépenses de notre histoire.
En fait, il est extrêmement trompeur de prétendre qu’un dollar de nouvelles dépenses à la marge est acceptable parce que cela n’entraînera pas l’effondrement de l’économie — bien sûr que non — au lieu de se poser la question beaucoup plus importante et cruciale, qui est « Devons-nous dépenser dans chacun de nos principaux secteurs, comme nous le faisons actuellement? »
Dans le peu de temps dont je dispose aujourd’hui, je veux vous parler, dans une perspective méta ou macro-économique, de ce que j’appelle en plaisantant le « fétichisme manufacturier » — chapeau à Karl Marx — qui nous a menés là où nous en sommes aujourd’hui.
Cela a commencé avec le Pacte de l’automobile de 1965. En 1965, certains Canadiens étaient tellement préoccupés de la survie d’une petite industrie automobile défaillante que le gouvernement de l’Ontario a convaincu le gouvernement canadien qu’il était dans l’intérêt national de sauver cette industrie fortement concentrée dans le Sud de l’Ontario, avec un avant-poste à Sainte-Thérèse, au Québec.
Nous avons réussi à sauver l’industrie automobile, qui aurait sans aucun doute été forcée de mettre la clé sous la porte si elle n’avait pas eu accès au plus vaste marché du monde, en raison de notre faible population et de certains facteurs économiques fondamentaux comme les dépenses faramineuses en immobilisations et les coûts gargantuesques de la R-D dans le secteur de la fabrication automobile. Tout cela nécessitait d’importants cycles de production pour réaliser des économies d’échelle et produire des revenus, ce que le regretté et brillant Sergio Marchionne, ancien PDG de Fiat-Chrysler, a souvent affirmé.
L’an dernier, l’Association des constructeurs européens d’automobiles a calculé que les coûts liés aux activités de recherche et de développement dans le secteur automobile mondial s’élevaient à 150 milliards d’euros — soit environ 200 milliards de dollars canadiens — rien que pour faire partie de ce secteur.
Au Canada, de la fin des années 1960 à 1995, nos élites politiques croyaient dans ce que le professeur d’administration de Harvard, Alfred Chandler, appelait la « main visible » de la direction centralisée et pyramidale, ou dans ce que les universitaires français appelaient le « dirigisme ». Autrement dit, nos élites croyaient que les personnes au sommet de la hiérarchie, qui sont plus instruites, mais sans aucune expérience de la gestion d’une grande entreprise, possédaient une compréhension stratégique plus approfondie des tendances et des possibilités du marché que les gens qui ont travaillé toute leur vie dans les marchés industriels.
En 1995, la quasi-insolvabilité du gouvernement fédéral a mis ces idées en veilleuse, à cause du programme de compressions le plus vaste de l’histoire canadienne. Nous ne pourrons jamais assez remercier l’ancien premier ministre Chrétien pour cela.
Cependant, une fois la richesse revenue grâce à une gestion prudente des compressions, il était inévitable que le spectre — encore une fois, chapeau à Marx — de la politique industrielle revienne nous hanter.
L’histoire ne se répète jamais de la même façon. Depuis quelques années, nous assistons à la résurgence de deux conceptions très différentes de la politique industrielle.
On pourrait qualifier librement la première d’environnementalisme et de planification centrale verte. Selon cette conception, le gouvernement fédéral se situe en haut de la pyramide et utilise une combinaison de règlements, comme la taxe carbone, et de subventions, comme celles accordées pour les véhicules électriques. Nous avons cependant appris, encore une fois, que bien des gens n’apprécient pas qu’on leur dise quoi faire.
La deuxième force a émergé de manière inattendue en 2016, avec l’élection du président Trump. Un nombre étonnant de politiciens, d’experts et de professeurs ont décrit M. Trump comme un ego dépourvu d’objectifs, d’orientation, de vision ou de compréhension. Je ne suis pas ici pour défendre Trump. En rétrospective, cependant, si nous sommes honnêtes, nous devons reconnaître que nous faisions fausse route, car Trump représentait la dernière version de la politique industrielle, un bon mercantilisme à l’ancienne, se servant de la pleine autorité de l’État pour intervenir dans de nombreux secteurs de l’économie pour des motifs nationalistes.
Et alors? Comme l’a fait remarquer la semaine dernière un autre visionnaire, Jean Charest, nous remercierons un jour M. Trump de nous avoir forcés à nous remettre en question.
Depuis 1965, les Canadiens adhèrent à l’idée absolument fantaisiste selon laquelle un petit pays de 40 millions d’habitants, moins populeux que la Californie, peut devenir un concurrent de taille dans le secteur manufacturier contre les trois centres mondiaux de fabrication que sont les États-Unis, la Chine et l’Europe et réussir à construire des avions — Bombardier —, des automobiles et des navires, sans tenir compte des dépenses faramineuses en immobilisations et en R-D qu’il devra faire pour y arriver. Nous avons donc dépensé des milliards et des milliards de dollars en subventions pour rien.
Sénateurs, comme l’a fait remarquer la sous-gouverneure de la Banque du Canada, il est temps de tirer la sonnette d’alarme et de nous débarrasser des illusions et des désillusions créées par notre rêve de devenir un concurrent manufacturier de calibre mondial plutôt qu’un promoteur de ressources de classe mondiale, en exploitant nos billions de dollars de ressources en minéraux critiques, en électricité, en potasse, en bois d’œuvre, en produits agricoles, en poisson, en pétrole et en gaz.
Je vous remercie.
[Français]
Le président : Merci de votre présentation qui était fort intéressante. Passons maintenant à la ronde de questions.
Le sénateur Forest : Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui; c’est très intéressant. Monsieur Moore, vous dites que la clé est dans la diversification. Je pense que c’est un objectif qui est poursuivi avec beaucoup de potentiel. L’un des éléments préoccupants est le suivant : on sait que l’Europe et le Royaume-Uni mettront en place une taxe carbone dès 2026-2027. Comment votre organisation soutiendra-t-elle nos exportateurs en ce qui a trait à cette contrainte qui pourrait s’avérer pénalisante?
M. Moore : Merci pour la question, monsieur le président.
[Traduction]
Je vais vous livrer quelques réflexions et je demanderai à mon collègue de répondre à votre question. Je vais commencer par l’Europe puisqu’elle est vraiment dans la mire des exportateurs canadiens.
Je reviens tout juste d’un séjour de quelques semaines dans l’Est du Québec, ainsi qu’à Moncton, au Nouveau-Brunswick, et à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard où j’ai rencontré des clients canadiens. Ce séjour n’était pas intentionnel, c’est par pure coïncidence que je me suis retrouvé là-bas et tous les clients que j’ai rencontrés m’ont dit qu’ils avaient l’Europe en tête.
L’Europe est un marché multiple, comme nous le savons, et il y a une complexité liée à cela. L’une des missions d’EDC est de faciliter l’accès des entreprises canadiennes au marché européen, et nous voulons d’abord nous assurer que nous avons toutes les capacités dont nous avons besoin.
Je vais maintenant laisser mon collègue répondre à votre question sur les considérations environnementales, qui ont également été soulevées par le groupe de témoins précédent.
Ross Prusakowski, économiste en chef adjoint et directeur, Renseignements sur les pays et les secteurs, Exportation et développement Canada : Je vous remercie, sénateur. En ce qui concerne la politique européenne, nous constatons les nombreuses facettes de l’Europe. Les pays européens proposent des politiques et font des annonces, mais elles ne sont pas mises en œuvre.
Par exemple, la mise en œuvre de leur politique anti‑déforestation vient encore d’être reportée d’un an. Nous constatons un certain pragmatisme en Europe. Les Européens essaient d’avancer sur le front politique, tout en cherchant à maintenir un équilibre entre leur sécurité nationale, leur sécurité énergétique et les liens commerciaux multilatéraux qu’ils sont en train d’établir.
Donc, même si le Canada a reculé sur le front politique de la taxe carbone imposée aux consommateurs, nous continuons d’imposer cette taxe aux grands émetteurs et d’aller de l’avant avec d’autres solutions mises en place dans le cadre de cette politique. C’est donc une bonne occasion pour nous de conclure un accord avec l’Union européenne et les gouvernements des pays européens.
Nous ne savons toutefois pas si le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sera pleinement en place à la date prévue, je pense que c’est en 2027. Le cas échéant, nous aurons peut-être des occasions de travailler en collaboration, mais je pense que c’est un domaine où le Canada est bien positionné compte tenu de nos arrangements actuels et des discussions que nous avons avec les Européens.
[Français]
Le sénateur Forest : Dans le cadre de votre important programme de 5 milliards de dollars sur deux ans, est-ce qu’il y a des mesures spécifiques ou concrètes qui prévoient justement d’accompagner nos exportateurs par rapport à cette réalité?
[Traduction]
M. Moore : Merci pour cette question. Le programme de 5 milliards de dollars a été mis en place en mars dernier. Il vise à promouvoir les nombreux produits et solutions que nous offrons — assurance, garanties, fonds de roulement, financement pour l’acquisition pour n’en nommer que quelques-uns — et à accroître notre appétit pour le risque afin de soutenir des entreprises canadiennes qui se retrouvent peut-être dans des positions plus difficiles que celles que nous avons connues.
Ce qui est intéressant, comme nous l’avons constaté par la réaction à notre programme, c’est que de nombreuses entreprises canadiennes sont en mode attentiste. Elles ont l’impression que ce n’est pas le bon moment d’accroître leur levier financier. C’est l’une des choses que nous avons apprises en fin de compte.
Nous avons certes constaté que le lancement du programme a stimulé chez elles une soif de se renseigner. Pour répondre concrètement à votre question, je dirais que nous fournissons beaucoup d’informations, notamment dans le cadre de webinaires ainsi que par le biais de notre centre aide-export qui offre une foule de renseignements très pratiques sur l’exportation vers l’Europe et les exigences réglementaires, fiscales et douanières, par exemple. Ces renseignements sont très en demande.
De plus, notre équipe n’a jamais répondu à autant de questions pour aider les entreprises canadiennes à s’orienter dans toutes ces démarches.
Un bon signe, c’est qu’elles s’intéressent plus sérieusement à ce qu’il faut faire concrètement pour exporter vers la France, par exemple, ce qui n’était pas le cas auparavant, quand elles ne posaient que des questions générales pour manifester leur intérêt à l’égard de l’Europe. Elles veulent maintenant savoir exactement ce qu’elles doivent faire pour percer ce marché, avec qui travailler et à qui vendre. C’est un très bon signe.
Dans bien des cas, les entrepreneurs n’ont pas encore signé de contrat ou n’ont pas encore besoin de produits financiers ou de solutions susceptibles de les aider à exécuter leur contrat.
Le sénateur Cardozo : Monsieur Lee, au risque de me répéter, je dois dire que vous ne manquez jamais une occasion de provoquer, et c’est justement pour cela que nous vous invitons ici.
Si je prends toujours plaisir à vous écouter, c’est notamment parce que vous lisez une foule de rapports sur les tendances et tout ce qui se passe dans le monde. Vous avez tellement de précieux renseignements à nous communiquer que j’ai renoncé à en prendre note. Je vais plutôt lire la transcription plus tard pour me souvenir de ce que vous avez dit.
Quelles sont les grandes tendances mondiales auxquelles nous devrions réfléchir? Je me rappelle une séance que j’ai eue avec vous il y a quelques années. Vous aviez parlé de la crise du logement avant tout le monde.
Selon vous, quelles sont les tendances mondiales que nous devrions surveiller et dont nous devrions nous préoccuper, surtout celles dont personne ne parle?
Monsieur Moore, je voudrais aussi vous poser une question pour poursuivre la discussion que vous avez eue avec mon collègue sur les raisons pour lesquelles nous n’utilisons pas tous ces accords de libre-échange que nous avons conclus. Pourquoi le secteur privé n’en profite-t-il pas? Je suppose que c’est parce que c’était si facile de faire du commerce avec les États-Unis. Est-ce que cela va changer maintenant?
M. Lee : Sénateur Cardozo, c’est toujours un plaisir pour moi de vous revoir. Nous nous connaissons depuis plus de 35 ans ou plus et avons eu tellement d’excellentes conversations sur les politiques.
Je vous remercie pour votre question. Soit dit en passant, je ne suis pas contre la diversification du commerce. C’est la voie à suivre et je félicite EDC pour l’excellent travail qui s’y fait depuis des années dans ce domaine, mais certaines tendances plus générales se dessinent, comme nous le savons. Malheureusement, nous sommes en train de nous écarter d’un monde fondé sur le commerce. Je ne dis pas que c’est la fin de la mondialisation. Je ne pense pas que ce soit le cas. Il y a un remixage en cours et nous nous dissocions de certains pays, comme la Chine, par exemple.
Je ne suis pas en train de dire que nous allons vers la démondialisation. C’est mon premier point.
Deuxièmement, j’insiste sur ce que j’ai déjà dit. Si nous prenons un peu de recul et examinons les données mondiales de l’OMC ou de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, ou CNUCED, force est de constater que l’Europe, les États-Unis et la Chine — et quand je dis la Chine, j’entends la Chine et le Japon — sont les trois centres mondiaux de la fabrication. Certains autres pays ont des grappes relativement petites dans ce secteur, mais ce ne sont pas les marchés dominants, et cela n’est pas un hasard. Ces trois pays ont une population que les petits pays n’ont pas. Voilà pourquoi la Suède exporte vers l’Europe. Contrairement à la Chine, notre pays ne compte pas 1,3 milliard d’habitants. Je ne vais pas répéter tous les chiffres.
Ce que je veux dire, d’abord et avant tout, c’est qu’au cours des 60 ou 70 dernières années, notre succès dans le secteur manufacturier tient à une seule raison : nous avons eu la chance que l’ancien président Lyndon Johnson accepte, en 1965, de nous aider à renflouer notre industrie automobile et nous donne accès au plus grand marché du monde. Notre réussite a duré aussi longtemps que nous avions accès à ce marché.
Il y a quelques jours, le président américain a très clairement signifié que nous ne pourrons plus vendre de voitures ni en exporter en franchise de droits, ce que son secrétaire au Commerce a vigoureusement répété.
Je suppose que cette nouvelle politique américaine va nous obliger à revoir toute la structure économique de notre pays. J’en conclus que nous devons nous tourner vers nos ressources, et je ne parle pas seulement du pétrole et du gaz. Le Canada recèle d’importantes ressources, comme nous le savons. Le Québec a de l’électricité, nous avons du poisson, de l’agriculture, la liste est longue.
Le deuxième point sur lequel je veux insister, et je m’arrêterai ensuite, c’est que nous délaissons malheureusement un ordre commercial fondé sur des règles. Je crois d’ailleurs que la Chine n’y a jamais cru. Le Canada, les États-Unis et d’autres pays ont recueilli de nombreuses preuves à l’effet que les Chinois n’ont cessé de tricher depuis le jour même de leur adhésion à l’OMC. Nous devons nous adapter au fait que nous vivons dans un monde beaucoup plus mercantiliste. Rappelons-nous ce que disait M. Kissinger : les pays n’ont pas d’amis ni d’ennemis, ils n’ont que des intérêts.
Nous devons donc définir notre intérêt national au Canada. C’est peut-être nos ressources. Il se peut que certains d’entre vous ne soient pas d’accord. Si vous pouvez avancer un argument assez solide pour me convaincre que nous pouvons réaliser des économies d’échelle avec une population de 40 millions, ce qui me semble impossible, il se pourrait alors que nous puissions continuer à miser sur le secteur manufacturier. À mon avis, nous devons nous engager dans une voie différente, celle des services et des ressources.
La sénatrice Ross : Ma question s’adresse à MM. Moore et Prusakowski. Je viens du milieu de la petite entreprise et je m’intéresse au soutien qu’EDC peut offrir aux petites et moyennes entreprises. Il y en a plus d’un million dans notre pays, mais à peine 15 % d’entre elles exportent. Que peut faire EDC pour les aider rapidement à faire face aux nombreux défis dont elles parlent : tarifs douaniers, conjoncture économique mondiale, repérage de clients, flux de trésorerie, hausse des dépenses, difficulté à maintenir la rentabilité et, comme toujours, difficulté pour les petites entreprises d’avoir accès à du financement?
Que pouvez-vous faire concrètement pour aider les petites et moyennes entreprises et celles qui sont en phase de démarrage à se lancer rapidement dans l’exportation? Nous avons besoin de ces entreprises.
M. Moore : C’est une excellente question. Une part importante de notre travail est de soutenir les petites entreprises. Elles ne représentent peut-être pas un pourcentage important des 123 milliards de dollars que j’ai cités tout à l’heure, mais elles comptent parmi des 28 000 clients avec lesquels nous faisons affaire annuellement.
D’après ce que nous voyons aujourd’hui, il y a deux catégories d’entreprises. Premièrement, il est vraiment important de fournir de l’information aux petites entreprises. C’est ce que j’ai récemment constaté dans le cadre de mes visites chez des clients. Il y a une grande différence entre les entreprises, selon qu’elles ont des revenus de 1 million de dollars, ou de 10 ou 100 millions, dans leur capacité d’envisager les choses de manière simple. Nous leur offrons une gamme d’outils du savoir qui peuvent leur être très précieux.
Notre économiste en chef n’est pas ici aujourd’hui parce qu’il est à St. John’s, Terre-Neuve. Pourquoi? Surtout pour informer les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas la chance d’avoir leur propre économiste en chef ou d’avoir accès à toute l’information, contrairement aux grandes entreprises. Le taux de participation à nos séances d’information est très élevé et les renseignements que nous leur fournissons sont plutôt généraux. Qu’est-ce qu’un tarif? Comment les tarifs fonctionnent-ils? Comment peut-on les contourner? Que doit-on faire pour exporter en Europe? Qu’est-ce qu’un accord de libre-échange? Comment est-ce que cela fonctionne? Nous leur fournissons une pléthore d’informations. Nous sommes très fiers de ce travail. C’est utile.
Deuxièmement, nous entendons la même chose dans nos propres postes d’écoute, que ce soit dans le cadre de nos sondages officiels ou autrement. Les petites entreprises nous disent qu’il leur est très difficile d’avoir accès à des capitaux. Leurs marges sont réduites. Elles ont plus de difficulté que les moyennes et grandes entreprises à satisfaire une série de paramètres que nous examinons. Nous sommes tout à fait disposés à fournir un fonds de roulement aux petites entreprises, dans le cadre de notre programme de 5 milliards de dollars et d’autres mesures. Nous le faisons principalement par le truchement des banques, car de nombreuses petites entreprises font déjà affaire avec l’une des banques canadiennes. Il y a évidemment un certain nombre de grandes banques et beaucoup de petites. Nous trouvons qu’il est plus facile de passer par leur banque et nous offrons une garantie pour augmenter le montant du fonds de roulement. C’est notre travail de tous les jours.
Ce programme est fondé sur des paramètres de risque élargis et nous voulons continuer à fonctionner ainsi. Nous avons constaté que c’était assez efficace, parce que les entreprises ne sont pas obligées d’établir une relation avec une nouvelle banque, ce qui leur évite une foule de formalités et d’étapes supplémentaires. Le fait de passer par leur propre banque est très efficace pour nous, et nous avons automatisé cette procédure au fil du temps pour faciliter le processus.
La sénatrice Ross : Quels sont les principaux moyens auxquels vous avez recours pour informer le secteur des petites entreprises des services que vous offrez? Comment rejoignez‑vous les petits entrepreneurs pour leur dire que vous êtes là pour eux et ce que vous pouvez faire?
M. Moore : C’est difficile parce que les petites entreprises sont très nombreuses ici au Canada. Nous avons plusieurs moyens de les atteindre. Premièrement, nous faisons la promotion des solutions qu’EDC leur offre par le biais des canaux modernes, comme LinkedIn, YouTube et d’autres plateformes. Je dis toujours qu’EDC est probablement le secret le mieux gardé du Canada pour les gens qui souhaitent se lancer dans l’exportation. Nous nous efforçons de lever le voile sur ce secret. Ce n’est pas une démarche délibérée, car ce n’est pas si facile d’aller rencontrer toutes les entreprises du Canada. Les médias sociaux sont un canal parmi d’autres pour y arriver.
Deuxièmement, nous passons beaucoup de temps à sillonner le pays. Je suis allé partout et M. Prusakowski également. Comme je l’ai mentionné, notre économiste en chef est actuellement à St. John’s pour s’entretenir avec des entreprises. Nous organisons beaucoup de tables rondes avec les chambres de commerce, ce qui est une excellente façon de procéder parce qu’elles ont accès à un grand nombre de membres locaux et de petites entreprises.
J’aimerais également que les institutions financières fassent davantage d’efforts pour faire connaître EDC. Nous ne cessons de le répéter. Je pense que nous sous-utilisons la capacité des institutions financières du Canada de promouvoir nos services.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Lee, j’ai trouvé votre exposé très intéressant et très rafraîchissant dans un comité comme celui-ci. J’aimerais vous entendre sur les bases de l’économie. On nous a toujours dit que le secteur primaire n’avait pas une plus-value assez importante parce qu’on exporte très rapidement nos produits non transformés. Au contraire, le secteur manufacturier était perçu comme l’avenir de notre société capitaliste. Or, vous démantelez tout cela, mais en fait, l’avenir n’est-il pas plutôt dans une économie dématérialisée, c’est-à-dire tout ce qui a trait à l’intelligence artificielle plutôt qu’à la potasse?
[Traduction]
M. Lee : Je vous remercie de cette question. Comme le sénateur Cardozo l’a fait remarquer, je lis énormément et je ne consulte personne. Chaque année, j’enseigne en Europe et en Chine, et je lis une panoplie de rapports. Je ne parle pas de revues savantes, même si je ne les écarte pas. Je lis les rapports de l’ONU et de l’OMC. J’ai lu le rapport stupéfiant de l’ancien gouverneur de la Banque centrale européenne sur les problèmes auxquels fait face l’Europe, ainsi que le rapport de Mario Draghi sur le déclin de la compétitivité européenne. J’espère que vous l’avez tous lu. C’est un rapport édifiant.
Pour revenir à votre question, c’est l’une des grandes légendes urbaines qui circule depuis mon enfance voulant que c’est une mauvaise idée de vouloir devenir bûcheron ou porteur d’eau. Nous avons tous été élevés dans cette idéologie. Je parle bien d’« idéologie », parce que le professeur Stephen Gordon, un éminent économiste de l’Université Laval qui a publié de nombreux articles au fil des ans, ainsi qu’un jeune économiste en passe de devenir célèbre, le professeur Tombe, de Calgary, affirment tous deux que c’est dans le secteur des ressources que la valeur ajoutée et les contributions à notre productivité et à notre prospérité ont été les plus élevées. Ces contributions ont été tout simplement étonnantes, et il s’agit de données économétriques objectives, et non d’opinions et de ragots. Trevor Tombe a publié des études très semblables qui vont dans le même sens et confirment ce que le professeur Stephen Gordon, de l’Université Laval, publiait dans les années 1990.
Je vous exhorte tous à examiner ces données. En étudiant cette situation et en la comparant à celle du secteur manufacturier, on ne peut pas soutenir que le secteur manufacturier apporte une plus grande — non pas une valeur actualisée nette —, mais une plus grande contribution au Canada. Au cours de ces 15 à 20 dernières années, le secteur des ressources a contribué aux trois quarts de l’amélioration de notre niveau de vie. Ces chiffres sont renversants.
Soulignons que nous disposons de ressources naturelles très avantageuses. Comme nous le savons tous, la géographie du pays existait déjà depuis d’innombrables années avant notre arrivée. Il y a quelques années, le chancelier de l’Allemagne, en visite au Canada, a dit qu’il ne voulait pas nos voitures, mais plutôt notre gaz naturel liquéfié. Le premier ministre du Japon a dit la même chose. J’aurais dû mentionner cela en répondant à la question du sénateur Cardozo. En fait, l’ironie de la nouvelle économie numérique avancée est qu’il lui faut encore plus de ressources. Nous avons besoin de lithium. Nous avons besoin de toutes sortes de minéraux critiques pour développer notre nouvelle économie verte. Le paradoxe, c’est que le secteur des ressources est encore plus important qu’il ne l’était pour l’ancienne économie traditionnelle de la deuxième moitié du XXe siècle.
Je le répète, quand je parle de ressources, je ne veux pas que les gens pensent qu’il s’agit d’un code pour le pétrole et le gaz. Je parle de toutes les ressources. Nous avons un avantage énorme. Je crois que nous sommes au quatrième rang mondial pour ce qui est des réserves de minéraux critiques. Les Américains, comme nous le savons, ont une peur bleue que la Chine mette la mainmise sur les États-Unis. Je lis les revues Foreign Affairs et Foreign Policy. Dans ses articles mensuels, l’intelligentsia de Washington semble affolée face à la menace de la Chine, qui détient le monopole des minéraux critiques. Le peuple américain s’en aperçoit enfin, et Trump signe des accords. Il vient d’en signer un avec l’Australie. Nous devrions le faire également.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Ma première question s’adresse à M. Moore et la suivante à M. Lee. Dans votre rapport de septembre, vous mentionniez que beaucoup d’entreprises qui exportent veulent se diriger vers de nouveaux marchés; cependant, elles ont besoin d’aide financière et de soutien et elles veulent diversifier leurs activités dans les deux années qui viennent, donc l’exercice est déjà commencé. Jusqu’à maintenant, avez-vous vu une augmentation du volume d’affaires chez vous?
[Traduction]
M. Moore : Quant à notre propre activité, nous constatons en réalité une baisse générale et non une hausse. Il est toutefois important d’en examiner les raisons sous-jacentes. Cette baisse a certainement un impact sur notre assurance-crédit, qui constitue une part importante de nos activités visant à garantir des acheteurs. La diversification a en réalité un effet positif, et le fait que les gens vendent dans de nouveaux marchés est un bon signe. Nos ventes à destination des États-Unis sont en baisse, ce qui compense en partie les résultats de nos activités dans le marché américain.
L’attitude d’attentisme est probablement plus évidente dans nos activités liées aux garanties financières. Les entreprises investissent moins dans de nouveaux centres de distribution, dans de nouvelles automatisations, et autres. Ces chiffres sont donc en baisse dans le contexte canadien afin d’ouvrir la porte aux échanges commerciaux.
Ils sont certainement en hausse dans la région de l’Asie‑Pacifique. Depuis quelques années, nous constatons une augmentation des activités d’Exportation et développement Canada, EDC, et du Canada. En Europe, nos activités n’ont augmenté que très prudemment. Nos volumes commencent à se diversifier, mais, dans l’ensemble, nos activités sont à la baisse à cause du ralentissement face aux États-Unis et de l’attitude attentiste au Canada.
Le sénateur Dalphond : Si une vague arrivait, vous seriez prêt à y faire face.
M. Moore : Nous serions heureux de soutenir la diversification.
Le sénateur Dalphond : Monsieur Lee, je sais que nous essayons de conclure un accord avec les États-Unis et que l’accord de libre-échange est imminent, car il est en cours de discussion. D’après ce que vous avez dit, je comprends que le gouvernement et les Canadiens devraient se concentrer sur les minéraux rares, sur l’énergie et peut-être même sur l’eau ainsi que sur la défense commune et sur notre part des dépenses de défense. Quant au reste, comme l’industrie automobile et autres, nous devrions plus ou moins leur dire adieu.
Qu’en est-il des services financiers?
M. Lee : Merci beaucoup. Je ne suggère pas que nous lâchions complètement les États-Unis. Certains l’ont suggéré dans les médias nationaux, mais à mon avis, cette idée est ridicule. Examinons un peu quelques paires de pays dans le monde — je l’ai fait, parce que j’ai enseigné plus de 100 fois en Europe pendant les années 1990 après l’effondrement du communisme. J’ai étudié l’Allemagne et la Pologne, parce que j’y enseignais deux ou trois fois par année. Qui a toujours été le principal investisseur en Pologne? C’est l’Allemagne.
Regardons l’Argentine et le Brésil. Avec qui font-ils le plus d’affaires? L’un avec l’autre. Il est donc tout à fait ridicule de penser que nous allons soudainement lâcher un pays qui a la plus vaste économie du monde et jeter les deux tiers ou la totalité de nos échanges commerciaux dans un avion, un bateau ou autre pour les exporter en Europe.
Oui, en diversifiant notre commerce, si nous pouvons réduire ces échanges commerciaux de 10 % — de 70 à 60 % —, nous ferons d’excellents progrès, et je félicite EDC d’avoir pris cette direction. Mais pour répondre à votre question, nous devons maintenir notre relation avec les États-Unis, même si elle est différente. Je félicite le premier ministre. Il agit très bien. Je le félicite de ne pas avoir mis en place des représailles tarifaires, parce qu’elles auraient taxé les Canadiens et non les Américains.
Cette nouvelle relation sera différente, car elle reposera davantage sur les ressources. Cependant, pour répondre à votre question, personne ne s’est encore opposé à l’argument que j’avance, soit qu’avec la construction automobile seulement, les dépenses en capital et la R-D — ce qui n’est pas la même chose —, les dépenses en capital de ces entreprises sont stupéfiantes. Le regretté Sergio Marchionne affirmait que l’industrie était devenue si gigantesque et si gourmande en capitaux qu’elle ne pouvait plus soutenir les dix grands constructeurs automobiles mondiaux. Imaginez : selon lui, il faudrait passer à cinq constructeurs.
Pourtant, les gens disent que nous pouvons créer nos propres secteurs de la construction automobile, navale et aéronautique. Cela ne sera pas possible, parce que nos secteurs ne sont pas assez grands. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas assez bons ou assez intelligents, mais nous n’avons pas les économies d’échelle, et nous ne les aurons pas à moins d’avoir accès au marché américain. Malheureusement, il semble que M. Trump nous ait claqué la porte au nez.
Une dernière observation rapide pour ceux qui disent qu’il nous suffit de supporter Trump jusqu’à ce que les démocrates reviennent au pouvoir : les démocrates ont toujours été protectionnistes. Ils ont voté contre l’accord de l’ALENA de Bill Clinton. Par conséquent, ceux qui pensent que l’un ou l’autre de ces partis sauvera le Canada dans le domaine de la fabrication se trompent.
Il faut reconnaître que nous ne pouvons pas nous engager dans cette voie. Espérons que nous conserverons la fabrication de pièces d’automobile. M. Lutnick a dit il y a deux jours que les États-Unis ne s’attaqueront pas à cela. Je ne suggère donc pas que toutes nos usines de fabrication ferment. Je veux dire que nous devrions accepter et reconnaître que le pilier central, qui était l’assemblage automobile, touche à sa fin et que nous devrions nous tourner vers d’autres activités.
J’ajouterai rapidement que ce n’est pas la fin du monde pour le Canada. Quand l’Australie a mis fin à sa fabrication d’automobiles en 2017, tout le monde a prédit qu’elle allait s’appauvrir. Son PIB par personne, qui était inférieur à celui du Canada en 2017, est maintenant plus élevé. L’Australie est en plein essor sans fabriquer de voitures.
Le sénateur Gignac : Je suis économiste, et j’aime beaucoup votre témoignage, monsieur Lee, ainsi que votre déclaration préliminaire. Ce que vous nous dites est très utile — c’est l’un des témoignages les plus utiles que j’aie entendus depuis quatre ans que je siège au Sénat.
M. Lee : Merci.
Le sénateur Gignac : Parlons des ressources. Le Canada affichait des noms impressionnants dans le passé, comme Inco, Falconbridge, Alcan. Malheureusement, ces grandes sociétés canadiennes sont parties ou ont été rachetées par d’autres. Nous avons maintenant la technologie, sur laquelle les Américains risquent de mettre la main mise. Quant aux ressources naturelles, je suis d’accord avec vous, mais nous devons récupérer nos rentes économiques, autrement les plus grands gagnants ne seront pas les Canadiens, mais les actionnaires.
Que pensez-vous de la possibilité de faire ce que fait Trump à Washington? Nous pourrions pratiquer le capitalisme d’État en introduisant le gouvernement dans une société d’exploitation de ressources naturelles pour récupérer nos rentes économiques. Autrement, nous n’y gagnerons que quelques emplois, et tous les profits iront aux actionnaires.
M. Lee : C’est une excellente question, et j’espère que nous en discuterons davantage. Je ne suis pas un grand partisan du capitalisme d’État, mais je ne m’y oppose pas catégoriquement. Je préférerais faire cela au lieu de verser des milliards de dollars pour subventionner et créer une industrie de fabrication d’automobiles qui ne serait pas viable parce qu’il lui manque les économies d’échelle.
Pour répondre plus précisément à votre question, même Trump se positionne dans le domaine des minéraux critiques. Vous avez tout à fait raison, nous devrions certainement examiner cela. En même temps, nous devrions agir très prudemment — et je parle en fait au nom de mon professeur Mintz — avec la Chine. Même si je respecte la Chine — j’y enseigne chaque année depuis 1997, et je connais des étudiants chinois dans la trentaine et la quarantaine qui sont phénoménaux —, ce pays n’est ni un ami ni un allié. Il est crucial que nous reconnaissions cela.
Nous devrions donc restreindre la prise de contrôle des investissements étrangers par des régimes hostiles aux intérêts canadiens. Pour répondre à votre question, oui, le gouvernement du Canada devrait envisager de prendre position dans l’une ou l’autre de ces industries du secteur des ressources, qui sont cruciales pour notre avenir.
Le sénateur Gignac : Je vais poursuivre la conversation que ma collègue, la sénatrice Hébert, a entamée avec les témoins précédents au sujet du tarif sur les véhicules électriques, les VE, importés de Chine. Ces relations sont délicates, parce que le Canada a son propre secteur automobile. Ce secteur n’a peut-être plus beaucoup d’avenir, mais nous ne voulons pas contrarier Trump, qui pourrait réagir avec force.
Voyez-vous un moyen ou une possibilité d’ouvrir notre marché aux VE chinois, par exemple? Ces autos seraient abordables. Pourrions-nous le faire en établissant un contingent. Ou alors, pourrions-nous simplement faire comme les Européens, par exemple, qui appliquent sur ces VE chinois un tarif d’environ 30 % et non de 100 %?
M. Lee : Je vous remercie aussi pour cette question. Elle est très importante. Jusqu’à présent, tout ce débat s’est déroulé de façon binaire : soit nous imposons des tarifs sur tout ce qui nous vient de la Chine, sur les VE, soit nous n’en imposons aucun. Au sujet de l’industrie des VE, l’International Energy Agency vient de publier une excellente étude intitulée Global EV Outlook 2025. Elle est fascinante. Je vous recommande fortement d’en lire le rapport. Il contient beaucoup de graphiques et de tableaux. C’est phénoménal : la Chine représente 60 % de l’industrie mondiale des véhicules électriques. C’est ma première observation.
Ma deuxième observation — et je m’exprime maintenant en mon nom personnel —, c’est que j’enseigne chaque année en Chine, à Shanghai. C’est essentiellement un programme de MBA pour gens d’affaires, et mes étudiants sont d’accord. Depuis 10, 12 ou 14 ans, ils se répartissent la tâche d’aller me chercher pour m’amener en classe et ensuite pour me ramener chez moi. Je crois que j’ai voyagé ainsi dans tous les véhicules électriques chinois qui existent. Ces véhicules sont tellement avancés technologiquement que cela fait peur.
Je vous parle en toute honnêteté. Les fabricants de VE chinois ont bénéficié d’énormes subventions, je ne le conteste pas. Toutefois, je tiens à souligner que le Canada ne pourra pas produire un VE pour 15 000 $. S’il existe une façon de le faire, je ne l’ai jamais vue. Les Chinois fabriquent un VE pour 15 000 $ — il s’appelle le Seagull — qu’ils exportent au Brésil. Nous pourrions envisager de protéger notre industrie au seuil où elle entre en jeu, probablement à 70 000 ou 80 000 $ par VE.
À quoi cela nous servirait-il d’imposer des tarifs sur les VE chinois de 15 000, 25 000 ou 30 000 $ si nous ne sommes pas capables de les fabriquer et que les Américains ne peuvent pas le faire non plus?
Nous pourrions peut-être subdiviser les tarifs en n’imposant rien sur les produits inférieurs au seuil, ce qui aiderait les Canadiens à revenu modeste à acheter un VE pour 30 000 ou 40 000 $, et maintenir les tarifs sur les VE plus coûteux. Il serait possible de faire ce compromis, et cette mesure bloquerait sérieusement l’importation des VE chinois.
La sénatrice MacAdam : Ma question s’adresse à M. Moore. Comme je viens de l’Île-du-Prince-Édouard, je suis très heureuse d’apprendre que vous avez visité notre île il n’y a pas longtemps.
Selon notre gouvernement provincial, notre industrie des technologies propres est en pleine croissance et contribue de façon importante au PIB de la province.
En publiant son rapport de 2025 sur les technologies propres, Exportation et développement Canada a souligné que, bien que les objectifs climatiques stagnent et que les tensions commerciales s’intensifient, les technologies propres demeurent résilientes.
Quels sont les programmes d’investissement les plus importants que vous offrez aux entreprises de technologies propres?
M. Moore : J’ai beaucoup aimé mon séjour à Charlottetown la semaine dernière. En fait, la gamme des industries était incroyable. J’ai eu l’agréable surprise de découvrir que les biosciences y étaient aussi représentées. Je ne connaissais pas beaucoup ce domaine.
Nous offrons divers programmes. Les entreprises spécialisées dans les technologies propres peuvent être très petites ou légèrement plus grandes, mais la majorité d’entre elles sont de taille modeste.
Certains des produits que j’ai décrits tout à l’heure cadreraient bien dans nos programmes. Parfois, il faut un fonds de roulement. Nous établissons des garanties bancaires pour accroître le financement d’entreprises de technologies propres.
Nous offrons un programme de jumelage d’investissements dans le cadre duquel nous collaborons avec d’autres acteurs qui investissent des capitaux propres dans des entreprises prometteuses de ce secteur. EDC verse une contribution équivalente s’il s’agit d’une entreprise prometteuse qui a le potentiel d’exporter ses produits. Ce programme a eu beaucoup de succès.
Parfois, nous en faisons plus. Nous investissons nous-mêmes dans des entreprises canadiennes de technologies propres qui ont le potentiel de devenir championnes. Ce sont probablement les cas les plus courants.
Quand ces entreprises prennent de l’expansion, certains de nos autres produits et services entrent en jeu. Nous offrons des garanties à des entreprises qui soumissionnent pour des projets publics exigeant une lettre de crédit ou autre. Nous sommes en mesure de les aider.
Quand ces entreprises prennent encore plus d’expansion, nous pouvons leur prêter des fonds pour agrandir leur usine ou pour acquérir une autre entreprise dans leur secteur afin d’accroître leurs exportations. Nous avons toute une gamme de produits.
Nos plus grands programmes soutiennent les projets d’énergie renouvelable à grande échelle auxquels le Canada participe. Nous le faisons par l’entremise d’un régime de retraite fédéral, d’une société canadienne d’ingénierie ou de fournisseurs de produits canadiens. Je dirais que la fourchette s’étend de minuscule à énorme.
La sénatrice MacAdam : Collaborez-vous aussi avec des provinces pour lancer des programmes qui pourraient s’intégrer à certaines de vos options de financement?
M. Moore : Oui, bien sûr, nous collaborons avec les provinces et avec Équipe Canada. Il n’en a pas été beaucoup question aujourd’hui, mais nous nous efforçons de le faire quand c’est possible.
Dans le contexte provincial, certaines entreprises pourraient avoir accès à des programmes de type incubateur. Nous veillons à ce qu’elles sachent ce qui leur est offert. Je répète souvent que l’information est la chose la plus difficile à obtenir pour une petite entreprise.
Parfois, nous expliquons aux petites entreprises de technologies propres que leur province offre des programmes et nous leur montrons comment y accéder. Nous ne leur offrons pas directement nos programmes, mais nous les dirigeons vers l’un de ces autres programmes. Nous faisons de même dans le cas des programmes fédéraux.
Quand j’étais à Rimouski, il y a deux ou trois semaines, les dirigeants d’une entreprise ne savaient pas que le gouvernement fédéral offrait un programme de subventions, simplement parce qu’ils n’avaient pas la capacité d’examiner toutes les options qui s’offraient à eux. Nous les avons dirigés vers le programme qui leur convenait. Pourrions-nous faire les choses plus simplement? Probablement. Mais je crois que nous nous devons d’orienter les entreprises vers ce qui leur est offert.
La sénatrice MacAdam : En moyenne, combien de temps faut-il à un exportateur canadien pour pénétrer dans un nouveau marché? Il y a de grandes et de petites entreprises, mais pouvez‑vous nous donner une idée générale?
M. Moore : Je vais demander à mon collègue de répondre à cette question.
M. Prusakowski : D’après les résultats de nos études et d’après notre indice de confiance commerciale, il faut en moyenne deux ans. Cela dépend beaucoup des circonstances.
Pour les petites entreprises, il était plus facile de s’introduire dans le marché des États-Unis, jusqu’à la suspension de l’entente de minimis. On pouvait ouvrir une boutique en ligne et commencer à exporter assez rapidement. C’était le cas de la boutique Etsy, par exemple.
Nous savons d’expérience que, quand nous ouvrons un bureau de représentation internationale dans une nouvelle ville ou dans un nouveau marché, il nous faut jusqu’à deux ans pour commencer, même dans nos bureaux, à faciliter les transactions et à accroître les exportations canadiennes.
La sénatrice Kingston : Ma question s’adresse à M. Lee. C’est une question qui a été soulevée lors de la dernière table ronde, mais dont nous n’avons pas beaucoup parlé. Il s’agit d’un des grands projets à Darlington, qui seront axés sur les petits réacteurs modulaires.
Le Nouveau-Brunswick a aussi une centrale nucléaire sur la pointe Lepreau. Il s’y trouve un réacteur canadien à deutérium‑uranium, ou CANDU, qui a besoin d’améliorations. Je n’en dirai pas plus. À mon avis, cette centrale aurait aussi la capacité d’utiliser un réacteur modulaire.
Selon vous, ce grand projet à Darlington est-il réalisable? Devrions-nous l’envisager pour d’autres sites nucléaires au pays?
M. Lee : J’espère bien. J’ai assisté à des présentations de personnes de cette industrie émergente. En fait, j’ai lu des articles du gouvernement du Canada. Ce projet semble très prometteur, parce que ces réacteurs sont beaucoup moins coûteux que les gros mégaréacteurs.
Je crois que le dernier grand réacteur installé dans le monde se trouvait en France, mais, comme dans le cas des grands réacteurs, les coûts se sont avérés énormes. Je crois qu’ils ont atteint 30 milliards d’euros, une somme stupéfiante. Dans le cas des petits réacteurs modulaires, l’économie d’échelle est beaucoup plus facile à établir. On peut les déployer et les mettre en œuvre beaucoup plus rapidement et à des coûts bien moins élevés par kilowattheure.
Nous en avons un besoin criant. Comme un témoin du groupe précédent l’a laissé entendre, nous avons désespérément besoin d’augmenter notre consommation d’électricité. Nous avons appris de l’International Energy Agency, qui a changé son fusil d’épaule — je ne suis pas ici pour vendre du pétrole et du gaz —, que nous avons besoin de toutes les énergies renouvelables, plus le pétrole et le gaz. En effet, la demande augmente fortement, parce que l’intelligence artificielle, surtout l’extraction de bitcoins, a considérablement accru la demande d’électricité.
Il faut que nous agissions. Les réacteurs modulaires présentent un élément important de la solution.
[Français]
La sénatrice Hébert : Ma première question sera pour M. Moore et son collègue.
Mes collègues ont parlé de soutenir les petites et moyennes entreprises; je suis bien consciente de l’importance qu’elles ont dans l’économie canadienne et dans l’économie de nos régions, mais quand on parle d’exportation, on sait que cela ne fera pas bouger l’aiguille des exportations à l’échelle internationale.
Dans la foulée de ce qu’a dit M. Lee sur le fait qu’on doit « miser sur les ressources », quels efforts sont déployés par EDC pour appuyer les plus gros joueurs dans les marchés internationaux dans des secteurs stratégiques pour le Canada?
[Traduction]
M. Moore : C’est une excellente question. En effet, il est important que nous servions des entreprises de toutes tailles. Les grandes entreprises canadiennes jouent un rôle très important.
Je vais répondre sous deux angles différents. D’un côté, nous servons les entreprises canadiennes basées au Canada — axées sur les minéraux critiques, dont nous avons parlé aujourd’hui —, qui collaborent avec d’autres entreprises pour développer les minéraux critiques au Canada. Pourquoi? Parce que, premièrement, nous en avons nous-mêmes besoin. Deuxièmement, parce qu’elles peuvent exporter vers des pays du monde entier pour travailler avec ces pays. Nous participons déjà à un certain nombre de projets. Nous avons un réseau relativement important.
Pourquoi EDC désire-t-elle y participer? Compte tenu des relations que nous entretenons dans le monde avec d’autres banques internationales et d’autres organismes de crédit à l’exportation, nous pourrions injecter beaucoup de capitaux dans ces projets. Ce serait formidable s’ils étaient financés. C’est une chose que nous pourrions faire.
Nous sommes extrêmement actifs. Hier, nous avons tenu une table ronde dans les bureaux d’EDC non loin d’ici. Avec des représentants de nos partenaires de la Corée, du Japon, de l’Australie et du Royaume-Uni, nous avons discuté des minéraux critiques et des moyens de collaborer pour réaliser des projets de ce genre au Canada. C’est donc un exemple de ce que nous pouvons faire au Canada.
D’un autre côté, nous aidons les grandes entreprises canadiennes exploitées dans des marchés étrangers. L’Australie en est un excellent exemple. J’étais en Australie en janvier, et j’y ai rencontré de grandes sociétés d’ingénierie et minières canadiennes qui y travaillent, qui gagnent des contrats et qui nouent des relations avec des sociétés australiennes. Dans ces cas aussi, nous pouvons fournir des services financiers aux entreprises pour les aider à accroître leur compétitivité. Elles peuvent alors remporter des projets dans un marché comme l’Australie, ce qui leur permet ensuite de réussir et probablement de ramener des ventes au Canada.
Je vous répondrais donc que nous menons ces activités au Canada et à l’étranger.
Les grandes entreprises canadiennes sont plus complexes. Elles ont moins de peine à s’introduire dans de nouveaux marchés. Il est plus facile, dans une certaine mesure, de travailler avec elles dans certains nouveaux marchés mondiaux et de les encourager à y faire participer les petites et moyennes entreprises canadiennes. Cela étend la chaîne d’approvisionnement. Nous avons vraiment concentré nos activités sur la façon de présenter et d’encourager les entreprises canadiennes.
Prenez mon exemple de l’Australie. Nous demandons aux entreprises avec qui elles traitent au Canada. Quelles technologies propres du Canada utilisent-elles? Ont-elles besoin que nous leur présentions les entreprises canadiennes que nous connaissons bien? Alors voilà avec qui vous pourriez collaborer. Il est extrêmement utile d’amener d’abord les moyennes entreprises — et éventuellement les petites — dans les chaînes d’approvisionnement des marchés mondiaux. Je vous ai donné l’exemple de l’Australie, mais je pourrais m’adresser de la même façon à des entreprises en Corée, au Japon ou au Chili. Nous pourrions en parler longuement, car c’est une façon très intéressante d’aider les entreprises canadiennes à traiter avec des entreprises à l’étranger. Merci.
La sénatrice Hébert : Monsieur Lee, vous avez parlé de services et de ressources, mais nous savons que l’industrie de la recherche est en train de s’effondrer aux États-Unis. Quelle devrait être la stratégie du Canada à cet égard?
M. Lee : Comme vous le savez probablement, certaines universités canadiennes cherchent activement à recruter des chercheurs américains. Je vous dirai franchement que je pense que l’Université de Toronto en attirera plus que les autres, parce qu’elle est la plus grande et la plus prestigieuse des universités canadiennes. C’est une possibilité très viable.
Pour répondre à votre question sur les services, je pensais en termes plus traditionnels. J’ai été banquier pendant des années. Je crois que les six grandes banques, y compris la Banque Nationale du Canada, sont des concurrentes impressionnantes. Elles font des affaires depuis plus de 100 ans, et certaines d’entre elles même depuis plus de 200 ans. Je crois que mon collègue d’EDC pourra vous présenter des chiffres exacts, mais si je ne me trompe pas, nos exportations de services croissent plus rapidement que nos exportations de biens. Il semble donc que nous devrions envisager de mieux développer ces possibilités.
[Français]
Le président : Je vais prolonger la réunion deux minutes, le temps de poser une question à M. Lee.
Vous avez parlé des minéraux critiques et des terres rares. En ce qui concerne les terres rares, on est assez loin de la Chine et de l’Australie. Même le Groenland a plus de réserves que nous.
Vous nous dites de nous concentrer sur ce qu’on a comme capacité. Je vous entends parler des terres rares. Dans le contexte de la signature de l’entente entre le président Trump et le premier ministre de l’Australie cette semaine, je m’amuse à voir le président Trump menacer la Chine en boycottant l’huile de canola et en compensant avec les terres rares. Je me demandais si c’était une blague.
On va quand même loin. Dans les terres rares, oui, il y a l’extraction, la séparation et le raffinage. Ce sont des procédés industriels extrêmement complexes dont la Chine est une grande experte. Que fait le Canada là-dedans, au-delà de créer des projets? N’est-on pas en train d’essayer de rattraper ce qui n’est pas rattrapable?
[Traduction]
M. Lee : Je vous remercie pour cette question.
Vous venez de confirmer ce que j’ai dit tout à l’heure au sujet du secteur des ressources, qui souffre du stéréotype d’être peu technologique, à faible valeur ajoutée et polluant. En l’étudiant, comme je le fais avec mes étudiants, on découvre tout à fait le contraire. Ce secteur utilise des technologies de pointe et des experts chevronnés — des ingénieurs-géologues —, ainsi que des drones et des technologies de surveillance. Si nous tentions d’effectuer une analyse des forces, des faiblesses, des possibilités et des menaces, nous découvririons que la technologie du secteur des ressources est plus avancée que celle du secteur manufacturier.
Premièrement, son exploitation est très coûteuse et nécessite de vastes capitaux. Elle est très sophistiquée, mais il faut bien commencer quelque part. La demande est grande et elle ne cesse de s’accroître — elle n’est pas statique et n’a pas atteint un plateau. Donc, oui, sans aucun doute, certains pays nous devancent. Toutefois, prenons l’exemple d’une personne que vous connaissez très bien, le très brillant ancien premier ministre du Québec, M. Robert Bourassa. Quand j’étais jeune et que je travaillais à la Banque de Montréal, je me souviens qu’un avion s’est écrasé avec un groupe de fonctionnaires qui allaient examiner la baie James. Le visionnaire Robert Bourassa a repris cette idée et a développé, à partir de rien, l’énorme centre hydroélectrique incroyablement prospère dont le Québec vend l’électricité de façon très rentable aux États-Unis. Il y est parvenu en très peu de temps.
Donc, oui, nous faisons face à de nombreux obstacles redoutables. Comme l’a suggéré le premier ministre, nous devons accélérer le développement des projets nationaux essentiels. Cela pourrait être la clé d’un nouvel accord avec les États-Unis, si nous partons du principe que nous devons leur donner quelque chose qu’ils attendent de nous. Ils ont besoin de minéraux critiques. Ils ne peuvent pas avoir besoin de nos voitures — ils n’en veulent pas, comme mon collègue l’a dit —, mais ils ont besoin de nos minéraux critiques.
[Français]
Le président : Merci beaucoup; c’était extrêmement intéressant. Quelle belle matinée avec des experts! C’était vraiment apprécié. Tout comme nous, je pense que les gens qui nous écoutent ont beaucoup apprécié les différentes réponses et présentations. Merci beaucoup.
Cela conclut la réunion d’aujourd’hui. Merci à tous; on se revoit demain à 18 h 45.
(La séance est levée.)