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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 28 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), pour examiner, afin d’en faire rapport, les programmes et initiatives fédéraux visant à soutenir la création de logements, et pour examiner, afin d’en faire rapport, toute question concernant les prévisions budgétaires du gouvernement en général et d’autres questions financières.

Le sénateur Claude Carignan (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à tous les sénateurs et sénatrices ainsi qu’à tous les Canadiens qui nous suivent sur sencanada.ca. Mon nom est Claude Carignan, sénateur du Québec et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Forest : Bonjour et bienvenue. Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec

Le sénateur Gignac : Bonjour. Clément Gignac, du Québec.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, division De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Kingston : Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Marshall : Je suis la sénatrice Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Hébert : Martine Hébert, du Québec.

Le président : Honorables sénateurs, nous continuons aujourd’hui avec notre premier panel l’étude des initiatives et programmes fédéraux visant à soutenir la création de logements. Avec notre deuxième panel, nous poursuivrons notre série de rencontres sur une mise à jour économique.

Pour notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir, du Bureau du directeur parlementaire du budget, M. Jason Jacques, directeur parlementaire du budget par intérim, et M. Mark Mahabir, directeur général, Analyse budgétaire et des coûts. Bienvenue, messieurs, et merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître aujourd’hui. Nous allons maintenant entendre les déclarations préliminaires de M. Jacques.

Jason Jacques, directeur parlementaire du budget par intérim, Bureau du directeur parlementaire du budget : Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui.

Je suis heureux d’être ici pour appuyer votre étude des initiatives et programmes fédéraux qui soutiennent la création de logements. Nous avons publié neuf rapports dans ce domaine au cours de la dernière année. Je tâcherai donc d’en évoquer seulement les grandes lignes.

[Traduction]

En juin, nous avons publié un rapport sur le nouveau remboursement de la TPS pour les acheteurs d’une première habitation. Nous avons estimé que cette politique s’appliquerait à environ 5 % des achats d’habitation et coûterait environ 1,9 milliard de dollars au cours des 5 prochaines années. En juillet, nous avons publié un rapport sur le Fonds pour accélérer la construction de logements. Dans le cadre de ce fonds, la Société canadienne d’hypothèques et de logement, ou la SCHL, a engagé 4,37 milliards de dollars pour encourager des réformes visant à créer 112 000 nouveaux logements. Nous avons constaté que les administrations participantes avaient délivré plus de permis et vu plus de mises en chantier. Cependant, cette augmentation était due à des initiatives de rezonage antérieures au Fonds pour accélérer la construction de logements.

En août, nous avons mis à jour notre estimation de l’écart de l’offre de logements, en soulignant que quelque 690 000 logements supplémentaires seraient nécessaires d’ici 2035 pour ramener le taux d’inoccupation total à sa moyenne historique à long terme.

Le mois prochain, nous prévoyons publier un rapport sur le programme Maisons Canada. Le gouvernement nous a fourni des données confidentielles que nous sommes en train d’analyser. Nous prévoyons également intégrer toute nouvelle information présentée dans le budget qui sera publié la semaine prochaine.

[Français]

Si vous avez des questions sur nos analyses, nous pourrons y répondre avec plaisir. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Je remercie chaleureusement le directeur parlementaire du budget et son personnel de leur présence. Vous avez mentionné quelques programmes axés sur le logement. Comme vous le savez, ces programmes sont multiples, et ils ont tous des dates cibles, des échéanciers et des coûts différents. On parle toujours de détails comme les mises en chantier. On parle des logements à venir ou à moitié construits. Or, je n’ai pas trouvé de données qui montrent combien de logements ont été achevés par année dans le cadre de chacun des programmes. Je ne sais pas si le gouvernement est en voie d’atteindre ses objectifs et j’ignore s’il le sait lui-même.

Si l’objectif est de construire 3 millions ou 1,5 million de logements au cours des 5 prochaines années, il devrait y avoir quelque chose qui montre le nombre de logements qui ont été bâtis chaque année. On semble toujours mettre l’accent sur le nombre de logements qui seront construits ou de mises en chantier qu’il y a eu, mais pour ma part, j’aimerais savoir combien de logements ont été achevés chaque année. Beaucoup de logements sont mis en chantier, mais les projets sont-ils menés à terme? Ces données sont-elles disponibles? J’ai essayé de les compiler moi-même parce que je ne les trouvais pas, mais existent-elles à un endroit qui n’est pas facilement accessible? Ou encore, est-ce que votre bureau compile des données à ce sujet?

M. Jacques : Je vous remercie pour la question. Oui, le gouvernement produit des rapports annuels ou des rapports périodiques concernant les programmes de logement. La production de rapports s’est améliorée au fil des années. Le gouvernement a réalisé des progrès, car les programmes sont nombreux, et beaucoup de nouveaux programmes ont été mis en place ces cinq ou six dernières années.

De notre côté, nous recueillons également des données à ce sujet. Une des questions principales que nous nous posons — et le gouvernement et nous ne nous entendons peut-être pas là‑dessus — porte sur le nombre supplémentaire de logements : le gouvernement devrait-il vraiment s’attribuer tout le mérite des retombées dont il parle dans ses annonces sur les dépenses et les effets? Là-dessus, le gouvernement et nous ne sommes pas tout à fait du même avis.

De toute évidence, sénatrice Marshall, vous avez de l’expérience dans le domaine. Si vous avez des recommandations pour le gouvernement au sujet de la production de rapports ou s’il y a des données que vous aimeriez obtenir, je pense que les fonctionnaires seraient tout à fait disposés à vous écouter. Jamais je n’ai entendu un fonctionnaire déclarer, en témoignant devant un comité : « Non, nous refusons de vous fournir ces données. » Les données existent assurément.

La sénatrice Marshall : Les données dont vous parlez portent-elles sur le nombre de logements achevés? Je vois toujours le nombre de logements qui ont été mis en chantier, ou encore des déclarations comme : « Grâce à tel programme, x logements seront construits. » Les données montrent-elles le nombre réel de logements achevés? C’est ce que je n’arrive pas à trouver : les logements terminés.

M. Jacques : Oui, ces données existent. Après la réunion, je retournerai volontiers au bureau pour trouver les informations que nous avons compilées et je vous les enverrai.

La sénatrice Marshall : Ce serait très utile.

J’ai une brève question; si vous n’avez pas le temps de terminer votre réponse, je vais demander de poser une question complémentaire plus tard ou d’avoir un deuxième tour. Elle ne porte pas vraiment sur le logement, mais plutôt sur le déficit et sur le chiffre que vous avez donné; je sais que l’Institut C.D. Howe a fourni un chiffre différent. On a toujours parlé des passifs éventuels. Or, j’ai l’impression que bon nombre de personnes ne comprennent pas les répercussions qu’un passif éventuel peut avoir sur le déficit du gouvernement. J’ai remarqué que les passifs éventuels ne sont mentionnés ni dans vos projections ni dans celles de l’Institut C.D. Howe. J’aimerais entendre ce que vous avez à dire au sujet des passifs éventuels.

M. Jacques : Certainement. Vous avez tout à fait raison : nous tenons compte de ce qui est inscrit au bilan du gouvernement, notamment par rapport aux passifs éventuels — c’est-à-dire aux risques que court le gouvernement de devoir verser des sommes supplémentaires. Dans nos perspectives financières, nous avons mis de côté environ 10 milliards de dollars par année pour les 5 prochaines années pour les passifs éventuels. Ce chiffre est considérablement plus élevé que les prévisions que nous avons faites dans le passé. Bien entendu, cette hausse est attribuable aux résultats réels consignés dans les comptes publics. Depuis 2015, les dépenses globales que le gouvernement a dû comptabiliser au chapitre des passifs éventuels ont augmenté. Notre nouveau chiffre de 10 milliards de dollars par année reflète cette réalité.

Est-ce que ce sera suffisant, compte tenu de la tendance et de la direction dans laquelle nous allons? Nous le verrons dans les prochains comptes publics.

[Français]

Le sénateur Forest : J’aimerais poursuivre sur les propos de notre illustre collègue, que nous sommes bien contents de revoir. Elle est toujours aussi pertinente dans ses interventions.

Au cours des cinq dernières années, le gouvernement a déployé d’importants efforts supplémentaires pour lutter contre la crise du logement. Je pense, entre autres, au crédit de TPS, le remboursement du crédit de TPS à la SCHL, etc. Sommes-nous capables de mesurer l’effet de levier de ces mesures et d’évaluer la contribution des autres ordres de gouvernement? Je pense entre autres aux municipalités qui souvent, dans le cadre de projets comme la SCHL, participent financièrement.

M. Jacques : Oui. Ce serait possible d’évaluer cela. Personnellement, je ne suis pas au courant d’une évaluation actuelle cohérente qui inclut tous les détails concernant les dépenses des provinces, des municipalités, du gouvernement et du secteur privé. Toutefois, je serais prêt à prendre le temps de lire ce rapport. S’il y a une demande de votre comité de faire cette analyse, nous serions heureux de préparer un tel rapport.

Le sénateur Forest : Si le gouvernement prend des mesures incitatives pour tenter de régler une crise par crédits et remboursements de TPS, il est important de savoir si cela a une incidence ou non et à quel degré. Souvent, on met une mesure en place, mais on ne définit pas les objectifs et l’on ne précise pas les résultats pour évaluer l’efficacité de ce qu’on met en place.

M. Jacques : C’est un bon point. La vérificatrice générale serait sans doute mieux placée pour y répondre, mais je peux essayer. C’est toujours important, car il existe plusieurs initiatives du gouvernement du Canada, des provinces et des municipalités pour lutter contre ces défis et ces crises. Il est quelquefois difficile de cerner les résultats de chaque initiative. Parfois, pour un résultat, il peut y avoir plusieurs influences de plusieurs initiatives sur une seule mesure.

Le sénateur Forest : Par exemple, on peut évaluer le rythme régulier de la construction de nouveaux logements comparativement aux impacts. Le rythme a-t-il augmenté? Il y a quand même des résultats, parce que les permis de construction se vérifient dans chacune des municipalités, et cela est assez précis.

M. Jacques : Absolument. La dernière fois que nous étions ici, j’ai mentionné qu’en général, nous faisons la modernisation à l’échelle nationale pour le Canada, mais en réalité, il n’existe pas un marché de logements au Canada, il en existe plusieurs dans tout le Canada et dans chaque municipalité. Je suis d’accord avec vous.

Le sénateur Forest : Sans faire de jeu de mots, je vous inviterais à construire de nouvelles façons d’évaluer l’incidence majeure sur les terrains de construction.

Par ailleurs, la SCHL a développé une expertise assez importante depuis de nombreuses années. Selon votre optique, voyez-vous un partage des responsabilités qui sera efficace et qui s’attaquera à cette question majeure? Enfin, pourquoi n’a-t-on pas maintenu la SCHL, alors que l’on crée à nouveau une autre organisation qui n’a aucun personnel ni expertise?

M. Jacques : Ce n’est pas à nous de juger de l’approche de gouvernance du gouvernement du Canada. Je suis ici comme directeur parlementaire du budget par intérim.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie de votre présence et je vous demande pardon pour mon retard. Je m’excuse si vous avez déjà abordé le sujet dont je veux parler; si c’est le cas, vous pouvez simplement me renvoyer à la transcription. Je veux prendre un pas de recul et vous demander de nous parler de l’économie dans son ensemble, ainsi que des facteurs à l’origine de la grave pénurie de logements qui sévit actuellement. Quels changements doivent être apportés à l’échelle macroscopique? Ma question ne concerne pas vraiment les politiques actuelles, mais plutôt la situation globale. J’aimerais aussi savoir dans quelle mesure il s’agit d’un problème mondial, car de nombreux pays semblent faire face à des pénuries de logements. Que se passe-t-il dans le monde et quels changements doivent s’opérer à l’échelle macroscopique?

M. Jacques : Je vous remercie pour la question. À l’échelle macroscopique, selon les constatations de certains rapports que nous avons publiés au cours de l’été, l’offre est insuffisante partout au pays. Il s’agit d’un problème de longue date qui a pris de l’ampleur au fil du temps. C’est la raison pour laquelle le gouvernement et nous croyons tous les deux qu’il faut augmenter considérablement le nombre de mises en chantier aux quatre coins du pays. Le problème d’offre n’est pas survenu du jour au lendemain. Par ailleurs, le gouvernement fédéral ne l’a pas causé à lui seul et il n’en porte pas l’entière responsabilité; tous les ordres de gouvernement y sont pour quelque chose.

Du côté de la demande, toujours à l’échelle macroscopique, les travaux que nous avons faits sur la répartition des revenus et des richesses montrent qu’au cours des 10 à 15 dernières années, les gens les plus nantis ont touché une plus grande part des revenus et des richesses. La même chose s’est produite dans beaucoup d’économies occidentales. Par conséquent, il peut certainement être plus difficile pour les personnes à revenu moyen d’épargner suffisamment pour acheter la maison qu’elles veulent ou pour effectuer une mise de fonds. D’après moi, la situation actuelle est attribuable à la combinaison de ces deux facteurs.

Le sénateur Cardozo : À votre avis, dans quelle mesure l’immigration, permanente et temporaire — les travailleurs étrangers temporaires, les étudiants étrangers —, est-elle en cause dans la situation actuelle?

M. Jacques : C’est certainement un facteur, mais à l’échelle nationale, d’autres causes ont joué un plus grand rôle. Je le répète, le problème n’est pas survenu soudainement en 2023 ou 2024. C’est un problème de longue date qui s’amplifie depuis 10 ans. L’augmentation des niveaux d’immigration, principalement durant les années qui ont suivi la pandémie, a indubitablement aggravé la crise du logement partout au pays, mais ce n’est pas ce qui l’a provoquée.

Le sénateur Cardozo : En ce qui concerne les logements qui seront construits à partir de maintenant, quel est le meilleur moyen d’en suivre l’évolution? Il ne s’agit pas uniquement de construire des maisons; il s’agit de créer différents types d’habitations. Comment suit-on le nombre de logements qui sont ajoutés à l’offre? J’utilise le terme « logement » au sens générique plutôt que pour désigner un type particulier de bâtiment.

M. Jacques : C’est une bonne question; la sénatrice Marshall l’a aussi évoquée. Je le répète, le gouvernement produit des rapports périodiques relativement à la Stratégie nationale sur le logement. Cette stratégie prendra fin officiellement dans deux ou trois ans. Puisque la prochaine cible fixée par le gouvernement pour combler le manque de logements est en 2035, il serait utile de prolonger la période de production de rapports au-delà de la fin de la stratégie afin d’avoir des données à plus long terme sur les différents programmes.

En outre, il vaudrait la peine d’examiner attentivement quelles interventions du gouvernement fédéral entraînent réellement une augmentation du nombre de logements créés. Comme on l’a déjà dit, les annonces du gouvernement portent principalement sur les fonds et sur le total de logements créés. Dans certains cas, il y a un manque de clarté ou de précision en ce qui a trait à l’apport supplémentaire. Il faudrait dégager le nombre de maisons qui ont réellement été créées grâce aux fonds fédéraux, par rapport au nombre de maisons qui auraient été créées de toute façon grâce aux programmes mis en place par les gouvernements provinciaux et les municipalités.

On l’a vu avec le Fonds pour accélérer la construction de logements. Dans les municipalités qui ont reçu du financement, les mises en chantier ont augmenté. Cependant, on a constaté que ces municipalités planifiaient déjà modifier leurs règles sur le logement et sur l’approbation des projets de construction de logements; par conséquent, les mises en chantier auraient augmenté de toute façon grâce aux changements apportés. Si vous recevez les responsables de Logement, Infrastructures et Collectivités Canada, ou LICC, ou d’autres représentants du gouvernement, il vaudrait la peine de leur demander de commencer à présenter régulièrement des données au comité sur les retombées réelles des programmes fédéraux.

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie.

La sénatrice Galvez : Je suis heureuse de vous retrouver, sénatrice Marshall.

Je pense que c’est la première fois que je m’entretiens avec vous, monsieur Jacques. Félicitations pour votre poste intérimaire. Ma question porte sur la définition du terme « abordabilité ». Quand je suis ici, à Ottawa, tout le monde me dit qu’il faut des loyers inférieurs à 3 000 $. À Québec, les gens me disent que le seuil d’abordabilité est 2 500 $. Aujourd’hui, on construit beaucoup d’appartements en copropriété divise au moyen de fonds privés, et les loyers s’élèvent à 5 000 $ ou plus. Ce ne sont pas des logements abordables. D’après moi, les indicateurs devraient représenter l’offre de logements abordables.

J’entends beaucoup de discussions dans différents comités et je sais que les nouvelles subventions pour la construction de logements modulaires de petite taille n’intéressent pas le secteur privé. Les entreprises n’en veulent pas.

L’autre enjeu, c’est que l’on construit suivant les codes du bâtiment actuels, qui ne sont pas adaptés à la nouvelle situation climatique à laquelle nous faisons face. Vous penchez-vous sur l’abordabilité, ainsi que sur les meilleures normes à appliquer pour construire les logements financés par les contribuables canadiens?

M. Jacques : Oui, nous nous penchons sur l’abordabilité puisque c’est une des cibles fixées par le gouvernement, qui établit le seuil à 30 % du revenu médian des ménages dans une collectivité donnée. J’ai lu les témoignages que les fonctionnaires et la nouvelle dirigeante de Maisons Canada ont présentés au comité : leur priorité est de construire de nouveaux logements abordables pour la population canadienne.

Votre question concernant le style de construction des maisons et des infrastructures en général partout au pays au regard des changements climatiques est très intéressante et pertinente. Nous avons publié un rapport la semaine dernière qui montre que les coûts fédéraux associés au programme des Accords d’aide financière en cas de catastrophe ont augmenté considérablement au cours des 10 dernières années. Nous estimons maintenant qu’à lui seul, le programme fédéral préexistant coûtera, en moyenne, 1,8 milliard de dollars par année. Cette augmentation est attribuable en partie aux changements climatiques, mais aussi, comme vous l’avez souligné, aux codes du bâtiment, qui régissent à quels endroits l’on peut construire et avec quels matériaux, ce qui a une incidence sur la résilience des collectivités et des maisons aux inondations et aux feux de forêt. Je crois que le gouvernement est très conscient du coût réel que cela représente, en plus des attentes de la population canadienne à cet égard.

La sénatrice Galvez : L’assurabilité est un autre enjeu. Puisque la construction n’est pas adaptée à la situation climatique, les primes et les frais d’assurance sont de plus en plus élevés, et il faut les payer en plus du loyer. Pouvez-vous m’en dire plus là-dessus?

M. Jacques : Volontiers. En 2016, nous avons examiné la question de l’assurabilité et des passifs éventuels fédéraux liés au programme des Accords d’aide financière en cas de catastrophe. Une des constatations principales du rapport produit à l’époque, c’était que dans de nombreuses situations, les propriétaires d’habitations n’étaient pas en mesure de contracter une assurance. L’accès à une assurance contre les inondations était particulièrement limité.

Cette fois-ci, quand nous nous sommes penchés à nouveau sur la question, nous avons constaté des améliorations. En ce qui concerne la situation climatique, il va sans dire que la fréquence et la sévérité des phénomènes météorologiques extrêmes augmentent. Même si le secteur privé offrait une assurance, le coût en serait peut-être prohibitif. Il arrive que des gens qui vivent au même endroit depuis longtemps ne réussissent plus à se procurer une assurance à cause des changements climatiques.

Nous n’avons pas examiné cet enjeu précis dans le cadre du rapport. La solution est une question de politique. Pour nous, le point de départ, ou l’information que nous voulons transmettre aux parlementaires, c’est que même si le gouvernement fédéral investit beaucoup plus dans les mesures d’atténuation des effets des changements climatiques et dans le renforcement de la résilience des infrastructures aux phénomènes météorologiques extrêmes partout au pays, les coûts fédéraux des indemnisations versées dans le cadre du programme des Accords d’aide financière en cas de catastrophe continuent d’augmenter, et nous nous attendons à ce que cette tendance se maintienne.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, monsieur Jacques.

Vous nous avez dit que vous avez révisé le témoignage de la PDG de Maisons Canada. Vous connaissez donc le programme et ce qu’elle en dit. Pensez-vous que ce programme réussira à combler le déficit, que vous avez évalué à 690 000 logements?

M. Jacques : Nous sommes en train d’évaluer les données que nous avons reçues du gouvernement. En même temps, c’est un peu tôt pour dire quelque chose de définitif. C’est évident qu’il y aura une contribution, mais je pense que je préférerais attendre une semaine ou deux pour avoir un rapport officiel sur notre site Web.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez déjà dit qu’une partie des logements dont il était question était déjà planifiée. Est-ce que ce serait des logements qu’on calculerait deux fois?

M. Jacques : C’est toujours le risque avec chaque programme du gouvernement du Canada. Il peut être facile d’identifier un problème, mais c’est beaucoup plus difficile d’identifier une intervention efficace et précise qui nous permettrait d’affirmer que nous aurions un impact précis pour chaque dollar public dépensé.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux vous poser une autre question qui concerne le marché de Montréal, où je vis. J’aimerais vous entendre. On dit que c’est un des marchés où il y a encore une hausse importante du prix des maisons et des logements.

Historiquement, Montréal a été un marché où les loyers et les maisons étaient moins chers qu’ailleurs. Alors il y a un rattrapage. Est-ce que le fait que ce soit un rattrapage rapide est plus difficile pour ceux qui veulent acheter des maisons que pour un autre marché qui aurait augmenté plus progressivement? Parce qu’en ce moment, on est dans un rattrapage très rapide à Montréal.

M. Jacques : Je pense que vous êtes une experte dans ce domaine.

La sénatrice Miville-Dechêne : Non.

M. Jacques : Comme vous le savez, il y a toujours des changements. Quand il y a des changements rapides dans l’économie, cela crée des problèmes pour les gens. Ils se retrouvent dans une situation comme celle que nous connaissons actuellement concernant les logements.

Il y a une autre difficulté : la capacité pour quelqu’un de trouver une autre maison ou un autre appartement et de négocier prend du temps. Dans notre contexte social, il y a quelques difficultés. Avec notre modélisation, c’est difficile d’identifier cela précisément.

Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Jacques.

La semaine prochaine, il y aura le dépôt du budget fédéral. On veut profiter de votre présence pour vous questionner sur la nouvelle approche du gouvernement : présenter en deux catégories les dépenses d’opération et les dépenses d’investissement. On peut comprendre la logique que les dépenses en infrastructures sont des dépenses d’investissement, des initiatives en vue d’augmenter le PIB potentiel. Considérez-vous que l’investissement que le gouvernement veut faire dans le logement augmente le PIB potentiel d’un pays?

M. Jacques : Dans le contexte de la macroéconomie, cela pourrait être le cas. Je ne suis pas un expert dans ce domaine. Cependant, je suis au courant de quelques recherches du Royaume-Uni concernant la capacité des gens de déménager, de se trouver d’autres emplois autour du pays. Quand il y a beaucoup plus de souplesse dans le marché du logement, c’est beaucoup plus facile pour quelqu’un de déménager, de trouver un autre emploi, et peut-être d’augmenter la productivité. C’est absolument un bénéfice.

Je pense que les détails sont tout aussi importants. En logement, il y a quelques types d’investissements, dont l’investissement abordable, qui peuvent avoir plus d’un bénéfice pour l’économie et la productivité comparativement à donner des subventions pour une nouvelle cuisine, par exemple. Mais c’est toujours le cas. Comme vous le savez, avec un budget capital, ce sera le cas : il y aura plusieurs types d’investissements avec une diversité d’avantages et d’impacts.

Le sénateur Gignac : Merci.

Vous avez produit une étude très éclairante en août dernier sur le nombre d’unités dont on aura besoin dans les 10 prochaines années pour équilibrer l’offre et la demande. Vous parliez de 3,2 millions d’unités supplémentaires. Quelques mois auparavant, la SCHL affirmait qu’il fallait construire 5,3 millions d’unités supplémentaires. Cela a amené une certaine confusion. Avec la SCHL, ce serait 425 000 nouvelles unités par année dans les 10 prochaines années; pour vous, ce serait 290 000. Vous semblez plus proche du niveau actuel. Pouvez-vous expliquer la différence entre ces deux approches?

Dans les graphiques figurant à la fin de votre étude, j’ai constaté que le taux de vacances de l’approche de la SCHL bondira à 12 % après 2030. Si le taux de vacances augmente, le prix des maisons se mettra à diminuer. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre les deux études? Je crois que les gens sont très embrouillés.

M. Jacques : Pour notre modélisation, nous avons ciblé un certain taux de vacances concernant le logement. Nous avons identifié qu’entre 2000 et 2019, il y avait un taux moyen de vacances de 6 %. Pour notre estimation, nous avons supposé un retour à ce niveau, ce qui nous permettrait d’atteindre à nouveau un équilibre dans le marché du logement. Le gouvernement souhaite revenir au niveau d’abordabilité de logement de 2019.

Comme vous l’avez dit, avec cette supposition, je crois que cela créera un taux de vacances de plus du double du taux historique. Il y aurait plusieurs personnes partout au Canada avec deux ou même plusieurs maisons ou appartements vides, ce que nous n’avons pas vu par le passé. Comme vous le savez, quand il y a un résultat avec une modélisation novatrice, on a parfois besoin de réévaluer la modélisation.

Le sénateur Dalphond : Rebonjour, monsieur Jacques.

J’avais aussi noté cette difficulté à comprendre. La Société canadienne d’hypothèques et de logement parlait de 2,6 millions d’unités qui seraient manquantes. Vous dites que, d’ici 2035, l’écart en unités de logement serait de 690 000 unités. C’est quatre fois moins. C’est une grande différence. Comment expliquez-vous que vos chiffres et ceux de la SCHL, qui est supposément experte dans le domaine de l’habitation, soient si divergents?

M. Jacques : Le gouvernement a beaucoup d’expertise dans ce domaine. C’est simplement une question de cibler une autre variable. Nous avons identifié ce qui augmentera le nombre d’appartements et de maisons disponibles à la location ou à l’achat pour les gens partout au Canada. Le gouvernement a ciblé le taux de vacances requis pour que l’abordabilité revienne au niveau de 2019. Il n’est pas surprenant que le gouvernement veuille mettre l’accent sur l’abordabilité. C’est la politique primordiale pour eux.

Le sénateur Dalphond : Vous avez des chiffres qui ne tendent pas à créer un surplus de taux de vacances, alors que la SCHL a une cible de taux de vacances peut-être trop élevée?

M. Jacques : C’est cela. Pour nous, quand nous regardons la modélisation du gouvernement, nous allons arriver à un contexte un peu étrange que nous n’avons pas vu par le passé.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Le 20 août, la Banque Royale du Canada a publié un rapport spécial sur le logement intitulé Aucun ralentissement dans les mises en chantier au Canada, contrairement à l’Ontario. Les données analysées révèlent un niveau élevé et une hausse des mises en chantier à l’extérieur de l’Ontario. La construction résidentielle est solide, excepté en Ontario.

Sommes-nous en train de régler un problème ontarien au moyen d’un programme national? Injectons-nous de l’argent quelque part où le marché n’a pas besoin d’être soutenu?

M. Jacques : Comme nous l’avons dit dans le passé et comme nous l’avons souligné dans plusieurs de nos rapports, il n’y a pas de marché immobilier national. Nous dénombrons 11 marchés immobiliers régionaux dans nos rapports. La SCHL estime ce nombre à 16. Dans une perspective macroéconomique, nous pouvons faire une estimation à l’échelle nationale, mais cette estimation n’est pas particulièrement utile pour ceux qui achètent une maison à Montréal ou à Halifax. Les acheteurs s’intéressent plutôt à la situation du marché immobilier où ils cherchent une maison ou un autre type de logement.

J’ai lu le rapport de la RBC, et je pense que l’élément clé à retenir, certainement pour nous et pour les membres du comité, est la grande importance du contexte régional et local. C’est pour cette raison, à mon avis, que depuis quelques années, le gouvernement, notamment dans le Fonds pour accélérer la construction de logements, se concentre davantage et met davantage l’accent sur le fardeau ou le cadre réglementaire imposé par les administrations municipales sur le logement.

Le sénateur Dalphond : Le gouvernement de l’Ontario vient de déposer un projet de loi qui entraînera une diminution substantielle des coûts de construction en autorisant les administrations municipales à se regrouper et à recourir à un modèle spécial de personne morale publique chargée de la prestation des services d’eau et d’eaux usées, semblable dans une certaine mesure à ce qui existe au Québec, qui sera rattachée également à du financement à long terme. Il reste à savoir si cette mesure aura des répercussions importantes sur les projections, mais voilà une mesure provinciale qui aura une grande incidence.

M. Jacques : Je n’ai pas lu le projet de loi. Je vais y jeter un coup d’œil de retour au bureau et je vais vous revenir à ce sujet. C’est une bonne question.

C’est chose connue — aux dires du gouvernement lui‑même — que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour préserver l’abordabilité du logement et dans le marché immobilier au pays, mais c’est le cas également de deux autres ordres de gouvernement.

La sénatrice MacAdam : Merci d’être des nôtres aujourd’hui. Puisque la plupart de mes questions ont déjà été posées, je vais poursuivre dans la foulée de vos commentaires sur le logement régional et sur les besoins dans les différentes régions au pays. Pensez-vous qu’il y a suffisamment d’informations complètes et de données publiées sur le logement en milieu rural au Canada? Nous parlons toujours des statistiques dans une perspective nationale, mais quelles sont les données disponibles?

M. Jacques : Merci de la question. Pour les besoins et les intérêts bien particuliers du directeur parlementaire du budget, il y a suffisamment de données pour effectuer une analyse. Toutefois, si on me demandait de préparer, à partir d’Ottawa, une politique pour résoudre une crise du logement nationale en travaillant avec d’autres paliers de gouvernement, je voudrais certainement obtenir davantage de données.

Une chose qui me vient à l’esprit — que nous avons mentionnée au Comité sénatorial des banques — serait simplement d’obtenir une liste exhaustive et détaillée des règles et des règlements de toutes les grandes villes au pays, qui nous permettrait de faire une comparaison très simple. Comme je l’ai dit, de bonnes idées sont exprimées un peu partout au pays, et si le gouvernement fédéral insiste pour simplifier le processus d’approbation pour les logements dans le cadre du Fonds pour accélérer la construction de logements et d’autres mécanismes, ce serait bien de déterminer les changements souhaités. Dans une perspective analytique, ce serait utile. Idéalement, la diversité régionale serait prise en compte, notamment le clivage entre les milieux ruraux et urbains et les écarts entre les différents codes du bâtiment au pays.

La sénatrice MacAdam : Je vais changer de sujet. La vérificatrice générale a publié récemment un rapport sur le logement des membres des Forces armées canadiennes. Selon une des constatations, l’Agence de logement des Forces canadiennes ne fournit pas assez d’unités pour répondre aux besoins des forces. La Défense nationale a déterminé que le nombre d’unités supplémentaires de logement résidentiel pour les membres allait de 5 200 à 7 200 en 2019, mais le plan de construction de logements du ministère laisse encore un écart de 3 800 unités.

Vos travaux ou vos données tiennent-ils compte de ces pénuries au sein des Forces armées canadiennes? Cette réalité est-elle incluse dans les données nationales sur le logement?

Mark Mahabir, directeur général, Analyse budgétaire des coûts, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci de la question. Dans nos analyses, nous n’incluons pas vraiment les unités de logement des Forces armées canadiennes dans nos données, mais nous pourrions le faire à l’avenir.

La sénatrice MacAdam : Merci.

La sénatrice Kingston : J’aimerais parler des logements abordables et très abordables et des choses qui se sont passées dernièrement. Maisons Canada a été lancé en septembre 2025, mais votre bureau avait publié des rapports avant cette date, qui indiquaient que la Société canadienne d’hypothèques et de logement prévoyait dépenser 6,4 milliards de dollars dans des logements sociaux fédéraux, 11,5 milliards de dollars dans des logements sociaux provinciaux et 14,7 milliards de dollars dans de nouveaux logements sociaux.

Puisque la capitalisation initiale de Maisons Canada se chiffre à 13 milliards de dollars, comment tout cela se conjugue-t-il? La SCHL nous a dit qu’elle misait sur des programmes, tandis que Maisons Canada s’y prend autrement pour obtenir des résultats. Cet organisme ne dépend pas des programmes.

Je sais que vous allez publier quelque chose prochainement sur Maisons Canada, mais comment la capitalisation de 13 milliards de dollars interagit-elle avec les sommes non encore dépensées indiquées dans vos rapports? Ces sommes seront-elles dépensées par la Société canadienne d’hypothèques et de logement? Comment tout cela est-il imbriqué? À quoi vous attendez-vous?

M. Jacques : La réponse courte est que nous allons voir. Nous attendons le budget entre autres parce que le plan quinquennal d’entreprise le plus récent de la SCHL renferme des prévisions selon lesquelles le financement du gouvernement pour le programme de logement diminuera considérablement au cours des prochaines années. Le déclin prévu dans le plan est peut-être compensé par la nouvelle annonce concernant Maisons Canada. Nous attendons encore des détails sur ce qui arrivera au cours des cinq prochaines années sur une base nette. Les dépenses — sous forme de soutien financier direct, de prêts ou d’autres types de garanties de prêts — diminueront ou elles augmenteront. Malheureusement, je ne pourrai pas répondre à la question avant la soirée du 4 novembre.

La sénatrice Kingston : Vous qui réfléchissez sur le sujet, vous pourriez peut-être me donner votre avis — je sais que d’autres en ont parlé — sur la détermination des endroits où les besoins en logement sont les plus criants dans les régions et les programmes. Vous attendez-vous à ce que Maisons Canada établisse un ordre de priorités et soit en mesure d’établir que les besoins sont plus élevés dans les régions rurales ou qu’ils sont plus pressants en Ontario que dans le reste du pays? Comme je le disais, je m’intéresse aux types de logement abordable et très abordable qui aideront les personnes vulnérables dont les besoins en logement sont les plus grands.

M. Jacques : Selon les informations rendues publiques par le gouvernement sur Maisons Canada, nous nous attendons à ce que ces facteurs soient considérés en ce qui concerne le logement abordable et très abordable. Je crois que la nouvelle PDG de Maisons Canada a indiqué au comité que les logements qui seront construits n’auront pas de propriétaire. Ce seront principalement des logements locatifs probablement destinés à des communautés à revenus mixtes.

Pour revenir à un point soulevé plus tôt, pour apporter une stimulation au niveau macroéconomique ou pour stimuler l’économie en général à l’échelle du pays, on peut sans doute obtenir une plus grande amélioration de la productivité en se concentrant sur les segments de la population qui recourront au secteur privé. Or, le secteur privé n’est pas en mesure de venir discuter et de résoudre les besoins immédiats, et il se trouve que des personnes un peu partout au Canada sont obligées de déménager et de se trouver un toit abordable parce que les seuls emplois disponibles sont à l’extérieur de leur localité. Si le gouvernement suit cette orientation — comme le confirment ses déclarations publiques — consistant à construire des logements abordables et très abordables, on observerait sûrement une amélioration de la productivité ou des avantages économiques de cet ordre.

La sénatrice Kingston : Pensez-vous que sur le plan des retombées, la formule préconisée par Maisons Canada est très différente de celle de la Société canadienne d’hypothèques et de logement?

M. Jacques : Cette question va bien au-delà du mandat du directeur parlementaire du budget, par intérim ou non.

[Français]

La sénatrice Kingston : Merci.

La sénatrice Hébert : Monsieur Jacques, je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.

Ma question est un peu dans la foulée de la question que ma collègue la sénatrice Marshall vous a posée au début sur les résultats des programmes en matière d’unités réelles construites. Je pense que c’est une question très importante. Mes collègues en ont parlé dans leurs questions. Il y a plusieurs intervenants, des délais, de la réglementation et plusieurs obstacles qui peuvent se dresser dans un programme comme celui de Maisons Canada, par exemple.

Je vous pose cette question. Je sais que votre rôle n’est pas de faire de la politique publique.

[Traduction]

Ce n’est pas votre rôle, mais je sais que vous vous penchez sur la responsabilité budgétaire. Ma question va donc dans ce sens. Avez-vous étudié les facteurs de succès ou d’optimisation dans d’autres pays qui ont mis en place des programmes de cette nature ou des programmes semblables? Quels sont ces facteurs?

[Français]

M. Jacques : Non, pas en détail. Nous ciblons des propositions du gouvernement du Canada, le coût des interventions et les résultats. Comme vous pouvez l’imaginer, quand le gouvernement fait une annonce, c’est toujours une annonce de dépenses et de résultats. Il y a actuellement une crise du logement partout au Canada. Il est donc important pour nous de pouvoir identifier quel a été l’impact de ces sommes d’argent octroyées par le gouvernement du Canada. Faisons-nous une comparaison avec d’autres pays? Non.

La sénatrice Hébert : J’imagine qu’avec l’expérience passée, ce n’est pas le premier dossier que le directeur parlementaire du budget étudie. Je présume que par le passé, il y a eu des analyses où l’on regardait quels étaient les facteurs d’optimisation des programmes lorsqu’ils sont mis en place. Par exemple, le prochain rapport qui sera publié sur Maisons Canada présentera‑t-il des facteurs d’optimisation des fonds publics qui y seront investis? Si l’on n’a pas les meilleures pratiques à l’échelle internationale, avons-nous quand même les facteurs d’optimisation que vous pourriez indiquer dans votre rapport?

M. Jacques : Nous pouvons ajouter quelque chose comme cela. Par le passé, avec les autres rapports, quand nous avons préparé des estimations, nous avons cerné les pratiques efficaces dans les autres compétences. Je sais que nous pouvons faire exactement la même chose avec le logement.

La sénatrice Hébert : Si ce n’était pas dans votre rapport, pourriez-vous à tout le moins nous fournir l’information dans un deuxième temps?

M. Jacques : Vos recommandations représentent la loi pour nous. Si vous recommandez de l’inclure, ce sera publié dans notre prochain rapport.

La sénatrice Hébert : Nous vous en serions reconnaissants, parce que par le passé, nous n’avons pas eu beaucoup de succès dans l’atteinte de nos résultats avec ce genre de programme.

Le président : J’aurais une question. La PDG de Maisons Canada est venue témoigner à ce comité. Je suis un peu resté sur mon appétit en ce qui concerne l’aspect administratif. On a une organisation qui existe sur papier. Quand j’ai demandé quel était leur budget de la première année, j’ai eu l’impression que je venais de poser une question de haut niveau scientifique. J’ai un peu senti qu’on avait une personne qui a un nouveau poste créé dans un ministère qui fait des relations publiques et des annonces de dépenses pour des fonds qui viennent soit de la SCHL, soit du ministère responsable des infrastructures.

Cela m’a surpris. Dans vos discussions avec cette personne, avez-vous une bonne collaboration, ou avez-vous une page blanche pro forma sur l’avenir de Maisons Canada?

M. Jacques : Nous avons de bonnes relations avec le gouvernement sur ce dossier. Il nous fait partager plusieurs données.

Nous sommes en train de finaliser nos analyses sur une base de données confidentielles que le gouvernement a partagée avec nous et qui touche les questions que vous avez cernées concernant les coûts opérationnels, les plans de dépenses pour les cinq prochaines années et les résultats. À mon avis, après 30 ans d’expérience, je pense que la cadence de travail est incroyablement rapide. Parfois, dans ce genre de situation, comme vous pouvez l’imaginer, avec les fonctionnaires, il y a un peu de réticence à fournir ou à publier des données et des chiffres précis quand ils risquent de changer dans les jours suivants. Je pense aussi qu’après la publication du budget le 4 novembre prochain, le gouvernement aura la latitude requise pour faire partager plus de détails.

Le président : Cela vient-il d’un devoir de réserve ou d’improvisation, étant donné que rien n’est fixé pour le moment? Puisque ce ne l’est pas, on ne veut pas donner des chiffres avec lesquels il faudra vivre et qui seront inexacts?

M. Jacques : Selon moi, il s’agit d’un plan qui peut être modifié jusqu’à ce qu’il soit publié. Quand ils décident de vous fournir des chiffres, il est plus efficace de dire : « Voici les chiffres », plutôt que de dire qu’il y a un risque que ces chiffres changent de 5 ou 10 % et de publier d’autres chiffres quelques semaines plus tard.

Dans le contexte actuel, comme nous en avons discuté par le passé avec le budget des dépenses du gouvernement du Canada, quand il y a une initiative ou un programme du gouvernement du Canada qui existait il y a longtemps, cela ne relève pas de nous. C’est une mauvaise justification de ne pas partager les données, et dans le contexte où il y a quelque chose de complètement nouveau qui n’existait pas par le passé, je pense que c’est justifiable d’accorder plus de temps.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Ma question porte sur l’échéancier du budget qui a été repoussé en novembre de chaque année. Pensez-vous que le dépôt du budget en novembre nous aidera à suivre la trace de l’argent? J’anticipe que lorsque nous recevrons le Budget principal des dépenses, le Budget provisoire des dépenses et le Budget supplémentaire des dépenses (A), nous regarderons les chiffres et nous aurons du mal à les retrouver dans le budget. À l’inverse, lorsque nous recevrons le budget, nous aurons du mal à retrouver les chiffres dans le budget des dépenses ou le Budget supplémentaire des dépenses. Quoi qu’en disent les partisans de ce changement, je ne vois pas comment cela aidera à suivre l’argent.

J’aimerais connaître votre point de vue. Les membres du Comité des finances nationales trouveront-ils plus facile de suivre la trajectoire des fonds?

M. Jacques : Nous pourrions constater une amélioration. Si nous revenons un peu en arrière, l’Organisation de coopération et de développement économique, ou OCDE, a toujours recommandé aux gouvernements de déposer le budget officiel avant le projet de loi de crédits, au moins trois mois avant le début de l’exercice. Il y a donc là une amélioration.

Quant aux recoupements que les parlementaires s’efforcent de faire entre le budget, le projet de loi de crédits et la Loi d’exécution du budget, rien dans l’annonce du gouvernement ne résoudrait le problème que vous soulevez. Ce problème assure la sécurité d’emploi de ceux qui travaillent à mon bureau, mais les parlementaires auraient avantage à ce qu’il soit résolu.

La sénatrice Marshall : En somme, vous ne pensez pas que ce changement aidera pour la peine, en admettant qu’il le fasse. Est-ce exact?

M. Jacques : Je suppose que nous le verrons la semaine prochaine. Je souligne encore une fois que je n’ai jamais vu de fonctionnaire invité à comparaître au comité ou à n’importe quel autre comité — en fait, où que ce soit au Sénat — refuser de fournir des informations supplémentaires lorsqu’on le lui a demandé.

Une chose est sûre, c’est que personne n’avait demandé au gouvernement d’apporter ce changement, qui ne figurait pas non plus, pour autant que je sache, sur sa plateforme. Personne n’avait recommandé de modifier l’approche budgétaire et la coordination entre le budget et le budget des dépenses. Tout cela laisse entendre que le gouvernement est prêt à se pencher sur d’autres aspects et à apporter d’autres changements. En effet, si cela soulève des préoccupations pour les parlementaires du pouvoir législatif — vous êtes une ancienne ministre provinciale —, les ministres du Cabinet ont certainement les mêmes questions.

Le sénateur Cardozo : J’aurais une question sur le logement des Autochtones. Le logement dans les réserves est indubitablement une responsabilité fédérale. Que surveillez-vous et que devrions-nous surveiller à propos du logement des Autochtones dans les réserves et à l’extérieur des réserves?

M. Jacques : En ce moment, nous regardons — je précise encore que nous le faisons seulement dans une perspective de comptabilité financière — les comptes publics. Les comptes publics devraient être déposés dans les prochains jours. Nous aurons ainsi une bonne idée des sommes dépensées pour le logement des Autochtones dans l’année qui vient de s’écouler. Les rapports sur les résultats ministériels nous donneront le portrait de ce qui a été accompli l’an dernier. De notre côté, nous pourrons comparer et examiner les dépenses réelles qui sont faites au cours de l’année. C’est le premier aspect que nous regardons.

Le deuxième aspect est lié au budget en tant que tel et aux annonces supplémentaires du gouvernement liées au logement des Autochtones, qui indiquent à la fois le financement et les autres types d’engagements. Il est arrivé que le gouvernement annonce des dépenses substantielles qui ne pouvaient pas toutes être faites dans la période visée. Il prend donc un engagement stratégique à plus long terme pour être en mesure de relever et de combler les lacunes dans les politiques. Dans le cas des avis d’ébullition de l’eau, par exemple, les actions du gouvernement n’étaient pas dictées par l’argent. Le gouvernement s’est engagé à lever tous les avis d’ébullition dans les réserves au plus tard en 2021 et les coûts ont été déterminés a posteriori. Nous nous attendons à voir dans le budget un engagement plus fort sur ce front, semblable aux engagements stratégiques envers l’abordabilité du logement.

[Français]

Le président : Cela conclut notre séance pour le premier panel. Je vais laisser le fauteuil au sénateur Forest, vice-président du comité, pour qu’il préside la deuxième partie de la réunion.

Le sénateur Éric Forest (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Honorables sénatrices et sénateurs, nous sommes de retour.

[Traduction]

Nous avons le plaisir d’accueillir dans notre deuxième groupe de témoins Mme Pamela Steer, présidente et cheffe de la direction des Comptables professionnels agréés du Canada.

[Français]

Nous avons des problèmes de communication avec Mme MacEwan. Malheureusement, pour le moment, elle ne pourra pas se joindre à nous.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation avec enthousiasme. Nous allons maintenant entendre votre déclaration. Vous avez cinq minutes pour partager vos propos avec nous. Nous aurons des questions à poser par la suite.

Pamela Steer, présidente et cheffe de la direction, Comptables professionnels agréés du Canada : Bonjour, tout le monde. Merci pour votre accueil chaleureux. Cela me fait très plaisir d’être parmi vous aujourd’hui.

[Traduction]

Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et de participer au processus. Je m’appelle Pamela Steer et je suis présidente et cheffe de la direction des Comptables professionnels agréés du Canada. C’est avec fierté que je remplis cette fonction.

CPA Canada agit dans l’intérêt public pour soutenir la profession comptable. Sa mission est aussi de représenter les comptables professionnels agréés canadiens sur la scène nationale et internationale pour promouvoir la transparence dans les marchés des capitaux et contribuer à l’élaboration de normes et de politiques. Ce travail est crucial vu les pressions démographiques, le déclin de la productivité et les exigences financières croissantes au Canada.

[Français]

Un cadre financier crédible et transparent est essentiel à la confiance des citoyens, des marchés et des institutions.

[Traduction]

Je suis heureuse de vous faire part des perspectives de notre organisme sur les priorités que nous souhaiterions voir dans le prochain budget fédéral. Ces perspectives s’appuient sur l’expertise de nos membres et de notre personnel et sur notre compréhension du contexte économique et financier du Canada.

Nous aimerions attirer votre attention sur cinq domaines prioritaires. Le premier est la modernisation du régime fiscal canadien.

[Français]

Le régime fiscal canadien n’a pas été examiné en profondeur depuis des décennies.

[Traduction]

Nous exhortons le gouvernement à mener un examen approfondi qui englobe les impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés et les taxes à la consommation, tout en veillant à consulter rapidement et de manière significative les parties prenantes.

[Français]

Un régime fiscal modernisé réduirait la bureaucratie, simplifierait les activités de l’État et stimulerait la productivité, ce qui profiterait aux Canadiens et aux entreprises.

[Traduction]

Fort de plusieurs décennies d’expérience en matière de conseil et d’un vaste réseau de fiscalistes, CPA Canada est bien placée pour jouer un rôle constructif lors d’un tel examen et contribuer à façonner un régime fiscal moderne qui favorise la viabilité financière et la croissance.

Le deuxième domaine d’intérêt est l’intelligence artificielle responsable. L’IA est évidemment un mot à la mode qui transforme les économies, mais les Canadiens et la gouvernance du Canada n’ont pas suivi le rythme de cette évolution extrêmement rapide.

[Français]

Les codes d’application volontaires ne suffisent plus. Nous encourageons le gouvernement à élaborer des cadres réglementaires garantissant la reddition de comptes, la transparence et la surveillance.

[Traduction]

Les CPA, grâce à leur expertise en assurance de la qualité et en intégrité des données, peuvent contribuer à garantir une adoption, une innovation et une surveillance responsables de l’IA. CPA Canada est prête à soutenir le groupe de travail sur la stratégie en matière d’IA alors qu’il approche de la fin de son sprint de 30 jours, en offrant le point de vue fiable de la profession sur la gouvernance et les dimensions éthiques de l’IA, et en contribuant aux prochaines étapes et aux résultats dont nous avons besoin.

Le troisième domaine concerne les normes de divulgation en matière de développement durable. Le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité, le CCNID, dont CPA Canada est fière d’être l’un des principaux champions, a publié les premières normes canadiennes d’information sur la durabilité.

[Français]

Les choses doivent être prises en main à l’échelle fédérale pour favoriser une adoption uniforme et aider les organisations à améliorer leurs capacités en matière d’information.

[Traduction]

L’information fiable sur la durabilité renforce la confiance des marchés financiers, la compétitivité et la résilience climatique grâce à une évaluation efficace des risques, et des possibilités, liés au climat.

Le quatrième domaine d’intérêt concerne la protection des lanceurs d’alerte et la lutte contre le blanchiment d’argent. Si le Canada a renforcé ses efforts en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, le signalement reste sous-utilisé. Un cadre national de signalement et de protection, conforme à celui de nombreux autres pays, est nécessaire pour encourager les divulgations et soutenir les forces de l’ordre dans la lutte contre la criminalité financière.

[Français]

Les personnes ayant connaissance de crimes financiers doivent disposer de canaux clairs pour les signaler et être protégées par la loi.

[Traduction]

La toute première stratégie nationale de lutte contre la fraude au Canada, un effort pangouvernemental visant à lutter contre les crimes financiers sophistiqués, annoncée dans le budget 2025 nous encourage. Il s’agit d’une avancée importante, car la nouvelle agence spécialisée dans la lutte contre la criminalité financière réunira l’expertise nécessaire pour enquêter sur les crimes financiers complexes et récupérer les fonds illicites. Alors que le Canada se prépare à l’examen prochain du GAFI, le Groupe d’action financière, l’un des premiers pays du G7 dans ce cycle, CPA Canada est fière d’être coprésident du secteur privé au Comité consultatif canadien sur le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes et de continuer à renforcer les pratiques de lutte contre le blanchiment d’argent dans l’ensemble de notre profession.

Le cinquième domaine d’intervention est la productivité et le commerce. Le PIB par habitant du Canada est en baisse.

[Français]

L’élimination des obstacles au commerce interprovincial et à la mobilité de la main-d’œuvre est l’une des mesures les plus efficaces que le gouvernement peut prendre dans l’immédiat.

[Traduction]

Un programme de productivité à l’échelle du gouvernement, associé à un examen des dépenses visant à réorienter les ressources vers une croissance responsable, renforcera la résilience et la prospérité. Dans ce contexte, la décision du gouvernement fédéral de séparer les dépenses de fonctionnement et les investissements en capital avec son nouveau cadre de budgétisation des investissements en capital soulève d’importantes considérations. CPA Canada est prête à aider le gouvernement fédéral à affiner son approche pour distinguer ces deux types de dépenses en contribuant à définir des critères clairs et essentiels, en garantissant une classification cohérente et en explorant des mécanismes de surveillance indépendants qui renforcent la confiance du public.

Nous saluons l’engagement du gouvernement à se conformer pleinement aux normes comptables du secteur public et recommandons d’adapter les données historiques à des fins de comparabilité. Cela aidera les citoyens et les marchés à évaluer clairement la situation financière du gouvernement au fil du temps.

[Français]

Le dépôt du budget à l’automne et la présentation de la mise à jour économique au printemps offrent une occasion de concourir à l’amélioration de la prise de décisions, de l’efficience et de la planification.

Nous vous remercions encore une fois de nous avoir donné l’occasion de prendre part à cette importante discussion aujourd’hui. Merci beaucoup.

[Traduction]

Merci. Cela conclut mon allocution liminaire.

Le vice-président : Merci de votre allocution.

[Français]

Nous allons passer à la période de questions.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Merci, Mme Steer, d’être ici aujourd’hui. Dans votre allocution d’ouverture, vous avez fait référence à la nouvelle politique comptable du gouvernement qui sépare les dépenses de fonctionnement et les investissements en capital, puis vous avez également mentionné la décision de déposer le budget à l’automne. J’ai constaté que vous y faisiez référence dans votre mémoire prébudgétaire, mais je me demandais si vous aviez un avis détaillé sur les changements envisagés par le gouvernement fédéral. L’Institut C.D. Howe a publié un document à ce sujet, et je pense qu’il y en aura d’autres. Je sais que certains membres — ou du moins, je pense qu’ils sont membres — de CPA Canada ont également publié des articles dans certains médias nationaux. Y a-t-il un avis détaillé de CPA Canada auquel nous pouvons nous référer, ou est-ce quelque chose que vous prévoyez préparer à l’avenir, par exemple après le dépôt du budget?

Mme Steer : Merci, sénatrice Marshall. Ce sont d’excellentes questions. Je pense que, comme pour beaucoup de choses dans la vie, tout dépendra des détails. Nous n’avons pas encore vu les critères clairs énoncés par le gouvernement, et je pense que nous devons les voir avant de rendre un avis quelconque.

Nous sommes prudemment optimistes si le gouvernement définit clairement les critères, ce qui est une chose. Il doit aussi les appliquer de manière cohérente, comme vous le savez très bien grâce à votre expérience dans vos anciennes fonctions. Après cela, nous serons ravis de donner notre avis. En effet, nous sommes prêts et disponibles à offrir nos services pour aider le gouvernement à mettre son approche en place.

Je suis également encouragée par le fait que le gouvernement a clairement indiqué qu’il n’abandonnerait pas ses pratiques générales en matière de rapports. La nouvelle approche viendra en complément, et je pense que toute information supplémentaire qui aide le public et les marchés à mieux comprendre comment l’argent est dépensé est très importante.

Cependant, il est primordial de connaître les détails des critères qui seront mis en place et qu’ils doivent être très bien définis. C’est là ma mise en garde. Ils doivent être bien définis. CPA Canada serait ravi d’avoir l’occasion de contribuer à la mise en œuvre de ces critères ou d’intervenir après coup. Nous ferons des commentaires à ce sujet.

La sénatrice Marshall : Nous attendrons de voir ce que CPA Canada publiera la semaine prochaine, après la présentation du budget.

J’ai également remarqué que vous avez évoqué la réforme fiscale dans votre document prébudgétaire. Cela fait longtemps, plusieurs années même, que ce sujet figure à votre programme. Comme vous le savez, l’Agence du revenu du Canada, ou l’ARC, a fait l’objet d’un rapport cinglant de la vérificatrice générale la semaine dernière ou la semaine précédente. Pourriez-vous donner votre avis à ce sujet? Pensez-vous que la complexité de la Loi de l’impôt sur le revenu est en partie responsable des problèmes rencontrés par l’ARC?

Mme Steer : En un mot, oui. Comme notre système n’a pas fait l’objet d’une révision complète depuis de nombreuses années, différentes couches de programmes, de changements politiques et de choix se sont accumulées au fil du temps sans remplacer les vieilles mesures par de nouvelles, plus efficaces.

À mon avis, au cours des dernières années, des politiques ont été adoptées sans avoir été mûrement réfléchies et sans être adaptées à une mise en œuvre adéquate, ce qui a accru la complexité. Il est donc très difficile et fastidieux pour l’ARC de les superviser, de les mettre en place et de répondre aux questions de manière satisfaisante, ce qui, à mon avis, explique une grande partie de ce rapport, qui est à juste titre accablant.

La complexité et la confusion ont tellement augmenté qu’il est très difficile pour l’ARC de faire son travail correctement, et je compatis vraiment avec eux. Je pense que les critiques formulées par la vérificatrice générale, Mme Hogan, dans son rapport étaient tout à fait pertinentes. Je l’apprécie vraiment. Nous pouvons faire plus, et nous devrions faire plus et nous améliorer.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Cardozo : Merci d’être là. Je vais vous poser deux questions d’un coup, si cela ne vous dérange pas.

En matière d’intelligence artificielle, quelles sont vos préoccupations? Quel genre de réglementation souhaiteriez-vous? J’ai l’impression que l’IA est présente dans votre secteur depuis un certain temps, si l’on pense aux logiciels de déclaration d’impôts, entre autres. Quel est votre niveau de préoccupation à cet égard pour l’avenir?

L’autre question concerne la durabilité. Pensez-vous que les entreprises s’en éloignent, l’évitent ou suivent l’exemple américain qui consiste à réprimander les personnes qui osent être écologistes?

Mme Steer : Ce sont deux questions très différentes, sénateur Cardozo.

L’IA est un domaine qui évolue très rapidement. En très peu de temps, nous sommes passés de questions de base sur la nature et l’utilisation possible de l’IA à une compréhension très rapide de son utilité, et certains de mes collègues, en particulier dans les grands cabinets professionnels, investissent des milliards de dollars dans cette technologie.

Comme d’habitude, la réglementation n’a pas suivi le rythme. C’est très difficile dans un environnement en évolution rapide, et en raison des procédures établies, il y a de bonnes raisons pour lesquelles la réglementation n’a pas pu suivre le rythme.

Il faut comprendre quelles sont les données utilisées par ces moteurs afin de s’assurer qu’ils sont exempts de biais, qu’ils n’hallucinent pas, et que les sources de données utilisées sont bien comprises et bien définies, afin que les résultats obtenus soient vrais, raisonnables, cohérents et uniformes chaque fois que l’on pose la même question, même avec des nuances différentes dans la formulation. Voilà où réside ma préoccupation.

Je pense que notre profession est en réalité très bien placée, en raison de sa discipline, de sa rigueur et des fondements en matière d’assurance de la qualité, pour contribuer à garantir le respect de ces éléments et veiller à ce que nos systèmes puissent s’appuyer sur ces merveilleux outils technologiques qui sont à double tranchant. Ils peuvent être utilisés à bon ou à mauvais escient. Nous voyons les deux se développer très rapidement.

Le Canada a ici l’occasion de retrouver la place qu’il avait en ce qui concerne la création et le développement de cette technologie et de ces outils. Je crois que nous avons perdu du terrain, mais qu’il est encore possible de rattraper notre retard en matière d’application, de surveillance et de gouvernance de ces systèmes et de ces outils. Il s’agit en fin de compte d’outils destinés à améliorer notre vie, à accroître la productivité et à stimuler la croissance économique. Je pense que le moment est venu de saisir cette occasion. J’espère que le Canada ne la laissera pas passer.

Si je peux aborder la deuxième question, sur la durabilité, d’une manière très différente — et je sais que la sénatrice Galvez s’intéresse également beaucoup à ce sujet —, je pense qu’il existe deux approches différentes. D’après mes collègues de l’International Sustainability Standards Board, l’ISSB, plus de la moitié du PIB mondial a pleinement adopté les normes de durabilité de l’ISSB sur lesquelles se basent les normes du CCNID publiées l’année dernière. Il s’agit d’une évolution très importante, malgré l’attitude de nos voisins du sud.

Au Canada, nous avons ce que nous appelons la Coalition canadienne des champions, qui a collaboré pour créer l’un des deux principaux bureaux internationaux de l’ISSB et qu’il soit situé à Montréal. C’est majeur que les bureaux de l’ISSB se trouvent à Francfort et à Montréal, ici même au Canada. À la suite de cela et à la suite du Comité d’examen indépendant de la normalisation au Canada lancé par CPA Canada, nous avons également créé la version locale de cet organisme, le CCNID. C’est très important et cela montre l’importance accordée par les entreprises canadiennes, tant au niveau fédéral que…

Le vice-président : Je vous demanderais de conclure, s’il vous plaît.

Mme Steer : Oui, je suis désolée. Il est extrêmement important que nous allions de l’avant. Le Canada subit l’influence du fait que de nombreuses sociétés sont cotées en bourse à la fois aux États-Unis et au Canada, mais les entreprises, les banques et les régimes de retraite canadiens continuent d’aller de l’avant, même si c’est peut-être d’une manière différente de ce qui se faisait avant. D’autres, en revanche, se sont éloignés de la durabilité, ce qui est regrettable.

Le vice-président : Merci.

La sénatrice Ross : Merci d’être avec nous ce matin, madame Steer. Nous avons déjà discuté par le passé de réforme économique et fiscale. Étant donné que vous préconisez la simplification du régime fiscal canadien et le passage à une approche fiscale plus favorable à la croissance, axée sur les taxes à la consommation, comment recommandez-vous de concilier simplicité, équité et compétitivité lorsqu’il s’agit de réduire les impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés les plus élevés et d’élargir l’assiette fiscale? Selon vous, quel sera le plus grand défi à relever dans ce contexte?

Mme Steer : Je pense qu’il existe un moyen de simplifier notre système afin que les gens n’aient plus à compter sur des personnes comme moi — je ne suis pas comptable fiscaliste — pour remplir leur déclaration d’impôts, qui est trop complexe. La complexité implique qu’il existe des exceptions pour différents groupes, pour différentes raisons. Certaines sont logiques, mais nous devons réduire le nombre d’exceptions autant que possible.

Il faut améliorer l’efficacité, rationaliser l’ARC, rationaliser le processus de déclaration, le rendre plus accessible pour que tout le monde puisse remplir sa propre déclaration de revenus — ce qui devrait être assez simple — et supprimer un certain nombre d’exceptions aux règles. Je pense que cela permettrait d’augmenter considérablement les recettes du gouvernement. L’ARC serait plus petite et plus simple, et vous auriez une population qui n’aurait pas autant besoin de faire appel à des experts pour déterminer comment maximiser l’utilisation des exceptions.

Comme je l’ai dit plus tôt, bon nombre des règles qui ont été mises en place ont créé des couches successives, et il est très difficile de se frayer un chemin à travers ces couches pour remplir une déclaration de revenus.

La sénatrice Ross : Ce type de mesures de simplification aiderait certainement les petites et moyennes entreprises, les PME.

Pourriez-vous nous dire quelles réformes, selon vous, seraient les plus efficaces pour soutenir l’investissement et la productivité des entreprises, une de vos cinq priorités? Nous vivons dans une économie mondialisée. Nous ne voulons pas éroder notre assiette fiscale, mais selon vous, quelles mesures seraient les plus efficaces pour soutenir l’investissement et la productivité?

Mme Steer : Je devrai sortir un peu de mon domaine de compétence. La duplication des règlements qui existe entre les provinces, au sein des provinces et au niveau fédéral aggrave le problème et rend l’investissement au Canada beaucoup plus difficile. Non seulement il y a la réglementation fédérale, mais il y a également plusieurs organismes de surveillance des marchés financiers. Il s’agit donc d’organismes de réglementation. Ensuite, il y a des organismes de nature réglementaire — les organismes de CPA dans chaque province — qui constituent un autre niveau. De plus, il y a les commissions des valeurs mobilières, soit une autre couche. Et enfin, vous avez le gouvernement fédéral. Il y a trop de bureaucratie au Canada, et nous devons être attrayants pour les investisseurs, car c’est là où il y a le moins de frictions que l’argent affluera, et au Canada, il y a trop de frictions et cela rend les investissements trop difficiles.

La sénatrice Ross : Merci pour ces réponses très claires. Je vous en suis reconnaissante.

Le sénateur Gignac : Bienvenue, madame Steer. Comme vous l’avez mentionné, le nouveau cadre budgétaire qui sera adopté la semaine prochaine dans le budget introduit les concepts d’investissement en capital et de dépenses de fonctionnement. Mais l’investissement en capital semble beaucoup plus important que les dépenses en capital selon les Normes comptables du secteur public, car il s’agit de dépenses en capital particulières, les dépenses d’investissement.

Avez-vous été consultés? Je sais ainsi que le ministère des Finances a mené des consultations privées avec certains économistes de Bay Street. CPA Canada a-t-il été consulté pour savoir si ces éléments devaient être classés dans la catégorie des investissements en capital ou dans celle des dépenses de fonctionnement, ou vous n’avez pas encore participé à de telles consultations confidentielles ou privées?

Mme Steer : Nous n’avons pas été consultés, et nous serions ravis de l’être et accueillerions très favorablement cette consultation.

Le sénateur Gignac : Quels sont les montants annuels des dépenses en capital dans le secteur public? Selon certaines rumeurs, les investissements en capital dans le cadre du nouveau concept pourraient atteindre 50 milliards de dollars par année, mais les dépenses en capital sont bien inférieures. Pourriez-vous nous indiquer quels sont les montants annuels des dépenses en capital selon les Normes comptables pour le secteur public?

Mme Steer : Je l’ignore.

[Français]

Je ne sais pas, parce que ce n’est pas promulgué ni publié actuellement. À mon avis, et je ne sais pas si c’est le cas partout ailleurs, il faut d’abord connaître les critères pour comprendre les politiques du gouvernement. En ce moment, on ne connaît pas ces critères.

[Traduction]

Le sénateur Gignac : Pensez-vous que le simple fait de viser l’élimination du déficit d’exploitation en trois ans soit suffisant comme cible budgétaire, ou avons-nous besoin de beaucoup plus que cela?

Mme Steer : Encore une fois, je dirais que nous ne disposons pas des informations nécessaires pour comprendre comment on a établi ou comment on entend établir la distinction entre les dépenses d’investissement et les dépenses de fonctionnement. Je ne peux donc pas me prononcer à ce sujet. Je dirais que, d’une manière générale, le Canada doit mettre de l’ordre dans ses dépenses, même si je suis consciente de la nécessité de consentir des investissements substantiels.

Le sénateur Gignac : Je vais être plus précis, car lorsque nous demandons au gouvernement s’il continuera à utiliser un ratio dette/PIB, il évite de répondre à la question. Donc, en ce qui concerne les prévisions ou, disons, les objectifs en matière de ratio dette/PIB ou déficit/PIB — c’est ce qu’ils ont fait au cours des 30 dernières années, il faut bien l’avouer, sauf pendant la pandémie —, pensez-vous qu’il suffise d’avoir une seule cible budgétaire consistant à équilibrer le budget de fonctionnement en trois ans, ou avons-nous besoin de plus que cela?

[Français]

Mme Steer : Absolument pas.

[Traduction]

Je pense qu’il est très important de s’en tenir au ratio dette/PIB et à la dette totale, et non pas de séparer les deux. J’estime que la combinaison des deux est une mesure très importante de la santé financière, et qu’une seule mesure ne donne jamais une image complète de la situation.

Le sénateur Gignac : Merci.

Le sénateur Dalphond : Merci d’être avec nous aujourd’hui. CPA Canada ne réglemente pas ses membres à proprement parler; il s’occupe plutôt de l’éducation, de la formation, des examens uniformes pour le Canada et de la promotion de principes comptables uniformes basés sur les principes internationaux. Voilà pour l’introduction. C’est ce que je comprends de CPA Canada d’après mon expérience passée où j’ai eu à travailler avec votre organisation.

Pour faire suite aux questions du sénateur Gignac, alors que le gouvernement s’apprête à mettre en œuvre des mesures visant à séparer les dépenses en capital du budget de fonctionnement, le directeur parlementaire du budget a déclaré dans une publication récente que la définition proposée était trop large et s’écartait des pratiques internationales, notamment celles adoptées au Royaume-Uni.

Votre organisation va-t-elle se pencher sur cette question ou mettre en place un comité spécial qui pourrait nous aider, nous qui ne sommes pas membres de la profession comptable, à mieux comprendre les directives internationales, comme celles émanant du Royaume-Uni, et à savoir comment nous pouvons adapter, entériner ou critiquer ce qui est proposé par le gouvernement?

Mme Steer : On ne nous l’a pas encore demandé. Je dirais que nous le ferons sans aucun doute une fois que les critères auront été annoncés. J’ai vu l’annonce du directeur parlementaire du budget, il y a deux semaines je crois, mais je ne dispose pas d’informations détaillées qui nous permettraient d’évaluer la pertinence de l’intention du gouvernement. Ce sera un travail très important que CPA Canada sera fier d’entreprendre avec ses professionnels et ses bénévoles afin de mieux comprendre, une fois les critères publiés, quelles sont les meilleures pratiques observées à l’échelle internationale, de manière à pouvoir établir des comparaisons et formuler des observations.

Le sénateur Dalphond : Pourriez-vous accepter de le faire et nous en envoyer une copie, même si le gouvernement ne le demande pas? Merci.

Ma prochaine question concerne l’intelligence artificielle. Vous avez indiqué que ces codes d’application volontaire ou codes commerciaux établis par les banques, les institutions financières et d’autres organisations ne sont pas suffisants. Vous faites valoir qu’il est temps que le gouvernement intervienne. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Ne craignez-vous pas que nous devions créer encore un autre bureau ou une autre agence pour superviser cela et essayer de... N’est-ce pas d’abord aux entreprises, et en particulier à celles qui sont cotées en bourse, de mettre en place des politiques solides qui protègent la confidentialité et l’intégrité des systèmes et garantissent également la transparence et la déclaration au CANAFE lorsque des éléments suspects sont mis au jour?

Mme Steer : Je conviens avec vous, sénateur Dalphond, qu’il est important que le secteur privé agisse ainsi en mettant en place des politiques qui permettent de cerner les problèmes et d’assurer la transparence nécessaire. Cependant, en tant que membre d’un organisme comptable professionnel, je considère que la cohérence, la transparence et l’importance relative sont des concepts absolument primordiaux qui nécessitent un cadre structuré et des mécanismes d’application — sans vouloir dire pour autant qu’il faut forcément créer une nouvelle agence, car cela pourrait être intégré aux organisations en place, et je laisse au gouvernement le soin d’en décider —, car il est essentiel d’avoir des règles du jeu équitables, en particulier pour les sociétés cotées en bourse, et c’est ce que les commissions et les organismes de réglementation contribuent à nous procurer. C’est très important pour pouvoir comparer l’efficacité, la cohérence et la qualité des informations qui sont présentées. Il s’agit d’un rôle de surveillance gouvernementale ou réglementaire qui est vraiment crucial.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La sénatrice MacAdam : Merci d’être ici aujourd’hui. J’ai déjà posé des questions au sujet de la réforme fiscale globale devant ce comité, et je me demande si vous pourriez nous dire quels sont, selon vous, les principaux obstacles à la mise en œuvre de cette réforme que certains réclament depuis plusieurs années déjà?

Mme Steer : Merci, sénatrice MacAdam. Je pense que le principal obstacle réside dans la complexité même de la loi. C’est une tâche très ardue que de s’attaquer à quelque chose d’aussi complexe, surtout compte tenu de toutes les priorités du gouvernement et de ce qui se passe au-delà de nos frontières en termes de risques géopolitiques, d’évolution de nos économies, d’intelligence artificielle et d’autres enjeux qui nous touchent actuellement. C’est donc un défi de taille. Mais tout ce qui vaut la peine d’être fait peut se révéler difficile.

Il est également très ardu de prendre une feuille blanche et, pour ainsi dire, de repartir de zéro. À peu de choses près, je pense que c’est essentiellement ce que ce gouvernement doit faire car, comme je l’ai mentionné précédemment, la superposition des couches successives laissées par différents régimes et changements politiques au fil des décennies nous a laissés avec d’encombrants résidus qui doivent maintenant être éliminés. Il faut conserver ce qui est bon et se débarrasser de ce qui a fait son temps. Il n’est pas facile de le faire au fur et à mesure, mais c’est vraiment indispensable. Ce serait selon moi le principal obstacle, une tâche titanesque. Cependant, de nombreux gouvernements à travers le monde ont fait exactement cela et en ont tiré des avantages, tant du point de vue de l’efficacité et de la confiance du public que dans la perspective des recettes ainsi générées.

La sénatrice Kingston : J’ai lu dans un article récent du Globe and Mail que votre vice-président chargé des questions fiscales est l’auteur d’un livre blanc à paraître dans lequel les CPA réclament à nouveau une réforme fiscale en proposant une feuille de route pour moderniser le régime fiscal canadien. Je me demandais si vous saviez quand ce livre blanc devrait être publié.

Mme Steer : Je dirais très prochainement, soit d’ici quelques semaines. Je peux préciser qu’il s’agit en fait de la nouvelle version d’un document que nous avons rédigé il y a plusieurs années et que nous avons ressorti des archives. Je suis quelque peu attristée de constater que bon nombre des recommandations que nous avions formulées à l’époque sont toujours d’actualité, ce qui signifie que l’exercice a malheureusement été sans doute plus facile qu’il aurait dû l’être. Nous nous sommes ainsi contentés de mettre à jour les demandes que nous avons formulées il y a plusieurs années et que nous continuons à formuler année après année dans notre mémoire prébudgétaire.

La sénatrice Kingston : Dans le contexte d’un effort national coordonné visant à adopter les Normes canadiennes d’information sur la durabilité — qui, comme vous l’avez indiqué, sont alignées sur les normes internationales —, je me demande dans quelle mesure les organisations canadiennes doivent renforcer leurs capacités internes pour arriver à se conformer à ces normes. Que faut-il faire pour que les choses puissent progresser dans ce dossier?

Mme Steer : J’ai déjà fait savoir ouvertement à quel point j’étais déçue de voir nos organismes de réglementation des valeurs mobilières refuser d’aller de l’avant en l’espèce. Je pense qu’ils devraient le faire. Le renforcement des capacités est extrêmement important, non seulement dans des marchés développés comme le Canada, mais aussi dans les pays en développement, et nous contribuons aux efforts en ce sens.

Il y a beaucoup de travail à faire, mais bon nombre des éléments fondamentaux sont déjà en place. Il faut absolument s’appuyer au départ sur les principes comptables et notamment sur celui de l’importance relative. Il est essentiel d’aller de l’avant, même si tout ne sera pas parfait dans les premiers temps. Nous devons accorder une certaine marge de manœuvre à nos entreprises afin qu’elles puissent s’engager dans cette voie, sans oublier qu’il s’agit avant tout de gérer les risques et de cerner les possibilités qui se présentent au sein de notre économie en raison des besoins découlant du changement climatique.

La sénatrice Kingston : J’aimerais traiter de votre deuxième priorité, c’est-à-dire l’utilisation responsable de l’intelligence artificielle, laquelle exige notamment assurance de la qualité et intégrité des données. J’aimerais que vous nous fassiez part de vos commentaires sur le secteur de la santé qui exige d’importants investissements publics, tant à l’échelon fédéral que pour les provinces. De plus, si le secteur des soins de santé était un pays, il serait le cinquième plus grand émetteur de carbone au monde.

Compte tenu de la vitesse à laquelle l’intelligence artificielle se développe et étant donné ses applications, utiles ou moins utiles, au sein du système de santé, quelles devraient être les premières cibles des recommandations générales formulées aux fins du développement durable, efficace et intègre de l’intelligence artificielle?

Mme Steer : Merci, sénatrice Kingston. Je tiens tout d’abord à préciser que je suis très fière d’être membre du conseil d’administration de l’hôpital Michael Garron de Toronto, un hôpital communautaire. C’est donc un sujet qui m’interpelle au plus haut point. Vous avez raison de dire que le système de santé est un important émetteur. Cependant, le secteur hospitalier dans son ensemble a accompli un travail considérable pour réduire son empreinte carbone au fil du temps, ainsi que pour en suivre l’évolution, ce qui nous amène à parler de l’intelligence artificielle.

Comme beaucoup de mes collègues qui travaillent dans le secteur hospitalier, je suis préoccupée par la cybervulnérabilité — et je comprends que ce n’était pas le sujet de votre question —, un phénomène étroitement lié à l’intelligence artificielle et à la nécessité de mettre en commun les données, tant au sein du système hospitalier qu’entre les différents services. C’est une conversation que j’ai eue avec l’un de nos collègues du gouvernement fédéral. Il existe actuellement de nombreuses interdictions en matière de partage des données. Nous devons en quelque sorte manipuler une arme à deux tranchants qui peut nous rendre très vulnérables. D’un côté, il faut garantir que les données de santé publique — qui font partie des plus vulnérables et des plus importantes à notre disposition — puissent être mises en commun afin que tout le monde puisse en bénéficier, et de l’autre, il faut veiller à ce qu’elles soient protégées.

Je crois que l’intelligence artificielle peut être une force incroyable au service du bien. En matière de diagnostic, nous savons déjà qu’elle est plus performante que l’œil humain pour détecter des anomalies de façon systématique avec un taux de précision bien supérieur à celui des méthodes s’appuyant sur les capacités humaines. Nous savons qu’elle peut contribuer à prévenir des décès en détectant des signes diagnostiques de malaise qui échappent à l’œil humain. Ce sont là des avancées considérables dont la société canadienne ne saurait se passer. Mais il existe également de nombreux obstacles et, de mon point de vue de profane, les investissements sont insuffisants quant à l’infrastructure technologique nécessaire au secteur des soins de santé dans le contexte actuel, ou quant à la capacité et à l’autorisation, il faut bien le dire, de mettre en commun les données afin que ces avancées puissent être pleinement exploitées de manière efficace, productive et efficiente dans l’ensemble du système au Canada.

La sénatrice Kingston : Vous abordez le concept « un patient, un dossier », en évoquant le dossier médical électronique qui existe déjà dans une certaine mesure. Au Nouveau-Brunswick, ce concept a été mis en place, mais ce n’est pas le cas dans toutes les provinces. Or, le partage de l’information améliore les résultats pour les patients. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les moyens que nous pourrions prendre afin que le Canada puisse bénéficier de cette mise en commun en appliquant le principe « un patient, un dossier »?

Mme Steer : Sénatrice, cela dépasse un peu mes compétences, mais je dirais qu’il est important de disposer à la fois de lignes directrices, de repères et de garde-fous pour sécuriser efficacement ces données. J’estime toutefois qu’il faut d’abord mettre en commun librement ces données, non seulement au niveau des hôpitaux, mais aussi entre les ministères fédéraux. Ensuite, nous pourrions passer toute la journée à discuter des questions de compétence entre les provinces, puis entre le gouvernement fédéral et les provinces, ainsi qu’à l’échelon municipal.

[Français]

Le vice-président : Merci.

La sénatrice Hébert : Bienvenue, madame Steer.

Vous avez parlé de la modernisation du régime fiscal. C’est vrai que cela fait longtemps qu’on en parle et on n’est pas encore arrivé à cet exercice. Vous avez raison : on sait que plus un régime est simple, plus l’observance est grande. Vous avez également raison de dire que cela nous aiderait à faciliter l’observance, surtout dans un régime d’autodéclaration comme le nôtre. On a aussi un problème de compétitivité fiscale à maintenir avec notre voisin du Sud.

La question de la modernisation est vaste. Vous l’avez mentionné, on a ajouté plusieurs couches de sédimentation à travers les années. On doit se demander ce qu’on enlève et ce qu’on garde. Quels seraient donc les principaux éléments qui feraient en sorte que concrètement, on pourrait dire qu’on a réussi cette réforme fiscale?

Mme Steer : Sénatrice Hébert, ce sont des questions assez vastes : la clarté, l’efficacité et l’équité entre les personnes, les institutions, les organisations ainsi que les niveaux de revenus. Pour ma part, j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. Je suis plutôt contente de payer plus d’impôt et de taxes.

Il faut donc comprendre les niveaux qui sont des atouts en 2025-2026 au Canada. On reste alors sur les principes fondamentaux. On va réussir comme cela. Il nous faut quand même des principes de base pour la fondation.

[Traduction]

La sénatrice Hébert : Vous avez mentionné dans vos observations que vous avez étudié plusieurs exemples à travers le monde. Pourriez-vous nous donner des exemples de pays qui ont envisagé et mené à bien une réforme fiscale et qui pourraient inspirer le Canada pour la suite des choses?

Mme Steer : Je crois raisonnablement pouvoir affirmer qu’un certain nombre de nos collègues des pays du Commonwealth ont effectivement procédé à une réforme de ce type avec des résultats assez probants. Je peux me tromper, mais je pense notamment à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie, ainsi qu’au Royaume-Uni.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, madame Steer, d’être ici aujourd’hui pour répondre à nos questions. Un grand merci pour vos recommandations concernant les normes d’information sur la durabilité et également pour votre soutien à la divulgation des risques liés au climat. C’est tellement important.

Je voudrais vous donner l’occasion d’étoffer les réponses que vous avez données au sénateur Cardozo et à la sénatrice MacAdam au sujet de la transparence et de l’importance relative, qui sont sans aucun doute des concepts extrêmement importants bien que le grand public n’en saisisse pas, selon moi, toute l’ampleur. Pourriez-vous nous expliquer plus en détail à quelles conséquences nous nous exposerions en n’adhérant pas à ces normes? Vous avez mentionné que vous aviez été très déçue par les autorités de réglementation des valeurs mobilières. Moi aussi, je suis très déçue. Pourquoi n’évaluent-ils pas les conséquences? Quelles conséquences il y aurait à ne pas emboîter le pas à tous nos pairs qui ont adopté des normes semblables?

Mme Steer : En bref, sénatrice Galvez, il s’agit d’attirer des capitaux. Nous voulons que le Canada soit un endroit attrayant pour faire des affaires, un pays où les investissements étrangers afflueront. Nos propres régimes de retraite ont d’ailleurs fait les manchettes et sont extrêmement respectés dans le monde entier. Ils figurent, avec CPA Canada, parmi les plus ardents partisans de ces normes.

Il est donc très important de disposer à l’échelle mondiale d’une base cohérente, fiable et compréhensible à laquelle les investisseurs peuvent se référer pour établir des comparaisons en toute connaissance de cause afin de pouvoir déterminer à quel endroit il est le plus avantageux pour eux de placer leur argent. C’est ce qu’offrent les normes de l’ISSB et, désormais, les Normes canadiennes d’information sur la durabilité. Sans cela, les entreprises pourront toujours divulguer des informations à leur manière, selon leurs propres méthodes, ou choisir d’adhérer volontairement à ces normes. Nous avons beaucoup de chance au Canada de compter un certain nombre d’entreprises qui le font volontairement.

En alignant notre approche à celle adoptée par un plus grand nombre de nos pairs, nous ferons en sorte que le reste du monde en viendra à s’intéresser plus facilement au Canada. Ce serait un progrès très important, car cela éliminerait les frictions, lesquelles empêchent les capitaux de circuler librement. Nous avons besoin de cette cohérence non seulement à l’intérieur même du Canada, car notre pays ne compte que pour 2 % du PIB mondial, mais aussi, dans une perspective de développement et de croissance, pour attirer les 98 % restants du PIB mondial. Le monde de l’investissement n’est pas provincial, il n’est pas fédéral ou canadien, il est planétaire. Nous faisons partie d’un écosystème mondial, et nous devons occuper fièrement notre place de chef de file au sein de ce système.

[Français]

La sénatrice Galvez : Merci.

Le vice-président : Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Essentiellement, sur cette question environnementale des divulgations, on recule. Si je comprends bien ce que vous nous dites, c’est parce que les compagnies veulent attirer du capital qu’elles préfèrent ne pas avoir à divulguer ce qu’elles doivent divulguer?

Mme Steer : Je crois plutôt que, pour les investisseurs et les régimes de retraite, la divulgation est très importante, autant que d’avoir les réponses à leurs questions. S’ils ont des questions à poser, mais que l’information n’est pas disponible, cela crée de la friction et des problèmes.

La sénatrice Miville-Dechêne : Pourquoi l’Autorité des marchés financiers a-t-elle reculé, à votre avis?

Mme Steer : C’est une question politique, à mon avis. Vous savez, au Canada, on n’a pas un seul marché de capitaux; on en a plutôt 12. Il existe des différences d’opinions entre les provinces à cet égard. Par exemple, le Québec est assez en avance pour ce qui concerne la durabilité. D’autres provinces, comme l’Alberta, sont un peu plus réticentes. Il y a donc des différences selon les provinces quant à leur avis par rapport à la durabilité.

Aussi, il y a le fait que les États-Unis sont un marché assez important pour le Canada. On a beaucoup d’organisations qui sont répertoriées à la fois au Canada et aux États-Unis. Actuellement, on sait qu’il y a des problèmes liés à la durabilité, de l’avis du président des États-Unis.

La sénatrice Miville-Dechêne : Sur la question de la nouvelle comptabilité du gouvernement qui s’en vient dans le budget, pensez-vous, comme le directeur parlementaire du budget, que le Canada est en train de s’éloigner des meilleures pratiques internationales?

Mme Steer : On doit d’abord examiner les critères. Ces critères sont fondamentaux pour donner une opinion sur ce sujet.

[Traduction]

Tout d’abord, nous avons besoin de critères pour mieux comprendre. Deuxièmement, je trouve encourageant et très important que le gouvernement ait déclaré qu’il continuerait à rendre compte comme il l’a toujours fait. Les nouveaux critères viennent s’ajouter à ce qui existait déjà. Il s’agit donc d’un rapport supplémentaire, ce qui est utile. Si nous restons fidèles aux principes fondamentaux et continuons à rendre des comptes de la même manière, nous ne nous éloignerons pas davantage des pratiques internationales. J’espère que ces informations supplémentaires seront utiles au public, aux marchés et à vous tous.

Le vice-président : Merci. Nous sommes arrivés à la fin du temps alloué pour cette portion de notre séance.

[Français]

C’est tout le temps que nous avions pour ce panel. Merci à tous pour vos témoignages très éclairants.

Avant de lever la séance, j’aimerais informer les sénateurs que la prochaine rencontre aura lieu le mercredi 29 octobre, à 18 h 45.

Merci beaucoup et bonne journée.

(La séance est levée.)

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