LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 6 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir occasionnellement concernant les langues officielles en général; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Allister W. Surette (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonsoir à tous et à toutes et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avant de commencer, j’aimerais dire quelques mots sur la prévention des incidents acoustiques. Je crois que nous sommes habitués à garder les oreillettes à l’écart de tous les microphones en tout temps. Ne touchez pas aux microphones; ceux-ci seront activés et désactivés par les opérateurs à la technique.
Je m’appelle Allister Surette, sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick
[Traduction]
La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Merci, chers collègues. Je tiens à souhaiter la bienvenue aux gens qui sont avec nous ce soir, ainsi qu’à celles et ceux qui nous écoutent à partir du Web sur le site sencanada.ca.
Aujourd’hui, en vertu de l’ordre de renvoi général qui nous a été confié par le Sénat le 25 septembre dernier, nous recevons, pour la première partie de notre réunion, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge.
M. Théberge est accompagné de trois de ses fonctionnaires : Pierre Leduc, commissaire adjoint, Orientation stratégique et relations externes, Patrick Wolfe, commissaire adjoint, Conformité et application de la loi, et Me Pascale Giguère, avocate générale.
Bonsoir, monsieur Théberge. Vous aurez cinq minutes pour vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions avec les sénateurs et sénatrices. Nous sommes un petit groupe, donc je pourrai accorder au moins cinq minutes à chaque sénateur et sénatrice, y compris les questions et les réponses.
Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Monsieur le président et honorables membres du comité, bonjour.
Avant de commencer, je tiens à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes réunis font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe, un peuple autochtone de la vallée de l’Outaouais.
Je suis heureux de me joindre à vous aujourd’hui pour discuter de mon tout dernier rapport annuel à titre de commissaire aux langues officielles.
Comme vous le savez, il y a deux ans, la Loi sur les langues officielles modernisée me conférait de nouveaux pouvoirs pour assurer la conformité des institutions fédérales.
Mon équipe et moi avons poursuivi nos efforts en 2024-2025, notamment avec le lancement d’un nouveau service de médiation ainsi qu’avec la possibilité de conclure un accord de conformité, d’émettre une ordonnance et de publier un sommaire d’enquête.
[Traduction]
Toutefois, certains éléments clés nécessaires à la mise en œuvre complète de la loi modernisée font encore défaut. Tant qu’une réglementation stricte ne sera pas en place et que les ordonnances requises n’auront pas été prises, notre capacité à atteindre les objectifs de la loi demeurera limitée.
Les 1 163 plaintes recevables qui ont été déposées auprès de mon bureau pour la période 2024-2025 montrent que le non-respect de la loi continue d’être un problème. Les violations répétées de la loi dans les commissions nationales récentes sont particulièrement préoccupantes. Les commissions ayant un mandat national doivent pouvoir fonctionner en anglais et en français afin que tous les Canadiens puissent suivre leurs travaux et participer dans la langue officielle de leur choix.
Afin d’éviter que de telles situations ne se reproduisent, je recommande que, d’ici le 30 juin 2027, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes examine la question dans le but d’améliorer le respect des obligations linguistiques des comités d’enquête temporaires.
Je recommande également que, d’ici le 30 juin 2026, le greffier du Conseil privé élabore et mette en œuvre un plan afin que certaines mesures soient prises chaque fois qu’une commission d’enquête est créée.
[Français]
Les plaintes en matière de langue de travail ont aussi retenu mon attention en 2024-2025. Plus d’une plainte recevable sur cinq est liée à des manquements en matière de langue de travail, et il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg. De nombreux fonctionnaires hésitent encore à porter plainte quand leurs droits sont bafoués, de peur de nuire à leurs relations au travail.
Bien entendu, je me réjouis de l’entrée en vigueur le 20 juin dernier des modifications à la loi qui confirment le droit des fonctionnaires fédéraux de travailler dans la langue officielle de leur choix dans les régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail, sans égard à la désignation linguistique de leur poste.
Le Secrétariat du Conseil du Trésor a également rehaussé les exigences linguistiques des postes bilingues des superviseurs qui encadrent du personnel dans une région désignée bilingue aux fins de la langue de travail.
[Traduction]
Dans mon rapport annuel, je recommande que, d’ici le 30 septembre 2026, le président du Conseil du Trésor mette en place un mécanisme de surveillance des institutions fédérales afin de s’assurer qu’elles prennent des mesures pour protéger les droits linguistiques des employés des régions désignées bilingues, lesquels sont supervisés par des titulaires de postes unilingues ou par des titulaires de postes bilingues qui ne satisfont pas au profil CBC en matière de langue seconde.
Enfin, je suis conscient que le contexte politique et économique actuel est difficile. Malgré cela, je m’attends à ce que les langues officielles continuent d’être une priorité.
Je recommande donc que, d’ici le 30 mai 2027, les administrateurs généraux des institutions fédérales prennent les mesures nécessaires pour s’assurer que les obligations linguistiques de leurs institutions et les droits linguistiques de leurs employés soient respectés et pris en compte lors de tout exercice de réduction budgétaire au sein de la fonction publique fédérale.
[Français]
J’en profite d’ailleurs pour mentionner que j’ai envoyé une lettre au président du Secrétariat du Conseil du Trésor concernant la possibilité de prolonger plusieurs étapes du processus de l’Exercice de révision de l’application du Règlement sur les langues officielles.
Je comprends que les efforts pour réduire le fardeau administratif visent à accroître l’efficacité au sein des institutions fédérales afin de mieux servir la population.
Toutefois, j’insiste sur le fait que les langues officielles ne représentent pas un fardeau administratif et qu’elles ne doivent en aucun cas être laissées pour compte au nom de l’efficacité.
[Traduction]
Il est essentiel que les changements proposés ne se fassent pas au détriment de l’accès aux services dans les deux langues officielles, qui contribue directement au développement et à la vitalité de nos collectivités.
Je vous remercie de votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, que vous pouvez poser dans la langue officielle de votre choix.
[Français]
Le président : Merci, monsieur Théberge. Comme j’ai déjà mentionné, nous allons accorder cinq minutes à chacun, y compris les questions et les réponses. Si le temps nous le permet, nous pourrons faire un deuxième tour et peut-être même un troisième.
La sénatrice Poirier : Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui, monsieur Théberge.
Ma première question est en fait ma troisième, mais je vais profiter du fait que vous avez abordé ce sujet. Dans votre rapport, vous avez fait une recommandation au Conseil du Trésor qui doit être mise en place d’ici le 30 septembre 2026. Est-ce que le Conseil du Trésor a réagi à votre recommandation? Y est-il favorable?
M. Théberge : À l’heure actuelle, on n’a pas eu de réaction à la suite de cette recommandation. Puisqu’on donne un certain délai, on verra ce qui se passera concrètement. On est toujours en attente d’une réponse.
La sénatrice Poirier : Puisque vous n’avez toujours pas eu de réponse à votre recommandation, est-ce que cela pose un problème?
M. Théberge : Pouvez-vous répéter la question?
La sénatrice Poirier : Puisque vous n’avez toujours pas eu de réponse à votre recommandation, est-ce que cela vous préoccupe?
M. Théberge : Comme tout agent du Parlement, lorsqu’on fait une recommandation, on aimerait avoir une réaction immédiate.
Cependant, je suis très conscient du fait que, lorsqu’on émet une recommandation, cela met en branle une série de processus au sein d’une institution fédérale. Donc, le fait de ne pas avoir reçu de réponse ne veut pas dire qu’on ne travaille pas sur la recommandation.
La sénatrice Poirier : Merci.
La partie VII la Loi sur les langues officielles modernisée renforce l’obligation de soutenir des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Pourtant, les règlements nécessaires pour guider son application sont toujours absents. Pourquoi le gouvernement prend-il autant de temps pour présenter ces règlements? En quoi ce retard affecte-t-il votre capacité d’assurer des progrès concrets sur le terrain?
M. Théberge : En ce qui concerne les raisons des délais, ce serait préférable que quelqu’un d’autre que moi réponde à la question.
Ce qui est clair, c’est que les règlements qui touchent la partie VII sont essentiels à la mise en œuvre de cette partie de la loi. Comme vous le mentionniez, la partie VII est la partie de la loi qui touche les communautés linguistiques en milieu minoritaire.
Dans la loi, on précise certains engagements du gouvernement. On parle entre autres dans la partie VII de protéger et promouvoir le français à l’échelle du pays, de l’immigration, du continuum en éducation et de Statistique Canada. Le fait de ne pas avoir un règlement a un impact sur la façon dont on fera la mise en œuvre de la partie VII.
La partie VII comporte une obligation selon laquelle les institutions fédérales doivent prendre des mesures positives pour appuyer le développement des communautés.
Un règlement, c’est presque une feuille de route; c’est le déroulement de la procédure de mise en œuvre.
Pour l’instant, la partie VII est en vigueur, mais pas pleinement. C’est un élément important pour les communautés, et cela fait quand même maintenant plus de deux ans que le projet de loi a été adopté. On surveille de très près ce processus. On a entendu certains nous dire — même devant les comités — que cela se produira à l’automne. Je vous rappelle que l’automne s’étend jusqu’au mois de décembre.
Il y a une certaine urgence entourant la partie VII. Je pense que lorsque le règlement sera déposé, ce serait une très bonne initiative que ce comité se penche sur le règlement.
La sénatrice Poirier : Selon vous, quelles seront les conséquences si les retards perdurent dans nos communautés?
M. Théberge : Dans la loi, on indique certains engagements, mais avec les délais, comment va-t-on faire en sorte que ces engagements se concrétisent, dans les faits, auprès des communautés?
Il y a une absence de directives pour les institutions fédérales, mais elles ont des obligations.
En tant qu’institution fédérale, nous aimerions avoir une feuille de route pour savoir ce que nous devrions faire.
Nous avons développé une feuille de route pour les institutions fédérales sur l’application et la mise en œuvre de la partie VII, mais cela reste un document du commissariat; ce n’est pas un règlement. Tant et aussi longtemps que le règlement n’est pas en vigueur, cela a un impact sur la mise en œuvre de la loi et, par le fait même, sur le développement des communautés.
Le sénateur Cormier : Bienvenue à tous. J’ai une question qui concerne le public voyageur et la gouvernance.
Vous ne serez pas surpris : nous sommes tous un peu abasourdis qu’Air Canada ait décidé de cesser ses opérations à l’aéroport de Bathurst à compter du 30 janvier 2026. Je sais qu’une plainte a été déposée chez vous, donc je peux comprendre le contexte de l’étude de la plainte.
Pourriez-vous nous confirmer les obligations d’Air Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles?
M. Théberge : Ils sont assujettis aux parties IV et V de la loi et aussi à la partie VII de la loi.
Cela a trait surtout, par exemple, aux communications avec le public et à l’offre de service dans les deux langues officielles. Ils ont une obligation de promouvoir l’égalité des deux langues au sein d’une entreprise.
Je ne peux pas répondre à la question précise en ce qui concerne Bathurst, car nous sommes en train de juger si la plainte est recevable ou non. Il y a un secret d’enquête.
Le sénateur Cormier : Air Canada, en vertu du paragraphe 41(5) de la partie VII, a l’obligation de prendre des mesures positives pour soutenir le développement et l’épanouissement des communautés. Air Canada a aussi la responsabilité d’éviter ou d’atténuer les impacts négatifs de ses décisions.
Considérant la situation actuelle, on peut imaginer que la décision d’Air Canada a un impact négatif sur le développement et l’épanouissement des communautés, tant au chapitre économique et social qu’au chapitre culturel. Air Canada ou pas, ces obligations figurent bien dans la partie VII de la loi?
M. Théberge : En mettant de côté Air Canada, toutes les institutions fédérales sont assujetties à ce même règlement.
Une institution fédérale doit faire une analyse d’impact de ses décisions, ou de ses politiques et ses programmes, et s’assurer que ces décisions n’ont pas d’impact négatif sur les communautés. De manière générale, cela s’applique à toutes les institutions fédérales.
Le sénateur Cormier : Je vais reprendre l’exemple d’Air Canada, qui a dit avoir pris cette décision pour des questions de viabilité commerciale. Maintenant, on sait que le gouvernement du Canada se prépare à faire des réductions budgétaires.
Êtes-vous inquiet, un peu à l’image de ce qui se passe avec Air Canada, que ces réductions budgétaires se fassent sur le dos des obligations du gouvernement et des institutions fédérales en matière de langues officielles?
M. Théberge : Dans la recommandation que l’on a faite dans le rapport annuel, on soulève cette question de réductions et de compressions budgétaires. Par le passé, nous avons déjà vu des compressions dans le domaine, par exemple, de la formation linguistique et d’autres types de service visant à appuyer le bilinguisme au sein de l’appareil fédéral.
Qui restera en place pour donner les services lorsqu’il y aura des réductions de personnel? Est-ce qu’on aura toujours cette capacité au sein de l’appareil fédéral d’offrir les services et de communiquer avec les citoyens dans les deux langues officielles? C’est une préoccupation que j’ai.
Si on coupe dans le domaine de la formation linguistique, comment sera-t-on en mesure d’offrir ces services? Il faut se rappeler que c’est la fonction publique qui doit offrir ces services et communiquer avec les citoyens.
Ce n’est pas la première fois que je vois ce genre de coupes budgétaires dans ma carrière; c’est trop facile de couper certains éléments du budget, comme la formation linguistique.
Le sénateur Cormier : La gouvernance de la Loi sur les langues officielles, la relation entre le Conseil du Trésor et le ministère du Patrimoine canadien. On entend d’immenses frustrations de la part de Patrimoine canadien, qui affirme que le Conseil du Trésor ne fait pas son travail et n’est pas proactif.
Quelle est votre relation avec ces deux ministères et quelle est votre évaluation de l’efficacité et de la coordination de la mise en œuvre entre le Conseil du Trésor et Patrimoine canadien?
M. Théberge : Je dirais qu’entre les employés, il y a une très bonne collaboration entre Patrimoine canadien et le Conseil du Trésor.
Par le passé, le Conseil du Trésor a émis — et il continue de le faire, à mon avis — des directives qui ne sont pas assez directives. Cela veut dire qu’on laisse beaucoup trop de flexibilité aux institutions fédérales pour faire la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles, par exemple, que ce soit la partie IV ou la partie VII.
On n’a pas cette directive solide et robuste qui oblige les institutions fédérales à faire telle ou telle chose. C’est quand même un défi important, car on laisse beaucoup de flexibilité aux institutions fédérales pour faire la mise en œuvre de la loi.
Je ne pourrais pas parler de la relation entre Patrimoine canadien et le Conseil du Trésor, mais disons que pour ce qui est du travail de Patrimoine canadien, ils sont très impliqués dans les règlements, par exemple, dans deux des règlements sur trois.
Je pense que dans le nouveau modèle de gouvernance, c’est beaucoup la responsabilité du Conseil du Trésor de s’assurer d’une bonne mise en œuvre de la loi.
[Traduction]
La sénatrice Patterson : Merci beaucoup. Je vais poser ma question en anglais. Je viens des Forces armées canadiennes, une institution composée d’employés qui ne sont pas des fonctionnaires à proprement parler. Mais en ce qui concerne la Loi sur les langues officielles, celle-ci inclut à juste titre les Forces armées canadiennes ainsi que le ministère de la Défense nationale. De nombreuses unités de soutien à travers le pays et à l’étranger sont désignées comme unités officiellement bilingues. Certains postes ne peuvent pas être échangés contre un poste de fonctionnaire, par exemple.
Le plus grand nombre de fonctionnaires travaille au ministère de la Défense nationale et dans les Forces armées canadiennes. Je m’inquiète des compressions budgétaires, non seulement en ce qui concerne l’accès à la formation en langue seconde, mais aussi parce que nous savons que le coût et la fréquence des tests signifient que nous allons avoir des gens qui ne sont pas capables de s’exprimer dans les deux langues officielles.
Avez-vous des recommandations ou des réflexions à propos de ce créneau particulier qui concerne les membres en uniforme, car je tiens à souligner que le grade le plus bas parmi les superviseurs est celui de caporal-chef; ce grade constitue l’épine dorsale des Forces armées canadiennes. Conformément, ils devraient eux aussi être soumis à la réglementation sur les langues officielles.
Je m’inquiète des compressions budgétaires dans le domaine de la formation en langue seconde. Je sais que bon nombre de vos plaintes parviennent au ministère, en raison de leur nombre et de ce que je viens de vous dire. Avez-vous des recommandations à faire sur la façon dont le ministère de la Défense nationale investit dans des domaines tels que l’aviation, la navigation et autres, afin que nous puissions protéger la formation linguistique et aider les gens à franchir la ligne de départ pour qu’ils puissent le faire?
M. Théberge : La Défense nationale doit garder à l’esprit qu’elle doit respecter ses obligations quoi qu’il arrive. Si elle est appelée à réduire ses effectifs, elle doit le faire de manière à conserver la capacité d’opérer dans les deux langues officielles.
L’avenir des forces armées ne passe probablement pas par une réduction des effectifs; je pense que nous allons plutôt dans la direction opposée. Une fois que nous aurons recruté du personnel, il sera extrêmement important de veiller à ce que chacun dispose d’un plan de développement professionnel. Je pense que c’est déjà le cas, mais une partie de ce plan doit inclure de la formation linguistique.
Je constate que dans de nombreuses organisations, il existe encore une certaine réticence à intégrer le bilinguisme dans toutes les composantes de l’organisation. Il a parfois tendance à être présent dans une partie de l’organisation et pas partout. Voilà tout un défi. Il ne s’agit pas seulement d’un défi pour les forces armées, mais également pour l’ensemble de la fonction publique, où nous n’avons pas encore pleinement intégré les langues officielles dans le fonctionnement de l’organisation.
Les forces armées ne constituent pas un modèle unique en ce sens, mais elles comptent une forte représentation des deux communautés linguistiques officielles. Nous avons donc affaire à une dynamique intéressante.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue, monsieur le commissaire. Nous sommes ravis de vous recevoir — j’en suis particulièrement heureuse. C’est la première fois que je vous rencontre. Je suis vraiment ravie de faire votre connaissance en personne.
Comme vous le savez, le gouvernement de M. Carney compte déployer l’intelligence artificielle à grande échelle au sein de l’appareil fédéral. L’entreprise Cohere a récemment été chargée de lancer des travaux à ce sujet. En mars 2025, quand le gouvernement a publié la Stratégie en matière d’intelligence artificielle pour la fonction publique fédérale de 2025-2027, vous vous êtes dit très inquiet du peu de place accordée aux langues officielles dans cette stratégie. Pourriez-vous nous expliquer davantage les motifs de votre inquiétude? Quels risques l’IA fait-elle peser sur l’égalité réelle en matière de langues officielles?
M. Théberge : Merci pour la question. J’avais noté au départ que l’intelligence artificielle offre toutes sortes de possibilités, mais qu’il y a aussi des dangers associés à son utilisation.
Premièrement, on parle beaucoup de l’intelligence artificielle en fonction, par exemple, de la traduction. Cela revient continuellement au sujet de la traduction — on vient de lancer un projet pilote qui s’appelle GCtraduction. On m’a fait une démonstration; c’est assez impressionnant. Cela dit, il est important de toujours avoir des personnes pour assurer une certaine qualité autour de ces traductions et dans la façon qu’on entraîne les systèmes. C’est un système qui apprend continuellement. Où va-t-on chercher le corpus pour entraîner le système? L’avantage avec GCtraduction, c’est que le Canada a le plus gros corpus au monde au chapitre de la terminologie en français. Je n’ai pas d’inquiétude. Mais lorsqu’on va demander à des outils de développer des choses, d’écrire des notes de breffage ou peu importe, il y aura beaucoup du contenu issu d’Internet. Dans quelle langue Internet est-il en majorité? C’est en anglais. Il y a un certain biais dans ces produits.
Aussi, lorsqu’on parle de la langue, il faut comprendre qu’une de mes préoccupations, c’est que si on peut tout traduire rapidement, le français va devenir une langue de traduction. Elle sera encore plus secondarisée qu’elle ne l’est présentement. Ce qu’on veut, c’est de faire en sorte que les deux langues puissent être utilisées au quotidien dans la fonction publique fédérale et que les employés puissent utiliser la langue officielle de leur choix. Est-ce que ces outils leur permettront de le faire, ou est-ce qu’on se retrouvera dans une situation où l’on fera beaucoup, beaucoup plus de traduction qu’on le fait actuellement?
Une langue, c’est quelque chose qui se parle. On établit des relations entre les humains. Il ne faut pas perdre cela de vue lorsqu’on parle de l’intelligence artificielle. Comme je l’ai dit au début, il y a des possibilités, mais il y a quand même des dangers. En principe, je ne suis pas contre l’intelligence artificielle. C’est important d’utiliser les outils que nous avons à notre disposition. On verra les résultats de ce projet pilote et son impact sur la façon dont on travaille, mais je pense qu’il faut avancer et être très prudent dans toutes les étapes.
La sénatrice Gerba : Si je comprends bien, vous n’êtes pas contre, mais vous auriez peut-être des recommandations à faire au gouvernement pour qu’il y ait quand même une certaine conformité dans l’utilisation de l’IA pour que cela respecte la Loi sur les langues officielles. Est-ce qu’il y aurait une recommandation dans ce sens?
M. Théberge : De fait, on avait justement suggéré au président du Conseil du Trésor, après la publication de leur stratégie, de nous pencher sur les langues officielles et l’intelligence artificielle. Si je ne me trompe pas, pour faire suite à notre lettre, ils organisent un colloque sur l’intelligence artificielle et les langues officielles qui se déroulera au mois de novembre. Honnêtement, si on n’avait pas soulevé la question, je ne pense pas qu’on en aurait parlé. Il est clair que...
L’autre élément, c’est qu’il y a beaucoup d’outils de traduction que les gens utilisent. Il y a DeepL et Google Translate. C’est dangereux, parce qu’il n’y a pas de corpus ni de langage uniforme à travers l’appareil fédéral. Lorsqu’on utilise DeepL, à titre d’exemple, le corpus ne reste pas au Canada; il s’en va en Allemagne. On ne peut donc pas utiliser le corpus par la suite pour former le système.
La sénatrice Moncion : Bienvenue. Je suis désolée de mon retard et tout aussi désolée d’avoir manqué vos remarques d’introduction.
Je ne sais pas si vous en avez parlé, mais j’aimerais discuter des sanctions pécuniaires. C’est une des composantes qui est sur le point de se produire. Est-ce qu’on vous a consulté sur l’encadrement à donner pour ce qui touche les sanctions pécuniaires, sur la façon dont elles seraient administrées et tout cela? Est-ce qu’on vous a consulté par rapport à la question?
M. Théberge : Nous avons été consultés en bonne et due forme et nous attendons de voir si nos recommandations seront intégrées dans le règlement. Nous voulions un règlement flexible et d’application large. Les sanctions administratives pécuniaires ne visent qu’un domaine, comme on l’a clairement identifié, soit celui du transport. Qu’entend-on par transport? S’agit-il du public voyageur ou est-ce beaucoup plus étroit? Nous attendons de voir le produit final.
La sénatrice Moncion : Justement, parlons du fait que ce ne soit lié qu’au transport. Le seul transporteur aérien est Air Canada et le seul transporteur ferroviaire est VIA Rail. Ces deux entités sont sous compétence fédérale. On punira des groupes qui ont déjà cette responsabilité, alors que d’autres transporteurs aériens n’ont pas à offrir ces services et n’ont pas nécessairement intérêt à le faire. Envisage-t-on d’élargir la portée de ce genre de sanctions pécuniaires à d’autres groupes, ou cela demeurera-t-il applicable seulement aux entités sous compétence fédérale?
M. Théberge : On parle d’entités fédérales, mais la mesure pourrait toucher aussi tout le réseau des aéroports, qui font tout autant partie du concept de public voyageur. Elle pourrait toucher les services d’immigration et ses éléments. Plusieurs des plaintes que l’on reçoit chaque année touchent directement ou indirectement le public voyageur. Il y a longtemps, nous avions soumis un document de réflexion dans lequel on indiquait que nous réclamions des sanctions pécuniaires beaucoup plus larges. Toutefois, voilà ce qu’on a eu dans la loi.
La sénatrice Moncion : Vous parlez de sanctions plus larges. Lorsque la nouvelle Banque de l’infrastructure du Canada a été créée, on a affiché des postes. Or, on avait omis d’indiquer dans ces affiches que les candidats devaient être bilingues. Voilà une nouvelle agence qui venait d’être créée et qui n’avait pas eu le réflexe de tenir compte du bilinguisme dans l’affichage de ses postes, alors que cet élément est à la base de tout. C’est pour cette raison que les sanctions pécuniaires seraient intéressantes dans les différents ministères. Y a-t-il, par le biais du Conseil du Trésor, une façon d’aller dans cette direction?
M. Théberge : La meilleure façon de répondre aux exigences liées au bilinguisme serait de faire en sorte que, pour les nominations effectuées par le gouverneur en conseil, par exemple, ce soit un critère. Il y a deux ou trois ans, nous avions fait une recommandation à cet effet. Le Comité des langues officielles des Communes s’est effectivement penché sur la question et je sais qu’un rapport a été préparé. Nous avons réussi à obtenir qu’une disposition soit incluse dans la loi selon laquelle tous ceux qui occupent un poste de sous-ministre, s’ils ne sont pas bilingues à leur entrée en fonction, doivent le devenir. Honnêtement, cela ne suffit pas. On devrait exiger que, pour toute nomination effectuée par le gouverneur en conseil, des critères de base soient respectés pour exiger le bilinguisme. Il y a énormément de nominations de la part du gouverneur en conseil.
L’exemple que vous soulevez est excellent, car on crée continuellement de nouvelles structures. Bien souvent, on cherche des candidats à l’extérieur de la fonction publique sans toutefois avoir de règlements stricts qui s’appliquent en matière de bilinguisme. J’ai l’impression qu’on met cet élément de côté.
On dit souvent que le leadership est crucial pour les langues officielles. Tout commence en haut. Si le haut dirigeant d’une organisation ne parle pas l’une des deux langues officielles, évidemment, on fonctionnera dans la langue officielle du dirigeant. Ce problème existe depuis longtemps. Quelques progrès ont été réalisés à la CBC pour ce qui est des superviseurs et en raison du fait qu’un sous-ministre doit être bilingue, mais le processus est vraiment très lent.
Le président : Nous passons maintenant à la deuxième ronde de questions, en gardant les interventions plus courtes.
La sénatrice Poirier : Votre rapport de 2024-2025 parle d’une année de transition au cours de laquelle le commissariat s’est adapté à ses nouveaux pouvoirs en vertu de la Loi sur les langues officielles modernisée. Quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez tous été confrontés en ce qui a trait à l’ajustement de votre bureau à ces nouveaux mandats?
M. Théberge : Le principal défi a été de s’assurer qu’on avait les bonnes ressources pour passer à la mise en œuvre. Auparavant, nous avions un rôle d’ombudsman; or, nous sommes désormais beaucoup plus judiciarisés, car nos décisions peuvent facilement se retrouver devant les tribunaux. Avec les nouveaux pouvoirs, on a dû créer un nouveau processus d’enquête allant du début à la fin.
J’aime faire la comparaison avec une autoroute. Une personne dépose une plainte, la voiture s’engage sur l’autoroute et il y a différentes bretelles. Entame-t-on une enquête? L’organisme fédéral doit-il apporter des mesures correctives sans enquête? Va-t-on négocier une entente de conformité ou aller en médiation? Tout cela a nécessité une réorganisation du commissariat, et en particulier du bureau de M. Wolfe, pour qu’il soit en mesure d’utiliser ces nouveaux pouvoirs. Cela a nécessité tout un travail, entre autres, pour la classification des employés. Beaucoup de travail se fait aussi pour la promotion des nouveaux pouvoirs auprès des institutions fédérales, qui ont l’habitude de travailler de la même façon depuis 50 ans. Une personne dépose une plainte, on fait un appel, on mène une enquête et on formule des recommandations. Or, il y a maintenant différentes possibilités qui s’offrent à eux, soit celle de conclure une entente de conformité, alors qu’ils ne savent pas en quoi consiste une entente de conformité ni qui en est responsable. Ils peuvent aussi aller en médiation. Bien souvent, en médiation, le plaignant qui souhaite garder l’anonymat ne sera pas intéressé. Nous attendons ensuite d’autres types de pouvoirs.
J’aimerais également souligner qu’on n’a pas parlé de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale cet après-midi, mais c’est un nouveau mandat pour le commissariat. Nous n’avons jamais travaillé dans le secteur privé. Encore une fois, une nouvelle structure sera nécessaire pour bien remplir ce mandat auprès du secteur privé. Le commissariat d’aujourd’hui est une version 3.0, et non 2.0. Il a fallu énormément de travail pour se réorganiser et se restructurer afin de passer à la mise en œuvre de ces nouveaux pouvoirs.
La sénatrice Poirier : Quelle étape demeure incomplète ou à risque pour ce qui est de rendre vos nouveaux pouvoirs pleinement opérationnels? Comment comptez-vous faire face à ces risques?
M. Théberge : Nous attendons des règlements. C’est l’un des éléments qui nous empêchent de vraiment aller de l’avant en ce moment. Nous avons fait de la médiation et conclu des ententes de conformité. Nous utilisons de nouveaux motifs pour mettre fin aux enquêtes. Nous parlons souvent aux institutions fédérales afin qu’elles prennent des mesures correctives tout de suite. Nous utilisons les pouvoirs dont nous disposons en attendant d’obtenir des règlements pour ce qui est des autres pouvoirs.
Le sénateur Cormier : J’aimerais poursuivre au sujet des outils dont vous disposez, si l’on tient compte du fait que des décrets doivent être émis et des règlements doivent être adoptés. Vous avez parlé d’accords de conformité et de médiation.
Si j’ai bien compris, vous dites que les succès ont été rares avec la médiation et que vous avez signé un accord de conformité, même si l’on ne sait pas avec qui cela a été fait. D’ailleurs, en avez-vous signé plusieurs? Ou plutôt, comment mesurez-vous l’efficacité des outils dont vous disposez, si l’on tient compte des décrets et des nouveaux règlements? À ce stade‑ci, est-ce que les accords de conformité fonctionnent? En somme, est-ce que la médiation fonctionne?
M. Théberge : Je dirais que le nouveau pouvoir qui fonctionne le mieux est la discrétion que nous avons pour approcher des institutions fédérales afin qu’elles apportent des mesures correctives. C’est beaucoup plus facile pour tout le monde si l’on prend des mesures correctives; le problème est réglé instantanément.
Je mentionnais plus tôt que les institutions fédérales sont habituées à fonctionner d’une certaine façon avec le commissariat. Au début, on leur disait qu’ils avaient la possibilité de conclure des ententes et de faire de la médiation. Le grand défi de la médiation est le plaignant. Dans la plupart des cas, celui-ci n’est pas intéressé et souhaite souvent obtenir un rapport ou un produit concret en réponse à sa plainte.
Concernant les ententes de conformité, elles sont très nombreuses cette année. Chaque fois qu’on en signe une, il est de plus en plus reconnu qu’il s’agit d’une bonne façon de fonctionner, puisque cela assure la conformité.
Le sénateur Cormier : Qu’est-ce que c’est, succinctement, une entente de conformité?
M. Théberge : C’est un contrat entre l’institution fédérale et moi, le commissaire, qui dit que, selon tel échéancier, on va apporter tel changement à une situation particulière pour régler la plainte, que ce soit au chapitre des affiches ou d’une politique interne, par exemple. L’objectif de la loi est d’assurer une plus grande et une meilleure conformité.
On a donc maintenant des outils à notre disposition. Auparavant, on émettait plutôt des recommandations, mais la mise en œuvre de celles-ci dépendait de la bonne volonté des institutions fédérales. Il était donc devenu important de diversifier les options disponibles.
Le sénateur Cormier : Lorsque vous parlez de recommandations, vous parlez des commissions d’enquête, et vous suggérez même qu’une étude soit faite. Quels sont les principaux défis que vous rencontrez en matière de conformité de la loi pour les commissions d’enquête?
M. Théberge : Typiquement, les documents ne sont pas disponibles dans les deux langues officielles, les transcriptions qui sont produites dans une langue ou dans l’autre arrivent beaucoup trop tard et le temps que l’on dépose une plainte, la commission est déjà terminée. Cela pose problème : une fois que la commission n’existe plus, à qui pouvons-nous nous adresser?
Le sénateur Cormier : Quels sont vos recours pour remédier à la situation?
M. Théberge : Par exemple, dans l’une des recommandations, on suggère que le BCP, ou Bureau du Conseil privé, qui est responsable de la création — et non de la gestion — d’une commission d’enquête, s’assure de bien outiller cette dernière en ce qui concerne ses connaissances sur ses obligations en matière de langues officielles.
D’autre part, on a fait une autre recommandation au Comité des langues officielles de la Chambre des communes pour qu’il se penche là-dessus, à savoir quels types de pratiques on pourrait instituer pour éviter ce genre de situation. Parfois, c’est très rapide, car la commission peut durer quatre ou huit semaines, ils produisent le rapport et c’est terminé, mais il s’agit souvent de questions très importantes. Par exemple, des commissions comme la Commission sur l’ingérence étrangère ou la Commission sur l’état d’urgence sont très importantes, et je pense que les gens ont le droit de communiquer au commissaire de ces commissions dans la langue officielle de leur choix et aussi d’avoir accès aux documents dans les deux langues officielles.
Le sénateur Cormier : Merci.
La sénatrice Gerba : J’aimerais revenir un peu sur les sanctions. Dans votre rapport annuel, vous indiquez que le pouvoir d’imposer une sanction constitue un dernier recours. Pourriez-vous nous en dire davantage sur votre vision à ce sujet?
M. Théberge : Pour ma part, les sanctions administratives font partie d’une gradation des pouvoirs. On peut commencer avec une médiation et des recommandations, on peut aussi passer à l’ordonnance, mais si, en fin de compte, rien ne fonctionne, on peut passer aux sanctions administratives pécuniaires.
Selon mon expérience, le fait d’avoir à sa disposition ce genre d’outils est très utile, même si on ne s’en sert pas. On a par exemple la possibilité d’émettre des subpoenas. On ne l’a jamais fait, mais chaque fois qu’on a mentionné qu’on pourrait le faire, on a réussi à obtenir les informations demandées. Il est donc important d’avoir des outils coercitifs à notre disposition.
On aimerait évidemment en arriver à une meilleure conformité et on souhaiterait que le processus se fasse plus agréablement, mais on n’avait pas ces pouvoirs-là par le passé; on avait seulement le pouvoir d’émettre des recommandations. Je vois donc cela comme un continuum. On peut rappeler qu’il y a quand même des institutions fédérales qui sont très conscientes de leurs obligations en matière de langues officielles et elles font le nécessaire pour les respecter, mais dans certains cas, d’autres sont plus récalcitrantes.
La sénatrice Gerba : Merci.
La sénatrice Moncion : Je vais vous amener ailleurs. Le projet de loi C-13 est en vigueur depuis déjà deux ans et on attend toujours les règlements et tout ce qui vient avec. Où le bât blesse-t-il dans la loi? Quels sont les petits correctifs ou irritants qui sont dans la loi et qui auraient besoin d’être modifiés?
M. Théberge : Premièrement, on attend les règlements. Aussi, le projet de loi C-13 n’a pas nécessairement répondu à toutes les attentes qu’on avait. On avait, à la base, publié un document de réflexion en 2019, et beaucoup de gens ont travaillé sur ce projet de loi, mais on constate que si l’on veut par exemple utiliser certains pouvoirs, on doit passer par plusieurs étapes avant de les mettre en œuvre. Cela peut donc être très lourd sur le plan administratif. En ce qui a trait aux sanctions administratives, on voudrait s’assurer que cela ne devienne pas un processus si lourd qu’il en devienne un obstacle en soi.
Deuxièmement, on n’a pas procédé assez rapidement avec les règlements. On les attend toujours. On doit revoir la loi de 2023 d’ici 10 ans exactement, ce qui nous amènerait à 2033. On est déjà à la fin de 2025. Honnêtement, on est encore au tout début, mais on attend encore.
Donc, je crois que j’aimerais voir un plus grand engagement de la part de certaines institutions pour aller de l’avant, qu’il s’agisse du Secrétariat du Conseil du Trésor ou d’autres, et pour assurer une meilleure gouvernance de la loi. Je trouve qu’on n’a pas nécessairement toutes les directives nécessaires pour le moment.
La sénatrice Moncion : Ce n’est pas nécessairement une priorité.
Le président : J’aurais une question ayant trait aux services à nos communautés. Si j’ai bien compris, le gouvernement fédéral a estimé à plus de 700 les bureaux qui seront nouvellement désignés bilingues grâce au nouveau règlement. J’imagine qu’une partie du retard a à voir avec l’attente des règlements, mais pourriez-vous nous dire si vous avez été consulté?
M. Théberge : Les bureaux sont déjà identifiés. Quand je parlais plus tôt des retards dans la mise en œuvre des règlements, c’est qu’on veut retarder l’ouverture de ces bureaux. Cela fait partie du règlement de la partie IV qui avait été révisé en 2019, si je ne m’abuse. On est en 2025 et on passe tout juste à la mise en œuvre. Si l’on pouvait passer rapidement à la mise en œuvre de ces 700 bureaux de services, ce serait très positif, car il s’agit d’une augmentation importante. On tient également compte d’un critère qui porte sur la vitalité, c’est-à-dire : est-ce qu’une école existe?
Si une école francophone existe, c’est une zone où l’on peut offrir des services, mais on songe à retarder l’ouverture de ces bureaux-là.
Le président : Je suis encore dans mes trois minutes. Avez-vous des inquiétudes quant aux compressions budgétaires annoncées? Est-ce que le retard pourrait augmenter ou diminuer?
M. Théberge : Si je comprends bien les propos du ministre des Finances, tout est sur la table. Bien sûr, j’ai des préoccupations par rapport à cela. Nous avons déjà subi plusieurs retards. Les retards ne sont jamais en faveur des communautés. Nous avons déjà assez de défis dans nos communautés sans avoir à toujours attendre la mise en place de ces bureaux de services, qui sont extrêmement importants pour nos communautés.
La sénatrice Poirier : Je ferai juste un suivi sur quelques points dont nous avons déjà discuté.
Nous avons aussi demandé quand nous aurions ces règlements, sans obtenir de réponse concrète. Est-ce que vous avez reçu des indices ou des informations que nous n’avons pas eues ou que nous ne pouvons pas avoir à ce point-ci? À quand vous attendez-vous à l’arrivée des règlements?
M. Théberge : Comme j’ai dit plus tôt, à l’automne.
La sénatrice Poirier : Nous sommes à l’automne.
M. Théberge : Je m’en tiens aux propos du ministre Guilbeault, qui a dit en comité que ce serait à l’automne, dans les prochaines semaines. C’est vague pour moi, « les prochaines semaines », « l’automne », mais l’importance de déposer ces règlements le plus tôt possible me semble bien claire. Les consultations prendront 30 jours. Il faut que les comités se penchent sur les règlements pour voir s’il y a des changements à apporter. Cela fera bientôt deux ans et demi.
La sénatrice Poirier : J’espère que tout se passera bien et que nous recevrons tout cela bientôt.
M. Théberge : Je m’en vais!
La sénatrice Poirier : Avant que vous partiez.
La sénatrice Moncion : J’ai une question au sujet d’une procédure qui pourrait être mise à la disposition du Collège Nordique. J’imagine que vous êtes au courant de la situation de ce collège dont le financement a été coupé.
Quel genre d’intervention pourriez-vous effectuer ou quel genre de conseil donneriez-vous au Collège Nordique pour qu’il puisse utiliser certains de vos pouvoirs pour faire comprendre au gouvernement qu’il enfreint la Loi sur les langues officielles dans la promotion —
M. Théberge : Nous travaillons à partir de plaintes. Est-ce que cette situation est assez préoccupante pour déposer une plainte, et celle-ci serait-elle recevable? Nous ne pouvons rien faire à moins qu’une plainte soit déposée.
La sénatrice Moncion : Sans le dire, il faudrait que le collège regarde l’environnement et dépose une plainte à laquelle vous pourriez répondre en tant que commissaire aux langues officielles.
M. Théberge : Si la plainte touche la Loi sur les langues officielles, évidemment.
La sénatrice Moncion : Je vous remercie.
Le sénateur Cormier : Nous sommes inquiets des réductions budgétaires du gouvernement et de leur impact potentiel sur les langues officielles. Est-ce que le gouvernement fédéral devrait prendre des mesures particulières dans le cadre de ces compressions budgétaires pour protéger les communautés de langue officielle? Est-ce qu’il devrait adopter une approche particulière et garder à l’esprit certaines considérations pour ne pas pénaliser les communautés de langue officielle en situation minoritaire?
Vous parlez de retard. Quand on parle de retard, on parle de recul. Il y a les notions de rattrapage et d’épanouissement continu des communautés. Est-ce que vous avez des conseils à donner en ce sens?
M. Théberge : Chaque institution fédérale a l’obligation de faire en sorte que ses programmes et politiques n’ont pas d’impact négatif sur les communautés. Si nous parlons de coupes, il faudrait faire une analyse d’impact pour déterminer s’il y aura un impact sur les communautés.
Le sénateur Cormier : Ce que je comprends, c’est que dans le prochain budget qui sera présenté bientôt, on peut imaginer que le gouvernement du Canada, qui est responsable de l’application de la Loi sur les langues officielles, aura posé une « lentille » de langues officielles sur ces réductions afin de s’assurer qu’il n’y ait pas d’impact négatif sur les communautés; est-ce que j’ai bien saisi?
M. Théberge : Vous avez très bien saisi ce qui est censé se passer.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.
La sénatrice Moncion : Bravo!
Le président : Je vais compléter : votre mandat a déjà été prolongé une fois, peut-être deux fois, par intérim. Est-ce qu’on connaît quelque chose d’autre sur une autre prolongation ou une transition?
M. Théberge : Tout simplement, c’est entre les mains du Bureau du Conseil privé. Il y a un processus en place. Le ministre y a fait référence lors d’une comparution. Je ne suis pas au courant de ces détails. Toute question doit être renvoyée au Bureau du Conseil privé.
Le président : Merci beaucoup. Cela met fin à notre échange avec le commissaire aux langues officielles. Merci beaucoup à vous, monsieur le commissaire, et merci à votre équipe d’avoir été parmi nous ce soir. Merci aussi aux sénateurs et sénatrices.
Cela conclut la partie publique de notre réunion de ce soir. Je vous remercie sincèrement.
(La séance se poursuit à huis clos.)