Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 17 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 9 (HE), pour examiner, afin d’en faire rapport, le renforcement des responsabilités des institutions fédérales en matière d’arts, de culture et de patrimoine dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire et au Canada; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs); et à huis clos, pour examiner, afin d’en faire rapport, les services de santé dans la langue de la minorité (étude d’une ébauche de rapport).

Le sénateur Allister W. Surette (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, avant de commencer, je vous invite à prendre connaissance des cartes placées sur les tables dans la salle pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. Veuillez garder les oreillettes à l’écart de tous les microphones en tout temps. Ne touchez pas aux microphones. Leur activation et leur désactivation seront contrôlées par l’opérateur de console.

Bonsoir. Je m’appelle Allister Surette. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et je suis président du Comité sénatorial des langues officielles.

J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter en commençant à ma gauche.

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec. Bienvenue.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario. Bienvenue.

Le président : Ce soir, en vertu de l’ordre de renvoi qui nous a été confié par le Sénat le 29 octobre dernier, nous continuons notre étude sur le renforcement des responsabilités des institutions fédérales en matière d’arts, de culture et de patrimoine dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada.

À cet effet, nous accueillons ce soir Nancy Juneau, présidente, et Marie-Christine Morin, directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française. Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation. Comme d’habitude, vous aurez quelques minutes pour prendre la parole au tout début. Le tout sera suivi d’une période de questions de la part des sénateurs et sénatrices.

La parole est à vous.

Nancy Juneau, présidente, Fédération culturelle canadienne-française : Merci beaucoup. Je suis désolée de notre retard.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis Nancy Juneau, présidente de la Fédération culturelle canadienne-française, aussi appelée FCCF. Je suis accompagnée de Marie-Christine Morin, notre directrice générale.

Merci de votre invitation à comparaître aujourd’hui, et merci surtout d’avoir choisi d’aborder ce sujet d’étude, qui est au cœur même de notre mandat national.

La FCCF est la voix politique du secteur culturel et artistique de la francophonie en situation minoritaire depuis près de 50 ans. Elle représente 22 organismes nationaux, régionaux et territoriaux et compte plus de 300 organismes dans son réseau élargi.

D’entrée de jeu, rappelons que le fait de participer à la vie culturelle constitue un droit fondamental en vertu de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Grâce à votre apport à la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le secteur de la culture a été reconnu essentiel à la vitalité et au développement des communautés en situation minoritaire. Le législateur a également visé juste en veillant de manière générale à renforcer les responsabilités des institutions fédérales en matière de langues officielles, dont leur devoir de mettre en œuvre des mesures positives.

Le contexte est désormais marqué par la reconnaissance formelle du déclin de la langue française au pays et la nécessité de protéger la souveraineté culturelle canadienne. Il y a urgence d’agir. Plus que jamais, il est essentiel de travailler à l’atteinte de l’égalité réelle des langues officielles et de faire de l’accès à la culture une priorité de l’action gouvernementale et institutionnelle.

Marie-Christine Morin, directrice générale, Fédération culturelle canadienne-française : Depuis 1998, la FCCF dirige des actions concertées en vue de favoriser l’essor des arts et de la culture des communautés francophones en situation minoritaire par le biais d’une entente de collaboration qui rallie six institutions fédérales clés, soit Patrimoine canadien, le Conseil des arts du Canada, le Centre national des arts, la Société Radio‑Canada, l’Office national du film du Canada et Téléfilm Canada. Cette entente formelle, renouvelée de 2024 à 2028, engage les institutions signataires de cette entente à mettre en œuvre des actions concrètes.

Malgré le fait que l’on peut compter sur cette entente formelle, le développement durable du secteur des arts et de la culture en francophonie minoritaire est freiné par de sérieux obstacles liés au champ de la responsabilité institutionnelle.

De 2023 à 2025, on estime que 80 % du financement ministériel du secteur artistique et culturel en francophonie canadienne et acadienne provenaient de Patrimoine canadien, dont 65 % étaient issus de ses programmes en matière de langues officielles. Ces données montrent que les actions interministérielles n’ont pas donné les résultats escomptés pour diversifier notre accès au financement.

En effet, en dépit du renforcement des responsabilités des institutions fédérales et des investissements consentis dans les deux derniers plans d’action pour les langues officielles, l’accès du secteur culturel aux enveloppes d’autres ministères, comme Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Emploi et Développement social Canada ou Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, reste limité. Cette réalité diminue la capacité qu’ont les organismes de se développer et d’agir dans des domaines essentiels. La forte dépendance du secteur culturel aux enveloppes exclusives aux langues officielles suscite une vive inquiétude, notamment face à l’absence de garantie quant au financement du Plan d’action pour les langues officielles au-delà de 2028.

Le deuxième enjeu a trait à la capacité limitée des institutions fédérales de la culture à collecter, analyser et rendre disponibles des données sur les CLOSM. Cette situation soulève des doutes sur la compréhension de nos besoins réels que peuvent avoir les institutions. Le fait qu’elles ne puissent pas intégrer ces connaissances à leur planification stratégique génère également des problèmes importants pour nos communautés, notamment en matière d’accès équitable aux programmes de financement existants.

La FCCF insiste enfin sur l’importance de veiller à ce que les institutions fédérales aient les moyens d’évaluer l’impact de leurs services et du financement qu’elles attribuent afin de pouvoir nous aider à mesurer les progrès réalisés dans le champ du développement durable du secteur culturel.

Mme Juneau : Pour conclure, les institutions fédérales en culture seront à même de remplir leurs responsabilités en matière de langues officielles lorsqu’elles pourront assurer un soutien financier diversifié et structurant, se doter de données fiables et investir dans le développement des compétences numériques.

Merci de nous avoir écoutées. Nous serons heureuses de répondre à vos questions.

Le président : Merci de votre présentation, qui était excellente. On passe maintenant à la période des questions.

Le sénateur Cormier : Monsieur le président, je voudrais tout d’abord signaler qu’au début des années 2000, j’ai occupé le poste de président de la Fédération culturelle canadienne‑française. Cela date d’un certain temps. Je voulais tout de même le souligner.

Merci beaucoup d’être présentes et merci pour le travail que la Fédération culturelle canadienne-française fait depuis tant d’années.

Mes premières questions concerneront l’entente de collaboration multipartite que j’ai connue à une autre époque. J’aimerais connaître le fonctionnement de cette entente et son efficacité. À l’époque, il y avait un plan d’action qui était associé à cela, et les priorités étaient énoncées par les joueurs du milieu. Cela existe-t-il toujours? Est-ce qu’un plan d’action existe toujours au sein de cette collaboration? J’ai reparcouru la liste des ministères et agences. Évidemment, il y a des joueurs qui ne sont pas là, notamment Affaires mondiales Canada. J’aimerais vous entendre sur l’entente de collaboration comme telle.

Mme Juneau : Merci de votre question, monsieur le sénateur.

En fait, on s’est rendu compte que le mandat de la présente étude du Comité sénatorial permanent des langues officielles correspond aux objectifs de cette entente. Il y a un parallèle intéressant à faire. Cette entente a été développée il y a 25 ans. Effectivement, elle était accompagnée d’un plan d’action contenant des projets structurants qui avaient été identifiés par le milieu. Un ensemble de partenaires réunis au sein de l’entente s’engageaient à mettre tout cela en œuvre. Je peux donner l’exemple des réseaux de diffusion que l’on a aujourd’hui en Atlantique et dans l’Ouest, qui sont issus de ce plan d’action de l’entente d’origine.

Depuis, avec les deuxième et troisième moutures de l’entente, il n’y a pas de plan d’action comme tel. Cela ne veut pas dire qu’on ne souhaiterait pas en avoir un. On se donne des thématiques transversales. Par exemple, le numérique en est une, tout comme la formation et le développement des ressources humaines. Ce sont donc des thématiques sur lesquelles s’engagent l’ensemble des partenaires réunis autour de cette table. On s’engage à travailler là-dessus ensemble. Cependant, il n’y a pas de mesures concrètes.

L’autre problématique que l’on a par rapport à l’entente, c’est toute la question de la collecte de données. C’est difficile de mesurer les progrès qu’on réalise ensemble, chez certains partenaires plus que d’autres. Par exemple, il y a des partenaires comme le Conseil des arts du Canada où les données sont colligées et disponibles, donc on peut vraiment suivre l’évolution à ce niveau. Toutefois, pour d’autres partenaires, on n’a pas ces données. Il est donc difficile de vraiment se faire une tête sur l’efficacité de cette entente.

En fait, pour plusieurs institutions fédérales réunies autour de l’entente, c’est la communication et le dialogue continus avec le secteur qui permettent d’identifier les besoins et d’influencer les stratégies qui seront adoptées. Cela donne parfois lieu à l’élaboration collaborative de solutions. Par exemple, depuis quelques années, le CNA a une résidence en gestion culturelle qui a été élaborée de toutes pièces, en collaboration avec nous, pour répondre aux besoins de notre milieu. Cette résidence reçoit des cohortes de gestionnaires culturels chaque année pour offrir de la formation.

Le sénateur Cormier : La question des infrastructures était aussi importante pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, et des projets concrets émanaient de cette entente. À part celui que vous venez de mentionner, y a-t-il d’autres exemples très concrets de projets qui, à votre avis, se sont réalisés grâce à cette entente de collaboration, ou cela reste‑t-il uniquement de la collaboration et de la discussion?

Mme Juneau : Ma réponse à votre question sera mitigée. Encore une fois, il est difficile de suivre l’évolution des projets. On a des groupes de travail liés à ces ententes, en théâtre, en édition, en arts visuels et en chanson musique. Au sein de ces groupes de travail, des progrès sont réalisés en ce qui a trait à l’aménagement des critères des programmes et de la composition des jurys. De telles initiatives existent. Oui, des résultats concrets émanent de cette entente. Toutefois, quand il s’agit de grands projets comme on en a vu à l’origine, il n’y en a pas vraiment.

Zones Théâtrales est un exemple éloquent de projet qui, à l’origine, figurait dans le plan d’action. Ce projet a perduré, il a pris de l’ampleur et il est devenu un rendez-vous incontournable pour le théâtre francophone en région, y compris les régions du Québec.

Le sénateur Cormier : Le Plan d’action pour les langues officielles, ou PALO — et vous l’avez abordé —, tient-il compte des besoins du secteur des arts, de la culture et du patrimoine? Vous avez aussi parlé de financement de base. J’ai compris qu’un des grands enjeux auxquels vous faites face, c’est d’assurer le financement de base des organisations. Différents ministères sont impliqués dans la mise en œuvre du plan d’action. Sont-ils impliqués dans le financement de base de vos organisations? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

Mme Juneau : Je commencerai et Marie-Christine pourra compléter ma réponse. Par rapport au PALO, nous aimerions souligner trois éléments majeurs : les limites du financement, le besoin de donner et le financement d’initiatives avec le Québec et l’international. Je vais approfondir rapidement chacun des éléments.

Pour ce qui est du financement, comme Marie-Christine l’a dit en introduction, le PALO demeure un levier essentiel pour le secteur culturel francophone en situation minoritaire. Nous n’avons pas accès, aux fins de fonctionnement, à d’autres formes de financement. Nous sommes donc très dépendants. L’effet recherché du PALO était de cibler les efforts et d’accroître la cohérence des investissements à l’endroit des CLOSM. L’effet pervers, c’est que cela limite les efforts de l’ensemble des institutions, qui nous renvoient au PALO.

Au sein du Plan d’action pour les langues officielles, il existe un sous-financement historique du secteur des arts et de la culture. Je peux vous donner l’exemple de l’Association des groupes en arts visuels francophones, qui a accédé au financement de fonctionnement en 2018, avec un montant de 110 000 $, mais qui n’a presque pas bougé. Ils ont reçu des augmentations du même niveau que tous les autres organismes, beaucoup mieux financés, mais cela ne corrige pas un retard historique et cela limite leur capacité d’agir.

En fait, avec le renouvellement du PALO en 2028, nous sommes inquiets du fait qu’aucune indication n’a été donnée pour savoir si cela se poursuivra ou si ce sera bonifié. Nous savons simplement qu’on a besoin de bonification. Nous avons besoin de fonds de base renforcés et d’accès à d’autres ministères. Nous n’avons pas accès aux fonds d’économie et de développement social. Bien que nous soyons un secteur qui contribue fortement aux retombées économiques — et nous avons une étude qui le démontre —, nous n’avons pas accès aux fonds de l’immigration, par exemple, pour des activités de médiation culturelle à l’intention des nouveaux arrivants.

Le deuxième point concerne les données. Nous avons eu une réunion sur les données avec Patrimoine canadien il y a quelques semaines; on se rend compte qu’ils ne peuvent pas nous offrir un portrait clair du financement que reçoit le secteur des arts et de la culture. Ils n’ont pas ces données. Or, nous avons besoin de données pour savoir où nous nous situons et comment nous évoluons.

Le dernier élément, c’est le Québec et l’international. Le secteur des arts, de la culture et de la francophonie est tissé serré, avec des organismes au Québec et des organismes qui s’occupent de dossiers internationaux en culture, comme la Coalition pour la diversité des expressions culturelles. Cependant, le PALO n’a aucun financement pour nous aider à mener nos actions auprès de ces organismes. Il y a une lacune au PALO à cet effet.

Le sénateur Cormier : Merci.

La sénatrice Gerba : Bienvenue encore une fois. Je vais aborder la question de la diplomatie culturelle. Je sais que nous sommes toujours en attente d’une stratégie nationale en matière de diplomatie culturelle. J’aimerais vous entendre à ce sujet. Pourquoi une stratégie nationale en matière de diplomatie culturelle vous paraît-elle nécessaire? Quel rôle pourriez-vous jouer dans cette stratégie?

Mme Morin : Merci pour la question. En 2018, nous avions participé à l’étude du comité sénatorial concernant la diplomatie culturelle. La Fédération culturelle canadienne-française avait alors déposé un mémoire. En nous préparant pour cette rencontre-ci, nous sommes retournés le consulter et les recommandations que nous formulions sont toujours d’actualité et nécessaires. L’une de ces recommandations, pour le milieu artistique culturel, consistait à élaborer une stratégie pancanadienne de promotion des œuvres et des artistes à l’étranger. Pour le moment, il n’y a ni plan d’action ni concertation auprès des joueurs qui ont pour mandat de faire rayonner les arts et la culture de la francophonie canadienne à l’étranger ou qui ont des programmes pour le faire. Je parle de joueurs comme Patrimoine canadien, mais aussi du Conseil des arts du Canada et d’Affaires mondiales Canada dans une certaine mesure. Il n’y a pas d’endroit où ces trois joueurs s’assoient actuellement et élaborent quelque chose de précis nous concernant en matière de diplomatie culturelle.

Une autre recommandation que nous avions formulée à l’époque, c’était de diversifier les marchés dans lesquels on fait circuler les œuvres et les artistes. Jusqu’à maintenant, on va dans des marchés avec lesquels nos industries peuvent faire très peu de liens. Ce ne sont pas des marchés qu’elles ont explorés. Ce sont des marchés où elles sont en marge, c’est-à-dire qu’on ne retrouve pas actuellement beaucoup de possibilités de développement, par exemple, du côté de l’Afrique francophone.

C’est le genre d’exercice où l’on devrait être plus près des besoins des industries de la francophonie canadienne, et cela permettrait de développer tout un réseau de rayonnement des arts et de la culture.

De plus, évidemment, le financement de la mobilité internationale est le parent pauvre. On fait circuler des œuvres, mais on ne fait pas circuler des artistes. On envoie un livre à l’étranger, mais pas son auteur.

Ce sont vraiment des barrières au rayonnement et à la formation du développement d’un secteur artistique culturel présent à l’étranger. Nous savons qu’il faut un certain temps pour établir ces liens d’affaires ou ces relations avec des partenaires à l’étranger. Il faut donc que le financement soit continu, et non ponctuel. Il faut permettre aux gens de prendre le temps de développer des relations.

Il était question en 2018 de la diplomatie numérique. Je vous dirais que c’est plus d’actualité que jamais. Les grandes questions qui touchent actuellement la découvrabilité des contenus francophones et l’intelligence artificielle se discutent à l’étranger dans différentes instances, que ce soit l’UNESCO ou l’Organisation internationale de la Francophonie.

Mme Juneau : Il y a aussi la coalition internationale.

Mme Morin : Donc, le fait que le secteur artistique culturel puisse participer à ce genre de forum et faire partie de la discussion sur le champ numérique est plus vrai que jamais.

Pour terminer, il y avait aussi une recommandation — et c’est encore vrai — visant à élargir la structure de concertation. Nous avons des gens à l’étranger qui font la promotion des artistes et des œuvres, mais ils ne connaissent pas le secteur des arts et de la culture en francophonie canadienne. Il faut multiplier les liens avec les personnes qui font le réseautage et qui ont le mandat de développer les marchés ou d’accompagner des organisations et des artistes qui veulent développer ces marchés. Il faut leur donner la chance de venir voir ce qui se fait ici, de rencontrer les artistes et de connaître les œuvres qui sont créées ici. Il faut trouver ce genre d’endroit où l’on peut se rencontrer. C’est probablement la base de tout un réseau de relations dont je parlais tout à l’heure.

Merci pour votre question. C’est toujours un levier important de développement de la francophonie canadienne et du secteur artistique culturel en particulier. C’est directement lié à notre difficulté d’obtenir du financement pour nos activités à l’international. C’est un frein au développement.

Mme Juneau : J’ai une petite anecdote pour conclure les propos de ma collègue. Les deux dernières occasions où nous avons été invitées par le gouvernement fédéral — premièrement au Sommet de la Francophonie en Tunisie, puis à Paris —, nous n’avons su que quatre ou cinq jours avant le départ que nous faisions partie de la délégation. Cela ne permet pas de faire une bonne préparation. Nous sommes en attente. C’est une anecdote, mais cela témoigne un peu de la façon dont cela se passe.

La sénatrice Moncion : Vous nous avez soumis quatre questions dans votre demande d’invitation. J’aimerais vous entendre sur les institutions fédérales qui s’organisent pour intégrer l’intelligence artificielle dans leurs pratiques et leurs programmes. Comment ce virage se répercute-t-il sur le secteur culturel francophone minoritaire, et quelles sont les lacunes que vous observez dans le soutien ou la formation?

Mme Morin : Merci de poser la question. Comme je le disais d’emblée, l’intelligence artificielle est venue bouleverser non seulement la pratique de l’ensemble des institutions fédérales, mais aussi nos organisations et la communauté artistique.

À l’heure actuelle, le secteur culturel francophone en situation minoritaire n’a aucun financement particulier prévu pour soutenir cette transition liée à l’intelligence artificielle. Ce n’est pas uniquement la francophonie canadienne; le secteur culturel en général ne fait pas non plus partie des secteurs prioritaires des investissements consentis à l’heure actuelle par le gouvernement en matière d’intelligence artificielle. Le secteur culturel n’a pas de représentant au comité consultatif qui a été mis sur pied. Le financement disponible pour la formation et le développement de compétence en intelligence artificielle ne prévoit pas que les organismes sans but lucratif et le secteur culturel puissent se qualifier pour ces enveloppes. Il est donc difficile d’accompagner nos organisations dans cette transformation numérique, car il n’y a pas une littératie suffisante ni une capacité de générer des données pour s’inscrire dans un dossier aussi vaste que celui de l’intelligence artificielle.

C’est pour cela que nous recommandons l’inclusion explicite, parmi les 2,4 milliards de dollars qui doivent être investis à l’échelon fédéral en intelligence artificielle, du secteur artistique culturel francophone. Nous recommandons que le financement qui sera disponible à Innovation, Sciences et Développement économique Canada inclue le milieu culturel pour faire de la formation en intelligence artificielle et nous recommandons qu’on ouvre les programmes d’innovation et de formation aux organismes culturels du côté d’Emploi et Développement social Canada.

Cela fait partie de nos recommandations explicites jusqu’à maintenant. Je veux vous dire également qu’il y a tout un secteur artistique culturel qui travaille de très près sur ces questions avec la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, entre autres, pour s’assurer qu’on entend la voix du secteur.

Il est clair que cette question est particulièrement importante pour nous. Si nous voulons protéger la diversité des expressions culturelles que nous sommes, il faut pouvoir s’inscrire dans ce dossier. Il faut avoir voix au chapitre. Il faut que les organismes soient formés et accompagnés pour participer pleinement à cette... Je vais appeler cela une « révolution »; je pense que le mot est juste.

Mme Juneau : Si je peux me permettre d’ajouter quelque chose, puisque nous n’avons pas accès à ces fonds en ce moment, la FCCF a pris l’initiative de développer un projet qui s’appelle la bande numérique, qui a pour objectif d’accompagner nos membres sur le terrain dans cette transition. C’est une approche de mutualisation des services. Cela fonctionne très bien, mais nous sommes allés puiser dans une enveloppe stratégique du PALO pour faire cela. Il n’y a aucune garantie que cette initiative se poursuivra au-delà de mars 2027, même si cette offre de services à nos membres est devenue une partie intégrante de notre fonctionnement, car cela permet à nos membres d’aller chercher de l’aide dans d’autres enveloppes, comme celle qu’a mentionné ma collègue.

La sénatrice Moncion : Le danger, c’est que le gouvernement s’attend à ce que vous le fassiez alors qu’il y a une réciprocité dans les besoins. Vous en avez besoin, mais le gouvernement en a besoin aussi. Il doit le financer et vous avez besoin de l’argent pour le faire.

Je vais aller ailleurs. Mon inquiétude, c’est la prolifération d’imposteurs qui peuvent se retrouver dans le secteur artistique lorsqu’on parle d’écriture, de musique et de production cinématographique. On l’a vu avec l’actrice qui vient d’être numérisée en entier. Il y a une inquiétude du côté de cette guilde qui commence à dire que s’ils sont capables de créer un acteur à partir de l’informatique, ils n’auront plus besoin d’acteurs. Cela vient affecter un autre secteur. Il y a tout un volet dont nous devons être conscients.

J’ai une autre question, et elle va peut-être vous paraître curieuse. Vous avez parlé spécifiquement de la francophonie canadienne, mais vous n’avez pas nécessairement parlé de la francophonie québécoise. Il y a une scission dans le marché culturel mondial, où vous avez la francophonie québécoise artistique et la francophonie canadienne artistique. Est-ce que je me trompe?

Mme Juneau : Je ne dirais pas que c’est aussi tranché que cela, à mon avis. Depuis longtemps, la fédération et ses membres entretiennent des liens assez étroits avec le Québec. La preuve la plus récente, c’est la nouvelle loi du Québec sur la découvrabilité. La FCCF a été interpellée et nous avons présenté un mémoire. Le gouvernement du Québec a tenu compte de nos demandes et nous a inclus. Il y a des occasions où nous travaillons de très près avec le Québec, mais il y a, à d’autres égards, des occasions où nous devons nous distinguer et faire valoir nos produits et notre contenu de manière pas nécessairement autonome, mais proactive, parce que cela ne se fait pas tout seul.

Mme Morin : J’ajouterais peut-être que là où il y a une différence, c’est dans les marchés qui sont touchés. À certains endroits, par exemple du côté de la production en audiovisuel, on participe aux mêmes festivals. Ce sont des festivals qui ont une certaine réputation à l’étranger et on est au même endroit. Cependant, les marchés dans certaines disciplines peuvent être plus ciblés, plus petits, et c’est là qu’il y a une différence. Si la stratégie du gouvernement est de cibler de grands événements artistiques culturels pour que nous ayons accès à des marchés dans lesquels nous ne sommes pas, de toute évidence, il y aura alors un décalage. Il peut y avoir une différence entre les marchés francophones du Québec et les marchés francophones de notre écosystème. Je pense qu’il y a une différence à cet effet.

Pour certains marchés — je parlais plus tôt de l’Afrique francophone —, et pour avoir assisté à quelques-unes des rencontres sur la stratégie d’exportation culturelle, le Québec est tout aussi intéressé à développer des marchés en Afrique francophone. Il y a des collaborations possibles, mais je dirais que dans certaines disciplines, nous sommes dans d’autres marchés plus ciblés.

[Traduction]

La sénatrice Patterson : Je suis néophyte dans ce domaine. Vous nous avez fourni des renseignements très complets et vous avez répondu à une bonne partie de mes questions, mais j’aimerais revenir sur la question de l’échange de données.

Il faut attendre longtemps avant que Patrimoine canadien vous fournisse des données. Si vous pouviez résoudre le problème, comment vous y prendriez-vous? Plutôt que d’attendre que le ministère vous les fournisse, de quelles données avez-vous besoin? Et souhaiteriez-vous que le ministère vous en demande également?

Mme Juneau : C’est une bonne question. Nous en avons discuté avant de venir ici.

[Français]

On parlait du développement d’une matrice de collecte de données. La FCCF aurait besoin d’appui financier pour développer, de son côté, une matrice qu’elle pourrait utiliser pour recueillir chez ses membres un certain nombre de données, mais le gouvernement pourrait aussi se doter d’une matrice de collecte de données auprès de ses différents ministères et organismes. Il y a déjà le CADAC et le Conseil des arts du Canada qui existent, et l’ONF collabore aussi à cela. Téléfilm Canada est en train de se donner un cadre en commun pour recueillir des données. Cela pourrait être étendu à d’autres ministères et organismes. Nous en avons aussi, qu’on peut aller chercher auprès de nos membres, mais on a besoin d’aide pour faire ce travail. On a besoin d’un appui pour développer cette matrice et la faire nourrir par nos membres.

Mme Morin : J’ajouterai l’élément suivant, en plus des organismes fédéraux et des données quantitatives : les montants financés, le nombre de projets soutenus et la portée géographique. L’autre élément a trait aux données qualitatives, donc à l’incidence de ces investissements. Il s’agit de quelque chose qui est un peu plus complexe et qui demande un peu plus de travail pour se rendre aux impacts. On a toute une reddition de comptes qui nous oblige à faire rapport des retombées des projets que l’on fait sur le terrain. Il y a sans doute une réflexion à faire à l’échelle des institutions fédérales sur l’incidence de ces investissements.

Je ne suis pas en train de dire que du côté quantitatif on a les données; même de ce côté, c’est problématique. Cependant, il y a aussi un deuxième volet auquel il faudrait s’attarder et qui touche les retombées et l’incidence des investissements. C’est tout un travail de réflexion qui doit être fait. Dans le cadre du Plan d’action pour les langues officielles et dans le cadre des travaux qui seront prévus du côté de la partie VII de la loi, où l’on devra mesurer l’impact concret des investissements sur le développement et la promotion des communautés, il y aurait peut-être un cadre d’évaluation qui permettrait de combiner les deux et de répondre aux besoins du secteur.

Mme Juneau : Ce serait intéressant que ce cadre puisse être codéveloppé avec la communauté et qu’on puisse participer à la façon dont il sera conçu pour qu’on puisse fournir les données qu’on nous demande et pour que le gouvernement ait accès à ces données.

[Traduction]

La sénatrice Patterson : Merci. Je viens d’un milieu axé sur les normes et il faut élaborer des indicateurs de réussite de manière collaborative. Il est très difficile de se faire dire par un ministère quels sont ces indicateurs sans avoir son mot à dire. D’après ce que j’entends, il semble que vous ne puissiez même pas participer aux discussions pour l’instant.

La partie VII traite certes du cadre, mais il serait peut-être utile que le règlement prévoie l’élaboration conjointe d’indicateurs de réussite, car 7 $, c’est 7 $. Or, comme vous l’avez très clairement indiqué, et alors? Pensez-vous que ce serait utile?

Mme Juneau : Je vous remercie de la question. Comme je le dis, poser la question, c’est y répondre. Ce serait utile. Il vaut mieux travailler ensemble à quelque chose qui servira aux deux objectifs. Une occasion se présentera très bientôt, car je crois comprendre que votre prochaine étude portera sur la réglementation. Ce serait une très bonne initiative.

[Français]

Le sénateur Cormier : Comme je vois que le temps est limité, je vais vous poser des questions en rafale et je ne vais pas jouer le rôle de président, mais plus vos réponses seront brèves, plus on pourra en poser.

Le budget de 2025 a prévu l’octroi d’une somme de 6 millions de dollars sur trois ans au Conseil des arts du Canada. Le secteur culturel canadien a demandé une augmentation de 140 millions de dollars. Il me semble qu’on n’a pas beaucoup entendu parler de cette question. J’aimerais vous entendre brièvement : le financement du Conseil des arts du Canada lui permet-il de faire le travail, particulièrement pour les CLOSM?

Ma deuxième question est la suivante : vous faites du travail pour le gouvernement. Dans ce travail, il y a la question de la consultation qui exige beaucoup d’investissement de votre part. Que pouvez-vous faire comme recommandation pour obtenir du soutien qui vous aidera à faire des consultations et à participer à la collecte de données? Quelles seraient vos recommandations à cet effet? J’ai un dernier point : je n’étais pas au courant de cette proposition que vous avez faite d’une table sectorielle économique fédérale en culture. J’aimerais vous entendre brièvement là-dessus, parce que je pense que c’est un élément porteur dans le contexte socioéconomique que l’on connaît. Merci.

Mme Morin : Pour le Conseil des arts du Canada, les 140 millions de dollars étaient une demande du secteur. Évidemment, le secteur a poussé un soupir de soulagement avec le dernier budget fédéral, parce qu’on s’attendait à des coupes dans la plupart des programmes qui nous concernent. Cela n’est pas arrivé, car on a prolongé des bonifications sur trois ans pour la majeure partie des investissements. Une certaine stabilité a donc été reconnue.

Du côté de la création, parce que c’est là où le Conseil des arts agit, nous n’avons pas eu le montant souhaité. Bien qu’on nous dise que 6 millions de dollars seront envoyés sur le terrain, il n’y a pas de doute à cet effet. Il reste que c’est nettement inférieur à ce qui était proposé.

De ces 140 millions de dollars, il y avait évidemment une partie qui allait couler de source dans nos milieux. Il est donc certain qu’il y a une inquiétude du côté de la production des œuvres, qui est la matière première. On voit aussi qu’il n’y a pas eu de façon générale beaucoup d’investissement de la part du gouvernement fédéral dans le dernier budget sur cette question. Cela, c’est pour le Conseil des arts du Canada. Pour la consultation...

Mme Juneau : C’est cela. Pour le « festival des consultations », comme on aime bien l’appeler, la loi actuelle, avec sa nouvelle obligation, impose aux organismes de mener des consultations. On vient d’ailleurs de terminer une période qui en comptait cinq, échelonnées sur quatre semaines, et on avait appris seulement deux semaines à l’avance qu’elles auraient lieu.

Donc, pour ce qui est de la capacité que nous avons, comme organisme censé être un expert sur de très nombreux sujets, de nourrir toutes ces réflexions, notamment en matière d’immigration et de développement économique, on aurait besoin d’une augmentation de notre financement de fonctionnement. Cela deviendra une activité régulière : au sein de nos organismes, on devra répondre à ces invitations de consultations. C’est important. Ce qui serait encore plus important et intéressant, une fois qu’on nous a consultés, serait qu’on tienne compte de ce qu’on a offert comme pistes de solutions. Il faudrait qu’on ait une augmentation du financement à notre disposition pour créer une espèce de secteur de recherche et de rédaction de mémoires pour ces consultations, qui sont de plus en plus fréquentes et qui le seront encore.

Le sénateur Cormier : La table économique.

Mme Morin : La table économique, oui. Cela fait quand même un bout de temps que le milieu artistique culturel sait qu’il doit se rapprocher du milieu économique. La table économique était justement une façon de mettre ces acteurs autour de la table. On sait que le secteur a des retombées économiques importantes.

Nous avons fait faire une étude sur l’impact du secteur économique. On génère 5,83 milliards de dollars par année par rapport au PIB. Ce sont des données de 2022. On s’est également basé sur les données du recensement de 2021, qui seront bientôt mises à jour, mais on représente 36 000 travailleurs culturels à travers le pays. Il y a donc de l’activité économique en francophonie canadienne. On sait qu’on possède une force importante du côté du développement économique. Des tables sectorielles existent déjà. On sait qu’il y en a une en tourisme, mais il n’y a pas de représentant du secteur artistique culturel au sein de ces tables économiques. C’est pour cela qu’on s’est dit qu’il en faudrait une, étant donné l’activité économique que l’on peut générer. C’était la suggestion.

Le sénateur Cormier : Merci.

La sénatrice Gerba : Je vais revenir un peu sur l’IA. Selon vous, quelles sont les possibilités réelles que l’intelligence artificielle apporte dans votre contexte, et comment les créateurs et les institutions francophones pourraient-ils en tirer profit dans leur quotidien?

Mme Morin : Je dirais que cela se passe à deux niveaux : le premier niveau d’opportunité, soit le fait qu’il y a toute une intelligence d’affaires, puis la productivité administrative qui peut être améliorée grâce à l’intelligence artificielle. Évidemment, il faut que ce soit fait de façon éthique et transparente.

Il y a des paramètres à développer autour d’outils comme l’intelligence artificielle générative, mais il y a certainement des gains d’efficacité dans l’administration de nos organismes dont on pourrait bénéficier.

Mme Juneau : De là le besoin de les former.

Mme Morin : De là le besoin de former nos gens, effectivement, à ce genre d’outils.

Dans un deuxième temps, pour ce qui est de la création et de la consommation, il y a certains enjeux sur lesquels on doit absolument se pencher et sur lesquels on doit avoir voix au chapitre. Les enjeux de l’intelligence artificielle pour le milieu artistique culturel touchent de près les questions du droit d’auteur. Donc, les paramètres qui seront établis autour de l’intelligence artificielle devront être établis en parallèle ou de façon extrêmement liée à toute la réflexion autour du droit d’auteur.

Sur cette question, d’ailleurs, le Canada n’est pas complètement fixé. On n’a pas encore modernisé ni fait la refonte de la Loi sur le droit d’auteur. Il faudra se pencher là‑dessus, parce qu’en ce qui concerne la matière première, qui est le produit de l’artiste, on devra lui reconnaître une valeur et la protéger de la même façon qu’on le fait avec n’importe quel produit d’un entrepreneur. Il faudra se pencher sur ces questions. Cela devra se faire en deux volets, qui sont intimement liés et doivent fonctionner en parallèle, je crois.

La sénatrice Gerba : Vous avez beaucoup parlé des marchés africains. Je voulais juste savoir si vous étiez au courant de la Stratégie du Canada pour l’Afrique du gouvernement du Canada, qui a été lancée au mois de mars dernier. Dans cette stratégie, je crois qu’il y a un axe culturel. J’ai aussi vu que le gouvernement mise sur la diversification des marchés à l’extérieur des États‑Unis. Effectivement, dans le domaine de la culture, l’Afrique est un marché à considérer. Travaillez-vous avec Exportation et développement Canada?

Mme Juneau : Merci pour la piste; je peux vous dire que cela ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde. On va agir; on va se concentrer sur ce plan et voir comment on peut en tirer profit nous aussi.

Le président : En attendant de voir s’il y a d’autres questions, voici la mienne. Vous avez parlé de vos défis et du financement. Les consultations qui sont menées maintenant en sont un impact, comme vous l’avez mentionné, et je ne suis pas sûr si c’est négatif ou positif si je pense à la façon dont vous l’avez présenté. Outre ces consultations, avez-vous noté des impacts positifs à la suite de la modernisation de la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada de 2023? Je reviendrai d’ailleurs également sur ce point des consultations.

Mme Juneau : C’est une excellente question, merci. Je vais laisser ma collègue Marie-Christine y répondre, parce qu’elle est plus dans le quotidien de tout cela. Selon ma perspective comme présidente, le fait qu’on a été reconnu par la nouvelle loi comme un secteur essentiel nous permet de mieux articuler et défendre nos besoins auprès des institutions, parce qu’on s’appuie là‑dessus. Par contre, je suis impatiente de connaître le règlement afférant à la nouvelle loi pour voir comment cela transformera concrètement la façon dont se passent les choses pour les communautés francophones en situation minoritaire.

Marie-Christine, avez-vous d’autres observations que votre travail vous a permis de faire?

Mme Morin : Je pense que cela a ouvert des conversations sur l’importance du secteur dans le développement durable d’une francophonie, un sujet qui n’était pas systématiquement abordé ou pas toujours abordé. De ce point de vue, sur le plan du développement de la pensée autour d’un développement durable d’une francophonie, je pense que le secteur culturel s’est inscrit dans ce discours de politique publique grâce à cette nouvelle loi.

On a parlé plus tôt de l’entente de collaboration. Dans cette entente renouvelée en 2024, au moment de sa négociation, nous avons pu évoquer et décrire spécifiquement les responsabilités des institutions fédérales, parce qu’il y avait un appui législatif derrière tout cela.

Donc, ce n’est pas rien, parce que tout à coup, les responsabilités, ce ne sont pas plus des responsabilités transversales ou quelque chose qui n’est pas explicite; là, c’était explicite dans la loi et on a pu l’inclure dans le texte d’une entente.

Donc, le niveau de responsabilité n’est pas le même et n’est pas compris de la même façon. Je dirais qu’il y a eu des avancées de conscientisation. Est-ce qu’il reste du chemin à faire? Absolument. Est-ce qu’on a tous un rôle à jouer dans cela? Oui.

Cependant, je pense que cela a ouvert les esprits grâce à ce travail qui a été fait et qui a été appuyé par vous, d’ailleurs. C’est donc une avancée importante.

Il y a une dernière chose : on n’en a pas encore vu les effets, mais je pense que cela deviendra très difficile de ne rien prévoir pour le secteur artistique et culturel dans un prochain Plan d’action pour les langues officielles, parce que c’est maintenant fait.

Ce serait difficile que le secteur artistique et culturel soit complètement oublié dans un prochain Plan d’action pour les langues officielles à l’avenir, parce que c’est maintenant inscrit dans la loi comme étant un secteur essentiel.

On n’a pas vu encore la couleur de cela, mais je suis sûre qu’il y aura des choses très structurantes pour l’avenir.

La sénatrice Moncion : Je veux vous amener vers une autre question que vous nous avez fournie, car j’étais curieuse de vous entendre sur le projet de loi C-11; vous parlez de découvrabilité et des façons dont le gouvernement fédéral pourrait vous appuyer à ce sujet.

Est-ce que le projet de loi C-11 répond adéquatement aux enjeux de découvrabilité du secteur de la francophonie minoritaire?

Mme Morin : Le projet de loi C-11 est en développement en ce qui a trait aux questions liées à la découvrabilité des contenus. Ce n’est pas une question qui a été abordée pour le moment; on travaille en bloc pour le projet de loi C-11. Donc, la réglementation par rapport à la découvrabilité n’est pas encore complète... C’est certainement une question qui va beaucoup nous intéresser, parce que la capacité non seulement de produire, mais aussi de consommer des contenus dépend de leur découvrabilité.

On s’est intéressé aux questions de production de contenu canadien et au financement de cette partie, pour s’assurer que l’argent disponible des entreprises étrangères se rende sur le terrain. Donc, on a traité de ces questions; il reste la question de la découvrabilité et il reste une autre question importante, qui est la façon de consulter les communautés. Donc, on nous a consultés sur la façon de nous consulter et on attend des réponses là-dessus.

Cela aura un impact sur la suite des choses, parce que c’est le CRTC qui devra se pencher sur nos besoins, puis nous expliquer en quoi la décision qu’il prend tient compte des besoins des communautés. Jusqu’à maintenant, cette mécanique n’a pas encore été exercée. On reste donc à l’affût du résultat de cette consultation, parce que c’est vraiment critique pour la suite.

Pour ce qui est de la découvrabilité, le Québec a progressé en la matière. On a participé à l’exercice du projet de loi concernant la découvrabilité des contenus au Québec. La Fédération culturelle canadienne-française a déposé un mémoire dans le cadre de ces consultations et les recommandations qu’on a faites seraient les mêmes que l’on ferait du côté fédéral. Une des choses qu’on a soulignées à grands traits, c’est l’importance d’aligner les régimes législatifs. Il faut qu’il y ait une complémentarité dans les régimes pour s’assurer qu’on n’est pas en train de faire des avancées d’un côté, mais reculer de l’autre. C’est important.

On a fait des recommandations par rapport au contenu, à la visibilité de ce contenu et aussi au contenu francophone nous concernant dans un prochain projet de loi québécois; on parle de quotas de contenu francophone, de quotas de contenus issus de la francophonie canadienne et de quotas de contenus francophones qui touchent aussi les jeunes. C’est une question importante, parce qu’on sait que la façon de rejoindre les jeunes avec ces contenus va devenir cruciale pour la suite. La mécanique de découvrabilité doit en tenir compte. De plus, il y a une transparence de la part des entreprises dans la mise en valeur et les algorithmes qu’elles auront à mettre en place et à la façon dont elles s’y prendront pour faire en sorte que les contenus soient visibles par le consommateur.

Ce sont des recommandations que l’on va transmettre au fédéral lorsque le CRTC nous interpellera sur cette question; on nous dit que cela ne devrait pas tarder.

La sénatrice Moncion : J’aurais un commentaire à faire. J’aime beaucoup la façon dont vous parlez de la francophonie canadienne et de la francophonie québécoise, et vous ne parlez pas des francophones hors Québec. Je trouve votre choix de mots inclusif, alors que lorsqu’on parle de l’extérieur du Québec, on parle toujours d’exclusion. Donc, je vous dis bravo! Je pense que cela deviendra mon choix de mots, la « francophonie canadienne ».

Le président : Merci. On approche de la fin de la séance. Est‑ce qu’il y a des questions qu’on ne vous a pas posées et que vous aimeriez aborder? Vous êtes nos premiers témoins; c’est sûr qu’on aura encore beaucoup d’autres témoins.

Par curiosité, j’écoute, mais on est encore loin d’être comme un artiste sur le terrain, donc je suis curieux de voir ce que l’artiste va nous dire.

Avant de terminer, est-ce que vous aimeriez ajouter quelque chose sur la structure de consultation, sur la nouvelle loi, sur...

Mme Juneau : J’aurais plutôt un commentaire global que j’aimerais partager avec vous. Selon notre perspective, dans l’écosystème des organismes culturels et artistiques de la francophonie, en fait, dans l’ensemble des organismes de la francophonie, notamment ceux qui œuvrent en arts et culture, on est un peu une façon pour le gouvernement d’opérationnaliser ses obligations en matière de langues officielles sur le terrain. On est un peu comme des agents sur le terrain de responsabilités du gouvernement. En ce sens, je trouve que le gouvernement dépend autant de nous que nous dépendons de lui.

Il me semble qu’il faudrait que la vision du gouvernement par rapport aux langues officielles intègre ce constat et que l’on transforme notre façon de travailler ensemble, non pas de façon paternaliste, mais plutôt comme des partenaires sur le terrain qui contribuent à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles.

Je ne sais pas comment on pourrait faire cela, mais il me semble que dans un prochain Plan d’action sur les langues officielles, on pourrait essayer en amont d’entretenir dans une relation fondée sur ce constat et que la suite des choses se développe comme cela.

Le président : Cela a suscité une dernière question de la part du sénateur Cormier.

Le sénateur Cormier : C’est plus un commentaire, en fait. Je veux quand même en profiter — évidemment, je ne suis pas objectif — pour vous remercier pour le parcours que vous avez fait. Si aujourd’hui vous dites : « On veut être des partenaires du gouvernement », c’est aussi que ce secteur a énormément évolué, qu’il s’est professionnalisé, qu’il a acquis une expertise unique et, dans le contexte de la francophonie canadienne, la Fédération culturelle canadienne-française et ses membres ont développé cette expertise. Cela doit être dit : l’expertise et la richesse de l’expertise doivent être mises au service de ce partenariat.

On sort d’une relation qui était plutôt une relation de dépendance à une certaine époque, qui était une relation selon laquelle on était les clients de quelque chose, alors que là, je pense que vous vous inscrivez dans le contexte économique actuel, dans le contexte de la souveraineté culturelle et du besoin de protéger de notre souveraineté culturelle.

Je veux vous remercier pour cela, en toute objectivité.

Le président : Merci beaucoup; c’est très bien dit.

Cela conclut la partie publique de notre réunion; nous allons suspendre la séance quelques minutes, puis reprendre à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page