LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 7 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 18 h 32 (HE), pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada, incluant la sécurité maritime.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bonsoir. Je suis Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai le privilège de présider cette réunion ce soir. Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.
Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment avec l’interprétation, veuillez en informer le président ou la greffière, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.
Avant de commencer, j’aimerais prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur Dhillon : Bonsoir. Baltej Dhillon, sénateur de la Colombie-Britannique.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique, mais je remplace la sénatrice Bev Busson.
Le sénateur Ravalia : Bienvenue. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Boudreau : Bienvenue. Victor Boudreau, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Surette : Allister Surette, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le président : Aujourd’hui, le comité entendra les témoignages de représentants de la Commission des pêcheries des Grands Lacs : M. Marc Gaden, secrétaire exécutif, et M. Gregory McClinchey, directeur, Affaires législatives et des politiques.
Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Je crois savoir que MM. Gaden et McClinchey ont des déclarations liminaires. Par la suite, les membres du comité auront certainement des questions à vous poser. Monsieur Gaden, la parole est à vous.
Marc Gaden, secrétaire exécutif, Commission des pêcheries des Grands Lacs : Bonsoir et merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs, de nous accueillir à nouveau au comité pour parler de ce qui s’est passé au cours de la dernière année concernant les efforts déployés par la section canadienne pour corriger une interface défaillante de l’appareil gouvernemental. L’intérêt que vous continuez de porter à ce sujet témoigne de votre engagement envers nos efforts pour mettre en œuvre efficacement la convention de 1954 relative aux pêcheries des Grands Lacs.
Le Canada et les États-Unis partagent les Grands Lacs, un trésor binational qui vaut plus de 7 milliards de dollars annuellement pour les peuples de nos deux nations. La pêche attire des millions de pêcheurs, soutient de précieuses industries de pêche commerciale et d’expéditions de pêche, constitue un pilier pour les peuples autochtones et est la pierre angulaire d’une économie saine et durable dans la région des Grands Lacs.
Dans le cadre de la convention, la commission facilite une coopération transfrontalière fructueuse qui veille à ce que nos deux nations travaillent ensemble pour améliorer et perpétuer une pêche durable plutôt que de simplement exploiter une ressource, comme la société l’a fait à l’époque où la gouvernance était divisée, avant que nous commencions à coopérer de part et d’autre de la frontière. Il y a plusieurs décennies, le Canada et les États-Unis ont reconnu que la meilleure façon de gérer et de préserver la pêche est par l’entremise d’une coopération binationale continue, et c’est notre mission depuis 70 ans. Il a fallu des décennies pour ramener les Grands Lacs et leurs pêches à un état plus sain.
Comme beaucoup de bonnes nouvelles — et de nombreux aspects des relations modernes entre le Canada et les États-Unis —, la commission travaille très bien, mais discrètement, et a souvent été tenue pour acquise. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui, à la demande de la section canadienne, pour exprimer notre préoccupation quant au fait qu’une structure de gouvernance bancale continue de mettre en péril les progrès accomplis dans le passé.
Les commissaires considèrent que notre objectif fondamental est d’instaurer et de maintenir le climat de confiance et de coopération nécessaire pour que nos deux nations puissent gérer la pêche d’une manière équitable et mutuellement avantageuse. C’est ce qui nous amène à comparaître ce soir, à savoir une question relative à l’appareil gouvernemental restée en suspens que nous espérons que ce comité mettra en évidence et encouragera le gouvernement du Canada à régler.
Je vais céder la parole à mon collègue, Greg McClinchey, pour qu’il vous donne un aperçu du problème.
Gregory McClinchey, directeur, Affaires législatives et des politiques, Commission des pêcheries des Grands Lacs : Merci, monsieur le président.
L’année dernière, alors que ce comité étudiait cette question, le gouvernement nous a assuré que les fonctions de l’appareil gouvernemental qui régissent l’interface entre le Canada et la Commission des pêcheries des Grands Lacs, ou CPGL, seraient transférées du ministère des Pêches et des Océans, MPO, à Affaires mondiales Canada, ou AMC, comme nous l’avions demandé avec insistance. Cette nouvelle très réjouissante a été largement diffusée par AMC de part et d’autre de la frontière aux comités parlementaires et aux membres du Congrès américain. Toutefois, comme l’indique la lettre de la section canadienne que nous avons remise à la greffière, le transfert complet de notre gouvernance n’est que partiellement exact.
Au moment où le comité a déposé ses outils, on nous a dit que l’appareil gouvernemental, ou AG, serait effectivement transféré à AMC, à l’exception de l’établissement du budget pour le programme de lutte contre la lamproie marine, qui continuerait de relever du MPO. Loin de régler le problème de gouvernance, nous sommes aujourd’hui vivement inquiets que l’échec de pas avoir transféré l’AG complique non seulement la gouvernance, mais nuise aussi à la capacité d’AMC d’assurer la mise en œuvre de la convention et mine la capacité des commissaires à s’acquitter de leurs fonctions. Les commissaires canadiens soutiennent que le fait de ne pas transférer toutes les fonctions à AMC, ainsi que le reste de l’AG, laisse un problème fondamental non résolu et crée une structure inutilement compliquée qui n’offre aucun avantage réel.
Le premier problème est que, conformément aux modalités de la convention, la commission est responsable de mettre en œuvre un programme de lutte contre la lamproie marine. L’article VI de la convention permet aux commissaires de décider qui assure la prestation de ce programme. Le MPO a mal interprété l’article VI en assumant que la commission « doit » faire appel au MPO pour mettre en œuvre le programme en son nom. L’article VI ne dit rien de tel. Il stipule seulement que la commission devrait faire appel aux institutions existantes, qu’elles soient publiques ou privées, dans la mesure où cela est possible.
Cette mauvaise interprétation s’est encore aggravée lorsque le budget et l’appareil gouvernemental de la commission ont été entièrement placés entre les mains du MPO. Donc, le MPO s’est non seulement autoproclamé agent de contrôle, ce qui va à l’encontre des pouvoirs accordés à la commission en vertu de l’article VI, mais il avait aussi le contrôle total du budget et de la gouvernance. Cela a également donné lieu à une violation de l’article IV de la convention, qui stipule clairement que ce sont les commissaires qui déterminent le programme de la commission, et personne d’autre.
En ayant le contrôle du budget, en laissant des fonctionnaires du MPO siéger à la commission et en interprétant mal l’article VI comme stipulant que la commission doit faire appel au MPO, c’est le MPO qui déterminait systématiquement et unilatéralement la contribution du Canada et l’utilisation des fonds, et non les commissaires. Ce conflit d’intérêts a mené à une gouvernance intenable et était la raison pour laquelle le Canada a pris beaucoup de retard pour répondre à ses obligations financières. Il a également créé des tensions dans les relations avec les États-Unis.
Notre programme n’est pas nécessairement lié à une zone géographique, et c’est pourquoi les activités sont menées en vertu de la convention et non pas en vertu d’une loi telle que la Loi sur les pêches. J’aimerais insister sur le fait que l’accord de la commission est soumis au vote de la commission et est conclu par contrat, et qu’il est assorti d’un AG et d’un plan de travail au Canada. Ces modalités sont renégociées chaque année, et ce n’est ni automatique ni prédéterminé. Nous accordons une très grande valeur au travail des agents du MPO sur le terrain, qui sont parmi les meilleurs au monde, et nous apprécions ce partenariat, mais l’exécution de l’article VI relève de la décision de la commission.
Grâce aux efforts récents que nous avons déployés, comme on l’a mentionné précédemment, cette situation a été partiellement changée par le transfert de l’AG pour la CPGL du ministère des Pêches et des Océans à Affaires mondiales Canada, à l’exception du financement du programme de lutte contre la lamproie marine, qui continue de relever du MPO.
Dans le cadre de conversations avec des législateurs, beaucoup reconnaissent ce problème. Il est évident que le MPO ne se préoccupe pas instinctivement des répercussions de ses actions sur les relations bilatérales entre le Canada et les États-Unis de la même manière qu’AMC s’en préoccuperait. Le fait de lui confier la supervision des ressources de la commission tout en agissant comme agent de contrôle pour la commission créera des défis à long terme.
De plus, l’histoire compte. Autrement dit, si on ne respecte pas l’article VI, alors l’article IV de la convention est également à risque. Historiquement, la violation de ces articles a mené le Canada à ne pas respecter ses obligations financières et a causé des tensions importantes dans les relations. Pas plus tard qu’en 2022, le MPO a enfreint l’article IV, et il y a seulement un an, un témoin du MPO, en réponse aux questions du sénateur Deacon, a perpétué la mauvaise interprétation historique de l’article VI.
Ce n’est pas de l’histoire ancienne, et l’AG incomplet et les sentiments persistants à l’égard de la commission au MPO constituent une source de préoccupation pour la section canadienne. La section canadienne est fermement convaincue que le fait de conserver une partie importante de l’AG au MPO est malavisé et mine la confiance.
Je vais céder la parole à M. Gaden pour qu’il fasse quelques dernières remarques.
M. Gaden : Merci.
En ce qui concerne les aspects de l’AG qui ont déjà été transférés à AMC — par exemple, le processus de nomination pour les commissaires canadiens —, nous avons constaté une amélioration immédiate et bienvenue. Ce fut un plaisir de travailler avec les fonctionnaires d’AMC. Ils ont été courtois et respectueux à notre égard. Ils nous ont tenus informés, mon personnel et moi, du processus de gestion du changement incomplet concernant l’AG. Ils ont travaillé fort pour utiliser la commission comme moyen pour améliorer les relations entre le Canada et les États-Unis. Il est clair qu’AMC et la commission travaillent bien ensemble.
Sénateurs, j’ai passé une grande partie de ma carrière — plus de 30 ans — à travailler à la commission. Je suis passionné par le poisson et par la valeur que la pêche apporte aux pêcheurs sportifs, commerciaux et autochtones. Mais surtout, j’admire la force de la convention qui, depuis plus de 70 ans, a réuni nos deux nations dans un esprit d’amitié et de collégialité pour préserver et protéger la pêche.
Le budget 2022 venait de promettre que l’engagement financier du gouvernement du Canada serait pleinement respecté pour la première fois depuis des décennies. Tout le monde était ravi que la commission soit entièrement financée par le Canada et les États-Unis. En 2022, comme M. McClinchey l’a mentionné, le MPO a encore une fois enfreint l’article IV et réaffecté une partie importante du budget de la commission à d’autres priorités. C’en était trop pour nos commissaires et, pour la première fois de notre histoire, une section a refusé de rencontrer l’autre. Sénateurs, ce fut le jour le plus sombre de ma carrière à la commission, et je ne veux pas qu’une telle situation se reproduise.
Dans le cadre de notre relation avec AMC, nous avons réussi à restaurer une grande partie de la bonne volonté perdue, mais l’échec de mettre pleinement en œuvre les changements structurels, comme la section canadienne et certains intervenants américains l’ont observé, rend la tâche d’AMC plus difficile et expose le Canada au risque de revenir aux pratiques passées qui nous ont menés là où nous étions.
Je dirais que c’est une période unique dans les relations entre le Canada et les États-Unis. Nous sommes, et continuons d’être, un parfait exemple de la coopération mutuellement bénéfique entre les États-Unis et le Canada.
La solution la plus facile aux problèmes que nous avons relevés est de simplement transférer l’entièreté de l’AG du MPO à AMC, comme l’ancien premier ministre Trudeau l’avait promis. De surcroît, cela ne coûtera rien au gouvernement du Canada.
Pour terminer, notre demande est simple : au nom de la section canadienne, nous vous demandons de faire pression sur le gouvernement du Canada pour qu’il transfère complètement l’AG de la commission et le portefeuille du budget du MPO à AMC, tel que promis. Cela honorera la convention, préservera le travail réalisé et confirmera la relation de confiance essentielle. Nous sommes impatients de travailler avec AMC en tant que source de l’AG, qui semble être aussi intéressé par notre réussite que les sénateurs autour de cette table.
Je vous remercie. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci à vous deux de vos déclarations liminaires.
Avant de céder la parole au sénateur Deacon, qui posera la première question, nos témoins ont un document que nous pouvons distribuer, mais il est seulement en anglais. Je ne sais pas si nous avons suffisamment de copies pour tout le monde. Si nous n’en avons pas assez, nous en fournirons plus sous peu. Les sénateurs sont-ils d’accord pour que nous distribuions toutes les copies dont nous disposons aujourd’hui? Si quelqu’un n’en a pas, nous lui en passerons une. Cela vous convient-il? Si le document doit être traduit, vous pouvez m’appeler. Dites-moi quel sénateur n’a pas reçu de copie, au cas où, et je m’assurerai de lui en remettre une.
La sénatrice Poirier : C’est la lettre qu’ils ont envoyée cette semaine?
Le président : Non, c’est un document.
La sénatrice Poirier : C’est donc un document additionnel?
Le président : Oui.
La sénatrice Gerba : Puis-je faire une remarque? Monsieur le président, puis-je simplement demander que, pour les prochaines réunions, nous demandions aux témoins de prendre le temps de faire traduire tous les documents afin que je puisse également les lire, s’il vous plaît?
Le président : Oui, nous nous en assurerons.
Il nous faudrait quelques copies supplémentaires puisque quelques membres sont absents ce soir. Lorsque nous aurons terminé, je vous dirai combien il nous en faut.
Le sénateur C. Deacon : Je suis complètement dérouté. Nous avons rencontré des fonctionnaires d’AMC, et je pense qu’ils nous ont tous rassurés qu’ils comprenaient l’origine du problème. Ils savaient que 70 ou 75 millions de dollars avaient été arbitrairement retenus pendant environ 20 ans par le MPO sur les fonds qui avaient déjà été alloués par le gouvernement du Canada à la Commission des pêcheries des Grands Lacs par l’entremise du ministère. Je ne comprends pas très bien pourquoi ces fonds n’ont pas été directement versés à la CPGL.
Cela ne semble pas être une tendance. Nous pouvons examiner le montant qui a été arbitrairement retenu. Il semble simplement que le MPO voulait retenir ces fonds pour une raison quelconque. Vous êtes leur client; il travaille pour vous. Qui a pris la décision? Comment la situation a-t-elle évolué depuis notre dernière rencontre? D’où vient le problème? Je suis stupéfait.
M. Gaden : Merci de la question.
Nous sommes stupéfaits aussi. Il y a environ un an, nous étions assis ici, très satisfaits de la décision du gouvernement d’effectuer le transfert. Nous avons appris peu de temps après que le transfert ne s’est pas fait complètement...
Le sénateur C. Deacon : ... une lamproie marine me mord la main, pour vraiment sentir...
M. Gaden : En guise de célébration. Oui, exactement.
Je n’ai pas de réponse à la question, car nous ne sommes pas au courant des raisons et des motivations qui sous-tendent cette décision. Nous sommes toutefois d’avis que pour régler le problème qui nous a mis dans ce pétrin, le transfert doit être complet. Il faut que ce soit le budget et l’AG...
Le sénateur C. Deacon : Nous avons interrogé les fonctionnaires d’AMC à ce sujet et avons reçu des réponses très claires. D’après vous, où la décision a été prise? Elle a dû être prise au BCP ou à AMC, à mon avis. Que s’est-il passé?
M. Gaden : Au moment où la décision a été prise, nous n’avons pas été informés ni du moment ni des raisons qui la motivaient. Je n’en ai en fait aucune idée. Nous avons eu des rencontres avec le BCP et le Cabinet du premier ministre pour discuter de la question depuis, mais les raisons qui ont motivé cette décision restent floues. J’ai bien peur de ne pas avoir de réponse satisfaisante pour vous parce que nous sommes tout aussi dans l’ignorance que vous. Je peux vous dire que notre section canadienne croit fermement qu’à moins que cette responsabilité soit transférée intégralement à AMC, nous courons le risque sérieux de revenir là où nous étions quand...
Le sénateur C. Deacon : Il ne peut pas y avoir de confiance.
J’aimerais que vous me rappeliez une chose. On nous a dit qu’un fonctionnaire du BCP connaissait très bien les difficultés passées et comprenait pourquoi cette responsabilité devait être entièrement transférée à AMC. Tout le monde nous a assuré que ce transfert allait se faire.
Je ne peux pas croire qu’une décision politique a été prise alors que tant d’autres choses se passaient au gouvernement du Canada, avec le changement de gouvernement et tout le reste. Il doit s’agir d’une décision bureaucratique qui va à l’encontre de l’engagement politique pris par le premier ministre Trudeau avant de quitter le Parlement.
M. McClinchey : Toute réponse que je pourrais donner ne serait que supposition, car nous ne le savons pas vraiment.
Le sénateur C. Deacon : J’essaie simplement d’arriver là où nous pourrons mener notre enquête.
M. McClinchey : On nous a donné deux raisons, possiblement contradictoires, pour expliquer pourquoi cela n’a pas été fait dans son intégralité. Lors de discussions, nous avons appris qu’une décision politique avait été prise, puis le BCP aurait découvert qu’un tel changement n’était peut-être pas conforme à la Loi sur la gestion des finances publiques. Nous avons ensuite reçu du Bureau du premier ministre de l’époque un communiqué qui laissait entendre que le problème n’était pas lié à la Loi sur la gestion des finances publiques, mais possiblement au cadre législatif de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Nous avons fait appel à un conseiller juridique pour obtenir des éclaircissements. Je dirais encore une fois que nous ne savons pas exactement ce qu’il en est. Nous avons d’ailleurs posé la question lors d’une récente rencontre avec le BCP. « Pourquoi? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le transfert du mécanisme de gouvernance n’a pas été effectué dans son intégralité? » Nous attendons la réponse. Nous espérons avoir une réponse, mais pour le moment, tout ce que nous pouvons vous dire, c’est qu’on nous a donné deux raisons.
Selon notre conseiller juridique, ces deux raisons pourraient être démontées par le fait que... À titre d’exemple, la loi constitutive du ministère des Affaires étrangères ne poserait pas problème, étant donné que le ministère n’administre pas un programme. Il administre un traité exactement comme le traité de la Commission mixte internationale est géré par Affaires mondiales Canada, tout comme la Commission du parc international Roosevelt de Campobello. À ma connaissance, personne n’a jamais dit qu’Affaires mondiales Canada devrait avoir le pouvoir de gérer les niveaux d’eau. Le ministère gère simplement le traité. Si nos activités sont menées en vertu du traité, nous estimons que ce serait la même chose.
Comme M. Gaden l’a mentionné, nous ignorons totalement pourquoi exactement le changement n’a pas été fait.
M. Gaden : Ce qui est particulièrement déconcertant, pour nous, c’est que personne parmi les gens que nous avons rencontrés, tant chez les fonctionnaires que du côté politique, ne préconise le maintien du statu quo. Autrement dit, tout le monde semble aussi perplexe que vous quant aux raisons derrière cette étrange séparation du mécanisme de gouvernance et du budget. Le comité obtiendra peut-être la même réponse s’il décide de poser ces mêmes questions pour aller au fond des choses. La conclusion pourrait être que la solution la plus simple et la moins coûteuse serait le transfert complet à Affaires mondiales Canada.
Le sénateur C. Deacon : Je pense que c’est l’avis de tous ceux qui étaient présents, et c’est nouveau pour la majorité du comité. Je dois dire qu’en sept ans, je n’ai jamais été aussi frustré et, honnêtement, irrité par l’absence de réponses factuelles et fondées sur des preuves obtenues lors de notre rencontre avec les dirigeants des finances du MPO pour expliquer pourquoi cette situation a perduré pendant plus de 20 ans. Affaires mondiales Canada a clairement indiqué que le transfert devait être intégral, car nous avions clairement exprimé nos préoccupations. Je suis stupéfait.
Le président : Certaines choses changent, d’autres non.
Le sénateur Ravalia : Messieurs, je vous remercie de votre présence.
Je tiens à souligner que j’ai soulevé la question au Comité des affaires étrangères avec le ministre LeBlanc, qui n’était pas au courant de cette situation. Il m’a assuré qu’il examinerait la question avec les fonctionnaires et qu’une réponse suivrait dans les plus brefs délais. Je n’ai pas encore reçu de réponse, mais je vous assure que lorsque nous aurons une réponse, le cas échéant, nous communiquerons avec vous et les membres du comité recevront également ces renseignements.
Dans le même ordre d’idées, quelle incidence les perturbations actuelles ont-elles eue sur le fonctionnement? Nous avons lu au sujet des carpes envahissantes, les mesures de contrôle, etc. Une certaine tension, même subtile, peut-elle avoir une incidence sur le fonctionnement de votre relation actuelle?
M. Gaden : Sans aucun doute, sénateur. Je vous remercie de la question.
Le rôle de la Commission des pêcheries des Grands Lacs, avec les commissaires des deux pays, est d’essayer de transcender les défis et les changements afin de maintenir les relations entre les États-Unis et le Canada, du moins au sein de la commission avec laquelle nous travaillons.
Sur le plan budgétaire, tant le Canada que les États-Unis s’acquittent de leurs obligations de financement à l’égard de la Commission des pêcheries des Grands Lacs pour la première fois depuis des décennies. Je suis heureux de dire qu’aux États-Unis, où l’administration actuelle soumet les organismes internationaux comme le nôtre à un examen particulièrement rigoureux, le budget présenté par le président nous a été très favorable, et le Congrès a accordé un financement complet à la Commission des pêcheries des Grands Lacs. J’en déduis que les administrations canadienne et américaine appuient fermement la commission, et je pense que cela découle du travail que nous accomplissons au quotidien pour établir cette collaboration très réussie entre les deux pays.
Il y a eu quelques accrocs au début du mandat de la nouvelle administration, car les postes aux États-Unis pour les effectifs du programme de lutte contre la lamproie étaient menacés en raison de problèmes de recrutement et d’un gel de l’embauche. Nous avons toutefois réussi à démontrer l’importance de notre travail pour les Grands Lacs et pour les économies canadienne et américaine. Ces postes ont été rétablis, ce qui nous a permis de reprendre les activités de lutte contre la lamproie pour la saison.
En résumé, les deux pays respectent leurs obligations de financement. Le soutien est là. J’aime à croire que nous faisons notre travail et que nous tenons le coup. Nous allons faire notre travail, dans l’intérêt des Grands Lacs et de la gestion de ces pêcheries. Permettez-moi de préciser que nous faisons très bien notre travail et que nous veillons à maintenir une solide relation.
M. McClinchey : Il importe aussi de souligner, comme M. Gaden l’a mentionné, que nous avons une excellente collaboration avec Affaires mondiales Canada. Cette transition a été très positive et nous a permis de surmonter certaines de ces difficultés.
À mon avis, la principale préoccupation de nos commissaires est le caractère troublant de l’évolution de la situation. La préoccupation, c’est que beaucoup de gens surveillent la situation en ce moment et que tout fonctionne très bien. Que pouvons-nous faire afin que cela continue à l’avenir et veiller à ce que ce service essentiel — les éléments du mandat qui nous a été confié par traité et qui ne se limitent pas au contrôle des lamproies — ne soit plus jamais aux prises avec les comportements et les défis que nous avons connus dans le passé? La préoccupation est vraiment liée à l’avenir plutôt qu’au passé. Lors de la dernière séance du comité, les représentants d’Affaires mondiales Canada ont même clairement indiqué que le changement est en cours et qu’il est justifié. Nous voulons assurer la pérennité de notre organisme.
Le sénateur Surette : Heureusement, certains d’entre nous étaient déjà membres du comité et connaissent une partie de l’histoire. Je suis nouveau au comité et j’essaie de bien comprendre ce qui se passe. Je pense avoir bien compris ce à quoi le sénateur Deacon faisait référence. Ce qui n’est pas clair, c’est pourquoi cela n’a pas été fait, mais restons-en là.
Juste pour m’assurer d’avoir bien compris, il s’agit uniquement de la dernière partie du financement que vous attendez du gouvernement canadien. D’après ce que je comprends, cela représente 31 %, et les États-Unis contribuent à hauteur de 69 % au programme de lutte contre la lamproie. Est‑ce exact? Cela signifie que toutes les autres activités fonctionnent. Les nominations à la commission sont faites et le reste du financement de fonctionnement est là, de sorte qu’il ne manque que ce dernier élément. Est-ce exact?
M. Gaden : Je vous remercie pour votre question, sénateur.
Monsieur le président, le sénateur a raison. La Commission des pêcheries des Grands Lacs reçoit des crédits approuvés par le Parlement pour mettre en œuvre le traité, la Convention sur les pêcheries des Grands Lacs, et nous avons de nombreuses fonctions, dont la lutte contre la lamproie, qui représente le poste le plus important de notre budget.
Le problème, c’est que dans le passé, l’ensemble du portefeuille ainsi que le mécanisme de gouvernance relevaient du MPO, un ministère dont les activités ne sont pas axées sur les relations entre le Canada et les États-Unis, mais plutôt sur la mise en œuvre de programmes nationaux. Le ministère détenait le contrôle exclusif du budget, tandis que les commissaires avaient, en vertu du traité, le pouvoir de déterminer le programme. Or, c’était le MPO qui s’en chargeait, car c’est lui qui tenait les cordons de la bourse et prenait les décisions au sujet des activités à conserver sous sa responsabilité et des activités qui nous seraient confiées. Il n’en demandait pas assez pour respecter tous les éléments du traité de toute façon, d’où la nécessité de transférer cette responsabilité à Affaires mondiales Canada.
Le problème qui se pose actuellement, c’est que le transfert à Affaires mondiales Canada est seulement partiel, de sorte que le MPO conserve une importante partie du budget et peut donc toujours prendre des décisions sur la façon dont cet argent est dépensé. L’article IV stipule très clairement que ces décisions relèvent des commissaires. Si le ministère a cette possibilité, cela constitue une violation de l’article IV, et le sous-financement chronique de la part du Canada est à l’origine des tensions entre le Canada et les États-Unis.
Notre position — la position de la section canadienne —, c’est que la meilleure solution consiste à regrouper le budget et le mécanisme de gouvernance au sein d’un seul ministère, Affaires mondiales Canada, dont le mandat est axé sur les relations entre le Canada et les États-Unis.
Le sénateur Surette : Je pense que je comprends bien, maintenant. Lorsque vous dites que cela ne coûtera rien au gouvernement, cela signifie que le MPO a déjà ce financement et qu’il faudra simplement le transférer. Voilà pourquoi cela ne coûte rien au gouvernement, n’est-ce pas?
M. Gaden : Oui, cela ne coûterait rien au gouvernement, car du point de vue budgétaire, il verse actuellement la contribution requise, qui est égale à celle des États-Unis. Le transfert du mécanisme de gouvernance et du budget global à Affaires mondiales Canada ne coûte rien au gouvernement en efforts, en bonne volonté, etc.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je suis aussi nouvelle à ce comité. Je comprends que le changement de tutelle est un sérieux problème et que vous souhaitez revenir au sein d’Affaires mondiales Canada. Pour donner suite à ce qu’a dit le sénateur Deacon, que faudrait-il faire pour que cela se réalise? C’est ma première question. Que peut-on faire ici, au comité, pour que cela se réalise?
Ma deuxième question concerne le sommet qui a eu lieu la fin de semaine dernière à Québec entre les premiers ministres et les gouverneurs des États américains et des Grands Lacs. Ce sommet a souligné justement l’importance d’une coopération transfrontalière renforcée et de l’harmonisation des politiques environnementales. Quel impact ce sommet a-t-il eu sur votre travail? Avez-vous été impliqué dans ce sommet?
[Traduction]
M. Gaden : Je vous remercie de la question, sénatrice.
Notre président et notre vice-président ont tous deux assisté au sommet qui a eu lieu à Québec la fin de semaine dernière. Vous avez raison de dire qu’il s’agissait d’une célébration des relations entre le Canada et les États-Unis. Je n’ai pas pu y assister. M. McClinchey était présent; je pourrai donc le laisser vous en parler lui-même.
Il est très important de souligner que des organismes comme la Commission des pêcheries des Grands Lacs ont le devoir de maintenir ces relations et, dans le cas présent, de gérer les pêcheries, de lutter contre les espèces envahissantes, de mener la recherche scientifique nécessaire, d’être à la base des décisions prises dans l’ensemble du bassin des Grands Lacs, en plus de contribuer aux activités quotidiennes visant à assurer la collaboration entre les huit États des Grands Lacs, les nations autochtones et la province de l’Ontario. On parle toujours de la collaboration entre le Canada et les États-Unis, mais dans le secteur de l’eau douce, c’est également une responsabilité infranationale. En tant que commission binationale, il nous incombe de continuer à aider les entités à travailler ensemble, dans un esprit de consensus, afin que nous allions tous dans la même direction.
D’après ce que j’ai entendu, le sommet de la fin de semaine dernière a été un franc succès. Je vais donner la parole à M. McClinchey, qui était présent. Il a eu la chance d’y aller, mais je n’en ai pas eu l’occasion.
M. McClinchey : J’y étais. Ce fut un excellent sommet, riche en informations positives. L’aspect du partenariat et l’approche concertée que nous adoptons étaient au centre des discussions.
Je dirais que la Commission des pêcheries des Grands Lacs en a fait son mantra depuis 70 ans; nous sommes un organisme des partenariats. Si vous lisez le traité, vous constaterez rapidement qu’il ne nous donne pas le pouvoir d’exiger des choses, mais qu’il nous confère plutôt la responsabilité de faire les choses de manière coopérative, volontaire et consensuelle, et de montrer aux gens qu’il existe une meilleure façon de gérer les activités à l’échelle de l’écosystème. C’est au cœur de notre travail, que ce soit dans le cadre de notre programme scientifique, du programme de lutte contre la lamproie, etc. Voilà pourquoi ce problème particulier nuit tant à notre travail, car il remet en question ces relations.
La sénatrice a posé la question directement : que peut faire le comité? Dans ce contexte, j’espère que le comité comprendra notre demande, qui est d’exhorter le gouvernement, avec la plus grande fermeté, à simplement faire ce qu’il a promis de faire, à apporter ce changement et à corriger ce cadre de gouvernance. Nos activités dépendent fortement d’une gouvernance sans faille, sans conflit, efficace et efficiente. Cela nous permet de nous concentrer sur nos principales responsabilités, comme la collaboration transfrontalière, la lutte contre la lamproie marine et la préservation de la science de l’eau douce.
Le sénateur Dhillon : Je suis également nouveau ici, et on ne m’avait pas informé au préalable qu’il fallait se faire mordre par une lamproie. Je viens tout juste de l’apprendre. Cela aurait pu influencer ma décision.
J’essaie également de comprendre cette situation. Un décret a été promulgué. Vous avez évoqué une mauvaise interprétation de l’article VI. Vous pourriez peut-être m’aider à comprendre quelle partie de cet article a mal été interprétée.
M. Gaden : Je vous remercie pour la question, sénateur.
L’article VI de la convention stipule — et je paraphrase — que la Commission des pêcheries des Grands Lacs est encouragée à collaborer avec les organismes publics ou privés existants dans l’exercice de ses fonctions, lorsque possible. L’objet de cet article, tel que rédigé par les rédacteurs du traité, était d’éviter la création de nouvelles formalités administratives ou de nouveaux organismes, dans la mesure du possible, et d’inciter la commission des pêcheries à faire appel aux organismes existants pour la mise en œuvre de ses programmes. Cela signifie que les commissaires aux pêches ont le pouvoir discrétionnaire de décider qui sera chargé de cette mise en œuvre.
Aux États-Unis, par exemple, la Commission des pêcheries des Grands Lacs a choisi le Fish and Wildlife Service des États‑Unis pour la lutte contre la lamproie, et l’U.S. Geological Survey pour une partie de son mandat scientifique. Pour la recherche scientifique, nous collaborons avec diverses universités choisies dans l’ensemble du bassin des Grands Lacs. Pour les infrastructures, nous travaillons avec le Corps of Engineers de l’armée américaine. Je pourrais continuer longtemps. Nous travaillons avec une multitude d’organismes aux États-Unis ainsi qu’au Canada, ainsi qu’avec des universités et d’autres agences au besoin.
La commission a choisi le ministère des Pêches et des Océans, conformément à l’article VI, pour mettre en œuvre le Programme de lutte contre la lamproie marine, et il réalise un excellent travail. Je suis extrêmement fier des employés du MPO qui effectuent le travail sur le terrain. Ils sont très compétents. Ils ont sauvé la pêche dans les Grands Lacs, et c’est un plaisir de travailler avec eux.
Le problème est que, au fil du temps, le MPO a mal interprété l’article VI en affirmant que la commission des pêcheries devait le sélectionner pour contrôler la population de lamproies. En effet, le MPO a confondu l’article VI avec son mandat national qui prévoit l’exécution d’autres programmes. La situation s’est aggravée lorsque, par la suite, le ministère a également obtenu le budget : à ce moment-là, il est devenu à la fois l’autorité octroyant le contrat et l’exécutant du contrat, ce qui a entraîné un déficit de contributions au fil du temps.
Par ailleurs, l’article IV de la convention stipule que les commissaires — et personne d’autre — déterminent le programme. La décision revient aux commissaires. Le MPO estime qu’il avait le droit de mener le programme en vertu de l’article VI et il disposait du budget nécessaire pour le faire. Il a pris des décisions qui relevaient des commissaires, et les fonds alloués à la commission par le Parlement n’ont pas été utilisés pour le programme de la commission.
Le sénateur Dhillon : D’après ce que mes collègues ici présents ont dit, toute cette question a été discutée l’an dernier — c’était précisément le problème que vous essayiez de régler. J’ai l’impression de faire un retour dans le temps et de me replonger dans la même confusion : AMC a-t-il renoncé à sa responsabilité, ou le MPO a-t-il usurpé ce pouvoir et a-t-il recréé la situation antérieure?
M. Gaden : C’est une excellente question, sénateur. Nous n’en sommes pas certains. L’erreur à l’origine du problème a été commise il y a plusieurs décennies, lorsque le MPO a acquis l’ensemble du portefeuille — tant les rouages administratifs que les fonds s’y rattachant.
Plus récemment, il y a environ un an — toujours devant ce comité, comme vous le disiez à juste titre —, nous avons comparu devant vous et nous étions très satisfaits de l’annonce du gouvernement de transférer entièrement cette responsabilité à AMC. Je précise que les témoins d’AMC — et du MPO, d’ailleurs — que vous avez reçus pensaient eux aussi que c’était exactement ce qui se produirait. Ce n’est que plusieurs semaines après la réunion d’il y a environ un an que nous avons appris qu’il n’en était rien. Je pense que le personnel d’Affaires mondiales était aussi surpris que nous de l’apprendre.
Nous avons été extrêmement déçus, car nous avions l’impression que ce transfert allait s’opérer dans son intégralité. Il aurait résolu à la fois le problème des rouages administratifs et du budget. Nous nous retrouvons maintenant dans une situation très étrange : à cause d’une entente de gouvernance qui semble tout droit sortie de l’imagination de Rube Goldberg, le MPO et AMC doivent faire des pieds et des mains juste pour s’assurer que nous obtenions notre argent et que la convention soit respectée. Nous nous présentons devant le comité pour dire que la solution la plus simple consiste à transférer l’ensemble du portefeuille — le budget et tout le reste — à Affaires mondiales Canada afin que nos commissaires puissent poursuivre leur travail et mettre en œuvre la convention comme prévu.
Le sénateur Dhillon : C’est ce que l’arrêté ministériel a fait.
M. Gaden : C’est ce que nous avons été portés à croire.
Pour répondre à votre question et pour revenir à la première question du sénateur Deacon, nous ne savons tout simplement pas pourquoi le transfert ne s’est pas produit dans son intégralité. Parmi tous les intervenants à qui nous avons parlé, personne n’est en mesure de nous dire en quoi la situation actuelle est bénéfique.
M. McClinchey : Si je peux me permettre d’ajouter un élément, je pense qu’il est important de noter, comme l’a souligné le M. Gaden, que nous ne parlons pas ici de personnes mal intentionnées. Là n’est pas le problème.
Avant la création de la commission, les huit États des Grands Lacs — la province de l’Ontario et tous les autres intervenants et organisations impliqués — travaillaient chacun de leur côté : c’était ce que l’on appelle aujourd’hui une gouvernance divisée. Tout le monde essayait de faire de son mieux, mais personne ne coordonnait les efforts, personne ne communiquait avec les autres et personne n’était informé. La force de la commission et les bons coups que nous avons générés résident dans le fait que nous pouvons coordonner et avons coordonné un processus qui n’existait nulle part ailleurs. En gros, tout le monde a pris conscience que nous étions tous dans le même bateau et qu’il fallait donc ramer dans la même direction. C’est ce qui s’est passé, et nous avons obtenu des résultats positifs.
Je ne veux pas laisser entendre que cela va se produire, mais si nous retirions ce rôle de coordination... En effet, le rôle que joue le MPO n’est qu’une pièce d’un casse-tête beaucoup plus vaste. Nous ne disons pas que nous voulons ce changement pour le simple plaisir d’apporter un changement. Nous le voulons parce que c’est l’élément qui nous permet d’avoir une vue d’ensemble et de faire avancer le dossier, par exemple en concevant le Programme de lutte contre la lamproie marine sur une base scientifique; en effet, nous devons contrôler la lamproie là où elle se trouve. Nous ne pouvons pas jouer aux devinettes et nous lancer en conjectures; nous devons nous appuyer sur la science. Nous devons établir des priorités environnementales avec les comités des lacs et tenir compte de tous les éléments du programme, ce qui nécessite une coordination. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. La Section du Canada craint sincèrement que, si cette situation perdure — et que la pérennité n’est pas assurée —, nous renouions à un moment donné avec le comportement qui a mené à la gouvernance divisée et à l’échec des Grands Lacs.
Le sénateur Dhillon : Merci.
Le sénateur Boudreau : Je suis moi aussi un nouveau membre du comité, alors, comme tout le monde, j’essaie de comprendre la situation. Je comprends le nœud du problème et votre demande ici ce soir; je saisis l’effet que ce transfert incomplet a sur le travail de la commission, sur la convention et tout le reste. J’essaie simplement de comprendre qui gère les opérations sur le terrain du Programme de lutte contre la lamproie marine. Qui s’en charge concrètement au quotidien? Des employés du MPO? Des employés de la commission? Des sous-traitants du secteur privé? Qui effectue ce travail? J’essaie toujours de comprendre le raisonnement. Quelqu’un au MPO a une raison de conserver cet argent. Est-ce parce que c’est ce qui revient au MPO pour la part du travail qu’il effectue, ou est-ce simplement parce que le ministère place cet argent ailleurs et ne veut pas le remettre à la commission? J’aimerais mieux comprendre cet élément.
M. Gaden : Je vous remercie de la question.
La Commission des pêcheries des Grands Lacs, en vertu de la Convention en matière de pêche dans les Grands Lacs, est chargée de mettre en œuvre le Programme de lutte contre la lamproie marine. Comme je l’ai déjà dit, l’article VI stipule que, si faire se peut, il faut recourir à un organisme existant pour ce faire.
La Commission des pêcheries dans les Grands Lacs gère activement l’élaboration du Programme de lutte contre la lamproie marine. Nous contribuons à déterminer où le contrôle des populations de lamproies marines doit être mené, c’est-à-dire dans quels cours d’eau. Nous coordonnons un processus qui affecte du personnel sur le terrain pour effectuer le travail d’évaluation et les étapes permettant de déterminer quels cours d’eau traiter et, éventuellement, où installer une barrière physique. Aux États-Unis, le U.S. Fish and Wildlife Service se charge du volet sur le terrain; au Canada, c’est le ministère des Pêches et des Océans.
Il importe également de mentionner que ces deux organisations, grâce à notre coordination et à notre gestion active du dossier, coopèrent pour créer un programme binational de lutte contre la lamproie marine qui ne tient pas compte des frontières et qui couvre l’ensemble du bassin des Grands Lacs — et pas seulement, par exemple, la partie canadienne ou même la partie du Michigan. C’est à cet égard que des difficultés se dressaient avant la signature du traité. Chaque administration essayait de faire cavalier seul, et la somme des efforts ne donnait pas le résultat escompté. C’est pourquoi une commission binationale a été créée pour permettre un transfert très aisé de ressources. Si nous devons assurer une plus forte présence au Canada en raison de la situation des lamproies cette année, nous pouvons le faire. Si nous devons être plus actifs aux États-Unis, les équipes canadiennes peuvent prêter main-forte au Fish and Wildlife Service. Le programme devait être binational, car nos efforts seraient infructueux si chacune des administrations agissait seule. Voilà la raison d’être de la Commission des pêcheries.
Si nous jugions demain matin qu’il serait plus efficace ou plus commode de confier la lutte contre les lamproies à une autre organisation, nos commissaires auraient le pouvoir d’en décider ainsi.
Le sénateur Boudreau : C’est exactement là où je veux en venir. Je comprends. Si la commission voulait prendre cette décision demain matin, elle en aurait le pouvoir. Or, si c’est actuellement le MPO qui effectue le travail concret sur le terrain — sur l’eau, ou ailleurs —, ne fait-il que réclamer les fonds pour le service qu’il fournit?
M. Gaden : C’est exact, oui. Selon notre analyse de la situation, si la commission devait prendre cette décision demain matin, mais que l’argent était entre les mains du MPO — potentiellement à la discrétion de son personnel —, il serait très difficile, voire impossible, pour nos commissaires de prendre cette décision.
De plus, la violation de l’article IV du traité, qui prévoit que les commissaires établissent le programme — en d’autres termes, l’utilisation des fonds versés par le Canada et les États-Unis... Il devient d’autant plus difficile pour nos commissaires d’établir le programme si le MPO détient l’argent.
Comme l’a dit M. McClinchey, le passé importe, et c’est exactement ce qui s’est passé. C’est ce qui a causé ce pétrin au départ. La voie la plus simple à prendre est de respecter le traité et de donner aux commissaires le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre le programme comme prévu — ce qui, soit dit en passant, fonctionne bien depuis de nombreuses décennies. Nous ne voulons pas revenir à une situation de sous-financement, de non-respect des engagements et de tensions assez graves entre les sections des deux pays à cause de ce type de fonctionnement.
M. McClinchey : Une nuance mérite aussi d’être apportée. Le travail effectué par l’un ou l’autre des fournisseurs de services — le U.S. Fish and Wildlife Service, le MPO, ou toute autre organisation — est régi, pour l’essentiel, par un contrat, par un accord de coopération. Dans les documents qui vous ont été distribués, vous trouverez la première page de ce contrat. Il s’agit d’un accord que notre secrétaire exécutif négocie chaque année avec le ministère et qui comprend un plan de travail et l’ensemble des coûts. Il comprend tous ces éléments, y compris les ressources nécessaires. Il ne s’agit pas d’une approche approximative, mais bien d’une approche structurée qui est l’aboutissement d’un processus s’échelonnant sur plusieurs mois.
Pour la saison de 2025, la lutte contre la lamproie marine prendra fin à la fin du mois ou au début du mois prochain, en fonction des conditions météorologiques. Le processus d’élaboration du programme de 2026 commence dès maintenant afin que, à la fin de l’hiver ou au début du printemps, le secrétaire exécutif, au nom des commissaires et du ministère, puisse signer cet accord et se préparer à le mettre en œuvre. Personne ne travaille seul de son côté. Tout est régi par ces relations contractuelles.
Le problème ici est que l’article VI stipule que cette responsabilité incombe à la commission, et cette responsabilité n’est pas négligeable. La lutte contre la lamproie marine représente une part importante des activités de la commission. Or, dans l’entente actuelle, le fait qu’une partie du budget reste dans les niveaux de référence du MPO revient essentiellement à mettre en place un système qui prédétermine le prestataire de services, alors que ce n’est pas ce que prévoit la convention. Voilà le cœur du problème que nous commençons à aborder.
La sénatrice Poirier : Je vous remercie de votre présence.
Je ne suis pas nouvelle au Comité des pêches et des océans, mais je suis nouvelle après plusieurs années d’absence. Je suis de retour pour la première fois aujourd’hui. À l’instar de mes collègues, j’essaie de comprendre le dossier, et les questions et réponses que nous avons entendues me sont utiles.
D’après ce que je comprends des informations qui m’ont été communiquées, en octobre 2024, la responsabilité a été transférée à Affaires mondiales Canada, ou AMC. Puis, moins de deux mois plus tard, en décembre, la commission a appris qu’AMC n’allait pas recevoir la totalité des fonds et que c’était le MPO qui les avait obtenus. Manifestement, quelque chose s’est passé pendant ces deux mois. Qui a pris cette décision? Comment cela s’est-il produit? Pourquoi n’obtenez-vous pas de réponses? Évidemment, c’est parce que le MPO ne veut pas vous donner les fonds, à moins que ce ne soit quelqu’un d’autre? Qui a décidé que vous deviez recevoir les fonds, et qui a décidé de vous dire que vous ne pouviez pas les obtenir?
M. Gaden : Je remercie la sénatrice de la question.
Nous ne saurions vous dire exactement pourquoi cette décision a été prise. Nous en avons discuté avec le Cabinet du premier ministre et le Bureau du Conseil privé, nous en avons discuté avec des élus et nous en avons discuté avec des fonctionnaires des organisations. Comme l’a fait remarquer M. McClinchey, on nous a donné des raisons divergentes pour motiver cette décision, mais aucune n’était logique. Aucune des personnes avec qui nous avons discuté ne préconise ou ne justifie le maintien de cette entente divisée. Toutes reconnaissent que la meilleure solution est la plus simple : transférer l’ensemble du portefeuille à Affaires mondiales Canada. Mais nous ne savons pas pourquoi un tel revirement de situation s’est produit.
Je dirai que, il y a un an, lors des réunions de ce comité, plusieurs sénateurs ont demandé si les membres de la Section du Canada et moi — en tant que secrétaire exécutif de la Commission des pêcheries dans les Grands Lacs — étions tenus informés des étapes du transfert. En d’autres termes, certains s’inquiétaient vivement que des décisions puissent être prises sans tenir compte de nos intérêts et de nos besoins. Je suis heureux d’annoncer qu’Affaires mondiales a très bien communiqué avec nous et nous a tenus au fait du transfert. Son personnel a été aussi surpris que nous d’apprendre que l’ensemble des rouages administratifs et du budget n’ont pas été transférés. Mais quant à savoir pourquoi il en est ainsi, aucun d’entre nous n’a reçu de réponse satisfaisante, et je prie respectueusement le comité de poser ces questions aux autorités compétentes, car nous aimerions le savoir autant que vous.
La sénatrice Poirier : Par où nous recommandez-vous de débuter? À qui devons-nous nous adresser en premier si personne ne veut donner de réponses, de conseils ou d’explications? Par où commencer?
M. McClinchey : Je vous remercie pour votre question. Je vais commencer par ce que nous savons pour en venir à ma réponse.
Ce que nous savons, c’est qu’en septembre 2024 — et cela se trouve dans le document bleu —, la ministre des Affaires étrangères a envoyé une lettre à nos commissaires, du Canada et des États-Unis, annonçant ce changement. Par la suite, d’autres lettres de la ministre des Pêches et de la ministre des Affaires étrangères expliquant ce changement ont été transmises au Comité des pêches et des océans et au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes. Nos commissaires ont assisté à une séance d’information donnée par les représentants d’Affaires mondiales, tout comme les membres du comité. Là où je veux en venir avec tout cela, c’est que l’on a expliqué très clairement à la Commission et à tous ceux qui avaient pris part à la discussion sur le sujet que le changement allait être mis en œuvre. On a dit ici en comité que la machinerie du gouvernement serait entièrement transférée à Affaires mondiales. On nous a dit que les représentants d’Affaires mondiales et de Pêches et Océans travaillaient en ce sens.
À un certain point, on a dit qu’il fallait trouver une nouvelle stratégie. Comme l’a fait valoir M. Gaden, on ne sait pas exactement qui était responsable de cette décision. Toutefois, lorsque nous avons posé la question, on nous a dit que la décision avait été prise par décret, et donc par le cabinet. Je tiens à préciser que je n’en suis pas certain, mais il n’y a que quelques sources qui pourraient prendre de telles décisions.
Nous avons supposé, si je puis dire, que le BCP avait des préoccupations ou une justification à cet égard. Nous n’en étions pas certains, mais nous avons rencontré les représentants du Bureau il y a quelques semaines et nous leur avons posé la question, tout simplement. Nous attendons la réponse. Nous les avons rencontrés il y a deux semaines seulement. Nous supposons donc qu’il y a quelque chose avec la mécanique de l’appareil gouvernemental du BCP que nous devons éclaircir, et nous aimerions mieux comprendre la nature du problème. Nos conseillers nous ont dit que les deux problèmes qui pourraient être en jeu ne sont pas insurmontables. Ils pourraient être réglés, mais nous ne pouvons pas le faire tant que nous ne savons pas de quoi il s’agit. Nous sommes dans le néant.
La sénatrice Poirier : Avez-vous communiqué avec le Comité des pêches de la Chambre des communes?
M. McClinchey : Lors de la session précédente, au printemps de l’année dernière je crois — je me trompe peut-être au sujet du moment —, le Comité permanent des pêches et des océans a réalisé une étude sur le sujet et a publié un rapport dans lequel il présentait plusieurs recommandations, notamment le changement que nous avons apporté. Nous avons eu de nombreuses conversations avec les anciens membres du comité, mais nous n’avons pas encore discuté avec ses nouveaux membres.
La sénatrice Poirier : Depuis que l’on vous a dit que vous n’obtiendriez pas tous les fonds, et qu’une partie de ceux-ci allaient être octroyés au ministère des Pêches et des Océans, vous n’avez pas rencontré...
M. McClinchey : Nous avons rencontré certains membres de façon individuelle, mais pas le comité de façon officielle.
La sénatrice Poirier : Merci.
Le sénateur Prosper : Nous vous remercions tous deux pour votre présence. Je fais partie de la majorité ici, puisque je suis nouvellement membre de cet excellent comité, et je suis heureux d’être ici.
Je connais probablement la réponse à cette question, mais j’aime entendre vos réponses au sujet de la situation dans laquelle vous vous trouvez, du côté du Canada. Je ne peux qu’imaginer ce qu’il faut pour tenter de développer une relation avec un autre pays et avec de multiples intervenants afin de rendre le tout opérationnel et fonctionnel.
Ce que je me dis, c’est que la convention ou le traité ne comporte aucun mécanisme sur lequel vous pouvez vous fier. Je suppose que vous auriez misé sur un tel mécanisme pour vous orienter. Est-ce exact?
M. McClinchey : Oui.
Le sénateur Prosper : C’est ce que je pensais. Je compatis avec vous dans cette situation.
M. Gaden : Je vous remercie pour vos commentaires.
Je dirais simplement que la Commission des pêcheries des Grands Lacs a été créée après de nombreuses décennies où le Canada et les États-Unis n’avaient pas travaillé ensemble au-delà des frontières. Comme vous pouvez l’imaginer, la pêche en eau douce dans les Grands Lacs en a énormément souffert. C’est une histoire très triste et la collaboration transfrontalière ne date pas de très longtemps.
Il y a eu deux traités ratés entre le Canada et les États-Unis : l’un en 1908 et l’autre en 1946. Ils visaient à créer une sorte de mécanisme pour travailler au-delà des frontières, et ils ont échoué pour un certain nombre de raisons, notamment parce que les pays n’étaient pas sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la réglementation, et qu’il n’y avait aucune donnée scientifique sur laquelle fonder les décisions.
Le traité qui a été conclu en 1954, pour lequel nous avons travaillé, a été une réussite parce que la lamproie représentait une menace existentielle. C’était une espèce envahissante pour la pêche. Il n’était plus possible d’éviter de prendre une décision en prétendant qu’il n’y avait pas de données scientifiques sur le sujet. Autrement dit, les deux pays devaient investir dans la science pour trouver une solution, et il n’était plus possible pour eux de travailler chacun de son côté. On peut penser au Michigan et à l’Ontario qui suivraient chacun leur propre voie. Notre raison d’être est d’entretenir la relation entre le Canada et les États-Unis, de créer un mécanisme où les deux pays peuvent travailler ensemble au quotidien dans la coopération et l’amitié et en vue d’atteindre l’objectif commun d’une pêche durable pour leur population.
C’est la raison pour laquelle les législateurs du Canada et des États-Unis se réunissent et en parlent dans le cadre du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis. C’est la raison pour laquelle les législateurs américains s’inquiéteraient si le Canada ne finançait pas la Commission des pêches selon le niveau nécessaire, ce qui était le cas avant le budget de 2022. C’est la raison pour laquelle de nombreux législateurs américains ont également souligné cette relation étrange en ce qui concerne le budget et l’appareil gouvernemental au Canada qui a mené au sous-financement chronique.
Les deux pays tiennent grandement à la relation de travail, et ils ont recours à notre commission pour l’entretenir. Ils seraient aussi très préoccupés de savoir que des lacunes structurelles pourraient empêcher l’un ou l’autre de respecter ses obligations.
Le sénateur Prosper : D’accord. Merci.
M. McClinchey : Lorsque le comité a étudié ce sujet l’année dernière, le sénateur Cuzner, qui n’est pas ici aujourd’hui, a fait deux remarques que j’aimerais souligner. En premier lieu, il a qualifié la situation d’épine dans le pied, en quelque sorte. La plupart des sénateurs seront probablement d’avis que ce n’est pas le meilleur moment pour des tensions dans la relation entre le Canada et les États-Unis.
Ensuite, il a dit qu’une promesse faite était une dette impayée. Cette phrase m’est restée dans la tête, parce qu’elle exprime bien de quoi il en retourne. C’est une question de confiance. Il y a de nombreuses raisons fonctionnelles et mécaniques qui font que cette question est importante, et aussi de nombreuses raisons historiques, mais je crois que le plus important pour le moment, c’est de se rappeler que le Canada a dit qu’il apporterait ce changement. Il a dit à ses partenaires des États-Unis qu’il apporterait le changement parce qu’il le jugeait nécessaire.
Nous travaillons avec sérieux, tout comme les autres commissaires. Il est juste de dire que les représentants d’Affaires mondiales travaillent eux aussi sérieusement pour que ces changements se produisent, parce qu’ils sont importants pour la relation entre le Canada et les États-Unis. Au cours de l’histoire, cette relation a parfois été tendue. Il importe de souligner qu’en vertu de notre structure, tous les commissaires — quatre Canadiens et quatre Américains — doivent arriver à une décision unanime en vue de prendre des mesures en ce qui a trait à la coordination, à la science ou au contrôle de la lamproie. Que les relations entre le Canada et les États-Unis soient tendues ou non, le travail de notre commission est d’assurer la surveillance des Grands Lacs de manière collaborative, volontaire et — et c’est peut-être un peu sentimental — bienveillante. La Commission et les commissaires ne veulent en aucun cas faire quoi que ce soit qui pourrait mettre ce travail en péril. C’est peut-être ce qui se passe ici.
Le sénateur C. Deacon : Nous vous remercions, monsieur McClinchey. Il faut entretenir la relation et préserver une ressource partagée qui n’est pas délimitée par une clôture. Il faut le faire de façon collaborative, sinon nous n’aurons pas atteint notre objectif.
Nous avons entendu beaucoup de bien au sujet du personnel du ministère des Pêches et des Océans sur l’eau; ceux qui font le travail. Tous les témoignages et commentaires que j’ai entendus m’ont donné une très bonne impression. Le problème semble provenir du 200, rue Kent. Il semble que le problème, ce soit le ministère, et l’administration de l’organisation. La seule chose plausible ici, selon ce que nous avons entendu, c’est que quelqu’un a convaincu le BCP qu’il y avait un quelconque problème mécanique qui permettait au ministère des Pêches et des Océans de garder une partie du budget, parce qu’une telle mesure va à l’encontre de l’engagement du premier ministre; elle va à l’encontre de ce qu’avait prévu Affaires mondiales Canada et de ce que le ministère nous avait dit qu’il se passerait.
Il n’est pas logique que votre client... Excusez-moi, le client, c’est vous. On vous donne un service. C’est votre fournisseur, et il a le contrôle du budget que vous lui accordez. S’il ne livre pas la marchandise, il peut tout de même être payé. Il n’y a aucun engagement en matière de qualité. L’organisation n’a pas à assurer un bon rendement. Elle sera tout de même payée parce que c’est elle qui contrôle l’argent. Il n’y a rien de logique à ce que je vous entends me dire.
J’aimerais beaucoup que tous les nouveaux membres du comité puissent entendre ce qu’avaient dit les responsables des finances du ministère des Pêches et des Océans devant nous, alors qu’ils tentaient d’expliquer pourquoi le ministère s’était réapproprié 70 millions de dollars sur une période de 20 ans, alors qu’ils visaient notre engagement à l’égard des États-Unis. J’ai passé quatre séries de questions sur le sujet. J’ai levé la main pour une cinquième, mais j’avais l’impression d’y avoir passé une dizaine de séries. Il n’y avait aucune logique à cela. Je vais en venir à une question, je vous le promets. Les bons spécialistes des finances savent expliquer les choses compliquées de façon simple. Lorsque quelqu’un tente d’expliquer une chose simple de façon compliquée, ce n’est pas bon signe, n’est-ce pas? C’est ce qu’on dit dans le domaine des affaires. Est-ce que j’ai oublié quelque chose dans mon résumé de la situation? C’est ma question.
M. Gaden : Je vous remercie pour ce résumé, sénateur. Je crois qu’il est tout à fait juste. Vous avez fait une description exacte de la façon dont nous en sommes arrivés là et des raisons pour lesquelles ce problème s’est surtout manifesté dans la façon dont le budget de 2022 a été attribué, ou n’a pas été attribué, pour être plus précis.
Cela met en évidence la demande de la section canadienne pour que le comité fasse ce qu’il peut pour communiquer la nécessité de tout remettre entre les mains d’Affaires mondiales Canada, comme le voulait le gouvernement.
Le sénateur C. Deacon : Il n’y a aucune raison pour justifier ce qui s’est passé et pourquoi nous en sommes là aujourd’hui. Le but était justement de ne pas en arriver là. Nous voulions une solution permanente, ce que nous n’avons pas. Alors à quoi cela a-t-il servi?
M. Gaden : Exactement.
[Français]
La sénatrice Gerba : J’aimerais revenir sur la collaboration dans la recherche et les partenariats scientifiques, parce que des inquiétudes ont récemment été soulevées quant à la liberté de recherche dans les collaborations canado-américaines.
Selon un article paru dans La Presse en mars 2025, plusieurs chercheurs canadiens financés par les agences américaines dénoncent l’imposition de questionnaires à caractère idéologique. Une telle pratique soulève des préoccupations quant à la continuité et à l’indépendance de la recherche scientifique transfrontalière.
Quel impact cette situation a-t-elle sur le mandat de la commission? Cette question s’adresse tant à M. McClinchey qu’à M. Gaden. Ma question comporte deux parties. Compte tenu de ce dont nous discutons ici, avez-vous les ressources, les données et les partenariats scientifiques nécessaires pour atteindre vos objectifs?
[Traduction]
M. Gaden : Je vous remercie pour ces excellentes questions. Elles ont trait à une partie importante du mandat de la Commission en vertu de la Convention sur les pêcheries des Grands Lacs, à savoir l’élaboration et l’exécution d’un programme scientifique binational. Depuis plus de 70 ans, nous menons, facilitons et soutenons ces recherches afin qu’elles puissent être utilisées par les organismes de gestion et par les intervenants pour maintenir et améliorer les pêches dans les Grands Lacs.
Pour répondre à vos deux questions, dont l’une concerne l’incidence de l’administration actuelle sur notre mandat et la deuxième concerne la recherche et les partenariats scientifiques, je tiens à souligner que la Commission des pêcheries des Grands Lacs est un organisme indépendant, binational et techniquement non gouvernemental qui reçoit un financement du gouvernement, mais qui travaille en vertu d’un traité binational. En vertu de notre convention, les commissaires ont tout le pouvoir de choisir les programmes scientifiques et de déterminer la façon dont les ressources sont dépensées. C’est voulu. Il s’agit de faire en sorte que nos commissaires puissent se concentrer sur ce qui doit être fait pour maintenir et protéger la pêche dans les Grands Lacs.
Le problème que nous avons eu avant le budget de 2022, c’est que le ministère des Pêches et des Océans était responsable du budget et aussi du programme de lutte contre la lamproie. Il ne demandait que les fonds nécessaires pour lutter contre la lamproie, c’est-à-dire ce qu’il allait garder. Cela signifie que, pendant de nombreuses années, le Canada ne donnait pas un sou au programme scientifique binational. Le budget de 2022 a remédié à ce problème, mais les lacunes de l’appareil gouvernemental ont fait en sorte que pendant de nombreuses années, il a fallu s’assurer que les ressources destinées aux sciences étaient réellement affectées à la Commission des pêches, comme le Parlement le souhaitait. C’est ainsi que le défaut de gouvernance a fait en sorte que le Canada a sous-financé pendant de nombreuses années le volet scientifique du programme.
Quelles sont les répercussions sur le mandat? Puisque nous sommes indépendants, les commissaires de la Commission des pêcheries des Grands Lacs ne faisaient rien qui aurait pu restreindre la science. Nous avons procédé comme d’habitude pour coordonner les activités scientifiques que nous menons d’une manière binationale qui profite à la fois au Canada et aux États-Unis. Je suis donc fier de dire que la situation n’a eu aucune incidence sur notre mandat.
Je suis également très fier de dire que les partenariats scientifiques, que nous avons établis au fil des décennies, demeurent solides. Nous avons de nombreux projets scientifiques dans le cadre desquels des scientifiques américains et canadiens travaillent ensemble sur le même lac ou sur le même problème. Ces projets n’ont pas changé.
Je vais vous dire ce qui a changé, toutefois : c’est la facilité de passage à la frontière. Puisque notre programme binational n’a pas de frontières, les problèmes associés aux déplacements ont une certaine incidence sur les échanges scientifiques, mais n’ont pas d’incidence sur les projets que nous finançons ou les travaux que nous réalisons. Nous continuons de fonctionner comme à l’habitude, et comme nous le faisons depuis des décennies.
M. McClinchey : Je souhaite ajouter, en réponse à la question de la sénatrice, que nous sommes ravis d’annoncer que la commission dispose actuellement de toutes les ressources demandées. Pour répondre directement à votre question, avons-nous les ressources nécessaires pour mener à bien le programme scientifique de Pêches et Océans Canada? Oui.
Deuxièmement, à titre d’observation, dans votre question, vous avez peut-être mieux expliqué pourquoi il est nécessaire qu’il existe un mécanisme gouvernemental indépendant. Comme je l’ai dit, il ne nous appartient pas de dire s’il pourrait y avoir des divergences politiques entre l’approche de l’administration et celle dugouvernement canadien, mais le fait que la commission agisse à titre indépendant pour mener à bien certaines tâches — dans ce cas-ci, le programme scientifique — et je vous invite à examiner le témoignage du Dr Andrew Muir, le chef de notre direction scientifique. Des choses extraordinaires se produisent, mais le fait qu’elles se produisent indépendamment de toute ingérence gouvernementale ou de toute autre source d’ingérence permet à toutes les organisations partenaires de s’en approprier la paternité et d’agir en conséquence d’une manière absolument cruciale. Il existe un plan stratégique conjoint de gestion des pêches des Grands Lacs que nous facilitons. Il existe des comités lacustres qui s’appuient sur ces données scientifiques pour prendre des décisions environnementales, telles que les limites de capture totales admissibles et les mesures réglementaires, et tout cela repose sur ces informations. Il est donc absolument essentiel qu’ils comprennent et acceptent ces données scientifiques comme étant indépendantes et valides, et qu’ils puissent s’en approprier. La sénatrice a très bien expliqué pourquoi cela est si important.
La sénatrice Gerba : Je vous remercie.
Le sénateur Surette : Je dois admettre avoir perdu quelque peu le fil de mes idées, mais je vais tenter de résumer la question que j’avais en tête il y a quelques instants.
Pour revenir à votre argument, je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’une question financière, mais plutôt d’une question de gouvernance. D’accord, j’ai bien compris cette partie. Cela concerne donc principalement le programme de lutte contre la lamproie marine, ou exclusivement ce programme?
M. Gaden : Il s’agit d’une partie du programme mis en place par le MPO, en effet.
Le sénateur Surette : Mon autre question portait sur ce qu’il était advenu du programme au cours de toutes ces années, mais le programme a continué, sans être financé sous votre responsabilité. Enfin, ce programme était sous votre responsabilité, mais votre ministère a signé des protocoles d’accord pendant plusieurs années pour mener à bien ce projet, donc au moins, le travail a été fait sur le terrain. Ai-je raison sur ce point?
M. Gaden : Je vous remercie pour votre question.
Le travail était en cours, mais malheureusement, il ne s’agissait que d’une mise en œuvre partielle du traité. Rappelons que nous avons trois principales responsabilités: la lutte contre la lamproie marine; la recherche scientifique; et la collaboration transfrontalière. Comme le MPO était responsable du budget et également l’organisme chargé de la partie du programme consacrée à la lamproie marine, il n’a demandé que la partie des fonds qui lui serait allouée pour contrôler les stocks de lamproies. Il partait du principe que c’était tout ce dont la commission avait besoin et a ignoré tout le reste, y compris la science dont le sénateur a parlé, ainsi que toutes nos autres activités.
C’est ce qui a conduit au problème au fil du temps. L’écart entre l’engagement pris et ce que fournissaient les États-Unis et le Canada s’est creusé de plus en plus. C’est pourquoi il y avait une faille. Le sénateur Deacon a très bien expliqué la faille de cette approche, et la manière dont nous nous sommes retrouvés dans la situation actuelle.
J’ajouterai également que, même avec cet accord, le Canada était légèrement en retard par rapport aux États-Unis en matière de lutte contre la lamproie. Lorsque vous retirez à la Commission des pêches des Grands Lacs le pouvoir de mettre en œuvre le traité, vous vous retrouvez dans une situation indésirable, où le contractant et le contracté sont en fait les mêmes, et où il n’y a vraiment aucun moyen de mettre en œuvre le traité de cette manière.
Le sénateur Surette : S’agit-il du plan que vous avez évoqué, celui que vous renégociez sur une base annuelle?
M. Gaden : En effet, sénateur, nous renégocierons chaque année un contrat avec toute organisation qui fournit des services en notre nom.
Le sénateur Surette : Les fournisseurs de services, oui je vois.
M. Gaden : C’est exact. Et le ministère des Pêches et des Océans, qui fait un excellent travail dans la lutte contre la lamproie. Nous avons conclu un accord ou un contrat avec le ministère des Pêches et des Océans qui décrit le travail à accomplir au cours de l’année à venir, les activités de lutte contre la lamproie qui seront menées, leur coût, et ainsi de suite. Il s’agit d’un contrat et d’un plan de travail. Nous procédons de la même manière avec tous nos partenaires, et notamment le U.S. Geological Survey.
M. McClinchey : Il est important de souligner que la commission a entrepris cette démarche dès 2018, après de nombreuses années de résultats préoccupants. Nos commissaires ont abordé ce processus en considérant que l’argent et le sous‑financement n’étaient pas le problème, mais plutôt un symptôme du problème, à savoir la gouvernance, et ce problème, malgré les changements, persiste aujourd’hui.
Le sénateur Boudreau : Monsieur le président, ma question s’adresse à vous. Il semble que nous ne parviendrons pas à faire toute la lumière sur cette affaire tant que nous n’aurons pas convoqué les hauts fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans pour qu’ils s’expliquent. L’un de nos collègues aurait-il besoin de présenter une motion pour ce faire?
Le président : Je vous remercie, sénateur Boudreau. Lors de notre réunion à huis clos la semaine dernière, nous nous sommes mis d’accord sur la procédure à suivre, si nécessaire, après la réunion de ce soir. Il ne fait aucun doute que cela est nécessaire, et nous allons continuer en ce sens.
Le sénateur Boudreau : Je ne savais pas si nous avions besoin de présenter une motion. Si tel est le cas, il me fera plaisir d’en préparer une.
Le président : Non, tout va bien. Je me suis entretenu avec le greffier du comité juste avant que vous ne posiez votre question. Les grands esprits se rencontrent, et vous n’avez donc pas besoin de finir votre phrase.
Cela conclut notre réunion de ce soir. Je tiens à remercier nos témoins d’être revenus. Cette question a été soulevée la semaine dernière par les membres de notre comité, et je suis très satisfait des nouvelles informations qui nous ont été communiquées, en particulier pour les nouveaux membres du comité, afin de leur donner une idée de l’état d’avancement des travaux. C’est l’une des problématiques que nous pensions avoir réglées. D’après les copies de la correspondance que nous avons reçues l’année dernière, nous pensions que la question avait été réglée dans son intégralité, mais nous constatons maintenant que ce n’est pas le cas. Nous avons obtenu des éclaircissements sur les préoccupations de la commission. Notre prochaine étape consistera à inviter à nouveau certaines personnes des ministères afin de déterminer où se situe le problème et de voir si nous pouvons faire avancer les choses et atteindre l’objectif que nous nous étions fixé à l’automne dernier.
Sur ce, la période de questions des sénateurs est terminée. Nos témoins ont-ils des remarques finales à faire?
M. Gaden : Je n’ai rien d’autre à ajouter, si ce n’est remercier les membres du comité pour l’attention constante qu’ils portent à ce type d’enjeux. Nous leur en sommes très reconnaissants, et espérons également pouvoir aller au fond des choses et résoudre ce problème une fois pour toutes afin que la Commission des pêcheries des Grands Lacs puisse fonctionner comme prévu. Merci beaucoup pour tout le travail accompli par le comité.
M. McClinchey : Monsieur le président, j’aimerais ajouter quelque chose aux commentaires de M. Gaden. Je tiens à remercier tous les sénateurs et leur personnel. Vos services ont été formidables, et nous allons continuer de demeurer en contact. J’ajouterais que, lorsque vous examinez certaines de ces questions, même en dehors de la Commission des pêcheries des Grands Lacs elle-même, nous sommes évidemment ravis de continuer à être une ressource pour le Sénat. Nous avons accès à plusieurs partenaires qui disposent de renseignements pertinents. Si vous êtes confrontés à des problèmes, n’hésitez pas à nous contacter.
Le président : Pour terminer, je tiens à tous vous remercier. Ce fut une séance particulièrement productive ce soir.
(La séance est levée.)