LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 9 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a tenu une vidéoconférence aujourd’hui, à 8 h 30 (HE) pour examiner, afin d’en faire rapport, la séquestration du carbone océanique et son utilisation au Canada.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai le plaisir de présider ce comité.
Avant de commencer, j’aimerais prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur Dhillon : Baltej Dhillon, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique, en remplacement de la sénatrice Bev Busson.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.
Le sénateur Surette : Allister Surette, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Boudreau : Victor Boudreau, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.
[Traduction]
Le président : Le 8 octobre 2025, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a été autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la séquestration du carbone océanique et son utilisation au Canada. Aujourd’hui, dans le cadre de ce mandat, le comité entendra Mike Kelland, directeur général de Planetary Technologies; Kimberly Gilbert, cofondatrice et directrice générale de pHathom Technologies; et Edmund Halfyard, cofondateur et directeur technique de CarbonRun.
Au nom des membres du comité, je remercie chacun d’entre vous de vous joindre à nous aujourd’hui. Je crois comprendre que vous avez tous une déclaration préliminaire. Par la suite, les membres du comité auront des questions à vous poser. Monsieur Kelland, puisque vous êtes ici en personne, je vais vous donner la parole en premier.
Mike Kelland, directeur général, Planetary Technologies : Merci beaucoup. Je suis honoré d’avoir été invité à comparaître devant le comité sur les territoires non cédés du peuple algonquin anishinaabe.
La vision de Planetary consiste à restaurer l’océan et le climat pour les générations à venir. Nous travaillons à mettre au point de façon sécuritaire et responsable une méthode d’élimination du carbone appelée augmentation de l’alcalinité des océans.
Chez Planetary, nous avons réalisé des progrès importants dans le cadre de notre mission depuis que nous avons comparu devant votre comité en novembre 2024.
En janvier, nous avons franchi une étape importante, en éliminant notre millième tonne de carbone de l’atmosphère. En avril, nous avons eu l’honneur de gagner le volet océanique du XPRIZE pour l’élimination du dioxyde de carbone. Cette compétition internationale a commencé il y a quatre ans avec 1 300 équipes qui se sont disputé un prix de 100 millions de dollars. En fin de compte, nous avons été l’une des six équipes à être reconnues pour avoir démontré les solutions d’élimination du carbone les plus prometteuses à l’échelle d’une kilotonne.
En juin, nous avons émis les premiers crédits d’augmentation de l’alcalinité des océans à figurer dans un registre certifié par l’ICROA. Ce résultat est le fruit de nombreuses années de collaboration avec la communauté scientifique canadienne et internationale en vue de créer un cadre solide pour mesurer l’élimination permanente du carbone dans les océans. Avant d’en arriver à ces premiers crédits, nos travaux ont été validés et vérifiés par des experts indépendants.
En juillet, grâce à une surveillance approfondie et aux connaissances acquises sur le terrain, nous avons modernisé notre système, ce qui nous a permis d’augmenter le rythme d’élimination pour le porter à 25 000 tonnes de carbone par année. En août, nous avons annoncé un accord de 31 millions de dollars orchestré par le Frontier Group. Cet achat représente le premier achat important de crédits d’élimination de carbone par l’augmentation de l’alcalinité des océans, et il est le résultat de neuf mois de diligence approfondie.
D’ici la fin de l’année, nous aurons exécuté l’élimination permanente de 3 800 tonnes de carbone pour nos acheteurs. Ce n’est pas beaucoup dans le grand ordre des choses, mais lorsque nous examinons le milieu de l’élimination du carbone en général, seulement 2,6 % des crédits d’élimination de carbone qui ont été achetés par des clients ont effectivement été exécutés. Nous faisons donc partie d’un très petit groupe d’entreprises qui tiennent la promesse d’éliminer le carbone de l’atmosphère.
Ce leadership est canadien. Nous n’aurions rien pu accomplir sans l’appui du peuple mi’kmaq de notre région, qui nous accueille sur ses terres et dans ses eaux; de nos collaborateurs universitaires, principalement à l’Université Dalhousie; de notre partenaire de l’industrie, Nova Scotia Power; des gouvernements du Canada et de la Nouvelle-Écosse qui nous ont appuyés par des programmes de subventions et d’engagement réglementaire; de la collectivité locale de Halifax; et de bien d’autres.
Nous faisons équipe pour accomplir ce travail parce que nous savons que l’élimination du carbone dans les océans peut être de trois ordres. Premièrement, il peut s’agir d’une nouvelle entreprise manufacturière axée sur l’exportation dans le Canada atlantique. La majorité de nos crédits d’élimination du carbone sont en fait destinés à des clients américains. La grande majorité de ces 31 millions de dollars provenait d’entreprises établies aux États-Unis.
Deuxièmement, il peut s’agir d’un levier clé de décarbonation, ce qui pourrait permettre au Canada d’économiser des milliards de dollars en décarbonant les secteurs les plus difficiles de notre économie jusqu’à ce qu’un marché émerge pour l’élimination du carbone existant, ce qui se traduira par l’élimination du carbone déjà dans l’air.
Troisièmement, il peut s’agir de tirer parti de la forte avance du Canada en matière d’exportation de propriété intellectuelle et de technologie qui est déjà mise à profit dans le monde entier. Nous menons cinq projets à l’étranger, dont l’objectif consiste à déployer cette technologie. Tout cela est basé sur ce qui a été développé ici, au Canada.
Notre objectif est de maintenir et d’accroître le leadership du Canada dans ce secteur passionnant et en croissance. Pour ce faire, nous avons besoin de l’appui du gouvernement dans deux domaines principaux. Premièrement, il faut que le gouvernement du Canada affirme publiquement que des processus comme le nôtre qui fonctionnent sur la terre ferme peuvent continuer d’être réglementés au pays plutôt qu’en vertu du droit international. Cela refléterait une déclaration semblable de l’Environmental Protection Agency, ou EPA, aux États-Unis. Deuxièmement, il faut que le gouvernement canadien veille à ce que cette technologie puisse être mise à l’échelle au Canada et qu’elle serve à appuyer la décarbonation au pays en l’incluant dans les programmes de conformité canadiens pour le carbone et dans nos cibles établies pour les contributions déterminées au niveau national, ou CDN.
Ces deux mesures ne coûteraient rien au gouvernement et pourraient être prises en quelques jours. La première est une affirmation de la loi actuelle, sans modification, et elle offrirait une grande certitude aux investisseurs et aux clients de cette technologie. Nous disons souvent que le silence est la pire forme d’engagement au niveau réglementaire. La deuxième exige seulement que nous nous inspirions des vastes travaux réalisés par la communauté internationale des sciences océaniques pour élaborer des protocoles d’application volontaire et en autoriser l’utilisation dans le cadre des programmes de conformité du Canada. Nous n’avons pas à refaire ce travail; il existe déjà et il est de très grande qualité.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir invité à faire le point devant le comité. Je suis ravi de travailler avec vous pour étendre le leadership du Canada en matière d’élimination du carbone dans les océans.
Le président : Merci, monsieur Kelland.
Madame Gilbert, vous avez maintenant la parole.
Kimberly Gilbert, cofondatrice et directrice générale, pHathom Technologies : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître à nouveau devant vous.
Nous sommes une entreprise canadienne qui met au point des systèmes d’élimination du carbone sur la terre ferme qui capturent le CO2 en toute sécurité et le convertissent en bicarbonate dans l’eau de mer, ce qui reflète le processus d’altération naturelle qui aide à réguler le dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre. Naturellement, comme ce processus est très lent et qu’il ne peut pas suivre le rythme des émissions d’aujourd’hui, nous l’accélérons. Nos réacteurs fonctionnent entièrement sur terre et dans les eaux intérieures, ce qui signifie que ces activités sont réglementées comme il se doit au pays en vertu du droit environnemental canadien. Nous accueillerions favorablement, comme l’a également suggéré Planetary Technologies, une affirmation fédérale claire de cette interprétation pour donner aux investisseurs et aux innovateurs la certitude dont ils ont besoin.
Chez pHathom, nous prenons le CO2 des gaz de combustion industriels dans les centrales à biomasse pour le dissoudre dans l’eau de mer. Nous neutralisons ensuite cette acidité avec du calcaire concassé, ce qui produit de l’eau propre et équilibrée enrichie en bicarbonate. Cette eau peut ensuite être rejetée en toute sécurité dans l’océan, où le carbone reste stocké pendant des dizaines de milliers d’années. Comme ce processus se déroule entièrement dans un réacteur à circuit fermé, nous pouvons mesurer, vérifier et surveiller chaque étape avec précision, en assurant la sûreté, la transparence et la permanence du processus.
La dernière année a été remarquable pour pHathom. Frontier, le consortium international d’acheteurs de crédits pour l’élimination du carbone, a sélectionné pHathom dans le cadre de son portefeuille de développeurs prometteurs de mécanismes d’élimination du dioxyde de carbone, ou EDC, dans l’océan. C’est un signal très fort de la confiance mondiale dans l’innovation canadienne. Nous avons également entrepris des recherches en collaboration avec le Centre des sciences de la mer Huntsman à St. Andrews, au Nouveau-Brunswick, afin d’étudier les interactions entre les écosystèmes et de veiller à ce que notre processus soit conforme aux objectifs en matière de santé et de restauration marines.
Enfin, nous avons travaillé avec Isometric, l’un des principaux registres du carbone au monde, qui a approuvé un module méthodologique décrivant la conception de notre réacteur et notre système de mesure, de déclaration et de vérification, ou MDV, qui orientera la surveillance et la vérification à mesure que nous progresserons vers le déploiement commercial.
Ce sont là des étapes préliminaires, mais essentielles à l’établissement d’un cheminement transparent et scientifique pour l’élimination du carbone océanique au Canada. Le Canada a l’occasion d’être un chef de file mondial dans ce domaine. L’équipe Large Industrial File Team, ou LIFT, de la Nouvelle-Écosse est un bon exemple à cet égard. Le sénateur Deacon a écrit récemment :
... la souplesse réglementaire... est désormais indispensable si nous souhaitons protéger les citoyens et l’environnement, tout en favorisant l’innovation nationale, moteur essentiel de notre croissance économique.
Nous sommes entièrement d’accord. Sous la direction du ministre Halman, l’équipe LIFT a apporté précision, cohérence et rapidité à une surveillance environnementale complexe, y compris des technologies terrestres d’élimination du carbone comme les nôtres.
Son approche montre qu’une réglementation efficace ne consiste pas à dire non, mais plutôt à dire oui en prévoyant des garde-fous solides.
Aujourd’hui, nous demandons au gouvernement fédéral de miser sur le succès de LIFT, non pas en le reproduisant, mais en l’élargissant. Nous demandons que le gouvernement s’acquitte de l’engagement « un projet, une approbation » du premier ministre, afin de permettre à LIFT de demeurer chef de file tout en intégrant officiellement le MPO, ECCC et RNCan dans son processus unique d’examen collaboratif des projets d’élimination du carbone.
Une telle approche éliminerait le double emploi et les retards entre les administrations; elle aiderait à veiller à ce que les décisions soient coordonnées, fondées sur la science et transparentes; et elle permettrait à des projets comme le nôtre de progresser de façon responsable, en favorisant l’apprentissage par le déploiement et le maintien d’un suivi rigoureux.
Harmonisons ce que nous faisons déjà bien en Nouvelle‑Écosse avec le processus décisionnel fédéral afin de faire du Canada l’environnement le plus fiable au monde pour l’innovation en matière d’élimination du carbone.
Le monde compte sur le leadership du Canada dans ce domaine.
Nous avons les connaissances scientifiques, les littoraux et la culture de l’intendance nécessaires pour créer conjointement ce domaine de façon responsable. En élargissant le modèle de souplesse réglementaire de LIFT dans un cadre « un projet, une approbation », le Canada peut démontrer comment faire croître une économie axée sur l’énergie propre qui protège à la fois nos océans et le climat.
Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions ce matin.
Le président : Merci, madame Gilbert.
Monsieur Halfyard, vous avez maintenant la parole.
Edmund Halfyard, cofondateur et directeur technique, CarbonRun : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs et membres du comité, je vous remercie de m’avoir invité ici aujourd’hui.
CarbonRun est une entreprise canadienne pionnière dans l’élimination du dioxyde de carbone par l’augmentation de l’alcalinité des rivières. Pour simplifier rapidement, chez CarbonRun, nous restaurons des rivières tout en luttant contre les changements climatiques.
En reconstituant ce qui a été perdu au cours de décennies de pluies acides, nous améliorons la chimie des rivières à l’aide d’une méthode sûre et éprouvée : le chaulage. Cette méthode permet non seulement de soutenir les populations de poissons et les écosystèmes, mais aussi d’éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère, ce qui pave la voie à une nouvelle façon de financer la restauration des rivières par le biais du marché du carbone.
Je m’adresse à vous non seulement en ma qualité d’entrepreneur, mais aussi à titre d’écologiste professionnel et d’amateur de plein-air depuis toujours. J’ai vu de mes propres yeux combien de nos rivières sont passées d’un écosystème vivant et dynamique à des systèmes de plus en plus stressés par l’acidification, le réchauffement et les effets en cascade des changements climatiques.
Aujourd’hui, nous sommes à un moment charnière où la science, l’innovation et la responsabilité se recoupent, une période où le Canada peut effectivement être un chef de file.
Chez CarbonRun, nous prouvons déjà ce qui est possible. Au neuvième échelon du niveau de maturité technologique, ou NMT, nous menons des déploiements commerciaux complets. Nos projets fournissent des crédits d’élimination du carbone vérifiés, appuyés par des registres indépendants et par des systèmes de mesure rigoureux.
Nous avons obtenu des engagements d’élimination du carbone pour plus de 60 000 tonnes pour les cinq prochaines années, principalement auprès d’acheteurs internationaux. Nous utilisons des plateformes de détection fabriquées au Canada, appuyant ainsi l’industrie nationale et misant sur les meilleures données scientifiques disponibles.
Il s’agit de véritables mesures climatiques prises dans les rivières canadiennes par des Canadiens.
Nous avons franchi une étape importante depuis notre dernière rencontre, à savoir l’approbation de notre nouveau protocole par le registre Isometric certifié par l’ICROA, dont nous avons déjà entendu parler ce matin. Il s’agit du premier protocole d’augmentation de l’alcalinité des rivières au monde en ce qui nous concerne. Notre protocole établit une norme mondiale pour l’industrie de l’élimination du carbone, un cadre scientifique pour mesurer, vérifier et assurer la sécurité environnementale. C’est ainsi que nous établissons la confiance avec les collectivités, les investisseurs, les Premières Nations et les partenaires autochtones, dont le lien profond avec la terre et l’eau nous oriente vers la bonne façon de travailler. Cette confiance est importante parce qu’elle nous permet d’échelonner le travail que nous faisons de façon responsable.
Avant d’aller plus loin, je tiens à souligner un point important. Dans les remarques suivantes, je parle d’économies climatiques, de marchés du carbone et des possibilités financières qui découlent de l’élimination progressive du carbone. Or, lorsqu’il est question de lutte contre les changements climatiques, nous parlons de protéger nos collectivités, nos écosystèmes et notre avenir. Je me sens donc un peu mal à l’aise d’en parler dans un tel contexte, mais depuis trop longtemps, les gens voient les possibilités économiques et la responsabilité environnementale comme étant en opposition, comme si nous ne pouvions progresser dans un domaine qu’au détriment de l’autre. Heureusement, cette mentalité est en train de changer.
Dans l’industrie de l’élimination du dioxyde de carbone, ou EDC, y compris l’EDC en milieu marin et en eau douce, nous avons maintenant la possibilité de bien faire tout en faisant du bien. De faire de la lutte contre les changements climatiques non seulement la bonne chose à faire, mais aussi une excellente mesure pour l’économie canadienne.
Partout dans le monde, les pays se positionnent dans ce qui sera une économie d’élimination du carbone de 1 billion de dollars. Ici, au Canada, on assiste à un bel élan dans le domaine, mais les politiques et les investissements doivent rattraper leur retard.
Par exemple, les projets de captage direct dans l’air donnent actuellement droit à des crédits d’impôt remboursables de 60 % en vertu du crédit d’impôt à l’investissement pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, ou CUSC, mais presque toutes les autres technologies d’élimination du carbone — de l’augmentation de l’alcalinité des océans au biocharbon — sont exclues. À l’échelle mondiale, ces approches diversifiées et neutres sur le plan technologique stimulent la croissance.
Si le Canada veut être un chef de file, il faut ouvrir la porte à l’innovation et non pas limiter nos possibilités. Nous ne devrions pas choisir les gagnants. Nous devrions plutôt définir ce à quoi ressemble une technologie d’élimination du carbone de grande qualité — mesurable, durable et responsable — et inviter les innovateurs à respecter cette norme. Cette approche reflète ce qui nous définit comme Canadiens, soit l’équité, l’ouverture, l’excellence scientifique et une attitude gagnante.
Chez CarbonRun, nous opérons actuellement sur le marché volontaire du carbone, mais notre vision va plus loin. Nous partageons l’engagement et la conviction du gouvernement selon lesquels il est essentiel de disposer d’un solide marché de conformité pour l’élimination du carbone. Il y a beaucoup à apprendre des marchés volontaires, car c’est un bon banc d’essai pour l’innovation où les nouvelles technologies sont éprouvées et où les technologies qui ne fonctionnent pas sont mises au jour.
Ces marchés ont également démontré la valeur de la rigueur et de la transparence. De nos jours, les acheteurs les plus avertis exigent des crédits d’intégrité élevée appuyés par des données, une vérification indépendante et un cadre redditionnel. Si nous pouvons intégrer ces mêmes principes dans le marché de conformité émergent, nous réussirons.
J’aimerais terminer par un appel à l’action. Les rivières, les lacs et les eaux côtières du Canada — et, en fait, l’ensemble de notre territoire — recèlent un immense potentiel de captage et de stockage du carbone. Mais ce potentiel s’accompagne d’une responsabilité égale de protéger et, là où c’est nécessaire, de guérir les écosystèmes qui nous soutiennent.
Avec le bon cadre, le Canada peut être un chef de file mondial en matière d’élimination du carbone et bâtir un nouveau secteur économique fondé sur la durabilité, la transparence et un avantage partagé pour tous.
Ce faisant, nous devons veiller à ce que tous les Canadiens bénéficient dès le départ de la justice et de l’équité. Cela signifie qu’il faut veiller à ce que les avantages — les emplois, l’investissement et les milieux sains — soient partagés équitablement et à ce qu’aucune collectivité ne soit laissée pour compte. Ce qui est important, c’est qu’il faut écouter les peuples autochtones, les collectivités rurales et les générations qui suivent pour veiller à ce que leurs voix nous guident sur le chemin à suivre.
Les décisions que nous prenons maintenant détermineront si ces possibilités existeront ici ou ailleurs. Nous avons maintenant l’occasion de veiller à ce que la prochaine génération de Canadiens hérite d’un pays qui a agi avec détermination, qui a été dirigé de façon responsable et où la prospérité et l’équité vont de pair. Merci.
Le président : Merci, monsieur Halfyard.
Le sénateur C. Deacon : C’est un plaisir de vous revoir tous. Je vous remercie d’avoir pris le temps de nous parler ce matin alors que nous reprenons cette étude et espérons la terminer cet automne. Nous avons hâte que ce soit fait.
Je tiens à souligner qu’il y a beaucoup de nouveaux membres au sein du Comité des pêches et des océans. J’aimerais demander à chacun d’entre vous de définir les termes afin que les nouveaux venus dans cet espace puissent comprendre. M. Halfyard vient de parler du niveau de maturité technologique, le NMT, du système de mesure, de déclaration et de vérification, la MDV. Aussi, quand on parle d’un protocole, en quoi cela consiste-t-il? Parlez‑nous un peu du biocharbon et de sa valeur en agriculture et dans d’autres domaines. Quelle est la différence entre les marchés volontaires et de conformité? Vous pourriez peut-être partager les réponses entre vous, en commençant par M. Kelland. Est-ce que chacun d’entre vous pourrait parler de quelques-uns de ces termes, et les partager entre vous, à moins que vous ne soyez pas d’accord? Merci beaucoup.
M. Kelland : Je suis heureux de commencer, sénateur Deacon. Je vais commencer par la fin et parler des marchés volontaires et de conformité, parce que c’est l’un des aspects les plus importants dont nous parlons dans ce contexte.
Les marchés volontaires sont assez importants partout dans le monde. Ils représentent environ 2 milliards de dollars d’achats par année. Jusqu’à présent, sur le marché volontaire de l’élimination du carbone, des crédits d’environ 10 milliards de dollars ont été achetés par des entreprises partout dans le monde. Cela n’est pas anodin parce que le mot « volontaire » est associé à une mesure qui n’est pas obligatoire, et on se demande donc : Pourquoi une entreprise voudrait s’y conformer?
Le terme « volontaire » signifie simplement que les entreprises qui achètent des crédits d’élimination du carbone le font pour des raisons qui leur appartiennent. Il n’y a aucune raison réglementaire qui les oblige à acheter un crédit d’élimination du carbone. Elles essaient peut-être d’atteindre leurs propres objectifs de carboneutralité. Elles essaient peut-être d’accéder à un secteur industriel. Comme je l’ai dit, environ 2,6 % des mesures d’élimination du carbone ont été livrées jusqu’à maintenant. Un certain nombre d’entreprises considèrent qu’il s’agit d’un problème d’offre à mesure que nous nous dirigeons vers les marchés de conformité. C’est ce qu’on appelle les « achats préalables à l’étape de conformité » dans ce domaine. De nombreuses compagnies aériennes achètent des crédits d’élimination du carbone parce qu’elles savent qu’elles devront un jour en avoir, et elles pensent qu’ils coûteront plus cher à l’avenir.
C’est exactement ce que signifie un marché volontaire. Il repose entièrement sur les raisons pour lesquelles les entreprises achètent des crédits d’élimination du carbone. Par contre, les marchés de conformité sont beaucoup plus importants. Ils représentent plus de 400 milliards de dollars dans le monde. Parmi les plus connus dont vous avez peut-être entendu parler, il y a le système d’échange de droits d’émission de l’Union européenne, la norme californienne sur les carburants à faible teneur en carbone, ou LCFS, et diverses autres normes sur les carburants à faible teneur en carbone.
Les marchés d’échange de carbone, ou marchés du carbone, les pressions réglementaires pour réduire l’empreinte carbone et la tarification du carbone dans le secteur industriel au Canada sont des exemples de marchés de conformité. Je définis habituellement un « marché de conformité » comme tout instrument réglementaire qui fait observer une réduction des émissions, parce que cela oblige les entreprises à acheter des technologies de décarbonation, des crédits d’élimination du carbone de haute qualité ou d’autres moyens de décarboner, et cela leur accorde une valeur fondamentale sur ce marché. Il n’est pas nécessaire que ce soit un marché d’échange; la réglementation peut en fait créer un marché de conformité en coulisse.
Dans le monde, la plupart des marchés de conformité sont ce qu’on appelle des marchés d’échange ou de compensation des émissions. Ce sont des marchés qui visent à instaurer une réduction sectorielle du CO2, à autoriser une certaine quantité d’émissions et à récompenser les entreprises de ce secteur qui dépassent ces cibles afin de pouvoir échanger leurs émissions d’accès. C’est là la véritable différence au bout du compte.
Le sénateur C. Deacon : Je m’adresse maintenant à Mme Gilbert. Pour que ce soit bien clair, les 32 millions de dollars dont vous avez parlé concernent un marché volontaire, mais est-ce qu’il s’agit d’achats de crédits d’élimination du carbone préalables à la production, ou est-ce plutôt comme un bon de commande?
M. Kelland : C’est un bon de commande. Nous sommes payés à l’exécution, alors ce n’est pas un achat préalable à ce moment. Une fois que nous offrons ces crédits, nous sommes payés pour l’exécution, mais c’est effectivement un marché volontaire.
Mme Gilbert : Je serai heureuse de répondre à la question sur la MDV. La MDV signifie la mesure, la déclaration et la vérification. Certains disent qu’elle désigne la mesure, la déclaration et la validation. Quoi qu’il en soit, l’idée est que, sur le marché, lorsqu’on achète des crédits, qui peut dire si le CO2 est capté et stocké de façon permanente? Nous voulons assurer la crédibilité et la transparence tout au long du processus.
La mesure, la déclaration et la vérification répond à la question suivante : Pouvez-vous mesurer et quantifier la quantité de CO2 qui a été captée et stockée en permanence? La déclarez‑vous ouvertement pour que les gens de l’extérieur puissent voir si quelqu’un achète le crédit? De plus, cela peut-il être validé?
Pour assurer cette transparence, il y a des organismes indépendants. M. Halfyard et moi-même avons parlé d’Isometric. Isometric est une instance ou un organisme indépendant qui crée des méthodologies qui sont comme des recettes pour déterminer ce qui doit être mesuré, quelles équations et quels protocoles doivent être utilisés, puis comment déclarer tout cela d’une façon sur laquelle tout le monde peut s’entendre. Il est très important d’établir des protocoles clairs de mesure, de déclaration et de vérification.
Il y a une autre étape, qui est importante pour nous, et c’est la surveillance plus générale pour déterminer ce qui se passe une fois que nous avons libéré le bicarbonate dans l’océan afin de nous assurer qu’il demeure stable et que nous ne percevons pas de problèmes, écologiques ou autres.
Il y a d’autres entreprises, mais Isometric est la principale entreprise que nous connaissons dans le domaine de la MDV.
Le sénateur C. Deacon : L’autre mot que vous avez utilisé et qui serait utile dans une telle description, sans rapport avec les deux autres entreprises ici présentes, c’est « biocharbon ».
Mme Gilbert : Monsieur Halfyard, vous avez parlé du biocharbon. Voudriez-vous répondre à cette question?
M. Halfyard : Bien sûr. Je vous avoue toutefois que je ne suis pas un expert en biocharbon. Je m’y connais plutôt en poisson.
Pour ce qui est du biocharbon, je crois comprendre qu’il s’agit essentiellement de brûler des matières organiques en l’absence d’oxygène. C’est l’une des nombreuses méthodes d’élimination durable du dioxyde de carbone. Ce biocharbon est ensuite répandu sur les sols où il séquestre le carbone. Il ne s’agit pas d’une méthode d’EDC en milieu océanique ou aquatique.
Le sénateur C. Deacon : Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire, monsieur Halfyard, en ce qui concerne les détails, simplement pour que notre nouveau groupe ait l’impression d’en apprendre autant que ce que nous avons déjà appris l’automne dernier grâce à un grand nombre d’entre vous?
M. Halfyard : J’ai de la chance que Mme Gilbert et M. Kelland aient fait un excellent travail pour ce qui est du contexte général.
Le sénateur C. Deacon : Merci.
Le sénateur Ravalia : Merci à nos témoins. C’est un plaisir de vous revoir.
Lorsque nous avons rencontré les représentants de Ressources naturelles Canada, ils ont laissé entendre qu’ils évaluaient essentiellement l’état de préparation technologique à l’EDC à 4 ou 5 sur 10. Ils ont alors expliqué que le Canada en était encore à l’étape de la recherche et des projets à petite échelle. Pouvez‑vous faire le point sur cette évaluation particulière de leur part? Y a-t-il eu des progrès importants au cours des neuf derniers mois, depuis notre dernière rencontre? Monsieur Kelland, nous allons commencer par vous.
M. Kelland : Avec plaisir.
M. Halfyard a parlé du niveau de maturité technologique, ou NMT; c’est l’un des sigles qui ont été utilisés. Rapidement, comme vous le dites, il s’agit d’une échelle de 1 à 10. En général, on utilise plutôt une échelle de 1 à 9, où 1 correspond à « j’ai une excellente idée » et 10 à un déploiement commercial à grande échelle qui a été éprouvé à maintes reprises.
Le NMT est difficile, parce qu’il s’agit d’une échelle de 1 à 9 qui englobe un large éventail de technologies. Je trouve toujours difficile de nous situer à l’intérieur d’un de ces niveaux.
Mais je pense qu’une cote de 4 ou 5 n’est probablement pas fondée sur l’état actuel des connaissances scientifiques. En toute justice, la science évolue incroyablement rapidement. Le nombre d’articles qui portent sur l’augmentation de l’alcalinité des océans dans les revues à comité de lecture a doublé chaque année depuis 2020, et il est en voie de le faire de nouveau. Il s’agit là d’une croissance énorme du bagage de connaissances, qui est en grande partie dirigée ici au Canada. C’est assez fascinant à observer.
Le NMT 9 est habituellement défini comme un niveau de déploiement commercial qui correspond à la façon dont vous avez l’intention d’exploiter éventuellement votre technologie. Ce n’est pas un prototype ou un environnement hors norme ni rien de cela. Ce n’est pas un essai en laboratoire; c’est une application dans la vraie vie, et c’est une application commerciale comme vous l’entendez.
De ce point de vue, j’évaluerais la technologie de Planetary, et M. Halfyard a dit la même chose, au moins au NMT 9.
Deux processus pourraient être améliorés afin de réaliser le plein potentiel de cette technologie. À l’heure actuelle, il existe un processus dit de MRV, pour mesure, rapport et vérification. Notre estimation des émissions de carbone est délibérément prudente : une certaine part du carbone n’est pas prise en compte. Nous sous-estimons volontairement les quantités sujettes à crédits, de sorte que nos calculs demeurent prudents et que nous sommes toujours certains que le nombre de crédits octroyés est inférieur au nombre véritable. C’est là une bonne façon de procéder.
Le perfectionnement des outils de MRV nous permettra d’apporter des améliorations à ce chapitre et de créer de meilleures occasions d’affaires. Nous tirerons plus de valeur de chaque activité que nous menons.
Le deuxième élément à considérer en fait d’amélioration est notre expansion continue. Au fur et à mesure que nous renforçons ces technologies, différents types de possibilités s’ouvrent. Si vous avez, par exemple, une installation Planetary juste à côté d’une installation CarbonRun, interagissent-elles? Suffisent-elles à la tâche? Ce sont des choses sur lesquelles nous devons nous pencher et qui ne sont pas examinées à l’heure actuelle.
Ces éléments constituent des progrès à venir, mais dans le contexte de systèmes indépendants, je dirais qu’ils se situent environ au niveau 9 sur l’échelle de maturité technologique. Je suis donc d’accord avec Eddie à ce sujet.
Mme Gilbert : C’était là une excellente réponse, mais à Phathom, nous faisons les choses un peu différemment. Dans deux mois, nous aurons bouclé la première étape de notre financement. Avec cet argent, nous avons l’intention de passer du niveau 6 au niveau 8 sur l’échelle de préparation technologique, et ce, au cours des deux prochaines années, en comptant une étape entre les deux. Comme l’a affirmé Mike, nous progressons très rapidement. Nous disposons de suffisamment de fonds pour cela. Nous travaillons avec des organismes indépendants comme le Centre des sciences de la mer Huntsman, au Nouveau-Brunswick. Le développement de cette technologie avance beaucoup plus vite que ne circulent les nouvelles à son sujet.
Le sénateur Ravalia : Dans le même ordre d’idées, j’aimerais soulever un autre point. Nous avons surtout parlé des méthodes géochimiques dans ce comité. Certaines administrations tablent sur des méthodes biologiques, comme la culture de microalgues, la fertilisation des océans et la restauration du carbone bleu. Pourriez-vous nous dire comment ces processus pourraient s’associer à vos activités? Nous pourrions commencer par M. Halfyard.
M. Halfyard : Bien sûr.
Je dirais que, de façon générale, nous vivons une période passionnante, au cours de laquelle les entreprises — sans égard aux méthodes technologiques qui les caractérisent — sont prêtes à travailler ensemble, car elles partagent l’objectif commun de la lutte contre les changements climatiques. Au sein de la communauté de l’EDC, il ne fait aucun doute que le Canada est en passe de devenir un chef de file.
Il y a énormément de collaboration entre nos entreprises, ce qui nous permet de partager nos connaissances et de nous renforcer mutuellement. Il faut éliminer une quantité importante de dioxyde de carbone rapidement et nous avons tous un rôle à jouer. Il est important de rechercher des occasions de collaboration dans le domaine de l’EDC, qu’il s’agisse de méthodes biologiques, géochimiques ou autres. Outre la technologie, il y a les infrastructures autour des chaînes d’approvisionnement logistiques qui fournissent les produits nécessaires au travail à exécuter. Cela pourrait créer des possibilités de collaboration et des économies d’échelle.
Les possibilités sont nombreuses. C’est un domaine en émergence.
M. Kelland : Je suis tout à fait d’accord avec M. Halfyard. Il y a un grand nombre de moyens d’étendre notre capacité générale d’élimination du carbone à diverses approches.
Le principal défi tient au fait que, dans l’espace océanique, on a tendance à mettre toutes ces technologies dans le même lot. C’est difficile, car l’essence du discours de M. Halfyard correspond tout à fait à l’esprit de l’industrie de l’EDC, où l’on voit beaucoup de collaboration, tout comme des possibilités de chevauchement. En règle générale, cependant, on reconnaît certaines catégories dans le domaine, comme le captage direct de l’air, ou CDA, l’altération avancée des roches, l’amélioration de la gestion forestière et, enfin, l’élimination du dioxyde de carbone marin. La catégorie de l’élimination du dioxyde de carbone marin comprend un ensemble de technologies aussi différentes que le CDA par rapport à la foresterie améliorée. Dans ce même contexte, nous ne nous posons pas la question à savoir comment le CDA interagit avec l’amélioration de la foresterie. Cette question n’est pas posée, et pourtant, on la pose dans le monde maritime.
C’est un défi, pas que nous ne devrions pas trouver des façons de collaborer ou de partager des connaissances — comme l’a exprimé M. Halfyard, c’est bien le cas —, mais ces technologies diffèrent grandement quant à leur impact sur l’écosystème, quant à leur capacité à causer des d’effets incontrôlés et même quant à leur élimination du carbone, selon leur niveau de maturité technologique et les risques pour l’environnement.
Le danger, en mettant toutes ces technologies dans le même lot, est d’en arriver au plus petit dénominateur commun. On prend par exemple l’alcalinisation artificielle des océans, qui a le potentiel d’éliminer jusqu’à 100 gigatonnes de carbone par an si on la déploie sur tout l’océan, et on la compare à une technique comme la fertilisation des océans par le fer, dont le potentiel est de l’ordre de 1 gigatonne, puis on conclut que l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin est risquée, alors que le dernier cause la prolifération incontrôlée d’algues et que le premier a un impact à peu près nul sur l’écosystème. On les regroupe quand même et on arrive au plus petit dénominateur commun.
Il faut absolument étudier ces technologies de façon indépendante. Il faut examiner les processus, les possibilités et les risques propres à chacune. Lorsque nous les mettons toutes dans le même lot, cela pose problème.
Le sénateur Ravalia : Bon point. Merci.
Le sénateur Dhillon : Merci à vous tous d’être ici aujourd’hui.
Même si ma barbe grise n’évoque aucunement la nouveauté, je suis nouveau ici. J’ai lu la documentation. Dans l’ensemble, tout me semble logique, mais certains concepts me sont étrangers.
Permettez-moi d’en venir à la question, ou plutôt, au travail que vous nous demandez de faire quant à la réglementation et qui vous faciliterait la tâche à l’international. En quoi cela vous aiderait-il? Qu’arriverait-il en l’absence de réglementation? En quoi cette lacune vous affecte-t-elle? Vous pouvez peut-être commencer, monsieur Kelland.
M. Kelland : Oui, avec plaisir.
Dans une certaine mesure, cela nous ramène à l’importance de l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin, ou EDCm.
L’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin, qui est au cœur de notre travail à tous, est abordée dans un seul contexte en matière de réglementation : je prends un navire, je vais dans l’océan et j’exerce mes activités dans l’océan. C’est ce que couvre la réglementation, généralement. On parle très peu, dans la réglementation, de nos activités réelles, qui ont lieu à l’intérieur d’un territoire national, pour ensuite produire un effet sur les eaux côtières locales à partir d’un espace à l’intérieur des terres.
Les traités internationaux sur certaines pratiques, comme l’immersion de déchets en mer, sont vagues et restrictifs. Ils doivent l’être, car il n’y a pas de forces policières ou réglementaires pour surveiller tout l’océan. Par conséquent, ces pratiques doivent être — et je suis d’accord avec le fait qu’elles le soient — assez restrictives dans leur fonctionnement.
Par ailleurs, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’une installation de traitement des eaux usées, qui s’apparente beaucoup plus à nos activités, elle est de compétence nationale. Le Canada ne s’en remettra pas à la communauté internationale pour la réglementation du traitement des eaux usées sur son territoire. Cela n’aurait aucun sens. Pourtant, cela s’apparente de près à notre secteur d’activité.
Le droit canadien, la Loi sur les pêches, les règlements provinciaux sur la délivrance de permis, de même que les permis en vertu desquels nous exerçons actuellement nos activités — tout cela existe déjà, il n’y a rien de nouveau — couvrent exactement ce que nous faisons. Pourtant, sur le plan réglementaire international, lorsqu’on demande si l’on devrait intégrer l’amélioration de l’alcalinité des océans ou une autre technologie au marché du carbone, on est systématiquement renvoyé à la réglementation internationale sur l’immersion de déchets en mer. C’est le seul endroit où il en est question.
Nous avons l’impression d’être laissés pour compte. Comme nos processus ne sont pas exécutés sur la terre ferme, on nous répond simplement : « D’accord, mettez votre technologie sur un marché réglementaire ou quelque chose du genre. » Nos processus ne se déroulent pas dans l’océan, océan qui fait l’objet de traités internationaux et d’accords sur l’immersion de déchets en mer.
Aux États-Unis, l’Environmental Protection Agency, ou EPA, a publié une déclaration. Tout ce que nous voulons, c’est un site Web. Ce n’est vraiment pas compliqué, un simple site Web qui indiquerait que si le cadre réglementaire actuel sur les eaux usées et autres enjeux similaires est respecté. Il n’y aurait qu’à envoyer un mémorandum. Dites-nous ce que vous faites et vous pouvez procéder.
Cette simple transparence existe déjà au Canada, par ailleurs. Nous exerçons déjà nos activités en vertu de ces permis. Environnement et Changement climatique Canada se présente à notre site de façon aléatoire, prend un seau de l’eau avec laquelle nous travaillons et la teste pour s’assurer qu’elle n’est pas apte à tuer des poissons, etc. Nos activités sont déjà encadrées. Ce que nous voulons, c’est une déclaration qui précise cet encadrement. Ensuite, nous pourrons poursuivre la conversation, sans la nécessité d’un vague préambule. C’est tout. C’est incroyablement simple.
Un exemple très clair de cela, c’est que le Conseil du Trésor travaille actuellement à une demande de propositions pour l’achat de dispositifs d’élimination du carbone pour le compte du gouvernement fédéral canadien. Les unités de carbone éliminées qui sont achetées dans le cadre de cette DP seraient versées au Fonds pour les combustibles propres et réduiraient considérablement le coût des objectifs de décarbonation émanant de la stratégie d’écologisation du gouvernement avec le Fonds pour les combustibles propres. C’est un test.
L’absence problématique de déclaration claire pourrait exclure certaines voies d’approvisionnement. Pourtant, ces voies ont permis l’obtention de crédits carbone parmi les plus élevés. En fait, elles ont permis d’inscrire plus de crédits au registre que deux des voies approuvées au Canada ne l’ont jamais fait. Ce sont ces voies plus matures, qui fonctionnent aujourd’hui, que le gouvernement pourrait exclure arbitrairement parce que les organismes de réglementation n’ont pas établi avec certitude leur validité.
Le sénateur Dhillon : Fantastique, merci. Les autres témoins ont-ils quelque chose à ajouter?
Mme Gilbert : Non, c’était une excellente réponse.
M. Halfyard : M. Kelland a encore une fois fait un excellent travail.
Une bonne part de cette clarté tient au fait que les règlements en vigueur actuellement, qu’il s’agisse de protéger la qualité de l’eau ou l’habitat du poisson, ont été conçus avant même l’implantation du concept d’élimination du dioxyde de carbone et avant que toutes ces possibilités existent.
Je préconise une chose simple : la recontextualisation ou le réexamen de notre entière réglementation et de nos instances de délivrance de permis. En ce qui nous concerne, nous traitons avec des organismes de réglementation municipaux, provinciaux et fédéraux ainsi qu’avec plusieurs ministères.
Il faut comprendre que l’alcanisation des océans n’était pas même envisagée au moment où l’immersion de déchets en mer a été réglementée. Les deux choses sont très différentes. Dans les deux cas, il nous faut une réglementation très stricte, mais il faut comprendre qu’il s’agit de processus fondamentalement différents, qui comportent également des avantages différents. Il est important d’en tenir compte.
De plus, il serait génial de rationaliser le nombre de ministères et de règlements, ainsi que d’avoir une source unique pour les entreprises, en particulier les nouvelles entreprises qui entrent dans ce secteur, pour qu’elles sachent comment s’y retrouver.
Pour ceux d’entre nous qui travaillent depuis plusieurs années, il a fallu mettre du temps pour comprendre à qui s’adresser et, très franchement, pour trouver les personnes qui ont l’envergure et la compétence pour juger de ce que nous faisons. Il serait bien qu’elles comprennent que l’EDC est nouvelle. Une source unique pour la réglementation canadienne serait également appréciable.
Mme Gilbert : C’était un excellent ajout.
J’ai quelques points à faire valoir. Premièrement, lorsque nous discutons avec des investisseurs dans le cadre de collectes de fonds, la principale question qu’ils soulèvent est celle de possibles obstacles réglementaires et nous ne pouvons pas leur répondre clairement et rapidement. C’est en partie le même problème que celui que M. Halfyard a relevé : nombre d’organismes gouvernementaux pourraient dire « non », et on ne sait pas trop qui détient l’autorité de dire « oui ». Nous devons savoir d’où viendra ce « oui » et connaître les informations qui doivent être fournies à cet organisme. Cela nous aiderait à recueillir des fonds et à éclaircir les choses pour aller de l’avant.
Je tiens également à mentionner que notre entreprise est beaucoup plus jeune que CarbonRun ou Planetary. Nous avons un point de vue différent parce que nous sommes en apprentissage rapide. Pour nous, c’est un enjeu de chemin critique.
Le sénateur Dhillon : Je vous remercie de votre témoignage et je vous remercie du travail que vous faites, il est impressionnant.
Monsieur Kelland, vous avez dit que le coût allait augmenter et que les gens achetaient des crédits dès maintenant. Comment cela pourrait-il devenir plus cher, à part le fait que tout finit par coûter plus cher? Y a-t-il d’autres facteurs susceptibles de faire augmenter les coûts?
Je vous pose la question de la façon suivante : si un plus grand nombre d’entreprises se joignent à nous dans ce domaine et que la technologie en vient à occuper une plus grande place, est-ce que cela ne ferait pas baisser les prix?
M. Kelland : C’est une question complexe. Nous sommes en train d’organiser un tour de financement, alors on me pose souvent cette question. Je vais tenter de vous donner la réponse la plus succincte possible.
Le sénateur Dhillon : Je voulais justement poser des questions simples aujourd’hui.
M. Kelland : Non, c’est une bonne question.
En ce qui a trait à l’ampleur nécessaire de l’élimination du carbone... De façon générale, l’élimination du carbone peut faire deux choses. La première est qu’elle peut gérer les émissions que nous ne pourrions pas réduire autrement. L’élimination permanente du carbone est très importante, car elle s’étend sur toute la durée de vie du CO2 dans l’atmosphère, comparativement à la plantation d’arbres, dont la période de stockage est plus courte. Ces trois processus stockent le carbone à l’échelle du temps géologique. C’est comme si on le remettait sous terre. Ces processus équivalent à une émission au bout du compte.
Lorsqu’une émission ne peut pas être réduite, on peut la déduire. En fin de compte, il s’agit du « net » dans l’expression « net zero » — c’est-à-dire la carboneutralité.
Pour revenir en arrière, il n’y a rien de tel qu’une émission impossible à réduire. Toutes les émissions peuvent être réduites. C’est simplement que les compromis nécessaires pour réduire certaines émissions sont extrêmes. Dans certains cas, les coûts ont été établis et ils sont clairs. Par exemple, le carburant d’aviation durable nous coûte, en moyenne, environ 850 $ par tonne de CO2, ce qui est cher.
Une autre façon d’envisager les émissions impossibles à réduire est que l’élimination du dioxyde de carbone peut établir ce qu’on appelle un prix cible de décarbonation. On peut déterminer que le prix de l’élimination du carbone sera de 500 $ la tonne. Qu’est-ce que cela fait? Cela permet à l’économie mondiale d’économiser 1000 milliards de dollars par année à l’atteinte de la carboneutralité. Ce n’est pas mal. Si l’on décrétait que l’élimination du carbone coûtait 300 $ la tonne, nous récupérerions 3 000 milliards de dollars par année à l’atteinte de la carboneutralité.
Il est possible de tracer cette limite, qui permet aux gouvernements, aux entreprises et au monde en général de fixer un prix plafond sur la décarbonation de notre économie et du monde.
La deuxième chose que l’élimination du carbone peut faire — et qu’elle est la seule à pouvoir faire — est d’éliminer les émissions du passé. Nos modèles climatiques exigent le retrait de mille milliards de tonnes de dioxyde de carbone de l’atmosphère d’ici 2100. Cela s’ajoute à l’atteinte de la carboneutralité. C’est la ligne de la feuille de calcul qui vient équilibrer toutes les équations. Nos objectifs ne seront pas atteints? Il s’agit d’ajouter l’élimination du carbone et de voir si cela nous permet d’y arriver, puis nous l’y inscrivons.
Nous ignorons ce genre de chose, mais mille milliards de tonnes, c’est la même masse que toute chose vivante sur Terre. Ce n’est pas un petit nombre.
Si nous devions cibler ne serait-ce que deux degrés Celsius, les possibilités d’élimination du carbone au cours des 75 prochaines années seraient pratiquement illimitées. Le volet demande de l’équation, à mesure que les marchés s’installent et que les entreprises comprennent le caractère virtuellement illimité de ce marché, signifie que les entreprises tournées vers l’avenir peuvent décider d’acheter maintenant par souci d’économie, car la demande dépassera l’offre, et ce, même si c’est coûteux aujourd’hui, vu l’immaturité et la nouveauté de la technologie. Il est impossible que l’offre suive la demande à moyen et à long terme.
Là où nous voulons en arriver avec les marchés de conformité et l’accès à des marchés réglementés, c’est de commencer à fixer un prix plafond pour la décarbonation et de faire comprendre au gouvernement fédéral que s’il veut décarboner l’Aviation royale canadienne, par exemple, il faut qu’il ajoute ces technologies à son arsenal. Il faut non seulement qu’il achète du carburant d’aviation durable — il n’y en aura jamais assez pour décarboner le domaine de l’aviation —, mais aussi des crédits carbone. Il faut miser sur l’expansion de cette industrie pour qu’elle continue à augmenter son offre de services, ce qui permettrait au gouvernement du Canada d’économiser des milliards de dollars en privilégiant des stratégies de décarbonation pour des organismes comme l’Aviation royale canadienne.
C’est ce qui propulsera le marché d’un point de vue macroéconomique au cours des 10, 15 ou 25 prochaines années, jusqu’en 2100.
Le sénateur Dhillon : Merci. Cela a été très utile.
Le sénateur Surette : Je suis moi aussi nouveau ici. Je dois me mettre au niveau. C’est un domaine complexe.
Ma première question est simple, du moins je le crois. Vous avez parlé d’une relation ou d’un partenariat — je ne sais plus quel mot vous avez utilisé — avec le milieu universitaire, principalement l’Université Dalhousie. Je pense que vous avez travaillé avec l’Université Memorial et d’autres, mais peut-être pas.
En ce qui concerne l’Université Dalhousie, pouvez-vous expliquer cette relation et le type de recherche que cette dernière mène avec vous? Est-elle liée à la technologie ou à d’autres aspects de vos activités?
M. Kelland : Je suis heureux d’en parler, et d’autres intervenants comme M. Halfyard ont probablement de bonnes réponses à cette question également. J’ai l’avantage d’être ici en personne, alors je pense que je reçois la plupart des questions, mais j’aimerais m’assurer qu’il leur reste du temps.
Brièvement, il y a quelques années, le gouvernement du Canada a financé une initiative appelée Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada et a accordé à l’Université Dalhousie une subvention qui, une fois complétée à parts égales par d’autres fonds, atteignait environ les 400 millions de dollars, pour travailler sur le lien océan-climat. Cette somme a été bonifiée grâce à des fonds de recherche que nous avons recueillis — fonds motivés par un intérêt pour notre travail — d’organisations comme la Carbon to Sea Initiative, la ClimateWorks Foundation et d’autres encore.
À l’heure actuelle, environ 450 millions de dollars sont consacrés à la recherche dans ce domaine au Canada. Il s’agit d’une association d’universités, mais une bonne partie du travail est réalisé à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Cette recherche influence notre travail et vice versa.
Les chercheurs se penchent sur trois principaux domaines, qui portent tous sur l’aspect océanique du processus, plutôt que sur la finalité du processus, si l’on veut, c’est-à-dire sa capacité à restaurer la chimie des océans. C’est ce que nous faisons. Les chercheurs font beaucoup de travail dans l’océan.
Ils se penchent notamment sur les impacts biologiques dans tout le réseau trophique. Dès les premiers travaux que nous avons réalisés, il a été démontré que l’alcalinisation de l’eau n’avait aucun impact sur la reproduction et la croissance des algues et du phytoplancton ni sur leur mortalité ou leur capacité à synthétiser les nutriments.
Nous réalisons actuellement des études sur les huîtres, au cours desquelles nous leur mettons des capteurs et de petits yeux bizarres — même s’ils ne sont pas scientifiquement nécessaires. On peut voir quand ils sont ouverts ou fermés. Quand ils sont ouverts et qu’elles se nourrissent, cela veut dire qu’elles sont heureuses et que l’eau est de bonne qualité. Lorsqu’elles sont fermées, cela signifie habituellement que la qualité de l’eau laisse à désirer. Nous faisons ce genre de recherche biologique sur divers organismes dans différentes zones benthiques.
Il se fait beaucoup de recherche sur l’océanographie physique. Les mouvements de l’océan ont d’importantes répercussions sur la façon dont nous mesurons le carbone. Nous avons mis des capteurs dans tout le port de Halifax, et nous examinons les paramètres de la chimie des carbonates dans l’eau qui se déverse de notre site et se propage autour.
Cela permettra d’améliorer la capacité de générer encore plus de crédits pour chaque activité, du point de vue du MRV — mesure, rapport et vérification. À partir de cela, on fait de la modélisation. Il y a des modélisateurs de calibre mondial à l’Université Dalhousie, comme le groupe de Katja Fennel, qui fait de la modélisation océanique de calibre mondial à partir de ces données, ce qui nous permet de générer de plus en plus de crédits. Enfin, nous étudions l’océanographie chimique dans ce même contexte.
Voilà la relation que nous avons avec l’Université Dalhousie et notre façon de collaborer avec elle. L’équipe universitaire est complètement indépendante, nous ne la finançons pas. Cette association est très avantageuse, car l’équipe de chercheurs est digne de confiance, tant sur le terrain que dans ses études. Si je peux me permettre de les vanter, je crois que leur travail de pionnier permet au Canada de progresser vers un statut de chef de file, et d’une façon bien moins risquée que le reste du monde ne le croit.
En ce qui a trait à RNCan et à l’échelle des niveaux de maturité technologique, j’encourage RNCan à retenir les services de l’Université Dalhousie comme vérificateur indépendant et à se mettre au niveau dans le domaine. Si nous pouvions établir des liens, le Canada pourrait devenir le chef de file de ces technologies, mettre en place des programmes de conformité et garantir sa place dans le peloton de tête, car notre leadership universitaire est très avancé dans ce domaine.
Le sénateur Surette : J’ignore si nos deux autres témoins veulent émettre des observations avant que je passe à ma prochaine question.
Mme Gilbert : Je tiens à ajouter qu’il ne s’agit pas seulement du groupe de Katja Fennel. Nous travaillons avec le département de génie civil et Adam Yang. Nous travaillons avec deux chercheurs postdoctoraux pour modéliser les bassins. Nous étudierons l’océanographie chimique et ils nous aideront à concevoir notre système de dispersion. Ce projet va bien au-delà de groupes spécialisés dans les océans.
Nous travaillons également avec l’Université Concordia au développement de l’anhydrase carbonique. Nous avons des chercheurs là-bas. Nous utilisons leur laboratoire. Il y a d’excellentes possibilités non seulement à Halifax, mais ailleurs aussi.
Nous obtenons du financement de la Colombie-Britannique, par l’entremise de NorthEx Environment, qui fait la promotion de la recherche-développement pour ces technologies. L’intérêt est manifeste partout au Canada, pas seulement à l’Université Dalhousie, mais le soutien universitaire nous est essentiel.
M. Halfyard : En ce qui concerne Halifax et Dalhousie, j’ai un parti pris, parce que notre cofondateur était et est toujours professeur là-bas, et parce que j’y ai fait mes études de doctorat. Je suis tout à fait d’accord avec les possibilités qui s’offrent à l’Université Dalhousie dans la région grâce à son excellente capacité, compte tenu de certains grands programmes qui y sont dirigés, et M. Kelland a fait un excellent travail pour présenter ces possibilités.
Je suis également d’accord avec Mme Gilbert sur le fait qu’il y a beaucoup d’autres instituts universitaires au pays qui possèdent une expertise énorme sur divers éléments, que ce soit en matière de matériaux et de technologie ou sur les océans.
À mon avis, à mesure que nous développons nos technologies à plus grande échelle, le facteur le plus important est la licence sociale pour exercer nos activités, et cela vient de la confiance du public. Il n’y a pas de meilleure façon d’établir cette confiance qu’au moyen de travaux scientifiques indépendants et évalués par des pairs.
De toute évidence, nous sommes tous passionnés par le climat. Je peux parler pour nous trois. Je sais pertinemment que nous et nos équipes œuvrons dans ce domaine pour les bonnes raisons. Mais, au bout du compte, nous représentons une entreprise à but lucratif et la perception de partialité sera toujours présente. La participation de chercheurs indépendants est essentielle, même primordiale. Ce qui est heureux, c’est que ces chercheurs peuvent explorer des domaines sans lien direct avec l’application à un domaine d’affaires rentable.
Pour nous, l’exploration de ces autres éléments marginaux ou accessoires est très importante, mais il peut nous être difficile de justifier des dépenses en recherche et développement. C’est souvent de là que surgissent des éléments essentiels.
Enfin, j’aimerais mentionner certains de nos autres instituts universitaires, comme les écoles techniques ici en Nouvelle‑Écosse. Je songe notamment au Nova Scotia Community College, qui possède un important secteur des technologies océaniques. Ces établissements ont contribué au déploiement d’autres entreprises de technologies océaniques dans la région et ont développé une formidable économie dans ce secteur ici au Canada. Ils ont énormément d’expertise.
Bien que la science et la sécurité des écosystèmes soient importantes, nous devons aussi, en fin de compte — comme l’a dit M. Kelland — voir à ce que le travail se fasse, en tirant parti des occasions qui se présentent et de la capacité qu’elles apportent, sans parler de la main-d’œuvre qu’elles génèrent. Tout cela est important.
Le sénateur Surette : J’aimerais revenir sur ce qui a été dit au sujet de la confiance et de l’avancement des projets. Dans bien des cas, nous parlons à des personnes en chair et en os ici, dans les localités côtières, et je viens d’un petit village de pêcheurs.
Vous avez parlé de partenariats et de relations avec les communautés autochtones et rurales, etc. Je n’ai pas entendu le mot « pêcheurs ». Quand je regarde tout ça, en essayant de faire avancer des projets de la sorte dans les océans — surtout, mais les rivières aussi —, je remarque que les pêcheurs vont être un élément important.
Quel genre de travail faites-vous pour diffuser ces informations parmi les pêcheurs et quel type de consultations menez-vous auprès d’eux?
M. Kelland : Je vais demander à M. Halfyard de commencer, puis je serai heureux d’intervenir.
M. Halfyard : Cela me convient. Merci.
Pour mettre les choses en contexte, je dis que je suis d’abord pêcheur et ensuite scientifique. Pour moi, la pêche à la ligne est la raison pour laquelle je suis devenu scientifique et que je me suis lancé dans tout cela. Il faut savoir qu’au Canada, l’alcalinité a été ajoutée à l’eau douce pendant longtemps pour améliorer la qualité de l’eau et rétablir les pêches.
Pour CarbonRun, notre approche de travail dans les rivières découle de l’idée que nous devons améliorer la qualité de l’eau si nous voulons avoir des pêches durables à l’avenir.
Une grande partie de notre engagement a été auprès d’organisations de pêche à la ligne et, à l’occasion, des groupes commerciaux. L’élément intéressant — voire redondant pour bon nombre d’entre nous —, c’est que même si nous restons les bras croisés comme si de rien n’était sans que nos entreprises se consacrent à l’élimination du dioxyde de carbone, nous demeurons conscients des énormes quantités de CO2 que nous rejetons dans l’atmosphère et qui vont polluer et acidifier l’océan. En l’absence de toute intervention, nous assistons à une diminution du niveau de référence et à une détérioration des conditions, ce qui compromet les pêches dans un avenir réel et avec un degré de certitude assez élevé. Ce dont il est question ici, c’est d’une tentative pour commencer à ralentir un tant soit peu la dégradation de nos systèmes naturels. Si nous arrivons à nous engager dans le domaine de la restauration des océans, notre industrie sera énorme et pourra capter une énorme quantité de carbone.
Cela semble faire l’affaire de tous les pêcheurs à qui nous parlons, à tous les pêcheurs récréatifs, ainsi qu’aux pêcheurs à des fins alimentaires, sociales et rituelles, et certainement aux pêcheurs commerciaux. C’est une conversation qui se poursuit. Ce ne sera jamais complet. Étant donné que nous sommes une industrie naissante, il reste encore énormément de travail à faire.
Les pêcheurs côtiers sont probablement les groupes les plus pertinents à qui parler parce qu’ils le voient de leurs propres yeux, et c’est là que nos technologies auront la plus grande incidence. Il existe de nombreuses preuves que l’acidification des eaux a une incidence sur les océans et leurs pêches, ce qui rend la conversation relativement facile dans bien des cas.
Le sénateur Surette : Merci.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins de leurs excellents témoignages.
Allons-y pour la Nouvelle-Écosse.
J’aimerais approfondir un peu cette question, car c’est très instructif pour moi. Je suis un nouveau sénateur au sein de ce comité, et le sénateur Deacon, qui est aussi membre de mon groupe, est un défenseur incroyable. C’est tout à fait logique. J’entends dire que vous voulez de la certitude, tout comme les investisseurs. Vous devez faire face à des lois et règlements municipaux, provinciaux et fédéraux, et vous voulez qu’il suffise d’une seule approbation par projet. C’est tout à fait logique.
Je viens d’une communauté autochtone. J’ai déjà été chef de l’une d’elles en Nouvelle-Écosse, la Nation des Mi’kmac de Paqtnkek, et plus tard, au niveau national, un chef régional. Je connais bien la politique en Nouvelle-Écosse du point de vue des Premières Nations. Comme vous le savez, il y a des questions qui font l’objet de discussions et des problèmes qui surviennent parmi les groupes autochtones, non seulement en Nouvelle-Écosse, mais à l’échelle nationale.
Il y a des approches, par exemple, en Nouvelle-Écosse lorsque nous parlons de législation et de ses répercussions potentielles sur les droits des Autochtones. Je préconise toujours que les gens utilisent ces processus pour créer un dialogue parce que je vois beaucoup de complémentarité — je pense à des concepts mi’kmaq comme Netukulimk, qui parle d’intendance. Je vois simplement une très bonne synergie en ce qui concerne les peuples autochtones et ce type de technologie.
Je veux que vos rêves, vos espoirs soient le plus harmonieux possible. Pour ce faire, il faut notamment communiquer avec les groupes et organisations autochtones et avoir des discussions avec eux.
J’aimerais savoir comment vous abordez vos partenariats avec les groupes autochtones. Veuillez commencer par là. N’importe lequel d’entre vous peut répondre. Merci.
M. Kelland : Je me ferai un plaisir d’en parler. Je suis tout à fait d’accord. La façon dont nous voyons ces partenariats, c’est qu’en travaillant ensemble, cela accélère notre travail. Vous l’avez très bien dit : si nous voulons réussir, nous devons le faire correctement. Au bout du compte, il n’y a pas d’autre solution.
Nous suivons un processus — c’est notre façon à nous d’évaluer notre propre succès en matière de mobilisation —, un éventail qui va de l’information sur nos activités à la responsabilisation des gens pour qu’ils fassent partie de ces activités. Il y a diverses étapes d’établissement de la confiance à ne pas négliger.
À l’heure actuelle, dans le cadre de notre projet d’Halifax, nous en sommes à ce que nous appelons « l’étape de la participation ». Nous faisons participer tout le monde. Je dirais que les choses vont incroyablement bien. Nous entretenons des relations très étroites avec la Confederacy of Mainland Mi’kmaq, qui a visité notre site. Nous avons eu divers entretiens, sans parler du très grand honneur de nous permettre de présenter le projet au conseil des chefs de la région mi’kmaq. Nous avons fait appel à des personnes autochtones pour nous aider dans le cadre de cet engagement afin de pouvoir établir un lien approprié entre nous-mêmes et ces communautés. Cela aussi va incroyablement bien.
Nous avons tenu un événement il y a deux ou trois semaines pour célébrer ce coup d’envoi. Nous y avons accueilli des représentants de Nova Scotia Power, des universitaires de Dalhousie et des membres des communautés mi’kmaq, sur les terres desquelles nous travaillions. C’était incroyable de réunir ce groupe diversifié pour parler de ces projets et de la façon dont ils s’engagent, dans le contexte d’un bon déjeuner social également. C’est absolument essentiel, et nous sommes d’accord.
Un aspect que nous voudrions atteindre, c’est l’autonomisation, ce qui signifie pour moi que nous pourrons avoir des investissements autochtones dans nos projets et une propriété partagée. Nous espérons y arriver d’ici un an ou deux.
Le sénateur Prosper : Je vous en remercie.
M. Halfyard : Oui, je suis d’accord. C’est une excellente question, sénateur Prosper.
À CarbonRun, nous parlons souvent de mobilisation précoce et fréquente. Pour nous, il s’agit d’un prolongement des relations que nous avons depuis longtemps et de l’établissement de nouvelles relations. Cela prend du temps. C’est un processus lent. Il faut que ce soit authentique. J’ai entendu dire que cette conversation devrait se poursuivre au fil d’une centaine de rencontres pour prendre le thé. Il ne faut pas précipiter les choses en fonction des échéanciers de l’entreprise ou du projet. Nous prenons cette partie au sérieux. Nous ne voulons pas précipiter les choses.
Le savoir autochtone et les voix autochtones sont essentiels à cet égard, surtout pour nous qui travaillons sur des rivières à CarbonRun. Les rivières sont tellement interreliées dans l’histoire complète des Premières Nations en général, certainement des Mi’kmaq. La connaissance des rivières et de leur fonctionnement peut améliorer le projet lorsque nous travaillons ensemble.
Il est également important que ces voix soient représentées afin que les projets se déroulent le mieux possible pour tout le monde. Notre premier projet, qui a vu le jour l’automne dernier, s’est déroulé dans le comté de Pictou, en Nouvelle-Écosse. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la cheffe Young et son conseil de la Première Nation de Pictou Landing, et nous continuons à nous engager afin de comprendre comment obtenir un meilleur projet, mieux faire pour cette communauté et mettre en place des mesures à long terme, c’est-à-dire de quoi lutter contre le changement climatique.
Enfin, je vais faire écho à ce que Mike Kelland a mentionné au sujet des possibilités de projets pouvant rapporter aux Autochtones, où la copropriété et le codéveloppement sont des objectifs que nous visons. C’est certainement une vision que nous avons depuis le début. Pour être honnête, on ne sait pas trop encore à quoi cela peut ressembler dans ce marché encore très incertain et émergent. Mais je pense que c’est quelque chose que nous devrions tous vouloir pour de nombreuses raisons.
C’est une occasion en or. J’ai hâte de voir les progrès positifs qui ont été réalisés à ce jour dans l’ensemble de l’industrie de l’élimination du dioxyde de carbone — dirais-je —, et certainement dans l’industrie canadienne, en ce qui concerne les possibilités continues qui peuvent s’offrir aux communautés autochtones.
Le président : Merci, monsieur Halfyard.
La sénatrice Greenwood : Bonjour. Je suis la sénatrice la plus récente et la plus temporaire. En écoutant tous vos exposés, j’étais curieuse de savoir ce qui se passait sur la côte de la Colombie-Britannique, dans l’Arctique et dans la baie d’Hudson. Ce sont de grandes étendues d’eau. En ce qui a trait à ce genre de travail — parce que vous avez tous les trois parlé principalement de la côte Est —, pouvez-vous me dire s’il y a de telles initiatives dans ces régions?
M. Kelland : Je peux parler de notre processus particulier. Il est difficile pour moi de parler au nom de qui que ce soit d’autre, évidemment, alors je ne parlerai qu’en notre nom.
Chez Planetary, nous avons un système d’économie circulaire. Nous commençons par les coproduits ou sous-produits émanant de diverses industries. Nous les nettoyons et extrayons un antiacide pur essentiellement pour l’océan. C’est ainsi que notre processus fonctionne. Nous avions envisagé un projet à Vancouver. Nous avons établi un partenariat avec Metro Vancouver, qui a été financé par le CICE, un organisme de financement des technologies propres en Colombie-Britannique. Nous avons travaillé fort sur ce projet et avons connu beaucoup de succès. Cependant, en fin de compte, nous n’avons pas trouvé dans la région une source industrielle d’alcalinité qui aurait fonctionné pour notre procédé.
C’était malheureux, parce que nous avons établi de très bonnes collaborations. Nous avons bien collaboré avec les communautés autochtones locales de la région. Nous faisions d’excellentes recherches scientifiques sur les océans. L’Université de la Colombie-Britannique et Ocean Networks Canada ont collaboré avec des scientifiques incroyables et le travail qu’ils faisaient là‑bas. Pourtant, au bout du compte, pour nous, les éléments nécessaires à la création d’un projet viable dans cette région n’étaient pas là en raison du manque d’industries à notre disposition.
Nous espérons y retourner, mais pour l’instant, nous n’avons pas de projet qui fonctionnerait là-bas.
La sénatrice Greenwood : Merci.
Le président : Madame Gilbert, voulez-vous répondre?
Mme Gilbert : Oui, ce serait formidable.
À pHathom, nous commençons par des projets pilotes en Nouvelle-Écosse, parce que c’est très près de l’endroit où se fait notre développement. L’idée, c’est qu’après le déploiement de notre premier projet pilote, qui aura lieu à la fin de 2027, nous voulons entamer des projets pilotes subséquents.
M. Kelland a mentionné le financement du CICE, qui a été rebaptisé NorthX. Nous travaillons avec le financement de NorthX, qui provient de la Colombie-Britannique. L’une des exigences ou des suggestions importantes consiste à travailler en Colombie-Britannique. Nous sommes activement à la recherche de partenaires dans le domaine de la biomasse, parce que nous prenons du gaz de combustion issu de centrales électriques ou de chaudières alimentées à la biomasse. C’est ce que nous capturons et convertissons. Nous cherchons activement des partenaires de la biomasse en Colombie-Britannique et nous aimerions travailler là-bas par la suite.
Le président : Monsieur Halfyard, voulez-vous répondre?
M. Halfyard : C’est une excellente question. Je vais me faire l’écho de bon nombre des commentaires précédents.
Dans le contexte de CarbonRun, nous disons que nous écoutons la rivière pour savoir si elle convient à nos sites. « À l’écoute de la rivière », selon nous, signifie que nous effectuons une évaluation scientifique pour voir si l’eau a la bonne composition chimique pour le captage de carbone. Ce ne sont pas toutes les rivières qui conviennent à ce que nous faisons. De même, dans l’océan, toutes les parties de l’océan ne sont pas les mêmes et elles ne sont pas toutes propices au travail. Il faut tenir compte de l’écosystème et de la biologie. Sont-ils bien adaptés?
Il y a aussi un contexte social. Les riverains veulent-ils que ce genre de chose se produise? Tout cela détermine notre choix de site. Nous avons travaillé avec l’Université McGill et mené des analyses sur 400 000 rivières à travers le monde, cernant ainsi 7 points chauds. Cependant, la côte Ouest est effectivement une région qui nous convient — pas toutes les rivières, mais plusieurs. Il y aurait des avantages écologiques et biologiques à travailler là-bas.
Pour revenir à ce que disait M. Kelland tout à l’heure, une fois que nous savons qu’un site pourrait s’y prêter, ou qu’une rivière ou un océan est bien adapté et que les gens le veulent bien, nous devons nous mettre à l’œuvre. La logistique de la chaîne d’approvisionnement n’est pas négligeable. Nous devons obtenir les matériaux qu’il nous faut, car nous utilisons tous diverses formes de matières premières. Dans le cas de CarbonRun, c’est du calcaire naturel de type agricole que nous raffinons davantage et transformons en particules plus petites afin qu’elles se dissolvent rapidement. Pour nous, cela signifie que travailler dans un endroit comme le Grand Nord où l’infrastructure routière laisse à désirer — et nous ne voudrions pas qu’une grande infrastructure routière y soit construite — n’est pas techniquement faisable en ce moment.
Un dernier point important que j’aimerais souligner, c’est que dans le secteur de l’élimination du carbone, nous devons tenir compte de notre évaluation du cycle de vie. Quelle quantité de carbone est émise pour que nous puissions faire le travail? Qu’il s’agisse de créer des structures en acier ou des conteneurs que nous utilisons pour permettre à nos équipes d’aller prélever des échantillons de la composition chimique de l’eau, ou encore d’extraire les matières premières du sol ou de déchets, puis de les raffiner et de nous les apporter à notre porte. Toute la comptabilisation du carbone qui entre dans le projet est prélevée sur ce que nous produisons en réalité. C’est l’avantage net pour le climat qui compte vraiment.
Il est essentiel de travailler dans des domaines liés à l’énergie propre à mesure que nous progressons. Nous continuons de préconiser l’énergie propre et l’écologisation de nos réseaux lorsque nous pensons à l’électricité qui va entrer dans nos processus.
La sénatrice Greenwood : La question est brève, et je pense que vous y avez déjà répondu en partie.
Je suis curieuse de savoir comment les peuples autochtones — vous avez tous parlé des peuples autochtones — orientent le travail. C’est une chose que de s’associer à un projet, sur le plan des affaires, mais comment les connaissances autochtones influencent-elles ce que vous faites? C’est peut-être par l’entremise de l’université; je n’en suis pas certaine. Pouvez‑vous nous dire ce qu’il en est?
M. Kelland : Nous cherchons activement à intégrer une approche où ce sont nos deux visions qui comptent, et cela devient une partie plus importante du travail que nous faisons à mesure que nous continuons de bâtir la confiance dans cette relation.
Aujourd’hui, lorsque je parle aux gens du travail que nous faisons, je reprends en fait les enseignements que j’ai reçus de Ken Paul et de Dorene Bernard. Ken vient du Nouveau‑Brunswick, et Dorene est gardienne de l’eau et aînée à Shubenacadie, la localité dans laquelle nous travaillons. C’est donc directement là où nous sommes. À mon avis, les connaissances autochtones me permettent de mieux comprendre les procédés et processus que nous suivons.
Nous travaillons de plus en plus pour améliorer cette relation et intégrer ces connaissances à notre manière de mener les activités scientifiques et les projets. C’est un processus qui devra se poursuivre avec le temps.
La sénatrice Greenwood : Les autres témoins ont-ils quelque chose à ajouter?
Mme Gilbert : Nous en sommes aux toutes premières étapes de la collaboration avec des groupes comme ceux-ci, mais avec les pêches, les collectivités et les Premières Nations, nous menons actuellement une campagne d’écoute. Nous leur posons des questions : quelles sont leurs préoccupations? Comment aimeraient-ils participer? Nous n’en sommes qu’aux premières étapes, et il faudra encore des années avant la mise en œuvre d’un projet pilote. Nous apprenons au fur et à mesure.
M. Halfyard : Je félicite Mme Gilbert de ce commentaire. L’approche précoce est souvent la meilleure. Il arrive souvent que nous ne sachions pas exactement comment cela fonctionne et comment les connaissances traditionnelles ou autochtones peuvent être intégrées à ce que nous faisons. Ce processus de découverte et cette relation sont importants.
Pour nous, les choses se sont déroulées tout simplement lorsqu’il a fallu choisir le site, déterminer l’endroit où nous voulions réellement travailler et l’empreinte que cela laisserait. En somme, tout ce que cela signifie, pas seulement à partir d’une utilisation historique ou moderne du paysage qui l’entoure et de l’incidence que cela pourrait avoir sur les gens, mais aussi en comprenant le contexte historique de ce qui s’est passé à cet endroit. La situation a-t-elle changé au fil du temps? Les anguilles d’Amérique, par exemple, sont une espèce emblématique ici sur la côte est. Historiquement, les anguilles étaient peut-être présentes dans telle ou telle zone, mais elles ne le sont plus. Pourquoi? Cela peut nous aider à comprendre les tendances récentes de la chimie de l’eau. Nous pouvons ensuite modifier et adapter nos modèles expérimentaux et notre surveillance en fonction de ces connaissances de base et accélérer ainsi notre compréhension des lieux.
La sénatrice Poirier : Je suis nouvelle à ce comité. J’y ai siégé pendant de nombreuses années, mais j’ai été absente pendant un certain temps. C’est un peu une leçon d’histoire pour nous aujourd’hui, pour ceux d’entre nous qui viennent de se joindre au comité. Merci.
Je vais revenir à certaines des observations préliminaires que j’ai entendues lorsque vous avez prononcé votre discours, monsieur Kelland. J’espère que je n’ai pas mal compris. Si c’est le cas, je m’en excuse.
D’après ce que je comprends, il semble y avoir des règlements internationaux utiles. Vous faites de l’excellent travail, mais vous pourriez mieux faire d’après vous si certains règlements pouvaient être mis en place sur le terrain. Je suppose que ces discussions ont eu lieu avec le gouvernement et que les règlements que vous recherchez ne sont pas là à l’heure actuelle.
S’ils n’y sont pas, le gouvernement est-il enclin à mettre ces règlements en place ou à travailler avec vous à leur mise en place de manière à faciliter le travail pour vous tous? Je vais en rester là et voir si j’ai bien compris. Merci.
M. Kelland : Je pourrais peut-être apporter quelques précisions. En fait, nous n’avons pas besoin de nouveaux règlements. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il existe aujourd’hui tous les cadres réglementaires nécessaires pour nous y prendre de façon responsable, sécuritaire et à grande échelle. Il s’agit de la Loi sur les pêches et des règlements environnementaux qui s’appliquent à l’ensemble du pays. Ils sont en grande partie provinciaux, mais aussi fédéraux.
Le problème, ce n’est pas que ces règlements n’existent pas. M. Halfyard l’a mentionné plus tôt : c’est le fait que notre domaine de travail est relativement nouveau. Nous sommes des pionniers et des chefs de file mondiaux pour ce qui est du travail que nous faisons ici. Or, même si ces règlements sont parfaitement pertinents et suffisants pour chaque activité que nous menons, ils ne décrivent nullement le but de ces activités, d’où notre incertitude. Nous nous demandons constamment si nous pouvons faire ceci ou cela, utiliser ceci ou cela, si c’est correct ou pas.
Je dirais donc qu’il n’y a pas de lacune du point de vue réglementaire. Essentiellement, il faut que tout le monde soit sur la même longueur d’onde par rapport à ce que nous faisons déjà. Notre usine est exploitée depuis 2023 à Halifax en vertu de ce règlement. Elle a ses permis. Les agents de réglementation se présentent et vérifient notre conformité réglementaire. Nous entretenons de très solides relations avec l’équipe des grands dossiers industriels, ou LIFT, en Nouvelle-Écosse, dont Mme Gilbert a parlé. Nous sommes donc bons du point de vue de la réglementation.
L’ennui, c’est que lorsqu’on parle d’un programme de conformité ou d’achat, il y a beaucoup d’incertitude, surtout dans les conversations gouvernementales et internationales. Tout ce que nous voulons, c’est une simple déclaration selon laquelle ce que nous faisons aujourd’hui en vertu de la réglementation actuelle est satisfaisant. C’est ainsi qu’il faut procéder.
La sénatrice Poirier : Est-on ouvert à cela?
M. Kelland : Je pense qu’il y a une certaine ouverture, oui. C’est quelque chose que nous voulons continuer de promouvoir.
Comme je l’ai dit, les États-Unis l’ont fait sans tambour ni trompette. Ils se sont contentés de dire que l’élimination du dioxyde de carbone marin s’inscrivait dans le cadre actuel. C’est très simple. C’est tout ce que nous voulons. C’est quelque chose qui peut se faire très facilement.
La sénatrice Poirier : Merci.
Le sénateur C. Deacon : Je vais commencer par Mme Gilbert. Vous avez parlé de la production d’énergie à partir de la biomasse et du fait que vous travaillez avec une usine de la sorte — ou c’est ce que vous visez. L’importance des partenariats est vraiment essentielle, semble-t-il, dans chacune des applications de votre technologie. Si je prends la rivière West — l’exemple de Sheet Harbour que M. Halfyard a donné — et votre travail avec les pêcheurs de saumon de la Nouvelle-Écosse, il y a là une longue histoire. Vous pourriez nous donner un aperçu de cela et de la production d’électricité à Tufts Cove. Si vous manquez de temps, écrivez peut-être à la greffière. Je vais commencer par vous, madame Gilbert.
Mme Gilbert : Excellent. Je m’efforcerai d’être brève.
Nous avons des clients comme Google, Shopify et Stripe qui achètent les crédits. Lorsque nous travaillons avec la centrale à biomasse, nous établissons un partenariat pour extraire le CO2, qui est un déchet pour elle, générer des profits et remettre une partie de cet argent dans la centrale à biomasse. L’avantage pour la centrale électrique, c’est qu’elle augmente sa rentabilité et aide à allouer des fonds afin de pouvoir dépenser plus d’argent pour confirmer que le bois ou la biomasse qu’elle obtient provient d’une source durable. La dernière chose que nous voulons, c’est contribuer à la déforestation ou à l’abattage de nouvelles forêts. Nous générons donc des revenus qui peuvent contribuer à la longévité de la production d’électricité à partir de la biomasse et à l’approvisionnement durable en bois.
À l’heure actuelle, nous travaillons avec une petite entreprise qui s’occupe de biomasse durable, c’est-à-dire ACFOR Energy. Cependant, nous discutons avec de plus grandes entreprises de production d’électricité dans l’est du Canada et dans la région de l’Atlantique afin de les aider à améliorer leur rentabilité.
M. Halfyard : Merci de votre question, sénateur Deacon.
Vous avez tout à fait raison, une bonne partie de mon histoire personnelle et de ma compréhension de la chaux vient du secteur sans but lucratif où l’un des plus anciens groupes environnementaux en Nouvelle-Écosse, la Nova Scotia Salmon Association, qui représente les pêcheurs de truite et de saumon, a dénoncé les pluies acides comme un véritable problème dans cette province. Les conditions se détériorent, et nous perdons beaucoup de nos populations. Comme il ne se passait rien, nous étions prêts à agir. Ils se sont engagés dans un projet pilote qui a commencé en 2005 lorsqu’ils ont embauché un jeune universitaire en herbe pour faire une partie du travail de base là‑bas.
Depuis le début, la technologie vient vraiment de la Scandinavie, où le chaulage des cours d’eau est bien établi. Il y a d’énormes programmes fédéraux en place pour appuyer cela. Le rendement de l’investissement, du point de vue des pêches, est bien démontré, et il y a une quarantaine d’années d’études scientifiques évaluées par les pairs sur la sécurité et l’efficacité de ces activités.
Cependant, en Nouvelle-Écosse, après 10 ans et un million de dollars émanant de collectes, de tournois de golf de bienfaisance, de ventes de pâtisseries et d’enchères, ce projet de chaulage a coûté cher. Ils ont triplé la production de saumon sauvage de l’Atlantique et ont connu beaucoup de succès. Ils avaient cartographié, sur le plan scientifique, toutes les zones où cela était très nécessaire et aurait dû se faire déjà, mais les finances étaient limitées pour l’adoption généralisée du chaulage des rivières afin de sauver le saumon de l’Atlantique et d’approuver la pêche à l’omble de fontaine. Ici, nous pouvons tirer parti des marchés du carbone pour financer tous ces travaux de restauration essentiels.
Pour les bénévoles comme la Nova Scotia Salmon Association, le fait de les appuyer et d’appuyer leur mandat initial à cet égard aura également un effet significatif sur le climat. Nous sommes vraiment emballés.
Le sénateur C. Deacon : Vous pourriez peut-être nous envoyer des articles comme celui du New York Times qui traite de cette relation. Ce serait formidable si vous pouviez les envoyer à notre greffière.
M. Halfyard : Nous serions ravis de vous les transmettre.
Le président : Vous avez deux minutes, monsieur Kelland.
M. Kelland : Je vais tenter d’être bref. La façon dont nous aimons travailler — la meilleure qui fonctionne pour nous —, c’est d’utiliser le plus d’infrastructures existantes possible. Cela réduit non seulement les coûts, mais aussi l’empreinte carbone de notre processus et nous permet d’agir rapidement. Nova Scotia Power a été un hôte incroyable pour le projet. Nous sommes en mesure d’utiliser l’eau de refroidissement qu’ils pompent dans la centrale pour mener à bien une partie fondamentale de notre projet. Ils le font de toute façon, toute la journée, tous les jours.
Du point de vue de la Nova Scotia Power, il est impossible à l’heure actuelle de décarboner complètement la Nouvelle-Écosse sans éteindre les lumières. Contrairement à une région comme l’Alberta, nous ne pouvons pas enfouir le carbone sous terre; la géologie néo-écossaise ne s’y prête pas. Cela signifie que, si nous voulons que les lumières restent allumées en Nouvelle‑Écosse, nous devons trouver d’autres moyens de réduire l’empreinte carbone de la production d’électricité dans cette province. Cette technologie, de même que toutes les autres, sont tout à fait adaptées à ces fins.
Je vais encore une fois insister sur l’accès au marché pour la conformité, car cela permettrait à la Nova Scotia Power d’utiliser les crédits que nous générons afin d’atteindre ses objectifs de décarbonation.
Le président : Merci. Nous y arrivons tout juste. Je tiens à remercier nos témoins de ce matin pour cette discussion très instructive et nos sénateurs d’avoir participé. Nous continuerons mardi après la semaine de relâche et nous verrons ce que nous ferons ensuite.
(La séance est levée.)