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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 21 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 18 h 36 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, et afin d’en faire rapport, la séquestration du carbone océanique et son utilisation au Canada.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. Je m’appelle Fabian Manning, sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai le plaisir de présider la réunion ce soir.

Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment liées à l’interprétation, veuillez m’en faire part ou en informer la greffière, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

Avant de commencer, j’aimerais prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter.

Le sénateur Dhillon : Bonsoir. Je m’appelle Baltej Dhillon, et je viens de la Colombie-Britannique.

Le sénateur C. Deacon : Je m’appelle Colin Deacon, et je viens de la Nouvelle-Écosse. Je suis heureux de votre présence parmi nous.

[Français]

La sénatrice Poirier : Bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Greenwood : Bonsoir. Je m’appelle Margo Greenwood, et je viens de la Colombie-Britannique. Je remplace le sénateur Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire Mi’kma’ki.

Le sénateur Surette : Allister Surette, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

Le sénateur Boudreau : Bonsoir. Victor Boudreau, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

Le président : Merci, sénateurs.

Le 8 octobre 2025, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a été autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la séquestration du carbone océanique et son utilisation au Canada.

Aujourd’hui, en vertu de ce mandat, le comité entendra Mme Helen Gurney-Smith, chercheuse scientifique à Pêches et Océans Canada, autrement dit au MPO, et responsable du MPO au sein de la Communauté de pratique canadienne sur l’acidification des océans.

Au nom des membres du comité, je vous remercie de vous joindre à nous par vidéoconférence aujourd’hui. Je crois comprendre que vous avez des observations préliminaires à formuler. Je suis certain qu’ensuite, les membres du comité auront des questions à vous poser.

Madame Gurney-Smith, vous avez la parole.

Helen Gurney-Smith, chercheuse scientifique, Pêches et Océans Canada, Communauté de pratique canadienne sur l’acidification des océans : Je vous remercie. Bonsoir, monsieur le président et honorables sénateurs. Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Avant de commencer, je tiens à préciser que je vous appelle depuis le territoire non cédé et non abandonné de la Nation Peskotomuhkati à Saint Andrews, au Nouveau-Brunswick.

Les océans jouent un rôle essentiel dans le maintien du climat mondial en absorbant le dioxyde de carbone atmosphérique. Cependant, la quantité et le taux d’émissions de dioxyde de carbone dues à l’activité humaine font que les océans deviennent plus acides, car cet excès de dioxyde de carbone continue de se dissoudre dans l’eau de mer, d’où une acidification des océans.

En tant qu’auteure principale du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, pour le dernier cycle d’évaluation, une de mes tâches consistait à vérifier les preuves scientifiques des répercussions du changement climatique sur les écosystèmes marins et les services écosystémiques, et à voir comment différentes options d’adaptation et d’atténuation pourraient être utilisées.

L’acidification des océans et d’autres facteurs de stress climatiques, comme le réchauffement climatique, entraînent une redistribution et une modification de la productivité des stocks halieutiques, ce qui influe sur l’approvisionnement alimentaire et les moyens de subsistance partout dans le monde. Les mollusques et les crustacés sont considérés comme particulièrement vulnérables à l’acidification des océans.

L’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin, également appelée EDCm, est un domaine en pleine évolution, et les données scientifiques sur les impacts de ces nouvelles technologies sur les écosystèmes marins sont très incertaines à ce stade. La majorité des recherches portent sur l’efficacité des technologies plutôt que sur les conséquences biologiques pour les écosystèmes. Jusqu’ici, la science se concentre sur des études à court terme, à l’échelle de la recherche et non cumulatives, sur la base de la chaîne alimentaire, comme le phytoplancton, plutôt que sur les espèces de poissons ou de mollusques et de crustacés que nous pêchons ou élevons. Les écosystèmes marins canadiens sont complexes et variés, et l’efficacité de l’EDCm variera dans les océans canadiens.

Cependant, on sait que certains agents d’alcalinité libèrent dans l’eau de mer des métaux lourds à l’état de trace qui pourraient ensuite se bioaccumuler dans la chaîne alimentaire et poser des problèmes de salubrité des aliments. Certaines données laissent supposer que les agents d’alcalinité peuvent se déposer et empêcher des animaux comme les palourdes de s’enfouir dans les sédiments, par exemple. On ne sait donc pas actuellement quelles seront les conséquences de l’EDCm pour l’accès aux pêches et leur productivité, pour les écosystèmes sensibles et pour le fonctionnement des aires marines protégées.

La communauté scientifique internationale s’emploie à combler ces lacunes dans les connaissances. Elle comprend le Conseil international pour l’exploration de la mer et les travaux connexes auxquels participent d’autres scientifiques, dont moi, et des auteurs autochtones et pêcheurs, mais nous ne sommes pas encore parvenus à un consensus scientifique.

Il est également nécessaire de mener une réflexion approfondie sur l’analyse du cycle de vie de ces interventions climatiques, afin de garantir une réduction nette du carbone. La source des agents d’alcalinité, l’empreinte carbone générée par le processus et la rentabilité à grande échelle sont autant de facteurs qui doivent être pris en considération.

On ne connaît pas encore tous les effets que cela aura sur la vie dans les océans, sur l’alimentation à laquelle nous avons accès et sur les emplois des pêcheurs commerciaux et de subsistance, par exemple, qui occupent depuis longtemps les espaces qui seraient également utilisés par les opérations d’EDCm. La mise en œuvre de mesures climatiques qui auraient des conséquences négatives pour des industries existantes, comme la pêche, serait inadaptée. Les prises de homards se chiffraient à elles seules à 1,8 milliard de dollars en 2023 et elles font vivre bien des collectivités et des économies rurales.

Bien qu’il n’existe pas de cadre réglementaire particulier pour les technologies de gestion du carbone au Canada, des lois pertinentes, comme la Loi sur les pêches, la Loi sur les océans, la Loi sur les espèces en péril et la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999, peuvent s’appliquer en fonction de la nature et du lieu de l’activité.

Les politiques canadiennes en matière de gestion du carbone aquatique évoluent. Pêches et Océans Canada, le MPO, travaille en collaboration avec des partenaires fédéraux tels que Ressources naturelles Canada, ou RNCan, et Environnement et Changement climatique Canada, ou ECCC, pour évaluer les incidences écologiques, coordonner les avis scientifiques et étudier les options pour un cadre réglementaire national qui soutienne une innovation responsable.

Si la société a indéniablement besoin de mesures d’atténuation des changements climatiques, la mise en œuvre de nouvelles initiatives climatiques relatives aux océans sans les connaissances nécessaires risque de nuire à long terme aux écosystèmes et aux populations. Nous devons envisager l’EDCm de pair avec les droits des peuples autochtones et des autres collectivités côtières qui dépendent des océans pour des raisons sociales, culturelles ou économiques. Il convient d’engager dès le début un dialogue ouvert avec les peuples autochtones et les parties prenantes, y compris les membres des industries de la pêche et de l’aquaculture. Un dialogue solide et confiant sera essentiel pour tout développement responsable de l’EDCm.

En réalité, l’EDCm ne suffira pas à elle seule à enrayer l’accélération des changements climatiques. Elle ne sera littéralement qu’une goutte d’eau dans l’océan si elle ne s’accompagne pas d’une réduction massive et durable des émissions de gaz à effet de serre.

Nous devons lever ces incertitudes scientifiques afin de déterminer comment l’EDCm peut être développée de manière responsable. Je vous remercie.

Le président : Merci, madame Gurney-Smith. Notre vice-présidente, la sénatrice Busson, posera les premières questions.

La sénatrice Busson : Je vous remercie des données que vous avez présentées. De toute évidence, vous faites preuve d’une grande prudence et appelez à la précaution par rapport à cette technologie essentiellement nouvelle. Pouvez-vous nous dire où se situe le Canada par rapport à d’autres pays dans le développement et la recherche sur l’EDCm? Pouvez-vous nous donner une idée d’où nous nous situons par rapport à d’autres pays, peut-être à certains pays scandinaves? Je crois que c’est là que cela se passe.

Mme Gurney-Smith : Le Canada semble très actif dans ce domaine, en particulier dans la région atlantique. Quelques projets pilotes sur l’EDCm sont en préparation.

En ce qui concerne l’Europe et d’autres régions de ce type, quelques essais sont menés au Royaume-Uni. Il y en a également aux États-Unis, mais beaucoup de pays de l’Union européenne se montrent plus prudents dans leur approche. Ils ont défini des principes pour un développement responsable de l’EDCm. Je serai ravie de communiquer ce document au comité, si cela vous intéresse.

La sénatrice Busson : Du point de vue de la technologie et de la recherche, diriez-vous que nous sommes des novices dans ce type de recherche, ou sommes-nous considérés comme des experts, ou peut-être entre les deux?

Mme Gurney-Smith : L’EDCm est un domaine de recherche tout à fait récent. Le fait qu’il n’en ait guère été question pendant le dernier cycle d’évaluation du GIEC est révélateur à cet égard. Ces technologies existent depuis cinq ans peut-être. Les données dont la communauté scientifique dispose actuellement à leur sujet concernent majoritairement leur efficacité, plutôt que leurs impacts biologiques.

Les données sur les impacts biologiques commencent à arriver. Ces technologies suscitent beaucoup d’intérêt. Il est entendu que nous devons connaître les impacts sur les écosystèmes. Je dirai que le Canada est au même niveau que d’autres pays. Malheureusement, nous n’en sommes pas encore au point de parvenir à un consensus scientifique qui nous permettrait d’être plus arrêtés sur ces sujets. Nous avons besoin de plus de recherches dans des domaines clés, comme la production de poissons, de mollusques et de crustacés.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup pour votre réponse.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de votre présence, madame Gurney-Smith. Nous consacrons la majeure partie de notre temps non pas à la question plus vaste de l’EDCm, mais à l’augmentation de l’alcalinité des océans, notamment terrestre et fluviale. Je tenais simplement à le préciser.

En ce qui concerne vos préoccupations, examinons les travaux menés sur les rivières à saumon en Nouvelle-Écosse et, comme l’a dit la sénatrice Busson, en Scandinavie depuis une vingtaine d’années. Il existe de nombreuses données probantes sur les populations de poissons et sur les effets bénéfiques pour les rivières. S’agit-il de quelque chose que vous examinez dans vos travaux? C’est ma première question.

Mme Gurney-Smith : Personnellement, je n’ai pas examiné cet aspect, non. Il y a beaucoup d’études sur les milieux d’eau douce et les rivières à saumon, comme vous le mentionnez, mais elles ne s’appliquent peut-être pas directement à l’environnement marin. Nous avons encore besoin d’études sur l’environnement marin pour savoir si les effets seront les mêmes pour les différentes populations de poissons.

Le sénateur C. Deacon : Très bien. Je souhaitais simplement savoir si vous aviez examiné cet aspect.

En ce qui concerne l’augmentation terrestre de l’alcalinité des océans — et c’est sur ce point que nous nous concentrons —, des études ont été menées sur le plancton et pas au-delà, est-ce exact?

Mme Gurney-Smith : Oui, la plupart des publications portent sur le plancton, et il se peut que d’autres secteurs — je pense aux centrales électriques — pompent de l’eau de mer. Différents jeunes poissons et le zooplancton risquent d’être entraînés, s’ils sont aspirés dans le processus.

Le sénateur C. Deacon : En ce qui concerne la géo‑ingénierie à laquelle sont actuellement soumis nos océans à cause de l’excès de carbone rejeté dans l’atmosphère à un rythme toujours croissant, vous soulignez à juste titre la nécessité de réduire les émissions et pas seulement de les éliminer. L’élimination ne résoudra pas le problème à elle seule. Quels effets voyez-vous sur les mollusques et crustacés? Les pêcheurs de homard me disent que les homards se déplacent progressivement vers le nord. Ils se dirigent tous vers Terre-Neuve, je suppose, car ils ont entendu dire que c’est un endroit magnifique au-delà du Cap-Breton.

Je crois savoir que la température de l’eau dans l’Atlantique Nord augmente plus rapidement au fond de l’océan qu’à la surface. J’ai vu des rapports récents à ce sujet. L’acidification est très nocive, comme vous le dites, pour les mollusques et crustacés. Nous avons en ce moment même un gros problème dû à notre géo-ingénierie involontaire.

Comment trouver un compromis entre les autres moyens que nous devons étudier, à une échelle de plus en plus grande, pour inverser cette tendance? Comment envisagez-vous ce compromis? Oui, nous avons constamment besoin de plus de recherche. Cela ne fait aucun doute, mais cette recherche doit être menée à une échelle de plus en plus grande pour vraiment comprendre ce qui se passe.

Mme Gurney-Smith : Oui. En général, on applique le principe de précaution, on examine les choses à petite échelle pour voir s’il y a un impact. Alors, évidemment, on ne va pas plus loin, ou on essaie de revoir les technologies ou les différents agents utilisés avant de passer à l’échelle supérieure. Nous constatons notamment que l’acidification des océans peut influer sur des étapes particulières du cycle de vie de certaines espèces. Différentes industries, comme l’industrie conchylicole, par exemple, tamponnent l’eau de mer dans les écloseries pour réduire certains des effets de l’acidification précoce des océans, car c’est le stade juvénile précoce qui est le plus sensible.

Même si nous arrêtions les émissions de gaz à effet de serre maintenant, l’acidification des océans se poursuivrait encore pendant longtemps. Nous devons envisager plusieurs options à la fois, et il serait certainement judicieux de se concentrer en priorité sur les espèces et les écosystèmes que nous considérons comme particulièrement sensibles.

Le sénateur C. Deacon : Puis-je vous demander une précision? Je voudrais savoir ce que vous pensez de la recherche et la mise à l’échelle de la technologie menées ensemble. Pour avoir commercialisé des technologies, je sais qu’il est très important de mener les deux de front, car des problèmes différents apparaissent à différents stades quand on mobilise la technologie. Je veux être certain de bien comprendre : je vous ai entendu dire que vous estimez qu’il faut d’abord mener la recherche, puis la mettre à l’échelle. Je pense, cependant, qu’il s’agit de quelque chose que l’on mène toujours en parallèle.

Mme Gurney-Smith : Le gouvernement du Canada applique généralement un principe de précaution dans ces choses. Les développements relatifs aux cadres de recherche et aux questions liées à l’EDCm portent d’abord sur une mise en œuvre à très petite échelle, sur les leçons à en tirer, puis on revient éventuellement en arrière et on passe aux étapes suivantes.

Je pense que le fait de mener les deux de front, alors que nous ne connaissons pas les risques d’une mise en œuvre à grande échelle, pourrait avoir des répercussions à long terme sur la région où se ferait la mise en œuvre. Du point de vue du principe de précaution, je ne pense pas que nous soyons encore prêts à accélérer le processus et à passer à grande échelle.

Le sénateur C. Deacon : Je pense qu’aucun de nous ne parle encore de grande échelle, mais pouvez-vous citer un exemple où vous avez participé à un processus de ce type afin que nous puissions l’examiner?

Mme Gurney-Smith : Bien sûr. Je suis liée au Conseil international pour l’exploration de la mer, le CIEM. Notre groupe représente différents scientifiques gouvernementaux, des universitaires, des pêcheurs et des groupes autochtones. Nous nous sommes réunis pour essayer de trouver un consensus et de créer des outils sur les impacts biologiques et leur surveillance. Pour l’instant, nombre des outils déjà créés ou à un stade de développement avancé concernent la surveillance, le signalement et la vérification, et non l’aspect environnemental. Notre groupe est sur le point de se transformer en groupe de travail officiel. En attendant, nous allons rédiger quelques articles qui, nous l’espérons, seront publiés début 2026.

Nous invitons également des personnes extérieures à notre groupe à proposer des articles sur les thèmes de la série spéciale.

Le sénateur Boudreau : Bonsoir, madame Gurney-Smith. Je vous remercie d’être des nôtres. Comme je l’ai mentionné dans les présentations, je représente le Nouveau-Brunswick. Je sais que la pêche commerciale est évidemment très importante pour notre province. Vous avez mentionné certains problèmes ou préoccupations à propos de la pêche. Qu’il s’agisse de la pêche au homard, dont il a été question, de l’ostréiculture ou de l’élevage du saumon, toutes ces activités se déroulent le long de notre littoral, comme dans d’autres provinces.

Dans le cadre de votre travail et de vos recherches avec Pêches et Océans Canada, y a-t-il eu des consultations officielles avec des associations ou des syndicats de pêcheurs, des éleveurs de saumon ou des ostréiculteurs? Y a-t-il eu des consultations en bonne et due forme et, dans l’affirmative, que pouvez-vous nous en dire?

Mme Gurney-Smith : Comme l’EDCm est une toute nouvelle industrie qui n’en est qu’à ses tout débuts, il n’y a pas eu de processus officiel de consultation des parties prenantes et des peuples autochtones. Cependant, le MPO reconnaît qu’il est crucial de consulter sans tarder ces groupes à un moment où ce secteur commence à évoluer.

Le sénateur Boudreau : En quelques mots, j’ajouterai que, d’après mon expérience, en particulier avec les syndicats et les associations de pêcheurs de la province, plus tôt vous les faites participer à des consultations, mieux c’est. Est-il prévu de les inclure de manière plus formelle dans la planification du projet et le suivi à long terme à mesure que ces nouvelles technologies évoluent?

Mme Gurney-Smith : Je n’en sais rien, mais je peux m’informer et vous faire part de tout processus officiel prévu prochainement. Toutefois, à ma connaissance, il n’y en a pas. Il est certain que les groupes autochtones et les pêcheurs ont une grande connaissance des écosystèmes dans lesquels ils travaillent et vivent. Il serait bon de les faire participer, non seulement pour leurs points de vue, mais aussi parce qu’ils sont détenteurs d’un savoir maritime.

Le sénateur Boudreau : Je vous serai reconnaissant de bien vouloir faire ce suivi pour nous. Merci.

Mme Gurney-Smith : Oui.

Le président : Quand la sénatrice Busson vous a posé des questions, vous lui avez mentionné un document. Veuillez également le fournir au comité quand vous en aurez l’occasion. Nous vous en serions reconnaissants.

Mme Gurney-Smith : Tout à fait, je le ferai.

Le sénateur Dhillon : Merci, madame Gurney-Smith, de votre présence ce soir. Je suis nouveau à ce comité. J’apprends donc au fur et à mesure. Pouvez-vous expliquer, madame Gurney-Smith, en termes simples, en quoi votre travail sur l’acidification des océans recoupe des processus d’EDCm tels que l’augmentation de l’alcalinité des océans?

Mme Gurney-Smith : Le travail sur l’acidification des océans repose entièrement sur le carbone océanique. En l’absence des spécialistes de l’EDCm — comme il s’agit d’un domaine très nouveau, nous n’avons pas vraiment beaucoup de compétences sur le sujet —, c’est en réalité la communauté qui s’intéresse à l’acidification des océans qui est habituée à manipuler les paramètres de l’eau de mer, non seulement pour étudier l’acidification des océans, mais aussi, faute d’un meilleur terme, pour revenir en arrière sur le plan climatique en utilisant l’augmentation de l’alcalinité des océans pour rétablir des conditions antérieures. C’est ce type de communauté qui se rassemble pour essayer d’aider à évaluer ce que certaines de ces activités d’EDCm signifient réellement pour les espèces marines.

Le sénateur Dhillon : Merci. Par ailleurs, vous avez insisté sur la prudence dans ce travail et sur les risques qui nous attendent s’il n’est pas mené à bien ou réalisé en concertation avec d’autres. Il est urgent aussi, toutefois, de poursuivre ce travail. Y a-t-il un consensus sur l’idée qu’il faut ralentir avant d’accélérer, que nous devons comprendre tous les risques et que nous devons atteindre la perfection et mettre de côté ce qui est bon?

Mme Gurney-Smith : La prudence s’impose parce qu’il y a tellement d’inconnues. Nous devons aussi, selon moi, tenir compte de l’ampleur des mesures qui seront nécessaires. Je pense que nous reconnaissons tous qu’il est vraiment essentiel pour nous de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Pour vous donner une idée de l’ampleur dont nous parlons, le consensus actuel en matière d’élimination du dioxyde de carbone, qui est nécessaire, est d’environ 9 gigatonnes d’ici 2050 et 17 gigatonnes d’ici 2100. Les Académies nationales ont réalisé des travaux à ce sujet. Pour vous donner une idée, si vous vous lanciez dans l’aquaculture des macroalgues, pour éliminer 0,1 gigatonne de dioxyde de carbone, ce serait équivalent à une bande de 100 mètres de large s’étirant sur 63 % du littoral mondial. Et vous n’arriveriez qu’à 0,1 gigatonne. Si l’on pense à l’énergie nécessaire à certains de ces processus, comme la capture directe dans l’océan, par exemple, il faudrait 50 % de l’énergie actuelle des États-Unis pour arriver à 1 gigatonne.

Quand nous pensons à l’augmentation de l’alcalinité des océans, qui est, je pense, le sujet central ici, il existe deux façons de procéder, soit depuis la terre ferme, soit à partir de navires. Pour éliminer 1 gigatonne, il faudrait 750 navires supplémentaires en mer.

Quant à la façon dont nous pourrions passer à plus grande échelle, quelle échelle est réellement nécessaire? De nombreuses questions demeurent à ce sujet. Et l’efficacité de certaines de ces technologies...

Le sénateur Dhillon : Je vais y réfléchir un instant.

[Français]

La sénatrice Gerba : Vous avez évoqué les effets négatifs potentiels de la séquestration par alcalinisation, comme la diffusion de métaux lourds et les impacts sur les écosystèmes marins. Existe-t-il des moyens de mitiger ces effets? Quel en serait le rapport coût-bénéfice?

[Traduction]

Mme Gurney-Smith : Pour ce qui est d’atténuer ces effets, différents agents d’alcalinité peuvent avoir un potentiel différent de libération de métaux traces. Comme pour toute nouvelle technologie, le traitement pourrait se faire en différentes étapes pour atténuer certains de ces effets.

En ce qui concerne le rapport coût-bénéfice, je crains de ne pas avoir d’éléments pour le calculer.

Quant aux autres effets sur l’écosystème, il faut savoir que tous les agents d’alcalinité ne se dissolvent pas parfaitement dans l’eau de mer. Il peut arriver que beaucoup de précipités se retrouvent dans l’eau de mer. Ils peuvent ensuite se déposer dans les sédiments, et certains d’entre eux peuvent modifier le comportement d’animaux, par exemple.

[Français]

La sénatrice Gerba : Est-ce que je comprends bien que le rapport coût-bénéfice n’est pas évident?

[Traduction]

Mme Gurney-Smith : Oui. Je ne saurais pas comment l’évaluer pour le moment. Peut-être que d’autres personnes pourraient le faire. Je laisserai quelqu’un d’autre vous donner un rapport coût-bénéfice. De plus, en ce qui concerne aussi les effets à grande échelle, il serait important de prendre en considération la rentabilité de ces différentes technologies le jour où elles seront mises en œuvre à grande échelle.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci. Pourriez-vous nous donner un ordre d’idées quant au potentiel de la séquestration du carbone? J’aimerais comprendre ce que cette technologie peut apporter. Je suis nouvelle à ce comité et j’aimerais comprendre exactement les avantages de cette technologie.

[Traduction]

Mme Gurney-Smith : Je vous remercie de votre question, et je comprends que vous vouliez des précisions.

L’augmentation de l’alcalinité des océans fait partie des différentes options envisagées en matière d’EDCm. On considère en général qu’il s’agit d’une forme d’EDCm qui pourrait conduire à un stockage durable, c’est-à-dire un stockage sur des centaines de milliers d’années, ce à quoi nous devons vraiment arriver pour stocker le carbone à long terme et pour lutter contre les changements climatiques.

Si cette option suscite l’intérêt, c’est entre autres parce que notre capacité de stockage terrestre n’est pas illimitée, de sorte que l’océan est un autre endroit possible où nous pouvons procéder à l’élimination et au stockage du dioxyde de carbone. Cependant, à ce stade, comme il s’agit d’une technologie nouvelle, on ne sait pas vraiment quelle quantité peut être éliminée, quelle est la durabilité du stockage pour certaines options d’EDCm et quels sont les effets sur les écosystèmes marins. Il existe sept types de technologies d’EDCm.

Pour l’instant, s’agissant de la rentabilité, les barres d’erreur sont importantes, ce qui montre une fois de plus quelles sont les inconnues à l’heure actuelle.

On peut considérer qu’il s’agit d’une des solutions possibles pour éliminer le dioxyde de carbone. Quant à savoir si elle sera appliquée et à quelle échelle, je pense que c’est aux différents organismes de réglementation, à la société et à l’acceptation sociale d’en décider.

La sénatrice Gerba : Merci.

Le sénateur Surette : Je vous remercie de votre exposé. Je viens moi aussi d’une collectivité côtière, du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, où les prises de homards sont probablement aussi importantes que partout ailleurs au Canada. Vous avez mentionné l’impact sur les mollusques et les crustacés, et c’est intéressant. Je pense que nous comprenons tous l’effet de l’acidité dans l’océan. Ce qui semble décourageant à bien des égards, en l’occurrence — et j’aimerais avoir votre avis à ce sujet —, c’est que la technologie se développe et évolue. Nous en sommes encore à des projets à petite échelle. Nous ne connaissons pas réellement les effets sur les mollusques et les crustacés. À cela s’ajoute le rapport coût-bénéfice, que nous ne connaissons pas non plus. Comment maintenir l’intérêt et encourager à aller de l’avant? Il me semble que certains des chiffres que vous avez mentionnés plus tôt concernaient également les toutes premières étapes. Y a-t-il un espoir? Je peux comprendre lorsqu’il s’agit de rivières, de petits secteurs et sur la terre ferme, mais là, nous parlons des océans. Je me demande s’il existe même un calendrier qui dise quand nous pouvons espérer des avancées suffisantes pour qu’il y ait un effet sur les océans.

Mme Gurney-Smith : Dans tout nouveau domaine, l’investissement dans la recherche est un facteur déterminant pour stimuler les choses. Il est évident que cela contribue à combler certaines des lacunes que nous avons en matière de connaissances.

Pour ce qui est de l’urgence de mettre en place ces mesures et de la rapidité avec laquelle nous devons le faire, à mon avis, il faut établir un cadre décisionnel à plusieurs niveaux afin d’évaluer la situation au fur et à mesure, puis consulter différents groupes pour déterminer si ces mesures sont applicables à une région particulière ou non. Certaines régions auront par exemple une efficacité plus élevée en matière d’alcalinité océanique que d’autres.

Le sénateur Surette : Cela semble être un défi de taille. Je ne sais pas. Il est possible que je me trompe complètement. Ajoutez cela à ce qui a déjà été mentionné au sujet de la consultation des pêcheurs commerciaux. Nous savons déjà que, même pour l’aquaculture, les éoliennes et l’océan, si l’on ne consulte pas suffisamment tôt, on se heurte à des obstacles majeurs sur le chemin. C’est une étape supplémentaire que nous devons surmonter. Je vais essayer de garder espoir, mais j’aurai besoin d’un petit coup de pouce supplémentaire.

Le sénateur Cuzner : Nous espérions que les Jays remporteraient la victoire hier soir.

Ma question sera semblable à celle posée par le sénateur Surette. Selon le sénateur Deacon, la recherche et la mise à l’échelle devraient désormais aller de pair. Nous avons longtemps opté pour une approche de précaution dans toutes les décisions concernant les océans, et je soutiens pleinement cette approche. Je viens d’une communauté minière. Je sais que nous avons placé beaucoup d’espoirs dans le captage et le stockage du carbone sur terre. Je me souviens avoir visité le laboratoire de RNCan à Bells Corners au début des années 2000, où l’on accomplissait des travaux remarquables, mais où le défi consistait à les rendre commercialement viables. Je ne sais pas si cela a été réalisé. Ils ont indiqué que le gouvernement devait offrir des incitatifs pour encourager le passage à ce niveau supérieur de viabilité.

Ma question revient à ceci : lorsque nous examinons les océans, sommes-nous encore en train d’essayer d’établir une base de référence? Quelles sont les données scientifiques et quelles seront les répercussions de ces initiatives? Progressons‑nous parallèlement? Progressons-nous actuellement? Sommes‑nous plus proches de déterminer dans quelle mesure nous sommes plus proches de la précaution que de la progression?

Mme Gurney-Smith : Au Canada comme dans le reste du monde, nous en sommes encore au stade de la recherche. Il n’y a nulle part encore d’EDCm à grande échelle et de manière soutenue dans le monde. Nous en sommes assurément au stade de la recherche. De nombreux progrès ont été réalisés en très peu de temps. Ce domaine suscite un intérêt croissant. Étant donné que des philanthropes et des entrepreneurs externes se sont intéressés à l’efficacité de certaines de ces technologies, des progrès rapides sont indéniablement réalisés dans le domaine scientifique. Quant à savoir si quelque chose sera mis en œuvre à grande échelle ou non, cela dépasse mes compétences. C’est une décision qui revient à quelqu’un d’autre.

Le sénateur Prosper : Merci, madame Gurney-Smith, d’être parmi nous. J’ai beaucoup aimé écouter votre témoignage. C’est un nouveau domaine pour certains d’entre nous autour de cette table.

Vous dites qu’aucun cadre réglementaire particulier n’existe à cet égard, mais que plusieurs lois différentes comblent les lacunes. C’est ce que j’ai cru comprendre. Pour faire suite à ce que le sénateur Cuzner a dit, sommes-nous à un stade où il est essentiellement trop tôt pour se lancer dans l’élaboration d’un cadre réglementaire, parce que nous devons encore faire des recherches et recueillir des données pour éclairer ce cadre réglementaire? Est-ce bien là où nous en sommes? Lorsque l’on parle de ces technologies, on évoque leur efficacité, mais on n’aborde pas leurs effets biologiques. Je crois que c’est ce que vous avez mentionné. Pourriez-vous également expliquer cette différence? Merci.

Mme Gurney-Smith : Pour ce qui est de la première partie de votre question, qui concerne les cadres réglementaires, ECCC Canada, le MPO et RNCan participent tous aux discussions visant à établir des règlements sur l’EDCm. Il est important que ces règlements soient fondés sur des principes scientifiques de préservation des écosystèmes et des services écosystémiques, et Pêches et Océans Canada a évidemment des mandats à cet égard en vertu de la Loi sur les pêches, de la Loi sur les océans et de la Loi sur les espèces en péril. Il en va de même pour Environnement Canada, en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999.

Si je comprends bien, ces discussions sont en cours. Cependant, pour disposer d’exigences opérationnelles claires permettant de faire progresser de manière sûre et respectueuse de l’environnement l’élimination du dioxyde de carbone en milieu aquatique et éventuellement dans les zones extracôtières, il faut d’abord mener à bien ces travaux de développement.

La deuxième partie de la question portait sur les différentes technologies. Il existe différentes technologies et différentes évaluations de la quantité de carbone qu’elles peuvent stocker, ainsi que de leur rentabilité et d’autres aspects de ce genre. L’augmentation de l’alcalinité des océans est considérée comme l’une des technologies les plus prometteuses quant à la quantité de carbone qu’elle pourrait stocker. Cependant, il existe d’autres activités qui permettent également d’éliminer le carbone, mais qui signifient également que le carbone lui-même doit être stocké dans les profondeurs des océans. Cela fait également appel à un autre processus.

Lorsque nous envisageons globalement la manière dont ces différentes technologies peuvent être mises en œuvre, nous devons réfléchir aux multiples étapes du processus. D’où proviennent les agents alcalinisants? Quel est le risque éventuel lié à leur introduction dans l’eau? Quelle énergie est utilisée? Quel acide peut résulter des différentes formes d’augmentation de l’alcalinité? Il y a ensuite la question de l’élimination de ces produits, puis celle du stockage du carbone.

Le sénateur Prosper : Merci.

Le sénateur C. Deacon : Vous dites que vous allez commencer le processus de consultation à un moment donné. Il y a un plan ou une intention de commencer la consultation, et vous recommandez une approche de précaution. Je vais me montrer un peu critique quant à la capacité du MPO à gérer cela en temps opportun. Je me fie simplement à la réactivité que nous avons observée dans notre rapport sur l’accès aux pêches fondé sur les droits des Autochtones.

En Nouvelle-Écosse, en ce qui concerne la réactivité du MPO dans le domaine de la production d’énergie marémotrice et, bien sûr, dans notre rapport sur les phoques, l’approche prudente n’a pas été bénéfique pour les pêches ou l’écologie océanique à tous les niveaux que nous pouvons observer, en particulier en ce qui concerne les phoques. Il y a des lacunes dans les recherches qui ont été menées. En substance, aucun progrès n’a été réalisé dans un domaine très important pour la pêche dans l’Atlantique et pour les communautés autochtones.

Dans ce contexte, je souhaite vous inviter à réfléchir à l’approche prudente et à son efficacité.

Mme Gurney-Smith : Je dirais que ce genre de question ne relève pas de ma compétence de scientifique. Bon nombre de ces questions sont des questions plus larges; je laisse donc à des collègues du MPO le soin d’y répondre en ce qui concerne les plans d’engagement et la question de savoir s’il y aura une gestion des risques, ce qui, je pense, est ce que vous demandez.

Le sénateur C. Deacon : Dans notre étude sur les phoques, nous avons constaté une énorme lacune dans la recherche fondamentale sur toutes les côtes du Canada en ce qui concerne la population de phoques. Je comprends votre approche de précaution, mais au sein du comité, nous n’avons pas constaté que le MPO avait la capacité de mettre en œuvre cette approche activement et efficacement. Je souhaitais vous présenter ce défi et vous demander si vous aviez une réponse à apporter, car vous venez de dire qu’ECCC, RNCan et le MPO élaborent actuellement des règlements dans ce domaine, mais qu’il y a un manque de connaissances générales et de savoir particulier dans ce secteur à l’heure actuelle. Il y a également des domaines où les connaissances existent, mais où aucune mesure n’a été prise.

Je tente simplement de concilier ce défi.

Mme Gurney-Smith : Oui, je comprends. Ces différentes agences fédérales mènent actuellement des discussions actives sur la réglementation.

En ce qui concerne les capacités du MPO, comme celui-ci effectue une surveillance des océans, il dispose de données de référence, et il y a, par exemple, des chimistes océanographiques qui modélisent l’acidification des océans dans nos différentes régions. Nous disposons effectivement de cette capacité. Nous avons également des scientifiques spécialisés dans l’acidification des océans dont les travaux seraient pertinents dans ce domaine. Certaines personnes effectuent des évaluations de la vulnérabilité, alors que d’autres sont des modélisateurs biogéochimiques qui projettent ce que le changement signifie réellement pour les océans. Le MPO a formé un groupe de travail national sur l’EDCm, et il y a également un groupe de travail sur le carbone dans les Maritimes. Ensuite, au sein du MPO à l’échelle nationale, un groupe de travail travaille sur la chimie des océans. Nous disposons donc effectivement de certaines capacités.

En tant que scientifique, je me demande naturellement si, avec davantage de fonds consacrés à la recherche et une augmentation des effectifs, la réponse serait plus rapide. Je pense que ce serait probablement le cas dans la plupart des secteurs et des groupes. Encore une fois, il s’agit d’une décision sur laquelle je n’exerce aucune influence.

Le sénateur C. Deacon : Je pense aussi qu’il serait opportun de collaborer avec des groupes universitaires possédant une compétence reconnue dans ce domaine, et pas seulement avec les scientifiques du MPO. Est-ce que cela vous semble approprié?

Mme Gurney-Smith : Oui, je pense aussi qu’il serait opportun que la communauté scientifique dans son ensemble se mobilise. Un aspect important du MPO est qu’il fournit des avis indépendants, en dehors des institutions universitaires qui peuvent avoir des liens particuliers avec certains groupes, par exemple. Au fur et à mesure que nous avançons, il est essentiel que l’on s’appuie sur des données scientifiques solides et de grande qualité, des processus transparents et des recherches indépendantes pour établir un consensus scientifique.

Le sénateur C. Deacon : Je suis d’accord avec vous sur tous ces points. Je vous remercie.

Le président : Je tiens à remercier Mme Gurney-Smith de s’être jointe à nous ce soir pour cette discussion très instructive. Je vous prie de bien vouloir nous faire parvenir les documents que vous avez mentionnés. Si vous pouviez les transmettre au comité, nous vous en serions fort reconnaissants. Merci de votre participation.

Pour notre prochain groupe de témoins, nous entendrons Na’im Merchant, directeur général de Carbon Removal Canada, qui se joint à nous par vidéoconférence, et Diane Hoskins, directrice des politiques mondiales chez Carbon to Sea Initiative. Au nom des membres du comité, je vous remercie de vous joindre à nous ce soir. Je crois comprendre que vous avez tous deux une déclaration liminaire à faire. Je vais d’abord donner la parole à notre invité virtuel.

Monsieur Merchant, vous avez la parole.

Na’im Merchant, directeur général, Carbon Removal Canada : Bonsoir, monsieur le président et honorables sénatrices et sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invité à nouveau pour parler de l’élimination du carbone dans les océans et des possibilités qui s’offrent au Canada dans ce domaine émergent.

Carbon Removal Canada est un organisme indépendant à but non lucratif qui accélère le déploiement responsable des technologies d’élimination du carbone. Nous préconisons des politiques efficaces fondées sur des recherches rigoureuses, nous façonnons le marché émergent de l’élimination du carbone au Canada et nous dirigeons les bonnes personnes vers les informations pertinentes. Nous sommes entièrement financés par des dons philanthropiques et n’acceptons pas de fonds provenant de l’industrie. Cette indépendance nous permet d’être un intermédiaire d’informations honnête, travaillant avec les gouvernements dans tout le Canada.

Pour les sénateurs qui découvrent ce sujet, permettez-moi de préciser le contexte. L’élimination permanente du carbone consiste à retirer le dioxyde de carbone de l’atmosphère et à le stocker pendant des milliers d’années. Ces technologies s’attaquent aux émissions qui s’accumulent depuis la révolution industrielle et qui alimentent les incendies de forêt et l’acidification des océans que nous observons autour de nous.

Imaginez l’atmosphère comme une baignoire qui se remplit rapidement d’eau. Le captage du carbone dans les installations industrielles revient à fermer le robinet, empêchant ainsi de nouvelles émissions. L’élimination du carbone revient à retirer le bouchon et à vider ce qui s’y trouve déjà. Les deux sont nécessaires. Aucun des deux ne suffit à lui seul.

Cela se distingue des approches à court terme, telles que la plantation d’arbres, qui stockent le carbone pendant moins de 100 ans en moyenne. Ces méthodes ont leur place, mais pas à l’échelle nécessaire pour faire face à la crise climatique qui nous frappe.

Lors de ma dernière comparution devant ce comité, j’ai dit que l’élimination du carbone océanique représentait une occasion à ne pas manquer, une chance pour le Canada de faire preuve de leadership en matière de climat, de se démarquer à l’échelle mondiale et de créer des dizaines de milliers d’emplois. Rien de tout cela n’a changé. Ce qui a changé, c’est l’urgence.

Au cours des derniers mois, vous avez certainement entendu parler des entreprises américaines qui délocalisent leurs projets d’élimination du carbone au Canada. Réfléchissez à ce que cela signifie : malgré les droits de douane et les tensions géopolitiques, alors que les constructeurs automobiles ferment leurs usines canadiennes et délocalisent leur production vers le sud, ce secteur va dans le sens opposé. Les entreprises choisissent le Canada en dépit des difficultés. Pourquoi? Elles voient ce que je vois. Le Canada dispose d’une expertise de calibre mondial, de collectivités accueillantes et de la propriété intellectuelle qui a lancé ce domaine.

Malgré ces avantages, le Canada se trouve à la croisée des chemins. Les entreprises qui envisagent de s’y installer signalent trois obstacles récurrents. Le premier est la certitude commerciale. Il y a un décalage fondamental entre les mandats gouvernementaux d’une durée de quatre ans et les décisions d’investissement sur 10 ans prises par les entreprises. Dans le domaine de l’élimination du carbone océanique, plusieurs ministères fédéraux interviennent avant même que l’on atteigne les administrations provinciales. Les entreprises me signalent qu’elles manquent d’indications claires sur les décideurs, les autorisations nécessaires et la durée des processus.

Le deuxième obstacle concerne les voies d’innovation. Nous disposons de talents extraordinaires. Certains des meilleurs experts mondiaux en matière d’élimination du carbone océanique souhaitent travailler ici, contribuer à notre économie et aider à résoudre nos problèmes climatiques. La question est de savoir comment soutenir non seulement les projets actuels, mais aussi la prochaine génération de technologies. Comment répondre aux questions pressantes que se posent à juste titre le gouvernement et les collectivités?

Le troisième point concerne la confiance et le partenariat. Chaque secteur doit obtenir l’acceptation sociale, mais l’élimination du carbone doit la mériter chaque jour. Les collectivités doivent se sentir en sécurité et écoutées, même si elles ne comprennent pas tous les détails scientifiques. Le partenariat et la participation des peuples autochtones sont également essentiels, non pas après coup, mais dès le premier jour, comme vous l’ont expliqué les témoins.

Ce comité peut contribuer à garantir que le Canada ne perde pas son avance. Je recommande deux mesures immédiates. Premièrement, établir une feuille de route pour la recherche sous la direction du gouvernement fédéral. Nous avons souvent entendu des demandes de « recherches plus approfondies » avant de continuer, mais la définition de « plus approfondies » n’est pas toujours évidente. Quels sujets précis doivent faire l’objet de recherches? Quelles études permettraient de répondre aux questions en suspens? Quels sont les objectifs finaux?

Cette imprécision entraîne des retards perpétuels. Le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle actif en déployant ses propres chercheurs et en finançant des projets en partenariat avec le monde universitaire et l’industrie. Il doit y avoir des étapes déterminées, des échéances précises et des critères de réussite clairs, et non pas une enquête sans fin.

Deuxièmement, il faut élargir les achats liés à l’élimination du carbone. Le gouvernement fédéral s’est engagé sur cette voie avec le Programme d’approvisionnement de combustibles à faible teneur en carbone. En collaboration avec le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, nous avons obtenu un engagement initial de 10 millions de dollars pour l’achat de crédits d’élimination du carbone. Ces crédits permettront de décarboniser les émissions de notre flotte nationale de sécurité . Nous devons prendre appui sur cette base. Les engagements du Canada à l’OTAN, qui incluent explicitement les investissements nationaux, constituent le moyen idéal d’élargir les marchés publics et de soutenir les entreprises canadiennes, tout en respectant nos responsabilités en matière de défense et de climat. Chaque dollar dépensé dans les marchés publics crée une certitude commerciale, valide l’innovation canadienne et empêche les entreprises de délocaliser vers des pays où les signaux du marché sont plus clairs.

Le temps de prendre les devants touche à sa fin. D’autres pays observent l’hésitation du Canada et s’empressent de tirer profit des avantages économiques des technologies que nous avons contribué à mettre au point. Certains des esprits les plus brillants dans ce domaine souhaitent construire leur avenir ici. Des entreprises cherchent activement à s’implanter au Canada en ce moment même. Le choix est simple : agir de manière décisive pour prendre les devants ou sur la touche et regarder les autres tirer profit d’une transition que nous avons amorcée.

J’exhorte ce comité à recommander des mesures immédiates en matière de coordination de la recherche et d’expansion des achats.

Merci. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Merchant.

Madame Hoskins, vous avez la parole.

Diane Hoskins, directrice, Politiques mondiales, Carbon to Sea Initiative : Je vous remercie, monsieur le président, et membres du comité.

Carbon to Sea Initiative est la plus grande initiative non commerciale qui vise à évaluer si l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin pourrait faire partie de la réponse mondiale au changement climatique, et comment. Je l’appellerai aujourd’hui « EDCm ».

J’ai consacré ma carrière à la question du changement climatique, de la conservation des océans et des politiques environnementales. Il est donc essentiel pour moi de trouver des solutions efficaces pour notre environnement océanique et notre climat, ce qui constitue ma principale motivation au quotidien.

Au sein de l’initiative Carbon to Sea, nous collaborons étroitement avec des institutions universitaires, le secteur privé, la société civile et les Premières Nations afin de financer des efforts scientifiques visant à évaluer le potentiel d’une approche particulière de l’EDCm : l’amélioration de l’alcalinité océanique, l’AAO.

À ce jour, nous avons dépensé ou engagé un peu moins de 60 millions de dollars dans des initiatives de recherche et développement, principalement avec des partenaires établis en Nouvelle-Écosse. L’AAO est une approche d’élimination du dioxyde de carbone qui, selon des scientifiques de renom, présente un potentiel extrêmement élevé. En effet, sur de longues périodes, lorsque les roches sont exposées aux éléments, leurs minéraux sont naturellement emportés dans l’océan. Cela contribue à équilibrer l’effet acidifiant du dioxyde de carbone dans l’eau. L’ajout de ces minéraux pourrait accélérer le processus naturel, permettant aux eaux océaniques d’absorber davantage de dioxyde de carbone sans devenir plus acides.

Le programme de recherche et les subventions de l’initiative Carbon to Sea visent à répondre de manière rigoureuse à trois questions. Peut-on reproduire ce processus en toute sécurité pour les personnes et l’environnement? L’AAO est-elle efficace pour éliminer le carbone historique de l’atmosphère? Peut-elle être adaptée à une solution pertinente pour le climat?

Nous n’avons pas d’avis préconçu sur ces questions. Si les recherches démontrent qu’une approche particulière en matière d’AAO n’est pas efficace, sûre ou évolutive, nous considérerions cela comme un succès, car cela nous donnerait la liberté d’explorer et de mettre au point des solutions plus prometteuses pour le climat océanique.

Nous sommes très présents au Canada grâce à nos donataires, principalement à Halifax, et notre travail dans cette région est dirigé par ma collègue Miriam Zitner, qui est parmi nous aujourd’hui.

Dans mon mémoire, j’explique pourquoi l’initiative Carbon to Sea se concentre sur l’amélioration de l’alcalinité océanique. J’analyse également les raisons pour lesquelles l’AAO présente un tel potentiel, et je donne un aperçu des progrès réalisés par les États-Unis dans la recherche sur l’élimination du dioxyde de carbone dans l’océan, l’EDCo, au cours des dernières années.

J’espère que cette ressource vous sera utile, mais, dans ce contexte, je voudrais souligner trois points essentiels. Premièrement, l’élimination du carbone est un complément nécessaire à la réduction radicale des émissions. L’initiative Carbon to Sea se concentre sur l’AAO, car les principaux organismes scientifiques, dont le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ont conclu que la réduction radicale des émissions ne suffirait pas, à elle seule, à prévenir les effets les plus néfastes du changement climatique et à atteindre nos objectifs climatiques.

Le monde doit aussi éliminer des gigatonnes de carbone au cours de ce siècle, ce qui n’est pas une tâche négligeable.

Deuxièmement, les gouvernements ont un rôle unique à jouer dans l’élaboration de l’EDCm. Aujourd’hui, les investissements privés et philanthropiques sont le moteur de la plupart des recherches sur l’élimination du carbone dans les océans, mais l’évaluation de l’EDCm est avant tout une entreprise d’intérêt public. Les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer pour orienter la recherche de manière responsable, établir des règles claires et veiller à ce que ce domaine évolue dans un souci de transparence, de sécurité et d’intérêt public. Cela est particulièrement vrai dans le cas des océans, une ressource mondiale partagée, où la confiance du public et la bonne gestion sont primordiales.

Troisièmement, le Canada peut montrer la voie en soutenant la recherche, le développement et la démonstration. Grâce à sa Stratégie pour un gouvernement vert et au plan du Conseil du Trésor visant à acquérir des services d’élimination du carbone, le Canada fait déjà preuve de clairvoyance et adopte une attitude tournée vers l’avenir en matière de climat. Avec le plus long littoral au monde, des établissements universitaires de renommée mondiale et une économie océanique robuste, le Canada a une occasion unique de renforcer son leadership en se concentrant sur la recherche et le développement responsables de solutions climatiques basées sur l’océan et en les faisant progresser. Cela signifie consacrer des fonds publics à l’appui de la recherche et du développement dans le domaine de l’AAO, veiller à ce que la prochaine demande de propositions du Conseil du Trésor favorise l’admissibilité des approches océaniques jugées appropriées, établir des objectifs précis en matière d’élimination du carbone et élargir les crédits d’impôt à l’investissement afin d’encourager les investissements du secteur privé.

Pour conclure, permettez-moi de souligner les possibilités qui s’offrent au Canada à l’heure actuelle. On s’attend généralement à ce que l’élimination du carbone, et plus particulièrement l’élimination du carbone dans les océans, devienne une industrie de premier plan d’ici le milieu du siècle. Cependant, c’est maintenant que se déterminera la manière dont cette industrie se développera et dont les gouvernements s’engageront à ce stade. C’est maintenant qu’il faut s’impliquer. Si le Canada prend les devants en investissant dans la recherche et en éclaircissant la réglementation, il pourra contribuer à établir la norme mondiale en matière d’EDCm, tout en protégeant ses côtes, en créant éventuellement des milliers d’emplois et en participant à l’effort mondial de lutte contre le changement climatique.

Je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner. Je me réjouis à l’avance des échanges à venir.

Le président : Merci, madame Hoskins. Notre première question viendra de la vice-présidente, la sénatrice Busson.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup. Sans vouloir minimiser l’importance de la question, cela m’amène à poser la question suivante : de quelle couleur est le ciel sur votre planète? Parce que la personne que nous avons entendue précédemment et le témoignage que vous nous donnez sont diamétralement opposés en ce qui concerne la capacité d’espérer un avenir clair et la possibilité d’une EDCm ou EDCo.

L’une d’entre vous pourrait-elle tenter de concilier l’approche prudente du MPO, qui emploie des termes tels que « ralentir », « faire preuve de prudence » et « réglementer », avec les propos que vous nous avez présentés, qui sont formulés à l’aide d’expressions comme « voies innovantes » et « résultats positifs » d’ici 50 ou 30 ans — des résultats positifs à l’échelle d’une vie? Pourriez-vous, s’il vous plaît, commenter toutes les deux cette observation, en plus de nous dire ce que nous pouvons faire à ce sujet?

Nous pouvons commencer par vous, madame Hoskins, si vous voulez bien.

Mme Hoskins : Mme Gurney-Smith a mentionné l’importance accordée à l’efficacité et a souligné qu’il restait encore beaucoup à faire en matière de sécurité environnementale. Nous sommes d’accord sur ce point. C’est précisément ce que fait l’initiative Carbon to Sea en investissant dans ces questions clés : est-ce sûr? Est-ce efficace? Est-ce évolutif? Il est prudent d’aborder ces questions de manière progressive.

Une autre question à aborder dans cette discussion est la suivante : comment devrions-nous et comment pouvons-nous envisager le principe de précaution? C’est une question à laquelle les écologistes réfléchissent beaucoup. Elle nous tient particulièrement à cœur. Cependant, en réalité, le changement climatique non maîtrisé constitue la plus grande menace pour la santé de nos océans et de nos écosystèmes.

Comme l’a mentionné le témoin précédent, des essais sur le terrain et des recherches en milieu aquatique sont nécessaires pour combler les lacunes de nos connaissances. Nous sommes d’accord sur ce point. Bien que certaines recherches puissent présenter des risques, nous estimons que ceux-ci peuvent être gérés au moyen d’une réglementation et d’une surveillance appropriées par des organismes de réglementation compétents. C’est pourquoi il est prudent que le gouvernement s’implique à ce stade et apprenne parallèlement aux investissements du secteur privé et des organismes philanthropiques.

M. Merchant : Merci, madame Busson, c’est une excellente question. Nous convenons également avec Mme Gurney-Smith de l’importance de prendre en considération les impacts écologiques actuels et potentiels.

Par contre, notre point de vue diffère légèrement. Nous estimons que les efforts de recherche et de démonstration doivent être menés en parallèle par plusieurs parties prenantes, et que nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur les impacts biologiques avant d’étudier les enjeux sociétaux, de faire participer à la discussion les principaux intéressés, notamment les pêcheurs, ou de décider de valider la viabilité commerciale. Nous pensons que ces éléments peuvent être traités en parallèle.

Nous préconisons un programme de recherche qui rassemble plusieurs acteurs afin de travailler sur différents aspects du problème dans une approche coordonnée. Celle-ci s’appuie sur une méthodologie d’apprentissage par la pratique et rassemble différents acteurs dès le départ, ce qui nous permet ensuite de prendre l’initiative et d’établir la norme en matière d’élimination responsable du carbone marin, telle qu’elle est définie ici au Canada, par opposition à d’autres pays qui tentent également de faire progresser la recherche dans ce domaine.

La sénatrice Busson : Voici une question très brève. J’y ai fait allusion dans la première partie de ma question. Vous l’avez évoqué : il est évident que le gouvernement joue un rôle important dans ce domaine. Que pouvons-nous faire pour accélérer les possibilités ou stimuler l’énergie des fonctionnaires du gouvernement?

Je ne veux pas critiquer Mme Gurney-Smith. Elle est visiblement très attachée à son travail, mais que pouvons-nous faire, au comité, pour vous aider à peut-être tourner la page sur les attitudes négatives de certains, comme au sein du MPO? Avez-vous des idées ou des suggestions sur la manière dont nous pourrions aborder cette question?

M. Merchant : Je pense qu’une façon d’y parvenir est de réunir différents ministères et experts, des représentants de l’industrie et des dirigeants de collectivités pour discuter du défi et travailler ensemble sur ce problème. Je pense que si nous essayons de traiter ces questions en vase clos, nous ne ferons pas les progrès nécessaires.

Le MPO soulève des préoccupations importantes qu’il faut prendre très au sérieux, et je pense qu’il est essentiel de consulter les collectivités proches, comme les pêcheurs et les différents groupes industriels, et de tenir compte de leurs opinions. Je pense qu’il est possible de faire avancer le débat en réunissant les différentes parties prenantes et en adoptant une approche multipartite pour cerner les questions auxquelles il faut répondre et la manière dont nous pouvons faire progresser le domaine.

Mme Hoskins : Un exemple dans le contexte américain serait celui de l’année dernière, lorsque la Maison-Blanche a mis en place le comité d’action rapide pour l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin. Il s’agissait d’une approche pangouvernementale visant à réunir toutes les agences du gouvernement américain qui avaient des intérêts dans l’élimination du carbone océanique afin de faire émerger les intérêts, les préoccupations et les possibilités au sein du gouvernement. Il en a résulté le processus multipartite auquel M. Merchant a fait référence, qui a permis aux participants de se coordonner plus rapidement qu’ils n’auraient pu le faire dans le cadre de leurs responsabilités quotidiennes individuelles.

La sénatrice Busson : Quand on parle d’EDCo et d’EDCm, c’est la même chose?

Mme Hoskins : Oui.

Le sénateur C. Deacon : Je remercie M. Merchant et Mme Hoskins pour leurs déclarations liminaires.

Vous pourriez peut-être répondre tous les deux à cette question, et vous pourriez commencer, madame Hoskins. Il y a eu un changement d’orientation aux États-Unis depuis l’événement que vous avez décrit, à savoir le regroupement des organes de réglementation pour accélérer le processus. Des changements sont en cours dans le monde entier qui offrent au Canada l’occasion de jouer un rôle de premier plan.

J’aimerais que vous nous parliez de la qualité de la science disponible au Canada, de l’expertise, de la rapidité et du nombre de chercheurs qui ont étudié ce domaine au Canada. En tant qu’entité basée aux États-Unis, vous avez été attirée ici pour travailler au Canada. J’ai l’impression que c’est l’une des choses qui vous ont séduite. Pourriez-vous également nous dire comment vous voyez l’évolution de la position du Canada au cours de l’année dernière? Vous pourriez peut-être tous les deux nous donner votre point de vue à ce sujet.

Mme Hoskins : Carbon to Sea Initiative est une entité mondiale, nous pensons donc au monde dans son ensemble. Je dirais que le Canada a certainement été un pôle d’intérêt majeur, comme je l’ai mentionné. Une grande partie de nos subventions initiales a été accordée à la région de la Nouvelle-Écosse. Les analystes de l’Université Dalhousie et leur partenariat avec Planetary Technologies ont constitué un formidable banc d’essai pour la recherche sur l’amélioration de l’alcalinité des océans dans le bassin de Bedford. Nous avons ainsi pu apprendre beaucoup plus rapidement.

Il convient de noter que l’océan est un milieu extrêmement difficile où mener des recherches. Passer du laboratoire à une table, puis à l’eau peut s’avérer difficile. Le développement technologique, de la recherche au développement en passant par les démonstrations à petite échelle, est généralement soutenu à la fois par des fonds publics et le gouvernement, ainsi que par la philanthropie. Le financement public a été assez rare pour l’EDCm, ce qui a rendu le financement du secteur privé encore plus crucial à ces premiers stades de développement. L’investissement de Planetary Technologies en Nouvelle-Écosse a donné aux analystes de l’Université Dalhousie un sujet de recherche. Cela a joué un rôle essentiel dans la recherche et les progrès dont nous tirons des enseignements.

Le sénateur C. Deacon : En ce qui concerne l’engagement actuel du gouvernement fédéral américain dans le domaine spatial, il semble avoir changé au cours de l’année dernière, surtout en matière de recherche et de réglementation. Est-ce exact?

Mme Hoskins : Il est certain que la politique américaine a un peu changé, mais les leçons tirées de l’année dernière peuvent aider le Canada à comprendre comment il peut progresser rapidement. J’espère qu’il y aura des occasions de collaboration future entre nos gouvernements et nos établissements de recherche universitaire.

Le sénateur C. Deacon : Nous l’espérons nous aussi.

M. Merchant : Merci, monsieur Deacon, pour votre question. Je souscris à tout ce que Mme Hoskins vient de dire, mais j’ajouterai que, dans le contexte canadien, même si nous avons constaté certains changements dans la politique américaine, il est nécessaire d’agir plus rapidement au Canada pour saisir cette occasion qui s’offre à nous.

Nous avons des entreprises, comme Planetary Technologies, CarbonRun et d’autres, ainsi que d’excellents analystes de renommée mondiale à l’Université Dalhousie et ailleurs, qui sont impatients de faire avancer la science dans ce domaine. Ils font un travail remarquable. Ils sont véritablement à la pointe dans leurs domaines respectifs. Nous avons besoin d’une politique favorable à l’élimination du carbone océanique pour suivre le rythme et, en fait, pour aider à tracer une voie qui favorise encore plus l’innovation et la recherche.

Je crains que, d’un point de vue politique, nous ne suivions pas le rythme de nos innovateurs. Cela pourrait faire en sorte que nous ne serons pas en mesure de saisir l’occasion qui se présente alors que nous constatons un environnement politique moins favorable aux États-Unis. Ce contexte pourrait attirer davantage de recherche, d’innovation et d’emplois ici au Canada et créer une occasion pour le Canada de définir ce qu’est une élimination responsable du carbone océanique. C’est ce que le leadership peut apporter d’un point de vue écologique, d’un point de vue de la mesure, de la communication et de la vérification, et d’un point de vue économique. Il y a ici une occasion extraordinaire, et malgré les premiers progrès que j’ai mentionnés dans ma déclaration liminaire, nous devons nous appuyer sur cela et nous devons le faire plus rapidement.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boudreau : J’aurais une question pour M. Merchant.

Vous avez mentionné dans vos propos que vous étiez satisfait du fait que les communautés appuient ce nouveau secteur de séquestration du carbone océanique. Vous avez parlé d’acceptabilité sociale pour cette nouvelle technologie. Si vous avez écouté les propos du premier groupe de témoins, lorsque j’ai posé des questions à la chercheuse scientifique de Pêches et Océans Canada, elle nous a confirmé qu’on n’a encore effectué aucune consultation avec nos pêcheurs et nos industries du secteur de la pêche.

Je crois que vous avez également mentionné qu’il n’y avait pas eu encore de consultation en bonne et due forme. Comment peut-on dire qu’il y a une acceptabilité sociale et que nous avons l’appui des communautés, si les personnes qui gagnent leur vie sur l’océan et sur nos eaux n’ont pas encore été consultées? Qui a parlé avec qui jusqu’à maintenant pour être en mesure de faire des commentaires de ce genre? Je serais curieux de savoir.

[Traduction]

M. Merchant : Merci pour votre question et pour l’occasion de clarifier les choses. Nous avons été impressionnés par les activités d’entreprises telles que Planetary Technologies et CarbonRun, ainsi que par les analystes de l’Université Dalhousie et leur engagement auprès des collectivités engagées dans les projets sur lesquels ils travaillent. Dans le contexte du travail au Canada, ils ont fait un excellent travail d’engagement communautaire. Il y a toujours plus à faire. Nous pouvons toujours nous améliorer à cet égard, mais je pense qu’ils ont pris un bon départ. Ils ont poursuivi leur travail avec une stratégie d’engagement communautaire très intentionnelle.

Il est important de reconnaître à ces entreprises et à ces analystes le mérite qui leur revient pour l’engagement communautaire dont ils ont fait preuve à ce jour. Cela signifie‑t‑il que nous avons mobilisé l’ensemble des collectivités, des nations autochtones ou des groupes économiques susceptibles d’être touchés par l’élimination du carbone marin? Absolument pas. Il reste encore beaucoup à faire à cet égard. Relativement parlant, pour une technologie émergente et pour un nouvel ensemble de technologies comme l’élimination du carbone océanique, nous avons constaté un engagement communautaire prometteur qui, bien sûr, peut toujours être amélioré et enrichi. Cependant, cela tend fortement à indiquer que nous avons pris un bon départ dans ce domaine, que les collectivités sont pragmatiques et disposées à écouter, que les entreprises sont disposées à les écouter et qu’il existe un potentiel pour obtenir cette acceptation sociale.

Bien que je ne sois pas convaincu que nous ayons un consensus social mondial sur l’élimination du carbone, je suis persuadé que, relativement parlant, nous avons des collectivités favorables au Canada. Cette situation est principalement due au travail remarquable des analystes, des innovateurs, des entrepreneurs canadiens ainsi que des dirigeants politiques qui s’engagent sur cette question. Je pense que nous aurons finalement beaucoup à faire dans ce domaine, et c’est quelque chose que nous nous engageons à soutenir.

[Français]

Le sénateur Boudreau : J’aurais une autre question. Je ne suis pas contre une nouvelle industrie ni contre de nouvelles technologies, mais je crois que si l’on doit adopter cette approche, il faut consulter les personnes qui risquent d’être les plus affectées. On parle de leur gagne-pain, de leur métier.

On dit que ce secteur pourrait représenter une nouvelle économie d’un milliard de dollars. Les économies de la pêche commerciale, de l’aquaculture et de la transformation de fruits de mer représentent plus de 12 milliards de dollars au Canada. On ne peut pas nuire à un secteur ou à une industrie pour en faire bénéficier d’autres.

Selon moi, on ne peut pas dire qu’on a consulté les communautés quand on n’a pas encore consulté la communauté la plus importante. Je pense qu’il faut les inclure plus tôt que tard dans le processus, si vous voulez avoir des chances de réussir. On ne peut pas négliger ou ignorer les associations et les syndicats de pêcheurs, de transformateurs de fruits de mer et de l’aquaculture. C’était un commentaire plutôt qu’une deuxième question. Il faut qu’ils soient impliqués dans le débat très rapidement.

[Traduction]

M. Merchant : Merci, monsieur Boudreau. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Nous réfléchissons beaucoup à l’intégration industrielle de l’élimination du carbone en milieu marin et des méthodes d’élimination du carbone en général dans les industries existantes afin de les relancer ou d’augmenter la rentabilité de certaines d’entre elles, leur permettant ainsi de se décarboniser. Il existe de nombreuses possibilités d’intégrer l’élimination du carbone marin dans les industries existantes, et c’est un domaine de recherche qui mérite d’être exploré de manière à renforcer les emplois et les industries qui existent déjà dans bon nombre de ces collectivités.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup pour vos présentations, qui m’ont permis de comprendre qu’il y a quand même un potentiel important dans ces secteurs. Ma question s’adresse à vous deux.

Au regard des coûts actuels, qui sont assez importants pour les techniques d’élimination du carbone océanique, selon votre évaluation, quelle est la viabilité économique à court terme de ces technologies? Pensez-vous que ce sont principalement les pouvoirs publics qui devraient financer leur développement et leur déploiement, plutôt que les partenariats public-privé?

[Traduction]

Mme Hoskins : Je suis heureuse de répondre à la question en premier. Il y a une viabilité à court terme. Le changement climatique est un problème majeur que nous ne parvenons pas à résoudre, ce qui crée toutes sortes de défis commerciaux dans toutes les solutions proposées. À court terme, le volet volontaire de l’équation offre une énorme occasion et une certaine viabilité.

Si nous décidons, espérons-le, de prendre collectivement des mesures plus importantes pour éviter les pires effets du changement climatique, qui touchent de manière disproportionnée notre écosystème océanique et tous les poissons qui y vivent, nous verrons des marchés réglementés se mettre en place et cette viabilité économique, tant pour la transition du volontariat à la conformité que pour les technologies atteignant leur niveau de maturité technologique, ou NMT, et les courbes de coûts — ces deux éléments s’imbriqueront parfaitement, espérons-le, pour nous tous.

Plus le secteur public jouera un rôle dans l’apprentissage en collaboration avec le secteur privé à ce stade initial, plus les résultats seront favorables en termes de capacité des organes de réglementation à assurer la sécurité environnementale, ainsi qu’en matière d’exactitude, d’efficacité et de quantification du bilan carbone. C’est ce que nous souhaitons tous pour que les calculs climatiques soient effectués avec précision.

M. Merchant : Merci, sénatrice Gerba. J’aimerais simplement compléter les points déjà soulevés. Les partenariats public-privé peuvent fonctionner dans les deux sens et se soutenir mutuellement. Par exemple, actuellement, par le jeu du marché volontaire du carbone, le secteur privé joue un rôle important pour faire progresser l’élimination du carbone dans les océans, ce qui a eu un effet catalyseur considérable à ce jour. Cependant, en incluant le secteur public par le vecteur des investissements, du soutien aux activités de recherche et développement et des démonstrations, le secteur public peut contribuer à définir une norme d’excellence en matière d’élimination du carbone et à établir des règlements qui garantissent que cela se fasse de manière responsable à mesure que la technologie se développe, évolue et s’étend.

Par ailleurs, le secteur public a exercé un leadership important en créant le programme d’achats que j’ai mentionné, avec son engagement initial de 10 millions de dollars pour acheter des crédits d’élimination du carbone à des entreprises canadiennes. Il serait formidable que le secteur public renforce ce programme, mais nous pensons également que les entreprises canadiennes qui sont elles aussi engagées dans la voie de la décarbonisation ont une occasion très importante de s’aligner sur l’ambition du gouvernement et de s’engager également à acheter des crédits de suppression permanente du carbone afin de créer un effet multiplicateur. Chaque dollar public peut générer 5 ou 10 $ privés pour l’achat de services de suppression du carbone achetés à des fournisseurs canadiens. Nous pensons que l’accord public-privé peut être très bénéfique et que les secteurs public et privé peuvent très bien se compléter.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup pour vos réponses. Monsieur Merchant, je continue avec vous, parce que dans votre introduction, vous avez évoqué la comparaison entre les techniques d’élimination du carbone terrestre, comme la plantation d’arbres, et les techniques océaniques. Pourriez-vous revenir sur les avantages des techniques océaniques et sur leur complémentarité avec les techniques terrestres?

[Traduction]

Mme Hoskins : L’ampleur du problème signifie que nous allons avoir besoin d’autant de solutions viables et rentables que possible. C’est le premier point. Le deuxième point, c’est que l’océan représente 70 % de la planète. Ce serait donc une erreur de négliger cette occasion. Il faut savoir que 25 % des émissions d’origine humaine sont en réalité absorbées naturellement par les océans chaque jour, ce qui contribue à l’acidification des océans. Ces processus naturels existent bel et bien. Il est logique de s’y intéresser. Quels sont les avantages connexes et quelles sont les possibilités? C’est ce que nous essayons de déterminer. Nous aurons besoin de toutes les options sur la table pour relever ce défi.

Le sénateur Dhillon : J’essaie simplement de comprendre tout cela. Je vous entends parler d’occasions, mais aussi de conséquences. M. Merchant a évoqué la capture et l’élimination du carbone, qui fonctionnent en tandem et ne peuvent être réalisées séparément. Il a parlé de l’urgence et d’entreprises qui choisissent le Canada. Nous avons discuté de la sécurité, de l’efficacité et de la possibilité de mettre en œuvre ces mesures à grande échelle.

Au lieu de répéter tout ce qui a été dit, les thèmes qui me sont venus à l’esprit sont les occasions et les conséquences : les conséquences de l’inaction et les occasions qui s’offrent à nous et qui ont fait leurs preuves. Voici la question qui se pose aux profanes et aux gens à l’écoute, surtout les Canadiens et les Britanno-Colombiens, nos concitoyens : comment modélisez-vous cela? Comment présentons-nous cela aux gens ordinaires chaque jour qui passe? Vous venez de dire que 25 % de notre pollution est capturée dans les océans. Chaque jour qui passe, alors que nous continuons à en discuter, le MPO nous dit que nous devons faire plus de ceci, moins de cela et peut-être un peu de cela. Comment présenter cela aux gens afin qu’ils comprennent qu’il se peut qu’un jour — et je me trompe peut-être dans mon hypothèse — peu importe l’ampleur de vos efforts, cela ne fonctionnera pas parce que nous sommes allés trop loin ou que nous n’avons pas fait assez.

Ma question précédente était la suivante : quand faut-il se contenter du bien et cesser de viser la perfection? Présentons-nous ce risque d’une manière compréhensible pour les gens ordinaires?

Mme Hoskins : Il peut y avoir des différences géographiques entre ce qui trouve le plus d’écho dans la zone A et ce qui trouve le plus d’écho dans la zone B — l’environnement côtier et l’environnement intérieur. D’après ce que j’ai glané en m’entretenant avec des gens ordinaires, je pense que les gens se soucient de ce qui les préoccupe au quotidien : nourrir leurs enfants, payer leurs factures et ce genre de choses. Plus nous parvenons à établir un lien entre ces considérations et la manière dont ces mesures améliorent leur vie quotidienne — en réduisant les risques extrêmes liés au changement climatique, de sorte que l’action climatique permette, espérons-le, de réduire les effets extrêmes du changement climatique — et plus nous parvenons à établir un lien avec ce qui intéresse vraiment les gens, mieux nous nous porterons tous, à mon avis.

Je ne me souviens plus qui a soulevé ce point, mais avec le groupe précédent, il a été question de la double fonction de la réglementation : d’une part, les règles visant à protéger l’environnement et, d’autre part, l’acceptabilité sociale. Et je pense que c’est vrai.

Sénateur Boudreau, vous avez également mentionné la nécessité d’organiser des activités de consultation avec les pêcheurs, les industries existantes et les utilisateurs actuels de l’océan. Nos utilisateurs de l’océan et nos industries maritimes seront parmi les plus touchés par la détérioration de la santé de l’océan à mesure que les effets du changement climatique s’intensifieront. Plus nous pourrons les impliquer, comprendre directement leurs préoccupations, travailler avec eux et obtenir les données qu’ils souhaitent réellement, parallèlement aux recherches en cours, plus nous pourrons aider les gens à comprendre qu’il ne s’agit pas d’un problème à long terme, mais que les effets se font sentir dès maintenant et que les gens les constatent dès maintenant.

Je vais vous donner un exemple rapide de la manière dont un chercheur a mobilisé le secteur des pêches. Ce secteur fait souvent appel à des observateurs qui montent à bord des navires pour les surveiller et les tenir responsables. Aux États-Unis, la Woods Hole Oceanographic Institution a mené cet été une étude expérimentale en mer et a invité un observateur des pêches à se joindre à ses chercheurs et à monter à bord du navire pour observer exactement ce qui se passait et le documenter, puis à retourner dans son milieu pour parler de ce qu’il avait vu et appris, ce qui a ensuite pu être réintégré dans les plans de recherche. Tout repose sur les personnes qui exercent au quotidien et qui sont en phase avec ce qui intéresse les gens.

Le sénateur Dhillon : J’ai juste une brève question complémentaire. Je vous remercie de vos témoignages, vous êtes tous très compétents et vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet. À mon avis, nous perdons parfois le contact avec les personnes qui seront touchées par tout cela, mais je m’en tiendrai là. Je suppose que je cherchais quelque chose d’un peu plus concret que nous pourrions présenter aux gens pour qu’ils comprennent l’urgence de la situation. Si cette ligne est franchie, mesdames et messieurs, ne vous en souciez plus, car nous allons dorénavant porter des masques à gaz et prendre d’autres mesures, car nous ne pouvons rien faire de plus.

Le Comité d’action rapide sur l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin est une lueur d’espoir dont j’ai entendu parler, et vous l’avez évoqué. Peut-être que le comité est déjà au courant. Je n’en avais pas entendu parler. Existe-t-il un document ou des travaux à ce sujet, ou des preuves qui peuvent nous être présentées à ce sujet?

Mme Hoskins : Je me ferai un plaisir de donner suite à cette question.

Le sénateur Dhillon : Merci. Je vous en suis reconnaissant.

Le sénateur Surette : Ma question comportait deux parties. Vous avez peut-être répondu à la première et à la deuxième également. Je voudrais juste clarifier les choses.

Nous avons un peu parlé du rôle du gouvernement. Il me semble — et je suis nouveau ici aussi — que l’approche est très fragmentée. Elle concerne autant le secteur industriel et vos organisations — un certain nombre d’organisations — que le gouvernement. Le rapport que vous venez de mentionner fait-il référence à cela? Si ce n’est pas le cas, quel est le plan pour une approche stratégique tant du côté du gouvernement que du côté de l’industrie?

Mme Hoskins : J’ai entendu : « Quel est le rôle du gouvernement? Comment gérer certains cloisonnements? » D’après mon expérience, les agences ont un mandat et une mission, et c’est leur priorité parce qu’on leur a demandé de le faire. Parfois, de nouvelles idées émergent et incitent tout le monde à penser différemment, au-delà du mandat précis qui avait été prévu au départ. Comment dépasser ce cadre?

Aux États-Unis, l’une des solutions a été la création du Comité d’action rapide sur l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin. Dans le cas des États-Unis, les acteurs du secteur océanique sont souvent très concentrés sur leur mandat et leur mission, tout comme les acteurs du secteur du climat et de l’énergie, et les deux ne se parlent jamais. Cependant, les possibilités de collaboration sont nombreuses dans ce domaine. Par exemple, un protocole d’entente a été conclu entre le département américain de l’Énergie et la NOAA, qui supervise le service des pêches aux États-Unis, afin de contribuer à combler ce fossé et à clarifier exactement qui fait quoi, ainsi que la forme que pourraient prendre la coordination et la collaboration afin d’aider les gens à comprendre qu’il s’agit d’une question à laquelle ils doivent accorder la priorité, réfléchir et collaborer.

Le sénateur Surette : Du côté du gouvernement, il est évident que plusieurs ministères pourraient être concernés. Y a‑t‑il un ministère en particulier qui devrait prendre l’initiative dans ce domaine?

Mme Hoskins : Je vous renvoie la question, et M. Merchant a peut-être une opinion à ce sujet.

M. Merchant : Je n’ai pas d’avis précis à ce sujet, si ce n’est que je pense que le Comité d’action accélérée sur l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin est un modèle intéressant que nous pourrions appliquer et adapter de manière pertinente à notre système, mais nous n’avons pas d’idée précise quant au ministère qui devrait prendre l’initiative. Il y a un certain nombre d’avantages à suivre une voie ou une autre, mais nous n’avons rien à ajouter à ce sujet.

Le sénateur Surette : Cette question concerne les investissements. Il a été question des investissements américains. Vous avez mentionné les investissements que vous réalisiez déjà dans certains projets, mais il ne semble pas y avoir beaucoup de financement ou d’investissements publics dans ce domaine. Vous avez mentionné l’augmentation du financement de la recherche, et il y a également des crédits carbone.

Pourriez-vous nous expliquer un peu d’où proviennent les fonds actuellement? Dans mes lectures, j’ai vu beaucoup de chiffres sur l’augmentation du PIB et le nombre d’emplois, etc., mais je n’ai jamais vu de chiffres sur ce que vous attendez du gouvernement, ni sur le point de départ et le montant, même en pourcentage, que nous aimerions obtenir de chacune de ces sources.

Mme Hoskins : Je n’ai pas le chiffre sous les yeux, mais une bonne source d’information sur l’ampleur de l’investissement recommandé serait les Académies nationales. Celles-ci ont en effet créé un tableau dans lequel elles ont chiffré l’ampleur de l’investissement qu’elles recommanderaient pour faire progresser la recherche et le développement au cours des 10 prochaines années.

Dans le même ordre d’idées, au cours du dernier exercice financier aux États-Unis, le gouvernement américain a investi environ 60 millions de dollars américains dans la recherche et le développement. Je pense que l’investissement annuel sur la période de 10 ans étudiée par les Académies nationales était supérieur à 2 milliards de dollars, soit environ 200 à 300 millions de dollars par an. Je peux vous envoyer les chiffres exacts si vous le souhaitez.

Le président : Je vous en prie.

Monsieur Merchant, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Merchant : Je voulais simplement dire que je trouve cette question très pertinente. C’est précisément la raison pour laquelle nous avons établi et recommandé une feuille de route pour la recherche, afin de faire progresser ce secteur au Canada. Cette feuille de route nous permettra de redimensionner le programme de recherche, de déterminer les questions spécifiques auxquelles nous pouvons répondre directement au Canada, de cibler et de concentrer nos questions de recherche, ainsi que d’identifier les plus urgentes. Nous pourrons ensuite prendre des décisions en matière d’allocation des fonds de recherche et de hiérarchisation des priorités sur cette base. Cela nous aidera à progresser plus rapidement et à nous concentrer davantage sur la réponse à certaines questions clés dans ce domaine, puis à poursuivre sur la voie qui nous permettra de jouer un rôle de premier plan.

Le président : Monsieur Merchant, souhaitez-vous répondre à la question que la sénatrice Gerba vous a posée tout à l’heure, avant que nous perdions le contact avec vous?

M. Merchant : Si vous pouviez la répéter, j’essaierai d’y répondre. Je crois que je l’ai peut-être manquée.

La sénatrice Gerba : Je crois que vous y avez déjà répondu. Vous avez mentionné que le gouvernement fédéral devrait établir une feuille de route pour orienter la recherche structurée sur certains sujets. Je souhaiterais savoir si vous pouviez nous donner plus de détails sur ce à quoi cette feuille de route devrait ressembler et sur les objectifs qu’elle devrait viser.

M. Merchant : Je pourrais apporter quelques précisions supplémentaires. Une feuille de route nous aiderait à définir une ligne directrice pour intensifier l’élimination du carbone au Canada de manière sûre, efficace et économiquement viable. Elle serait axée sur les questions relatives à la science et aux impacts biologiques de l’élimination du carbone marin. Elle permettrait également de s’assurer que nous progressons dans un domaine qui peut être développé de manière commercialement évolutive, tout en tenant compte de manière significative — et ce, en tant que pilier majeur de ce travail —, du besoin d’obtenir l’acceptation sociale et de dialoguer avec les collectivités sur les préoccupations ou les opportunités existantes, ainsi qu’avec les industries existantes dans lesquelles l’intégration de l’élimination du carbone marin pourrait être bénéfique.

Si nous adoptons une approche à plusieurs volets, en nous concentrant non seulement sur la science, qui est absolument essentielle et centrale à cet égard, mais aussi sur les impacts sociaux et économiques, nous pourrons alors savoir comment allouer les ressources pour développer une industrie de l’élimination du carbone sûre, efficace et commercialement viable au Canada.

La sénatrice Poirier : Merci à vous deux d’être là. Je suis moi-même assez novice en la matière. Il s’agit de ma deuxième réunion au sein du Comité des pêches et des océans, après de nombreuses années d’absence. Comme certains de mes chers collègues, tout cela est très nouveau pour moi et je suis également en phase d’apprentissage.

Je tiens à vous remercier pour tout le travail que vous avez accompli dans ce domaine, tant dans le secteur privé qu’auprès des scientifiques et des universités qui participent à ces travaux. Cependant, je partage certaines préoccupations, comme l’ont également mentionné certains de mes collègues. J’ai entendu certaines observations faisant état d’un risque lié aux changements climatiques et indiquant que l’on observe déjà des répercussions dans les océans, où 25 % de la pollution se déverse quotidiennement. Vous en êtes tous conscients. Nous parlons ici de l’élimination du carbone dans les océans. Nous avons entendu le témoin précédent évoquer la possibilité de stocker dans les océans les émissions de carbone capturées.

Je pense qu’il est bon que nous en soyons tous conscients, mais dans notre quotidien, lorsque les pêcheurs, qu’ils soient crabiers ou homardiers — je vis dans l’est du Nouveau-Brunswick, au cœur de l’industrie de la pêche —, ne comprennent pas ce qui se passe et que quelque chose leur tombe dessus soudainement, je sais comment ils peuvent réagir.

Je pense qu’il est extrêmement important, non seulement pour le gouvernement, mais aussi pour tout le monde, d’être proactif et d’engager le dialogue avec eux avant qu’ils ne découvrent qu’il se passe quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Ils pourraient y voir une menace pour leur mode de vie, leur entreprise, leur collectivité, leur existence, leur salaire, etc.

En tant qu’ancienne députée de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick et ancienne ministre de cette province, j’ai déjà été témoin de ce genre de situation. Il suffit de se rappeler la question du gaz de Shell il y a quelques années.

Il est extrêmement important que vous m’informiez, ainsi que d’autres personnes, en particulier les personnes concernées, du niveau de sécurité que nous offre l’élimination du carbone de l’océan et son stockage. Quel est le niveau de sécurité du stockage? S’il n’est pas sécurisé, quels sont les risques pour le milieu marin et les activités maritimes qui s’y déroulent? Je souhaiterais savoir où nous en sommes à ce sujet, car je suis quelque peu préoccupée par l’impact. Et je ne parle pas seulement des pêcheurs de ma région. Je pense également aux collectivités des Premières Nations qui sont également des pêcheurs dans ma région.

J’aimerais avoir l’assurance que nous discuterons dès le début de ce processus, et non à la fin, et que nous trouverons un moyen de rassurer tout le monde.

Mme Hoskins : Je vous remercie pour votre question. Je pense avoir identifié deux grands thèmes. Le premier est le suivant : est-ce sans danger pour les poissons? Le second est, comment les personnes qui participent à cette recherche s’assurent-elles que les personnes qui gagnent leur vie sur l’eau comprennent cela et soient impliquées bien avant qu’on leur présente une question sur un projet potentiel? Je pense que ce sont deux points sur lesquels nous nous sommes penchés dans le cadre de nos subventions. En ce qui concerne la sécurité environnementale, nous avons financé, bien avant la mise en œuvre des projets, des recherches en laboratoire visant à étudier les réactions du phytoplancton, car c’est la base de la chaîne alimentaire. Si vous constatez un impact à ce niveau, vous pouvez vous attendre à d’autres impacts. Les recherches menées à ce niveau sont extrêmement prometteuses en ce qui concerne les niveaux d’exploitation des matières premières testées et la sécurité. C’est donc très encourageant.

Mme Gurney-Smith nous a également indiqué qu’il fallait se concentrer sur ce qui importe vraiment aux gens : les poissons eux-mêmes. L’étude des niveaux trophiques supérieurs est un autre domaine de recherche préalable à la mise en œuvre qui nous intéresse tout particulièrement.

Cela variera d’une région à l’autre et devra en partie s’appuyer sur des discussions et des contributions des habitants afin de s’assurer que les espèces appropriées sont testées pour la région concernée. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que cela doit faire partie de ce processus et de l’engagement avec les collectivités.

La deuxième question concernait la manière de communiquer avec les gens. Selon moi, cela signifie que les personnes — qui font avancer les projets disposent de budgets alloués à cette activité spécifique et que les compétences nécessaires pour mener à bien ces activités —, sont recrutées et acquises avec le même niveau d’intensité que votre ingénieur, afin qu’elles bénéficient du niveau d’importance et de visibilité nécessaire pour réussir.

La sénatrice Poirier : Savez-vous si des discussions ont eu lieu sur le terrain avec les pêcheurs locaux, les syndicats, les propriétaires d’usines de transformation du poisson ou d’autres acteurs similaires à ce stade?

Mme Hoskins : Je ne sais pas si vous faites référence à une région spécifique, mais sachez qu’un engagement important est en cours sur le terrain dans le cadre des projets auxquels nous participons. Peut-on en faire plus? Absolument, toujours. Nous nous engageons à faire davantage, et je suis consciente de l’importance de l’engagement déjà en place.

La sénatrice Poirier : Parlez-vous de la région de la Nouvelle-Écosse?

Mme Hoskins : Tout à fait.

La sénatrice Poirier : Mais vous n’avez pas connaissance de projets au Nouveau-Brunswick pour le moment?

Mme Hoskins : Je me tourne vers ma chère collègue Miriam Zitner. À ce jour, je n’en ai pas connaissance, mais je me ferai un plaisir de me renseigner et de vous en dire plus si cela peut vous être utile.

La sénatrice Poirier : D’accord. Je comprends ce que vous dites, et vous voyez le risque. Mais je ne sais pas si les pêcheurs en ont conscience. Ont-ils constaté une différence dans leurs prises et cela a-t-il une incidence sur celles-ci? Comment perçoivent-ils le risque lié au carbone et l’importance de son élimination? Je pense que c’est la première chose qu’ils doivent comprendre : s’il y a un risque, celui-ci pourrait avoir une incidence sur leur mode de vie et sur leurs revenus futurs.

Mme Hoskins : Je pense que votre argument est tout à fait pertinent. Je sais qu’un autre député a mentionné l’industrie des crustacés et leur déplacement vers le nord. Je sais qu’il existe probablement des niveaux de sensibilisation inégaux et que l’on peut faire davantage.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie.

Le président : Je tiens à remercier M. Merchant, Mme Hoskins et nos sénateurs pour cette séance très instructive.

Pourrais-je demander aux membres du comité directeur de rester quelques instants après la réunion afin de procéder à une vérification? Merci.

(La séance est levée.)

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