LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 30 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 8 h 34 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, la séquestration du carbone océanique et son utilisation au Canada; et, à huis clos, afin d’examiner une ébauche de rapport.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je m’appelle Fabian Manning, je viens de Terre-Neuve-et-Labrador, et je suis heureux de présider la réunion de ce matin du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.
Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment liées à l’interprétation, veuillez m’en faire part ou en informer la greffière, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.
J’aimerais prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Bonjour. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Boudreau : Bonjour. Victor Boudreau, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Busson : Je m’appelle Bev Busson, et je viens de la Colombie-Britannique.
Le président : Le 8 octobre 2025, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a été autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la séquestration du carbone océanique et son utilisation au Canada.
Aujourd’hui, en vertu de ce mandat, le comité entendra Mme Anya Waite, directrice générale et directrice scientifique de l’Ocean Frontier Institute; et M. Abed El Rahman Hassoun, scientifique chez GEOMAR Helmholtz Centre for Ocean Research Kiel. Au nom des membres du comité, je vous remercie de votre présence... Chers collègues, il semble que nous ayons des problèmes techniques.
Chers collègues, nous avons réglé le problème. Mes excuses aux témoins pour ces problèmes techniques.
Puisque j’ai déjà présenté les témoins, madame Waite, nous vous permettons de commencer.
Anya Waite, directrice générale et directrice scientifique, Ocean Frontier Institute : Merci beaucoup. Je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui pour m’adresser à vous. Je vais entrer tout de suite dans le vif du sujet.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, a été clair : si nous voulons atteindre la carboneutralité à l’échelle mondiale, il faut éliminer le dioxyde de carbone. L’océan, qui absorbe déjà près du quart du dioxyde de carbone que nous émettons chaque année, est le plus grand puits de carbone naturel de la planète, et, comme vous l’avez entendu lors de témoignages précédents, il joue un rôle absolument indispensable dans le ralentissement des changements climatiques. Cela nous confère la responsabilité d’examiner le potentiel de l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin. Cela figure dans certains textes du GIEC et de l’Accord de Paris.
L’Ocean Frontier Institute, sous la direction de l’Université Dalhousie, gère le plus important investissement du Canada dans la recherche sur le climat et les océans : notre programme Transformer l’action pour le climat. En collaboration avec des établissements partenaires — l’Université du Québec à Rimouski, l’Université Laval et l’Université Memorial de Terre-Neuve —, cette initiative fait progresser la science, les politiques et l’engagement communautaire dans le domaine de l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin. Notre travail ne consiste toutefois pas à promouvoir le déploiement, mais à veiller à ce que les décisions soient fondées sur des recherches rigoureuses, indépendantes et complètement transparentes.
Outre les incertitudes scientifiques — dont vous avez entendu parler —, de très importantes considérations sociales doivent être prises en compte. L’acceptabilité sociale nécessaire pour mener nos activités ne s’achète pas; elle se mérite. Dans le cadre de l’initiative CONVERGE CDR de l’Ocean Frontier Institute, nous mettons en place des activités de recherche en collaboration avec les dirigeants autochtones et les membres de la collectivité afin de réellement démêler cette question. Ces projets se concentreront sur les questions qui comptent le plus pour les collectivités, notamment l’incidence que l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin pourrait avoir sur les écosystèmes à proximité et la pêche. Ce travail progresse au rythme de la confiance, et les établissements universitaires sont particulièrement bien placés pour l’accomplir.
Nous reconnaissons également l’importance du principe de précaution, dont il a déjà été question. Trop souvent, on pense que ce principe justifie l’inaction, mais compte tenu des risques graves et irréversibles que les changements climatiques font peser sur l’écologie, la précaution devrait plutôt se traduire par la promotion d’une recherche prudente et fondée sur la science, et non par le rejet de celle-ci. Si nous suspendons nos travaux de recherche maintenant, nous risquons de faire reculer nos connaissances d’une décennie, alors que les changements climatiques ont déjà des répercussions considérables sur les écosystèmes océaniques.
Le Canada a une véritable occasion de devenir un chef de file mondial dans ce domaine. Nous sommes bien placés, avec le plus long littoral au monde, nos établissements universitaires réputés dans le domaine océanographique et notre forte tradition de partenariats autochtones et communautaires, pour définir comment l’EDCm peut être exploré de manière responsable. Ce rôle de chef de file peut également appuyer les occasions de développement économique durable qui sont importantes pour le Canada et contribuer à former la prochaine génération de scientifiques, de responsables des politiques et d’innovateurs canadiens.
Je pense qu’il faut une approche coordonnée et intergouvernementale assortie d’un cadre réglementaire qui évolue au même rythme que la science; des investissements dans la recherche indépendante menée hors de l’industrie pour assurer des résultats objectifs, tout en maintenant une étroite collaboration avec l’industrie; un soutien à l’engagement et à la connaissance des océans visant à renforcer l’acceptabilité sociale dans les nombreuses collectivités canadiennes; une feuille de route en matière de recherche à la fois claire et dirigée par le gouvernement fédéral pour atténuer la fragmentation de ce débat et faire valoir aux Canadiens et aux investisseurs que ce travail vaut la peine d’être poursuivi et fait partie des solutions climatiques du Canada.
L’Ocean Frontier Institute est déterminé à promouvoir ce programme. Notre rôle de premier plan dans le cadre de collaborations internationales comme Horizon Europe, et nos programmes — Transformer l’action pour le climat et CONVERGE CDR — nous aident à mettre en place la recherche scientifique, les partenariats et la confiance nécessaires pour explorer les possibilités de l’EDCm de manière responsable.
Honorables sénateurs, les enjeux sont très élevés. L’océan constitue déjà un rempart contre les pires répercussions des changements climatiques, et il nous incombe maintenant de veiller à ce que l’ensemble des interventions que nous envisageons s’appuient sur la science, correspondent aux souhaits de la communauté et soient en harmonie avec le véritable esprit du principe de précaution qui existe ici au Canada.
Je vous remercie.
Le président : Merci, madame Waite.
Abed El Rahman Hassoun, scientifique, GEOMAR Helmholtz Centre for Ocean Research Kiel : Bonjour, sénateurs, et merci de m’accueillir.
Permettez-moi de commencer par un simple constat : le Canada est entouré de trois océans — l’Atlantique, le Pacifique et l’Arctique — qui jouent tous un rôle vital dans le façonnement de notre climat, de notre économie et de notre avenir. Pourtant, bien que les océans absorbent chaque année environ un quart à un tiers des émissions anthropiques, nous n’avons qu’une compréhension partielle de l’évolution de cette capacité.
L’océan a amorti l’impact des activités humaines sur le climat pendant des décennies, mais ce service n’est ni infini ni constant. Alors que le réchauffement, l’acidification et les changements des courants océaniques s’accélèrent, il devient plus difficile d’évaluer la capacité de l’océan à continuer d’absorber le carbone. Autrement dit, le plus important puits de carbone de la planète — nos océans — évolue plus rapidement que nous pouvons le mesurer.
Partout dans le monde, l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin, ou EDCm, passe rapidement du concept à l’expérimentation. Pour atteindre la carboneutralité, puis des émissions négatives nettes d’ici le milieu du siècle, il faudra des solutions permettant d’éliminer entre 5 et 10 gigatonnes de CO2 par année d’ici le milieu du siècle. Les océans occupent une place croissante dans les discussions sur les questions climatiques, car ils contiennent 50 fois plus de carbone que l’atmosphère et régulent le climat de la Terre.
Au cours des trois dernières années, nous avons vu des pays prendre diverses mesures : adoption de lois sur la recherche-développement en matière d’élimination du dioxyde de carbone; investissements massifs dans des bancs d’essai d’EDC en milieu océanique; élargissement des programmes de carbone marin, par exemple la mission sur les océans et les eaux d’Horizon Europe; essais en haute mer sur l’augmentation de l’alcalinité et les voies à base d’algues marines, comme en Australie et dans les pays scandinaves. En outre, des investisseurs privés se sont engagés à investir plus de 1 milliard de dollars dans l’innovation en matière d’EDC en milieu océanique, mais ils devancent souvent la science et n’ont pas de normes cohérentes en matière de mesure, de rapport et de vérification, ou MRV.
Voilà précisément pourquoi il est essentiel d’être un chef de file en matière de recherche. Il ne s’agit pas de promouvoir l’EDCm sans discernement, mais d’assurer sa mise en œuvre efficace, sûre et transparente, fondée sur des données scientifiques fiables, une bonne compréhension des écosystèmes, et la prise en compte des considérations sociales et du consentement social.
Le Canada ne peut pas être qu’un simple spectateur dans ce domaine émergent. Le Canada est une nation océanique — comme Mme Waite l’a indiqué — qui possède l’une des zones économiques exclusives les plus importantes au monde, une expertise de calibre mondial en matière d’observation des océans, et de fortes valeurs écologiques. Or, aujourd’hui, le Canada n’est toujours pas doté d’un système coordonné d’observation du carbone océanique et de MRV capable de quantifier les flux de carbone ou de valider toute approche d’élimination du carbone en milieu marin. Sans ces éléments fondamentaux, le Canada risque de prendre du retard, sur le plan scientifique, pour ce qui est d’une compréhension précise et de haute qualité quant à la façon dont ses trois océans, qui ont chacun leur propre dynamique, réagissent aux changements climatiques. Le Canada risque de prendre du retard sur le plan économique s’il demeure un simple exécutant plutôt qu’un décideur alors qu’émergent des marchés de crédits carbone vérifiés pour le milieu marin. Nous risquons également de prendre du retard sur le plan diplomatique, car le Canada doit préserver sa forte crédibilité en atteignant ses objectifs climatiques, ce qui exige qu’il fonde ses politiques sur les meilleures données scientifiques disponibles.
Pour saisir cette occasion de manière responsable, j’exhorte le Canada à investir dans l’ensemble du continuum de la recherche sur le carbone océanique — des infrastructures de mesure, de rapport et de vérification aux essais contrôlés de solutions prometteuses —, en étant axé sur la transparence, la précaution et la collaboration, et à appuyer la création d’une infrastructure de MRV nationale en regroupant les infrastructures existantes en un système cohérent. À titre d’exemple, le projet très prometteur de l’Observatoire du carbone de l’Atlantique Nord, ou OCAN, peut servir d’exemple et montrer comment les données en temps réel peuvent orienter les décisions. Il faut des capacités et des visions similaires pour le Pacifique et l’Arctique. Le Canada devrait recourir à des zones de démonstration scientifiques pour la réalisation d’essais sur de possibles méthodes d’EDCm comme l’augmentation de l’alcalinité et d’autres, et ce, en toute sécurité, avec une surveillance indépendante, des données ouvertes et la participation des collectivités autochtones et locales.
L’océan doit être pleinement pris en compte dans la planification de la carboneutralité du Canada. Cela comprend l’intégration de données océaniques dans l’inventaire national des gaz à effet de serre, les stratégies d’adaptation et l’économie bleue. Grâce à des initiatives comme la Déclaration de Galway et des programmes comme Horizon Europe, le Canada peut renforcer les partenariats transatlantiques et transpacifiques, contribuer à l’établissement de normes mondiales en matière de MRV et veiller à la pleine intégration de la dimension océanique dans les futures évaluations du GIEC.
En conclusion, la recherche n’est pas facultative; elle est à la fois une garantie et un catalyseur. Elle permet de s’assurer que les activités de séquestration du carbone dans les océans, le cas échéant, sont orientées par des données probantes et non l’enthousiasme, par la coopération et non la concurrence. En investissant dans des bancs d’essai scientifiques pour la surveillance, la production de rapports et l’innovation, et dans une collaboration internationale ouverte, le Canada peut contribuer à combler la plus importante lacune de l’équation mondiale du carbone et mener le monde vers une action climatique liée aux océans à la fois responsable, vérifiable et équitable.
Merci.
Le président : Merci, monsieur Hassoun.
Chers collègues, si vous avez une question pour nos témoins, veuillez la poser directement. Il en va de même si vous souhaitez que les deux répondent.
La sénatrice Busson : Je vous remercie de votre patience pendant nos difficultés techniques. C’était formidable d’entendre vos présentations ce matin. Nous avons accueilli d’autres scientifiques qui n’étaient pas aussi optimistes et encourageants que vous par rapport à la technologie d’EDCm.
J’aimerais avoir vos suggestions à tous les deux. Vous êtes tous deux du milieu universitaire et vous avez des liens étroits avec ce milieu. Nous venons d’apprendre, par exemple, que l’Université Memorial — cela a été annoncé ce matin, et vous avez peut-être été informés à l’avance — a obtenu une importante subvention — jusqu’à 5 millions de dollars — pour des travaux de recherche. Vous avez mentionné que le Canada accuse du retard. Avez-vous, pour le gouvernement du Canada, des recommandations précises que nous pourrions inclure dans notre rapport afin d’éviter que le Canada ne prenne du retard dans ces activités de recherche d’une importance capitale? Je vais commencer par Mme Waite.
Mme Waite : Merci, sénatrice. C’est une excellente question.
Le Canada a une occasion à saisir, car il compte une communauté de chercheurs très engagés qui possèdent une vaste expertise dans ce domaine. Nous œuvrons actuellement à réduire l’incertitude entourant le bilan carbone des océans. Ces travaux peuvent fournir un contexte et un banc d’essai parfaits pour le genre de solutions dont nous avons parlé.
Il est toutefois très important de reconnaître que rien n’est encore tout à fait certain. Ce que nous savons, c’est que l’occasion est énorme.
Je viens de consulter des listes de crédits carbone offerts. On remarque notamment que certains de ces crédits carbone ne sont pas très bons. Par exemple, Tesla affirme éviter la combustion de pétrole parce qu’elle fabrique des voitures électriques, et tente de vendre cela comme un crédit de carbone. Par contre, l’océan représente un système qui extrait le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère et le stocke à long terme. Autrement dit, il s’agit d’un crédit de carbone de premier ordre. C’est quelque chose de concret : il s’agit d’extraire le dioxyde de carbone d’un endroit où il ne devrait pas être pour le stocker à long terme dans l’océan.
Cela présente d’énormes débouchés, d’où l’intérêt des chercheurs pour ce problème et l’occasion que cela représente. Nous considérons qu’il s’agit d’une solution concrète contre les changements climatiques. Il vaut donc la peine de poursuivre les efforts actuels, à savoir les essais. Nous avons déjà obtenu certains succès. Les premiers crédits carbone liés à l’augmentation de l’alcalinité des océans ont été émis.
Dans la communauté universitaire, nous considérons qu’il faut être très critique et poser des questions difficiles aux entreprises en démarrage avec lesquelles nous avons des discussions. À l’Ocean Frontier Institute, par exemple, nous invitons les responsables des entreprises en démarrage qui souhaitent vendre des crédits carbone liés à l’océan et nous les bombardons de questions. Nous les soumettons à un contre-interrogatoire. Nous leur demandons de se conformer à nos normes de mesure. C’est là où il faut intervenir en ce moment, car de nombreuses entreprises se montrent trop ambitieuses. Elles ont connu des succès initialement et elles deviennent plus gourmandes.
Le gouvernement canadien peut jouer un rôle très utile en servant d’intermédiaire dans le dialogue entre le milieu universitaire et les entreprises en démarrage. Ce n’est pas toujours une discussion facile. C’est parfois difficile. Parfois, les chercheurs sont mécontents, tandis que les entreprises en démarrage ont parfois l’impression qu’on tente de les freiner, etc.
Pour terminer, je dirais que lorsqu’on examine la situation de l’élimination du dioxyde de carbone en milieu terrestre, on constate que les crédits carbone ont été vendus principalement sous forme de crédits forestiers. Le reboisement est vendu comme crédit carbone, car il élimine le carbone de l’atmosphère et le stocke dans les arbres. Il y a eu une crise de confiance en 2002 et 2004 parce que le secteur de la recherche et l’industrie se sont quelque peu éloignés l’un de l’autre. Les chercheurs ont commencé à critiquer l’industrie, puis l’industrie a cessé de tenir compte des données scientifiques solides qui pouvaient assurer la fiabilité de ses activités. C’est ce que nous voulons éviter.
Le potentiel d’élimination du dioxyde de carbone dans les océans est beaucoup plus important qu’en milieu terrestre, simplement parce que les océans et le puits de carbone sont beaucoup plus grands. Nous voulons faire les choses correctement, et ce, sans plus tarder. C’est là que le Canada peut vraiment jouer un rôle de premier plan, car nous avons une excellente communauté de recherche océanographique qui a la technologie et les compétences nécessaires pour mesurer le carbone avec grande précision, et nous pouvons inclure cet aspect dans les discussions avec les entreprises en démarrage qui tentent de créer une nouvelle industrie pour le Canada.
À mon avis, le Canada doit faire deux choses. Premièrement, mettre en place un cadre réglementaire adéquat afin que les entreprises en démarrage qui préconisent le développement économique, à juste titre, ne soient pas freinées par la peur, fassent l’objet d’une évaluation et soient intégrées à la recherche afin que toutes les activités se déroulent correctement. C’est absolument nécessaire. Ne pas mener de recherche ou ne pas intervenir serait contraire à l’application judicieuse du principe de précaution. Nous devons agir maintenant. Nous avons déjà eu d’énormes répercussions sur l’océan.
Je vais m’arrêter ici, car je sais que M. Hassoun aura également d’intéressantes observations.
M. Hassoun : Merci, madame Waite. Je suis tout à fait d’accord avec les commentaires de Mme Waite. Il est très important que le Canada agisse maintenant.
Pour simplifier, je diviserais cela en trois piliers : établir la base scientifique, investir davantage dans la recherche scientifique et l’observation océanique, et mettre en place les infrastructures de mesure, de rapport et de vérification pour faire du Canada un véritable chef de file. On ne devrait pas craindre les solutions océaniques actuellement proposées sur le marché tant que le Canada réglemente l’innovation, ce qui est très important. Il faut également être un chef de file pour les questions éthiques et tenir compte des aspects sociaux et économiques liés au domaine, sans oublier, bien sûr, l’intégration des questions relatives à l’océan dans les politiques de manière plus réglementée. Au fil de ces étapes, le Canada ne doit pas se contenter de rattraper son retard. Il peut aussi devenir très facilement un chef de file mondial, car il a toute l’expertise nécessaire. C’est ainsi que je simplifierais les choses.
La sénatrice Busson : Merci.
Le sénateur Ravalia : Je remercie les témoins pour leurs présentations très instructives.
Je me demandais si, dans le cadre de vos travaux scientifiques, vous avez fait une analyse comparative entre nos trois océans. Nous avons beaucoup entendu parler de ce qui se passe sur la côte Est. Pourriez-vous parler de ce qui se passe sur la côte Ouest et en particulier dans l’Arctique, étant donné que les pressions varient d’une région à l’autre, par exemple l’exploration, la circulation maritime, la pollution, les déversements, les déchets, etc. Dans quelle mesure collaborons-nous avec nos partenaires internationaux pour ce genre de recherche?
Mme Waite : Merci, sénateur. C’est une excellente question.
Sur la côte Ouest, je sais qu’il y existe au moins une initiative de recherche d’envergure qui porte sur le stockage du carbone dans les formations rocheuses sous-marines. C’est aussi un exercice fort intéressant et précieux. Il est possible d’injecter du dioxyde de carbone sous diverses formes dans des cavités du fond marin. Avec le temps, ce carbone cristallise et se solidifie pour former une structure rocheuse permanente sous le fond marin. Je crois savoir que ces travaux sur la côte Ouest sont menés par Ocean Networks Canada. C’est une très belle étude.
Dans l’Arctique, les activités d’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin n’ont pas vraiment commencé. Nous voulons vraiment connaître ce que les communautés du Nord souhaitent faire. Actuellement, évidemment, étant donné que tous les regards sont tournés vers l’Arctique et aussi vers le gouvernement actuel, il y aura d’importantes questions quant à la participation des collectivités en vue d’obtenir les meilleurs résultats. Comment peut-on faire profiter les collectivités des retombées économiques? Il va sans dire que l’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin représente un débouché énorme.
Pour revenir à la côte Ouest, nous savons que les collectivités autochtones sont obligées d’éliminer les fermes salmonicoles en filet ouvert, en raison de la nouvelle réglementation. C’était une industrie importante pour la Colombie-Britannique, en particulier pour les Premières Nations de la province. Cela a suscité de la controverse dans la région. L’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin est un type de perturbation de l’écosystème qui pourrait également être bénéfique à l’échelle locale. Par exemple, l’aménagement d’une ferme de varech, l’augmentation de l’alcalinité de l’océan ou l’ajout d’un antiacide à l’océan et autres choses du genre peuvent être des perturbations positives à l’échelle locale tout en aidant les collectivités autochtones à trouver un nouveau moyen de subsistance. Voilà le genre de discussions que nous voulons avoir, car ces collectivités sont devant la fermeture imminente d’une industrie de longue date qu’elles ont créée dans leur propre cour arrière.
M. Hassoun : Il convient de mentionner ici un rapport intitulé The Potential for Marine Carbon Dioxide Removal in Canada. Il met l’accent sur l’Ouest canadien, en particulier la Colombie-Britannique.
Cependant, même si les côtes de l’Ouest et de l’Arctique canadiens sont longues, le déploiement potentiel de la technologie en est encore au stade du projet pilote. D’après ce que nous a dit Mme Waite et d’après mes modestes connaissances en la matière, aucune méthode n’a encore été testée à grande échelle. Il va sans dire que des études supplémentaires s’imposent.
Il y a un vaste potentiel de collaboration internationale dans ces domaines, par exemple dans l’Arctique, avec des pays comme l’Allemagne et, bien sûr, avec nos collègues américains. Nous collaborons déjà dans certaines zones à proximité, comme la mer du Labrador, où nous organiserons bientôt une expédition pour récupérer et déployer des amarres, entre autres. Des collaborations ont déjà lieu, mais si on en tirait parti et si on leur accordait de plus grandes sommes, nous en sortirions certainement gagnants. Nous pourrions ainsi acquérir les connaissances qui nous font défaut dans ces domaines clés, au profit non seulement du Canada, bien sûr, mais aussi au profit du reste du monde.
Le sénateur Ravalia : Merci.
Mme Waite : J’ai mis dans le clavardage un lien vers le rapport mentionné par M. Hassoun. La Supergrappe des océans du Canada vient de publier un rapport sur l’effet potentiel de l’élimination du dioxyde de carbone au Canada, et l’organisation y voit un gain potentiel pour notre économie.
Le président : Merci.
Le sénateur C. Deacon : Je remercie nos témoins d’être parmi nous et d’avoir livré des témoignages extrêmement fascinants pour lancer les discussions. Je vous présente encore une fois nos excuses pour les problèmes techniques.
Une géo-ingénierie massive s’opère dans les océans. Je pense, comme vous l’avez dit, monsieur Hassoun, que l’océan change plus vite que nous ne pouvons mesurer ces changements. C’est un fait. Pour réagir aux critiques, je suis beaucoup plus à l’aise avec l’approche de précaution que vous proposez qu’avec l’idée d’essayer de tout arrêter pendant que nous prouvons que tout est sûr et que nous pouvons aller de l’avant. En effet, nous connaissons l’ampleur des dommages causés en ce moment.
Je tiens à soulever un point qui me préoccupe et que j’ai entendu encore une fois lors des réunions du Protocole de Londres, qui, je crois, se déroulent en ce moment. Un autre texte de résolution, s’il est adopté, pourrait interrompre les recherches dans ce domaine. Je crois comprendre qu’il a été présenté par un grand pays européen. Littéralement, il serait interdit de mener ces recherches bien en deçà de la limite des 200 milles, jusqu’à notre littoral.
Je trouve curieux que cette question soit à nouveau soulevée. Il y a eu une réaction négative l’an dernier. Pouvez-vous nous aider à comprendre pourquoi elle revient sans cesse sur le tapis? Qu’est-ce qui explique cette réaction négative? Nous devons vraiment comprendre cette dynamique pour rédiger un rapport offrant une perspective équilibrée. Je commencerais peut-être par vous, si vous le permettez, monsieur Hassoun.
M. Hassoun : Merci beaucoup. C’est un point crucial.
Les solutions axées sur l’océan et les techniques et méthodes d’EDCm proposées comportent de nombreux aspects. Elles ont également des volets éthiques, sociaux et économiques. Parfois, au moment de mettre ces solutions en œuvre dans le monde réel, ces aspects ne sont pas bien pris en compte.
Cette discussion refait surface parce que, à vrai dire, il faut renforcer la surveillance, la communication et la validation liées à notre infrastructure — que ce soit au Canada ou ailleurs — avant toute mise en œuvre à grande échelle. C’est très important, car pour appliquer une solution — et pour pouvoir affirmer que c’est réellement une solution —, nous devons obtenir l’accord et la confiance des peuples autochtones, des communautés autochtones, des communautés côtières, etc. Nous devons vraiment savoir, avec une grande précision et une grande certitude, quels seront les dommages collatéraux. C’est pourquoi les capacités d’observation et de surveillance des techniques d’EDCm proposées doivent être mises à profit. C’est la principale raison pour laquelle cette discussion refait surface. C’est pourquoi, en tant que scientifique, et comme beaucoup de mes collègues qui travaillent dans le domaine de la biogéochimie et dans ce milieu en général, je préconise toujours d’investir dans des solutions et de les mettre à l’essai d’abord à très petite échelle et en laboratoire. Il faut toujours faire preuve de prudence et de vigilance à l’étape de la mise en œuvre à grande échelle. C’est pourquoi nous croyons qu’il est très important de prendre en compte les aspects sociaux et éthiques de toute solution d’EDCm proposée.
Le Canada peut jouer un rôle très important à cet égard. Je sais que, dans le cadre de la transformation des projets d’action climatique, certains collègues très compétents s’intéressent à l’aspect éthique et à la manière d’impliquer concrètement les communautés autochtones dans toute solution proposée, qu’il s’agisse d’une solution fondée sur la nature ou d’une solution de géo-ingénierie comme les techniques d’EDCm.
Je pense qu’il est sain de raviver cette discussion. Cela ne pose pas vraiment problème. Les collègues ayant une formation en éthique peuvent animer la discussion. Pendant ce temps, de nombreux aspects liés à la surveillance, à la communication d’informations et à la vérification devraient être exploités et renforcés en parallèle, et non après la discussion.
Mme Waite : Je vais entrer un peu plus dans les détails des enjeux abordés dans la Convention de Londres et le Protocole de Londres.
Je dirai simplement que toutes ces conventions internationales sont, à l’heure actuelle, des instruments peu efficaces pour composer avec un environnement qui change très rapidement. Vous remarquerez que les discussions à la Convention de Londres, sur le Protocole de Londres, sont actuellement dominées par des groupes très axés sur la préservation de l’environnement. En toute bonne foi, ils pensent que toute perturbation de l’océan est à proscrire.
Pour revenir à votre commentaire, sénateur Deacon, je dirai que la difficulté réside dans le fait que le chalutage de fond et le forage pétrolier engendrent déjà de graves conséquences pour l’océan. L’une des répercussions négatives les plus graves pour l’océan, reconnue comme le plus grand problème de pollution au monde, est l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère qui se retrouve dans l’océan et l’acidifie. Nous perturbons déjà considérablement l’océan.
Les intervenants participant aux discussions dans le cadre de la Convention de Londres invoquent le principe de précaution. Ils disent : « Oh, nous ne devrions rien faire, car nous pourrions nuire aux océans. Nous pourrions leur causer du tort. » Or, dans les faits, nous causons déjà du tort et nous continuons à perturber l’océan en ne réduisant pas les émissions, en autorisant toutes sortes de pêches non réglementées et en continuant la pollution par le plastique, la pollution pétrolière et d’autres types de pollution.
On assiste à l’application erronée d’un principe de précaution bien intentionné. En fait, le principe de précaution — le précepte central du droit de l’environnement — stipule que, étant donné l’incertitude entourant l’effet des choix de politiques, cette incertitude ne doit pas en soi nous empêcher d’agir. À mon avis, face aux menaces graves ou irréversibles qui pèsent sur l’environnement marin — l’une des plus grandes menaces étant les changements climatiques —, le principe de précaution devrait nous inciter à agir.
Le problème est que nous avons trois conventions internationales qui se contredisent. La Convention sur la diversité biologique et le Protocole de Londres stipulent tous deux : « Ne faites rien, car vous pourriez causer du tort. » Puis, l’Accord de Paris stipule : « Il faut mettre à l’essai les solutions axées sur le dioxyde de carbone en milieu marin, car c’est l’une des seules solutions qui a réellement assez de poids pour avoir un effet sur le problème. »
À mon avis, quoiqu’il soit sain d’avoir une conversation animée, le problème est que cette conversation animée n’a pas lieu dans chacun de ces forums. Chacun de ces forums internationaux est tiré dans une direction différente par différents acteurs. Par exemple, Greenpeace influence grandement les discussions de la Convention de Londres. L’organisation y a dépêché un intervenant très habile, très intellectuel et très réfléchi, qui oriente la conversation dans une certaine direction. Le Canada doit résister à cette influence. Il est très important que, sur la scène internationale, nous mettions en place le bon type de principe de précaution axé sur l’Accord de Paris et les changements climatiques, car c’est la plus grande perturbation qui touche les océans en ce moment.
Cet excès de prudence part d’une bonne intention. Il découle d’une réflexion sérieuse prônant de ne pas nuire aux océans. Pour aller de l’avant, il faut recenser les technologies et les processus d’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin qui se révèlent légèrement positifs et qui n’ont pas d’effets néfastes. Une fois que nous les connaîtrons, il faudra les tester et les développer à plus grande échelle pour le bien de la planète. C’est une conversation plutôt difficile à avoir dans des contextes que l’on pourrait qualifier d’un peu extrêmes dans certains forums internationaux. Veuillez donc me pardonner mon franc-parler à ce sujet.
Le sénateur C. Deacon : Merci. Vous m’avez éclairé sur le rôle du gouvernement dans le financement de la recherche et dans la coordination pour obtenir l’approbation sociale — deux points que vous avez tous deux soulignés dans vos témoignages, je crois. Vous m’avez vraiment éclairé. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Boudreau : J’aimerais poser ma question en français, mais sentez-vous libres de répondre dans la langue de votre choix.
Ma question s’enchaîne assez bien avec la question de mon collègue le sénateur Deacon. On a beaucoup entendu parler de l’acceptabilité sociale et de la licence sociale pour cette nouvelle technologie et cette nouvelle industrie que l’on veut voir se développer au Canada.
Certains de nos témoins nous parlent de l’importance d’obtenir l’accessibilité sociale; d’autres nous ont donné l’impression qu’ils l’avaient déjà reçue. Par contre, lorsqu’on pose des questions par rapport à la consultation publique, on parle de forums et de conférences internationales, mais on ne parle pas de consultations auprès de nos pêcheurs et de nos communautés côtières.
C’est très important d’avoir ces discussions.
À votre avis, quelles mesures le gouvernement fédéral peut-il prendre pour renforcer le plus rapidement possible les partenariats avec les pêcheurs et les communautés autochtones et côtières, afin de permettre à cette industrie d’atteindre tout son potentiel?
[Traduction]
Mme Waite : Merci de cette question, sénateur Boudreau. Je suis tout à fait d’accord avec vous.
Oui, certaines des petites entreprises ou entreprises en démarrage qui se consacrent à l’élimination du dioxyde de carbone commencent à obtenir le type d’acceptabilité sociale dont elles ont besoin pour aller de l’avant. Toutefois, aucune d’entre elles n’en a suffisamment, et à mesure que nous appliquerons les technologies à plus grande échelle — ou que nous envisagerons de les appliquer à plus grande échelle —, il faudra renouveler l’acceptabilité sociale, car on ne peut la tenir pour acquise. Il faut constamment informer les communautés, en apprendre davantage sur leurs besoins et sur la valeur que l’industrie en tant que telle, par exemple, peut leur apporter.
L’une des initiatives que nous menons ici, à l’Ocean Frontier Institute, est le programme COMPASS, qui rassemble des chercheurs qui réfléchissent aux aspects sociaux, scientifiques et réglementaires. Nous les réunissons dans un petit groupe de réflexion afin de favoriser la communication, de rester en contact constant avec les communautés et de travailler avec les différents secteurs pour comprendre leurs besoins et comment ils pourraient tirer profit de cette industrie à l’avenir. Cependant, nous devons également savoir quand il est nécessaire de ralentir, ce qui n’est pas facile dans une industrie qui est animée par un sentiment d’urgence refoulé.
Vous avez tout à fait raison de dire que certains pans de l’industrie ont fait le nécessaire pour obtenir l’acceptabilité sociale. Je pense qu’aucun d’entre eux n’en a fait suffisamment en ce sens. Nous devons tous continuer à travailler avec eux pour leur rappeler ces responsabilités. Le gouvernement du Canada peut soutenir nos efforts de communication avec les communautés et l’industrie. Nous sommes l’intermédiaire pour tenter de faciliter cette conversation afin qu’elle soit constructive. Nous aimerions continuer dans cette voie. Nos chercheurs doivent s’activer en ce sens, mais ils ont également besoin d’être soutenus. Ils doivent savoir que le gouvernement se soucie de cet enjeu et qu’ils recevront le soutien dont ils ont besoin. C’est un travail difficile. Lors d’assemblées municipales, on peut se heurter à de l’opposition. Ce n’est pas une mince tâche. Les scientifiques ne trouvent certainement pas le travail facile à faire. Nous avons besoin de tout le soutien possible pour mener cette consultation dans les communautés canadiennes aussi judicieusement que possible.
M. Hassoun : Je suis tout à fait d’accord avec Mme Waite.
[Français]
Pour que les solutions du captage du carbone marin réussissent au Canada ou ailleurs, il est essentiel d’obtenir la confiance et l’adhésion du public. Le Canada doit adopter une approche participative en convenant des projets avec les communautés autochtones et côtières, en assurant la transparence totale des activités de recherche et de données et en intégrant de grandes évaluations d’impact social et éthique à chaque étape, pas seulement à la fin.
Il est crucial de renforcer la sensibilisation et l’éducation du public, notamment auprès des jeunes, afin de développer une véritable culture du carbone océanique.
Je pense qu’effectivement, le Canada doit passer d’un modèle d’autorisation à un modèle de partenariat, où les citoyens et les communautés sont pleinement impliqués dans la conception, le suivi et la gouvernance des solutions au chapitre de l’élimination marine du carbone, dont l’acronyme en anglais est mCDR, mais au sein même de cette industrie.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Merci à vous deux de partager vos vastes connaissances sur un sujet que j’apprends à mieux comprendre rapidement.
À vous écouter, on dirait presque que nous recherchons un équilibre. La recherche doit certainement jouer un rôle important dans l’élaboration des politiques. Il faut être indépendant pour pouvoir déterminer si une mesure est vraiment efficace. D’après ce que je comprends, il faut aussi le soutien du gouvernement pour financer une partie de ces recherches. Qu’est-ce qui motive le gouvernement? Évidemment, il s’intéresse à des éléments tels que l’acceptabilité sociale, les communautés, la population, les effets potentiels sur le mode de vie et les conditions de vie de la population, ainsi que les générations futures. C’est une réflexion nécessaire, et c’est vraiment fascinant, car nous formons une nation océanique, et certains pourraient même dire que nous formons un peuple océanique.
Au niveau international, les échos que j’entends sur la feuille de route sont contradictoires. Il y a différentes motivations. Il est difficile de déterminer comment utiliser des instruments internationaux qui se contredisent. J’imagine que cela peut prendre du temps. Ainsi, au niveau national, pour que le Canada devienne un chef de file, un certain nombre d’éléments doivent s’articuler de manière systémique autour de principes très rigoureux. Quelles doivent être les principales caractéristiques de cette feuille de route à l’avenir? Quelles sont les trois ou quatre mesures qui doivent être prises de toute urgence? Cette question s’adresse à vous deux. Nous commencerons peut-être par vous, madame Waite, puis nous écouterons M. Hassoun.
Mme Waite : Je vous remercie de la question.
Nous avons besoin d’une feuille de route fédérale. C’est un message clair que nous entendons de la part de presque tout le monde. Il nous faut une bonne structure réglementaire qui nous donne les moyens d’agir et qui est suffisamment restrictive pour satisfaire tout le monde. Vous avez tout à fait raison, sénateur : il faut trouver un équilibre. Un cadre réglementaire permettant d’agir serait l’un des éléments les plus importants que nous puissions mettre en place, car nous ne voulons pas nous éloigner de la science ou de la prudence, notamment. Nous voulons cependant permettre les essais et la mise à l’échelle de ces possibilités.
La recherche qui explore en permanence les aspects techniques doit aller de pair avec le développement économique. Puis, il faut rallier la communauté à notre cause, c’est-à-dire tenir compte des facteurs sociaux et communautaires. Ces réalités ne disparaîtront jamais. Même si nous avons le soutien d’une communauté, l’industrie pourrait évoluer, ou un autre problème pourrait surgir. Nous devons tisser un canal de communication ou une forme de regroupement, de groupe de réflexion ou de lieu de travail où nous pouvons tous nous réunir pour avoir ces discussions parfois difficiles, avec rigueur, et avec l’aide d’un modérateur. Il ne faut pas laisser l’industrie prendre le dessus et agir de façon extrême. Je ne pense pas que quiconque souhaite agir de façon radicale, mais nous devons nous assurer qu’il n’y a aucune incitation à le faire. Parallèlement, nous ne voulons pas que les efforts soient bloqués par des préoccupations fallacieuses qui reposent essentiellement sur la peur plutôt que sur des préoccupations bien réfléchies. Comme vous le dites, il faut trouver un équilibre, et le Canada peut y parvenir.
M. Hassoun : Tout à fait. Je suis entièrement d’accord avec Mme Waite.
Il est très important de trouver un équilibre. Le Canada et les pays qui sont actuellement actifs dans le domaine doivent oser investir dans les nouvelles sciences, les solutions novatrices, les solutions prometteuses, etc. Mais ils doivent le faire avec prudence. C’est l’essentiel. Voilà pourquoi la science, la gouvernance, la confiance et la collaboration sont les quatre piliers qui permettront au Canada de jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Il faut miser sur l’infrastructure scientifique; sur les investissements dans l’infrastructure scientifique; sur la mise en place d’un système national coordonné et durable de la vérification des rapports de surveillance pour toute solution océanique proposée visant à mesurer les flux de carbone dans les trois océans; et sur le réel courage d’investir en science et dans toute solution proposée. C’est pourquoi nous devrions nous servir d’un cadre réglementaire quelque peu novateur. Nous aurions ainsi des règles claires mais prudentes et des mécanismes d’approbation pour des solutions novatrices, sûres et transparentes.
Bien entendu, l’EDCm et les autres solutions, la recherche ou la mise en œuvre doivent être conformes au Protocole de Londres et aux autres accords internationaux, mais ils doivent également respecter les droits des Autochtones et attirer la confiance du public, notamment. Le Canada peut s’appuyer sur les piliers de la confiance et de l’engagement sociaux pour concevoir les solutions en collaboration avec l’industrie, la population et les communautés autochtones, pour garantir une communication ouverte et pour intégrer des évaluations des répercussions éthiques et sociales.
Bien sûr, la collaboration internationale existe déjà. Le Canada est très bien établi dans ce domaine, mais il devrait miser davantage sur les partenariats avec l’Europe, les États-Unis et les nations du Pacifique pour harmoniser les diverses normes. Comme l’a fait valoir Mme Waite, ce domaine change beaucoup et le monde en général aussi, alors il est important d’avoir des pratiques exemplaires et des normes sur lesquelles nous pouvons tous nous entendre et que tous respectent, sans égard à la méthodologie. Ces normes et leur harmonisation par l’entremise de divers accords sont la clé de toute solution ou technique pouvant être adoptée ou mise en œuvre en fonction de règlements très clairs. C’est mon point de vue.
Le sénateur Prosper : Merci.
Le sénateur Cuzner : Les témoignages d’aujourd’hui sont très pertinents.
Pour me préparer à la réunion d’aujourd’hui, j’ai lu certains documents. Madame Waite, vous avez publié un article — il y a deux ou trois ans, je crois — et j’ai été frappé par son ton qui incitait à la prudence. Vous avez parlé du grand potentiel de la capture des combustibles fossiles, mais les mécanismes qui permettent à l’océan de capter le carbone changent continuellement, et cette réalité s’est beaucoup intensifiée et accélérée. Pourriez-vous nous parler de ces mécanismes et des préoccupations connexes? M. Hassoun pourra aussi répondre à cette question.
Mme Waite : Oui. Je vous remercie, sénateur. C’est une excellente question.
Ce que nous comprenons le mieux, je dirais, c’est la chimie de l’océan : nous savons que l’océan absorbe le dioxyde de carbone naturellement. Il imprègne l’océan et s’y diffuse, et c’est le plus grand puits que l’océan fournit : la diffusion du carbone dans la masse d’eau de l’océan. Dans l’Atlantique nord de façon particulière, on retrouve des masses froides qui descendent des milliers de mètres en profondeur et emportent le dioxyde de carbone jusqu’au fond de l’Atlantique, et qui se déplace le long de bassin atlantique vers l’Atlantique Sud. Cela représente environ 1 000 ans de stockage.
Ce que nous constatons, c’est qu’en raison du réchauffement climatique, le Gulf Stream — qui est un courant très chaud, comme vous le savez — se dirige vers le nord, et il s’affaiblit dans certains cas, et avec le réchauffement de la surface de l’Arctique, il y a beaucoup de fonte qui provient de l’Arctique. On met presque le couvercle sur le flux descendant du mouvement du carbone. La circulation dans l’Atlantique Nord est extrêmement floue, et il y a eu quelques articles dans le New York Times, le Guardian et d’autres au sujet de ce qu’on a appelé l’AMOC, la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique. C’est cette formation d’eau froide qui coule au fond de l’Atlantique et qui emporte tout ce carbone. Cette circulation s’affaiblit et risque de disparaître, et on ne sait pas exactement quand. Lorsque cela arrivera, la capacité de l’océan d’absorber naturellement le carbone changera radicalement. S’il n’y a aucun mécanisme pour faire couler le carbone dans l’Atlantique Nord, on réduira les occurrences naturelles en la matière.
Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas perturber le système et faire en sorte qu’il absorbe plus de dioxyde de carbone près de la surface. L’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin peut toujours fonctionner à cette fin, mais le système naturel, surtout dans l’Atlantique Nord, semble changer assez rapidement.
M. Hassoun : Je n’ai rien à ajouter, mais j’abonde dans le même sens que Mme Waite. L’AMOC, la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique, est dans la cour arrière du Canada. C’est pourquoi l’investissement dans l’observation océanique est essentiel. L’AMOC relie le climat océanique du Canada, les pêches et le cycle du carbone. Il n’est pas seulement question du climat, mais aussi des services écosystémiques, et il est très, très important d’optimiser et d’accroître les infrastructures d’observation dans cette région et aussi dans les trois océans qui entourent le Canada. Je tenais à le souligner.
Le président : Je remercie les sénateurs et les témoins.
Madame Waite, si vous avez de la difficulté à expliquer ce qu’est l’AMOC, je ne vais pas m’y risquer, c’est certain. La matinée a été très instructive, et elle a beaucoup contribué à notre travail. Nous vous remercions tous les deux d’avoir pris le temps de vous joindre à nous. Je vous présente encore une fois mes excuses. Nous parlons d’entreprises en démarrage, et nous avons eu un démarrage difficile ici ce matin, mais grâce à nos techniciens, nous avons pu régler les problèmes, et c’était formidable d’avoir l’occasion de vous entendre tous les deux, et de discuter avec les sénateurs. Merci et bonne journée.
Nous allons maintenant prendre quelques instants pour nous préparer à passer à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)