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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 27 octobre 2025.

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit par vidéoconférence aujourd’hui, à 16 heures [HE], pour examiner, afin d’en faire rapport, l’effet de la désinformation de la Russie sur le Canada; et, à huis clos, afin d’étudier une ébauche d’ordre du jour (travaux à venir).

Le sénateur Hassan Yussuff (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je suis Hassan Yussuff, président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je vais demander à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ince : Tony Ince, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario, je remplace le sénateur McNair.

La sénatrice White : Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec.

Le sénateur Carignan : Bonsoir. Du Québec, Claude Carignan.

[Traduction]

Le sénateur Al Zaibak : Je suis Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario.

Le président : J’aimerais prendre un instant pour souhaiter à nouveau la bienvenue à la sénatrice Boniface. Bon nombre d’entre vous se rappellent peut-être qu’elle a déjà été présidente de ce comité. Je sais que le comité a eu la chance de bénéficier de son leadership et de son expérience pendant ce temps. Aujourd’hui est un jour spécial, car ce sera la dernière fois qu’elle siégera en tant que membre du comité avant de prendre sa retraite.

Des voix : Bravo!

Le président : Je sais que tout le monde se joindra à moi pour vous remercier, sénatrice Boniface, pour la sagesse avec laquelle vous avez guidé les travaux au fil des ans. Nous vous souhaitons le meilleur dans le prochain chapitre de votre vie. Merci d’être ici pour cette occasion importante.

Pendant la réunion d’aujourd’hui, nous poursuivrons le travail que nous avons commencé à la dernière séance sur l’effet de la désinformation de la Russie sur le Canada. Nous allons entendre deux groupes de témoins s’exprimer sur la réaction du Canada à la désinformation russe.

Dans le premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir M. Justin Ling, journaliste d’enquête; et M. Simon Hogue, professeur, Politiques mondiales des technologies numériques, Département de science politique, de l’Université du Québec à Montréal. Merci à tous les deux de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par vous inviter à présenter vos déclarations préliminaires, qui seront suivies des questions des membres du comité. Je vous rappelle à tous les deux que vous avez cinq minutes pour présenter votre déclaration préliminaire.

Justin Ling, journaliste d’enquête, à titre personnel : Bonjour, sénateur Yussuff et mesdames et messieurs les sénateurs. Merci beaucoup de m’avoir invité.

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis journaliste indépendant et chroniqueur. J’ai couvert les opérations de désinformation et d’influence russes, ici, au Canada, et sur le terrain, en Lettonie, en Lituanie, en Ukraine et ailleurs.

Je sais que cette introduction est en grande partie inutile pour la Chambre haute, mais je tiens à répéter que je suis ici à titre strictement non partisan. C’est toujours un peu bizarre quand un journaliste témoigne, mais, puisque cette question revêt une importance nationale, j’ai décidé que c’était dans l’intérêt de tout le monde. Je vais tenter d’être bref, même si je sais que tout le monde dit cela.

En octobre dernier, j’ai témoigné sur ce même sujet devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, à l’autre endroit, où j’ai raconté l’expérience personnelle que j’ai vécue avec un agent d’influence du gouvernement russe. Pour gagner du temps, je ne vais pas m’étendre sur cette histoire, mais je répondrai avec plaisir à vos questions si vous en avez. J’aimerais plutôt parler de la façon dont les opérations d’information russes gagnent du terrain et expliquer comment nos alliés aident à la détection et à la dénonciation de ces activités. Je pense que le Canada peut tirer quelques leçons utiles à ce chapitre.

Au cours des huit dernières années environ — et c’est un sujet sur lequel j’ai écrit de nombreux articles —, la Russie a renforcé sa présence en Afrique, en particulier dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest. Ses objectifs y sont très clairs. Elle veut trouver de nouveaux partenaires commerciaux, contourner les sanctions de l’Occident, piller les ressources naturelles — surtout les diamants et l’or — et remplacer les acteurs européens, en particulier la France. Pour ce faire, elle a déployé des mercenaires quasi indépendants et a fait circuler un volume considérable de propagande et de désinformation.

En juin dernier, le Service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères de France, également connu sous l’acronyme VIGINUM, a publié un rapport détaillé et fascinant sur le travail de l’African Initiative, une organisation médiatique qui couvre les nouvelles du continent en cinq langues. Elle produit des nouvelles de grande qualité et clairement rédigées, qui concernent en particulier la politique et la sécurité. Soit dit en passant, l’African Initiative est également dirigée par le Kremlin. Elle produit une mésinformation flagrante telle que l’allégation selon laquelle l’Amérique dirige une installation d’armes biologiques au Kenya, entre autres graves allégations. Le siège de l’African Initiative est à Moscou. L’organisation s’appuie fortement, également, sur l’intelligence artificielle, en particulier OpenAI, pour diffuser des mèmes et de la désinformation sur Twitter, TikTok, Instagram, Facebook et YouTube, et a même lancé au Burkina Faso une station de radio, comme au bon vieux temps.

Voici ce que VIGINUM affirme :

[Français]

African Initiative met en œuvre des initiatives immédiates et de court terme pour atteindre des objectifs de long terme visant à implanter et promouvoir l’idéologie pro-Kremlin.

[Traduction]

Autrement dit, elle utilise clairement des méthodes à court terme, mais dans l’objectif à long terme de rallier des amis et des alliés dans la région.

L’African Initiative constitue une opération d’information hybride nettement plus élaborée et plus vaste que ce que nous avons vu dans le passé, en grande partie grâce à l’intelligence artificielle et aux plateformes des médias sociaux qui ne semblent plus se soucier de contrer l’ingérence étrangère, et grâce à un grand nombre d’acteurs locaux qui veulent coopérer ainsi qu’à des entrepreneurs russes qui veulent aider.

Je crois comprendre que l’objet de votre étude est l’effet des opérations de désinformation de la Russie sur le Canada, et j’aimerais brièvement soulever deux points avant de conclure.

Le premier, c’est que cette opération panafricaine pourrait facilement être reproduite et reconfigurée pour cibler le Canada, l’Amérique, l’Europe, les Caraïbes ou d’autres régions du monde. Puisque les opérations de désinformation russes n’ont eu jusqu’ici qu’un effet marginal sur le Canada, nous ne savons pas vraiment si nos moyens de défense seraient efficaces contre un effort d’une telle envergure ou contre quelque chose de similaire.

Mon second point, c’est que les opérations d’information russes à l’étranger — que ce soit en Afrique de l’Ouest, en Amérique du Sud, en Europe ou ailleurs — ont quand même un effet important sur le Canada. Plus la Russie utilise la propagande et la désinformation pour financer sa machine de guerre, miner la démocratie à l’étranger et recruter de nouveaux alliés pour son bloc antilibéral, plus le monde sera hostile et dangereux. L’Ukraine et nos alliés européens l’ont compris. C’est pourquoi nous avons eu connaissance des activités ou du moins du détail des activités de l’African Initiative, par exemple, grâce à la France. Même si nos moyens de défense ne sont pas encore parfaits, nous devrions déjà commencer à réfléchir à la façon de passer à l’offensive. Enquêter sur les opérations hybrides russes à l’étranger et en déterminer la source est une responsabilité collective, et le Canada ne joue tout simplement pas son rôle.

Il est clair que le journalisme de qualité est également très en demande à l’échelle mondiale, en particulier dans des régions qui ont longtemps été mal servies, comme les populations francophones de l’Afrique de l’Ouest, qui sont actives dans l’African Initiative, la lisent et l’apprécient. Le Canada a été autrefois un chef de file mondial dans ce domaine, avec Radio-Canada International. Malheureusement, Ottawa a essentiellement abandonné l’idée que le Canada puisse ou doive financer un journalisme objectif et impartial à l’étranger. La Russie s’est empressée de combler le vide avec de la propagande.

Je vais répondre avec plaisir à vos questions, qu’elles portent sur les efforts de Moscou ici, ses tentatives d’ingérence ailleurs ou sur ce que nous pouvons faire pour nous défendre. Merci.

[Français]

Simon Hogue, professeur, Politique mondiale des technologies numériques, Département de science politique, Université du Québec à Montréal, à titre personnel : Bonjour. D’abord, je tiens à remercier le comité. C’est un honneur d’être ici aujourd’hui avec vous. Par souci de bien respecter le temps qui m’est imparti, vous m’excuserez de lire ma brève déclaration.

Beaucoup a été dit sur la désinformation étrangère. Il y a évidemment un risque de répétition. J’aimerais toutefois lancer une invitation au comité. Partant du point de vue qui est le mien, celui de l’étude de la médiatisation de la guerre, j’aimerais vous inviter à adopter une lunette d’analyse qui, paradoxalement, se détache des postulats traditionnels de la sécurité — la dissuasion, le renseignement, la criminalisation — au profit d’une approche sociétale de la désinformation qui me semble plus utile pour éclairer la complexité du phénomène et pour faire ressortir des lieux possibles d’intervention.

La désinformation étrangère est évidemment un enjeu de sécurité nationale. Elle est menée par des acteurs étrangers, dont la Russie et la Chine, dans l’objectif de nuire au Canada. La désinformation est explicitement pensée, notamment à Moscou, comme une arme de subversion dans le but précis de déstabiliser les sociétés occidentales. Ses effets néfastes sont potentiellement existentiels, comme le suggérait à juste titre la Commission sur l’ingérence étrangère au Canada.

Au passage, je tiens à préciser que je n’ai aucun lien, ni familial ni autre, avec la commissaire.

Mais la désinformation est aussi un message. Il faut donc l’analyser ainsi. Toute communication est un processus et le fruit d’une relation entre un producteur de messages, sa mise en circulation et un consommateur. Pour renforcer la résilience de la démocratie canadienne, il faut mettre en lumière les lieux de pouvoir qui traversent notre écosystème des médias et que la Russie manipule dans ses objectifs de subversion.

Concrètement, qu’est-ce que le modèle de la production, de la circulation et de la consommation de la désinformation permet d’illustrer?

D’abord, qu’on ne peut pas empêcher la production de désinformation. Le Canada n’a aucun contrôle sur le producteur, et la production est rendue d’autant plus facile que l’intelligence artificielle en réduit les coûts. Ni la diplomatie ni la dissuasion ne vont permettre de mettre fin à la désinformation russe.

Si on adopte une lunette sécuritaire, il reste entre les mains d’Ottawa des moyens défensifs. À ce titre, et sans grande surprise, les rapports du rapporteur spécial Johnston de 2023 et de la Commission sur l’ingérence étrangère de 2025 ont mis l’accent sur le renforcement des capacités des institutions de sécurité canadiennes pour se défendre contre la désinformation, pour identifier, contrer et alerter la population face à une menace de désinformation, comme on le ferait pour une attaque de missiles. Tout cela semble fonctionner jusqu’à un certain égard.

Pourtant, et malgré le fait que les élections aient pu être tenues en toute intégrité, j’aimerais suggérer que l’optimisme affiché par le dernier rapport du groupe d’experts responsables du Protocole public en cas d’incident électoral majeur publié au début du mois d’octobre fait face à au moins un biais majeur : la désinformation dépasse le cadre temporel des élections.

On pourrait ajouter que l’objectif de subversion aujourd’hui est moins d’impacter directement les résultats d’élections — contrairement aux élections présidentielles américaines de 2016 que nous avons tous en tête — que de déchirer le tissu social canadien. Ce travail est un travail de longue haleine qui nécessite une fine connaissance et une manipulation adroite des contradictions et divisions inhérentes à notre société grâce à l’utilisation des moyens de communication numériques que nous connaissons bien. Bref, pour contrer la désinformation étrangère et préserver la démocratie, la surveillance des élections, même avec la meilleure coordination institutionnelle, est insuffisante. Le problème est sociétal et demande une prise en charge sociétale.

Or, si le Canada n’a pas de moyen d’empêcher la production de désinformation, il faut garder à l’esprit que ce n’est pas parce que du contenu est produit qu’il est visible. Et ce n’est pas parce que le contenu est vu qu’il est cru. En adoptant une lunette communicationnelle, les questions qu’il faut poser changent. Il s’agit moins de se questionner sur la Russie, même s’il demeure pertinent de mettre en lumière les stratégies de production, incluant ce qui apparaît de plus en plus comme une économie de la désinformation, que de creuser les dynamiques propres à l’écosystème médiatique au Canada qui font que la désinformation est vue et crue.

Quelles sont les stratégies qui favorisent la circulation? Quels sont les réseaux ou les acteurs qui rendent la désinformation légitime aux yeux de certains consommateurs? Pourquoi adhère-t-on à des idées radicales? Existe-t-il une différence entre les formes de désinformation? Ces questions, et d’autres encore, ciblent les processus de circulation et de consommation des messages.

De là, les solutions qui émergent passent moins par l’attribution de nouveaux pouvoirs aux institutions de sécurité que par une meilleure gouvernance de l’information. Bref, ce que je vous invite à faire est d’inverser les perspectives. Ce n’est plus par le renforcement de la sécurité nationale que l’on préserve la démocratie canadienne, c’est plutôt par le renforcement de la démocratie que l’on peut assurer la sécurité nationale.

Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Hogue et monsieur Ling, de vos déclarations préliminaires.

Comme toujours, nous faisons de notre mieux pour donner à chaque membre le temps de poser ses questions. Ainsi, vous aurez quatre minutes pour chaque question et sa réponse. Je vous demande de poser des questions brèves pour qu’il y ait autant d’interventions que possible.

Je laisserai le vice-président, le sénateur Al Zaibak, poser la première question.

Le sénateur Al Zaibak : Merci beaucoup à tous les deux d’être ici.

Monsieur Ling, dans le cadre de votre travail, vous avez documenté la façon dont le renseignement russe et ses mandataires ciblent les démocraties occidentales en détruisant la confiance du public envers les institutions. Selon vous, quelles tactiques et quels discours ou canaux d’influence spécifiques sont actuellement utilisés contre le Parlement et les parlementaires canadiens, et dans quelle mesure sont-ils coordonnés avec les objectifs géopolitiques plus larges de la Russie?

M. Ling : J’ai une réponse qui va vous sembler être une bonne nouvelle, mais qui ne l’est pas. La réponse courte, c’est que les canaux de désinformation russes ont à coup sûr fait des tentatives, sur les canaux quasi officiels ou autant que sur les canaux officiels, que ce soit par le truchement d’anciens membres du personnel de l’ambassade russe, dont au moins un a été expulsé du pays, ou par le truchement des médias. Il y a eu des tentatives et, pendant un certain temps du moins, je crois, il y a eu des tentatives quelque peu soutenues pour cibler le Canada et miner la confiance envers l’ordre libéral, notre démocratie et notre soutien au gouvernement de l’Ukraine.

Je crois que la Russie a en grande partie renoncé à ces efforts. Je veux dire par là que l’on n’a pas observé d’efforts soutenus et systématiques ces dernières années, où la Russie parle du Canada ou s’intéresse à des enjeux canadiens ou au Parlement du Canada. On y pense souvent après coup. De manière générale, la réponse simple à cette question, c’est que la Russie constate qu’elle obtient des résultats nettement meilleurs quand elle utilise ses ressources pour cibler des pays plus faciles à persuader ou des pays où les clivages sont plus flagrants. Les efforts de désinformation et de propagande de la Russie ont été beaucoup plus pointus et efficaces en Moldavie, en Roumanie, en Europe de l’Est, en République tchèque et ailleurs.

La réponse courte, c’est que l’on ne voit pas beaucoup de ces tentatives actuellement, à ma connaissance. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas à l’avenir, mais je pense que, jusqu’à présent, la Russie était suffisamment occupée ailleurs.

Le sénateur Al Zaibak : Y a-t-il des médias spécifiques que non seulement les parlementaires, mais aussi le public canadien devraient connaître?

M. Ling : Oui. Je pense à plusieurs chaînes : Russia Today — RT — la chaîne de télévision générale multilingue, dont en anglais, du gouvernement russe. Il y a aussi Sputnik, la version russe d’une plateforme de média numérique. On l’appelait souvent le « BuzzFeed » de la propagande russe, ce qui n’est pas très flatteur. Bien entendu, il y a des choses comme l’African Initiative.

Ce que vous voyez de plus en plus, de la Russie, c’est une tactique qui a en quelque sorte été lancée par l’Internet Research Agency en 2016 durant la campagne présidentielle américaine, qui consistait à créer des comptes fictifs sur Facebook, YouTube, Twitter et ainsi de suite pour y publier des images générées par l’intelligence artificielle et même parfois des extrait vocaux, ce qui, en passant, rend les choses plus faciles. Pendant longtemps, la Russie a eu de la difficulté à diffuser du contenu anglophone provenant d’anglophones. L’intelligence artificielle a réglé le problème au profit de la Russie. Vous voyez ce genre de comptes artificiels, mais le problème, souvent, c’est que vous pouvez tomber sur ce genre de comptes en naviguant sur YouTube, mais ils ne semblent pas avoir beaucoup d’effet. Ce ne sont pas des organisations très convaincantes ni très crédibles, donc c’est difficile de les signaler pour qu’elles soient surveillées.

Outre cela, et c’est, selon moi, la plus grande menace d’ingérence russe ou de désinformation qui s’infiltre dans nos systèmes, cela passe par des chaînes occidentales qui se font un plaisir de faire de la propagande ou qui sont payées pour en faire. Bien entendu, nous sommes tous au courant des accusations portées contre Tenet Media, fondée par un couple canadien. Tenet Media représentait un certain nombre d’influenceurs conservateurs bien connus aux États-Unis qui auraient, selon le ministère de la Justice, du moins sous l’administration précédente, accepté d’importantes sommes d’argent d’un agent du gouvernement russe. Ce genre d’efforts est beaucoup plus difficile à cerner et à interrompre, mais je pense que nous devons savoir que c’est une possibilité.

Le sénateur Cardozo : Ma question s’adresse à vous deux. Que voyez-vous en ce qui concerne l’intervention russe au Canada, et de celle de la Chine ou d’autres pays, et pouvez-vous les comparer entre elles, surtout pour ce qui est de la communauté ukrainienne-canadienne?

[Français]

Observez-vous des interférences ciblant la communauté ukrainienne canadienne?

M. Hogue : Les approches russe et chinoise de la désinformation sont différentes. Les deux sont présentes, mais la Chine vise davantage à contrôler l’opinion que la diaspora chinoise au Canada pourrait avoir de la Chine plutôt que de chercher à miner et à faire de la subversion.

La stratégie de subversion de la Russie est mise en place depuis l’Union soviétique. C’est une vieille stratégie qui continue à être d’actualité. L’idée n’est pas de donner une image positive de la Russie, du moins certainement pas au Canada, mais de s’assurer qu’en fait, il existe un conflit interne.

À ce titre, les stratégies sont fondamentalement différentes.

Excusez-moi, j’ai oublié la deuxième partie de votre question.

Le sénateur Cardozo : Elle portait sur le fond d’interférence contre la communauté canadienne ukrainienne.

M. Hogue : En ce qui a trait à l’Ukraine et à la communauté ukrainienne, l’objectif est de miner le courage ukrainien et de chercher à faire accepter la défaite de l’Ukraine comme étant un fait, si non accompli, mais un fait inévitable. Ce sont des discours de dévalorisation de l’effort de guerre ukrainien et de valorisation d’une paix qui est d’une certaine façon artificielle, parce que limitée. On mine les revendications du président Zelensky sur le contrôle de la Crimée, la réappropriation de son territoire, ses frontières hors Crimée, au complet, tout le Donbass. Ce genre de stratégies de discours qui ne montrent pas nécessairement une image positive de la Russie — contrairement à la Chine — est plutôt pour montrer que les efforts, les ressources et le temps investi en appui à l’Ukraine sont peine perdue.

Le sénateur Cardozo : Quelles méthodes utilisent-ils? S’agit-il des médias sociaux, parce que la télévision russe n’existe pas?

M. Hogue : Effectivement. Ils sont très actifs dans les médias sociaux, notamment X. D’ailleurs, il y a une forte communauté ukrainienne qui travaille à faire de la contre-désinformation, notamment avec plusieurs membres de la communauté ukrainienne canadienne. Il se peut que certains d’entre vous aient entendu parler du groupe NAFO — qui joue avec l’acronyme NATO —, un groupe actif pour contrer la désinformation russe au sujet de l’Ukraine, tant à l’intérieur du Canada que de façon globale, parce que cela a une portée internationale. De plus, ils collectent des fonds en soutien à l’État ukrainien et à l’effort de guerre.

Le sénateur Carignan : Peut-être dans la même veine, en ce qui concerne la diaspora russe au Canada, quelle est la stratégie russe pour atteindre non pas la diaspora ukrainienne, mais la diaspora russe? Font-ils de la désinformation avec elle?

M. Hogue : C’est une excellente question. Je vais devoir vous dire que je ne le sais pas. Mon collègue semble avoir une réponse.

[Traduction]

M. Ling : J’aurais peut-être une réponse pour vous. Il y avait une association, peut-être l’Association de l’amitié Canada-Russie — le nom exact du groupe m’échappe —, mais c’était un groupe qui s’entendait bien avec l’ambassade russe telle qu’elle était il y a un certain nombre d’années. Par exemple, en 2016 et 2017, l’association a envoyé une série de lettres, une lettre ouverte et de nombreuses lettres directement à de nombreux députés pour demander essentiellement le rétablissement des relations entre le Canada et la Russie; on y exposait quelques mésinformations conspirationnistes au sujet de la vraie nature du conflit avec l’Ukraine. Ce groupe avait un siège social à Toronto. Il avait des liens avec l’Église orthodoxe russe, qui, à l’époque, resserrait ses liens avec le Kremlin. Mais, au mieux de ma connaissance, cette organisation n’existe plus vraiment aujourd’hui. Elle n’a pas fait grand-chose au cours des dernières années.

Il semble que, en général, la Russie n’a pas l’habitude de se servir de sa diaspora à l’étranger; selon moi, c’est sûrement en grande partie parce que la diaspora russe à l’étranger n’est pas tellement en faveur du Kremlin, et qu’il peut donc être difficile de trouver des volontaires pour ce genre de choses. Il y a peut-être des recherches à ce sujet dont je ne suis pas au courant, mais c’est mon expérience en ce qui concerne la diaspora russe ici.

Le sénateur Kutcher : Merci à vous deux d’être présents.

Ma question s’adresse à qui veut y répondre et concerne la façon dont le Canada peut ériger la meilleure structure pour se protéger de la désinformation russe et d’autres formes de désinformation. La question de la gouvernance de l’information est fondamentale.

Depuis la campagne Doppelganger de 2022, nous voyons un phénomène très intéressant sur les médias sociaux du Canada, où le populisme toxique s’est maintenant mêlé à la campagne. La Russie ne participe plus directement à la campagne de désinformation, car maintenant les populistes toxiques s’en sont chargés. Il y a un groupe de gens qui sont contre les vaccins, contre la communauté LGBTQ+, contre les immigrants et qui sont pro-Russes, et ils diffusent constamment de l’information ou de la désinformation russe dans tout le Canada.

La question est de savoir comment le Canada peut réagir à cela. Le but de ces gens est de diviser le Canada, et de remettre notre gouvernance en question. Nous l’avons vu avec le convoi et, monsieur Ling, vous avez fait un travail formidable dans ce dossier. Quels genres de structure le gouvernement du Canada peut-il aider à mettre sur pied? Parce qu’il ne s’agit pas seulement du gouvernement, mais aussi de la société civile. Toutefois, même notre gouvernement n’a pas de plan. Personne n’a été chargé de ce dossier. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Ling : Je vais essayer d’en dire beaucoup en peu de temps.

Il faut vraiment s’assurer qu’il y a de l’ingérence étrangère avant de porter des accusations. J’ai vu beaucoup d’allégations irréfléchies selon lesquelles l’argent et la propagande de la Russie n’étaient pas seulement accessoires, dans le convoi de la liberté, mais que la Russie était en fait à l’origine du mouvement ou un participant actif, et il n’y a tout simplement pas de preuve de cela. Il n’y en a jamais eu. Je suis loin de dire que c’est ce que vous laissez entendre. J’ai toujours pensé qu’il valait la peine de se pencher sur ce dossier, mais, outre certains reportages qui sont largement restés lettre morte, les Russes n’ont pas eu une grande influence sur le convoi de la liberté. Je suis sûr que les Russes étaient contents, j’en suis certain. Ils sont toujours contents quand l’Occident est divisé. Mais je pense qu’il est important d’utiliser des termes précis quand nous parlons de ces choses. Le danger, c’est de discréditer le processus par lequel nous identifions l’ingérence étrangère.

C’est pourquoi il est important, quand on a des preuves crédibles, de les publier aussi ouvertement et rigoureusement que possible et de nommer les sources. Le gouvernement précédent a bien fait quand il a décidé de mettre en œuvre un mécanisme de réponse rapide, avec le G7, pour cerner l’ingérence étrangère et, idéalement, y mettre fin, mais il n’a jamais assuré l’attribution publique et a toujours manqué de transparence. Une trop grosse partie de ce mécanisme de réponse rapide est censée être interne; il manque de la transparence nécessaire pour que le public soit informé. Fondamentalement, si vous voulez créer un système qui peut vraiment arrêter, prévenir et entraver l’ingérence étrangère, vous devez mettre le public de votre côté. Si vous ne faites pas suffisamment confiance au public pour lui communiquer cette information, vous ne vous défendez pas vous-même, fondamentalement.

Bref, je pourrais parler davantage du mécanisme lui-même plus tard, mais tous les efforts qui sont faits pour détecter et empêcher ce genre d’ingérence doivent être faits par les entreprises de médias sociaux parce que c’est par là que la désinformation entre dans le pays. Malheureusement, il y a eu un manque total de coopération. Par le passé, quelques entreprises, comme Meta et Google, ont volontairement divulgué un peu d’information. Nous ne savons pas s’il en sera toujours ainsi, surtout si cette ingérence étrangère s’aligne sur les objectifs de l’administration actuelle des États-Unis. Rien ne garantit que ces entreprises continueront d’être aussi franches qu’elles l’ont été par le passé.

C’est pourquoi il faudra une forme de mécanisme de divulgation obligatoire ou, idéalement, de transparence obligatoire en ce qui concerne par exemple, les dépenses en publicité, les comptes générés par des algorithmes, ou les comptes étrangers qui se font passer pour des acteurs locaux. Jusqu’à présent, il n’existe aucun cadre permettant de divulguer cette information, et c’est important qu’il y ait de la transparence à cet égard.

La sénatrice White : Merci aux deux témoins de leur présentation.

Ma question s’adresse à vous deux et elle comprend deux volets. Premièrement, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du contenu de la désinformation qui cible le Canada comparativement aux autres pays du G7? Sommes-nous plus ou moins touchés? Deuxièmement, dans quelle mesure les autres pays du G7 ont-ils réussi à détecter les campagnes de désinformation russes et y réagir?

M. Ling : Comme je l’ai dit, par le passé, la Russie a profité de toutes les occasions pour s’en prendre au Canada. Par exemple, il y a eu une histoire, il y a un certain nombre d’années, quand les feux de forêt dans l’Ouest jouaient durement sur nos capacités de réaction. La Russie a offert — c’était une vraie blague, pas une vraie offre — d’envoyer des bombardiers d’eau, et le Canada a refusé. La Russie a monté cela en épingle et a dit : « Regardez, le Canada déteste tellement la Russie qu’il ne veut même pas accepter notre aide. » L’administration russe va profiter de toutes les occasions qui se présentent. Elle va aussi profiter des discours qui gagnent en popularité. Encore une fois, c’est pour cette raison qu’elle parle de façon positive du convoi de la liberté.

Jusqu’à présent, elle s’est attaquée de la même façon à tous les pays du G7 : « La guerre de l’Ukraine n’est pas votre guerre », « L’impérialisme américain vous mène par le bout du nez », des choses comme cela. Je n’ai pas vraiment vu beaucoup — du moins pas ces dernières années — de discours ciblant uniquement le Canada, mais je ne crois pas que nous devrions pour cela nous montrer complaisants face aux discours ciblant l’OTAN et le G7. Nous faisons partie de ces groupes, et nous devrions faire notre part pour réagir aux discours qui ciblent toutes ces alliances.

[Français]

M. Hogue : Je soutiens votre réponse. Essentiellement, le Canada a tout avantage à s’assurer de maintenir l’ordre libéral international tel qu’il est en ce moment. Le menacer à travers les Européens ou les États-Unis est aussi menacer les intérêts canadiens.

Pour répondre à l’autre partie de la question, je pense que le Canada est à la traîne par rapport aux Européens dans sa capacité d’être en mesure de détecter la menace et de s’outiller pour faire face à la désinformation.

Pour répondre à la question de votre collègue en même temps, je crois que le Canada a tout intérêt à regarder le modèle de la législation sur les services numériques proposé par la Commission européenne qui contraint légalement les plateformes, en particulier les grandes plateformes, à faire un encadrement très serré de toute information et tout contenu qui circulent sur la plateforme, en particulier la désinformation. À travers une série de moyens sur lesquels on pourrait revenir éventuellement, le grand intérêt est que ce sont des mesures contraignantes plutôt que normatives. Il y a aussi des sanctions financières. Même pour le Canada, il y a un intérêt particulier de voir un cadre légal comme cela qui existe. On peut s’en inspirer pour développer rapidement et efficacement le nôtre. Il y a beaucoup à dire sur un tel projet. Manifestement, le Canada est à la traîne par rapport à ses alliés.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Merci aux témoins d’être présents aujourd’hui.

Monsieur Ling, au début de vos commentaires, vous avez dit que vous aviez raconté à un autre comité une histoire que vous avez vécue. Pourriez-vous nous la raconter?

M. Ling : Bien sûr. Je vais essayer d’être assez bref, mais c’est une histoire assez longue. Vers 2015-2016, j’ai envoyé une demande d’entrevue à l’ambassade russe et j’ai fini par recevoir un message d’un homme nommé Kirill Kalinin, dont le titre officiel était secrétaire de presse. Je crois que j’ai appris pas mal plus tard qu’il avait sans doute un autre titre à l’interne, c’est-à-dire agent d’information, ou, comme le gouvernement canadien l’a appelé plus tard, espion. Nous avons échangé pendant un certain temps. Il a offert de me fournir des documents établissant l’existence d’une certaine communauté ukrainienne néo-nazie omniprésente au Canada. Nous sommes en fait allés prendre une bière à plusieurs occasions ici, à Ottawa, mais je ne me faisais aucune illusion sur la nature de notre relation. Il a ensuite fait toutes sortes de déclarations absurdes au sujet de la nature de la révolution, de la dignité en Ukraine, du soutien canadien à l’Ukraine et ainsi de suite.

C’est finalement par lui que s’est propagée l’histoire selon laquelle le grand-père de Chrystia Freeland était, comme il l’a dit, un nazi. C’était une affirmation qui s’est ensuite répandue sur plusieurs autres canaux et dont je soupçonne fortement qu’il en était l’auteur. J’ai publié un article détaillé à ce sujet à l’époque, tout comme l’ont fait le Globe and Mail et d’autres publications, dans une certaine mesure, et il a ensuite été expulsé du pays pour son implication dans ces opérations d’information. Nous avons un peu gardé contact, par la suite, mais nous nous sommes perdus de vue au fil des ans.

Tout cela pour dire que c’était fascinant de découvrir de l’intérieur comment l’ambassade était devenue une plaque tournante pour certaines de ces activités. Il entretenait de bonnes relations avec les médias alternatifs, ce qui lui permettait de faire circuler de l’information favorable au discours russe. C’est une tactique que la Russie utilise dans de nombreux autres pays, à la fois via leurs comptes au moyen de ses réseaux sociaux, mais aussi au moyen de son personnel. Je crois que nous profitons beaucoup du fait que ces agents ne sont pas ici, à Ottawa.

La sénatrice Dasko : Merci.

J’aimerais revenir sur vos commentaires concernant votre analyse selon laquelle vous ne pensez pas que la Russie consacre autant de temps à s’occuper du Canada en ce moment. Pourquoi cela? Est-ce parce que les divisions ici ne sont peut-être pas aussi exploitables que nous le pensions? J’ai tendance à penser que notre pays est divisé de manière assez importante à certains égards, mais peut-être que ce n’est pas le cas, par rapport à d’autres pays européens. Est-ce pour cela, ou est-ce parce que nous ne sommes pas aussi importants pour eux, dans le contexte géopolitique actuel et dans le monde? Quand je pense au Canada, je sais qu’il existe évidemment une importante diaspora ukrainienne. Le pays est très favorable au soutien à l’Ukraine, cela ne fait aucun doute. Quoi qu’il en soit, pourquoi pensez-vous qu’il en est ainsi? S’agit-il d’une phase passagère?

M. Ling : Pour être bref, je crois que la Russie a essayé et qu’elle a constaté qu’il existe peut-être des clivages et une polarisation, mais qu’elle ne sait pas vraiment comment en tirer parti. D’autre part, je crois que la Russie raisonne souvent en termes d’hémisphères et de régions, et pas nécessairement en termes de pays individuels. Les tactiques qu’elle utilise pour cibler l’Amérique, le Royaume-Uni et l’Europe, elle les utilise pour nous cibler ici également. Ce n’est pas parce que ces tactiques ne sont pas faites sur mesure pour le Canada qu’elles n’ont pas généralement pour but d’attirer l’attention du public canadien.

[Français]

La sénatrice Youance : Merci à nos deux témoins pour leur présence.

Je mélange un peu vos propos liminaires. Vous avez parlé de l’exemple de l’Afrique et dit que cet exemple peut être reproduit sur d’autres pays. Cela pourrait-il être le cas pour le Canada?

[Traduction]

M. Ling : En un mot, la réponse est oui. Jusqu’à présent, les efforts de désinformation russes ont été vraiment bâclés. Si l’on remonte à 2016, les efforts d’ingérence dans l’élection présidentielle américaine de 2016 n’ont en réalité pas été menés par le gouvernement russe. Ils ont été menés par un oligarque nommé Evgueni Prigojine, et c’est grâce aux efforts de Prigojine que cette opération de contrôle artificiel a réellement été lancée. C’est en fait l’opération de Prigojine qui a débuté dans la région du Sahel, en Afrique de l’Ouest. Le gouvernement russe n’a fait que la reprendre après la chute, pour ainsi dire, de Prigojine. À cette fin, je crois que le gouvernement russe est toujours en train d’apprendre à bien faire les choses. Comme nous le savons, le gouvernement russe est extrêmement corrompu, souvent totalement incompétent, et il faut souvent que les oligarques ou des intérêts commerciaux travaillent pour vraiment laisser leur marque pour que le Kremlin puisse essentiellement leur voler leurs tactiques.

Je crois qu’une partie de l’Afrique a été un terrain d’essai pour ses efforts, et, maintenant que la Russie contrôle une opération qui comprend, entre autres, des centres culturels, des ambassades, des stations de radio, des projections de film, des événements culturels, des médias sociaux, la télévision, maintenant qu’elle a cette opération globale tous azimuts, personne ne peut dire ce qu’elle fera ensuite. Je reste sceptique quant à la possibilité qu’elle croie que cela vaut la peine d’investir de l’argent pour faire cela au Canada, mais cela pourrait certainement viser le monde entier ou bien notre hémisphère, l’Amérique du Sud, les Caraïbes, etc. Je crois que c’est une chose que nous devons absolument surveiller.

Encore une fois, pour continuer à soutenir le travail du gouvernement français, si nous en savons autant à ce sujet et que nous avons une analyse aussi détaillée, c’est grâce au gouvernement français. C’est un peu embarrassant que nous apprenions toujours ces choses par l’intermédiaire de nos alliés et que nous ne prenions pas d’initiative de notre côté, car c’est certainement un travail auquel le gouvernement canadien aurait pu, à tout le moins, contribuer. Le gouvernement australien est cité dans le rapport comme étant l’un des contributeurs. Cela aurait pu être nous, mais malheureusement, ce n’est pas nous.

[Français]

La sénatrice Youance : Vous avez aussi parlé du vide dans la diffusion de l’information qui est comblé par la Russie et de l’impact important de la fermeture de la radio Voice of America. Comment les diffuseurs peuvent-ils empêcher ce vide ici au Canada?

[Traduction]

M. Ling : J’ai écrit une chronique à ce sujet dans le Toronto Star il y a quelques semaines, justement, mais je crois que le retour de Radio-Canada International serait un véritable atout à cet égard, Radio-Canada International, ou RCI, avait un large public en Afrique francophone. Le même public recherche des informations de grande qualité et bien produites, mais se tourne malheureusement vers des sources comme African Initiative. Rien ne nous empêche de relancer cette activité. Rien ne nous empêche de reproduire ce que fait DW pour l’Allemagne, ce que fait le service international de la BBC pour le Royaume-Uni et ce que faisaient Radio Free Europe, Radio Free Asia et Voice of America pour les États-Unis. Malheureusement, ils ont été fermés par l’administration Trump. Ce serait vraiment un atout.

De plus, plus le Canada recommencera à envoyer des Canadiens à l’étranger pour couvrir l’actualité, plus cela nous aidera ici, chez nous, à mieux comprendre le monde et à le voir à travers le prisme du Canada plutôt que de celui d’un gouvernement étranger.

La sénatrice Boniface : Merci à vous deux d’être là.

J’aimerais approfondir la question du sénateur Kutcher sur la désinformation russe. J’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet, mais en ce qui concerne l’administration américaine et les possibilités que cela ouvre pour la diffusion d’informations russes en Amérique du Nord.

[Français]

M. Hogue : La première ouverture dont la Russie peut profiter de la part des États-Unis est la fermeture du Global Engagement Center (GEC), fermé par le président Trump à son arrivée au pouvoir. C’est maintenant une faille administrative institutionnelle, une protection que les États-Unis n’ont plus. Autrement, c’est indirectement l’administration, mais c’est la transformation du réseau social X sous son nouveau propriétaire, Elon Musk. Quand on disait plus tôt que la gestion des contenus par les plateformes était faite de façon volontaire, on voit maintenant les dangers d’une plateforme qui cesse de faire le travail et qui fait même la promotion de certains contenus.

La Russie a donc la possibilité de faire circuler ses messages à travers la disparition d’une mesure de protection sur une plateforme qui ne fait pas son travail de protection. Le danger est la normalisation des discours extrémistes. On oublie souvent de le mentionner. Pourtant, les grands circulateurs de contenu ne sont pas que les plateformes et les algorithmes, mais plutôt les leaders politiques qui normalisent les discours extrémistes, polarisants et déstabilisants. On le voit en ce moment avec le sommet Trump-Poutine, où le président Trump reprend ce type de discours.

[Traduction]

M. Ling : Je suis entièrement d’accord avec tout ce que mon collègue vient de dire, alors je vais essayer de dire autre chose.

Pour aller plus loin, le frein évident mis à la recherche sur la désinformation, par exemple, a déjà des répercussions. De nombreux collègues et sources aux États-Unis se retrouvent aujourd’hui sans emploi ou sans financement pour leurs travaux de recherche essentiels sur l’état de la désinformation. Vous avez également vu les discours de désinformation des Russes devenir la ligne officielle du gouvernement américain.

J’ai consacré beaucoup d’efforts — certains diront même trop — à suivre un récit de désinformation particulier qui a fait surface il y a deux ou trois ans en passant par QAnon, le mouvement conspirationniste américain. Après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, ce récit affirmait que la Russie avait envahi l’autre pays pour détruire des laboratoires américains d’armes biologiques. Cette affirmation a été concoctée à partir de fausses informations diffusées au fil des ans par les gouvernements russe et chinois, puis intégrées dans ce nouveau récit, entièrement produit par un Américain vivant en Virginie. Le récit a ensuite été relayé par le ministre russe de la Défense; par Tulsi Gabbard, aujourd’hui directrice du Renseignement national; par Robert F. Kennedy Jr, aujourd’hui secrétaire à la Santé et aux Services sociaux; et par Kash Patel, directeur du FBI, entre autres. Aux États-Unis, des fonctionnaires ont été accusés, au moyen de ce discours, d’avoir créé des armes biologiques et d’avoir ciblé des personnes d’origine russe qui travaillent aujourd’hui pour un gouvernement qui semble croire à ces accusations. On retrouve ces discours dans les propos tenus par la Russie, par exemple, quand on a demandé qu’Anthony Fauci soit jugé pour trahison.

Il est presque impossible de savoir comment réagir à cela dans l’immédiat, puisque bon nombre des discours que la Russie a contribué à diffuser au fil des ans sont à présent devenus la ligne officielle de l’administration Trump. Pour en revenir à mes commentaires sur le fait que le Canada n’est pas spécifiquement visé par tout cela, cela n’est pas nécessaire, car les États-Unis contrôlent déjà les réseaux sociaux dont nous dépendons, les chaînes de télévision, les journaux que nous lisons tous, ainsi que les sources de discussion et de conversation auxquelles nous participons tous. À cet égard, la Russie a remporté un franc succès.

Le président : Si je peux me permettre, il est évidemment très important d’écrire à ce sujet, mais, en même temps, étant donné ce que nous avons observé dans d’autres pays et la manière dont ils abordent et traitent la question, en ce qui concerne non seulement la Russie, mais aussi de manière générale la désinformation, que pouvons-nous en apprendre? Que pourriez-vous recommander au comité comme voie à suivre? Vous avez dit précédemment que, pendant les élections, le gouvernement avait révélé l’existence de cette campagne de désinformation ciblant en particulier les élections. Il avait même nommé la source. Pourquoi ne peut-il pas continuer à le faire, puisqu’il s’agit d’un service qu’il jugeait important de faire connaître aux Canadiens dans le contexte de notre démocratie?

M. Ling : Vous avez absolument raison. Pourquoi ne peut-il pas le faire? Il devrait certainement le faire.

La manière dont ces systèmes ont été conçus a toujours semblé privilégier la préservation, dans le cas du SCRS, des sources et des méthodes, ou, dans le cas de la GRC, du caractère sacré des poursuites. Ces services traitent les ingérences de la même manière qu’ils traiteraient, par exemple, une enquête sur la sécurité nationale, le terrorisme, la trahison ou autre chose. C’est la mauvaise façon de voir les choses. En réalité, la grande majorité des cas d’ingérence étrangère ne donneraient jamais lieu à des poursuites judiciaires.

Vraiment, le remède réside dans la réponse, et cette réponse doit passer par le grand public. Vous avez tout à fait raison. Il n’y a aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas divulguer et attribuer ces efforts d’ingérence. En fait, vous avez même vu d’autres gouvernements le faire. Je continue à donner la France comme exemple, mais les États-Unis, auparavant, et d’autres pays sont également d’excellents exemples.

Par exemple, lorsque, au début des années 2020, le compte de messagerie électronique d’Emmanuel Macron a été piraté, le gouvernement français a rendu l’information publique et a même averti qu’il y aurait probablement bientôt une fuite de courriels. Le public français, lui, savait qu’il fallait essentiellement ignorer cette information, ne pas s’y fier ou, à tout le moins, la considérer comme un sous-produit de l’ingérence russe. J’ai trouvé cela extrêmement efficace.

Vous pouvez aussi regarder du côté des États-Unis. Les actes d’accusation détaillés — et je sais que c’est un concept très américain — sont l’un des moyens les plus efficaces grâce auxquels ils combattent non seulement l’ingérence étrangère, mais aussi la désinformation provenant de sources étrangères et la répression transnationale. C’est-à-dire que, lorsque les États-Unis procèdent à une arrestation et déposent des accusations contre l’un de ces acteurs, surtout un acteur étranger, il dépose l’acte d’accusation et les preuves disponibles, celles qui ne relèvent pas de la sécurité nationale. Les États-Unis communiquent ces informations lorsqu’ils procèdent à l’arrestation. La diffusion immédiate de ces actes d’accusation, plutôt qu’après des semaines ou des mois de procès ou de procédures, est extrêmement utile pour les journalistes qui couvrent ces affaires. Je sais que notre système judiciaire n’est pas conçu tout à fait de la même manière, mais nous pourrions demander la divulgation automatique de certaines de ces preuves dès que des accusations sont portées ou qu’un acte d’accusation est déposé.

[Français]

M. Hogue : Je suis tout à fait d’accord pour dire que le Canada a besoin d’être beaucoup plus transparent en ce qui concerne tous les enjeux de sécurité de défense, y compris la désinformation. En plus de la transparence, il faut toutefois garder en tête deux éléments importants, le premier étant les publics ciblés.

Pour la majorité des publics, apprendre qu’il existe une campagne de désinformation, cela peut être rassurant et peut amener les gens à être vigilants par rapport à la situation et plus réceptifs aux différentes consignes de sécurité. Pour les publics déjà radicalisés, cela risque d’avoir très peu d’effet, sinon uniquement de nourrir l’idée d’un complot. Ainsi, selon le public qui est visé, la transparence n’a pas le même effet.

Un autre élément important est que la transparence du gouvernement du Canada, lorsqu’elle a lieu, a relativement peu d’écho. Je suis désolé de le dire, mais le gouvernement n’est pas un bon communicateur à l’ère numérique. Il aurait besoin au minimum de découvrir les codes numériques lorsqu’il communique sur les réseaux sociaux, ou idéalement de travailler plus étroitement avec des partenaires médiatiques établis et dont l’indépendance est reconnue par la population. Cela viendrait rajouter de la crédibilité au message du gouvernement face à un segment de la population qui est de plus en plus méfiant aux institutions publiques.

Le président : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Ince : Monsieur Ling, vous avez dit que, selon vous, les activités de la Russie en Afrique s’approchent plutôt de ce que vous avez appelé, je crois, une « expérience ».

M. Ling : J’ai dit un « terrain d’essai ».

Le sénateur Ince : Un « terrain d’essai », c’est cela. Puisqu’elle utilise des plateformes et des algorithmes fondés sur l’IA, dans quelle mesure l’orientation de la Russie vous inquiète-t-elle, et croyez-vous qu’elle peut réussir avec cette approche?

M. Ling : C’est très difficile de le prédire, mais ce que nous pouvons faire, c’est regarder l’efficacité de ses opérations au Sahel, en Afrique de l’Ouest, menées par le groupe Wagner de Prigojine et désormais par les canaux gouvernementaux officiels, l’Africa Initiative et ce que la Russie appelle l’Africa Corps. Le gouvernement russe a aidé à renverser pas moins de quatre gouvernements démocratiques. La Russie a créé un espace pour ses organisations mercenaires, mais a aussi soutenu, en leur fournissant de l’argent et de l’armement lourd, les dictatures militaires qui contrôlent présentement ces pays et qui pillent les ressources naturelles tout en exerçant une influence considérable sur cette région, et cela représente un vrai risque. Certains analystes ont appelé cette région la « ceinture des coups d’État », et on craint déjà que leur influence puisse s’étendre.

Je ne veux pas critiquer la notion selon laquelle nous devrions nous occuper de nous-mêmes, mais à mon avis une partie du problème, quand on étudie l’ingérence étrangère, est que cela devient souvent très insulaire. Dans les faits, l’ingérence étrangère n’est pas seulement importante lorsqu’elle se produit au Canada. Le Canada devient moins sécuritaire et moins prospère, et il y a d’autres choses dont nous devons nous préoccuper lorsque, par exemple, une partie importante de l’Afrique tombe sous le joug de dictatures militaires, mais aussi sous celui de régimes qui font allégeance au gouvernement russe.

D’ailleurs, le fait que la Russie a trouvé un moyen d’échapper aux sanctions canadiennes est très mauvais pour l’Ukraine et, dans les faits, pour toute l’Europe de l’Est, puisque certaines régions sont devenues un important relais d’information, surtout pour l’information en français, où la Russie peut reproduire ces activités, qu’il s’agisse d’ailleurs en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie.

Toutefois, quant à la question de savoir si la Russie en viendra à employer ces tactiques ici, au Canada... je crois que cela ne serait pas un problème. Je crois que nous sommes plus résilients que nous le pensons. Je crois que les Canadiens ont une meilleure littératie médiatique que nous le reconnaissons parfois. Mais, que cela se produise ou non, ici, nous devons rester vigilants face à cette menace et être prêts à la contrer comme si elle se produisait dans notre pays.

Le président : Chers collègues et chers témoins, nous allons maintenant mettre vos compétences à l’épreuve. Quatre personnes veulent poser une question pour la deuxième ronde, donc chacun aura une minute pour la question et la réponse. Si vous faites vite, que vous posez votre question en moins de 30 secondes et que vous répondez en 30 secondes, nous pourrons entendre toutes les questions.

Le sénateur Al Zaibak : Monsieur Hogue, la fin de votre déclaration préliminaire m’a beaucoup interpellé. Pourriez-vous la répéter? Je crois que les gouvernements ont naturellement tendance à contrer ce genre de menaces en limitant la liberté d’expression et en imposant des restrictions qui aident les agents et servent les buts ultimes de nos adversaires. S’il vous plaît, pourriez-vous répéter?

[Français]

M. Hogue : Oui, bien sûr. Ce que je suggère, c’est que les solutions qui émergent passent moins par l’attribution de nouveaux pouvoirs aux institutions de sécurité que par une meilleure gouvernance de l’information. Bref, ce que je vous invite à faire, c’est d’inverser les perspectives. Ce n’est plus par le renforcement de la sécurité nationale qu’on préserve la démocratie canadienne, c’est plutôt par le renforcement de la démocratie qu’on assure la sécurité nationale.

Le président : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Le troisième rapport du Service européen pour l’action extérieure vient juste d’être publié, en 2025, et je pourrais peut-être demander à notre analyste de le trouver et de le transmettre au reste du comité. Je crois que cela pourrait être utile. Le SEAE utilise un instrument matriciel pour rechercher et identifier la désinformation. Selon le rapport, le volume de désinformation russe est beaucoup plus élevé que nous le pensions et a un effet très déstabilisant. Croyez-vous que les outils de ce genre, que le Canada ne semble pas utiliser, nous seraient utiles pour repérer la désinformation?

M. Ling : La réponse courte est que je ne sais pas. Ce que nous appelons le « tuyau d’incendie de la propagande », le modèle russe, consiste à diffuser un énorme volume de mésinformation de faible qualité, qui n’est pas vraiment conçue pour convaincre qui que ce soit. Cette méthode est souvent employée pour générer du cynisme et de la méfiance, et parfois pour pousser les gouvernements ciblés à réagir avec trop de force. C’est souvent grâce à ce « tuyau d’incendie de la propagande » que la Russie va trouver un ou deux discours qui valent la peine d’être mis de l’avant et d’être financés. Démentir chaque instance de mésinformation n’est pas toujours la tactique la plus efficace. Cela pourrait être un bon outil, mais je ne sais pas s’il serait l’outil le plus efficace.

Le sénateur Cardozo : Si je comprends bien, vous dites que la Russie fait circuler deux types de désinformation? L’un concerne la Russie, la guerre russo-ukrainienne, et l’autre vise simplement à déstabiliser notre pays en ce qui concerne les problèmes auxquels nous sommes confrontés?

M. Ling : Oui. Souvent, la Russie fait tout ce qu’elle peut pour miner la confiance envers nos propres institutions, mais aussi nous empêcher de répondre à la réelle menace cinétique qu’elle représente en Europe. C’est un assez bon résumé.

Le sénateur Cardozo : Est-ce que la Russie paie vraiment des gens, ici, au Canada, pour qu’ils fassent cela, avec des subventions et ainsi de suite?

M. Ling : Nous savons, grâce aux actes d’accusation visant Tenet Media, et je parle encore une fois des actes d’accusation détaillés, que, selon le département de la Justice des États-Unis et le FBI, une société enregistrée au Canada a touché plus ou moins 10 millions de dollars, même si elle menait ses activités surtout aux États-Unis, avec des commentateurs des États-Unis, pas nécessairement pour reprendre les arguments du Kremlin, mais simplement pour poursuivre son travail, qui est de nature réactionnaire, généralement pro-Trump, conspirationniste et souvent sceptique envers l’Ukraine, mais pas toujours. Certains diront que d’autres personnes acceptent aussi cet argent. Nous n’avons jamais vu de preuve de cela, donc je crois que nous devons attendre d’avoir de solides preuves à cet égard, mais nous avons certainement vu que cette tactique est employée.

La sénatrice Boniface : Je m’intéresse à vos propos sur l’Afrique, car j’ai travaillé un peu en Afrique de l’Ouest. Selon vous, quelle est l’incidence du retrait de l’Agence des États-Unis pour le développement international et comment cela affecte-t-il la situation?

M. Ling : Pas seulement l’Agence des États-Unis pour le développement international, mais aussi le retrait de la radio Voice of America et d’autres diffuseurs mondiaux. Selon moi, c’est énorme. Cela donne à la Russie une excellente opportunité d’y entrer, tout comme elle l’a fait dans plusieurs pays, comme le Malawi, la République centrafricaine et d’autres pays.

Il est aussi important de souligner que l’une des raisons pour laquelle la Russie a eu un si grand impact dans cette partie de l’Afrique est qu’il y avait un cynisme généralisé quant à l’aide de la France. Même si elle envoyait des ressources militaires et d’importantes sommes, la France n’a pas su lutter contre la menace de l’extrémisme islamiste et des autres mouvements séparatistes. Le fait que la France — malgré ses promesses — n’a pas pu assurer la sécurité a permis à la Russie d’y entrer et de fournir une source de revenus, et dans certains cas, des soldats, et en permettant d’éviter les sanctions, et cetera.

Bref, le fait que nous allons fournir encore moins d’aide humanitaire, de soutien à la santé publique et d’assistance en matière de sécurité n’aidera certainement pas la situation.

Le président : Voilà qui conclut la période allouée pour ce groupe. Je tiens à remercier M. Ling et M. Hogue d’avoir pris le temps de venir discuter avec nous, aujourd’hui. Nous sommes très reconnaissants de votre contribution et du temps que vous avez pris pour nous faire profiter de votre savoir et de votre expertise.

Dans le prochain groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Chris Alexander, membre émérite de l’Institut Macdonald-Laurier et M. Aengus Bridgman, directeur de l’Observatoire de l’écosystème médiatique et professeur adjoint (recherche) à l’École de politique publique Max Bell de l’Université McGill.

Merci à vous deux de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous vous invitons à faire votre déclaration préliminaire, puis nos collègues vous poseront des questions. Vous avez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire.

L’Hon. Chris Alexander, C.P., membre émérite, Institut Macdonald-Laurier, à titre personnel : Merci, monsieur le président.

[Français]

Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être avec vous aujourd’hui. Merci de cette invitation.

[Traduction]

Voyons la situation dans son ensemble. L’an dernier, le Forum économique mondial — qui n’est pas toujours la source d’information préférée pour certaines questions, mais pour celle-ci, il mérite notre attention — a présenté un rapport sur les risques mondiaux et a dit que, d’ici deux ans, donc en 2025-2026, le plus grand risque pour le monde entier, pour le système international, c’était les acteurs étrangers et nationaux exploitant la mésinformation et la désinformation à des fins malveillantes. L’enjeu que vous avez choisi n’est pas un enjeu secondaire ou périphérique; c’est un enjeu fondamental quant à la façon dont notre société — pas seulement le Canada, mais toutes les sociétés sur la planète — fonctionne, aujourd’hui.

Depuis 2006, le nombre de gouvernements populistes a connu un essor fulgurant dans le monde entier. Le nombre de démocraties a chuté. Les démocraties qui existent encore fonctionnent moins bien. Je dirais que les activités de désinformation et d’influence et les mesures actives de la Russie — qui utilise les médias sociaux comme principaux vecteurs de diffusion — sont la cause principale de ces tendances. Je crois que l’impact néfaste de la Russie sur le système politique de ces pays d’Europe, d’Asie et d’ailleurs dans le monde est la cause principale du déclin de la qualité de la démocratie ou du fait que certains pays ayant un statut démocratique passent à un statut non démocratique.

Voyons de quelle manière le Kremlin produit cet impact. Tout le monde a un rôle à jouer : le président, les conseillers principaux et Sergueï Kirienko, un ex-premier ministre de la Russie qui a été à la tête du secteur nucléaire du pays pendant des années. Pendant plusieurs années, il était responsable des opérations d’influence dans le monde. Il dispose de budgets de centaines de millions, de milliards de dollars et d’euros, qu’il peut dépenser un peu partout pour avoir un impact dans des lieux comme la Moldavie, où la Russie, selon nos meilleures estimations, était prête à dépenser jusqu’à 300 millions d’euros pour voler une élection au peuple moldave. Imaginez combien d’argent a été dépensé par des politiciens démocrates de bonne foi en Moldavie par rapport à ces dépenses russes.

Au Canada, ce type de dépenses écraserait les dépenses de nos partis politiques. Nous n’avons aucune preuve qu’une telle somme ait été dépensée au Canada, mais on dépense beaucoup d’argent pour ces choses dans tous les pays, surtout dans le milieu anglophone et francophone, alors nous devrions prendre la question au sérieux.

Et ce n’est pas le budget total. Le budget confidentiel de la Russie s’élève à 148 milliards de dollars. La plupart de ces fonds servent à l’effort de guerre en Ukraine. Une bonne partie de cet argent est destinée aux opérations d’influence en Ukraine et ailleurs. Dans le cas de ce budget de 148 milliards de dollars, 49 milliards sont réservés aux services du renseignement de sécurité : le FSB, le SVR et le GRU. Nous ne savons pas comment ils dépensent tout cet argent, mais nous savons qu’une grande partie — peut-être même la majeure partie — est à l’extérieur de la Russie. Une part importante est dirigée contre les démocraties qu’ils redoutent de voir soutenir l’Ukraine de manière décisive ou contrer la corruption russe dans nos systèmes politiques de façon déterminante.

Quel est l’effet de cette désinformation? L’influence de la Russie est un facteur déterminant, comme je l’ai mentionné, pour de nombreux candidats et partis dans presque toutes les démocraties autochtones. J’en ai fait l’expérience. Vous l’avez vu. Il est difficile de remporter une élection dans toute administration démocratique si les armées de robots russes s’opposent à vous en ligne. Nombreux sont ceux qui concluent leurs marchés faustiens, leurs pactes avec le Diable. Ils se rallient ou non à un enjeu — je vais m’opposer au soutien à l’Ukraine — et ils obtiennent ce soutien, ce qui les aide.

Les actifs destinés à la Russie discréditent essentiellement la politique et les politiciens centristes tout en alimentant le populisme et l’extrémisme. Les deux victoires de Trump, le Brexit, la montée de l’AfD en Allemagne, de la France insoumise, du Front national/Rassemblement national en France, n’auraient pas eu lieu sans les campagnes d’influence russe de grande envergure et à long terme.

Au Canada, nous savons que les opérations d’influence russes ont soutenu les mouvements anti-vaccination et anti-immigration, y compris des variations extrêmes de ces mouvements, les suprémacistes blancs, la propagande anti-ukrainienne et antisémite, ainsi que les mouvements séparatistes de l’Ouest et de l’Alberta, ainsi que, récemment, les manifestations pro-Hamas. Nous savons que la chaîne Russia Today a encore à ce jour une page Web dédiée au blocage des camionneurs au début de 2022.

Je vais terminer mon observation liminaire ici et revenir à quelques solutions au fil de la discussion, monsieur le président. Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Alexander. Nous aurons de nombreuses questions à vous poser.

Aengus Bridgman, directeur, Observatoire de l’écosystème médiatique et professeur adjoint (recherche), École de politique publique Max Bell, Université McGill, à titre personnel : Bonjour à tous. Je m’excuse de ne pas pouvoir être là en personne. Je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui.

Je m’appelle Aengus Bridgman, je suis professeur de recherche à l’École de politique publique Max Bell de l’Université McGill. Je dirige l’institut appelé l’Observatoire de l’écosystème médiatique, la plus grande organisation d’étude des écosystèmes de l’information au Canada. Nous rédigeons les analyses et les rapports d’envergure destinés au public concernant la manière dont notre écosystème de l’information évolue au fil du temps. Vous avez peut-être vu une partie de nos travaux liés aux élections qui ont fait surface pendant la Commision sur l’ingérence étrangère et la récente élection.

Je me range tout à fait à l’avis de mon collègue. La désinformation russe constitue un énorme problème. Il est bien placé pour parler des détails de l’affaire, du contexte international et de toutes ces choses, et je sais que vous avez aussi entendu d’autres collègues, dont ceux de mon réseau de recherche, qui se concentraient sur la désinformation russe.

Ce dont je souhaite parler, c’est de la possibilité actuelle de la Russie et d’autres acteurs d’exploiter les énormes vulnérabilités de notre environnement de l’information. Elles ne sont pas propres à la Russie, mais il s’agit d’un contexte important à comprendre pour réfléchir aux vecteurs de l’attaque, à la manière dont la Russie va se positionner et à la manière dont la Chine et d’autres pays vont se situer pour manipuler nos citoyens et nos politiques démocratiques.

Il y a un élément clé de notre environnement de l’information aujourd’hui qui rend extrêmement difficile pour tout citoyen, parlementaire ou décideur politique, d’examiner l’écosystème de l’information et de comprendre ce qui se passe.

Lorsque nous disons que la Russie s’est ingérée directement dans la politique canadienne, de quelle manière le comprenons-nous? Comment tirons-nous nos preuves? Comment comprenons-nous si une élection fait l’objet ou non de manipulation à grande échelle?

Nous savons qu’il y a eu des tentatives. Nous savons ce qui se passe en ligne de manière très superficielle. Les données nécessaires pour effectuer cette évaluation — par exemple, en ce qui concerne le protocole électoral essentiel, le corps de fonctionnaires chargé d’annoncer s’il y a eu une manipulation importante durant une élection en fonction de laquelle ils peuvent prendre leurs décisions — sont limitées.

Aujourd’hui, je veux insister sur la transparence. Pour démontrer l’état dans lequel nous nous retrouvons, il est utile d’examiner quelques cas récents.

L’an dernier, certains d’entre vous se rappelleront un incident survenu à Kirkland Lake. Pierre Poilievre avait pris la parole lors d’un rassemblement. Quelques jours plus tard, des milliers de robots sur X ont envahi cette plateforme avec des messages générés par ChatGPT qui disaient : « C’était un super rassemblement. Nous avons été très heureux d’y participer. » Les auteurs de ces messages se sont révélés être des robots. Il y a eu quelques cycles médiatiques à ce sujet. Pendant un certain temps, cela a fait l’objet d’un reportage national. X a retiré bon nombre de ces robots. Combien? Trois parlementaires de la Chambre basse ont écrit à X et à Musk pour demander davantage de transparence. D’où cela provenait-il? Est-ce qu’il s’agissait d’une opération russe? Qui l’a menée? Il n’y a eu aucune réponse publique, aucune clarté. Les Canadiens sont laissés dans l’ignorance. C’est le premier exemple.

Le deuxième exemple est l’affaire de Tenet Media, qui s’est passée l’an dernier. Par l’entremise d’une entreprise canadienne, 10 millions de dollars ont été acheminés de la Russie à six éminents influenceurs de l’aile droite aux États-Unis et au Canada. Une de ces personnes, Lauren Southern, a témoigné devant un comité de la Chambre basse également, en disant qu’il s’agissait d’une organisation médiatique sous-financée. Cela a été révélé à la suite d’une enquête menée aux États-Unis, mais les fonds transitaient par le Canada. Encore une fois, il n’y a pas eu de transparence. À la suite de cela, ces influenceurs sont toujours actifs et n’ont manifesté ni gêne ni remords quant à la provenance de ces fonds ni au rôle qu’ils ont potentiellement joué comme idiots utiles dans la campagne d’information russe.

Pour ce qui est du troisième exemple, nous venons de tenir une élection fédérale. Certains d’entre vous ont peut-être vu ces annonces frauduleuses sur Meta, YouTube et d’autres plateformes qui utilisent des images et des vidéos de politiciens générées par l’intelligence artificielle. Pendant l’élection, il était impossible de consulter les nouvelles de CBC, Global News, CTV, Radio-Canada ou La Presse sur les grandes plateformes de médias sociaux, mais on pouvait voir des sites Web qui y ressemblaient et utilisaient l’image de politiciens, présentaient du contenu politique en faveur d’un parti ou d’un autre et étaient montrés à des milliers de Canadiens.

Il me reste une minute ou c’est terminé?

Le président : Il est maintenant temps pour vous de conclure.

M. Bridgman : D’accord. Meta a retiré un bon nombre de ces annonces. Nous n’en connaissons toujours pas la portée ni l’ampleur. Le groupe n’a pas fourni cette information directement. Nous avons été en mesure de documenter des centaines de cas à l’aide de centaines de milliers de Canadiens qui les ont consultées. Encore une fois, il y a un manque de transparence.

Tout cela donne une occasion en or aux mauvais acteurs ou aux personnes qui veulent essayer d’influencer l’environnement de l’information de le faire sous notre nez sans que nous puissions le voir. La première étape consiste donc à réfléchir à la nouvelle architecture de notre environnement de l’information et aux acteurs de notre environnement de l’information et de dire : « En fait, la transparence est absolument nécessaire. »

Nous venons de tenir à Montréal une conférence intitulée : « Gouverner ou être gouverné ». Être gouverné par qui? Par les plateformes de médias sociaux. Par d’autres États, y compris les États-Unis.

C’est vraiment un appel qui est lancé. Nous devons parler de transparence, et de notre capacité de gouverner et d’être souverains en ce moment.

Le président : Merci, monsieur Bridgman.

Nous allons maintenant passer aux questions. M. Alexander et M. Bridgman seront avec nous jusqu’à environ 18 h 10. Pendant cette période, nous ferons de notre mieux pour permettre à chaque membre de poser une question. Quatre minutes seront attribuées pour chaque question, y compris la réponse. Je vous demande de garder vos questions succinctes afin de permettre le plus d’interventions possible.

En temps normal, je demanderais à notre vice-président de poser la première question, mais comme notre collègue, la sénatrice Boniface, ne sera ici que pour une brève période, j’aimerais demander aux collègues de l’autoriser à poser la première question, car elle devra partir sous peu.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup, chers collègues, de votre indulgence.

Monsieur Alexander, je vous remercie de vos commentaires. Vous avez une longue expérience tant en diplomatie qu’au sein de la Chambre. Quelle confiance avez-vous en vos ex-collègues de la Chambre pour comprendre la profondeur et l’étendue de cette question? Comment nous assurer qu’ils possèdent les renseignements nécessaires pour distinguer les cas de désinformation et nous aider à trouver des solutions?

M. Alexander : C’est une excellente question.

J’ai confiance en eux. J’ai entendu des membres des trois partis de la dernière législature et du Bloc Québécois également s’exprimer sur ces questions. Ce sont des gens qui portent un intérêt actif à ce sujet. Il n’y a pas un seul membre de la Chambre des communes ou du Sénat, je crois, qui ne s’intéresse à l’intégrité de notre démocratie. Cela dit, comme l’autre témoin, mon collègue M. Bridgman, le disait justement, nous ne pouvons pas nous attendre des parlementaires ni même de notre premier ministre élu et de nos ministres qu’ils maîtrisent parfaitement cette question, parce qu’ils n’ont pas encore la machinerie du gouvernement nécessaire pour les servir à cet égard.

À ce sujet, je pense qu’il est important de dire que les États-Unis avaient pris quelques mesures sous l’administration Biden avec le Global Engagement Center, ainsi que d’autres mesures. Ces démarches ont permis de révéler que Tim Pool et d’autres individus recevaient, presque directement de Moscou, d’énormes sommes d’argent pour produire de la propagande. Cette machine institutionnelle n’existe plus, et nous, en Amérique du Nord, dans cet immense environnement médiatique, sommes plus vulnérables qu’il y a un an.

En Europe, il y a un peu de tout. La France, il y a quelques années, a mis sur pied une agence nationale pour se pencher sur ces questions. Ses performances ne sont pas remarquables, mais il vaut mieux qu’elle existe que l’inverse. Le Royaume-Uni a fait encore moins. Les meilleurs exemples, selon moi, sont la République tchèque et la Suède. La Suède s’en tire probablement le mieux en ce moment.

Nous devons envisager de manière ambitieuse notre appareil gouvernemental. Comment pouvons-nous repérer le genre de comportements non authentiques dont M. Bridgman parle? Comment pouvons-nous accroître la transparence et mettre au jour ce que les Russes sont en train de faire? Parce qu’ils font des choses au Canada que nous n’avons pas encore tout à fait découvert. Notre appareil gouvernemental — bien qu’il y ait de bonnes personnes et de bonnes initiatives au sein du ministère de la Sécurité publique, à Affaires mondiales, au Bureau du Conseil privé et ailleurs — ne suffit pas. Il n’y a pas de mesures à grande échelle, et il n’y a pas de mesures ciblées. Je reviendrai plus tard, au cours de la discussion, sur la manière dont nous pouvons nous engager dans cette voie.

Le président : Sénatrice Boniface, il vous reste encore une minute, si vous souhaitez poser une autre question.

La sénatrice Boniface : Monsieur Bridgman, vous avez parlé de la transparence, et je me demandais si vous aviez des suggestions à faire sur la manière dont nous pouvons intégrer la prochaine génération dans le système. Je pense à mon petit-fils de 11 ans, et je m’inquiète de ce qu’il croit et de ce qu’il ne croit pas au sujet de ce qu’il voit en ligne. Qu’en pensez-vous?

M. Bridgman : C’est une question brillante à laquelle il serait difficile de répondre en une seule minute, et c’est une question dont se préoccupe beaucoup le milieu de la recherche. Je suis également le père de jeunes enfants, et cela m’inquiète vraiment.

Je crois que la transparence est nécessaire, mais je crois que c’est quelque chose de particulier et de distinct lorsqu’il s’agit des jeunes. Certes, nous devons prendre la question beaucoup plus au sérieux que nous le faisons à l’heure actuelle. Le Canada a tardé à agir sur le plan législatif à cet égard, et les espaces virtuels causent aujourd’hui énormément de tort aux jeunes. Cela concerne l’ingérence de la Russie, mais ça ne s’arrête pas là. Cela concerne l’automutilation et toutes sortes de choses. Cela concerne les robots conversationnels. C’est un problème grave et important.

À la décharge de cette génération, je dirais qu’il est possible d’approfondir ses connaissances en passant beaucoup de temps en ligne et en faisant preuve d’un certain discernement d’une manière dont vous et moi ne pouvons nécessairement le faire, étant donné que nous n’avons pas grandi dans cet espace, mais je ne crois pas que c’est suffisant. Je ne crois pas que nous pouvons nous fier aux intuitions des gens. L’intuition ne suffit pas. L’information fournie doit être structurée, et les gens doivent être au courant de ce qui se passe et de la manière dont ces plateformes et ces activités fonctionnent.

Le sénateur Al Zaibak : Monsieur Alexander, heureux de vous revoir.

La Russie s’est servie d’outils cohérents dans le cadre de conflits, notamment pour perpétrer ses attaques contre des civils, des systèmes énergétiques et des médias indépendants. Lorsque la Russie a envahi la Crimée et est venue en aide au régime syrien en 2015, le monde occidental a très peu réagi. Quelles leçons le Canada devrait-il retenir de l’absence d’une intervention mondiale rapide et unifiée en Syrie et en Crimée, en 2014 et en 2015, et comment pouvons-nous nous assurer de ne pas répéter ces erreurs en soutenant l’Ukraine?

M. Alexander : C’est une question brillante, monsieur le sénateur, et merci de nous la poser à nous tous.

Combien de personnes à la table savent ce que la Russie considère comme des mesures actives? Il s’agit du terme qu’utilisait le KGB dans le cadre d’une stratégie qui date des années 1960, et ces mesures ont notoirement été appliquées par Andropov, qui a dirigé longtemps le KGB avant de devenir secrétaire général au début des années 1980.

En gros, les Russes ont décidé que, après la guerre de Corée, il leur serait difficile de recruter des Occidentaux procommunistes et d’être portés à leur donner de l’information parce qu’ils seraient loyaux envers eux, comme l’a été Philby et d’autres espions de l’époque; ils ont donc décidé qu’ils devaient aborder une approche plus élaborée. Ils ont décidé qu’ils devaient s’ingérer dans les affaires de nos pays ou les influencer à plusieurs égards. Nous appelons cela maintenant une « guerre hybride » en quelque sorte; ils appellent cela des « mesures actives ». Il s’agit de propagande et de désinformation. Il s’agit de corruption politique. Il s’agit de demander à Tim Pool, un animateur de balados, qui ne partage pas l’idéologie de Vladimir Poutine, mais qui est heureux de recevoir 400 000 $ américains par mois, de produire des balados et de le faire de la manière dont le client le souhaite, dans un sens. Ils ont exploité l’ouverture de nos sociétés, ils ont bâti des réseaux de mandataires au fil des décennies, puis ils se sont servis d’eux pour atteindre leurs objectifs.

Quel est le lien avec la Syrie, la Libye, auparavant, et l’Afghanistan? Ils s’en servent pour s’assurer que nous n’allons pas faire ce qu’ils craignent que nous fassions. En Libye — nous pouvons débattre au sujet de ce conflit toute la journée —, Saddam est parti... un général canadien y a mené la dernière grande opération militaire de l’OTAN — il n’y a eu aucun suivi, et il aurait fallu en faire un, entre autres, parce que la propagande et les mesures actives de la Russie visent à nous empêcher de construire une nation. Nous devons ramener nos troupes au pays. Nous ne voulons pas nous impliquer dans ces « guerres éternelles ». Ce genre de messages politiques ont été efficaces, et les Russes les ont utilisés pour nous empêcher de contribuer à la stabilité du régime de la Libye après cette opération militaire, d’intervenir en Syrie d’une manière ou d’une autre, de prendre de quelconques mesures pour empêcher la Russie d’intervenir en Syrie et de faire quoi que ce soit pour empêcher Trump de conclure une entente avec les talibans, ce qui a coupé l’herbe sous le pied d’un gouvernement légitime en Afghanistan, a chassé l’OTAN du pays et nous a tous fait paraître faibles. C’est ce qui a entraîné la grande invasion.

Je dirais que la première invasion de l’Ukraine survenue en 2014 a été déclenchée en partie par notre inaction en Syrie. Cela a témoigné de notre faiblesse, ce qui a poussé Poutine à envahir la Crimée. Et puis, lorsque nous nous sommes montrés encore plus faibles en nous retirant de l’Afghanistan et en laissant les talibans revenir au pouvoir, en gros, cela lui a donné le signal qu’il devait faire les choses en grand.

Ils ont eu recours à des mesures actives sur tous ces fronts, et non seulement à l’égard du soutien apporté à l’Ukraine, mais à l’égard d’un éventail de questions — ils désignent ces mesures comme étant un « contrôle réflexif » — afin de limiter nos options sur le plan politique et de faire intervenir davantage de partis politiques et de voix politiques qui adoptent leur position ou qui critiquent les positions politiques qu’ils ne souhaitent pas voir être défendues. Ils nous contraignent par ces moyens, en adoptant une approche très élaborée et de longue haleine, et nous ne luttons pas efficacement contre cette approche à l’heure actuelle.

[Français]

Le sénateur Carignan : Bonjour, monsieur Alexander. C’est toujours un plaisir.

J’ai posé ma question tout à l’heure aux membres de l’autre groupe. Cependant, ils n’avaient pas la réponse. Je vais vous la poser. Premièrement, est-ce que la Russie utilise la diaspora russe au Canada pour atteindre ses objectifs de désinformation? Si oui, comment? Je sais que vous avez écrit une lettre ouverte qui dénonçait un documentaire d’Anastasia Trofimova. Elle est Russo-Canadienne. Pouvez-vous en dire un peu plus sur ces points?

M. Alexander : Merci pour la question.

Malheureusement, je pense que c’est évident aux yeux de presque tous les experts dans ce domaine que la Russie exploite sa diaspora un peu partout dans le monde. Il y a une diaspora importante au Canada. Cela fait partie de leur jeu. Cette exploitation, ces efforts d’influence durent depuis longtemps. L’Église orthodoxe au Canada avait des prêtres qui avaient été recrutés par le KGB. On le sait très bien.

Dans un sens, c’est plus difficile pour eux, mais dans un autre, c’est plus facile, car ils jouissent d’outils de propagande qui n’existaient pas dans les années 1960 et 1970.

Les médias de la télévision russe ne sont plus disponibles pour la plupart d’entre nous. Heureusement, car c’est de la propagande. Par contre, elle est encore disponible au Canada, parce qu’on peut l’avoir par Internet. Les personnes qui regardent cette télévision sont surtout des russophones. Quelques fois, ce sont des anglophones aussi. Russia Today visait un auditoire anglophone et francophone. Tous ceux qui regardent cela quotidiennement sont sous une influence de propagande qui est très forte. C’est plus facile d’influencer ces gens. Ils auront des idées complètement différentes des nôtres de ce qui se passe en Ukraine maintenant.

Si on leur demande de faire quelque chose, d’essayer d’influencer leurs députés ou d’aller à une manifestation, les gens auront tendance à accepter. S’ils refusent, les Russes ont d’autres outils. Ils pourraient dire : « Est-ce vrai que vous avez de la famille en Oural et en Sibérie? Aimeriez-vous que votre oncle reçoive sa pension? » Vous allez le faire. Cela fait partie de ce plus grand phénomène de répression transnational qui affecte les Canadiens d’origine chinoise, ukrainienne et de plusieurs autres origines où il y a un régime de répression avec un dictateur au pouvoir dans leur pays d’origine.

Le sénateur Carignan : En plus des médias sociaux, est-ce que la Russie utilise des subventions pour des documentaires, des activités culturelles et des activités sportives afin de promouvoir leur régime?

M. Alexander : Le phénomène de Trofimova avait rapport à notre politique de marginalisation de Russia Today, qui était disponible sur Rogers et Bell à l’époque. Avec la grande invasion, on a décidé que cela n’était plus acceptable au Canada. Cela faisait partie du régime de sanctions mis en place par les pays du G7 ainsi que d’autres pays. C’était plus difficile pour Russia Today d’avoir accès à un large auditoire au Canada. Margarita Simonyan et les autres chefs de file de cette chaîne de télévision, qui ont beaucoup investi dans leur capacité, se sont demandé : « Comment trouver notre auditoire? On va le faire à travers des festivals de films. » Trofimova faisait partie de cette initiative. Cela a semé la controverse.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Je remercie nos deux témoins de leur présence.

Monsieur Bridgman, j’ai également assisté à la conférence dont vous avez parlé — IA : Gouverner ou être gouverné — où il était question de l’intelligence artificielle. L’une des choses qui m’ont frappé, c’est que, si on pense à Internet, aux médias sociaux et à l’intelligence artificielle, l’ensemble de ces systèmes appartiennent aux Américains. Nous ne possédons nous-mêmes aucune part de ces systèmes. Croyez-vous que nous pourrions bâtir une infrastructure canadienne qui nous permettrait d’exercer un contrôle et une souveraineté numérique?

Monsieur Alexander, vous avez dit que la Russie contribue au blocage et soutient les mouvements pro-Hamas. Pourriez-vous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Bridgman : Merci de poser cette excellente question.

C’est le genre de question qui touche l’infrastructure technologique canadienne : sommes-nous en mesure de bâtir une infrastructure sociale qui pourrait efficacement faire concurrence à l’infrastructure qui est actuellement contrôlée par les États-Unis et qui n’est pas nécessairement favorable à l’endroit du Canada? Il y a deux aspects à cette question.

Tout d’abord, la préoccupation concernant l’ingérence étrangère a été formulée à l’égard de la Chine, de la Russie, de l’Inde, et dans une certaine mesure, de l’Iran et d’autres pays. C’est la préoccupation qui a été formulée. Lorsque le rapport de la Commission sur l’ingérence étrangère a été publié l’an dernier, ce sont ces pays qui ont été mentionnés et dont on a parlé. Au même moment, les États-Unis se sont imposés comme acteur de désinformation mondial. C’est bien connu en Europe, en raison de l’engagement des influenceurs américains et des tentatives d’influencer les élections du Royaume-Uni et les élections françaises, allemandes et européennes. Les États-Unis déploient des efforts concertés pour propager à l’échelle mondiale le type d’opinions politiques même qui a gagné du terrain là-bas, et ils y parviennent très bien. Cela entraîne une grande vulnérabilité, dont témoignent les données d’enquête. Nous menons régulièrement des enquêtes auprès des Canadiens et nous constatons qu’ils craignent surtout et croient que l’ingérence étrangère la plus importante est non pas exercée par la Russie ou la Chine, mais au sud de notre frontière, par les États-Unis. Les Canadiens en sont profondément préoccupés. Ils sont conscients que cette possibilité existe.

Pour ce qui est de notre capacité à faire cavalier seul ou à bâtir une infrastructure souveraine canadienne, de nombreuses personnes tentent de trouver des solutions de rechange à ces grandes plateformes. C’est de toute évidence très difficile d’y parvenir. Ces choses sont immuables. Ces plateformes ont véritablement attiré des auditoires. Nous avons pu le constater lorsque les États-Unis ont tenté d’interdire TikTok et que les gens se sont tournés vers la plateforme chinoise RedNote, qui est devenue une solution de rechange durant une semaine. Bon nombre de jeunes considèrent ces plateformes sociales comme des éléments essentiels de leur vie et seraient hostiles à l’égard de tout gouvernement qui tenterait de les en priver; il faut donc proposer des solutions de rechange crédibles.

L’une des façons d’y arriver est de commencer à collaborer avec nos partenaires démocratiques fiables à l’international, y compris les Européens, qui font des investissements et qui tentent de bâtir un autre espace social européen. Voilà une possibilité.

Je veux également mentionner que nous représentons encore un marché important pour ces plateformes sociales majeures, et nous avons eu du mal dans le passé à nous gouverner efficacement; nous devons donc réfléchir de manière très stratégique et active à un moyen d’y parvenir, mais, une fois de plus, il s’agit de questions liées à la souveraineté nationale. Pour ce qui est de la souveraineté nationale en matière de défense physique, il y a une limite à ne pas franchir, mais lorsqu’il est question de notre infrastructure informatique, les gens diront qu’il est un peu difficile de déterminer la limite à ne pas franchir et qu’ils n’en savent rien. En fait, la limite est la même. Nous assistons actuellement à une forme de guerre hybride, et nous devons vraiment y réfléchir.

Je vais m’arrêter ici pour que vous ayez le temps de poser une deuxième question.

Le président : Malheureusement, vous avez utilisé tout le temps qui vous était accordé.

M. Bridgman : C’est un peu gênant. Toutes mes excuses.

Le président : Je suis certain que nous reviendrons à vous durant la deuxième série de questions.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie tous les deux de votre présence.

Si vous n’avez pas suffisamment de temps pour répondre à cette question, nous vous serions reconnaissants de présenter un mémoire écrit au comité pour que vous puissiez étoffer votre réponse. L’une des choses que l’on nous demande, c’est de faire des recommandations à notre gouvernement au sujet des mesures qu’il pourrait prendre à cet égard, des mesures concrètes qu’il pourrait prendre au lieu de se contenter d’en parler. Quelles sont les choses, selon vous, que nous pourrions accomplir de manière concrète pour commencer à réduire le volume de cette désinformation?

M. Alexander : Investissez massivement dans la littératie médiatique. C’est quelque chose qui devrait être enseigné dans les écoles, en partenariat avec les provinces et les territoires. Nous n’allons pas interdire toutes les plateformes du jour au lendemain. Dans de nombreux cas, c’est déjà ce que font les enseignants, car ils en voient la nécessité. Il devrait y avoir une vocation nationale, une obligation de le faire, selon le modèle de la Finlande. Il y a d’autres pays, qui ont des scores de PISA très élevés, comme le Canada. Pourquoi ne pas également mettre en place de bons systèmes de défense contre la désinformation et la propagande au Canada?

Nous devons appliquer les lois existantes en matière de crime haineux en ligne. Je vais m’arrêter ici. Je pense que ce n’est pas le cas, alors que ce devrait l’être.

Nous devrions établir, comme je l’ai déjà mentionné, une agence responsable de la lutte contre la désinformation, en visant le rang de chef de file dans le domaine parmi les pays du G7, et cette mesure devrait faire partie d’efforts plus énergétiques en vue de préserver la sécurité nationale et la sécurité publique, de renforcer la résilience de la société civile démocratique, la surveillance et la souveraineté numérique, que M. Bridgman a évoquées, et la défense nationale, notamment de s’engager à assurer le succès de l’Ukraine et, finalement, sa victoire. Cela fait partie de la campagne. Tout ce que les Russes font, c’est de nous éloigner de ces objectifs. Lorsque nous soutenons l’Ukraine, lorsque nous disons la vérité sur ce que la Russie fait en Ukraine, lorsque nous fournissons un soutien fondé sur des principes, comme le pays l’a fait auparavant et commence à le faire à une échelle plus grande, nous luttons contre la capacité de la Russie à littéralement miner notre démocratie.

Nous devrions mettre sur pied un cycle pangouvernemental pour détecter et gérer ces éléments. La Suède dispose d’un cycle à trois volets. Le centre d’excellence de la lutte contre la guerre hybride en Finlande se concentre sur quatre secteurs. Nous devrions mettre en œuvre une version canadienne de tous ces cycles pangouvernementaux afin de surveiller de près ces problèmes.

M. Bridgman : Je ne m’opposerais à aucune de ces idées. Ce sont toutes des recommandations que j’ai faites dans d’autres contextes également. Il y a certainement une nécessité de prendre des mesures concertées.

Si vous me posez la question, en tant que chercheur, je veux toujours davantage de données. Je pense que les données sont incroyablement puissantes pour ce qui est de raconter des histoires et d’aider les gens à en comprendre l’ampleur et la portée. Nous devons faire cela, et nous devons commencer à sérieusement réfléchir à notre stratégie en ce qui concerne l’engagement avec les plateformes.

Je ne peux pas m’arrêter de penser à l’annonce qui a généré celle de la hausse des droits de douane pour le Canada par Trump et par les Américains. Nous avons parlé timidement de transparence et de reddition de comptes des plateformes de réseaux sociaux. Nous l’avons fait dans l’intérêt d’une guerre commerciale, laquelle est imprévisible, et nous ne pouvons pas dire que nous allons sacrifier toutes ces priorités nationales, que nous allons sacrifier la sécurité des enfants, l’intégrité de l’information, et notre capacité de disposer d’un environnement d’information souverain dans l’espoir que la guerre soit moins imprévisible. Cela n’arrivera simplement pas. Nous devons poursuivre notre programme et nos intérêts nationaux en ce qui a trait à l’environnement d’information, quoi qu’il arrive. Il s’agit d’une question essentielle. Il s’agit de l’avenir de notre pays. Bien évidemment, l’économie a de l’importance, mais il en va de même de l’intégrité de l’information, et nous pouvons nous concentrer sur ces deux éléments. Cela doit être une priorité, et nous ne pouvons pas juste dire : « Renforçons les capacités du pays. » Nous devons exercer de façon plus musclée la transparence et la reddition de comptes. Les géants des médias sociaux sont les entreprises qui ont la plus grande envergure et plus grande valeur au pays, mais ce sont les entreprises les moins réglementées. Ce sont les entreprises les moins réglementées ici, et elles jouissent d’une énorme influence. Nous devons faire preuve de prudence à cet égard.

[Français]

La sénatrice Youance : Merci aux témoins de leur présence.

Vous avez répondu en partie à ma question, monsieur Alexander, alors je vais la préciser davantage. Vous avez fait référence à la Moldavie, où j’étais d’ailleurs récemment pour les élections législatives. Au deuxième tour des élections législatives, la présidente sortante a perdu. Il y a également eu un référendum dont le résultat a été très serré sur l’intégration à l’Union européenne. À votre avis, dans quelle mesure la victoire sur le territoire moldave est-elle liée à la propagande russe? De plus, quelles leçons le Canada peut-il tirer de cette expérience?

M. Alexander : Je pense que la question est très bien formulée.

Si la propagande russe n’avait pas été contournée, s’il n’y avait pas eu d’opposition ni du côté des États-Unis avant le deuxième mandat de M. Trump ni du côté de l’Union européenne lors des élections plus récentes, il n’y aurait plus de démocratie en Moldavie. Les parties reliées à la Russie auraient gagné et gardé le pouvoir sans limites, sans date, un peu comme en Géorgie. Une situation semblable s’est produite dans ce pays où les anti-Russes ont perdu, et ils n’ont pas été appuyés de la même façon par l’Europe, par les autres démocraties ou par les États-Unis. Il n’y aura plus de démocratie en Géorgie jusqu’à nouvel ordre, à moins de la chute du régime actuel à Moscou ou d’une quelconque révolution en Géorgie. C’est une situation bien triste qui existe en Géorgie.

C’est réconfortant pour nous tous, ce qui s’est passé en Moldavie, mais comprenons qu’ils ont agi de façon très déterminée. Ils ont déclaré plusieurs partis politiques hors la loi, car ils recevaient un financement énorme de Moscou, et ils ont pris cette décision avant les élections, pas après. Cela était très important. Sans cela, les résultats auraient été différents.

Juste à côté, la Roumanie a tenu des élections que sa Cour suprême a déclaré illégitimes à cause de l’influence russe acheminée par TikTok, Twitter ou X, et cetera. Alors, après de nouvelles élections sans candidats russes et avec une approche beaucoup plus déterminée, la démocratie continue en Roumanie.

Que se passera-t-il en Allemagne? Est-ce que l’AfD continuera d’être une alternative réelle, même si le financement et l’appui viennent de Moscou par les médias sociaux? Est-ce que la France agirait de la même façon face à leurs partis qui sont ouvertement appuyés par la Russie? Il y a d’énormes questions qui se posent encore, même si on est heureux pour le mode de vie qui est resté le même en Roumanie.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Merci à tous les deux d’être ici.

Monsieur Alexander, vous avez affirmé que les Russes étaient impliqués à fond dans l’envoi et la transmission de messages sur diverses plateformes et ainsi de suite. Un certain nombre de ces messages doivent tomber dans l’oreille d’un sourd. C’est ce que je suppose, car comme je connais le Canada, certaines de ces idées ne seraient tout simplement pas populaires. Que savez-vous, tous les deux, de l’efficacité de la transmission des messages? Savons-nous quoi que ce soit à ce sujet? Qu’est-ce qui fonctionne véritablement ou pas, et dans quelle mesure? C’est vraiment ma première question, juste pour avoir une idée de ce que nous savons à ce sujet.

Ensuite, j’ai une plus petite question pour M. Bridgman concernant Kirkland Lake. Je comprends vos deux autres exemples; je les connais. Qu’est-ce qui, à Kirkland Lake, a attiré les robots? C’était quoi cette petite histoire? Je suis vraiment curieuse. Pourquoi Kirkland Lake? Pourquoi cet événement?

M. Bridgman : Peut-être que je peux répondre brièvement en ce qui concerne Kirkland Lake. Nous avons réalisé une enquête approfondie. Il s’agit de nouvelles conçues de manière automatique par des robots de ChatGPT et Twitter. Il est probable qu’un seul acteur ait été à l’origine de cette expérience. Selon notre enquête, il est très improbable qu’il se soit agi d’un acteur étatique. C’était quelqu’un qui tentait de renforcer les capacités dans cet espace. Nous le savions, car nous avons retrouvé, parmi les milliers de robots, une tendance. Un certain pourcentage des robots faisait régulièrement des reportages sur diverses actualités canadiennes, et intégraient un message d’incitation pour générer ces messages. Rien ne concernait Kirkland Lake en particulier. Il n’y avait pas d’effort pour convaincre les Canadiens que quelque chose s’était produit à Kirkland Lake. C’était accessoire. Mais, ce que cet événement a véritablement démontré, c’est qu’un acteur a la capacité et la possibilité de le faire, et c’est ce qui nous préoccupe vraiment.

Si je peux me permettre, pour ce qui est de la première question, comment le savons-nous? C’est un sujet très dangereux. Je suis un politologue; j’étudie le comportement politique. C’est très inquiétant de comprendre à quel point une seule campagne d’information est susceptible de générer des résultats différents.

En général, la documentation nous montre, de manière répétée, que les campagnes d’information, à elles seules, n’aboutissent pas, et qu’elles ont tendance à ne pas faire changer les gens d’avis, mais nous disposons également d’une énorme documentation sur les communautés et les espaces numériques qui ont été pris pour cible par la menace et l’influence de la désinformation russe, les efforts qui ont manipulé plusieurs milliers de personnes. Il est difficile de concilier ces deux éléments. Comment déterminez-vous, dans l’ensemble, si oui ou non 40 millions de Canadiens absorbent ces informations?

À cette question, je répondrais qu’il n’en faut pas beaucoup. Il n’y a pas besoin que beaucoup de personnes se fassent influencer de la sorte. Il en faut beaucoup pour ce qui est d’une certaine propagande russe concernant l’Ukraine, mais il n’en faut pas beaucoup pour que les gens croient sincèrement, par exemple, que le gouvernement en a après eux, qu’il est corrompu et qu’on va vous montrer les façons dont il procède. Il ne faut pas beaucoup de personnes pour bloquer un pont ou pour occuper le centre d’Ottawa, pour participer au militantisme susceptible d’avoir une grande incidence sur une démocratie. Nous savons donc que cela a une importance pour certaines petites communautés — il existe une excellente documentation à ce propos — et de ce fait, dans le contexte d’une démocratie, cela représente une réelle menace.

M. Alexander : La désinformation et les mesures actives ont pour objectif de discréditer, diviser, démoraliser et affaiblir. C’est en examinant la santé de nos démocraties que l’on peut voir l’efficacité de ces éléments.

Les actifs russes sont des acteurs majeurs sur la totalité des plateformes principales. X ou Twitter, en raison de son propriétaire, TikTok en raison de sa propriété, Telegram en raison de sa propriété — ce sont essentiellement des environnements hostiles dans lesquels la Russie et d’autres régimes autocratiques ont le champ libre. Facebook, Instagram, YouTube n’appartiennent pas à la Russie ni à la Chine, mais ce sont des environnements permissifs pour ces pays. Ces médias sociaux sont les vecteurs principaux qu’ils utilisent.

Le sénateur Ince : Je vous remercie tous les deux. Vos propos sont très intéressants.

Monsieur Alexander, vous avez mentionné la quantité énorme d’argent que la Russie a investie dans ce projet. Il semble que nous nous concentrions beaucoup sur la Russie. M. Bridgman a mentionné la Chine et l’Inde. Pouvez-vous nous donner une idée de la quantité d’argent qu’ils ont également investie dans ce projet?

M. Alexander : Une quantité considérable. L’avis de M. Bridgman m’intéresserait également.

TikTok a beaucoup d’influence chinoise, et une grande partie de cette influence est d’ordre étatique. L’Iran a une présence sur TikTok et sur d’autres médias sociaux; il y investit énormément. Le Pakistan, les États du Golfe, bon nombre d’États, en particulier les États autocratiques, paient pour avoir de l’influence sur ces plateformes. Comme ils ont vu le succès de la Russie et d’autres pays, ils pensent que cela s’inscrit simplement dans une politique étrangère ces temps-ci, n’est-ce pas?

Je pense que la plupart des experts seront d’avis pour dire, en ce qui concerne le perfectionnement, l’étendue, la persistance, le ciblage de certaines questions, la combinaison de la présence sur les médias sociaux et de mandataires rémunérés — par exemple, je lisais aujourd’hui que Tucker Carlson faisait valoir que Poutine est la meilleure personne au monde, et que tout le monde à l’échelle de la planète le respecte —, la combinaison de ces formes d’influence, que personne ne peut encore égaler la Russie.

Notre vision de ce que la Russie fait est incomplète, car son impact revêt diverses formes : nous le voyons comme Marine Le Pen. Nous le voyons comme un parti extrémiste en Allemagne. Nous le voyons comme le mouvement MAGA. Ce sont toutes des forces politiques nationales, aucun doute à ce sujet, mais la Russie a investi dans chacune. Je dirais que leur influence, leur domination ainsi que les deux victoires électorales de Trump doivent beaucoup à la Russie. Lorsque vous parlez du blocus de nos camionneurs et de la manière dont l’événement a été influencé, Russia Today a couvert le sujet. Les données probantes sont là. Beaucoup de personnes en ligne — j’imagine qu’elles suivaient les instructions de la Russie — pour soutenir le mouvement n’étaient pas vraiment des Canadiens et étaient, pour la plupart, issues du mouvement MAGA, ce qui a rendu les choses compliquées pour le SCRS et d’autres organismes qui tentaient de suivre ce qui se passait, car si les États-Unis ne reconnaissent pas l’influence russe dans le mouvement MAGA, comment sommes-nous censés le reconnaître au pays?

M. Bridgman : La réponse courte, c’est que nous n’avons pas une idée complète des fonds investis par l’Inde et la Chine ainsi que d’autres États. Nous savons que des efforts considérables ont été déployés, et nous commençons à voir ces choses émerger, mais nous ne savons pas. Mais nous savons qu’il y a une grande incidence, et je suis d’accord pour dire que la Russie est toujours le pays que l’on soupçonne le plus.

Je sais que c’est un constat déplaisant, mais je vais continuer de tirer la sonnette d’alarme : en ce qui concerne les opinions et l’attention des Canadiens, les États-Unis sont, de loin, à mon avis, la source d’ingérence étrangère la plus dangereuse. Nous avons vu de grands influenceurs présenter la politique canadienne sous un faux jour, de manière répétée, et ce qui se passe au pays afin de désinformer et d’enflammer le public. Russia Today est tout petit; il est important et a de la valeur, mais quelqu’un comme Tim Pool, Lauren Southern ou Benny Johnson, qui reçoivent tous du financement de la Russie, disposent également d’un énorme auditoire américain et d’énormes budgets.

Je souhaite souligner cela, car lorsqu’on pense à un influenceur, on pense à un individu. Dans le cas du Canada, dans une certaine mesure, il s’agit de cela, car il n’est pas question du même montant d’argent. Aux États-Unis, lorsque l’on dit influenceur, on fait référence à une organisation médiatique spécifique avec une position éditoriale forte et dotée d’une équipe de chercheurs, de rédacteurs et de réalisateurs vidéo qui diffusent du contenu de manière continue. Nous avons parlé de Tim Pool à quelques reprises aujourd’hui. Il va bientôt sortir un balado quotidien d’une durée de deux heures. Qui consomme cela? Il s’agit d’une énorme quantité de contenu. Cela n’est rendu possible que par une grande organisation médiatique contribuable. Lorsque nous pensons aux influenceurs, nous pensons à des entités médiatiques qui sont capables de naviguer dans notre nouvel environnement virtuel avec presque aucune surveillance. Nous n’avons pas l’infrastructure juridique pour les encadrer d’une quelconque façon.

Je suis d’avis qu’il s’agit d’un problème qui est plus complexe du côté américain, et cela remonte à des décennies, avec l’interdépendance du Canada et des États-Unis. Nous devons continuer à nous préoccuper de la Russie, mais nous devons également regarder la situation américaine en face.

La sénatrice White : Merci aux deux experts. C’était une discussion fascinante, et, en toute honnêteté, terrifiante.

Ma question s’adresse à M. Bridgman. Au risque de répéter nombre de questions qui vous ont déjà été posées, j’essaie de distinguer ma question de celle du sénateur Kutcher. En ce qui a trait à des approches que le Canada pourrait adopter, je me penche spécifiquement sur les approches factuelles qui pourraient renforcer la résilience du Canada face à toutes les influences qui, comme nous le savons, ont un impact sur le discours public et sur la confiance envers nos institutions, tout en préservant l’ouverture et la liberté d’expression.

M. Bridgman : Vous avez frappé dans le mille. Il y a cette idée préconçue selon laquelle lorsqu’on exige de la transparence, de la responsabilisation et des ajustements de la part des plateformes, que cela empiète sur la liberté d’expression. Au Canada, nous utilisons même un langage propre à la liberté d’expression. Je me reprends toujours. Il ne s’agit pas de la liberté de dire tout ce que l’on veut. Il est question ici de liberté d’expression. Il y a une nuance entre les deux. Toutefois, dans un contexte où ces plateformes ne sont pas des acteurs neutres et ne prennent pas de décisions neutres, cela semble être une façon très bizarre d’aborder les choses.

Si je vais sur X et que je publie quelque chose, cette publication sera vue une centaine de fois. J’ai le droit de faire cela. Je peux m’exprimer. Et, par exemple, si Benny Johnson publie quelque chose, lui, il aura des millions de vues. En théorie, nous jouissons tous les deux de la même liberté d’expression, mais, en pratique, l’impact et l’influence que nous avons sont incroyablement différents. Il ne s’agit pas d’un marché libre. Ce n’est pas l’algorithme omnipotent descendu des cieux qui a décidé de cela. Il y a des préférences propres aux plateformes pour du contenu qui fait appel aux émotions, qui provoquent et qui mésinforment. Ces contenus ont davantage de chances d’être répandus facilement. Voilà les décisions qui sont prises par les plateformes afin de maximiser le temps qu’on y passe. Elles ne sont pas des espaces neutres.

Nous avons cette idée romancée — et celle-ci m’est encore chère — selon laquelle les réseaux sociaux sont collectivement comme une agora virtuelle où nous pouvons tenir un dialogue. Je demande à toutes celles et ceux qui ont passé du temps sur les réseaux sociaux, cela ressemble-t-il à une agora virtuelle? Y a-t-il la moindre agora virtuelle sur ces plateformes? Ou n’y a-t-il que des gens qui sont provoqués ou induits en erreur? Il est question ici d’un énorme pouvoir.

Même après tout ce temps, je demeure un techno-optimiste, mais TikTok a une grande capacité d’unification et de mobilisation des jeunes afin de les intéresser à certains sujets, mais il ne s’agit pas d’une plateforme neutre.

Pour revenir au cœur de la question, il doit y avoir une transparence quant au fonctionnement de ces plateformes. Les Canadiens doivent le comprendre. Lorsque cela est approprié, l’algorithme ainsi que la manière dont il fonctionne peuvent être rajustés et changés, et ce, sans nuire à la liberté d’expression. Tout le monde pourra écrire ce qu’il souhaite, mais nous n’allons pas produire un environnement où les contenus les plus sensationnalistes, qui mésinforment ou qui font le plus appel aux émotions seront automatiquement vus par davantage de personnes. Voilà les changements que les plateformes elles-mêmes mettent en place.

M. Alexander : Je suis d’accord avec tout ce que M. Bridgman a dit. Nous pouvons restituer l’agora virtuelle, ramener ce sentiment de confiance envers les réseaux sociaux, rétablir la confiance entre nous et en nos procédures démocratiques. Chaque pays dans le monde a vécu cela. Certains pays sont allés trop loin et ne sont plus des démocraties. Regardez les États-Unis. Mais je vais revenir à la Suède. Ce pays dispose d’une agence de défense psychologique. Nous choisirions probablement un titre différent au Canada. Cette agence suédoise est renommée. Elle publie des études qui exposent ce que font les Russes. Elle compte certains des meilleurs chercheurs au monde, ainsi qu’un cadre d’évaluation des politiques pangouvernemental à six cycles servant à déterminer les formes d’attaques menées actuellement, pour les contrer systématiquement et remettre les algorithmes sur le droit chemin, en ramenant les dossiers chauds, émotifs ou extrémistes là où ils doivent être et restaurer la capacité des citoyens à dialoguer réellement l’un avec l’autre, avec calme et civisme, sur les enjeux démocratiques. Vous devez faire cela si vous souhaitez que votre agora virtuelle reste intacte. Nous sommes loin d’en avoir fait assez. Nous devons être ambitieux et poser un geste concret pour restaurer cette agora virtuelle, au risque de voir se détériorer encore plus notre propre démocratie, chose que nous ne voulons pas voir.

Le président : J’ai une question.

La confiance envers le gouvernement est un élément clé si l’on veut obtenir l’écoute, la participation et l’appréciation du public pour ce que le gouvernement tente de faire en vue de protéger la démocratie. Comme nous l’avons constaté, la mesure de la confiance envers le gouvernement varie selon les ordres de gouvernement : provincial, municipal et fédéral. Si nous avons le moindre espoir d’amener nos gouvernements à se mobiliser de façon constante à cet égard, les Canadiens doivent avoir davantage confiance en leur gouvernement. Au niveau national, nous sommes tous d’accord pour dire que le gouvernement fédéral a davantage de responsabilités, mais il n’est pas le seul ordre de gouvernement qui pourrait faire face à ces défis auxquels nous sommes confrontés en tant que démocratie. Il y a également les gouvernements provinciaux, les gouvernements des territoires et les administrations municipales. Comment pouvons-nous accomplir cela d’une manière efficace afin d’apporter une certaine cohérence à notre démarche? M. Bridgman, vous avez dit à maintes reprises — ceux qui se sont penchés sur le modèle finlandais seront d’accord — qu’ils ont accompli quelque chose d’incroyable à une époque où l’information prolifère rapidement. Ils ont accompli quelque chose, en étant les voisins du géant qu’est la Russie, et sont capables de le maintenir de façon permanente. Comment pourrions-nous mettre en place un organisme similaire dans le but d’aider et de revitaliser notre démocratie? Car si nous ne le faisons pas, nous allons laisser pourrir notre démocratie au point où le fait qu’un citoyen n’a ni confiance en son gouvernement ni confiance dans l’information qu’il consomme n’aura aucune importance.

M. Alexander : Merci de cette question, monsieur le président.

Une bonne part de cette efficacité tient au leadership d’organismes du genre, de notre gouvernement, qui ont le courage de dire la vérité et qui sont assez bien informés par les experts à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, pour dire que « nous avons été attaqués ».

Les Russes considèrent qu’ils sont en guerre avec nous. Je veux dire, bien sûr, qu’ils sont en guerre cinétique avec l’Ukraine. La Russie ne veut pas que nous nous joignions à cette guerre, car elle sait qu’elle perdrait contre nous tous, et pour nous écarter du conflit, elle mène une guerre del’information avec nous. Je ne suggère pas de déclarer la guerre à la Russie, mais il faut reconnaître la manière dont elle voit les choses et les efforts qu’elle déploie pour véritablement mettre à mal notre démocratie et réduire la confiance envers celle-ci.

Si nous revenons aux trois ou quatre enjeux majeurs qui ont réduit la confiance des Canadiens envers leur gouvernement — le système de santé publique pendant la pandémie de COVID-19, la vaccination et l’immunisation, par exemple. Il y avait un vaste débat polarisant, et les perspectives extrêmes des tenants et des opposants étaient toutes soutenues par des intervenants russes en ligne, et c’est le cas avec beaucoup d’autres enjeux — l’immigration et le multiculturalisme au Canada, par exemple. Les Russes prendront toujours une position extrême, l’amplifieront et la feront enfler pour créer un effet boule de neige qui occulte le centre et laisse le gouvernement désemparé. La confiance envers le gouvernement est en chute libre. Prenons conscience du fait que cela se produit et attachons-nous à répondre à ce problème de la meilleure manière possible.

Ce n’est seulement qu’à deux occasions que nos alliés ont véritablement contré des mesures actives russes de manière efficace. La première occasion était, étonnamment, sous la présidence de Ronald Reagan, dans les années 1980. De 1981 à 1991, il y avait quelque chose qu’on appelait le Active Measures Working Group, que les démocrates et les républicains d’aujourd’hui qualifieraient de merveilleux. Ce groupe travaillait en parallèle avec la défense nationale, à laquelle Reagan accordait une grande importance. Le groupe a mis en lumière ce que les Russes faisaient pour diviser les États-Unis à cette époque-là. Ils ont produit des rapports publics. Tout est en ligne. Vous pouvez constater par vous-même à quel point il était efficace. Il a été dissous en 1991, fin de l’histoire, on fait la paix, nous n’avions plus besoin de cela. Les Russes ont continué, pas tant dans les années 1990, mais ont repris des forces plus tard. Biden a tenté de restaurer ce groupe. Le Global Engagement Center a existé pendant quelques années, jusqu’en 2022. Maintenant, il n’existe plus à cause de Trump.

Le seul autre exemple qui a été couronné de succès est celui des institutions européennes avec leur cadre de lutte contre la manipulation de l’information et l’ingérence étrangère, que la commission utilise, mais que les États membres peuvent également utiliser. Ils en sont encore à leurs débuts, mais ils ont connu davantage de succès que le monde anglophone qui ne fait pas partie de l’Union européenne. Aucun de nos pays — le Royaume-Uni, le Canada ou les États-Unis — n’a mis en place un tel cadre. Il serait bénéfique pour le Canada d’en avoir un qui fonctionne, qui restaure la confiance envers le gouvernement, qui dit la vérité quant aux formes d’attaques lancées contre nous et qui restaure l’agora virtuelle d’une manière que nous reconnaîtrons tous comme étant intègre à nouveau.

Le président : Merci.

Cela conclut notre rencontre avec les témoins. Je souhaite remercier M. Alexander et M. Bridgman de s’être entretenus avec nous aujourd’hui. Nous apprécions grandement vos contributions et le temps que vous avez pris pour partager vos connaissances avec nous. Au bout du compte, cela sera très bénéfique pour notre étude.

Mesdames et messieurs, nous sommes rendus au dernier point de notre ordre du jour, qui est une discussion portant sur nos prochains travaux. Il a été convenu que nous allons poursuivre la séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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