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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 17 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, l’approvisionnement en matière de défense dans le contexte de l’engagement du Canada à accroître ses dépenses de défense.

Le sénateur Mohammad Al Zaibak (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Avant de commencer, et pour faciliter le bon déroulement des délibérations du comité, les directives suivantes doivent être respectées par tous les participants afin d’éviter les effets Larsen.

Veuillez consulter, sur les cartes placées sur les tables du comité, les directives destinées à prévenir les effets Larsen. Veuillez garder l’oreillette éloignée des microphones en tout temps. Ne touchez pas les microphones. Leur activation et leur désactivation seront gérées par l’opérateur de console. Veuillez éviter de manipuler votre oreillette lorsque le microphone est activé. Les oreillettes doivent rester à l’oreille ou être placées sur l’autocollant prévu à cet effet à chaque place. Nous vous remercions de votre coopération.

Bonjour à tous. Je suis Mohammad Al Zaibak, sénateur de l’Ontario et vice-président de ce comité. Notre président, le sénateur Yussuff, est absent aujourd’hui. Je suis accompagné de mes collègues sénateurs, que j’invite à se présenter.

Le sénateur Kutcher : Je suis le sénateur Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ince : Je suis le sénateur Tony Ince, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Dasko : Je suis Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur McNair : Je suis John McNair, sénateur du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Je suis ravie de vous voir aujourd’hui. Je m’appelle Marty Deacon, je suis sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice White : Judy White, sénatrice de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec.

[Traduction]

Le vice-président : Merci. Nous nous réunissons aujourd’hui pour entamer notre étude sur l’approvisionnement en matière de défense dans le contexte de l’engagement du Canada à augmenter ses dépenses de défense. Nous avons le plaisir d’entendre trois groupes de témoins qui comprennent des experts du secteur de la défense, des organisations de la société civile et des représentants de l’Arctique canadien.

Dans ce premier groupe, nous recevons David Perry, président de l’Institut canadien des affaires mondiales; Gaëlle Rivard Piché, directrice générale de l’Institut de la Conférence des associations de la défense; et, par vidéoconférence, Richard Shimooka, chercheur principal à l’Institut Macdonald-Laurier. Je vous remercie tous d’être des nôtres aujourd’hui.

Nous commencerons par vous inviter à présenter vos observations préliminaires, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Je vous rappelle que vous disposez chacun de cinq minutes pour votre exposé. Nous commencerons par M. David Perry.

David Perry, président, Institut canadien des affaires mondiales : Merci beaucoup, monsieur le président. Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui. J’attends avec impatience les résultats de votre étude.

Je serai bref et aborderai cinq questions. Je serai heureux d’y revenir pour en parler plus longuement.

Je commencerai par souligner que, depuis quelques mois, nous voyons accorder à la défense et à l’approvisionnement en matière de défense le genre de priorité qui faisait cruellement défaut. Nous chercherons à la maintenir en tendant vers l’objectif de 3,5 % du PIB consacrés aux besoins essentiels de la défense d’ici 2035.

Les signaux envoyés par le gouvernement en allouant à la défense les fonds nécessaires pour atteindre 2 % du PIB au cours de cet exercice, ainsi que la création de l’Agence de l’investissement pour la défense, l’AID, sont sans ambiguïté et tout à faire nécessaires, si le gouvernement entend vraiment obtenir de meilleurs résultats en matière d’approvisionnement.

Deuxièmement, la vision que le gouvernement a de l’industrie canadienne de la défense et sa volonté d’accélérer les achats ne concorderont pas, à moins d’une coordination très étroite entre la stratégie industrielle de défense et les futurs plans d’acquisition en matière de défense. Les engagements de financement initiaux prévus pour la stratégie industrielle de défense dans le budget présenté il y a quelques semaines et les discussions sur la stratégie à ce jour sont autant d’efforts louables engagés pour mieux soutenir un secteur longtemps négligé de l’économie canadienne, et un pilier de la capacité de défense.

Toutefois, comme cela a été souligné dans ces discussions, nous ne disposons pas actuellement de la base industrielle de défense dont nous avons besoin, ce qui signifie que nous ne pouvons pas nous procurer tout ce que nous voulons au Canada, du moins pas dans l’immédiat. Afin de réduire au minimum la tension entre la rapidité des acquisitions et un approvisionnement national accru, nous devons être aussi déterminés, précis et pragmatiques que possible quant aux répercussions du recentrage de nos acquisitions sur un approvisionnement plus canadien.

Troisièmement, nous proposons des changements très importants à notre approche des acquisitions de manière générale, et il faudra un certain temps pour qu’ils portent leurs fruits. Nous devons faire preuve de patience à court terme et prendre d’autres mesures pour améliorer le système en attendant. Pour que la nouvelle structure et les nouvelles stratégies mûrissent, nous pouvons commencer par prendre des mesures qui seront bénéfiques, quelle que soit l’évolution de l’agence d’investissement et de la stratégie industrielle.

Nous pourrions hiérarchiser davantage et de manière plus cohérente les priorités dans tous les aspects de l’écosystème d’acquisition de nos projets, afin de concentrer là où elles sont le plus nécessaires des ressources actuellement insuffisantes. De même, nous gagnerions à déléguer davantage de pouvoirs et de prises de décision plus près du terrain. Nous avons bâti une structure gouvernementale très lourde, où seules les personnes au sommet de la direction sont habilitées à prendre des décisions. Déléguer plus près du niveau opérationnel permettrait de mieux gérer l’augmentation rapide du volume de travail.

Quatrièmement, si nous voulons un changement véritable et radical, il nous faut de bien meilleures données sur les achats de défense de tous types, ainsi que sur la structure et la composition de la base industrielle de défense canadienne, et un écosystème commercial plus large. De cette manière, nous saurons mieux ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, où se situent les problèmes, quelles sont les pratiques exemplaires à reproduire et où se trouvent réellement les possibilités de croissance pour le secteur privé. Si nous voulons apporter de réels changements, il nous faut pour commencer des données sûres.

Enfin, le gouvernement doit se montrer beaucoup plus transparent quant à l’objet de cette forte augmentation des dépenses. Bien trop souvent au Canada, les discussions sur la défense et l’approvisionnement en matière de défense se déroulent dans un vide quasi total d’information, et ce travail est trop important pour être mené en silence, à huis clos. Le gouvernement doit nous dire de façon beaucoup plus détaillée à quoi servira l’augmentation considérable du financement de la défense prévue dans le budget de 2025, afin que l’on comprenne bien les conséquences pour l’approvisionnement. Je vous remercie.

Le vice-président : Je vous remercie, monsieur Perry. Nous allons passer à Gaëlle Rivard Piché. Vous avez la parole.

[Français]

Gaëlle Rivard Piché, directrice générale, Institut de la Conférence des associations de la défense : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, merci. Je suis ravie d’être parmi vous aujourd’hui.

[Traduction]

Je suis ravie de comparaître devant vous aujourd’hui. Avant de commencer, je tiens à préciser que mon exposé sera en anglais, mais que je serai heureuse, ensuite, de répondre à vos questions et de discuter en français.

Mes observations préliminaires porteront principalement sur les possibilités créées par l’engagement récent du Canada à augmenter ses investissements dans la défense, les défis structurels qui continuent de ralentir la création de capacités militaires et les risques stratégiques auxquels le Canada fait face en raison de retards prolongés dans les achats, étant donné, notamment, les menaces posées par la Chine, la Russie et d’autres acteurs étatiques déterminés à saper l’ordre international fondé sur des règles.

Tout d’abord, les investissements annoncés dans le budget de 2025 du Canada sont des mesures bienvenues et urgentes pour moderniser nos forces. Le budget de 2025 propose d’affecter 81,8 milliards de dollars sur cinq ans aux Forces armées canadiennes, un financement qui va dans le sens de l’objectif de 3,5 % du PIB canadien consacrés aux capacités militaires de base d’ici 2035. Par cet investissement, le Canada reconnaît que l’environnement de sécurité mondiale a fondamentalement changé, que notre pays fait face à des défis importants sur son territoire et à l’étranger, et que nous devons être prêts à prévenir un large éventail de menaces dans un contexte en constante évolution et à les contrer.

Cependant, l’augmentation du financement ne suffit pas à résoudre les problèmes fondamentaux des systèmes de défense et d’approvisionnement du Canada. La capacité d’absorption, le recrutement et le maintien en poste de personnel, ainsi que la certitude du financement et sa durabilité restent des problèmes pressants.

Cependant, ce qui me préoccupe le plus, c’est le rythme auquel ces investissements se traduiront par des capacités réelles et déployables. Dans le contexte de menace actuel, où les domaines opérationnels conventionnels et émergents façonnent les conflits modernes, la rapidité n’est pas seulement une question d’efficacité; elle est essentielle pour défendre la souveraineté et les intérêts stratégiques de notre pays.

La Russie a démontré qu’elle est prête à recourir à la force pour redessiner les frontières internationales et à remettre en cause la sécurité euro-atlantique, y compris celle des pays de l’OTAN. Malgré de lourdes pertes et une guerre prolongée en Ukraine, elle devrait avoir achevé sa reconstitution militaire d’ici 2029. De même, la Chine développe rapidement ses capacités militaires, projetant sa puissance dans toute la région indo-pacifique et menaçant de plus en plus la souveraineté de Taïwan. En fait, d’après des estimations publiques, une invasion est possible dès 2027, soit dans seulement 16 mois.

Les échéances sont dangereusement proches sur les deux fronts.

En revanche, nombre des projets d’acquisition du Canada ne devraient pas atteindre leur pleine capacité opérationnelle avant le milieu des années 2030, ce qui risque de se révéler trop long pour répondre aux exigences de dissuasion au sein de l’OTAN et se préparer à contrer des menaces qui se matérialisent déjà.

C’est pourquoi l’engagement du gouvernement à créer l’Agence de l’investissement pour la défense est encourageant. Si elle est bien conçue, elle pourrait accélérer l’acquisition d’équipements, renforcer les partenariats avec les alliés et remédier à certains des problèmes qui pèsent depuis des décennies sur le cycle d’approvisionnement en matière de défense.

Toutefois, si les mêmes processus administratifs et réfractaires au risque pèsent sur la nouvelle agence, il est très probable que les vieux problèmes persistent sous un autre nom. La semaine dernière, lorsqu’il a déclaré préférer que l’on adopte une classe de sous-marins existante, plutôt que de concevoir un modèle canadien sur mesure, le vice-amiral Topshee, commandant de la Marine royale canadienne, a souligné combien il est important de livrer plus rapidement des capacités majeures. Son message, qui était clair, s’applique à l’ensemble des Forces armées canadiennes, les FAC : réinventer la roue prend du temps, et le temps est un luxe que le Canada ne peut pas se permettre.

Plus généralement, le Canada fait face à des lacunes croissantes en matière de capacités, les flottes existantes vieillissant plus rapidement que leurs remplaçantes ne peuvent être mises en service. Il a fallu des décennies pour remplacer notre flotte de chasseurs, et nous attendons toujours que le gouvernement décide de donner suite ou pas à l’acquisition intégrale des F-35, seuls aéronefs de cinquième génération disponibles.

La Stratégie nationale de construction navale est essentielle, mais ses échéanciers s’étendent maintenant aux années 2040, ce qui signifie que certaines frégates de classe Halifax fonctionneront bien au-delà de leur durée de vie initiale de 30 ans, avec des coûts d’entretien croissants et des problèmes grandissants.

Ces lacunes font partie des nombreux facteurs qui compromettent la préparation opérationnelle des FAC.

Pendant ce temps, les alliés du Canada agissent rapidement. Que ce soit dans le cadre de partenariats traditionnels, comme l’OTAN et le NORAD, ou de nouveaux accords de sécurité avec l’Union européenne, la Pologne ou la Corée du Sud, le message est clair : le Canada ne pourra pas apporter de contribution utile, s’il ne dispose pas des capacités voulues au moment voulu.

Le gouvernement a pris des engagements importants. Il est maintenant essentiel d’agir rapidement. Le défi consiste à présent à faire en sorte que ces engagements se traduisent rapidement en capacités concrètes et opportunes, afin que le Canada puisse préserver, renforcer et, en fin de compte, maintenir son avantage stratégique sur ses adversaires, de concert avec ses alliés.

Je vous remercie. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le vice-président : Je vous remercie, madame Piché.

J’aimerais souligner que le sénateur Cardozo et la sénatrice Youance se sont joints à nous.

Vous pouvez commencer lorsque vous serez prêt, monsieur Shimooka.

Richard Shimooka, chercheur principal, Institut Macdonald-Laurier, à titre personnel : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de m’accorder le privilège de m’adresser à vous aujourd’hui sur un sujet qui, à mon avis, est crucial à ce stade.

Afin de comprendre l’approvisionnement en matière de défense dans le contexte de l’engagement du Canada à augmenter ses dépenses globales en matière de défense, je me concentrerai sur la viabilité politique de la politique de défense actuelle, compte tenu de la situation géopolitique à laquelle notre pays fait face. On pourrait se demander, de prime abord, en quoi cela pose un problème. Cependant, un certain nombre de signes inquiétants m’amènent à m’interroger sur la solidité de cette politique à l’avenir et sur ses répercussions sur l’approvisionnement en matière de défense.

Cette incertitude repose sur le fait que des gouvernements canadiens successifs ont jugé politiquement avantageux de moins dépenser dans la défense. Ils ont agi ainsi tout en disant aux Canadiens que les ressources allouées étaient suffisantes. Cette divergence a conduit à des attentes très irréalistes de la part du public quant à ce qui est nécessaire pour notre défense, tout en permettant une atrophie des Forces armées canadiennes pendant 50 ans.

La société canadienne semble généralement assez favorable aux dépenses de défense. Divers sondages menés au fil des ans montrent un soutien à l’augmentation des dépenses de défense et à la prise en charge par le Canada d’une part équitable du fardeau du maintien d’un ordre international fondé sur des règles. Cependant, les citoyens n’ont aucune idée de ce que cela signifie. Ils sont déconnectés des réalités de la défense et de la politique étrangère. En fait, ils attendent du centre politique un leadership sur ces questions.

Au début de la guerre froide, les opinions politiques canadiennes en matière de défense étaient plus ou moins en phase avec celles de nos principaux alliés, mais elles ont divergé à la fin des années 1960, lorsque les gouvernements ont commencé à recentrer leurs dépenses sur des priorités intérieures. Ces tendances se sont nettement accentuées après la fin de la guerre froide, une fois les dividendes de la paix réalisés.

Cependant, comme nous le savons maintenant, il n’y a pas eu de « fin de l’histoire » et, au cours de la dernière décennie, la stabilité du système international a commencé à se fissurer de nouveau. L’invasion de l’Est de l’Ukraine par la Russie en 2014, suivie du sommet de l’OTAN au pays de Galles, aurait dû inciter à augmenter les dépenses et la modernisation. Cependant, le Canada n’a pas pris l’initiative et n’a pas tenu ses promesses. Résultat, le secteur de l’approvisionnement en matière de défense dans sa totalité — les personnes et les structures qui fournissent les capacités — n’a pas développé une capacité suffisante ou ne s’est pas adapté aux nouvelles réalités technologiques. Cela entravera à présent la capacité du gouvernement actuel à atteindre ses objectifs ambitieux en matière de dépenses de défense.

Le moment décisif a, toutefois, été l’invasion de l’Ukraine proprement dite en 2022. Les alliés du Canada ont réagi rapidement, augmenté leurs dépenses et lancé un vaste programme de modernisation. J’ai pensé alors que cela inciterait notre gouvernement à faire de même, mais ça n’a pas été le cas, bien au contraire. Il a refusé d’adhérer à la directive des 2 % ou de s’engager pleinement dans une modernisation militaire qui était absolument nécessaire.

En fait, deux facteurs semblent motiver l’augmentation actuelle des dépenses : premièrement, une réaction instinctive aux propos du président Trump enjoignant au Canada de devenir le 51e État des États-Unis et, deuxièmement, le désir d’obtenir de plus grandes retombées économiques pour la société canadienne.

Ma préoccupation est de savoir ce qui se passera après le deuxième mandat de Donald Trump et la fin de la guerre en Ukraine, compte tenu notamment de la détérioration de la situation financière et démographique de ce pays. Les décideurs canadiens continueront-ils de considérer la défense comme une priorité essentielle?

Soyons clairs, les menaces persisteront après ces événements, voire s’aggraveront. De plus, le contexte technologique et d’approvisionnement a changé, et les programmes d’approvisionnement comportent des risques encore plus importants qui pourraient affaiblir le soutien politique.

Le problème renvoie aux dirigeants politiques, qui doivent avoir une vision claire des menaces et en informer le public. Si nous comparons notre discours politique et stratégique à celui de nos principaux alliés, il est méconnaissable. Le langage utilisé par les dirigeants politiques alliés nomme clairement la Chine, la Fédération de Russie et d’autres acteurs comme étant des menaces pour leur sécurité, ce qui justifie les dépenses de défense et les achats nécessaires pour contrer ces menaces. Cependant, le gouvernement canadien semble généralement hésiter à en faire autant, et il a toujours cherché à éviter tout risque en matière d’achats.

L’insécurité politique en matière de dépenses de défense est problématique à cause de l’énorme retard pris dans la modernisation de notre armée. Notre Nord, fort et libre, publié en 2024, aurait sans doute dû être l’énoncé de politique sur la défense de 2017. Bien qu’il modernise certains des principaux piliers des capacités des FAC, comme le F-35 ou le destroyer de la classe Fleuves et rivières, son langage et son approche ne tiennent guère compte des révolutions majeures en cours dans le domaine des capacités militaires en ce qui concerne les systèmes spatiaux ou les capacités autonomes en réseau qui fonctionnent avec des systèmes de données avancées. Ces systèmes sont essentiels pour notre sécurité future. Ils nécessitent des stratégies d’approvisionnement novatrices en matière de défense, afin de les acquérir et de les utiliser efficacement, mais ils sont techniquement risqués et nécessitent de nouveaux investissements soutenus qui ne sont actuellement pas pris en compte dans la politique ou le budget. J’espère que nous pourrons en discuter plus en détail dans les questions.

Sans cette annonce honnête et lucide sur le contexte de menace et ce qu’il faut pour y répondre, je m’inquiète de la viabilité de nos dépenses de défense actuelles. Le public doit comprendre ce qui est nécessaire pour fournir une base durable à nos activités de défense futures. Si nous y parvenons, nous pourrons peut-être répondre efficacement à la situation géopolitique dans laquelle se trouve actuellement notre pays.

Cela dit, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le vice-président : Je vous remercie, monsieur Shimooka. Nous allons maintenant passer aux questions. Chers collègues, ce groupe est avec nous jusqu’à 18 heures. Comme toujours, nous ferons de notre mieux pour que chacun ait le temps de poser ses questions. Dans cette optique, quatre minutes seront allouées pour chaque question, réponse comprise. Je vous demande de formuler des questions succinctes, afin de permettre le plus grand nombre d’interventions possible.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’aimerais vous entendre sur les délais entre la décision qui est prise et l’exécution dans les faits en matière d’acquisition de dépenses.

Ne pourrions-nous pas raccourcir cela dans sa plus simple expression? Prenons les avions de surveillance, les 14 aéronefs de Boeing que l’on a achetés en fin de ligne; c’est une décision qu’on a prise en décembre 2023. C’est simple, ce sont des avions qui existent. Aucun avion n’a encore été livré — la livraison est prévue pour 2026. On avait des Bombardier qui devaient prendre plus de temps, mais l’armée américaine a reçu les aéronefs de Bombardier plus rapidement que le Canada n’a reçu les aéronefs de Boeing. Bombardier était supposément à ses débuts et à une étape expérimentale et Boeing était en fin de ligne, donc tout cela est plus lent.

Pourriez-vous nous donner des indications sur ce que l’on devrait faire pour que ce soit plus rapide? Aussi, les appels d’offres sont-ils toujours appropriés dans le cadre d’investissements en matière de défense? Ne faudrait-il pas simplement effectuer des achats plus rapides ou des appels d’offres minimaux et s’inspirer de ce que fait la Corporation commerciale canadienne? Vous connaissez bien cette société de la Couronne qui fait des achats de gouvernement à gouvernement pour envoyer de l’aide à l’étranger. Ne devrions-nous pas, au minimum, nous inspirer de la CCC? Ma question s’adresse aux trois témoins.

[Traduction]

M. Perry : Je vous remercie. Je dirai deux ou trois choses. C’est un excellent exemple de la rapidité avec laquelle notre système peut fonctionner lorsqu’il est ciblé et clair. Le problème, c’est qu’il n’est pas toujours ciblé et clair. Une autre conclusion que l’on peut tirer de cet exemple, c’est que, lorsque nous savons clairement ce que nous voulons en matière d’équilibre entre les systèmes matures et les systèmes plus récents — il s’agit généralement d’un continuum dans lequel nous devons choisir où nous voulons nous situer —, nous pouvons agir rapidement.

L’autre enseignement à tirer de cet exemple est que, lorsque nous sommes coordonnés et que nous établissons des priorités pangouvernementales, nous pouvons harmoniser très efficacement les choses. Quand on ne sait pas clairement quels projets parmi les dizaines proposés doivent être réalisés rapidement, les choses ont tendance à se compliquer. Quand on ne parvient pas à harmoniser facilement les différents objectifs du gouvernement en matière de priorité ou de capacité industrielle et de rapidité d’acquisition, on se heurte à des difficultés.

Nous avons constaté que, plus nous sommes coordonnés et concentrés, plus nous pouvons agir rapidement. Plus généralement, j’espère, entre autres, que le gouvernement envisage dans sa stratégie industrielle et sa nouvelle agence d’investissement d’essayer d’avoir une approche plus coordonnée, plus ciblée et plus cohérente dans l’ensemble.

[Français]

Mme Rivard Piché : Je pense qu’il est important de noter que dans ce projet d’acquisition en particulier, étant donné que le Canada passe de petites commandes, on se retrouve parfois à la fin de la ligne. Voilà l’une de nos contraintes. Il s’agirait de développer des approches plus innovatrices, particulièrement avec nos alliés et nos partenaires, surtout si l’on s’éloigne des technologies américaines ou des plateformes américaines; il faudra évaluer cela. Il faudrait aussi travailler le plus tôt possible avec l’industrie dans l’évaluation de nos besoins pour les différentes plateformes, afin de s’assurer que l’intégration dans le développement de l’établissement des exigences se fait en collaboration avec l’industrie le plus rapidement possible.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : J’aimerais approfondir la question que vous avez soulevée à propos de l’industrie de la défense et de la politique industrielle, et je m’adresse donc à M. Perry et à Mme Piché.

Je pense au développement de l’industrie de la défense. Elle comprend au moins quatre éléments. Il s’agit notamment de bâtir les entreprises et de fabriquer autant que possible au Canada, de créer des emplois de qualité au Canada, de créer et de conserver la propriété intellectuelle et, espérons-le, d’arriver à exporter des produits fabriqués au Canada. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur le développement de l’industrie? S’agit-il des éléments que nous devrions examiner? Je poserai peut-être d’abord la question à Mme Piché.

Mme Piché : Ces éléments sont importants, mais ils ne devraient pas être prioritaires. Nous avons besoin d’une industrie de la défense, afin d’être plus indépendants et autonomes en ce qui concerne nos capacités, mais nous ne devons pas laisser les incitations ou les objectifs économiques faire obstacle aux capacités dont nous avons besoin.

Une fois que nous commencerons à produire des capacités chez nous, nous devrons être très prudents. Oui, c’est important et essentiel pour la sécurité économique, mais nous avons également besoin de capacités particulières pour faire face à la situation actuelle et aux menaces qui y sont présentes.

Tout d’abord, les capacités doivent être fonction des menaces auxquelles nous faisons face et reposer sur la manière dont nous développons un avantage concurrentiel par rapport à nos adversaires, puis sur la manière dont nous le faisons chez nous ou avec nos partenaires pour nous assurer qu’il y ait des retombées économiques.

M. Perry : Je suis d’accord. Dans une large mesure, la production de l’industrie de la défense est répartie à parts égales entre la consommation intérieure et l’exportation. Le volet des exportations que vous avez mentionné est certes très important, mais comme l’a indiqué ma collègue, j’ajouterai qu’il nous faut définir ce que le Canada veut obtenir sur le marché intérieur et qu’il ne possède pas actuellement. Nous avons une industrie importante, mais elle ne fabrique pas tout.

Nous avons besoin d’orientations plus précises en ce qui concerne les produits que nous ne fabriquons pas et qu’il nous faut en plus grande quantité, ainsi que les produits qui sont fabriqués ici, mais que nos propres forces armées n’achètent pas. Nous voulons voir l’armée canadienne acheter concrètement.

Les éléments que vous avez évoqués font certainement partie de cet ensemble. La structure de notre industrie est une autre considération à l’heure actuelle : la majorité des entreprises sont des petites entreprises, mais l’essentiel des ventes et de l’activité économique est réalisé par les filiales canadiennes de grandes multinationales qui, pour certaines, ont leur siège social aux États-Unis ou en Europe. Nous devons réfléchir de manière intentionnelle à la composition que nous souhaitons pour notre industrie à l’avenir. Le gouvernement doit nous en dire plus sur ses objectifs à ce sujet.

M. Shimooka : Une autre difficulté à ajouter à la réalité des chaînes d’approvisionnement industrielles de la défense est qu’elles sont extrêmement complexes. Elles ne sont pas différentes de celles de la société ou de l’économie civile, où de nombreux pays, fournisseurs et autres acteurs interviennent. Il est vraiment difficile de dissocier certains de ces fabricants de cette chaîne d’approvisionnement.

L’idée de créer une sorte d’autarcie en matière de défense ou de rapatrier une grande partie de la base industrielle de défense n’est pas réaliste. De plus, le développement des capacités de défense se caractérise par l’intégration. Il faut réunir un grand nombre de drones, de plateformes pilotées, etc., en un tout intégré.

Dans de nombreux cas, lorsque l’on tente d’intégrer ces programmes dans la sphère nationale, on risque de perdre certains des avantages militaires de l’interopérabilité, car on les conçoit sur mesure pour le marché canadien.

Je dirai pour conclure que, si nous examinons la façon dont nous développons la base industrielle de défense, il faut qu’elle soit économiquement viable, mais aussi militairement appropriée, afin que les Forces armées canadiennes obtiennent les systèmes dont elles auront besoin à l’avenir.

Le sénateur Kutcher : Cette question s’adresse à vous tous. Je peux me tromper, mais je pense que notre processus d’acquisition des F-35 a commencé dans les années 1990. M. Harper a annoncé 65 avions. Bien sûr, nous les voyons au sol et dans les airs. Pas plus tard que l’an dernier, Anita Anand en a annoncé 88.

Y a-t-il eu une vérification indépendante du processus d’approvisionnement au Canada pour nous montrer pourquoi nous avons tellement de mal à agir rapidement? Sinon, pourquoi? Une telle vérification serait-elle utile? Cette nouvelle Agence de l’investissement pour la défense aura-t-elle des mesures du rendement et fera-t-elle l’objet d’une vérification transparente, afin que nous puissions voir à quel rythme les choses avancent?

M. Shimooka : Pour ce qui est des vérifications générales, il n’y en a pas eu beaucoup. Le comité a réalisé différentes études, et le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes en a également réalisé.

Dans une certaine mesure, certains des problèmes sont connus depuis longtemps. Le fait est que trop de groupes interviennent dans l’approvisionnement en matière de défense à un moment donné, qu’ils appartiennent ou pas à différents ministères. Il y a un manque de pouvoir et de responsabilité sur ces questions, ainsi qu’un manque de dépenses. Ce ne sont pas des inconnues.

Je pense, toutefois, que ce qui n’est pas bien compris dans l’ensemble, c’est la manière dont l’environnement technologique a évolué en ce qui concerne l’approvisionnement en matière de défense. Ainsi, l’actuel secrétaire à la Défense des États-Unis a annoncé vendredi dernier de vastes réformes de leur système d’acquisition. Pourtant, ils sortent d’une décennie de réformes majeures. Le Canada n’a vraiment évolué dans aucun de ces domaines. L’Agence de l’investissement pour la défense est probablement la première initiative concrète depuis 2014 qui permette au Canada d’entreprendre des réformes importantes dans ce domaine. C’est absolument nécessaire.

Il n’y a pas eu beaucoup de vérifications, etc., mais je pense que les problèmes sont connus depuis longtemps et qu’ils n’ont pas été réglés au fil des ans.

M. Perry : J’ai deux remarques à formuler. Nous n’avons pas eu beaucoup de vérifications complètes de l’ensemble du système d’acquisition. Je pense que c’est quelque chose qui doit encore être fait, afin d’obtenir une évaluation complète et globale du fonctionnement de l’ensemble du système.

Ensuite, pour revenir à mes observations préliminaires, nous avons généralement des études sur un certain nombre de projets très visibles et très problématiques qui représentent, quantitativement, une petite fraction de l’ensemble du portefeuille de la défense. À l’heure actuelle, la Défense nationale compte bien plus de 300 projets inscrits dans son plan d’investissement. Seule une dizaine, peut-être une vingtaine au maximum, font vraiment l’objet d’une attention particulière. L’échantillon utilisé dans l’analyse effectuée à ce jour est trop petit pour être exhaustif et représentatif. Je pense qu’il serait bon de l’élargir pour obtenir un échantillon plus représentatif de ce que nous essayons de faire dans l’ensemble.

Le sénateur Kutcher : Aucun de vous n’a répondu à la question de savoir si l’Agence de l’investissement pour la défense gagnerait à faire l’objet d’une vérification indépendante, peut-être annuelle, avec des mesures du rendement clairement définies, afin que nous sachions si elle suit la voie qu’elle est censée suivre.

M. Shimooka : Je dirais que oui, absolument. Je pense que c’est probablement un des grands défauts de notre système, à savoir que nous ne connaissons pas clairement l’état actuel des activités d’approvisionnement en matière de défense. Il serait certainement souhaitable d’avoir des indicateurs qui permettent d’évaluer la rapidité avec laquelle l’Agence de l’investissement pour la défense va fonctionner.

Je soulignerai une chose : l’Agence de l’investissement pour la défense ne couvrira, à mon avis, qu’environ 8 % des achats en matière de défense existants. Elle ne couvrira certainement pas la grande majorité des opérations. D’une certaine manière, on revient au commentaire de M. Perry à ce sujet, à savoir qu’il s’agit d’un domaine restreint.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre présence en personne ou virtuellement aujourd’hui. Vos témoignages sont importants, mais nous sommes impatients de passer à l’action en ce qui concerne les achats et le travail dans ce domaine.

Ma première question concerne cette Agence de l’investissement pour la défense. Dès le départ, il a été annoncé qu’elle ne s’occuperait que des achats importants d’une valeur supérieure à 100 millions de dollars. Cela exclut d’emblée 90 % — comme vous l’avez mentionné à l’instant — de la valeur contractuelle annuelle du MDN, y compris des articles tels que les drones, les dispositifs antidrones, les systèmes de capteurs, les satellites et les logiciels. Nous avons parmi les meilleurs fabricants dans ce domaine au Canada.

Pensez-vous que ce soit la bonne décision? Pensez-vous qu’il s’agit d’une décision précipitée ou peut-être d’une erreur? L’Agence de l’investissement pour la défense devrait-elle s’occuper de tout l’approvisionnement en matière de défense du Canada, ou serait-ce trop lui demander?

Je poserai d’abord la question à M. Shimooka. Merci.

M. Shimooka : En ce qui concerne la réforme du secteur des achats, elle ne concerne pas uniquement la défense. À certains égards, la défense est soumise à des contraintes juridiques assez particulières qui rendent difficile la réforme de ce ministère. Il s’agissait, en quelque sorte, d’amorcer une approche en matière d’approvisionnement, d’autant plus que des achats très importants s’annoncent avec le Programme de sous-marins canadiens de patrouille.

Si j’ai bien compris, il s’agit d’un raccourci initial destiné à lancer de nouvelles réformes et à couvrir les plus importantes qui permettent au gouvernement de traiter ce domaine, en pensant qu’il pourrait y avoir d’autres réformes.

À mon avis, il est certain que d’autres mesures seront nécessaires. En fait, selon moi, l’agence, par sa structure, est une sorte d’équipe interministérielle chargée d’atténuer ou de régler certains des problèmes qui affectent actuellement l’approvisionnement en matière de défense. Six groupes à la fois participent à tout approvisionnement en matière de défense.

D’autre part, notre entreprise de défense a besoin d’une réforme complète pour faire face à la grande complexité que l’on commence à voir dans les capacités de défense. Il ne s’agit pas seulement d’acquérir des drones. Il faut penser à l’aspect cybersécurité. Il faut penser à l’aspect industriel, c’est-à-dire s’assurer qu’ils sont soutenus par une chaîne d’approvisionnement, ainsi que par une formation, etc.

Oui, c’est peut-être un début, mais nous avons besoin de beaucoup plus pour mettre ces capacités en service et dépenser les fonds que le gouvernement a affectés à ces fins.

La sénatrice M. Deacon : L’autre partie m’empêche, en quelque sorte, de dormir la nuit. Il s’agit d’une somme considérable à dépenser rapidement, 81,8 milliards de dollars. Je me demande si, au départ, le Canada a une idée précise de la forme que nous voulons donner aux Forces canadiennes. Quelle est l’intention? Quel est notre service? La structure, la fonction et les paramètres sont tous très importants. Devrons-nous nous équiper davantage pour des engagements à l’étranger, ou devrions-nous nous concentrer davantage sur les problèmes que nous voyons chez nous, comme les catastrophes naturelles? Avons-nous pris le temps de décider à quoi nous voulons que les 10 prochaines années ressemblent avant d’envisager cette prochaine étape? Merci.

M. Perry : Je dirai que, si cela a été fait, nous n’en avons pas été informés.

De même, pour revenir à la question précédente à laquelle je n’ai pas répondu, je ne pense pas que l’on sache bien quels indicateurs de rendement le gouvernement appliquerait à une vérification de l’agence. Je pense qu’une plus grande transparence sur ces mesures serait très utile. Nous ne savons pas exactement à quoi vont servir tous ces fonds supplémentaires.

Le sénateur McNair : Je prie les témoins de m’excuser de les interrompre aussi rapidement.

Monsieur Perry, vous avez utilisé des mots particuliers dans vos observations préliminaires : « pragmatique », « patience », « ouvert » et « transparent ». En ce qui concerne l’aspect ouvert et transparent, que recommanderiez-vous que l’Agence de l’investissement pour la défense fasse pour simplifier et accélérer l’approvisionnement en matière de défense, afin de garantir une transparence adéquate du processus? Cette question s’adresse à vous trois.

La deuxième partie de la question est la suivante : quelles sont les pratiques exemplaires internationales qui pourraient également contribuer à l’efficacité de l’Agence de l’investissement pour la défense, si elles étaient adoptées? Selon vous, quels pays sont les modèles dont nous devrions nous inspirer?

M. Perry : Pour commencer par les modèles, je pense qu’il est difficile de faire des comparaisons entre les pays parce que, au moins d’après mes observations, le système canadien dans son ensemble fonctionne comme un écosystème. Il est difficile d’examiner l’agence d’approvisionnement d’un autre pays sans connaître sa place dans la structure de ses forces armées, sans savoir comment il élabore sa politique et sa planification en matière de défense et comment il met en œuvre sa stratégie industrielle. On a tendance à examiner un instrument d’approvisionnement sans tenir compte de la manière dont il fonctionne avec les autres éléments constitutifs du pays hôte.

Pour revenir à votre question, je pense qu’une partie de la transparence qui aiderait à définir les autres éléments serait d’avoir une meilleure idée de ce qu’est le plan d’acquisition, pour revenir à une question précédente. Nous ne savons pas encore, par exemple, sur quels projets cette nouvelle agence se concentre, en dehors du commentaire fait sur l’un d’eux. Si elle se concentre sur moins de 10, c’est relativement facile à communiquer. Si nous pouvons également obtenir plus de précisions sur la manière dont cela se rattachera aux priorités industrielles, comme ce que le gouvernement entend voir acheter au Canada, je pense que c’est une orientation importante pour cette agence. Plus nous aurons de précisions sur les objectifs d’entrée de jeu, plus il sera facile de structurer certains des autres éléments et, ensuite, de fournir une évaluation du rendement.

Mme Rivard Piché : Il y a aussi un travail de relations publiques à faire autour de l’approvisionnement. Tous les projets d’approvisionnement n’ont pas échoué. Certains se sont bien déroulés.

Pour revenir à la question précédente, je pense que les grands projets, les projets pluriannuels qui comprennent des millions pour des plateformes complexes, comme les F-35, sont des systèmes de systèmes. Ce sont des plateformes dotées de multiples capacités, comme les destroyers de classe Fleuves et rivières.

D’autres niveaux de capacités ont bien fonctionné du point de vue de l’approvisionnement. Je crois que nous devons repenser un peu les choses. L’Agence de l’investissement pour la défense peut aider à réaliser ces grands projets qui ont échoué à plusieurs reprises. Ensuite, lorsque nous parlons de plus petits projets, des projets d’investissement mineurs sont réalisés chaque année, mais ils sont en quelque sorte les héros méconnus de la manière dont nous fournissons certaines capacités à nos militaires. Ces projets ne doivent pas nécessairement passer par l’Agence de l’investissement pour la défense, mais ils devraient être présentés, étudiés et reproduits. Je pense, par exemple, au Commandement des Forces d’opérations spéciales du Canada, qui a vraiment trouvé des moyens d’accélérer ses propres achats en comprenant les règles et en veillant à ce que, jusqu’au bout, les choses soient préparées comme il faut et à ce que les échéanciers et les exigences soient respectés.

Nous pouvons donc nous améliorer de différentes façons sur ce plan.

M. Shimooka : Je répondrai à la deuxième partie de la question.

Les Américains ont certainement une longueur d’avance dans ce domaine. Depuis plus de 11 ans, ils ont entrepris une série de réformes importantes en matière de défense. Le discours prononcé la semaine dernière est en quelque sorte le couronnement de beaucoup de ces efforts.

Je soulignerai trois domaines qui sont très importants.

Premièrement, les Américains ont déterminé que la nature des capacités de défense intégrées nécessite une gestion de portefeuille. Il ne s’agit plus d’un programme unique avec des limites structurelles très strictes, mais de capacités en tant que groupe ou système en réseau, puis des politiques sont définies autour de cela. D’une certaine manière, ils désagrègent les programmes; ils ont de plus petits programmes en dessous qui réduisent les risques pour chaque partie.

La façon dont nous procédons actuellement pour l’approvisionnement en matière de défense ne permet absolument pas cela. Les règles du Conseil du Trésor sont rigides en ce qui concerne la façon de procéder.

La deuxième partie concerne les approches d’acquisition adaptatives, autrement dit, ils ont différentes voies et approches pour des types de technologies particuliers...

Le vice-président : Veuillez m’excuser, monsieur Shimooka, mais le temps de parole est écoulé.

La sénatrice Dasko : Bienvenue aux témoins. Vous êtes les premiers groupes de notre étude sur l’approvisionnement. Nous sommes ravis de vous avoir parmi nous.

Nous intensifions manifestement nos efforts à cause de la situation géopolitique mondiale, notamment en ce qui concerne l’Ukraine, la Russie et notre engagement envers l’OTAN. Nous intensifions nos efforts à cause de cela et en raison des pressions que ces situations font peser sur nous.

Il me semble que nous faisons face à des problèmes que nous avons déjà connus dans le passé — les problèmes dus à la lenteur à agir —, mais agir rapidement peut aussi poser des problèmes. Je parlerai un moment de ce dernier point.

Nous augmentons le budget de la défense pour cette année, qui passe de 40 milliards de dollars par an à environ 60 milliards de dollars. Une augmentation aussi importante ne peut, semble-t-il, conduire qu’à la catastrophe, étant donné, notamment, comme l’a dit M. Perry, que le gouvernement n’est pas concentré ou clair sur ce qu’il entend accomplir et sur ses objectifs. Je suppose que c’est ce à quoi vous faisiez référence : ses objectifs, ce qu’il recherche et ce qu’il estime être les besoins.

Si vous augmentez autant le budget sans savoir où vous allez, comment allez-vous régler les problèmes de rapidité d’exécution? Comment allez-vous vous y prendre, et quelles sont les probabilités de réussite ou d’échec? Je dirai qu’il se met dans une position où il risque de prendre de très mauvaises décisions dans ce processus. J’aimerais connaître l’avis de tous les témoins ici présents à ce sujet.

M. Perry : Je suppose que le gouvernement a un plan, mais qu’il ne l’a tout simplement pas communiqué. Quand le gouvernement a élaboré le programme de financement qui a été intégré au budget, je suppose que ce programme n’était pas improvisé et qu’il a, en fait, établi un ensemble de priorités de dépenses et énoncé plus de détails, mais qu’il ne les a pas rendus publics pour tout le montant qu’il investit.

Il serait essentiel que le gouvernement donne plus de détails sur tout le travail accompli en interne.

En ce qui concerne l’augmentation rapide des dépenses, il est très difficile pour une grande organisation d’augmenter aussi rapidement ses dépenses en ressources. Nous cherchons à augmenter les dépenses de près de 40 % d’une année sur l’autre. Il s’agit d’un énorme changement annuel. Dans le passé, nous avons eu du mal à absorber des augmentations aussi importantes.

Le gouvernement a fait preuve d’intelligence en répartissant au moins les augmentations de cette année, en affectant des fonds au personnel, à des projets déficitaires, à l’augmentation des dépenses d’entretien, c’est-à-dire aux domaines qui ont à la fois des besoins et une capacité à absorber assez facilement des fonds supplémentaires.

Cependant, il cherche à continuer d’augmenter considérablement ces dépenses. Il sera très difficile d’absorber de tels montants. Plus il communiquera clairement ses plans, par exemple à l’industrie, mieux ce sera, car l’industrie doit pouvoir s’adapter aux objectifs du gouvernement, surtout s’il souhaite agir rapidement. La transparence serait bonne pour un certain nombre de raisons.

Le vice-président : Il vous reste moins de 30 secondes.

M. Shimooka : Je serai très bref.

Historiquement, les quatre structures du Canada ont eu tendance à calquer nos alliés. Nos orientations en matière de capacités de l’OTAN ont largement dicté nos achats dans le passé. Il est évident que cela va probablement continuer.

Je dirais que les risques sont considérables. Notre ministère n’a pas les capacités nécessaires pour mettre en œuvre ces programmes; certains programmes n’ont que la moitié du personnel requis. Cela compliquera la tâche de cerner les options.

Parallèlement, nous devons également maîtriser les nouvelles technologies, ce qui comporte des risques. Cela doit également être communiqué au public et accepté par celui-ci, car c’est ainsi que les nouvelles capacités sont développées aujourd’hui.

La sénatrice White : Merci aux témoins.

J’essaie de comprendre comment nous pouvons accélérer les achats dans le domaine de la défense et augmenter les dépenses tout en veillant à « acheter canadien ». Le Canada est-il prêt? Avons-nous les assises nécessaires? Sommes-nous en train de voir trop grand?

Mme Rivard Piché : Tout d’abord, je voudrais respectueusement contester l’idée d’« acheter canadien ». Je pense qu’il est vraiment important d’avoir des capacités souveraines, mais « acheter canadien » pourrait être dangereux, car nous ne disposons pas forcément des technologies requises.

Je vois une stratégie à deux volets, pour ainsi dire. Nous avons besoin dès maintenant de certaines capacités qu’il nous faut acheter sur le marché. Il ne s’agit pas de les concevoir et d’en attendre la livraison dans 5 ou 10 ans. Par exemple, au Canada, nous sommes vulnérables en ce qui concerne les systèmes intégrés de défense aérienne. Nous ne pouvons pas nous défendre. En cas de conflit majeur, nous n’aurons pas les moyens de nous protéger chez nous tout en déployant des forces à l’étranger, ce qui ferait de nous un mauvais allié à l’avenir.

Je pense que ce que mon collègue avait en tête dans sa déclaration, et que vous avez souligné, c’est le long terme. Nous pouvons investir dans l’acquisition d’une base de capacités qui ne sont pas nécessairement requises de manière urgente à court terme. À mon avis, cela nécessite une stratégie un peu plus sophistiquée pour augmenter nos investissements dans la défense et notre capacité à nous défendre.

M. Perry : Nous nous trouvons dans une situation étrange où nous avons une production canadienne que nous n’achetons pas. Depuis trois ans et demi, nous devons augmenter nos achats de munitions en raison de la guerre en Ukraine et de nos dons. Cependant, depuis trois ans et demi, nous n’avons pas été en mesure de conclure des marchés avec les fournisseurs canadiens qui fabriquent actuellement nos munitions.

Nous pourrions acheter beaucoup de choses — et ce, dès aujourd’hui — si nous pouvions conclure des marchés, mais dans plusieurs domaines, pour des raisons très difficiles à comprendre, nous n’avons pas encore de marchés en place pour acheter davantage de balles.

M. Shimooka : Pour compléter rapidement, il existe une troisième option. Il ne s’agit pas seulement de choisir entre « acheter au Canada » ou « acheter à l’étranger ». La production conjointe existe. Un sénateur a évoqué tout à l’heure le travail de Bombardier sur les plateformes de RSR, pour renseignement, surveillance et reconnaissance, et les systèmes de collecte de renseignements. La société a fait un travail remarquable pour l’armée américaine dans le cadre du programme HADES, un système très avancé qui permet de voir le champ de bataille en profondeur en territoire ennemi. Ce sont des programmes auxquels le Canada peut adhérer, surtout s’il s’y engage tôt dans un développement conjoint. Il faut y intégrer nos chaînes d’approvisionnement avant leur mise au point. C’est une option. Là encore, il s’agit de chaînes d’approvisionnement complexes.

Très peu d’entre elles sont réellement binaires. Les munitions en font partie, mais même les drones nécessitent de vastes chaînes d’approvisionnement et ne peuvent pas être entièrement fabriqués au Canada. D’une certaine manière, c’est une voie que nous devrions également envisager.

Le sénateur Ince : Merci à tous. C’est très important. Ma question fait suite à la dernière question.

Quels sont les principales tendances et les principaux défis touchant les grands projets d’approvisionnement en matière de défense au Canada et peut-être même dans le monde entier?

M. Shimooka : L’intégration est probablement la tendance clé que nous observons. Dans certains cas, la réalité est que nous disposons de vastes systèmes d’information. Avec un avion comme le F-35, il ne s’agit plus d’un chasseur capable de voler et de naviguer, de se déplacer et de tirer des missiles, mais d’un élément d’un réseau dense de capacités qui rassemble des ressources spatiales ou navales afin d’accélérer la prise de décisions. Ces capacités sont également soutenues par l’IA et d’autres systèmes.

C’est la réalité de l’évolution de la guerre. Les drones en font également partie. L’autonomie joue un rôle important à cet égard, car des systèmes peuvent être sacrifiés. Toutes ces tendances vont de pair.

Dans ses achats, le Canada touche certainement certains de ces piliers avec les F-35 et les destroyers de classe Fleuves et rivières. Cependant, nous voyons nos alliés acquérir davantage de capacités auxiliaires, telles que des avions de combat collaboratifs — qui sont des systèmes sans pilote volant aux côtés d’un F-35 ou d’un F-22 — ou des navires sans équipage qui sont tous reliés entre eux.

C’est un véritable défi, car il faut que le réseau et le volet industriel soient bien conçus pour être en mesure de produire ces équipements à grande échelle si nécessaire. Vous assisterez à un cycle d’expansion et de ralentissement pour bon nombre de ces capacités. Vous en achèterez quelques-unes et ne ferez rien jusqu’à ce qu’un conflit éclate, puis vous devrez accélérer rapidement la production. Ce volet industriel est un défi de taille que de nombreux pays, non seulement les États-Unis, mais aussi le Royaume-Uni et l’Australie cherchent à relever.

M. Perry : Pour compléter, on constate qu’une proportion plus importante de technologies de l’information et de communication associées à l’aluminium et à l’acier qui entrent dans la composition des plateformes conventionnelles. La complexité technique a beaucoup augmenté, surtout en Occident. Parallèlement, le conflit en Ukraine nous montre notamment que nous devons être capables de produire en grande quantité pour disposer d’un approvisionnement à grande échelle.

Nous n’avons jamais eu pour habitude d’acheter des équipements en prévision d’un scénario de conflit réel. Nous continuons à construire et à acquérir des équipements très complexes sans vraiment prévoir d’en perdre un grand nombre en cas de conflit. Nous devons modifier certains cadres afin de pouvoir réfléchir non seulement à ce que nous achèterions et utiliserions pour entrer en guerre, mais aussi à ce que nous serions en mesure de continuer à produire, à utiliser et à remplacer — des stocks supplémentaires, des pièces de rechange et ainsi de suite.

Mme Rivard Piché : Il y a aussi le rythme auquel la technologie évolue et devient obsolète. Nous devons modifier nos cycles et nos processus d’approvisionnement pour les technologies qui, en quelques mois, ne sont plus opérationnelles ou utiles sur un champ de bataille. Nous devons être en mesure d’acquérir rapidement des technologies qui deviendront également obsolètes.

Le vice-président : Nous disposons de très peu de temps pour la deuxième série de questions, et la première question revient au sénateur Carignan. Je crois comprendre que M. Shimooka voulait répondre à votre question, mais qu’il n’en a pas eu l’occasion lors du premier tour.

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, vous pouvez compléter. J’ai compris un bout de réponse que vous avez glissé dans une autre intervention. Si vous souhaitez terminer votre réponse, j’aurai une autre question par la suite.

[Traduction]

M. Shimooka : Je serai bref. En ce qui concerne l’accélération des processus, le transfert des pouvoirs vers les échelons inférieurs et l’habilitation de gestionnaires de programmes à des niveaux inférieurs, le seuil actuel est beaucoup trop bas pour les marchés publics qui doivent faire l’objet d’une concurrence plus large. Si nous autorisions des gestionnaires à passer des marchés publics d’une valeur inférieure à 100 millions de dollars ou environ, cela ne nécessiterait pas le même niveau de réglementation ou de frais généraux qui ralentissent considérablement bon nombre de ces marchés publics.

Cela nous ramène au point soulevé par mon collègue concernant la nécessité d’intégrer la technologie. Les nouvelles capacités nécessitent une adaptation constante. Nous le constatons chaque jour en Ukraine. Il y a toujours un meilleur piège à souris en cours de fabrication. Notre système n’offre absolument pas cette souplesse. Pour agir plus rapidement ou faire face plus rapidement à ces nouvelles menaces, cette souplesse s’impose.

C’est le seul élément que je n’avais pas mentionné dans ma réponse à votre question.

[Français]

Le sénateur Carignan : Rapidement, ma question porte sur les sous-marins. À Bruxelles et à l’OTAN, on nous dit de nous assurer de l’interopérabilité pour ce qui est des avions et d’éviter les avions sud-coréens. Or, on s’en va en appel d’offres pour des sous-marins allemands et sud-coréens. N’est-on pas en train de se mettre les pieds dans les plats, notamment pour ce qui est de l’interopérabilité?

Mme Rivard Piché : Le choix influencera aussi l’endroit où l’on veut utiliser les sous-marins. D’un point de vue stratégique, choisir des sous-marins sud-coréens indique une volonté d’opérer ou de les utiliser dans la région indo-pacifique, alors que si l’on opte pour des sous-marins du consortium allemand-norvégien, il s’agit d’une contribution directe à une opération avec l’OTAN et dans l’Arctique. L’un des dilemmes auxquels est confronté le Canada, c’est à la fois son obligation d’être un allié crédible de l’OTAN, mais aussi sa capacité à faire face aux défis clairs qui existent dans la région indo-pacifique. Or, nous sommes un pays du Pacifique. Ce choix sera difficile, et les deux options comportent des avantages et des inconvénients.

La sénatrice Youance : Merci aux témoins. Ce que vous dites est très intéressant.

Ma question porte sur l’adéquation entre les équipements, qu’il s’agisse de F-35 ou de sous-marins, et sur la formation du personnel. Entre les deux, on a parlé de production ici au Canada, d’acquisition dans divers pays, d’utilisations différentes des équipements, mais aussi de la vitesse à laquelle certains matériels arrivent à l’obsolescence.

Comment le Canada arrivera-t-il à former son personnel pour faire face à ces différents éléments et être complètement opérationnel?

Mme Rivard Piché : C’est l’un des grands défis qui ressort de la discussion au sujet d’une flotte mixte d’avions de chasse par rapport à une flotte formée uniquement de F-35. On ne peut pas avoir les mêmes pilotes ou techniciens qui travaillent sur la même flotte. Si on veut une flotte mixte, il faudra aussi deux lignes de personnel mixte, des entrepôts mixtes, des hangars mixtes et des pistes d’atterrissage mixtes. On ne peut pas mettre ces systèmes l’un à côté de l’autre. Ce n’est pas comme deux modèles de voitures.

La décision d’aller de l’avant avec une flotte mixte de chasseurs vient avec des coûts faramineux. Ces coûts pourront peut-être faire partie des 3,5 % du produit intérieur brut, mais ultimement, ce sont des ressources qui pourraient être mises ailleurs, dans un environnement où l’on fait face à énormément de demandes au sein des différents domaines d’opération.

[Traduction]

M. Perry : Une autre dynamique était due au fait que nous avons sous-investi pendant très longtemps. Nous avons également connu des retards dans la passation de marchés. Nous essayons de mener à bien un nombre énorme de projets de recapitalisation en même temps. Cela exacerbe certains des problèmes dont mon collègue a parlé. Nous sommes débordés. Idéalement, si nous obtenons un niveau de financement différent et plus stable, nous espérons pouvoir bénéficier d’un processus plus fluide et répartir certains de ces achats importants de manière plus systématique, afin de ne pas essayer de remplacer la quasi-totalité de notre force aérienne au cours de la même période de cinq ans.

M. Shimooka : Je dirais que la pénurie d’effectifs est probablement le principal facteur qui ralentit actuellement l’adoption de nouvelles flottes. Nous n’avons pas assez de pilotes dans la force de chasse tactique. Même avec la transition du CP-140 au P-8 Poseidon, nous manquons d’équipages. Cela retarde notre capacité à moderniser la force.

En outre, dans certains domaines spécialisés tels que la cyberguerre, qui sont essentiels au fonctionnement de ces capacités à l’avenir, trop peu de personnes s’occupent de ces mêmes domaines.

Prenez nos alliés. La Pologne, par exemple, connaît une augmentation massive de ses dépenses de défense, qui atteignent désormais 5 %. Grâce à leurs nombreuses capacités, ils sont en mesure de faire la transition beaucoup plus rapidement que nous.

Le vice-président : Merci. C’est tout le temps dont nous disposons pour ce groupe qui a été très populaire. Il y a beaucoup d’autres questions que nous n’avons pas pu aborder aujourd’hui. Merci, monsieur Perry, madame Rivard Piché et monsieur Shimooka, d’avoir pris le temps de vous joindre à nous. Nous apprécions grandement vos contributions et le temps que vous avez pris pour nous faire profiter de vos connaissances.

Pour ceux qui nous regardent en direct, nous nous réunissons aujourd’hui pour lancer notre étude sur l’approvisionnement en matière de défense dans le contexte de l’engagement du Canada à accroître ses dépenses de défense.

Pour le prochain groupe d’experts, nous sommes heureux d’accueillir Peggy Mason, présidente de l’Institut Rideau, et Steven Staples, analyste politique. Merci à vous deux de vous joindre à nous. Nous vous inviterons d’abord à faire vos déclarations liminaires avant de passer aux questions de nos membres. Vous disposerez chacun de cinq minutes. Madame Mason, nous commencerons par vous.

Peggy Mason, présidente, Institut Rideau : Merci beaucoup de m’avoir invitée à témoigner.

Je vais m’intéresser principalement aux raisons pour lesquelles le Canada ne devrait pas participer aux éléments de défense stratégique contre les missiles balistiques, ou BMD, du projet Dôme d’or mandaté par le décret présidentiel du 27 janvier du président Trump. Le Canada devrait plutôt se concentrer sur son engagement majeur à moderniser les systèmes de surveillance et d’alerte précoce du NORAD, y compris un volet de surveillance par satellite spatial.

Les raisons pour lesquelles j’exhorte le Canada à renoncer une fois de plus — comme il l’a déjà fait à deux reprises, en 1985 et en 2005 — à participer au programme stratégique américain de défense contre les missiles balistiques sont les suivantes : ce programme est techniquement irréalisable et financièrement malavisé; il est déstabilisateur et compromettra la sécurité nord-américaine au lieu de la renforcer; et la militarisation de l’espace qu’il implique mettra en danger les systèmes civils dont dépend littéralement la vie sur Terre aujourd’hui.

Le décret présidentiel de Trump relance en fait l’Initiative de défense stratégique, IDS, de Ronald Reagan de 1983, qui prévoyait un système de défense à plusieurs niveaux pour intercepter et détruire les missiles balistiques intercontinentaux pendant les trois phases de leur vol : la phase de propulsion, la phase intermédiaire et la phase terminale. Cependant, il va plus loin, en visant non seulement à protéger les États-Unis contre les attaques nucléaires, mais aussi contre les missiles conventionnels, y compris les missiles hypersoniques et de croisière, et les attaques aériennes. Comme pour l’Initiative de défense stratégique de Reagan, l’un des aspects marquants du système du Dôme d’or proposé est l’inclusion d’armes spatiales, notamment des intercepteurs d’ogives.

Comme je l’ai dit, je me concentre sur la défense stratégique contre les missiles balistiques, et non sur les défenses stratégiques contre les menaces aériennes conventionnelles.

La défense stratégique contre les missiles balistiques est techniquement irréalisable. Une avalanche de rapports du Congrès, de scientifiques et d’experts résument les défis technologiques et l’échec de deux décennies d’efforts, pour un coût de 250 milliards de dollars américains, visant à développer un seul aspect de l’Initiative de défense stratégique : un système de défense terrestre contre les missiles balistiques fiable et efficace, conçu non pas pour contrer des puissances nucléaires telles que la Russie ou la Chine, mais pour intercepter en milieu de trajectoire une attaque limitée de missiles balistiques intercontinentaux par un État voyou, à savoir la Corée du Nord.

Le Dôme d’or est l’extension massive d’un système peu fiable, qui nécessite une mégaconstellation de satellites en orbite basse transportant des missiles intercepteurs. Ces satellites seraient extrêmement vulnérables aux missiles relativement bon marché ou aux satellites manœuvrables, des capacités antisatellites que la Russie et la Chine possèdent déjà.

Ce projet est financièrement malavisé. Le coût de 175 milliards de dollars du Dôme d’or cité par le président américain est largement considéré comme irréaliste. Le Congressional Budget Office des États-Unis a récemment estimé que les éléments spatiaux proposés dans le cadre du programme actuel de défense antimissile balistique terrestre contre la seule menace nord-coréenne pourraient dépasser 500 milliards de dollars sur 20 ans.

La défense stratégique contre les missiles balistiques est profondément déstabilisante et compromet la sécurité mondiale. Comme tout système balistique offensif est beaucoup plus facile et moins coûteux à mettre en place que les systèmes défensifs qui tentent de les arrêter, le moyen le plus simple pour un adversaire de répondre à un système de défense stratégique contre les missiles balistiques est de le submerger avec davantage de missiles offensifs.

La simple possibilité que les défenses américaines contre les missiles balistiques puissent un jour fonctionner suffisamment pour compromettre sa capacité de riposte nucléaire — sur laquelle repose la dissuasion nucléaire — a incité la Chine à dépasser sa posture de « dissuasion minimale » et à se lancer dans une expansion majeure de son arsenal nucléaire.

La Chine et la Russie se sont également tournées vers de nouvelles technologies telles que l’hypersonique pour contourner les défenses antimissiles.

La vaste expansion du programme américain de défense stratégique contre les missiles balistiques proposée par Trump aura probablement pour conséquence de provoquer une nouvelle accélération de la course aux armements nucléaires en cours ainsi que de compromettre sérieusement tout effort visant à relancer le contrôle des armements entre les États dotés d’armes nucléaires.

La présence d’armes dans l’espace, qui est contraire à la politique canadienne de longue date, compromettrait la sécurité des satellites civils essentiels en créant des champs de débris, en perturbant leur fonctionnement ou en causant des destructions physiques directes. Ces actions menaceraient des services mondiaux essentiels, tels que les communications, la navigation, les finances et la gestion de l’environnement.

Plutôt que de gaspiller 99,5 milliards de dollars canadiens dans ce projet dangereusement malavisé, le Canada devrait concentrer ses ressources et son expertise sur son engagement majeur en faveur de la modernisation des systèmes de surveillance et d’alerte précoce du NORAD, y compris un volet de surveillance par satellite depuis l’espace. Merci de votre attention.

Le vice-président : Nous allons maintenant entendre M. Staples. Vous avez la parole.

Steven Staples, analyste politique, auteur spécialisé dans la politique de défense du Canada, à titre personnel : Merci, monsieur Al Zaibak, et merci pour votre invitation, mesdames et messieurs les sénateurs.

Bonjour. Je m’appelle Steve Staples. Je suis analyste politique dans les domaines de la défense, de la politique étrangère et d’autres questions depuis plus de 25 ans. Je suis ravi de me joindre à ma collègue de l’Institut Rideau, l’ancienne ambassadrice Peggy Mason, au sein de ce groupe. Je tiens également à saluer les sénateurs du Nouveau-Brunswick, étant moi-même originaire de cette province.

Comme vous le savez, le budget de 2025 annoncé par le gouvernement du premier ministre Carney accélère les investissements afin d’atteindre l’objectif de l’OTAN de 2 % du produit intérieur brut cette année et de mettre le Canada sur la voie de respecter l’engagement de l’OTAN en matière d’investissements dans la défense, qui consiste à investir 5 % du PIB dans la défense d’ici 2035.

Le budget de 2025 propose d’affecter 81,8 milliards de dollars sur cinq ans, comme nous l’avons entendu avec le premier groupe de témoins, pour réinvestir afin de rebâtir et de réarmer les Forces armées canadiennes.

Cependant, il donne très peu de détails sur la manière dont cet argent sera dépensé, sur les capacités et les objectifs. Cela devrait intéresser et préoccuper grandement les sénateurs, et j’ai entendu de très bonnes questions à ce sujet au cours de la discussion avec les témoins du premier groupe.

Il est clair que les priorités en matière de dépenses de défense sont dictées par ce que je considère comme des objectifs plutôt arbitraires fixés par l’OTAN. À mon avis, ce n’est pas ainsi que le budget de la défense du Canada devrait être établi.

Les décisions en matière de dépenses de défense devraient être fondées sur nos besoins de sécurité légitimes, et non sur la taille de notre économie ou notre produit intérieur brut. Les étapes par lesquelles le Canada détermine ses dépenses de défense devraient être les suivantes : premièrement, nous devrions déterminer les menaces qui pèsent sur le Canada; deuxièmement, nous devrions définir les capacités dont nous avons besoin pour contrer ces menaces, et troisièmement, nous devrions établir le budget en conséquence. Cela semble relever du bon sens.

Au lieu de cela, le gouvernement a inversé ce processus en fixant d’abord le budget à 5 % du PIB, puis en se précipitant pour dépenser des milliards dans des priorités largement indéfinies. Par ailleurs, il est juste de dire que le premier ministre n’a pas clairement articulé les menaces auxquelles le Canada est confronté et qui nécessitent de quadrupler nos dépenses de défense d’ici 2030.

Par exemple, nous exploitons une flotte de quatre sous-marins. Le gouvernement a annoncé qu’il allait tripler la taille de la flotte pour la porter à 12 sous-marins, pour un coût estimé à 60 milliards de dollars, et ce n’est là que le coût d’achat. Ce montant doublera si nous ajoutons les coûts d’entretien et de soutien. Pourtant, aucune raison n’a été fournie pour expliquer pourquoi nous avons besoin d’une flotte trois fois plus importante que notre flotte actuelle.

Prenons un instant pour examiner l’objectif de l’OTAN, qui est de consacrer 5 % du PIB aux dépenses de défense, y compris les infrastructures. Vous ne le savez peut-être pas, mais l’OTAN mesure les dépenses de défense à l’aide de trois méthodes différentes. La première est le pourcentage du PIB, que nous connaissons tous. La deuxième est le montant réel en dollars, c’est-à-dire la somme réellement dépensée, et la troisième est la dépense par habitant, calculée en fonction de la population du pays membre.

Vous serez peut-être surpris d’apprendre que le Canada occupe la septième place au sein de l’OTAN en dollars réels, juste derrière les États-Unis, qui dépensent presque autant que le reste de l’Alliance réuni (Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie et Pologne). La Pologne est un nouvel acteur intéressant : ses dépenses de défense ont considérablement augmenté. Vient ensuite le Canada, à la septième place.

L’OTAN a tendance à mettre l’accent sur le niveau des dépenses de défense de ses membres en pourcentage du PIB, car elle privilégie le partage des charges, de sorte que chaque membre, y compris le Canada, peut dépenser autant qu’il peut se le permettre. Cela contredit une approche des dépenses de défense où le budget est fixé en fonction des besoins de défense légitimes.

Mesdames et messieurs, je vous demande à ce qui, selon vous, est la meilleure solution : est-ce le maximum que vous pouvez vous permettre ou le montant dont vous avez besoin?

En conclusion, je dirais que vous avez raison de vous inquiéter du fait que la précipitation à atteindre l’objectif de 5 % du PIB fixé par l’OTAN expose les deniers publics à des gaspillages, des abus et un secret excessif. Le gouvernement n’a pas eu à répondre à des questions fondamentales sur ses projets de dépenser des milliards et sur la manière dont ces projets répondent aux menaces réelles qui pèsent sur la sécurité du Canada. Pourquoi 12 sous-marins alors que nous en avons 4? Pourquoi 88 chasseurs F-35 alors que le gouvernement Harper n’en voulait que 65? Pourquoi 15 destroyers de classe Fleuves et rivières alors que notre flotte actuelle de frégates n’en compte que 12? Pourquoi renverser des décennies de politique en faveur de l’utilisation pacifique de l’espace et accepter de contribuer au programme du Dôme d’or du président Trump?

Les Canadiens méritent de participer aux discussions et aux décisions concernant l’utilisation des deniers publics, y compris en matière de défense nationale. Dans les années 1990, le gouvernement a mené un examen public approfondi des politiques en matière de défense et d’affaires étrangères du Canada à un moment charnière, pour reprendre un terme utilisé par le premier ministre, à la fin de la Guerre froide. Sommes-nous aujourd’hui à un moment charnière similaire? Certains diront que oui. Je pense que même le premier ministre serait d’accord avec cela.

Est-ce le bon moment de retourner consulter la population, lui expliquer les menaces et écouter son avis dans le cadre d’un débat public sur la défense et la politique étrangère? Le moment est venu de faire participer les Canadiens à cet examen public.

J’ai hâte de parler des questions relatives aux dépenses de défense et du Dôme d’or. Ce sera un sujet de discussion, le thème d’un petit livre que j’ai écrit il y a plusieurs années. Je vous remercie de votre attention.

Le sénateur Cardozo : Merci à vous, témoins, d’être ici. Madame Mason, vous avez une longue expérience dans ce domaine. Vous avez été ambassadrice du Canada pour le désarmement auprès des Nations unies. Vous avez parlé du Dôme d’or, mais vous avez dit que nous devrions plutôt investir notre argent dans le NORAD. Je comprends très bien votre point de vue sur le Dôme d’or : les témoins précédents ont dit préférer un « Dôme érable ». Vous avez également parlé de l’ère Reagan.

Premièrement, la menace est-elle plus réelle aujourd’hui, compte tenu du grand nombre de satellites en orbite autour de la Terre, qu’il y a 20 ou 30 ans? Deuxièmement, où préférez-vous que nous dépensions nos ressources, que ce soit pour l’OTAN, le NORAD ou d’autres aspects de l’équipement de défense?

Mme Mason : Merci beaucoup. Tout d’abord, il est très important de souligner que mon objection au Dôme d’or, qui est une vaste entreprise couvrant la défense contre les missiles à courte et moyenne portée, dont le Canada possède déjà certains et en développe d’autres. Cependant, cela inclut également la défense stratégique contre les missiles balistiques, et c’est là que réside le problème.

D’autres aspects qui impliqueraient le NORAD pourraient être très difficiles à mettre en œuvre. Essayer de développer des défenses contre les missiles hypersoniques et de croisière est une tâche très ardue. Cependant, cela n’entraîne pas la même déstabilisation mondiale que l’initiative de défense stratégique contre les missiles balistiques, qui touche au cœur même de la dissuasion nucléaire, l’attaque et la sape, et incite des adversaires comme la Russie et la Chine à construire davantage de systèmes d’armes offensifs.

De nombreux aspects du Dôme d’or ne concernent pas la défense stratégique contre les missiles balistiques, et le Canada mène déjà ce type d’activités, même si elles ne sont pas appelées « Dôme d’or ». Un autre facteur important est que le Canada s’est engagé à renforcer sa surveillance aérospatiale et a investi beaucoup d’argent à cette fin. Le NORAD recueille actuellement ces données de surveillance des missiles et les communique au commandement stratégique des États-Unis, qui s’occupe de la défense stratégique contre les missiles. Cet échange d’information va se poursuivre. J’exhorte le Canada à ne pas s’engager dans le développement actif de défenses stratégiques contre les missiles, ce que nous n’avons pas fait jusqu’à présent. Elles ne fonctionnent pas et sont terriblement déstabilisantes.

Le sénateur Cardozo : Vous avez présenté les choses très clairement, monsieur Staples, mais, madame Mason, pouvez-vous nous dire si le désarmement contribue à renforcer nos défenses? Devrions-nous augmenter nos dépenses de défense dans divers domaines? Je comprends le point de vue de M. Staples selon lequel ce n’est pas la bonne façon de procéder.

Mme Mason : Sans diplomatie, le renforcement de vos défenses ne fait que conduire l’autre partie à renforcer les siennes. C’est le dilemme de la sécurité, où tout le monde a dépensé beaucoup d’argent sans que la sécurité soit renforcée. Comme élément essentiel de votre stratégie de renforcement de la défense, il faut un effort diplomatique qui, dans ce cas, est le contrôle des armements.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci. Pour poursuivre la discussion, en lien avec le groupe précédent, je reprends le sujet des sous-marins, qui est un bel exemple d’acquisition que nous sommes sur le point de faire. Je me questionne sur la stratégie et le but. On élimine l’option des sous-marins français, qui seraient particulièrement bien adaptés à l’Arctique, dont font partie nos alliés au sein de l’OTAN, et on s’intéresse aux appareils sud-coréens. Des témoins ont indiqué tout à l’heure — et d’autres experts ont dit la même chose — que si l’on souhaite prioriser la région indo-pacifique, les appareils sud-coréens seraient peut-être préférables. Toutefois, si l’on souhaite prioriser l’Arctique, on devrait plutôt acheter les appareils allemands-norvégiens. Or, il m’a semblé assez clair que l’annonce parlait de prioriser l’Arctique.

J’aimerais vous entendre sur cette dichotomie de positions. Est-ce juste une approche stratégique pour négocier un meilleur prix avec les Allemands, ou pense-t-on sérieusement acheter des appareils sud-coréens qui seront déployés dans l’Arctique, avec toutes les adaptations que cela nécessitera pour assurer la protection du Grand Nord, les engagements vis-à-vis du NORAD, l’installation des missiles et l’interopérabilité avec l’OTAN? Il me semble que cette option n’a pas de sens. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

Mme Mason : Je dois m’excuser. Mon français est rouillé, et l’interprétation n’est pas...

[Français]

C’est terrible. Je ne peux pas suivre les commentaires en français actuellement. L’interprétation ne fonctionne pas. Steven pourra commencer et je pourrai peut-être ajouter des éléments. Je suis désolée.

[Traduction]

M. Staples : Merci beaucoup. Je peux vous parler un peu du programme des sous-marins. Les sous-marins dont nous disposons ont été construits par les Britanniques, et non par les Français. Vous connaissez toute l’histoire : ils ont été laissés à l’eau pendant de nombreuses années. Ce sont en quelque sorte des navires orphelins. Seuls quatre d’entre eux ont été construits pour les Britanniques, et ils ont été acquis à un prix très avantageux. Une terrible tragédie s’est produite lorsqu’un marin est mort pendant le transport de l’Écosse au Canada à bord du Chicoutimi. C’est une histoire horrible. En gros, un seul fonctionne actuellement.

Soyons clairs : ces sous-marins sont très intéressants. Je vous suggère de lire l’article de Peter Jones dans The Walrus. Il est de l’Université d’Ottawa et a écrit un excellent article à ce sujet.

Ces sous-marins sont intéressants. Ils seront équipés d’un système de propulsion indépendant de l’air, qui existe depuis longtemps. On pensait pouvoir adapter les sous-marins actuels pour y ajouter ce système, mais cela n’a jamais été fait, car le coût était trop élevé.

Ils auront une capacité sous la banquise. L’essentiel ici est que les forces armées recherchent un sous-marin qui nous permet de rester dans la course afin que nos alliés se voient obligés d’échanger de l’information avec nous. Cela nous aidera à surveiller les sous-marins de nos alliés dans l’Arctique, et pas seulement ceux de nos adversaires, car ils ne sont pas censés se heurter les uns aux autres. Quand vous avez des sous-marins sur place là-haut, vous devez dire à vos alliés où se trouvent les autres. Comment expliquer la collision entre des sous-marins nucléaires français et britanniques il y a quelques années? Je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, c’est l’avantage.

Ces sous-marins ajoutent de nouvelles capacités à notre flotte. Ils sont équipés de tubes de lancement verticaux dont j’ignorais l’existence jusqu’à très récemment. Les tubes de lancement verticaux, si vous n’êtes pas déjà au courant, vous procurent des capacités d’attaque terrestre. Nous n’en avons pas actuellement. Ces sous-marins ne tirent actuellement que des torpilles. Ils peuvent servir à la collecte de renseignements et à la surveillance. Ils peuvent être utilisés pour transporter des forces spéciales et d’autres choses du genre. Cependant, nous n’avons jamais eu la capacité de lancer un missile de croisière directement depuis l’eau et d’attaquer la terre ferme. C’est ce que l’armée prévoit de faire avec ces sous-marins. Il s’agit d’une capacité totalement nouvelle. Nous ne possédons pas de tels missiles actuellement. Nous n’avons rien de tel. Je ne pense pas que ces missiles soient inclus dans le prix de ces sous-marins. Pourquoi y en a-t-il 12?

Bien que les sous-marins puissent être utilisés dans l’Arctique, leur véritable intérêt réside dans leur fonction offensive, et non défensive. Ils serviront à mettre d’autres pays en danger, ceux-ci ne sachant pas si l’un de nos sous-marins peut se trouver au large de leurs côtes et être en mesure de mener des missions d’attaque terrestre.

La sénatrice White : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à Mme Mason.

Je me demandais si vous pouviez m’expliquer les changements à venir dans les achats de défense au Canada et le renouvellement de l’engagement du gouvernement en matière de dépenses de défense dans le contexte des Nations unies et de la paix et de la sécurité. Plus précisément, je vous demande ceci : selon vous, existe-t-il un moyen pour le Canada d’augmenter ses dépenses de défense tout en maintenant son engagement envers les principes des Nations unies en matière de consolidation de la paix?

Mme Mason : Merci beaucoup pour cette question. Un moyen immédiat pour le Canada de concilier les deux — et un domaine très important du travail des Nations unies — est, bien sûr, les activités de maintien de la paix et de stabilisation des Nations unies, un travail plus nécessaire que jamais. Par contre, l’ONU est confrontée à une terrible crise budgétaire, principalement parce que les États-Unis ne paient pas leurs contributions au maintien de la paix et leurs contributions régulières. Le maintien de la paix par l’ONU a également souffert d’un manque de forces occidentales disposant d’équipements modernes suffisants.

Le Canada peut y répondre immédiatement en démontrant son engagement à en faire davantage, non seulement en déclarant qu’il participera, mais aussi en rétablissant ce qui était autrefois un centre de formation canadien de premier plan en matière de maintien de la paix internationale, le Centre Pearson. C’est là que nous avons formé les forces des pays en développement. Il jouissait d’une réputation mondiale et a été laissé à l’abandon par manque de financement gouvernemental. Je pense que c’est la mesure la plus pertinente et la plus facile à mettre en œuvre immédiatement pour le Canada : rétablir un centre international de formation au maintien de la paix sous direction civile, à l’image des missions de maintien de la paix de l’ONU, mais en mettant l’accent sur tous les aspects civils et militaires des missions de maintien de la paix de l’ONU.

Je vous remercie beaucoup pour cette question. Le dernier point est qu’il ne devrait y avoir aucune équivoque, comme je l’ai mentionné au début, sur le fait que la diplomatie est absolument fondamentale si nous voulons renforcer notre défense, améliorer notre sécurité et prévenir les guerres. Il en va de même pour l’engagement envers l’ONU. J’ai donné l’exemple du Centre canadien international Lester B. Pearson pour la formation en maintien de la paix, car il s’agirait d’une dépense de défense admissible qui aurait un impact positif sur la paix et la sécurité mondiales.

La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici aujourd’hui. Je vais poser cette question à M. Staples. Elle concerne l’Agence de l’investissement pour la défense. Elle a été présentée comme un moyen d’accélérer les achats. Vous l’avez entendu. Le processus a toujours été assez lent, assez laborieux dans ce pays.

Parallèlement, de nombreux membres du gouvernement ont vanté les avantages économiques nationaux de ce niveau historique de dépenses de défense, et ce, malgré certaines mentions indiquant qu’une grande partie de ces achats, pour que cela fonctionne, proviendra de l’extérieur du Canada. Je pense aux éléments dont nous avons parlé ce soir.

Le Canada a-t-il la capacité de conserver une part importante des dépenses dans le pays, ou nous exposons-nous à une certaine déception et à un échec aux yeux des Canadiens en essayant de lier les deux?

M. Staples : Merci beaucoup. C’est une excellente question. Il y a un petit hic en ce qui concerne le type d’investissement que nous souhaitons voir résulter de ces achats.

Tout d’abord, il est évident que les processus ouverts et concurrentiels génèrent toujours la meilleure valeur et le meilleur équipement. J’étais collègue de l’ancien directeur des essais et évaluations opérationnels au Pentagone, Phil Coyle. C’est lui qui m’a dit cela. Il a également témoigné devant ces comités. Il est décédé aujourd’hui, mais il a toujours dit que c’était la meilleure façon de procéder.

Les retards surviennent lorsque les gens commencent à ajouter des critères. On parle parfois de « recherche d’un haut de gamme superflu » lorsqu’ils commencent à ajouter d’autres éléments. Vous avez entendu le chef de la marine dire l’autre jour que nous ne devrions pas ajouter une série d’exigences à ces sous-marins, car il souhaite manifestement les obtenir rapidement, et cela commencerait à les retarder. Lorsque vous commencez à truquer les concours et autres, c’est là que proviennent la plupart des retards.

Parlons de la manière dont le Canada peut en tirer profit. Tout d’abord, je ne pense pas que nous souhaitions une grande base industrielle de défense au Canada, et voici pourquoi : que se passe-t-il lorsque ces chaînes de production prennent fin? Elles sont rentables pendant un certain temps, mais ensuite elles prennent fin et il ne reste que deux options pour ces entreprises : premièrement, retourner voir le gouvernement canadien et obtenir un autre contrat pour continuer à construire des choses dont nous n’avons peut-être même pas besoin; et deuxièmement, exporter. Si vous essayez d’exporter, la plupart des pays européens achètent également localement et ont leurs propres fabricants de chars et autres équipements similaires, ce qui pose un problème. Ou alors, vous pourriez finir par conclure des accords avec d’autres pays, comme l’Arabie saoudite. Comme vous le savez, nous avons un contrat très connu avec l’Arabie saoudite qui est très discutable en ce qui concerne l’utilisation de ces véhicules.

Le mieux est d’utiliser un investissement non lié à la défense. Nous avions autrefois ce qu’on appelait une exigence de dollar pour dollar selon laquelle, pour chaque dollar dépensé dans un contrat de défense, l’entreprise ou le pays réinvestissait un dollar équivalent au Canada. Cela ne signifie pas que cet investissement doit nécessairement faire partie de l’achat, comme la construction d’une aile d’avion. Ces entreprises fabriquent souvent toutes sortes de choses, il peut donc s’agir d’un investissement civil ou commercial au Canada, comme la révision et la réparation de moteurs d’avions commerciaux ou quelque chose du genre.

Nous pouvons toujours en tirer profit tant que nous avons cette exigence de dollar pour dollar. C’est un système de pointage très compliqué. Je tiens à souligner que le programme d’avions de combat interarmées F-35 était basé sur la condition que cela ne pouvait pas se faire. C’est pourquoi il y a des problèmes et pourquoi deux syndicats — celui des machinistes et celui des travailleurs de l’automobile — s’y sont opposés il y a 10 ou 15 ans, à l’époque où je siégeais au Comité de la défense de la Chambre, parce que le programme F-35 interdisait explicitement ce type d’exigence d’investissement dollar pour dollar au Canada. C’est pourquoi Griffin arrive avec une offre d’investissement important ici. Dans ce cas, je pense qu’ils construiraient des avions militaires au Canada, plutôt que de faire des investissements similaires.

Cependant, des options permettent d’éviter d’avoir une industrie militaire dépendante du gouvernement ou des exportations. Renforçons nos capacités commerciales et nos technologies vertes. Il existe toutes sortes de façons d’utiliser ces dépenses militaires et de les faire fonctionner dans notre économie, mais pas seulement grâce à la production de défense.

Le vice-président : Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci à vous deux d’être parmi nous. La guerre menée par la Russie en Ukraine a clairement démontré à ceux d’entre nous qui avaient la tête dans le sable que le développement rapide de technologies de combat essentielles fait partie de la réalité actuelle du front militaire. Il y a cinq ans, personne n’aurait imaginé que les drones seraient la principale force au front.

Il est très difficile de prédire la forme que prendront ces technologies à l’avenir. Comment la réalité de l’évolution rapide des technologies militaires, qui sont nécessaires au combat — et j’insiste sur « nécessaires au combat » —, affecte-t-elle nos stratégies d’approvisionnement aujourd’hui? L’Agence de l’investissement pour la défense est-elle correctement configurée pour nous permettre d’agir rapidement et avec une grande agilité à mesure que de nouvelles technologies deviennent disponibles?

Mme Mason : Merci beaucoup pour cette question. Tout d’abord, je tiens à souligner que les pays qui ne sont pas en guerre ne vont pas et ne doivent pas chercher à reproduire le type d’apprentissage et de développement qui a lieu dans les pays en conflit, et je citerais l’exemple de l’Afghanistan. Lorsque le Canada était engagé en Afghanistan, nous avons renforcé nos propres capacités...

Le sénateur Kutcher : Sauf votre respect, madame Mason, ce n’est pas la question. Je ne m’intéresse pas à l’Afghanistan, et le lien entre l’Afghanistan et l’Ukraine n’est pas une comparaison raisonnable. Je me demande si vous pouvez répondre à la question suivante : comment notre agence d’approvisionnement pourra-t-elle être suffisamment agile pour faire face aux technologies émergentes qui ont fait leurs preuves au combat?

Mme Mason : Merci. Je dois répéter quelque chose qui a été souligné à plusieurs reprises lors de la discussion avec le groupe précédent et qui est très fondamental : les lignes directrices du Conseil du Trésor doivent changer. Dans notre précédent budget de la défense, au cours des 10 dernières années au moins, nous avons perdu en moyenne entre 1 et 2 milliards de dollars par an, que nous n’avons pas pu dépenser. Cette somme a été réintégrée dans le budget de la défense, car le Conseil du Trésor aurait littéralement dû siéger sept jours sur sept. C’est une mesure fondamentale qui doit être prise. Par « assouplissement des lignes directrices », nous entendons le transfert des pouvoirs vers le bas pour les petits projets — « petits projets » entre guillemets — mais cela doit être fait. Ce serait mon point de départ pour répondre à votre question.

Le sénateur Kutcher : C’est excellent.

M. Staples : Je suis d’accord. Je pense que l’Agence de l’investissement pour la défense devra respecter le processus d’approvisionnement et les capacités proposées par l’armée. Je crois comprendre que certaines capacités seront définies par le ministère de la Défense nationale, puis que l’agence sera chargée d’aller chercher et d’acquérir ces capacités.

Permettez-moi d’aborder brièvement la question de l’Ukraine. Il est certain que cela a changé la donne. C’est un conflit terrible. L’invasion de la Russie est tout à fait illégale et répréhensible. Je compatis avec les personnes qui tentent de se défendre là-bas. Cependant, il y a ici des leçons importantes à tirer. Comment protéger vos navires contre les drones et les missiles? Regardez ce qui est arrivé aux Russes. Regardez ce qui est arrivé au Moskva. Il gît au fond de la mer Noire. C’était le navire amiral de la flotte. Leur navire amiral a été coulé par deux missiles fabriqués en Ukraine. C’est remarquable. Ils blaguent et l’appellent la flotte sous-marine russe, car une grande partie de celle-ci se trouve au fond de la mer Noire.

Qu’est-ce que cela nous apprend sur nos navires? Quelle est encore l’utilité des navires de combat de surface? Est-ce que cela oriente les décisions relatives aux navires de la classe Fleuves et rivières? Oui, nous disposons d’une certaine capacité de défense antimissile sur ces navires, mais j’imagine que les Russes en disposaient également sur le Moskva, et cela n’a pas semblé être suffisant pour eux.

Vous avez mentionné la technologie des drones. Ces drones apparaissent au-dessus des aéroports d’autres pays, sans explication. Auparavant, nous formions les Ukrainiens dans les pays occidentaux. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les pays occidentaux se rendent en Ukraine pour observer comment ils utilisent la technologie des drones. Le bilan humain des drones est considérable. C’est un défi. Merci.

Le vice-président : Je vous remercie.

La sénatrice Dasko : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui. Monsieur Staples, vous dites que nous devrions déterminer les menaces, déterminer ce qui est nécessaire et établir des budgets, mais que nous avons fait le contraire. Je comprends que vous laissiez entendre que nous avons des budgets maximalistes. Êtes-vous en train de dire que nous avons choisi d’allouer des budgets maximalistes à la défense, des budgets dont nous n’avons pas besoin, d’après une analyse appropriée, et que nous aurions dû procéder différemment? À votre avis, quel serait le bon budget — ou quelle serait la bonne fourchette budgétaire, compte tenu des menaces réelles et de ce dont, selon vous, nous avons besoin?

M. Staples : Merci beaucoup pour cette question. Je pense qu’il faut trouver un équilibre. Nous devons savoir quelles sont les menaces qui planent sur le Canada et auxquelles nous essayons de faire face. Sinon, nous fixons ce montant élevé, et une fois l’argent dans le budget, tout le monde se précipite avec le projet qui lui tient à cœur. Nous avons des problèmes de surenchère. Tout le monde essaie de participer. Ces achats commencent à prendre du retard et nous nous retrouvons avec un ensemble de mesures qui ne fonctionnent pas dans le contexte actuel, comme cela a été mentionné à la question précédente, et des leçons sont tirées de l’Ukraine et d’ailleurs. C’est un réel danger. Pourquoi tant d’avions? Pourquoi tant de navires? Est-ce uniquement pour augmenter les dépenses?

Il y a ici un problème de transparence. Comme l’a mentionné le groupe précédent, nous pensons que le gouvernement a un plan pour ces dépenses, mais ce n’était pas dans le budget. J’ai remarqué que le ministre de la Défense nationale, M. McGuinty, y a fait référence dimanche sur CTV, en disant qu’il y avait un plan, mais qu’il ne figurait pas dans le budget et qu’il serait peut-être communiqué plus tard. Ce n’est pas la bonne façon de procéder.

J’ai été surpris, par exemple, lorsque nous avons appris la participation du Canada au Dôme d’or. Qui nous l’a annoncé? Le président Trump. J’ai failli tomber de ma chaise. Le monde entier a appris qu’il mettait en place le Dôme d’or et, dans la même phrase, il a déclaré que le Canada y participait. Nous ne savons toujours pas combien cela va coûter. Qui nous a informés du coût? Encore une fois, le président Trump, qui a avancé deux chiffres : d’abord 61 millions, puis 72 millions de dollars, après avoir quitté Kananaskis à bord d’Air Force One. Nous ne savons pas combien cela va coûter, quelle protection nous allons obtenir pour le Canada, ni quel contrôle nous pourrons exercer sur le système. Est-ce que ce seront les États-Unis qui appuieront sur le bouton? Est-ce que ce sera nous? Ils ont toujours gardé ces systèmes pour eux. Ils n’ont jamais laissé le Canada participer. C’est pourquoi la gestion du système actuel est assurée par le Commandement stratégique américain, tandis que le Canada fait partie du NORAD. Ce sont deux entités distinctes. Nous n’avons jamais eu notre mot à dire.

Je suis d’avis que nous devons examiner les menaces légitimes. Il est évident que nous devons investir dans la défense, et il y a des menaces. Par exemple, un aéronef détourné a survolé l’aéroport international de Vancouver. Quelle menace cela représentait-il?

Il y a 10 ans, à la suite des attentats du 11 septembre, l’Institut Rideau a publié un document recommandant que des aéronefs soient disposés plus près des villes afin de pouvoir réagir à une situation semblable. Cependant, que s’est-il produit? Nous avons dû compter sur les Américains pour envoyer un avion à Vancouver afin de protéger la ville contre ce détournement. Heureusement, tout a bien fini.

Nous devons déterminer quelles sont les véritables menaces qui pèsent sur nous, déterminer les capacités dont nous avons besoin, suivre le processus, par l’intermédiaire de l’Agence de l’investissement pour la défense ou de tout autre processus équitable que nous avons, puis obtenir le budget nécessaire.

Les Canadiens appuieront cette démarche. C’est pourquoi je pense que nous devons les consulter sur ce point.

[Français]

La sénatrice Youance : Ma question portait sur le même sujet que celle de la sénatrice Dasko. Je voulais revenir sur les menaces, et je suis bien contente que vous ayez soulevé le sujet des attentats du 11 septembre, parce que l’on connaissait la vulnérabilité des tours jumelles et que la menace a frappé, mais au point faible.

Je vais donc passer à une autre question. Dans un rapport de l’Institut Rideau, on parlait de défense intelligente. La base même de cette défense, que l’on appelle « Smart Defence » en anglais, était basée sur le partage du fardeau. Du point de vue du Canada, quels sont les risques de compter quelque peu sur les industries d’autres pays, sur l’apport des États-Unis et sur l’industrie des États-Unis pour répondre à nos besoins actuels en matière de défense? Si l’on pense à la participation du Canada dans le NORAD, comme vous venez de le mentionner, dans quelle mesure le non-financement du côté américain nous met-il à risque sur les données de base et sur l’information que l’on doit recueillir pour prendre les bonnes décisions en matière de défense?

[Traduction]

Mme Mason : Merci pour cette question.

En ce qui concerne le NORAD, la première chose que je voudrais souligner est que les États-Unis n’ont pas accepté ce commandement binational parce qu’ils voulaient être gentils avec le Canada. C’est parce qu’ils ont besoin d’un système d’alerte précoce, et nous nous concentrons actuellement sur l’amélioration du système d’alerte antimissile canadien. Nous jouons un rôle essentiel dans la défense de l’Amérique du Nord par l’intermédiaire du NORAD.

En ce qui concerne la question de la dépendance — qui est très pertinente —, il est évident que nous ne pouvons pas faire cavaliers seuls, mais nous avons maintenant des raisons très claires de nous préoccuper d’une dépendance excessive à l’égard des États-Unis dans quelque domaine que ce soit. Et cela vaut également pour la défense.

Je voudrais souligner un exemple qui me préoccupe particulièrement. Il est intéressant de noter que cela n’a pas encore été soulevé, mais je suis très heureuse que le gouvernement Carney réévalue toujours l’achat de 88 F-35 américains, car le F-35 est un maillon d’une architecture américaine de gestion des combats extrêmement complexe. Le Canada ne peut en aucun cas faire cavalier seul en ce qui concerne le F-35.

Il a été commercialisé comme étant destiné à des missions d’attaque au sol rapprochée, mais, si l’on se reporte aux leçons importantes tirées de l’Ukraine, nous avons appris que l’utilisation de ces avions incroyablement coûteux dans ce genre de conflit est suicidaire et que les drones et les missiles sont la voie à suivre.

Tout cela pour dire que nous avons besoin d’avions de combat pour assurer notre souveraineté, surveiller et contrôler notre espace aérien, et pour quelques missions de l’OTAN, mais que nous pouvons le faire avec un avion de combat beaucoup moins coûteux et qui ne nous place pas complètement à la merci des États-Unis pour le matériel informatique, la gestion opérationnelle, etc. Bien sûr, le Gripen suédois est le choix évident. Ce serait une mesure pratique que nous pourrions prendre pour essayer de réduire cette dépendance.

Le vice-président : Vous avez déjà répondu aux sénateurs Kutcher et à la sénatrice Youance, et ma question va dans le même sens.

Compte tenu de l’état actuel et de l’évolution future des capacités de combat de la technologie des drones, je me demande si le F-35 ou d’autres chasseurs auraient une quelconque utilité. Cela pourrait rendre obsolètes et inutiles les chasseurs de différentes générations et versions. Avez-vous une réponse à cette question?

Mme Mason : Merci. Je ne sais pas si je peux aller beaucoup plus loin que ce que j’ai déjà dit, car je pense que vous allez dans une direction que nous pouvons tous voir se profiler. Il ne fait aucun doute que les chasseurs vont jouer un rôle important dans l’espace aérien et remplir une fonction fondamentale du NORAD en matière de surveillance de l’espace aérien. Les aspects non stratégiques du Dôme d’or feront certainement appel à des chasseurs équipés de missiles à courte et moyenne portée.

Je pense que vous soulevez un point auquel nous devons réfléchir. La question est simplement de savoir combien de temps cela prendra. Mais en attendant, nous avons besoin d’avions de chasse. Nous n’avons simplement pas besoin du F-35.

M. Staples : Vous soulevez un défi de taille : comment se défendre contre les drones? En Ukraine, ils ont essayé différentes choses. Ils ont installé des filets autour des routes pour tenter de les intercepter à leur arrivée. Ils ont essayé de couper l’internet. Pour contourner cela, ils disposent désormais de drones qui volent par câble. On peut voir des photos des champs en Ukraine sillonnés de câbles à fibre optique, comme une toile tissée, provenant de tous les drones qui ont survolé la région. Il y a des techniques électromagnétiques qui peuvent désormais être utilisées pour perturber les drones en coupant leurs communications. Encore une fois, il s’agit presque d’une forme de guerre asymétrique, qui consiste à essayer de suivre le rythme de cette technologie.

Je voudrais revenir sur un point soulevé par Mme Mason. Votre défense ne peut pas coûter plus cher que la menace que vous essayez de contrer, car c’est exactement ce que souhaite votre ennemi. Si des drones bon marché survolent votre territoire et que vous tirez dessus des missiles qui coûtent des millions de dollars, on peut deviner rapidement qui remportera la partie. Les drones bon marché l’emporteront. Ce sera un défi pour nos forces.

Je conviens que nous avons besoin d’une forme de défense contre ce genre de capacité. Une capacité qu’ils essaient encore de déterminer, à mon avis.

Le vice-président : Il y a là matière à réflexion.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais revenir sur une question posée par la sénatrice White et l’approfondir un peu.

Vous avez toutes deux participé au mouvement pour le désarmement nucléaire et au mouvement pour la paix. Quelle est la situation actuelle de ces mouvements? Les gens sont-ils réceptifs à votre message, compte tenu des menaces que représentent pour nous la Russie, la Chine et, peut-être, les États-Unis et d’autres pays? Quels arguments avancez-vous aujourd’hui et où pensez-vous que cela mènera?

Mme Mason : Merci. Bien sûr, nous n’avons plus les mouvements pacifistes massifs que nous avions pendant la Guerre froide. À la fin de la Guerre froide, les gens ont pensé, à juste titre, qu’ils pouvaient se tourner vers d’autres choses, comme les défis environnementaux.

Il est intéressant de noter qu’aujourd’hui, les sondages montrent un soutien très fort en faveur du désarmement nucléaire, mais aussi, comme cela a été mentionné par le premier groupe, en faveur des dépenses de défense. Il s’agit donc d’une approche progressive qui vise à ne pas aggraver la situation.

Pour en revenir à l’Ukraine, en matière de dissuasion nucléaire, il y a une leçon très importante à tirer : regardez l’énorme capacité militaire des États-Unis et la capacité combinée de l’OTAN. Celles-ci n’ont pas été mises à la disposition de l’Ukraine. L’OTAN et les États-Unis n’ont pas pu intervenir directement pour aider l’Ukraine. Pourquoi? Par crainte d’une escalade vers une guerre nucléaire et parce qu’ils savent que, dans une guerre nucléaire, nul n’est vainqueur, et qu’il ne faut jamais en entreprendre une.

C’est une leçon qui donne à réfléchir. La dissuasion fonctionne en Ukraine en empêchant l’OTAN d’intervenir, ce qui n’est pas tout à fait ce que nous pensons de la dissuasion nucléaire. Mais cela souligne vraiment le fait que l’augmentation des dépenses et la course aux armements pour mettre au point davantage d’armes nucléaires ne sont en aucun cas des actions sensées. C’est une autre raison pour laquelle les éléments stratégiques de défense antimissile balistique du Dôme d’or sont si préoccupants.

Nous pouvons faire beaucoup, et avant de pouvoir avancer vers le désarmement nucléaire, nous devons cesser d’exacerber la menace nucléaire.

M. Staples : C’est une excellente question qui m’empêche de dormir la nuit, car je cherche à comprendre comment nous pouvons sensibiliser davantage les gens à ce qui se passe. Nous devons faire preuve de réalisme.

Mon ami Cesar Jaramillo, du projet Ploughshares, appelle cela « le plafond dissuasif ». Au cours de vos audiences, vous entendrez un certain nombre de généraux à la retraite et d’autres personnes de ce genre parler d’avions de combat pour contrer les Russes et d’autres sujets similaires. Cependant, savez-vous quelle était la première préoccupation de l’OTAN concernant l’Ukraine? Ce n’était pas la victoire de l’Ukraine. La préoccupation primordiale était de faire en sorte que les troupes de l’OTAN ne tirent en aucun cas sur les Russes, car ceux-ci riposteraient. Cela conduirait très rapidement à une escalade nucléaire. Empêcher l’escalade se classait en tête des préoccupations de l’OTAN en Ukraine, et c’est précisément ce qu’a dit Mme Mason.

N’oubliez pas que le président Biden a déclaré qu’à un moment donné, il y avait 50 % de chances qu’une guerre nucléaire éclate. Il y a encore quelques années, c’était pile ou face, pour reprendre une expression tirée d’un film, pour savoir s’il y aurait une guerre nucléaire. Lorsque nous parlons avec les Canadiens, ils nous font part de leurs préoccupations concernant leurs enfants, le logement, l’assurance médicaments, les soins dentaires et la façon de payer les études de leurs enfants. Ce sont là les questions qui préoccupent le plus les Canadiens. C’est aux autres experts et spécialistes qu’il appartient d’étudier ces questions. Je dirais que c’est un rôle important pour le Sénat, celui de fournir cet examen de l’action du gouvernement, car il nous faut beaucoup plus de mécanismes de contrôle sur ce qui se passe actuellement.

Le vice-président : Cela nous amène à la fin de notre séance avec ce groupe de témoins. Je tiens à vous remercier, madame Mason et monsieur Staples pour vos contributions et le temps que vous avez consacré à partager votre expérience et vos réflexions avec nous.

Pour notre prochain témoin, nous avons le plaisir d’accueillir Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK, qui signifie « Les Inuits sont unis au Canada ». Merci, monsieur Obed, de vous joindre à nous aujourd’hui.

Nous commencerons par vous inviter à prononcer votre déclaration liminaire, qui sera suivie des questions des membres de notre comité. Vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration préliminaire. Allez-y, je vous en prie.

Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Nakurmiik. Merci, monsieur le président, de m’accueillir ici aujourd’hui. C’est toujours un plaisir d’être ici et d’avoir ces conversations essentielles sur l’avenir du pays et de l’Inuit Nunangat.

Je m’appelle Natan Obed. Je suis président de l’Inuit Tapiriit Kanatami. L’ITK a été créée en 1971 et est l’organisation nationale qui représente les 70 000 Inuits du Canada. Nous avons une structure de gouvernance démocratique et notre travail est dirigé par les dirigeants élus de quatre organisations inuites signataires de traités et titulaires de droits issus d’un traité en vertu de l’article 35 : l’Inuvialuit Regional Corporation, la Nunavut Tunngavik Incorporated, la Société Makivvik et le gouvernement du Nunatsiavut.

Nous appelons notre patrie Inuit Nunangat, qui couvre 40 % de la masse terrestre du Canada et 70 % du littoral du pays. Inuit Nunangat est synonyme du terme « Arctique » et englobe l’ensemble du territoire arctique canadien. La région est presque entièrement homogène dans la manière dont les peuples autochtones sont servis. Nous ne sommes pas soumis à la Loi sur les Indiens. Nous sommes citoyens de gouvernements populaires, et nos traités modernes ou accords sur les revendications territoriales constituent en réalité le modèle ou l’élément relationnel essentiel qui lie tous ces arrangements constructifs.

Notre peuple représente 86 % de la population de la région, nous ne vivons donc pas seulement dans l’Inuit Nunangat, nous sommes également le moteur de la souveraineté arctique du Canada. Les chasseurs inuits vivant dans nos 51 collectivités surveillent des 100 000 kilomètres carrés de terres et de zones maritimes, et nous sommes propriétaires ou cogérants de l’ensemble de la région avec le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires.

Le changement climatique, combiné aux progrès technologiques, rend l’Arctique de plus en plus accessible et menacé. Le Canada ne serait pas un État arctique sans les Inuits. La sécurité et la souveraineté du Canada dans l’Arctique sont indissociables de la prospérité socioéconomique des Inuits. Les Inuits ont légitimé les revendications du Canada sur l’Arctique et sont les meilleurs experts de cette région. La santé de nos collectivités est essentielle à la durabilité et au développement à long terme de la région.

L’été dernier, l’ITK a publié un document présentant notre vision de la souveraineté, de la sécurité et de la défense dans l’Inuit Nunangat. Nous y parlons de la contribution des Inuits à la souveraineté et à la sécurité du Canada et de la manière dont la négligence continue de la région expose le pays à une ingérence étrangère et à des menaces pour sa sécurité. Nous insistons sur la nécessité pour le Canada d’investir davantage dans la santé et le bien-être de notre peuple afin de conserver et de soutenir les Inuits en tant que ressource future et la plus importante de la région. Nous soulignons la nécessité pour le Canada d’adopter une vision plus large afin d’intégrer l’Inuit Nunangat au reste du pays.

La souveraineté, la sécurité et la défense sont un domaine prioritaire du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, que nous avons créé en 2017 avec le gouvernement du Canada. Nous avons utilisé ce comité pour débattre des possibilités d’avantages pour les Inuits découlant de politiques et d’investissements plus larges en matière de défense et de sécurité, et pour guider l’évolution des choses et garantir que les activités de défense soutiennent l’autodétermination des Inuits.

Le plan de travail de ce comité en matière de souveraineté, de sécurité et de défense vise à reconnaître le rôle stratégique et les contributions des Inuits à la sécurité et à la souveraineté du Canada, en soutenant l’accès des Inuits aux processus d’approvisionnement en matière de défense dans l’Inuit Nunangat.

La promotion de l’accès des Inuits aux marchés publics fédéraux est inscrite dans nos accords sur les revendications territoriales des Inuits. L’attention renouvelée que porte le Canada à la sécurité et à la souveraineté de l’Arctique ainsi que son engagement à augmenter les dépenses de défense et à réformer les processus d’approvisionnement en matière de défense offrent aux entreprises inuites des occasions inestimables de devenir des partenaires importants dans le domaine de la défense. Nous souhaitons accéder aux marchés fédéraux, renforcer nos capacités et améliorer notre bien-être socioéconomique. Tant le Canada que les communautés inuites tireraient profit d’un accès accru des Inuits aux marchés publics dans le domaine de la défense. Les entreprises inuites sont prêtes, disposées et capables de fournir des produits et des services pour les projets de défense.

Je suis à votre entière disposition pour un débat aujourd’hui. Nakurmiik.

Le vice-président : Merci, monsieur Obed.

Chers collègues, M. Obed sera avec nous jusqu’à 20 heures. Nous ferons de notre mieux pour que chaque député ait le temps de poser ses questions. Vous disposerez de quatre minutes par tour de questions, réponse comprise.

La sénatrice White : Félicitations, monsieur Obed — je suis ravie de vous revoir — pour votre récente réélection en septembre. Je ne vous ai pas revu depuis votre réélection. Pour la gouverne de mes collègues, un des représentants de l’ITK est Nunatsiavut, qui est situé au Labrador, dans la province que je représente, ce dont je suis très fier. Je tenais simplement à le partager avec mes collègues.

Ma question, monsieur Obed, est la suivante : compte tenu du rôle que jouent les organisations ou les collectivités inuites du Nord dans la protection de l’Arctique canadien, quels changements précis souhaitez-vous voir dans les processus d’approvisionnement du Canada afin de garantir que des investissements importants soutiennent les collectivités inuites? Vous avez parlé de marchés et d’autres choses du genre, mais y a-t-il un aspect particulier des acquisitions, y compris la surveillance, les infrastructures, les interventions d’urgence, qui pourrait s’aligner sur les priorités des Inuits, intégrer les connaissances des Inuits et générer des avantages durables pour le Nord?

M. Obed : Merci pour vos félicitations. C’est toujours un plaisir de vous voir, sénatrice. Ma réponse se présente en deux parties. La première concerne les pratiques exemplaires. Le contrat du Système d’alerte du Nord est un contrat assez important. Il est cogéré par le Canada et les États-Unis. Nasittuq Corporation a remporté ce contrat pour une durée de huit ans. Elle a également remporté un contrat pour la structure de défense d’Alert ainsi que pour les services sur place.

Avant que ces contrats n’aient fait l’objet d’un appel d’offres, des discussions ont eu lieu avec le ministère de la Défense, l’Inuit Tapiriit Kanatami et d’autres détenteurs de droits au sujet de l’inclusion générale des accords sur les revendications territoriales des Inuits et des obligations du gouvernement fédéral de les respecter. Ces discussions ont également porté sur la manière dont l’appel d’offres pourrait être formulé. Ainsi, même si nous n’avons pas explicitement participé à la rédaction de l’appel d’offres, le gouvernement du Canada a fait de son mieux pour comprendre nos accords et la manière de les respecter dans le cadre de son processus d’acquisition.

L’autre point que je voudrais soulever est que les données les plus récentes que nous avons pu trouver datent de 2023-2024, et qu’à cette époque, le ministère de la Défense n’attribuait que 2,5 % de ses contrats à des entreprises autochtones. L’objectif est de 5 %. De plus, nous n’avons pas accès à des statistiques ventilées par catégorie indiquant la part des Premières Nations, des Inuits ou des Métis.

Il nous faut davantage de clarté et de compréhension de la part du gouvernement du Canada afin de pouvoir cibler nos interventions politiques et nos actions de lobbying avec beaucoup plus de précision. Tout d’abord, nous avons besoin de renseignements plus explicites pour pouvoir comprendre exactement où en est le gouvernement du Canada par rapport à ses aspirations et, de façon plus détaillée, la participation relative des Inuits par rapport aux Premières Nations ou aux Métis dans le cadre de ces 2,5 %.

Le sénateur Cardozo : Je tiens à vous féliciter pour votre réélection. Je vous félicite également pour l’annonce budgétaire concernant l’université de l’Inuit Nunangat, un projet que vous et l’ITK poursuivez depuis un certain temps. J’étais présent à la réunion inaugurale lorsque vous avez fait cette annonce il y a environ un an, à l’Espace des peuples autochtones ici à Ottawa, et le fait que 50 millions de dollars soient prévus dans le budget est une excellente nouvelle.

Je voudrais vous interroger sur le rôle de cette université par rapport à l’approvisionnement en matière de défense dont nous parlons. L’aspect de l’approvisionnement en matière de défense sur lequel je souhaite m’attarder est le développement des compétences, la formation et les emplois qui en découlent pour les personnes. Il y a bien sûr de nombreux aspects à prendre en compte, notamment la défense et différents types de technologies. Cependant, je voudrais me concentrer sur la manière dont ces dépenses, qui ne se produisent qu’une fois par génération, permettront de bâtir l’industrie, d’employer des personnes et de les former. Comment pensez-vous que l’université pourra contribuer à cela, et comment pensez-vous que l’Inuit Nunangat participera à la manière dont cet argent sera dépensé dans le Nord?

M. Obed : Merci pour votre question, sénateur. Tout d’abord, nous avons été très heureux de voir que 50 millions de dollars ont été alloués dans ce budget à l’université de l’Inuit Nunangat. Cette somme s’ajoute à une contribution de 50 millions de dollars de la Fondation Mastercard et à des contributions de chacune de nos régions revendiquant des droits territoriaux. Nous avons besoin d’environ 160 millions de dollars. Nous aimerions ouvrir nos portes d’ici 2030, ce qui n’est pas si loin, compte tenu des autres choses que nous devons faire d’ici là.

Il s’agit d’un moment décisif pour notre capacité à nous autodéterminer sur notre territoire. À l’heure actuelle, nous ne disposons d’aucun établissement où les Inuits peuvent faire des études universitaires au sein de l’Inuit Nunangat. En ce qui concerne l’adéquation entre le programme universitaire et ses priorités de recherche et les considérations actuelles du gouvernement canadien en matière de défense et de militarisation, l’université n’est pas explicitement construite à cette fin.

Le sénateur Cardozo : Je comprends cela.

M. Obed : Cependant, les universités sont des collectivités, de sorte que les priorités de la collectivité finiraient par être la participation au sein du gouvernement, de l’armée et de la collectivité. Nous espérons que le programme de recherche et le programme universitaire pourront avoir des lignes directrices claires, avec les types d’investissements que le Canada souhaite faire pour s’assurer que nous disposons d’une main-d’œuvre représentative des personnes qui vivent là-bas, quel que soit le domaine, mais aussi pour le leadership. En fin de compte, les universités offrent des moyens de former des chefs de file au sein des collectivités et dans les domaines de leur choix.

J’espère donc que certains des futurs dirigeants militaires de ce pays qui seront stationnés dans l’Arctique seront des Inuits et auront reçu leur formation de base à l’université de l’Inuit Nunangat.

Le sénateur Cardozo : Dans quelle mesure prévoyez-vous que les entreprises ou les particuliers inuits bénéficient d’une part de ces fonds, spécialement dans le Nord, mais aussi dans le reste du pays?

M. Obed : C’est intéressant. Aux États-Unis, et plus particulièrement pour les autochtones d’Alaska, ils ont remporté un grand succès en décrochant des contrats de défense non seulement en Alaska, mais aussi dans les 48 États continentaux. Cette réussite est due à un projet de loi qui offre des occasions et des considérations précises aux sociétés autochtones d’Alaska.

Dans notre pays, nous n’avons pas de loi semblable. La notion d’accès équitable n’existe pas. La création d’un accès équitable pour les entreprises autochtones est peut-être une chose que nous pourrions envisager. Nous ne bénéficions pas de conditions équitables et nous n’avons pas d’antécédents en tant qu’acteurs importants dans l’industrie de la défense. Les entreprises inuites aspirent à jouer un rôle plus central dans toutes les occasions commerciales dans l’ensemble du pays.

Alors, comment renforcer nos capacités? Comment mettre un pied dans la porte? Nos quatre accords de revendication territoriale contiennent chacun des dispositions relatives aux entreprises inuites, et les appels d’offres prévoient des conditions qui permettent aux entreprises inuites d’obtenir une meilleure cote.

J’espère que le gouvernement du Canada envisagera de s’inspirer de nos accords pour créer des occasions et renforcer la participation des Autochtones aux dépenses de défense.

Le sénateur McNair : Monsieur Obed, je vous souhaite la bienvenue. Au risque de me répéter, je tiens à vous féliciter pour votre réélection.

Vos peuples étant les plus grands experts de l’Arctique, comme vous les décrivez à juste titre, quel rôle voyez-vous pour l’ITK au sein de l’Agence de l’investissement pour la défense et dans ses efforts pour accélérer le processus d’acquisition?

Je suis également curieux de savoir si vous avez déjà eu des échanges avec l’agence ou le gouvernement fédéral au sujet de vos attentes.

M. Obed : Nous avons eu des conversations continues avec le ministère de la Défense nationale, au niveau des sous-ministres et des hauts spécialistes techniques. Je n’ai pas eu l’occasion de m’entretenir avec le ministre depuis sa visite à Inuvik, en juillet, pour notre dernière réunion du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, ou CPIC, mais j’espère pouvoir le faire bientôt.

Nous nous attendons au moins à ce que nos accords sur les revendications territoriales soient respectés en ce qui concerne toutes les possibilités offertes sur notre territoire. Les sommes en jeu se chiffrent en dizaines de milliards de dollars, généralement pour le Canada, mais le budget prévoit également un milliard de dollars pour les infrastructures à double usage au cours des quatre prochaines années. Ces occasions se présentent littéralement au sein de nos collectivités et j’espère qu’il y aura, comme cela a été le cas avant la publication de l’appel d’offres pour le contrat Nasittuq, des échanges avec les détenteurs de droits inuits, afin que le gouvernement du Canada publie des appels d’offres respectant les traités inuits et ses intentions.

Il est courant, partout au pays, que les appels d’offres pour des travaux de grande envergure soient destinés à un genre particulier de soumissionnaire. Les Inuits n’ont jamais été des soumissionnaires privilégiés.

Comme je l’ai dit à la question précédente, nous sommes généralement des observateurs extérieurs dans ce domaine. Nous avons remporté quelques victoires importantes, mais nous en avons vraiment besoin...

Les gens ont parlé de réconciliation économique. C’est l’occasion la plus importante que nous ayons de montrer que la réconciliation économique est possible grâce aux fonds fédéraux au cours des cinq prochaines années. J’espère que nous assumerons cette responsabilité avec toute la diligence requise.

Le vice-président : Avez-vous une question complémentaire? Vous avez le temps.

Le sénateur McNair : Par curiosité, étant donné que l’investissement et la sécurisation de l’Arctique deviennent de plus en plus une priorité stratégique en matière de souveraineté, de sécurité et de défense, comme vous l’avez mentionné, pensez-vous que le financement des rangers, un groupe qui me tient particulièrement à cœur, augmentera?

M. Obed : Oui, le gouvernement a indiqué qu’il allait consacrer davantage de fonds aux Rangers canadiens. Nous parlons également des rangers dans un document que nous avons publié sur la vision inuite pour la souveraineté, la sécurité et la défense de l’Arctique.

Le facteur clé à prendre en compte ici est que, dans nos 51 collectivités, il n’existe qu’un seul port en eau profonde. La plupart de nos collectivités disposent de pistes d’atterrissage en gravier très courtes. Cela limite leur capacité de mobilisation, que ce soit pour des opérations de recherche et de sauvetage ou pour des missions militaires.

On a demandé aux rangers d’être une branche de l’armée canadienne sans pratiquement aucune infrastructure pour les aider à bien faire leur travail. Et ils le font; ils persévèrent. Ils se mobilisent comme ils le peuvent, mais souvent, en été, il n’y a pas de quai dans une collectivité pour lancer une opération de recherche et de sauvetage, et en hiver, ils utilisent leurs propres motoneiges ou leur propre équipement de chasse.

Nous devons investir dans les collectivités inuites dans le cadre de notre investissement dans les Rangers canadiens. Il ne s’agit pas de choisir l’un ou l’autre. Je pense qu’il est vraiment important de noter qu’investir dans les collectivités inuites, c’est investir dans les Rangers canadiens.

Le sénateur Kutcher : Je suis ravi de vous revoir, monsieur Obed. Si le Sénat décidait de décerner un prix à la personne ayant comparu devant le plus grand nombre de comités sénatoriaux, vous en seriez sans conteste le lauréat. Je vous trouve toujours incroyablement bien préparé sur une grande variété de sujets. J’envie votre capacité.

J’ai bien aimé un article paru dans le Nunatsiaq News du 4 avril 2005, dont le titre, « We are all butter, no guns », m’a semblé magnifique. L’auteur y démontre que le gouvernement fédéral a tendance à faire de grandes promesses en matière de sécurité dans l’Arctique en temps de crise, mais que ces promesses semblent s’évaporer une fois la crise passée. Je rappelle à mes collègues qu’en 1987, le gouvernement Mulroney avait promis dix ou douze sous-marins nucléaires pour patrouiller sous la glace de l’Arctique. Bien entendu, ils sont tous là aujourd’hui, rejoignant les quatre sous-marins britanniques que je voyais autrefois depuis la porte d’entrée de ma maison, crachant de la fumée alors qu’ils rentraient péniblement dans le port d’Halifax.

J’ai deux questions. Premièrement, pensez-vous que la crise actuelle est fondamentalement différente des crises précédentes? Si oui, pensez-vous que cela pourrait inciter le gouvernement à l’aborder différemment?

Deuxièmement, quels produits de défense et de sécurité doivent être introduits dans l’Arctique et ITK aura-t-il son mot à dire dans ce débat au sein de la nouvelle Agence de l’investissement pour la défense?

M. Obed : Merci, sénateur Kutcher. J’ai bien hâte de recevoir le prix dont vous me parlez. Je suis toujours ravi d’être ici. Je touche un peu à tout, mais les compétences que j’ai acquises à l’université m’ont vraiment aidé dans mon travail actuel.

Je commencerai par dire que cette crise est peut-être différente, car entre les années 1950 et 1980, pendant la Guerre froide, lorsque l’armée américaine a construit une grande partie des infrastructures essentielles dans l’Arctique canadien — et que nous utilisons encore aujourd’hui, essentiellement, nos collectivités centrales, de Kuujjuaq à Iqaluit, en passant par Rankin Inlet, Cambridge Bay et Inuvik —, l’intensification du développement économique ou militaire dans l’Arctique était insignifiante par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui. La Russie, en particulier, avec le soutien de la Chine, réalise la majeure partie des investissements dans l’Arctique. Le Canada est malheureusement à la traîne en matière de dépenses.

La différence dans cette crise est que d’autres pays investissent dans la sécurité, la défense, le développement économique et les structures de souveraineté dans leur partie de l’Arctique. Ils souhaitent empiéter sur celle du Canada. Nous n’avons pas investi les fonds nécessaires pour protéger notre propre souveraineté, en particulier avec l’augmentation du trafic maritime dans le Passage du Nord-Ouest et les revendications de la Russie sur la zone polaire. Il y a également le manque de reconnaissance par les États-Unis des eaux intérieures du passage du Nord-Ouest.

Nous vivons une époque différente en ce qui concerne les dépenses et les allocations destinées à soutenir les déclarations politiques, qui ont peut-être été excessives par le passé. Cependant, nous vivons une période beaucoup plus turbulente. Je ne pense pas que ce pays comprenne vraiment à quel point le Canada est en faible posture, en raison de son manque d’investissement.

En ce qui concerne les produits de défense particuliers, la souveraineté est également compromise par le manque d’infrastructures dans nos 51 collectivités. Nous avons besoin d’infrastructures essentielles pour nous aider à nous mobiliser, comme le revêtement des pistes d’atterrissage, la construction de ports en eau profonde et l’augmentation de la flotte de brise-glaces. Ces infrastructures essentielles nous permettraient d’améliorer nos temps de réponse et de rehausser notre crédibilité sur la scène internationale.

Je ne parlerai pas des sous-marins ou des brise-glaces. Cependant, les collectivités inuites estiment que l’élément essentiel qui les concerne n’a pas été pris en compte dans la liste des tâches à entreprendre.

Le vice-président : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Youance : Merci, monsieur Obed, pour votre contribution à nos débats. Ma question sera un peu plus rudimentaire. On décrit souvent les communautés inuites comme les yeux et les oreilles du Canada dans l’Arctique; on parle donc vraiment de surveillance de vastes zones un peu plus ou moins intéressantes, qui sont isolées et ne sont pas couvertes par les Forces armées canadiennes. Comment la coordination se fait-elle avec le gouvernement fédéral? Autrement dit, comment rapportez-vous les informations? Aussi, dans le contexte actuel, avec la présence de plus en plus importante de la Chine et de la Russie, comment ce processus de coordination doit-il changer ou être adapté?

[Traduction]

M. Obed : Merci pour cette question. La collecte et la diffusion de l’information se font de manière formelle et informelle. Notre contrat pour Système d’alerte du Nord et les sites du système répartis dans l’Inuit Nunangat permettent aux gouvernements du Canada et des États-Unis de surveiller toute activité se déroulant sur notre territoire à l’aide de radars. Cette surveillance se fait en temps réel et ce contrat est géré par une entreprise qui appartient à des Inuits.

Sur le terrain, comme je l’ai mentionné, les familles et les chasseurs inuits parcourent presque tout notre territoire au cours de l’année et signalent immédiatement tout ce qui est anormal, hors de l’ordinaire ou exceptionnel. Dans de nombreux cas, ces signalements sont transmis aux Rangers canadiens. Il s’agit donc d’un moyen informel permettant de revenir aux considérations militaires sur notre territoire, qu’il s’agisse de navires échoués, de navires non identifiés traversant le Passage du Nord-Ouest, de ballons-sondes météorologiques ou de tout autre élément de ce genre. Les chasseurs et les personnes qui utilisent les terres sont en effet en mesure de repérer une anomalie et de la signaler. Je pense que le processus de collaboration pourrait être plus formel. Je ne sais pas exactement en quoi cela consiste. Je vais en parler avec mon équipe et, si nous disposons de renseignements plus précis, nous vous les transmettrons par écrit.

Le vice-président : Merci.

Chers collègues, nous allons passer à la deuxième série de questions.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais prendre appui sur la question de la sénatrice Youance pour parler du Passage du Nord-Ouest. Pouvez-vous nous faire part de votre vision et de vos observations concernant le Nord? De quoi devrions-nous nous préoccuper? Je dis cela dans le sens où, dans le sud, nous ne pensons pas beaucoup au nord, contrairement à vous. Pourriez-vous nous informer sur les menaces que représentent la Russie, la Chine — qui prétend désormais être une nation arctique — ou les États-Unis?

M. Obed : Merci. Je dirais qu’il y a trois types de menaces dont les Canadiens devraient se préoccuper davantage. La première concerne les investissements étrangers, qu’il s’agisse de ressources minérales ou du financement de grands projets. D’autres pays seraient ravis de financer des projets d’infrastructure inuits. Si le gouvernement canadien n’est pas disposé à leur offrir la possibilité de bâtir leur propre autodétermination et les infrastructures essentielles dans leur patrie, alors j’imagine que vous ouvrez la voie à des investissements étrangers, qui peuvent être de nature amicale ou autre, ou se limiter au développement économique.

L’autre élément qui se profile est la recherche. D’autres pays, qu’ils soient situés dans la région arctique ou qu’ils se qualifient eux-mêmes de « proches de l’Arctique », investissent de plus en plus dans la recherche et envisagent d’accéder à l’Arctique canadien. Les données issues de cette recherche pourraient se révéler extrêmement précieuses pour les États-nations qui envisagent d’utiliser le Passage du Nord-Ouest ou l’Arctique en général. Il s’agit là d’une menace émergente pour la souveraineté du Canada. Et sur ce plan, le Canada est encore une fois loin derrière les autres États-nations en matière d’investissements dans la recherche arctique.

Le troisième élément concerne le mécanisme d’application de la loi à l’égard de tout pays ou navire pénétrant dans le passage du Nord-Ouest en été ou le traversant en hiver. La capacité du gouvernement canadien à intercepter ou à prendre des mesures contre ces navires étrangers est toutefois limitée. Cette incapacité à appliquer la loi conduit donc à des considérations plus audacieuses de la part d’autres pays ou de particuliers de ces pays, qui pourraient ne pas se sentir tenus de respecter les règles administratives canadiennes relatives à l’accès aux eaux canadiennes.

Ce sont les premières manifestations de la menace à laquelle nous sommes confrontés, et d’autres pays ont émis des signaux que nous connaissons tous, je pense. Cependant, c’est ce que nous ressentons aujourd’hui et ce que nous considérons comme les premières menaces pour la souveraineté canadienne ou les intentions malveillantes d’autres États étrangers.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais poser une question au sujet du Groenland. Il semblerait — et corrigez-moi si je me trompe — que les peuples autochtones du Groenland soient quelque peu ambivalents quant à leur appartenance au Danemark, mais qu’ils ne souhaitent probablement pas être rachetés ou pris en charge par les États-Unis. Comment tout cela influe-t-il vos préoccupations concernant l’Inuit Nunangat?

M. Obed : Nous formons tous une seule et même famille, du Groenland au Canada en passant par les États-Unis et la Tchoukotka, en Russie.

Le sénateur Cardozo : Les peuples autochtones du Groenland sont-ils également considérés comme des Inuits?

M. Obed : Oui, nous faisons partie du Conseil circumpolaire inuit, qui compte quatre sections, ou quatre députés, provenant des quatre États-nations que j’ai mentionnés précédemment. Je pense que les politiciens groenlandais ont clairement indiqué qu’ils souhaitaient être considérés comme indépendants ou comme faisant partie du Groenland. Ils sont originaires du Groenland. Ils ont une démocratie et souhaitent être respectés pour leur indépendance. Ils entretiennent des relations avec le Danemark, qui ont parfois été fructueuses. Je sais qu’il y a eu davantage d’initiatives politiques à cet égard.

Je dirais que cela influence grandement notre position. Quoi qu’il arrive au Groenland, certaines régions du Canada ne sont qu’à 150 ou 200 kilomètres. Il faut environ 90 minutes de vol pour aller d’Iqaluit à Nuuk. C’est plus proche qu’Ottawa ne l’est d’Iqaluit. Comme je l’ai mentionné, ce sont également nos proches.

Lors du dernier mandat, nous espérions modifier notre loi sur l’immigration afin de permettre une plus grande mobilité des Inuits entre les pays, notamment entre le Groenland et les États-Unis. Cela servirait également un objectif très pratique en matière de solidarité, de diplomatie et de renforcement de nos liens avec nos voisins immédiats, alors que nous avons vraiment besoin qu’ils soient nos amis.

Cela fait également partie du plan d’action de l’UNDRIP, mais malheureusement, à notre connaissance, ce gouvernement n’en fait pas une priorité.

Le sénateur Kutcher : Je tiens à vous remercier d’avoir soulevé deux points parmi les nombreux que vous avez abordés. Je pense que beaucoup de Canadiens ne réalisent pas à quel point la souveraineté de l’Arctique est importante pour notre sécurité et notre défense. Je vous remercie donc d’avoir souligné ce point.

Je vous remercie également d’avoir répondu à ma question précédente en soulignant que les capacités de défense doivent commencer par les infrastructures. Je suis tout à fait d’accord avec vous et j’espère que nos analystes ont pris note de votre réponse.

J’aimerais maintenant avoir votre avis sur trois points, à commencer par la recherche. Vous avez mentionné que le navire de recherche japonais Mirai II commencerait ses activités dans l’Arctique en 2026. Il peut se poser sur une couche de glace de 1,2 mètre d’épaisseur à une vitesse de 3 nœuds. Or, le Canada ne dispose d’aucun navire capable d’effectuer des recherches dans cette région. Je pense que nous allons gagner du temps grâce à ce navire.

La Garde côtière n’a pas de capacités opérationnelles dans l’Arctique. Elle n’en aura jamais. Maintenant qu’elle relève des Forces armées canadiennes (FAC), elle ne peut plus intercepter et détenir des navires étrangers. Elle n’en a pas les capacités. Elle n’est même pas armée pour le faire.

Nous disposons de frégates flambant neuves capables de naviguer dans les glaces, mais qui ne peuvent pas les briser, ce qui limitera considérablement leurs opérations. Nous venons pourtant de construire ces navires. J’en ai visité un il y a quelques mois. Ce sont des navires exceptionnels, mais ils ne peuvent pas briser la glace et ne disposent pas de capacités de défense antimissile mer-air.

Nous avons donc ici trois éléments, et il y en a peut-être un quatrième dont je ne suis pas au courant, ce qui est très probable, ou un cinquième, un sixième, voire un dixième. Par où le Canada devrait-il commencer parmi tous ces éléments? Il faut bien commencer quelque part.

C’est comme si vous étiez assis à l’AID et que vous disiez : « Cela s’ajoute à notre infrastructure. C’est là que vous devez concentrer vos actions d’approvisionnement. »

M. Obed : Du point de vue des collectivités, la Garde côtière est un service essentiel. Elle brise souvent la glace au printemps pour assurer le premier ravitaillement. En général, le diésel qui alimente nos collectivités — car nous disposons presque exclusivement de générateurs diésel pour produire de l’électricité — est le premier à arriver, ainsi que tous les articles non périssables essentiels. Investir dans des capacités de brise-glace supplémentaires est donc aussi, en quelque sorte, un service rendu aux collectivités.

La plupart des Canadiens ignorent que la plupart de nos denrées non périssables proviennent de Montréal. Où que vous soyez dans l’Arctique canadien, le port de Montréal est la plaque tournante de presque toutes nos 51 collectivités pour le ravitaillement annuel en matériaux de construction, en véhicules de livraison d’eau et d’évacuation des eaux usées, ou encore en motoneiges.

Je reviendrai sur nos collectivités pour répondre à votre question et aborder les considérations qu’il est bon de prendre en compte. Nous disposons du navire Amundsen depuis longtemps. Je suis également vice-président d’ArcticNet, l’organisme qui a géré le temps de navigation de l’Amundsen pendant plus de 10 ans. Nous y avons mené de nombreuses recherches essentielles, mais cela ne relève pas vraiment de la compétence du Canada. Nous n’effectuons pas d’investissements importants dans la recherche en Arctique, à l’exception de la Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique, SCREA, à Cambridge Bay. Nous serions ravis de l’utiliser davantage.

Le gouvernement du Canada a également réalisé d’importants investissements dans la technologie des radars transhorizon. Je sais que les Inuvialuit ont une coentreprise. Ils ont décroché un contrat de 48 millions de dollars pour travailler sur ce projet particulier.

Je dirais que nous souhaiterions établir un partenariat, mais nous ne nous sommes pas suffisamment mobilisés pour pouvoir venir ici et affirmer que c’est notre investissement numéro un.

Le vice-président : Je tiens à vous adresser mes félicitations personnelles, monsieur Obed, et à vous exprimer mon admiration pour votre leadership et vos réalisations.

Si vous avez toujours été très éloquent, pourriez-vous toutefois être plus précis quant à l’ampleur et aux projets ou initiatives liés à l’augmentation des dépenses de défense du Canada? Quelles sont, par exemple, les lacunes les plus urgentes en matière de surveillance, de communications et d’infrastructures dans l’Arctique, qui doivent être comblées pour renforcer à la fois la souveraineté et la sécurité des collectivités inuites?

M. Obed : Je vous remercie. Je commencerai par la connectivité. Au cours des trois dernières années environ, Starlink a remplacé presque tous les autres fournisseurs d’accès Internet sur notre territoire. Même les gouvernements utilisent Starlink. Nous sommes à la merci d’une entreprise et d’une personne qui peuvent utiliser cela à leur avantage ou pour servir leurs intérêts. Je dis cela parce qu’en Ukraine, Elon Musk a souvent évoqué Starlink et l’accès à ce service.

Or, nos collectivités ne disposent pas de connexion par fibre optique et nous militons depuis longtemps en faveur de la connectivité comme facteur d’égalité et comme élément créateur d’équité. Mais aussi parce que, si nous voulons étendre nos opérations militaires et nos capacités de défense dans l’Arctique, disposer d’une technologie de pointe ne peut que nous aider à atteindre cet objectif.

Cela ouvrirait également des possibilités en matière d’éducation et de développement commercial, et garantirait l’équité pour notre population, comme je l’ai dit.

En revanche, les collectivités du Groenland disposent en grande partie d’une connexion par fibre optique et leur ligne se trouve juste au large de l’Atlantique Nord. Ce serait formidable qu’elle soit connectée ou que nous disposions d’un équivalent ici, dans l’Arctique canadien.

Nous avons également des besoins fondamentaux et essentiels en matière d’infrastructures aéronautiques. Certaines collectivités ne disposent toujours pas d’éclairage sur leurs pistes, comme Nain, dans le Nunatsiavut, où, en cas d’incident survenant après le coucher du soleil ou avant l’aube, aucun avion ne peut atterrir ou décoller pendant cette période. Il s’agit de la capitale administrative de l’une de nos quatre régions, stratégiquement située le long de la côte du Labrador.

Il s’agit là de réalités inacceptables auxquelles nous devons remédier. D’autres collectivités disposent de pistes d’atterrissage en gravier qui sont considérées comme des plaques tournantes. Nous devons veiller à pouvoir prolonger et asphalter les pistes afin qu’elles soient prêtes à toute utilisation, qu’il s’agisse de nos militaires ou de la collectivité.

Je voudrais également mentionner à nouveau Inuvik, car cette collectivité s’est associée au gouvernement du Canada pour prolonger la piste, non seulement dans l’intérêt de la collectivité et de la région, mais aussi dans celui de l’armée.

Le vice-président : Merci. Nous en venons à la fin de notre entretien avec le président Obed.

Nous vous remercions, monsieur Obed, d’avoir pris le temps de vous entretenir avec nous aujourd’hui. Nous vous remercions sincèrement pour votre franchise et le temps que vous avez consacré à partager vos réflexions et vos connaissances avec nous.

Nous en restons là pour l’ordre du jour de cette réunion. Notre prochaine réunion aura lieu le lundi 24 novembre à l’heure habituelle, soit 16 heures (HE).

(La séance est levée.)

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