LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 2 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit avec vidéoconférence aujourd’hui, à 10 h 41 (HE), pour étudier le projet de loi S-201, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme.
La sénatrice Rosemary Moodie (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour. Je m’appelle Rosemary Moodie. Je suis sénatrice de l’Ontario et présidente du comité.
Avant de commencer, j’aimerais faire un tour de table et demander aux sénatrices de se présenter.
La sénatrice Osler : Flordeliz (Gigi) Osler, sénatrice du Manitoba.
La sénatrice Senior : Paulette Senior, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Burey : Bienvenue. Je suis Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Arnold : Dawn Arnold, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Hay : Katherine Hay, sénatrice de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, territoire micmac, en Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, nehiyaw. Je suis originaire du territoire visé par le Traité no 6, mais je vis maintenant dans la magnifique partie intérieure de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Muggli : Tracy Muggli. Je viens aussi du territoire visé par le Traité no 6, en Saskatchewan.
La présidente : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Je tiens à présenter mes excuses au comité pour avoir commencé la séance tardivement.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-201, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme. Nous accueillons aujourd’hui, pour le premier groupe d’experts, composé de Biba Tinga, présidente et directrice générale de l’Association d’anémie falciforme du Canada, de Liben Gebremikael, chef de la direction du Centre de santé communautaire TAIBU, et d’Ulysse Guerrier, président de l’Association d’anémie falciforme de l’Ontario. Nous souhaitons également la bienvenue à Lanre Tunji-Ajayi, présidente et directrice générale du Sickle Cell Awareness Group of Ontario, qui se joint à nous par vidéoconférence. Je vous remerci tous de votre présence.
Chacun de vous disposera de cinq minutes pour faire sa déclaration préliminaire. Ces interventions seront suivies des séries de questions des membres du comité. Nous commencerons par entendre Mme Tinga. Vous avez la parole, madame.
[Français]
Biba Tinga, présidente et directrice générale, Association d’anémie falciforme du Canada : Bonjour, madame la présidente et bonjour, honorables membres du comité. Je m’appelle Biba Tinga et je me présente devant vous aujourd’hui non seulement en tant que présidente de l’Association d’anémie falciforme du Canada, mais également en tant que mère d’un fils guerrier; je suis aussi la voix de toutes les familles, membres de la communauté et autres personnes qui luttent quotidiennement contre cette maladie dévastatrice.
Lorsque le projet de loi S-201 sera adopté, il garantira que toutes les personnes touchées par cette maladie ont toujours une voix.
Mon fils Ismaël, qui a 36 ans, a dû vivre avec la maladie falciforme, qui provoque des douleurs atroces attribuables à la stagnation du sang, en particulier lorsque cela se produit dans les articulations ou dans les organes.
Malgré cette situation difficile non seulement pour Ismaël, mais aussi pour toute la famille, il a survécu, il peut surmonter ses épisodes de douleurs et il a réussi à maintenir un emploi de technicien en pharmacie depuis 2009. Cependant, notre famille doit constamment être prête à soutenir sa santé fragile.
Pour les parents dans la salle, vous comprendrez le niveau de stress que tout cela impose à notre vie quotidienne. Le système de soins de santé actuel ne reconnaît pas pleinement les défis auxquels nous sommes confrontés : options de traitement limitées, approvisionnement en sang inadéquat, stigmatisation et discrimination persistantes.
Les épisodes de douleur débilitante et la fatigue chronique empêchent les personnes touchées de vivre leur vie pleinement. En tant que mère, je m’inquiète pour l’avenir de mon fils, ainsi que pour les nombreux problèmes auxquels il pourrait être confronté.
J’ai mis ma carrière de fonctionnaire fédérale en suspens pour me consacrer à cette cause bénévolement et à ma famille. De plus, je crains qu’à l’avenir, ma pension réduite ne soit pas suffisante pour soutenir mon fils si la maladie l’empêche de travailler.
Il n’y a pas de disposition pour nous dans le système. Nous ne comptons pas. Notre communauté est ignorée. C’est pourquoi moi, ainsi que notre association nationale et ses organisations membres soutenons fortement ce cadre national sur la maladie falciforme.
En mon nom personnel et au nom de toute notre communauté, j’aimerais remercier l’honorable Marie-Françoise Mégie d’avoir pris cette initiative et de mettre de l’avant ce projet de loi qui combine tous nos besoins. Nous avons absolument besoin des nombreuses dispositions prévues dans ce projet de loi, notamment la reconnaissance de la maladie falciforme en tant que handicap, un soutien accru et un accès équitable aux soins et l’inclusion de nos voix dans le processus décisionnel.
Il s’agit donc simplement de nous écouter et de nous entendre.
La reconnaissance de cette maladie en tant que handicap procurerait une certaine tranquillité d’esprit, comme l’indiquent les septième et huitième points du projet de loi S-201. Il est grand temps que le système de santé reconnaisse les plus de 6 500 personnes touchées par cette maladie au Canada. Cela nous permettrait de vivre quand on est hospitalisé, quand on est ponctuellement handicapé ou quand on est entre deux emplois.
Je vous implore, honorables sénatrices et sénateurs présents aujourd’hui, de reconnaître l’importance de combler les lacunes existantes en matière de soins et de soutien. Ensemble, nous pouvons faire une différence considérable pour ceux qui sont touchés par ce handicap invisible et dynamique. Je vous demande d’adopter des mesures concrètes pour améliorer la vie des personnes touchées par la maladie. Nous comptons sur vous pour faire une différence. Merci de l’attention que vous portez à cette question cruciale.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie, madame Tinga. Monsieur Gebremikael, vous avez la parole pendant cinq minutes.
Liben Gebremikael, chef de la direction, Centre de santé communautaire TAIBU : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Bonjour, chers invités. Je suis le chef de la direction du Centre de santé communautaire TAIBU.
Je voudrais commencer mes observations en rendant hommage à une personne importante qui a beaucoup œuvré dans le domaine de la maladie falciforme au sein de nos collectivités : feue Mme Lillie Johnson. J’ai eu le privilège de travailler avec elle et avec l’Association d’anémie falciforme de l’Ontario. Elle est décédée en août à l’âge de 103 ans. Je me demande ce qu’elle aurait dit si elle était ici avec nous aujourd’hui.
C’est avec beaucoup d’humilité et un immense privilège que je comparais devant vous en tant que témoin, et je tiens également à souligner l’importance considérable de ce processus et de ce cadre sur la maladie falciforme. J’aimerais saluer et reconnaître la vision, l’initiative et le travail accompli dans ce domaine.
TAIBU a été créé en 2008 pour lutter contre la marginalisation, les inégalités et les disparités en matière de santé auxquelles sont confrontées les communautés noires dans la région du Grand Toronto. Ces 17 dernières années, nous avons eu le privilège de mener à bien de nombreux projets et d’être reconnus comme un leader dans le domaine de la santé des Noirs. Notamment, depuis le début de notre parcours, nous collaborons avec Mme Lillie Johnson et l’Association d’anémie falciforme de l’Ontario à la conception et à la mise en œuvre d’un projet de service spécialisé de soins primaires communautaires destiné aux personnes atteintes d’anémie falciforme à Toronto et dans la région du Grand Toronto. Ce service a permis d’offrir un soutien complet et intégré et a donné des résultats exceptionnels, notamment un meilleur accès aux services de conseil génétique et de soins primaires; une réduction du nombre de crises d’anémie falciforme qui, selon les enquêtes de satisfaction auto-déclarées, a diminué de 50 % dans certains cas; une augmentation de l’accès aux professionnels paramédicaux, notamment aux infirmières, aux diététiciens et aux travailleurs sociaux; et une réduction significative du nombre de visites aux services d’urgence, qui, selon l’une des études que nous avons menées, a diminué de 65 %. Cette étude a également révélé une amélioration de l’accès à d’autres formes de soutien psychosocial. Ce cadre est très important, car il nous aide à maintenir notre attention sur un problème qui est invisible.
Nous disons toujours que tout comme cette maladie, les communautés touchées par l’anémie falciforme sont invisibles. Ce cadre nous offre donc une orientation et nous permet de modifier des politiques, de promulguer des lois, d’allouer des ressources, et d’élaborer des stratégies et des mesures. Nous avons déjà constaté que le projet de loi contient certains éléments absolument essentiels. Je n’aurai pas le temps de tous les citer, mais selon mon avis professionnel, les bases sont très bonnes. Le projet doit toutefois être renforcé dans certains domaines.
TAIBU dispose d’un « modèle de santé et de bien-être des Noirs » qui repose sur les principes suivants: lutter contre le racisme anti-Noirs, qui reste l’un des problèmes fondamentaux, et intégrer les valeurs et principes afrocentriques dans notre travail. Il s’agit notamment de l’Ujima, ou travail et responsabilité collectifs, et l’Ubuntu, qui signifie « Je suis parce que nous sommes ». Nous avons ici une excellente occasion d’avoir ce genre de conversations au cours de l’examen de ce cadre.
Nous avons trois piliers fondamentaux: la prévention, la restauration et l’amélioration. Souvent, les systèmes réagissent aux problèmes lorsque nous nous trouvons au pied de la falaise et que les choses ont déjà mal tourné. Le cadre doit nous aider à prendre du recul et à examiner les situations en amont. Voici quelques exemples: l’anémie falciforme ne commence pas à l’hôpital, mais dans la communauté. Comment pouvons-nous mettre en lumière certains des problèmes à résoudre? Lorsque nous avons entamé ce processus, nous avons évalué les besoins et recensé les ressources disponibles, et nous avons constaté que les personnes atteintes de cette maladie, en particulier celles âgées de plus de 18 ans — pour celles qui ont moins de 18 ans, il existe un excellent service à SickKids, par exemple, à Toronto —, n’ont accès à aucun service dans leur collectivité. Ces personnes dépendent des soins hospitaliers, qui sont également insatisfaisants.
Je recommanderais deux choses dans l’établissement de ce cadre, soit que les soins soient dispensés par les organismes communautaires et qu’on mise sur la prévention. C’est un bon modèle. L’autre objectif auquel nous travaillons avec l’Association d’anémie falciforme de l’Ontario, c’est la mise en place de protocoles dans les services d’urgence des hôpitaux. Quand un patient atteint d’anémie falciforme arrive à l’hôpital en crise, s’il est examiné dans les 30 minutes suivant son arrivée et qu’on lui administre des analgésiques, qu’on le réhydrate et, au besoin, qu’on lui donne de l’oxygène — ce qui n’est pas toujours nécessaire —, il peut sortir de l’hôpital très vite. Le cadre devrait prévoir que tous les hôpitaux disposent de directives et d’un protocole pour les services d’urgence afin de garantir ce genre de soins.
La présidente : Votre temps de parole est écoulé. Nous espérons pouvoir entendre tout ce que vous avez à dire en réponse à nos questions.
Monsieur Guerrier, vous avez la parole.
Ulysse Guerrier, président, Association d’anémie falciforme de l’Ontario : Bonjour, je salue les honorables sénateurs et tous les témoins. Je vous remercie de me permettre de prendre la parole aujourd’hui à l’appui du projet de loi S-201, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme, loi porteuse d’espoir. Je m’appelle Ulysse Guerrier. Je suis né guerrier et je suis atteint de cette maladie, si bien que je la porte pour aider la communauté.
Je ne suis qu’un Canadien atteint d’anémie falciforme, mais aujourd’hui, je ne parle pas seulement en mon nom, je parle au nom de milliers de Canadiens dont la voix reste silencieuse jour après jour.
L’anémie falciforme est une maladie congénitale. Elle a façonné chaque aspect de ma vie. J’ai subi des interventions chirurgicales auxquelles la plupart des gens ne sont jamais confrontés, comme l’ablation de la vésicule biliaire, une chirurgie de la hanche, l’insertion d’un cathéter central par voie périphérique et de cathéters Port-A-Cath et même une chirurgie osseuse rare.
La douleur est incessante et les dommages, permanents. Pourtant, je suis toujours là, alors que deux de mes frères et sœurs ne le sont plus. Chaque matin, avant de pouvoir me lever, j’ai besoin de puissants narcotiques — de l’oxycodone, de l’OxyNEO et même d’un timbre de fentanyl —, juste pour pouvoir fonctionner. Je manque quatre à cinq jours de travail par mois pour recevoir des traitements, et plus encore en cas de complications. Comme cette maladie est invisible, beaucoup ne comprennent pas ce qu’elle implique. Cependant, les inégalités créées par la société aggravent la situation. L’anémie falciforme n’est pas reconnue comme un handicap au Canada, ce qui signifie que nous n’avons pas droit au crédit d’impôt pour les personnes handicapées. Il n’y a pratiquement pas de financement consacré à la recherche, les médecins étant davantage orientés vers l’oncologie, ce qui fait de la clinique des globules rouges du University Health Network le seul centre spécialisé dans l’anémie falciforme au Canada, un centre en sous-effectif, sous-financé.
Le racisme systémique aggrave encore les inégalités. La thalassémie, une autre maladie du sang, attire souvent davantage l’empathie et les ressources. Pendant ce temps, les patients atteints d’anémie falciforme, principalement des personnes noires d’origine afro-caribéenne, sont laissés pour compte. Les politiques sur le don de sang excluent les donneurs afro-caribéens en raison de critères de non-admissibilité obsolètes liés au paludisme, ce qui nous prive des donneurs les plus compatibles et rend les transfusions dangereuses. Bien que la thérapie génique ait été approuvée au Canada l’année dernière, son coût de près de 3 millions de dollars américains en fait un remède de nom seulement.
Nous avons besoin d’un cadre national clair et de centres d’excellence pour l’anémie falciforme, des centres qui rassemblent des hématologues, des spécialistes de la douleur, des infirmières, des travailleurs sociaux, des diététiciennes et des agents de santé communautaires, où nous ne serions pas considérés comme des toxicomanes, mais traités avec dignité et compassion.
Sénateurs, le projet de loi S-201 n’est pas qu’une simple politique. Pour des personnes comme moi, c’est une bouée de sauvetage. Pendant que certaines organisations utilisent cette maladie pour en tirer des avantages financiers et politiques, la communauté continue de souffrir. Nous espérons que le Sénat reconnaîtra l’anémie falciforme pour ce qu’elle est : une maladie incurable et invalidante qui nécessite des soins coordonnés et empreints de compassion de la part d’organismes communautaires comme l’Association canadienne d’anémie falciforme, le Centre de santé communautaire TAIBU et l’Association d’anémie falciforme de l’Ontario, qui n’ont qu’un seul but : veiller à ce que les personnes atteintes d’anémie falciforme aient la même qualité de vie que tous les autres Canadiens.
Je suis là devant vous aujourd’hui parce que j’ai survécu, contrairement à mes frères et sœurs. Les médecins disaient que je ne vivrais pas au-delà de 4 ans, puis de 10 ans, puis de 20 ans, mais je suis toujours là. Cependant, survivre ne suffit pas. Que vaut une vie sans dignité, sans équité, sans la possibilité de vivre pleinement? Je vous demande donc, sénateurs : allez-vous nous aider? Allez-vous faire en sorte que les personnes atteintes d’anémie falciforme ne soient plus invisibles dans ce pays, ou allez-vous laisser une autre génération tomber dans l’oubli et continuer de souffrir? Le choix vous appartient.
Merci.
La présidente : Merci, monsieur Guerrier.
Madame Tunji-Ajayi, vous avez la parole. Je crois comprendre que vous avez préparé un petit exposé pour nous.
Lanre Tunji-Ajayi, présidente et directrice générale, Sickle Cell Awareness Group of Ontario : Merci beaucoup de m’accueillir. Bonjour, madame la présidente et honorables membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. C’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui. J’ai moi-même vécu l’expérience de l’anémie falciforme, ayant perdu mon frère des suites de complications de cette maladie. Je milite également au service de la communauté des personnes atteintes d’anémie falciforme au Canada et dans le monde.
L’anémie falciforme touche des personnes dont les ancêtres sont originaires d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique du Sud, des Caraïbes ou d’Asie du Sud-Est. Cependant, parmi toutes ces communautés, l’anémie falciforme touche tout particulièrement les personnes qui s’identifient comme noires.
Au Canada, environ 6 500 personnes sont atteintes d’anémie falciforme, dont 3 500 vivent en Ontario. Le projet de loi S-201 n’est pas le premier projet de loi national sur l’anémie falciforme à être présenté au Canada. Il y a eu les projets de loi C-605 et C-221 auparavant, et nous devons accomplir aujourd’hui ce que nous n’avons pas réussi à accomplir avec ces projets de loi. Si l’on fait la comparaison avec ce qui se fait pour des maladies telles que l’hémophilie et la fibrose kystique, on constate d’énormes disparités en matière de financement et de recherche. Il faut combler l’écart et améliorer l’équité pour les maladies récessives autosomiques.
Je tiens également à mentionner que pour le diabète, le Sénat a appuyé la création d’un cadre national afin de garantir la mise en place d’un cadre national pour cette maladie. Cela a joué un rôle essentiel dans le déploiement de médicaments contre le diabète, qui ont ensuite été inclus dans le projet de loi sur l’assurance-médicaments.
J’encourage le comité à étudier attentivement le projet de loi proposant une stratégie nationale sur la maladie falciforme. Bien que le projet de loi actuel contienne une bonne partie des mesures nécessaires pour améliorer l’espérance de vie des personnes atteintes de la maladie falciforme, je pense qu’il pourrait encore être amélioré de manière à inclure tous les aspects nécessaires pour garantir que les personnes atteintes de la maladie au Canada aient accès aux soins appropriés au moment opportun, qu’elles vivent dans une grande ville ou dans une zone rurale, et qu’elles puissent bénéficier de soins de qualité où qu’elles se trouvent au Canada.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir invitée.
La présidente : Merci à tous pour vos déclarations liminaires. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Pour ce groupe de témoins, les sénateurs disposeront de quatre minutes pour poser leurs questions et entendre les réponses. Veuillez indiquer si votre question s’adresse à un témoin en particulier ou à l’ensemble des témoins.
La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question porte sur les normes, car le projet de loi S-201 prescrit que le cadre national comprenne des normes nationales.
Je remarque que Qualité des services de santé Ontario a établi une norme de qualité visant à améliorer les soins prodigués aux personnes de tous âges atteintes de la maladie falciforme. Vos organisations connaissent-elles la norme de qualité de Qualité des services de santé Ontario? Est-elle adéquate? Souhaiteriez-vous y voir ajouter quelque chose? S’agit-il d’une norme de qualité qui pourrait être reprise et devenir une norme nationale?
M. Gebremikael : C’était l’un de points que je souhaitais aborder, donc je vous remercie de poser cette question, parce que je n’avais pas eu la chance de terminer.
Absolument. Je suis membre du Comité ontarien des normes de qualité et j’ai eu le privilège de lancer la norme de qualité sur la drépanocytose. C’est une avancée très importante. On est en train de la mettre en œuvre. Il faudra du temps avant qu’elle ne soit bien intégrée, mais elle est assez complète. Nous avons beaucoup consulté les membres de la communauté pendant son élaboration.
C’est un excellent moyen non seulement pour garantir la qualité, mais aussi pour veiller à ce que les établissements de soins primaires ou de santé respectent la norme. Je recommanderais que le cadre prescrive également une norme nationale en matière de soins, une norme de qualité pour la drépanocytose. Je suis tout à fait d’accord.
Mme Tinga : Pour nous, il n’est pas question de réinventer la roue ou de recommencer à zéro. Notre plan, pour ce cadre, c’est bien sûr de reprendre la norme déjà mise en œuvre dans une province, si tout se passe bien, puis de l’étendre à l’échelle nationale. C’est l’objectif et l’intention.
M. Guerrier : Nous continuons de peaufiner la norme de soins en Ontario. Une partie du travail du comité consiste à ajouter les éléments qui manquent dans ce cadre, car cette norme n’est en vigueur que depuis quatre ans. Il reste encore beaucoup de choses à modifier, et nous devons également nous assurer de pouvoir la faire respecter. C’est l’aspect le plus important : la mise en application, qui suit son cours actuellement.
Mme Tunji-Ajayi : Je fais partie du Comité consultatif sur la norme de qualité relative à la drépanocytose en Ontario. Cela fait partie des efforts déployés par le Sickle Cell Awareness Group of Ontario pour garantir l’établissement d’une norme de qualité. En tant que membre du comité consultatif, j’ai pu participer à ces travaux du point de vue des patients et de leurs familles.
Je tiens à souligner que cette norme de qualité est excellente. Elle a été établie et est actuellement mise en œuvre.
Nous avons récemment organisé une rencontre au cours de laquelle les membres de la communauté pouvaient faire part de leurs commentaires à Santé Ontario sur la qualité des soins depuis la mise en œuvre du cadre. Santé Ontario a pris note de tous ces commentaires précieux. Certains étaient positifs, d’autres moins, mais il est important d’en prendre acte et de les utiliser pour continuer à améliorer la norme de qualité.
D’après ce que disent les familles, jusqu’à présent, la norme est efficace, même s’il arrive encore que des patients se présentent à l’hôpital et n’obtiennent pas d’analgésiques assez vite. Les familles remarquent toutefois que le délai d’administration du premier analgésique pour soulager la douleur a considérablement diminué, ce qui est une bonne chose. On est sur la bonne voie, et je dirais que c’est un modèle qui pourrait être reproduit dans d’autres provinces.
La sénatrice Hay : Tout d’abord, je vous suis profondément reconnaissante d’être ici, grâce à la plateforme numérique, et je suis très touchée par votre parcours et les pertes que vous avez subies. Merci beaucoup.
J’ai un commentaire à faire sur ce qui a été dit. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment d’équité absolue dans les soins de santé; prenons la santé mentale, par exemple, où il y a moins de soins, et la maladie falciforme est une maladie orpheline invisible. Je le reconnais, et je reconnais aussi l’existence de préjugés inconscients et conscients. Ce que je veux dire, c’est que nous devons faire mieux, et j’espère que ce cadre permettra d’y parvenir.
Mes questions portent sur la santé mentale et tout le soutien en santé mentale, sur la place que cela devrait occuper dans ce cadre.
Ma deuxième question est beaucoup plus générale : qu’espérez-vous de ce cadre dans cinq ans? Que changera-t-il pour la maladie falciforme et le parcours des personnes qui en sont atteintes?
Mme Tinga : Merci, sénatrice, de votre reconnaissance et de votre commentaire. C’est une excellente question. Parlons un peu de santé mentale.
Imaginez ce que M. Guerrier a décrit : la douleur et tout ce qu’il a vécu, la perte de ses frères et sœurs. Imaginez ce que c’est que d’être parent et d’élever un enfant dans ces conditions, sans aucun soutien en santé mentale.
Vous est-il déjà arrivé d’aller à l’hôpital et d’avoir la possibilité de parler à un thérapeute ou à un psychologue de ce que vous viviez, de la douleur et des complications?
M. Guerrier : Non.
Mme Tinga : Non, parce qu’il n’y a pas de prise en charge globale.
Si on disposait d’équipes de soins complets, alors on aurait accès à un hématologue et à tous les spécialistes, dont des thérapeutes et des psychologues. En l’absence de soutien en santé mentale, les familles se retrouvent sans aide professionnelle pour faire face à la situation, ce qui est terrible.
En tant que parent, j’ai parfois besoin de soutien. En tant que leader communautaire, je trouve parfois très difficile de surmonter les pertes que nous subissons sans soutien.
Dans cinq ans, nous espérons que tous ces besoins seront pris en compte si le gouvernement fédéral crée un cadre que les provinces pourront utiliser et veille à en assurer une bonne gouvernance, non seulement pour venir en aide à tous les Canadiens atteints de la maladie falciforme, mais aussi pour alléger le fardeau qu’elle représente pour le système, car c’est un fardeau bien lourd. Quand on néglige un aspect de cette maladie, on crée d’autres problèmes qui durent toute la vie et coûtent très cher.
Nous espérons qu’à terme, il y aura plus d’équité, que nous serons inclus dans le système de santé et que nous bénéficierons de soutien pour pouvoir nous épanouir et contribuer à la société canadienne.
J’aimerais bien reprendre mon poste de fonctionnaire, poursuivre ma carrière et servir mon pays, mais je ne peux pas le faire parce que cette cause me prend beaucoup de temps et que quelqu’un doit s’en occuper.
M. Gebremikael : C’est possible. Quand les soins sont prodigués dans la communauté et qu’ils sont complets, la santé mentale en fait partie. Je n’en vis pas moi-même l’expérience, mais les personnes qui la vivent, ou les « guerriers », comme nous les appelons, sont comme enfermés dans l’univers de l’anémie falciforme, comme si rien d’autre n’existait pour eux.
En collaboration avec l’Association d’anémie falciforme de l’Ontario, le Centre de santé communautaire TAIBU offre justement ce genre de service complet.
Lorsque nous avons mené notre sondage de satisfaction, notre équipe comprenait un médecin, mais aussi un travailleur social, une diététicienne et une infirmière, et le service le plus apprécié n’était pas celui du médecin, mais celui du travailleur social, car il s’occupait des questions de santé mentale. Il s’occupait de ces problèmes en particulier. Ensuite, la communauté a également créé son propre groupe d’entraide, qui se réunit régulièrement pour offrir du soutien par les pairs.
La présidente : Merci.
M. Gebremikael : C’est donc possible. Dans cinq ans, je pense que c’est ce que nous souhaiterions voir, que les gens puissent venir et être considérés pour ce qu’ils sont et pas seulement comme un petit...
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Muggli : Merci d’être ici.
Monsieur Guerrier, je vous remercie de vos commentaires sur la douleur. J’ai une formation de travailleuse sociale et j’ai dirigé un hôpital pendant cinq ans. La gestion de la douleur était une partie importante de notre travail, et il était difficile d’apporter un soutien psychologique aux gens, donc je vous remercie vraiment de ces observations.
Madame Tinga, mère guerrière, et monsieur Guerrier, je serais curieuse de savoir quelle serait votre priorité numéro un ici. Si vous deviez fixer une priorité numéro un — au nom de votre fils, madame Tinga, et pour vous-même, monsieur Guerrier — quelle serait la principale mesure que vous souhaiteriez voir figurer dans ce cadre?
Mme Tinga : L’anémie falciforme est une maladie multisystémique. Cela signifie que partout où le sang circule, une crise peut survenir et qu’il peut y avoir des séquelles dans n’importe quel organe. La plupart du temps, ces personnes ne sont pas en quête de drogue et elles ne sont pas paresseuses; elles souhaitent travailler. Cependant, elles perdent parfois leur emploi à cause de cela. Comme l’a mentionné M. Guerrier, il s’absente parfois du travail — seulement quatre jours par mois —, mais certains employeurs ne voudront pas garder un tel employé. Ces personnes ont besoin de soutien lorsqu’elles sont entre deux emplois ou qu’elles sont incapables de travailler à cause de la maladie.
Il faut reconnaître que l’anémie falciforme constitue une forme de handicap au Canada, afin de mieux soutenir les personnes qui en sont atteintes et nous, leurs aidants, pour que nous n’ayons plus à payer leur loyer lorsqu’elles ne travaillent pas pendant une semaine. Lorsque mon fils ne travaille pas pendant deux semaines, il n’est pas rémunéré. Il travaille dans le secteur privé, et qui va payer son loyer? La famille.
M. Guerrier : J’abonde dans le même sens que Mme Tinga, et je dirais qu’il faut allouer des fonds pour prendre en charge la maladie falciforme. En ce qui concerne le crédit d’impôt pour personnes handicapées, je pense qu’il faut avant tout que la maladie soit considérée comme un handicap et l’inscrire à la liste afin qu’elle soit traitée comme une maladie connue plutôt que de jouer aux devinettes.
Lorsque nous allons à l’hôpital, les médecins nous disent : « Je ne connais pas bien cette maladie. Je ne vois pas beaucoup de patients atteints de drépanocytose à l’hôpital. » Puis ils essaient de deviner comment nous soigner. Les choses ne devraient pas se passer ainsi en 2025.
Si des fonds sont dédiés à la maladie falciforme — il faut d’abord qu’elle soit reconnue —, nous pourrions alors y consacrer différentes ressources. Je pense que c’est le plus important à mes yeux.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Je vais vous poser ma question en français. Vous avez collectivement répondu à ma question, car je voulais avoir du contexte quant à l’importance de reconnaître cette maladie comme un handicap. Merci beaucoup pour cette réponse. Je continue en vous demandant ceci : pourquoi cela n’est-il toujours pas fait? Qu’est-ce qui bloque? À quels échelons y a-t-il de la résistance? Je sais que c’est déjà fait ailleurs; si je comprends bien, aux États-Unis, la maladie falciforme est reconnue comme un handicap. Pourquoi n’est-ce pas déjà le cas ici? Enfin, vous l’avez mentionné hier, et vous en avez parlé un peu aujourd’hui : d’où vient cette stigmatisation qui existe? Est-ce parce que c’est une maladie invisible pour les personnes qui ne sont pas au courant? D’où cela vient-il? Je peux m’imaginer les conséquences de cette stigmatisation pour les jeunes, les enfants, les écoles, l’accès à des mesures d’adaptation...
Mme Tinga : Merci beaucoup de votre commentaire. Pourquoi n’est-ce pas déjà fait? On l’a dit : nous sommes une communauté oubliée et ignorée, et la majorité des personnes affectées au Canada sont noires. Cela vient donc déjà avec une certaine négligence où nous sommes des minorités visibles, mais invisibles quand il s’agit d’avoir accès à certains services. Voilà le premier enjeu. C’est pour cela qu’on élève nos voix et qu’on partage nos expériences. Il y a aussi le caractère invisible de la maladie. Regardez M. Guerrier, qui vous a dit quelles complications il avait; c’est l’une des complications que personne d’autre n’a au Canada. Il y a deux personnes connues aux États-Unis qui vivaient avec cette complication et qui ne sont plus vivantes aujourd’hui. Les médecins ne savent pas quoi faire, parce qu’il n’existe pas de recherche à cet effet. Quand un malade se présente devant un professionnel de la santé pour dire qu’il a besoin d’arrêter de travailler, on dira qu’il est juste fainéant.
M. Guerrier a parlé des prescriptions qu’il prend le matin, et vous allez penser qu’il y a de la dépendance ici. Oui, il est dépendant du traitement dont il a besoin pour survivre, mais la dépendance, ce n’est pas la même chose. Tout cela crée une stigmatisation autour de la maladie, et même les professionnels de la santé qui soignent ces malades jugent parfois et se demandent si la douleur est vraiment réelle, parce qu’elle n’est pas visible. C’est très difficile pour nous de prouver que la personne n’est pas bien, car ce sont des souffrances internes. À moins qu’il s’agisse d’une nécrose et que la personne boite, alors on la prendra au sérieux.
M. Guerrier : Le fait que la maladie falciforme affecte en majorité les personnes racisées fait en sorte que cela n’a pas d’importance dans l’ensemble du système. C’est systémique. Je suis tombé, je me suis fracturé le bras, cela faisait mal, mais pas aussi mal que mes douleurs causées par l’anémie falciforme. J’ai cassé mon bras en soirée, j’ai mis de la glace dessus, puis de la chaleur, puis je me suis couché, mais je n’ai pas pris de médicaments contre la douleur.
Le lendemain, quand je me suis levé, mon bras était enflé et super gros. La réaction à l’urgence a été immédiate : ils ont immédiatement déroulé le tapis rouge, j’ai eu un excellent service avec ce département. Cela a prouvé, à mes yeux, que parce qu’ils ont vu quelque chose, ils ont agi rapidement. J’aimerais voir cette même réaction quand je me présente à l’urgence avec une crise d’anémie falciforme. Il faut éduquer les professionnels de la santé. Ils regardent comment le patient se présente; si je ne crie pas, si je ne montre pas extérieurement que cela va mal, on ne me prend pas au sérieux. Imaginez, je suis né avec cette maladie. Pendant toutes ces années, j’ai appris à tolérer ma douleur. J’ai mal en ce moment, mais cela ne paraît pas; quelqu’un qui me connaît verra dans mon visage que je souffre, mais quelqu’un qui ne me connaît pas ne le saura pas.
[Traduction]
La sénatrice Senior : Je vous suis également reconnaissante de vos témoignages aujourd’hui. Je tiens à vous remercier tout particulièrement, monsieur Gebremikael, non seulement parce que nous nous connaissons, mais aussi parce que je connais l’organisation que vous dirigez. Je sais que vous offrez des soins intégrés et à quel point la communauté y tient, y compris ma mère et ma tante, qui sont allées se faire soigner à votre centre. Je vous en remercie.
J’aimerais beaucoup que le modèle de soins de santé intégrés dispensés par TAIBU soit reproduit pour la drépanocytose, car c’est le type d’initiative communautaire dont nous avons besoin.
J’apprécie également la façon dont vous avez démontré que ces gens sont doublement pénalisés par une maladie invisible et par le racisme que subissent les Noirs dans le système de santé. Je trouve important de le reconnaître officiellement et de comprendre à quel point ce cadre est essentiel. Je comprends également qu’il manque des éléments essentiels, comme vous l’avez souligné. Ce dont nous n’avons probablement pas encore entendu parler, ce sont les liens qui se tissent non seulement en Ontario et au Québec, mais aussi à l’échelle du pays. Il faut voir ce que font les autres provinces et territoires pour s’assurer qu’il s’agit d’un véritable cadre national. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Mme Tinga : C’est pourquoi nous avons besoin d’un cadre national, n’est-ce pas? C’est pour pouvoir le présenter aux provinces et leur dire : « Voici le cadre national sur la maladie falciforme, et nous attendons de vous que vous le mettiez en œuvre dans votre province et à votre travail. »
De plus, il y a des personnes atteintes de drépanocytose dans chaque province canadienne. Encore une fois, ce n’est pas une maladie qui touche uniquement les Noirs, mais bien un trouble sanguin. Nous devons veiller à bien comprendre que les Noirs ne sont pas les seuls à être frappés par la maladie. Il est vrai que la majorité des personnes atteintes sont noires, mais il s’agit d’un trouble sanguin. N’importe qui peut l’avoir. En agissant ainsi, nous rendons service à tous les Canadiens.
Nous y travaillons. Nous avons de petits groupes. Disons que nous en avons un en Colombie-Britannique et un autre au Manitoba. Nous avons des gens qui travaillent en Saskatchewan. Il y a des communautés partout. Au Nouveau-Brunswick, nous avons une communauté. Et en Nouvelle-Écosse aussi, bien sûr. Les provinces se sont réunies. Même à l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons des personnes atteintes de drépanocytose. La maladie est présente partout au pays. C’est pourquoi nous avons besoin d’un cadre qui nous permettra de travailler de façon cohérente au pays.
Mme Tunji-Ajayi : Merci beaucoup. Je tiens à remercier la sénatrice Senior pour son commentaire sur la manière de garantir que ce cadre national soit véritablement national. Je voudrais prendre l’exemple d’un simple médicament appelé hydroxyurée, qui est utilisé pour traiter la drépanocytose. Il a d’abord été approuvé par Santé Canada pour le traitement du cancer, mais d’une manière ou d’une autre, nous avons constaté que ce médicament pouvait aider à traiter la maladie falciforme. Vous pouvez imaginer que les patients atteints de drépanocytose finissent généralement par être hospitalisés — disons tous les mois ou aux deux mois. Si vous pensez à l’aspect économique de la santé, une hospitalisation sans passer par les soins intensifs peut coûter jusqu’à 20 000 $ pour une semaine environ.
Les personnes atteintes de drépanocytose qui prennent de l’hydroxyurée peuvent ne pas avoir une seule crise en cinq ans, alors qu’elles se retrouvaient souvent à l’hôpital et manquaient leur travail et leur vie. Ces personnes peuvent devenir des mères ou des pères. Elles peuvent travailler. Elles peuvent vivre leur vie. Elles peuvent vraiment avoir une bonne qualité de vie.
Ce médicament ne coûte qu’environ 100 $ par mois pour la version générique, bien sûr, ce qui permet à la plupart des familles de se le procurer. Pourtant, même à ce prix, tout le monde n’en a pas les moyens.
La présidente : Je vous remercie.
Mme Tunji-Ajayi : Mais si nous en avons les moyens, nous le ferons. Je vous remercie.
Nous devons reproduire ce modèle. À l’instar d’une province comme l’Alberta qui distribue gratuitement ce médicament aux patients, nous devons veiller à ce que ce soit possible dans tout le pays. Merci.
La présidente : Je rappelle à tout le monde que nous devons respecter le temps imparti. Madame la sénatrice Bernard, pouvez-vous adresser votre question à un témoin, je vous prie? Merci.
La sénatrice Bernard : Comme vous pouvez le constater, nous pourrions passer beaucoup de temps avec vous. Il est vraiment important de pouvoir compter sur votre expertise pratique. La sénatrice Senior a fait une remarque que je voudrais reprendre : l’importance de nommer le racisme systémique envers les Noirs dans les soins de santé et le travail de TAIBU, que vous avez souligné. Certaines de mes questions ont déjà été posées et ont reçu une réponse. Je vais demander une chose. Je suis désolée, mais je ne pourrai pas cibler un témoin. Si l’un d’entre vous se sent appelé à répondre, allez-y.
Le cadre proposé traite de l’éducation, de la formation et de la recherche. Selon vous, que changerait-il aux programmes d’études proposés dans les professions médicales et les autres professions de la santé? Est-ce que c’est déjà commencé? Comment le cadre aidera-t-il concrètement à ce chapitre?
M. Gebremikael : Je pense que c’est essentiel, comme l’indique déjà le cadre. Je vous remercie également, car j’allais dire pourquoi ce n’est pas encore fait. C’est attribuable aux problèmes systémiques et au racisme structurel que nous rencontrons.
La première fois que j’ai rencontré le regretté Dr Graham Serjeant, il m’a dit : « La maladie falciforme est évitable. » Et je lui ai répondu : « Quoi? » Elle peut être évitée si nous disposons d’une éducation, d’une sensibilisation et d’un engagement public adéquats, si nous connaissons notre état de santé et si nous prenons des décisions éclairées.
Mais comme M. Guerrier l’a dit tout à l’heure, nous constatons également que le système de santé n’est ni bien outillé ni informé par manque d’expérience. C’est pourquoi des patients comme lui ont cessé de consulter leur médecin traitant, car ils se faisaient répondre que c’est une urgence et qu’ils doivent aller à l’hôpital. M. Guerrier a donc cessé d’aller chez le médecin, car il sait que s’il y va, on lui dira d’aller à l’hôpital.
Nous avons collaboré avec le Collège Humber, où nous avons sensibilisé les infirmières afin qu’elles connaissent un peu mieux la maladie, ses complications et ses traitements. Je pense qu’il est impératif que cet apprentissage fasse partie de la formation des professionnels de la santé.
Nous avons constaté que la nutrition joue un rôle très important dans la prise en charge de la drépanocytose. Nous avons élaboré des recommandations nutritionnelles pour les personnes qui en sont atteintes. La maladie doit être intégrée au programme de formation de toutes les disciplines, pas seulement des médecins de première ligne ou des infirmiers praticiens, mais aussi du personnel infirmier, des travailleurs sociaux et des nutritionnistes. Ce sera très important.
Une dernière chose que je voudrais dire, c’est que cette maladie peut être évitée grâce au dépistage néonatal, pour être honnête. C’est dans le cadre actuel, et je dois toujours mentionner nos ancêtres. Mme Lillie Johnson a beaucoup travaillé pour mettre en place le dépistage néonatal, mais les résultats ne sont pas communiqués aux parents, par exemple s’il y a des caractéristiques ou s’ils sont porteurs. Si ces informations ne sont pas transmises aux parents, comment pouvons-nous commencer à éduquer, à mobiliser et à sensibiliser les gens? Par conséquent, nous devons en être informés — les gens doivent se faire dépister pour savoir à quoi s’en tenir. Si nous sommes au courant, nous pouvons commencer à éduquer, à mobiliser et à sensibiliser les gens et nous assurer qu’ils disposent des informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées.
La présidente : Merci d’avoir rendu hommage à feu Graham Serjeant. Il était mon professeur à l’University of the West Indies.
La sénatrice Burey : Je cède la parole au témoin pour qu’il puisse terminer.
M. Guerrier : Je voudrais simplement ajouter que dans le cadre du travail que nous avons accompli avec TAIBU et l’Association d’anémie falciforme de l’Ontario, nous avons mobilisé de nombreux CSC afin de renforcer leurs capacités. Grâce au travail que nous avons accompli avec le Collège Humber, nous avons créé un programme d’études que nous enseignons aux étudiants en soins infirmiers. Lorsqu’ils obtiendront leur diplôme et entreront dans le monde du travail, ils sauront ce qu’est la drépanocytose et comment la traiter. À ce stade-ci, la première ligne de défense, ce sont les infirmiers. S’ils connaissent la maladie, ils peuvent plaider en notre faveur, ce qui peut changer la donne.
Nous pouvons reprendre à l’échelle nationale le cadre que nous utilisons avec le Collège Humber. Voilà ce que nous pouvons faire.
La sénatrice Bernard : À ce sujet, vous avez mentionné les CSC. Les gens ne savent peut-être pas qu’il s’agit de centres de santé communautaires. Est-ce que c’est dans tout le pays ou seulement en Ontario?
M. Gebremikael : C’est seulement en Ontario.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Burey : C’est formidable. Je tiens à vous remercier du fond du cœur pour votre courage et pour tout le travail que vous avez accompli afin de nous amener jusqu’ici. Nous nous appuyons sur votre travail, sur celui que vous avez mentionné tout à l’heure, et sur celui de nombreuses autres personnes. C’est un moment très spécial et sacré de l’histoire du Canada, car nous sommes arrivés jusqu’ici. Je voudrais que nous prenions un instant pour vraiment le dire et y réfléchir. Je vous en remercie.
Il y a tellement de questions intéressantes, et j’ai bien sûr les miennes, en tant que pédiatre, mais je voulais souligner l’importance du leadership fédéral dans l’élaboration de ce cadre. Vous avez carrément assemblé les pièces du casse-tête et vous recherchez une structure qui nous permette d’appliquer les meilleures pratiques et les normes fondées sur des preuves dans tout le pays, où nous pouvons vraiment appliquer la Loi canadienne sur la santé et le principe d’universalité qui en découle, l’un des fondements de notre système.
Ma question porte sur la population et sur les raisons pour lesquelles le travail réalisé en Ontario est si important. J’aimerais parler du dépistage néonatal et du nombre de personnes atteintes de drépanocytose par habitant en Ontario, et savoir pourquoi il est si important de partager votre travail lorsque l’on compare les chiffres, par exemple, à ceux de la fibrose kystique. Pouvez-vous nous donner votre avis à ce sujet et nous expliquer pourquoi il est important d’aborder cette question maintenant? Commençons par cette question. Je ne sais pas si j’aurai encore du temps.
M. Guerrier : Je dirais que la population de personnes atteintes de drépanocytose en Ontario est plus importante que dans d’autres régions du Canada, car la majorité des immigrants qui arrivent au Canada viennent à Toronto, puis se rendent dans d’autres provinces.
Les chiffres dont nous disposons sont des estimations, et nous n’avons pas de registre national pour recueillir ces données. C’est ce que le cadre permettrait de mettre en place, ce qui nous permettrait d’obtenir les chiffres exacts pour savoir exactement où se trouvent les personnes et comment les soins sont dispensés.
Pour ce qui est de la norme de soins en Ontario, il s’agit de s’en inspirer pour créer un cadre national, étant donné que nous avons pu recueillir certains chiffres pour l’instant.
M. Gebremikael : La question des données est toujours difficile, car nous n’en disposons pas et peut-être faudrait-il que le cadre national prévoie des données fondées sur la race — oui, c’est le cas, n’est-ce pas? C’est très important, car nous n’avons pas de données. Nous ne savons ce qui se passe que par des observations empiriques.
C’est également très intéressant lorsque l’on examine d’autres types de... Je ne sais pas si l’on peut les qualifier de « maladies rares », par exemple. De notre point de vue, les chiffres ne devraient pas être la seule référence. L’expérience devrait être déterminante afin que nous puissions garantir que, même s’il s’agit d’une petite partie de la population, la qualité de vie de ces gens demeure la priorité. Ensuite, c’est aussi comparé au coût pour le système. Nous devons également considérer l’autre aspect.
Si nous avons réussi à réduire de 65 % les visites aux urgences dans le cadre d’un projet pilote qui n’était pas financé — nous avons simplement réuni les ressources nécessaires pour mener à bien ce projet pilote, qui n’était pas financé — et si cela pouvait être monétisé, c’est ce qui compte vraiment.
Selon nous, cependant, ce n’est pas la seule chose. Il y a aussi de la qualité de vie. Si M. Guerrier peut se rendre à l’hôpital et être examiné en 30 minutes sans que l’on pense qu’il est là pour obtenir des narcotiques et s’il doit prouver que c’est le cas, ce sont là des éléments que nous devons pouvoir mesurer afin de pouvoir déterminer la meilleure façon de procéder et les meilleurs soins que nous pouvons offrir.
La sénatrice Osler : Merci aux témoins. J’ai été étonnée d’apprendre que la maladie falciforme n’est pas reconnue comme un handicap. Je vais vous demander de nous donner des précisions à ce sujet. J’ai fait une recherche rapide et il semble que la maladie falciforme soit reconnue dans les lois sur les droits de la personne, tant à l’échelle provinciale qu’à l’échelle fédérale. En ce qui concerne les prestations fédérales, le crédit d’impôt pour personnes handicapées et les prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, la maladie falciforme est reconnue en fonction de sa gravité. Il semble que les critères de reconnaissance de la maladie falciforme puissent varier entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, mais pourriez-vous nous éclairer en nous fournissant quelques précisions à ce sujet?
Mme Tinga : Voilà précisément le problème. Vous avez raison. C’est mentionné. Mais comment chacun va-t-il interpréter l’information et l’appliquer lorsque des gens feront une demande de prestations d’invalidité selon leur lieu de résidence? Des personnes ont signalé que si vous êtes en Ontario plutôt qu’en Colombie-Britannique, en fonction de la personne qui remplit le formulaire, nous savons ce que le médecin accepte d’inscrire. Et s’il est d’accord avec vous pour dire que vous êtes frappé d’incapacité pendant une certaine période, vous pouvez alors être admissible.
J’étais en Colombie-Britannique la fin de semaine dernière et j’ai rencontré une jeune guerrière de 21 ans. Elle a dû abandonner ses études parce qu’elle était malade. Elle m’a dit qu’il lui a fallu deux ans et trois tentatives pour obtenir une couverture. Elle était très malade et elle était en attente d’une opération. La situation varie d’une province à l’autre et c’est pourquoi nous avons besoin de ce cadre : pour que le tout soit uniforme et que nous ayons une situation claire et précise pour la maladie falciforme, afin que les gens puissent être admissibles rapidement.
M. Guerrier : J’aimerais ajouter que lorsqu’une personne demande le crédit d’impôt pour personnes handicapées ou tout autre type d’aide pour personnes handicapées, si elle n’inscrit que la maladie falciforme, sa demande risque fort d’être rejetée. Si elle inscrit la maladie falciforme et une autre complication ou maladie, elle aura plus de chances d’obtenir les ressources, je suppose.
La sénatrice Senior : Je n’ai pas de question précise, mais je sais que Mme Tunji-Ajayi avait levé la main précédemment. Je voulais lui céder mon temps de parole et vous laisser dire tout ce que vous souhaitez pour conclure notre séance avec vous.
Mme Tunji-Ajayi : Je tiens à vous remercier de votre gentillesse, sénatrice Senior.
Je voudrais ajouter quelque chose à ce qui a été dit. Premièrement, en ce qui concerne la formation, il ne suffit pas que les facultés de médecine offrent un programme d’études. Il faut une formation continue et c’est pourquoi le Sickle Cell Awareness Group of Ontario offre un programme de formation destiné aux fournisseurs de soins de la santé qui peut être reproduit dans d’autres régions de la province. Nous avons formé plus de 2 000 fournisseurs de soins de santé, ce qui a permis à bon nombre d’entre eux de rafraîchir les connaissances qu’ils avaient acquises à l’université et de voir de nouveaux cas, car de nouvelles variantes de la maladie falciforme apparaissent, et ils peuvent en apprendre davantage. C’est là mon premier point.
Deuxièmement, en ce qui concerne les traits falciformes, je voulais également dire que beaucoup de gens ne le savent peut-être pas, mais actuellement, le ministère de la Santé de l’Ontario travaille avec Dépistage néonatal Ontario, et les cas de bébés atteints de la maladie falciforme seront automatiquement signalés aux familles. Nous collaborons avec le ministère au sujet des politiques à cet égard.
Troisièmement, je tiens également à dire que c’est formidable que l’Ontario et le Québec puissent donner leur avis sur le cadre national dans ce lieu d’échanges. Nous souhaitons que tous les intervenants d’autres provinces au pays aient la même occasion de le faire.
Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup.
Sénatrices, voilà qui conclut la première partie de la séance. Je tiens à remercier Mme Tinga, M. Gebremikael, M. Guerrier et Mme Tunji-Ajayi. Merci d’avoir témoigné aujourd’hui et de nous avoir aidés à comprendre un peu mieux l’importance de ce cadre.
Je vous présente maintenant les témoins qui sont ici dans la salle. Nous accueillons une représentante de l’Université d’Ottawa et de l’Hôpital d’Ottawa : la Dre Smita Pakhale, professeure et chercheuse clinicienne principale. Nous accueillons également Mme Sinthu Srikanthan, étudiante de doctorat à la Faculté de travail social Factor-Inwentash à l’Université de Toronto. Malheureusement, un témoin qui devait se joindre à nous par vidéoconférence n’est pas en mesure de respecter les normes techniques et nous ne pourrons donc pas l’accueillir parmi nous aujourd’hui.
Merci de vous joindre à nous. Nous entendrons d’abord la déclaration préliminaire de la Dre Pakhale, puis celle de Mme Srikanthan. Vous disposez chacune de cinq minutes, puis les membres du comité vous poseront des questions par la suite. Docteure Pakhale, la parole est à vous.
Dre Smita Pakhale, professeure et chercheuse clinicienne principale, Université d’Ottawa et Hôpital d’Ottawa, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée et de m’offrir cette occasion. Honorables sénatrices, je suis pneumologue, chercheuse clinicienne principale et professeure à l’Université d’Ottawa et à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa. Je suis ici aujourd’hui pour discuter de la très grande importance qu’a le projet de loi S-201, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme.
En tant que professionnelle de la santé qui soigne des patients atteints de la maladie falciforme, j’ai été témoin des effets dévastateurs qu’a cette maladie sur les personnes qui en souffrent et les membres de leur famille. La maladie falciforme est un trouble génétique qui touche la production d’hémoglobine, ce qui entraîne une déformation des globules rouges. Ils prennent alors la forme d’un C, ou d’une faucille, et bloquent les petits vaisseaux sanguins. Cela cause des douleurs atroces, des dommages aux organes et des infections bactériennes à répétition. Malheureusement, la maladie falciforme reste souvent négligée et sous-financée, bien qu’il s’agisse de la maladie héréditaire la plus courante au Canada.
En tant que pneumologue, j’ai vu les complications les plus mortelles de la maladie falciforme, notamment l’hypertension pulmonaire, le syndrome thoracique aigu et l’insuffisance respiratoire. Chez plus de 90 % des personnes atteintes de la maladie, on observe une fonction pulmonaire anormale — pour ne citer qu’une statistique — et ces complications peuvent mettre leur vie en danger et avoir des conséquences importantes sur leur qualité de vie, comme nous l’avons entendu au cours de la première partie de la séance.
De plus, souvent, les personnes atteintes de la maladie falciforme ont un accès limité aux soins de santé, des options de traitement limitées et un soutien inadéquat. Je suis la chercheuse principale désignée du registre canadien des patients atteints d’anémie falciforme, une initiative de l’Association d’anémie falciforme du Canada qui vise à améliorer notre compréhension du fardeau de la maladie et des soins cliniques. Le registre fournira des renseignements précieux sur les besoins et les lacunes en matière de soins de chaque collectivité du pays, ce qui permettra aux décideurs politiques comme vous de prendre des décisions éclairées.
Cependant, pour que le registre soit un succès, nous avons besoin d’un soutien continu, comme le prévoit le projet de loi S-201. Le projet de loi permettra d’atteindre divers objectifs. Premièrement, améliorer la recherche et la collecte de données. Il est essentiel de mettre en place un réseau national de recherche pour faire avancer la recherche et améliorer la collecte de données sur la maladie falciforme. Deuxièmement, améliorer la formation des professionnels de la santé. Il est important de leur offrir de la formation sur le diagnostic et le traitement de la maladie falciforme. Troisièmement, sensibiliser davantage le public en soutenant des campagnes de sensibilisation visant à réduire les préjugés et à mieux faire comprendre la maladie falciforme. Quatrièmement, garantir aux personnes touchées un accès équitable aux soins, au dépistage néonatal, au diagnostic et au traitement. Surtout, toutes ces données nous permettront de comprendre que la maladie falciforme est un handicap et de l’inclure dans le programme de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées et le crédit d’impôt pour personnes handicapées. La qualité et la durée de vie des personnes atteintes de la maladie falciforme s’en trouveraient considérablement améliorées, car elles auraient accès aux soins et au soutien nécessaires.
L’adoption du projet de loi S-201 est une étape cruciale pour répondre aux besoins des Canadiens atteints de la maladie falciforme. Je vous invite tous à appuyer le projet de loi et à reconnaître l’importance d’offrir un soutien et des soins complets aux personnes touchées par cette maladie dévastatrice et extrêmement douloureuse. En travaillant ensemble, nous pouvons améliorer la vie des personnes atteintes de la maladie falciforme et créer un système de santé plus équitable. Merci.
Sinthu Srikanthan, étudiante de doctorat, Factor-Inwentash Faculty of Social Work, Université de Toronto : Merci, madame la présidente, honorables sénatrices, de me permettre de prendre la parole ici aujourd’hui. Je suis doctorante à l’Université de Toronto, à la Faculté de travail social Factor-Inwentash. Je suis également travailleuse sociale à la Red Blood Cell Disorders Clinic du Réseau universitaire de santé, soit le plus important programme de traitement des hémoglobinopathies au Canada, avec plus de 2 500 patients.
Au cours des six dernières années, j’ai eu le privilège d’accompagner des adultes atteints de la maladie falciforme. Défendre directement les droits des gens dans certains domaines comme le soutien au revenu, l’éducation, l’emploi, l’immigration et le logement fait partie de mon travail quotidien.
Comme nous le savons, la maladie falciforme touche de manière disproportionnée les personnes noires au Canada. Beaucoup d’entre elles sont issues de communautés de nouveaux arrivants et de réfugiés. La pauvreté est un facteur particulièrement important pour comprendre la maladie falciforme. Une étude que le Dr Pendergrast et ses collègues ont réalisée en 2023 a révélé que 41 % de toutes les personnes atteintes de la maladie falciforme en Ontario vivent dans les quartiers où les revenus sont les plus faibles. Ce taux est trois fois supérieur à celui de la population générale du Canada.
En tant que travailleuse sociale, je trouve cette statistique alarmante. Elle reflète ce qu’il en coûte de vivre avec la maladie falciforme dans une société qui offre très peu aux personnes handicapées, en particulier à celles qui sont confrontées à la fois au racisme anti-Noirs, à l’immigration et à l’établissement.
Au Canada, la maladie falciforme n’est pas reconnue comme un handicap, même s’il s’agit d’une maladie grave et potentiellement mortelle. Beaucoup de gens ne savent pas que la maladie falciforme est un handicap au sens des lois canadiennes sur les droits de la personne et qu’ils ont le droit de contester la discrimination. Malgré cette information, les personnes qui en sont atteintes peuvent avoir du mal à obtenir des mesures d’adaptation pour avoir des horaires flexibles, travailler à domicile et prendre des congés en cas de maladie imprévue.
Par conséquent, les personnes atteintes de la maladie falciforme perdent souvent des possibilités de formation et risquent d’être congédiées de leur emploi. Beaucoup sont victimes de microagressions. Notamment, on se demande si leur handicap est réel. Cela témoigne du manque généralisé de reconnaissance que la maladie falciforme est un handicap au Canada.
Les personnes atteintes de la maladie ne peuvent pas non plus bénéficier des mesures d’aide fédérales auxquelles les personnes handicapées ont droit, notamment les prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, le crédit d’impôt pour personnes handicapées et la nouvelle Prestation canadienne pour les personnes handicapées. Elles ne peuvent pas non plus bénéficier des prestations provinciales destinées aux personnes handicapées, comme le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées.
En raison des préjugés raciaux inhérents au modèle médical, les fournisseurs de soins peuvent ne pas transmettre de documents médicaux attestant que la maladie falciforme est un handicap. En outre, même lorsque l’on bénéficie du soutien de fournisseurs de soins médicaux, les programmes d’assistance sociale canadiens ne tiennent pas compte de la nature chronique et épisodique de la maladie falciforme. Ainsi, les personnes touchées ne bénéficient pas des prestations dont elles ont besoin.
Je tiens à mentionner qu’un certain nombre de mes patients souffrent également de déficiences intellectuelles qui, selon les publications médicales, sont liées au processus pathologique. Les personnes qui font partie de ce groupe sont particulièrement vulnérables, car elles souffrent de deux handicaps invisibles, auxquels s’ajoutent différents facteurs croisés, mais elles sont confrontées à de l’incompréhension, à de multiples préjugés et à des obstacles qui les empêchent d’accéder aux ressources auxquelles elles ont droit.
Il en résulte un cercle vicieux d’exclusion sociale et de pauvreté, marqué par le capacitisme et le racisme, dans lequel les personnes atteintes de la maladie falciforme sont victimes de discrimination dans le milieu de l’éducation et sur le marché du travail, puis exclues des programmes d’aide sociale à l’échelle provinciale et fédérale. Il existe un message insidieux selon lequel les personnes atteintes de la maladie falciforme ne méritent pas d’aide.
Lorsque des problèmes de santé sont reconnus comme un handicap, les personnes touchées bénéficient de mesures d’adaptation au travail, à l’école et dans les services, ainsi que de prestations qui les aident à couvrir les coûts financiers. Ce sont des outils qui permettent aux personnes atteintes de la maladie falciforme de façonner leur vie.
Comme nous l’avons constaté avec le mouvement de lutte contre le VIH-sida, l’accès à des mesures d’adaptation et à des prestations pour personnes handicapées, à un logement et à des médicaments peut transformer ce qui était autrefois considéré comme une maladie palliative et limitant l’espérance de vie en une incapacité épisodique.
J’appuie fermement le projet de loi S-201. Je demande instamment la suppression des critères stricts afin que la maladie falciforme soit reconnue comme un handicap donnant droit à des mesures d’adaptation et à des prestations. L’accès au logement et l’inclusion de médicaments tels que l’hydroxyurée dans les régimes publics d’assurance-médicaments amélioreront la qualité de vie des personnes atteintes de la maladie falciforme. Le projet de loi S-201 permettra à la société et aux autres ordres de gouvernement d’éliminer les obstacles auxquels font face les personnes atteintes de la maladie.
Bien qu’il y ait eu des progrès dans la prise en charge médicale de la maladie falciforme, c’est en luttant contre la discrimination et en défendant les droits de la personne que l’on peut produire les effets les plus importants. Merci.
La présidente : Je vous remercie de vos déclarations préliminaires.
Pour ce groupe, les sénatrices disposeront de quatre minutes pour poser leurs questions, ce qui comprend les réponses. Veuillez indiquer si votre question s’adresse à une témoin en particulier ou aux deux témoins.
La sénatrice Osler : Je remercie les deux témoins d’être ici aujourd’hui.
Le cadre national prévoit la création d’un réseau national de recherche destiné à faire avancer la recherche, à améliorer la collecte de données et à instaurer un registre national sur la maladie falciforme.
J’ai une question en deux volets. Quels éléments nécessaires à la mise en place d’un réseau national de recherche existent actuellement au Canada, s’il y en a? Ensuite, la création d’un réseau national de recherche nécessiterait-elle de nouveaux fonds?
Dre Pakhale : Je vous remercie. C’est une question très pertinente. À titre de clinicienne scientifique qui participe intensivement à ces recherches, je considère qu’il s’agit d’une question fondamentale.
Comme vous le savez, nous disposons d’un cadre national de recherche. Le financement provient des Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ou CRSNG et du Conseil de recherches en sciences humaines, ou CRSH. Ces trois organismes financent toutes les recherches menées au Canada sur toutes les maladies qui vous sont connues et inconnues.
Aucune initiative ne vise expressément la maladie falciforme, même si nous avons de nombreuses initiatives et cadres nationaux qui visent expressément plusieurs maladies, notamment le diabète, le VIH et la fibrose kystique. Même si la maladie falciforme est la maladie héréditaire la plus courante, nous ne disposons d’aucune sorte d’enveloppe budgétaire ou de voie de financement réservée qui encouragerait les gens à choisir ce parcours professionnel ou les jeunes chercheurs à s’intéresser à cette maladie, qu’ils ont à peine étudiée à la faculté de médecine.
Nous devons investir davantage dans la formation et la recherche. Si nous offrons des voies de recherche qui reçoivent du financement, un plus grand nombre de personnes et d’étudiants s’intéresseront à cette maladie, ce qui fera boule de neige.
Nous avons besoin de financement et de voies consacrés à la recherche qui permettront d’orienter des chercheurs vers ce domaine, qui reste méconnu.
Mme Srikanthan : Le financement a tendance à être orienté vers le domaine médical. Il faut donc adopter une approche plus interdisciplinaire. Il s’agit également d’un enjeu social, et je pense donc qu’il faut aussi considérer le financement dans cette perspective.
Dre Pakhale : Les trois organismes dont nous avons parlé — les IRSC, le CRSNG et le CRSH — sont les trois principaux organismes de financement de la recherche universitaire, de la recherche en sciences pures et de la recherche en sciences sociales. Tous trois doivent donc envisager des sources de financement consacrées à la maladie falciforme.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Hay : Je vous remercie toutes les deux du travail que vous accomplissez au quotidien.
Ma question porte sur l’intelligence artificielle, la technologie et les solutions numériques, et j’aimerais également avoir votre avis sur la manière dont les solutions électroniques, les solutions numériques et l’intelligence artificielle peuvent soutenir les efforts en matière de cheminement clinique et de santé mentale, ainsi que les efforts en matière de formation et de sensibilisation, car il pourrait y avoir des obstacles financiers. Il pourrait également y avoir des obstacles géographiques auxquels ces outils pourraient servir de solution. Selon vos recherches et vos analyses de données, comment cela pourrait-il aider à cerner les tendances, à effectuer des prévisions et même à prévenir les périodes de crise?
Dre Pakhale : Je vous remercie de votre question. On parle partout de l’intelligence artificielle, mais c’est un domaine qui n’est même pas connu, reconnu ou établi, et nous ne disposons donc pas de données à ce sujet.
L’intelligence artificielle n’est rien sans données, et nous devons donc d’abord appuyer fermement la création d’un registre, l’étendre à l’échelle nationale et veiller à ce que toutes les personnes atteintes de la maladie falciforme y soient inscrites en créant des données fondées sur leur expérience vécue, leur expérience médicale et leur expérience au sein de la collectivité. Une fois ces données acquises, nous disposerons de tous les outils de l’intelligence artificielle pour nous aider à analyser la situation, à cerner les tendances et à créer des solutions pertinentes et adaptées au contexte des personnes qui vivent en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick ou à Terre-Neuve, et pas seulement à Toronto ou à Ottawa. C’est ce que nous devons faire en premier lieu.
Nous disposons de tous les outils nécessaires, mais nous avons maintenant besoin des données pertinentes. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de votre soutien continu pour ce type de cadre national, ce qui nous permettra de disposer d’un registre évolutif et dynamique pendant de nombreuses années, comme c’est le cas, par exemple, pour la fibrose kystique, une maladie pour laquelle nous disposons d’un registre depuis plus de quatre décennies. En effet, notre registre canadien de la fibrose kystique a été créé il y a quatre décennies, mais à ses débuts, nous ne connaissions pas grand-chose sur cette maladie. Si le Canada est aujourd’hui un chef de file en matière de recherche sur la fibrose kystique, c’est simplement en raison de ce registre.
Les données du registre sur la fibrose kystique nous ont appris beaucoup de choses, notamment sur les paramètres nutritionnels, ce qui nous a permis de comprendre que l’alimentation joue un rôle important dans le traitement de cette maladie. Nous avons donc utilisé ces connaissances pour mettre en place un programme nutritionnel qui est devenu la norme non seulement au Canada, mais aussi à l’échelle mondiale. Le Canada est ainsi devenu un chef de file mondial de la recherche et des soins cliniques dans le domaine de la fibrose kystique.
Nous avons maintenant une nouvelle occasion de devenir un chef de file mondial dans le domaine des soins cliniques et de la recherche sur la maladie falciforme. Quelqu’un a mentionné plus tôt qu’il s’agit d’un moment important et historique sur lequel nous devons réfléchir, et pas seulement pour l’histoire du Canada. Je suis originaire de l’Inde et la maladie falciforme est très répandue dans mon pays où elle touche, encore une fois, les personnes les plus marginalisées et les plus défavorisées, celles qui sont laissées pour compte, négligées et systématiquement opprimées.
Ce n’est pas seulement un moment important pour l’histoire du Canada, c’est aussi un moment marquant dans l’histoire du monde. En adoptant le projet de loi S-201, nous écrirons une page de l’histoire mondiale. Nous serons à l’avant-plan de la recherche et des soins cliniques pour la maladie falciforme, après l’avoir été pendant quatre décennies pour la fibrose kystique.
La présidente : Madame Srikanthan, pouvez-vous répondre en 14 secondes?
Mme Srikanthan : L’intelligence artificielle peut être utilisée pour faciliter l’accès aux soins, mais je suis consciente du racisme qui peut se manifester dans les algorithmes. C’est un aspect dont il faut également tenir compte, surtout dans le cas de la maladie falciforme.
La sénatrice McPhedran : J’ai tendu l’oreille lorsque vous avez parlé de l’importance des efforts en matière de formation. Ma question découle de plusieurs décennies passées à essayer, sans grand succès, de mettre en place, dans les professions médicales et paramédicales, des programmes d’études sur les abus sexuels commis contre les patients. La plupart des programmes d’études sont les mêmes que lorsque je dirigeais un groupe de travail il y a 30 ans.
Voici donc ma question liée à l’enjeu concernant la formation que vous avez soulevé. Tout d’abord, pensez-vous qu’il existe actuellement des outils d’apprentissage adéquats pour offrir le niveau de formation que vous jugez nécessaire? C’est le premier volet de ma question. Pour le deuxième volet, pensez-vous qu’il existe un moyen de réussir à faire accepter un tel programme dans les facultés de médecine et les professions paramédicales?
Dre Pakhale : Je vous remercie de votre question sur la formation.
Le système de formation médicale du Canada — qui ne concerne pas seulement les médecins, mais aussi le personnel infirmier, les ergothérapeutes et les travailleurs sociaux — est excellent. Nous sommes fiers des normes que nous appliquons au Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, ainsi que dans les facultés de soins infirmiers et de travail social. Toutefois, il existe des lacunes très marquées dans l’enseignement dans ce domaine. Lorsque je reçois des médecins résidents, je leur demande s’ils connaissent la maladie falciforme, car je vois beaucoup de patients atteints de cette maladie dans ma clinique de santé pulmonaire. En général, ils me répondent qu’ils n’en ont jamais entendu parler ou qu’ils ont vu quelqu’un quelque part ou qu’ils ont entendu quelqu’un en parler. Cependant, il n’y a pas de module d’enseignement axé sur la maladie falciforme, même s’il s’agit d’une maladie multisystémique qui touche tous les organes de la tête aux pieds et même si c’est la maladie héréditaire la plus courante. Il y a donc de nombreuses lacunes évidentes.
Je parle de la formation médicale des médecins. Il en va de même pour le personnel infirmier, les physiothérapeutes, les nutritionnistes et les autres professionnels. Ce type de cadre national nous offrirait une excellente occasion d’établir des normes nationales pour l’ensemble du Canada et pour tous les systèmes médicaux du système de soins de santé paramédicaux, car il s’agit d’une maladie multisystémique et tous les fournisseurs de soins paramédicaux devraient être formés à cette maladie. Nous avons des voies pour y parvenir. En effet, nous avons des produits dans différents domaines, comme nous l’avons entendu plus tôt lorsque quelqu’un a parlé de la formation en soins infirmiers au Collège Humber. Nous avons ces types de produits cachés partout grâce aux efforts menés à l’échelle locale et communautaire.
Je donne moi-même beaucoup de formation dans mon domaine, soit la santé pulmonaire. Il y a donc de nombreux produits de ce type un peu partout au pays et nous avons des moyens de les mettre en œuvre avec succès dans notre système de formation actuel.
Mme Srikanthan : Comme elle vient de le mentionner, je dirais qu’il y a des initiatives cachées un peu partout. Je participe également au programme du Collège Humber, mais cela se fait en marge de notre travail, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun soutien institutionnel. Lorsque j’ai étudié pour devenir travailleuse sociale, la maladie falciforme ne figurait pas dans mon programme d’études. Cependant, il est également important d’apprendre ce qu’est le racisme anti-Noirs, le capacitisme et la justice pour les personnes handicapées. Dans le cadre du travail social, le racisme anti-Noirs est une notion qui a été développée par une professeure en travail social, soit Mme Akua Benjamin. Pourtant, cela ne figurait pas dans mon programme d’études. Il faut insister davantage sur cette notion, car cela donnera les outils conceptuels et le cadre nécessaires aux travailleurs sociaux qui rencontrent une personne atteinte de la maladie falciforme. Il n’est pas nécessaire d’apprendre les aspects médicaux pour comprendre les systèmes en jeu. Il y a donc des outils, mais il faut les intégrer au reste.
La sénatrice Burey : Je vous remercie de votre important témoignage. Je vais passer directement aux questions, afin que vous ayez le temps d’y répondre. J’ai une question au sujet du montant des fonds que le Canada consacre à la recherche sur la maladie falciforme par l’entremise des différents organismes de financement, si ce montant est connu. Je sais que des recherches ont récemment été menées au Royaume-Uni et avant cela aux États-Unis pour examiner les inégalités en matière de financement entre la maladie falciforme et la fibrose kystique, comme vous l’avez souligné. J’aimerais juste savoir si vous avez une réponse à cette question.
Ma deuxième question concerne les restrictions en matière de don de sang. Nous devions entendre le témoignage d’un oncologue, mais il n’a pas pu comparaître aujourd’hui. Vous serez peut-être en mesure de répondre à ma question. Quel est l’effet des restrictions en matière de don de sang sur le manque de donneurs compatibles pour les greffes de moelle osseuse et sur la communauté des personnes atteintes de la maladie falciforme?
Dre Pakhale : Je vous remercie. C’est une question qui contient deux volets très importants. En ce qui concerne les sommes dépensées au Canada, nous n’avons pas de réponse exacte pour une bonne raison, c’est-à-dire que nous ne dépensons pas beaucoup d’argent. Cependant, nous connaissons les faibles montants dépensés et je vais à nouveau évoquer la fibrose kystique, qui est une maladie parallèle, car elle touche également plusieurs systèmes. Rassurez-vous, je ne minimise pas la situation des personnes atteintes de fibrose kystique. Après tout, je suis pneumologue et je vois de très près cette maladie, qui est également une maladie héréditaire et multisystémique qui limite l’espérance de vie. Cependant, le Canada dépense plus de 10 fois plus d’argent pour les soins cliniques et la recherche liés à la fibrose kystique que pour la maladie falciforme, et c’est une estimation très prudente.
Le deuxième volet de la question porte sur le don de sang. Il s’agit encore d’une question très importante. Un autre de nos collègues, soit Dr Jude Cénat, n’a pas pu se joindre à notre groupe, mais il mène des travaux très importants sur ce sujet et sur la question des restrictions imposées aux donneurs noirs. On a aussi parlé, plus tôt, de l’exclusion liée au paludisme. Cela s’explique par le fait que notre système de don de sang repose sur des principes d’exclusion archaïques. En effet, le Canada est le seul pays où une personne noire, même si elle a eu le paludisme il y a 30 ans, ne peut pas donner de sang. Elle peut donner son sang aux États-Unis, en France et dans de nombreux pays européens, mais pas au Canada. Nous avons donc ces restrictions archaïques et sans fondement scientifique qui découlent du racisme systémique, et non d’une approche scientifique, car aucune preuve scientifique… Au contraire, de nombreuses études scientifiques prouvent que ces restrictions sont infondées. Nous avons de nombreuses données scientifiques qui contredisent ces fausses notions, mais nous continuons pourtant à appliquer ces restrictions.
Espérons que ce cadre national abordera ces restrictions et contribuera à les éliminer.
Deuxièmement, quel est l’impact sur les personnes atteintes de la maladie falciforme? Nous parlons ici de cellules souches et de la vie quotidienne de ces gens. Plus de la moitié de ces personnes ont survécu grâce à des transfusions sanguines répétées, mais lorsqu’elles reçoivent ces transfusions, elles introduisent le sang d’une autre personne dans leur organisme, ce qui provoque une réaction. Lorsqu’une personne reçoit des transfusions toutes les quelques semaines, voire tous les mois dans certains cas, son corps réagit chaque fois et elle développe des anticorps. Lorsque ces anticorps sont présents, la personne peut parfois avoir des réactions dévastatrices aux transfusions sanguines. Ces transfusions peuvent donc limiter son espérance de vie et même être mortelles.
C’est le quotidien de ces personnes. À chaque transfusion, elles se demandent si elles auront une telle réaction.
En raison de l’offre limitée, il n’est pas possible d’obtenir des comptabilités parfaites, car la personne reçoit ce qui est disponible ce jour-là. Ces transfusions sanguines régulières ont donc une incidence sur leur qualité de vie et leur espérance de vie.
La greffe de cellules souches viendra plus tard. Nous venons tout juste de commencer à la pratiquer. En attendant, les personnes ordinaires atteintes de la maladie falciforme vivent une situation très difficile.
La sénatrice Senior : Je vous suis reconnaissante du dévouement et de la passion que vous apportez à cette discussion. Cela me donne de l’espoir.
J’aimerais revenir sur une question qui a été posée par la sénatrice McPhedran, et qui concerne la formation, car le cadre dépend beaucoup du pilier de la formation. Je vous remercie d’avoir mentionné Mme Akua Benjamin, mais j’aimerais savoir si vous pensez que la formation changera la donne dans le cas des obstacles systémiques que vous avez mentionnés. Selon vous, la formation est-elle la solution?
Mme Srikanthan : Je pense que cela en fait partie, car ce sont les citoyens de demain. Cela permet de former les cliniciens. À titre de travailleuse sociale, je pourrais travailler individuellement avec les gens. Je pourrais participer à l’élaboration des politiques. Je pense que cela pourrait être utile.
Lorsqu’il s’agit de l’élaboration des politiques, il faut également tenir compte d’un autre aspect, à savoir les obstacles en matière de politique sociale dont j’ai parlé. Il s’agit là d’un autre niveau d’intervention. Je pense que la formation peut contribuer à éliminer des obstacles.
La sénatrice Senior : Je réfléchis à sa réponse et je constate qu’après 30 ans d’efforts pour mettre en place un cadre de sensibilisation aux agressions sexuelles, rien n’a changé.
Mme Srikanthan : Je ne dirais pas qu’il y a un soutien institutionnel suffisant pour la sensibilisation en ce moment.
Dre Pakhale : Nous avons également besoin d’un changement de paradigme dans notre système d’éducation en ce qui concerne les questions liées à la discrimination, à la stigmatisation et au racisme anti-Noirs. Par « changement de paradigme », j’entends ce qu’on enseigne en classe dans notre système ou l’enseignement didactique, c’est-à-dire qu’un enseignant donne un cours et il y a parfois des discussions en petits groupes, etc.
Nous devons inviter, dans les salles de classe, des personnes qui ont une expérience vécue ou nous devons emmener les étudiants dans la collectivité pour qu’ils puissent voir ces expériences de leurs propres yeux. Nous devons opérer ce changement de paradigme.
Il y a bien longtemps, soit 2 600 ans, dans l’Inde bouddhiste, les gens étaient formés dans la collectivité, par exemple en recevant des leçons sous un arbre. Nous devons reproduire cela. Nous devons amener la salle de classe dans la collectivité.
Tant que les gens ne verront pas ce que les autres vivent au quotidien et les défis auxquels ils font face, ils ne pourront jamais s’identifier à eux. Les étudiants ne sauront jamais ce qu’est la maladie falciforme en répondant à quatre questions sur le sujet dans un examen. Ils doivent être dans la collectivité et visiter les gens chez eux pour parler directement avec eux. Il faut opérer un changement de paradigme dans notre système de formation, afin d’y intégrer ce type de programme d’études.
Mme Srikanthan : Le symposium sur la maladie falciforme organisé par le Collège Humber joue un rôle tellement important, car il rassemble des personnes qui ont une expérience vécue, des fournisseurs de soins de santé et des infirmières en début de carrière. Il y a un grand auditorium, mais aussi des salles pour des réunions en petits groupes où se tissent des liens étroits.
Je suis d’accord pour dire que cette initiative de sensibilisation est un changement de paradigme, car elle est fondée sur des relations. Ce n’est pas une approche très eurocentrique.
La sénatrice Muggli : Je vous remercie toutes deux de l’incroyable passion que vous témoignez envers cette question. Je suis moi aussi travailleuse sociale, alors ma question s’adresse à vous, madame Srikanthan.
Je sais que les travailleurs sociaux passent beaucoup de temps à aider les gens à remplir des formulaires et des demandes. D’après ce que vous et vos collègues avez vécu, j’aimerais savoir ce que cela représente lorsque les demandes pour avoir accès aux programmes existants, plus particulièrement aux prestations d’invalidité, sont rejetées.
Mme Srikanthan : C’est terrible, car ces demandes prennent beaucoup de temps. Il faut aussi travailler avec les fournisseurs de soins médicaux, car ils ne sont pas toujours d’avis que la maladie falciforme constitue un handicap. C’est terrible pour les patients, car ils doivent mettre toute leur souffrance sur papier, pour ensuite voir leur demande rejetée, et il faut attendre six mois. Tout ce temps passé à attendre, c’est du travail et de l’argent perdus, sans oublier la santé du patient qui se détériore.
Vous vouliez savoir ce qu’un refus représentait. Voilà ce qu’il représente. De plus, il faut parfois tout recommencer, ce qui peut prendre encore six mois ou un an.
La sénatrice Muggli : Avez-vous un pourcentage? À quelle fréquence cela se produit-il?
Mme Srikanthan : Pour le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, je dirais que le taux de rejet est de 50 à 60 %. J’ai mis au point certains outils pour tenter de prévenir cette situation, et j’ai également essayé de renforcer les capacités avec mon équipe de soins, mais je dirais que le taux de rejet est de 60 % pour le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées. Pour les prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, le seuil est plus élevé.
Ensuite, très peu de patients voient leur demande pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées acceptée, en raison de la façon dont le formulaire est rédigé et de l’interprétation qu’en font les cliniciens.
La sénatrice Muggli : Je vous remercie.
La sénatrice Bernard : Je suis moi aussi une travailleuse sociale qui travaille comme sénatrice. Ma première question s’adresse à vous, madame Srikanthan.
Vous avez dit que le financement est souvent orienté vers le domaine médical. Pouvez-vous nous expliquer comment le travail social et les programmes sociaux peuvent renforcer les mesures de soutien qui existent?
Mme Srikanthan : Je vais vous donner un exemple relatif au milieu de la recherche. Si l’on souhaite mener des recherches sur la maladie falciforme, au lieu de passer par le CRSNG ou les IRSC, qui s’inscrivent dans le modèle médical, je pense que l’on pourrait plutôt passer par le CRSH. Puisqu’il s’agit d’un organisme de sciences sociales, on pourrait s’y intéresser à des questions plus cruciales.
Il nous faut des recherches qui examinent les intersections entre la santé et la justice sociale ou la participation. On peut faire tant de choses. Il suffit d’avoir des mandats plus précis. C’est dans ce contexte que la recherche sur la maladie falciforme pourrait être menée.
De plus, je pense que la justice pour les personnes handicapées, le racisme anti-Noirs, l’immigration et l’établissement sont des questions fondamentales, tout comme la pauvreté. Je suis alarmée par ce taux de 41 %. Je pense que ces mandats permettraient d’approfondir la recherche sur la maladie falciforme dans le domaine des sciences sociales.
Il existe, au Royaume-Uni, un ministère qui dispose d’une unité dédiée à l’étude sociale de la thalassémie et de la maladie falciforme. Je m’appuie beaucoup sur les recherches qu’on y mène. Elles s’inscrivent dans le contexte britannique, mais comme nous avons hérité de toutes les politiques coloniales du Royaume-Uni, je peux les utiliser pour défendre les intérêts de nos patients. Nous avons besoin d’une initiative comme celle-là au Canada.
La sénatrice Bernard : Puis-je vous poser une question personnelle? Sur quoi portent vos recherches de doctorat?
Mme Srikanthan : Je n’en suis qu’à mon premier mois de recherche. Je m’intéresse à l’ethnographie institutionnelle en lien avec les expériences des adultes atteints de la maladie falciforme dans le réseau de la santé en Ontario.
La sénatrice Bernard : Nous sommes impatients de lire vos recherches.
Docteure Pakhale, vous avez dit qu’il faut changer de paradigme. Ma question est la suivante. Un changement de paradigme nous permettra-t-il d’aider les intervenants dans le milieu médical à mieux comprendre l’intersectionnalité, le travail multidisciplinaire, la formation interprofessionnelle et la façon dont tout cela touche les personnes atteintes de la maladie falciforme, pour qu’on puisse les faire passer du statut de personnes qui ne méritent pas d’aide à celui de personnes qui en méritent?
Dre Pakhale : Oui. C’est d’ailleurs mon autre rôle; je travaille sur cette question. J’ai un centre de recherche communautaire qui s’appelle The Bridge Engagement Centre. Nous utilisons ce que nous appelons le modèle Bridge. J’étais en congé sabbatique et je viens de reprendre mon travail clinique. C’est exactement ce que nous faisons. Nous nous installons dans la collectivité et menons des recherches. Je fais aussi venir des étudiants dans la communauté. Avec nos recherches, nous aidons les personnes qui ont une expérience vécue. Nous n’appliquons pas une approche descendante; nous consultons plutôt les gens sur le terrain. Voilà en quoi consiste le modèle Bridge.
Nous avons créé la formation Bridge Inclusivity Training qui traite du racisme et de la discrimination dans le système de santé. Nous faisons sortir les étudiants et les stagiaires de la tour d’ivoire et les amenons dans la communauté. Nous avons notre centre communautaire ici, à Vanier, et c’est ce que nous faisons.
C’est possible; nous pouvons créer ces cadres. Je travaille sur le modèle Bridge depuis plus de 10 ans maintenant. C’est pourquoi j’ai pris un congé sabbatique. Je peux dire que ce projet s’est concrétisé.
La sénatrice Petitclerc : J’ai une double question. Où en sommes-nous avec le diagnostic précoce? Le cadre préconise un dépistage néonatal, mais aussi l’établissement d’un diagnostic et le partage des résultats. Où en est la situation? Ai-je raison de penser que plus la personne et sa famille seront informées tôt, plus le traitement, la stratégie de gestion de la douleur et la qualité de vie s’en verront améliorés?
Dre Pakhale : Oui. Vous avez tout à fait raison. La connaissance, c’est le pouvoir. Si nous savons ce qui se passe, nous pouvons agir. C’est ce que nous avons fait avec la fibrose kystique pendant toutes ces années. Au Canada, le diagnostic est posé dès la naissance de l’enfant. Dès qu’on le connaît, tout est mis en place pour que l’enfant puisse survivre, et les soins sont prodigués à long terme. Nous devons faire la même chose ici. La fibrose kystique nous donne un plan détaillé. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue; nous devons simplement appliquer à la maladie falciforme le modèle que nous utilisons pour la fibrose kystique. Nous pouvons émettre un diagnostic précoce et transmettre l’information exactement comme nous...
La sénatrice Petitclerc : Donc cela ne se fait pas à l’heure actuelle...
Dre Pakhale : Non, pas de manière uniforme. Les organismes tentent de promouvoir le dépistage néonatal partout au Canada. On l’effectue, mais d’autres éléments entrent en jeu comme les politiques, la mise en œuvre et le transfert des connaissances. Il existe de nombreuses lacunes flagrantes.
La présidente : Savons-nous où se trouvent les lacunes?
Dre Pakhale : Oui, nous le savons. Le dépistage néonatal n’est pas effectué de façon uniforme partout. Et, comme le groupe de témoins précédent l’a laissé entendre, même si le dépistage néonatal est effectué, les résultats ne sont pas communiqués au patient et aux familles. Ce que l’on sait sur une mère noire qui accouche à l’hôpital, même aujourd’hui... Souvent, la police va lui prendre son bébé parce qu’elle ne mérite pas de le garder ou parce qu’elle a fait l’objet d’accusations il y a dix ans. Cela arrive tout le temps, même dans ma tour d’ivoire.
Qu’en est-il du diagnostic néonatal de la maladie falciforme lorsque le bébé n’est pas avec sa mère? Il existe de nombreux autres enjeux.
[Français]
La sénatrice Youance : Concernant le registre, va-t-il permettre de collecter des informations sur les personnes qui souffrent de la maladie falciforme sur les gens qui sont porteurs d’une partie du gène, donc qui ne souffrent pas de la maladie, mais peuvent la transmettre?
Ma deuxième question porte sur un élément dont on n’a pas beaucoup parlé dans les discussions. Vous avez mentionné que la maladie falciforme peut avoir des effets sur la capacité cognitive. Je sais que j’ai des proches, des parents qui, par rapport à l’attitude et aux capacités cognitives de leur enfant, ont fait le test pour voir si l’enfant était porteur du gène de la maladie falciforme.
Est-ce juste un réflexe ou est-ce un élément réel pour les porteurs du gène de la maladie falciforme ou les porteurs d’une partie du gène?
[Traduction]
Dre Pakhale : Ma réponse courte à ces deux questions est oui. Le registre inclura les personnes atteintes de la maladie falciforme ainsi que les porteurs du trait drépanocytaire. Cela nous donnera une vue d’ensemble. Nous voulons aussi ce registre parce que les personnes atteintes de la maladie falciforme présentent de terribles symptômes, comme vous l’avez entendu précédemment, tout comme les personnes qui portent le trait drépanocytaire. Or, ces personnes sont totalement ignorées à l’heure actuelle, car elles ne présentent que le trait drépanocytaire. L’un de mes cousins devra se faire remplacer une hanche seulement à cause du trait drépanocytaire, rien d’autre.
Nous ignorons l’existence de nombreux symptômes, car peu de recherches ont été menées dans ce domaine. Il faut donc pousser la recherche afin de connaître les symptômes que présente une personne qui porte le trait drépanocytaire. Nous devons en apprendre davantage à ce sujet. Le registre comprendra ces renseignements.
Comme je l’ai dit, la maladie falciforme a une incidence de la tête aux pieds. Elle a donc une incidence sur les capacités cognitives. De nombreux patients atteints de la maladie falciforme subissent plusieurs accidents vasculaires cérébraux. Parfois, ce sont des accidents vasculaires cérébraux manifestes, d’autres fois, ce sont des mini-AVC; des lésions répétées. De plus, la maladie falciforme touche les vaisseaux sanguins, les obstruant. Le manque chronique de sang répété et les attaques répétées peuvent avoir des répercussions sur les capacités cognitives de certaines personnes atteintes d’une forme grave de la maladie, et leur cerveau est directement touché.
Ces concepts seront également consignés dans le registre, tout comme leurs répercussions sur la prise de décision, les crédits pour personnes handicapées, la scolarisation et les aménagements prévus à cet effet. C’est très important, car nous n’avons pas encore une idée claire de la situation à l’heure actuelle.
La présidente : Merci beaucoup aux témoins. Voilà qui met fin à ce groupe de témoins. Je tiens à vous remercier de votre participation et de vos témoignages. Je vous remercie également de nous avoir aidés à préciser les questions auxquelles nous devons réfléchir.
(La séance est levée.)