LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 23 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 10 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques).
La sénatrice Rosemary Moodie (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je suis Rosemary Moodie, sénatrice de l’Ontario et présidente du comité.
Avant d’amorcer la discussion, j’aimerais faire un tour de table et demander aux sénateurs de se présenter, en commençant avec la sénatrice Osler.
La sénatrice Osler : Sénatrice Flordeliz (Gigi) Osler, du Manitoba.
La sénatrice Senior : Sénatrice Paulette Senior, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Arnold : Dawn Arnold, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Forest : Bonjour. Éric Forest, de la division du Golfe, au Québec.
Le sénateur Boudreau : Bonjour. Victor Boudreau, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Sénatrice Wanda Thomas Bernard, de Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Bonjour. Patrick Brazeau, de la belle province de Québec.
[Traduction]
La sénatrice Greenwood : Bonjour. Je suis la sénatrice Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Muggli : Sénatrice Tracy Muggli, du territoire du Traité no 6, en Saskatchewan.
La présidente : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques).
Nous recevons, dans notre premier groupe de témoins, M. Brandon Purcell, gestionnaire, Défense de l’intérêt public pour la prévention et la détection précoce, Société canadienne du cancer, qui témoigne en personne. Nous avons aussi M. Rob Cunningham, analyste principal des politiques, Société canadienne du cancer, le Dr Alexander Caudarella, directeur général, Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, et Mme Lori Ann Motluk, directrice des services cliniques et ancienne présidente, Canadian Alcohol Use Disorder Society, qui témoignent par vidéoconférence. Merci d’être avec nous aujourd’hui.
Vous disposez chacun de cinq minutes pour vos déclarations liminaires, qui seront suivies par les questions des sénateurs.
Monsieur Purcell, la parole est à vous.
Brandon Purcell, gestionnaire, Défense de l’intérêt public (prévention et détection précoce), Société canadienne du cancer :
Honorables sénateurs, je m’appelle Brandon Purcell, et je suis gestionnaire, Défense de l’intérêt public pour la prévention et la détection précoce à la Société canadienne du cancer. Je suis accompagné de Rob Cunningham, analyste principal des politiques, qui témoigne par vidéoconférence.
Nous sommes ici aujourd’hui parce que le projet de loi S-202 porte fondamentalement sur le droit de savoir des Canadiens.
Depuis 1988, l’Organisation mondiale de la santé, ou l’OMS, désigne l’alcool comme une substance cancérogène du groupe 1 ou comme une cause de cancer. Cette catégorie regroupe les substances qui présentent les risques les plus élevés. L’OMS y a placé l’alcool aux côtés de substances dont le caractère toxique et cancérogène est bien connu, telles que le tabac et l’amiante.
Pourtant, selon un sondage que nous avons mené, malgré des décennies de recherche et une accumulation croissante de données probantes, près de la moitié des Canadiens ne connaissent pas la corrélation entre l’alcool et le cancer.
Les liens entre l’alcool et le cancer ont été prouvés par de nombreuses études qui s’échelonnent sur des décennies. De fait, l’alcool augmente les risques d’être atteint d’au moins neuf types de cancer, notamment le cancer du sein, le cancer colorectal, le cancer du foie et le cancer de l’œsophage.
Je vais vous donner un exemple de ce qui est en jeu selon nous. Prenons une femme de 42 ans qui suit les directives en vigueur au Canada sur la consommation d’alcool à faible risque. Elle boit un ou deux verres de vin au souper chaque soir. Elle ne sait probablement pas que même en se limitant à 10 verres standards par semaine, elle accroît ses risques de développer un cancer colorectal d’environ 14 % et que ses risques de contracter un cancer du sein et un cancer de l’œsophage augmentent respectivement de presque 19 % et de près de 30 %. Pour cette femme, ce n’est pas une consommation à faible risque.
C’est pourquoi il est important non seulement de parler du lien entre l’alcool et le cancer, mais aussi d’expliquer aux Canadiens comment ils peuvent mesurer leur propre consommation. Le vin est l’alcool le plus difficile à évaluer soi-même lorsqu’il s’agit de mesurer les verres standards, car combien d’entre nous savent réellement à quoi ressemble un verre de cinq onces?
Tout cela démontre une triste réalité que l’industrie et les lobbyistes qui tirent profit de la vente d’alcool veulent vous cacher : il n’existe en fait aucun niveau de consommation d’alcool considéré comme sûr sur le plan de la prévention du cancer.
Il ne s’agit pas seulement d’un problème canadien, mais aussi d’un problème mondial. L’Organisation mondiale de la santé parle de plus en plus ouvertement des méfaits de l’alcool et réclame des mesures de santé publique plus strictes, notamment des étiquettes de mise en garde, des taxes et des restrictions en matière de marketing. Les pays du monde entier sont confrontés aux mêmes défis, et le Canada a la possibilité de montrer l’exemple.
Le débat autour de l’alcool et de la santé rappelle la lutte que nous menons depuis des décennies contre le tabac. L’industrie des boissons alcoolisées s’est toujours efforcée de semer le doute, de remettre en question les preuves scientifiques et de retarder les mesures de santé publique visant à protéger les Canadiens et à assurer leur sécurité. Ses efforts visent souvent à retarder, à affaiblir ou à faire échouer les politiques de santé publique qui menacent ses profits. Nous avons déjà joué dans ce film-là. Nous savons comment il se termine : des vies perdues, des familles dévastées, des milliards dépensés en soins de santé et des pertes de productivité.
En effet, les méfaits liés à l’alcool coûtent au Canada au moins 19,67 milliards de dollars par an, alors que les recettes publiques provenant de l’alcool ne s’élèvent qu’à 13,47 milliards de dollars. Cela représente un déficit de près de 6,2 milliards de dollars rien que pour financer les méfaits que l’alcool cause dans notre société.
Soyons clairs. Nous ne sommes pas ici pour dire aux Canadiens comment vivre leur vie ou quels choix faire. Nous sommes ici parce que nous croyons que les Canadiens ont le droit d’obtenir des informations exactes et accessibles sur les produits qu’ils consomment, afin de pouvoir prendre des décisions éclairées concernant leur santé, en particulier lorsque ces produits augmentent leurs risques de cancer et d’autres maladies chroniques.
Les Canadiens méritent la même transparence et la même protection que celles dont ils bénéficient actuellement en ce qui concerne le tabac. Ils méritent des étiquettes de mise en garde qui font clairement état des risques pour la santé associés à l’alcool, y compris le risque de cancer.
Et nous savons que les Canadiens sont d’accord. Dans un récent sondage Ipsos réalisé pour notre compte, 81 % des Canadiens se sont déclarés favorables à l’apposition obligatoire d’étiquettes de mise en garde pour la santé et la sécurité sur les boissons alcoolisées, y compris des mises en garde contre le risque de cancer et d’autres maladies chroniques. Il s’agit là d’un mandat d’action.
Le projet de loi S-202 est un élément clé de ce mandat. Il constitue une mesure concrète et équilibrée, une mesure simple qui assure la transparence en informant les Canadiens des risques de cancer associés à la consommation d’alcool.
La Société canadienne du cancer appuie le projet de loi S-202 parce que les Canadiens ont le droit de savoir, et j’espère que les membres du comité seront d’accord avec nous.
Je vous remercie et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Dr Alexander Caudarella, directeur général, Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances : Madame la présidente, madame la vice-présidente et chers membres du comité, je vous remercie d’avoir invité le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, ou CCDUS, à vous entretenir aujourd’hui du projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques).
Comme vous le savez, l’alcool est l’une des principales causes évitables de décès et de problèmes sociaux au Canada.
La différence, d’une part, entre les profits et les recettes publiques, et, d’autre part, les méfaits causés par l’alcool se traduit par un déficit de 6 milliards de dollars lié à l’engorgement des urgences, aux coûts sociaux et à la perte de productivité.
Les données montrent que de nombreux Canadiens ont encore une compréhension limitée des méfaits liés à l’alcool, notamment les maladies du foie, jusqu’à neuf types de cancer et les troubles cardiovasculaires.
Ce n’est pas une surprise. La semaine dernière encore, un grand média canadien a publié un article qui tentait de minimiser le lien entre l’alcool et le cancer. Les gens ont besoin de clarté pour faire abstraction des messages véhiculés par l’industrie et prendre des décisions éclairées en fonction de leur état de santé et de leurs valeurs personnelles, et non des valeurs de l’industrie ou du gouvernement.
En 2023, nous avons publié les Repères canadiens sur l’alcool et la santé, afin d’actualiser les Directives de consommation d’alcool à faible risque, que nous avions publiées en 2011. Ils rassemblent les connaissances scientifiques les plus récentes sur l’alcool et ses effets. Le rapport indique que les étiquettes de mise en garde sur les boissons alcoolisées pourraient constituer un moyen particulièrement efficace de réduire les méfaits liés à l’alcool.
Les étiquettes obligatoires sur les boissons alcoolisées comportant des mises en garde concernant la santé, des informations sur les verres standards et des recommandations nationales actualisées en matière de consommation d’alcool constituent une mesure de santé publique très importante pour aider les consommateurs à comprendre les risques liés à la consommation d’alcool.
[Français]
L’alcool n’est pas soumis aux mêmes exigences sévères d’étiquetage que d’autres substances psychoactives réglementées, comme le tabac et le cannabis.
[Traduction]
Le sondage mené par le gouvernement du Canada en 2023 a révélé que 60 % des Canadiens estiment que les boissons alcoolisées devraient comporter des étiquettes de mise en garde. Même une majorité des jeunes de 16 à 19 ans pensent que de telles étiquettes les aideraient à mieux comprendre les risques.
Ce n’est toutefois pas une nouvelle mesure. En 1987, le Comité permanent de la santé nationale et du bien-être social a parcouru le pays et est revenu avec une série de recommandations sur l’usage de substances appuyées par tous les partis. L’une de ces recommandations consensuelles était la création de l’organisation que je dirige, le CCDUS. Il y en avait une autre, à savoir l’apposition d’étiquettes de mise en garde sur toutes les boissons alcoolisées.
Depuis lors, plus d’une douzaine de tentatives ont été faites pour faire avancer la question des étiquettes de mise en garde sur les boissons alcoolisées par le biais de projets de loi, de motions et d’autres mesures non législatives.
La science est claire et le soutien populaire et institutionnel est là. Nous savons que les étiquettes sont généralement une mesure de santé publique rentable. Alors pourquoi continuons-nous à débattre autant de leur valeur? Quel est le risque perçu à aller de l’avant avec ce genre de mesure?
Pourquoi, en 2025, les boîtes de céréales Count Chocula comportent-elles plus d’informations sur les effets de ce produit sur la santé que les bouteilles de bière de Budweiser?
[Français]
Les personnes au Canada ont le droit de savoir.
Je suis médecin de famille. Je constate qu’il règne une certaine incertitude de nos jours. Les gens viennent dans mon cabinet et dans les cabinets de partout au pays, parce qu’ils veulent prendre leur santé en main, trouver des solutions et vivre plus longtemps. C’est aussi simple que cela. Ils veulent de l’espoir.
[Traduction]
L’information ne vise pas à alarmer les gens. Elle a pour but de donner de l’espoir et une liberté d’action.
[Français]
Il ne s’agit pas de dire aux gens comment vivre leur vie. Cependant, ils ont le droit de connaître les effets de l’alcool sur leur santé et de prendre les décisions qui leur conviennent.
[Traduction]
Il y a 10 mois, le Surgeon General des États-Unis a déclaré que la plupart des personnes qui développeront un cancer lié à l’alcool ne souffrent pas de toxicomanie ou d’une dépendance, et il avait raison. C’est pourquoi il est si important que toutes les mesures que nous prenons pour communiquer cette information soient accessibles à tous.
Au CCDUS, nous recevons beaucoup de courrier de la part de ministres et de députés, ainsi qu’un grand nombre de magnifiques lettres. La seule chose qui est encadrée dans mon bureau est une lettre que j’ai reçue l’année dernière d’une fillette de huit ans. Elle y explique qu’il y a des problèmes d’alcoolisme dans sa famille et que ce sont l’information, la science et les connaissances qui l’aident, ainsi que sa famille, à se protéger.
Il nous incombe de veiller sérieusement et collectivement à ce que les gens aient aisément accès à l’information dont ils ont besoin et qu’ils souhaitent obtenir, et d’aller enfin de l’avant avec l’apposition d’étiquettes améliorées sur les contenants d’alcool. Je vous remercie de m’avoir invité à m’exprimer aujourd’hui sur ce sujet important. Je serai ravi de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, docteur Caudarella.
Lori Ann Motluk, directrice des services cliniques et ancienne présidente, Canadian Alcohol Use Disorder Society : Madame la présidente Moodie, chers sénateurs, membres du personnel et partenaires, je suis honorée de représenter la Canadian Alcohol Use Disorder Society, ou CAUDS, un organisme à but non lucratif qui œuvre pour un avenir où le trouble lié à l’usage d’alcool, ou TUA, sera considéré comme un problème médical qui se soigne et qui est abordé avec compassion. Nous travaillons dans quatre domaines : donner aux personnes qui ont été ou sont aux prises avec ce trouble les moyens de s’aider, mobiliser les professionnels de la santé, faire progresser la recherche et mobiliser les communautés.
Notre objectif commun est clair, à savoir réduire les méfaits et les souffrances liés à l’alcool au Canada. La Canadian Alcohol Use Disorder Society appuie sans réserve le projet de loi visant à exiger l’apposition d’étiquettes de mise en garde contre le risque de cancer lié à la consommation d’alcool. Ces étiquettes ne servent pas simplement à informer les gens; elles offrent l’occasion de prendre une mesure concrète en matière de sensibilisation. Elles fournissent plus que de l’information; elles incitent à la réflexion, à la conversation et, au bout du compte, à la prévention et au traitement.
Il est urgent d’agir. Un Canadien sur cinq souffrira d’un trouble lié à l’usage d’alcool au cours de sa vie, mais moins de 5 % d’entre eux recevront un traitement. Des solutions existent, mais elles ne sont tout simplement pas suffisamment mises en œuvre. La plupart des gens, des familles et des cliniciens ne connaissent que les options utilisées lorsque le trouble est à un stade critique ou avancé, comme la désintoxication ou la réadaptation, c’est-à-dire lorsque le trouble a progressé. Les étiquettes de mise en garde peuvent aider les gens à prendre conscience des risques, à faire des choix personnels concernant leur consommation et, si nécessaire, à demander de l’aide plus tôt. Il est beaucoup plus efficace d’intervenir de façon précoce plutôt que d’attendre une crise.
C’est pourquoi nous préconisons que le TUA soit pris en charge par les fournisseurs de soins primaires, qui assurent déjà un soutien pour d’autres problèmes de santé, et qu’une gamme complète de soins complémentaires pouvant être personnalisés soient offerts, notamment la prescription de médicaments, du counselling, du soutien par les pairs et des soins aux personnes âgées et aux familles, afin que les personnes puissent obtenir le type d’aide dont elles ont besoin au moment opportun.
La Canadian Alcohol Use Disorder Society se concentre sur le « comment », et elle applique deux approches. La première est l’implication des cliniciens par le biais de notre programme Approaches and Pharmacotherapies for Patients Living with Alcohol Use Disorder, ou APPLAUD.
Nous aimons les acronymes dans le milieu de la santé.
Il s’agit d’une série de mesures élaborées en partenariat avec l’organisme Health Quality BC. Il y a notamment des équipes de soins primaires composées d’infirmières praticiennes, de médecins et de personnel clinique qui dispensent des soins transformateurs et fondés sur des données probantes aux personnes souffrant d’un TUA. Ce programme fournit à ces équipes des outils pratiques pour le dépistage, la prescription de médicaments, la participation des patients, un aiguillage coordonné et bien plus encore. Lorsque les équipes mettent en œuvre ce modèle, elles bénéficient du soutien de leurs pairs, de personnes qui ont été ou sont aux prises avec ce trouble, ainsi que d’universitaires spécialisés en la matière. Ce modèle est désormais en train d’être adopté un peu partout au pays.
La deuxième approche consiste en un programme d’engagement communautaire qui collabore avec des dirigeants et des organismes locaux pour ainsi former des équipes intersectorielles chargées de mener des initiatives, des campagnes et des partenariats locaux visant à faire connaître les options de soins et à promouvoir des habitudes plus saines de consommation d’alcool.
Tout comme les programmes communautaires aident les gens à passer de la prise de conscience à l’action, les étiquettes de mise en garde peuvent servir de pont entre la prise de conscience des risques et l’espoir, la prévention et le traitement.
En résumé, la modification de la Loi sur les aliments et drogues est une première étape importante, que nous appuyons sans réserve. Une fois que l’obligation d’apposer des étiquettes de mise en garde sera en vigueur, notre organisme sera prêt à travailler en partenariat avec les gouvernements fédéral et provinciaux, les systèmes de santé et les organisations communautaires pour faire en sorte que les personnes qui liront ces étiquettes aient accès à des conseils et à des outils d’établissement d’objectifs et qu’elles bénéficient rapidement de soins fondés sur des données probantes. Ensemble, nous pouvons utiliser la sensibilisation pour ouvrir la porte à l’espoir, au traitement et à la prévention. Merci.
La présidente : Je vous remercie tous pour vos déclarations liminaires. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité.
La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins pour leur présence aujourd’hui. J’ai deux questions à poser. Je vais les lire toutes les deux.
Ma première question s’adresse aux représentants de la Société canadienne du cancer. Compte tenu de votre expérience en matière de lutte contre le tabagisme, quelles leçons tirées de la mise en œuvre de mises en garde sur la santé devraient éclairer la mise en place de cette mesure visant les boissons alcoolisées, si le projet de loi S-202 est adopté, notamment en ce qui concerne la rotation des messages, l’évaluation et la résistance de la part de l’industrie?
Ma deuxième question s’adresse à la représentante de la Canadian Alcohol Use Disorder Society. Si le projet de loi S-202 est adopté, pourrait-il y avoir des problèmes sur le plan de l’équité ou de la mise en œuvre, par exemple en ce qui concerne les personnes souffrant d’un trouble lié à l’usage d’alcool, que les décideurs devraient garder à l’esprit afin d’éviter la stigmatisation ou des préjudices non intentionnels? Monsieur Purcell, voulez-vous y aller?
M. Purcell : Je vous remercie pour votre question. Je vais demander à mon collègue, M. Cunningham, d’y répondre puisqu’il connaît très bien la question de la lutte contre le tabagisme.
Rob Cunningham, analyste principal des politiques, Société canadienne du cancer : Merci, sénatrice, pour votre question. Nous savons, grâce à des décennies d’expérience en matière de mises en garde sur les produits du tabac, qu’elles sont efficaces. Elles permettent de sensibiliser davantage la population aux effets sur la santé. Elles contribuent à réduire la consommation. Nous avons dû surmonter l’opposition de l’industrie du tabac à l’égard de ces mises en garde.
Pour ce qui est de la mise en œuvre, une période de transition serait prévue pour permettre aux entreprises de se conformer à la nouvelle exigence. Les mises en garde sont plus efficaces lorsqu’elles sont bien visibles. Les mises en garde qui occupent une grande superficie sont un peu plus efficaces que celles qui sont plus petites. Il serait souhaitable qu’il y ait une rotation des diverses mises en garde, et bien sûr, il faudrait les actualiser régulièrement afin qu’elles ne deviennent pas obsolètes.
Il existe un consensus à l’échelle internationale quant à ces principes, qui figurent dans les lignes directrices du traité international antitabac, la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’OMS, qui impose des exigences minimales aux plus de 100 pays qui ont ratifié ce traité, dont le Canada. Il existe des pratiques exemplaires provenant de pays du monde entier. Le Canada a été un chef de file mondial en matière d’étiquettes de mise en garde sur les produits du tabac. Nous espérons qu’il pourra faire de même en ce qui concerne l’alcool.
La sénatrice Osler : Merci. Madame Motluk, allez-y.
Mme Motluk : C’est une question très vaste. Nous travaillons avec des personnes qui ont été ou sont aux prises avec ce trouble. D’après ce que j’ai entendu dire, elles sont en faveur des étiquettes.
Grâce à cette mesure concernant les étiquettes de mise en garde, du travail est effectué sur plusieurs fronts. Nous savons que si une personne est en difficulté, elle peut espérer s’en sortir et avoir accès à un traitement.
Nous savons également, grâce à notre travail à l’échelle communautaire, que les patients et leur famille commencent non seulement à comprendre les risques, mais aussi à savoir où ils peuvent obtenir de l’aide. Ce que j’entends souvent, c’est que les gens sont désormais capables de s’exprimer et de discuter de manière beaucoup plus ouverte. Ils abordent le sujet dans le milieu communautaire et lors des repas en famille, ce qui permet aux gens de s’exprimer plus facilement.
En ce qui concerne la stigmatisation liée aux différents groupes d’âge et à l’origine ethnique, c’est une question beaucoup plus complexe à laquelle je ne peux pas vous donner une réponse complète. Je pense qu’il faut dialoguer avec ces groupes pour vraiment comprendre s’il y a un impact, comment l’atténuer et favoriser la conversation.
La sénatrice Hay : Merci à tous les témoins pour leur présence et pour le travail qu’ils accomplissent tous les jours pour la population canadienne.
J’ai deux questions à poser. Il y en a une que j’ai souvent posée, mais ce n’est pas parce que je n’obtiens pas de bonnes réponses. Je pense que les étiquettes à elles seules n’auront peut-être pas l’impact que nous souhaitons.
Quelles mesures complémentaires devraient s’ajouter au projet de loi S-202 pour faire en sorte qu’il ne constitue pas la seule mesure à cet égard et qu’il ait le plus grand impact possible? Je pense toujours à l’industrie, mais qu’en est-il des détaillants comme la LCBO, Sobeys et WineOnline? Je suis curieuse. Voilà ma première question.
Quand vous y aurez répondu, j’aurai une autre question à poser. N’importe qui peut répondre.
M. Purcell : De nombreuses autres mesures peuvent s’ajouter au projet de loi. La première qui me vient à l’esprit, c’est l’adoption par le gouvernement du Canada des Repères canadiens sur l’alcool et la santé. J’ai donné l’exemple d’une femme de 42 ans qui respecte les Directives de consommation d’alcool à faible risque du Canada et qui a considérablement plus de risques de développer un certain nombre de cancers. C’est un élément qui fait partie de la conversation sur la sensibilisation.
Il y a certes d’autres mesures que la Société canadienne du cancer envisagerait afin de réduire la consommation d’alcool, car c’est ce que nous souhaitons principalement parce qu’après le tabac, l’alcool est la principale cause de cancer au pays. Nous espérons que le projet de loi entraînera une réduction de la consommation d’alcool. Ces mesures peuvent inclure l’imposition de taxes et la mise en œuvre d’un plus grand nombre d’initiatives de sensibilisation, élaborées par Santé Canada ou les provinces et les territoires. Par ailleurs, nous encourageons le comité, le moment venu, à adopter l’autre projet de loi du sénateur Brazeau sur la publicité.
Dr Caudarella : Je suis d’accord avec mon collègue sur les points qu’il a fait valoir. J’ajouterais que l’une des choses qu’a apprises le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances en parcourant le pays et en se penchant sur la mobilisation des connaissances, c’est que les problèmes d’alcool sont souvent spécifiques à la communauté, bien qu’il existe des vérités universelles.
Tout ce que les détaillants peuvent faire en tant qu’entreprises citoyennes pour s’engager et agir fait partie d’un défi civique. Les communautés ont de la difficulté. Elles essaient désespérément de trouver des façons d’améliorer la santé et la sécurité de la population. Très peu de choses apportent autant de bénéfices sur le plan de la santé et de la sécurité aux personnes et aux communautés que la réduction, même modeste, de la consommation d’alcool.
Je pense qu’il existe des occasions de collaborer directement avec les communautés qui souhaitent considérer cela comme un défi civique, qui souhaitent s’atteler à la tâche et se pencher sur ce que cela veut dire de s’attaquer à cette question et qui souhaitent connaître les priorités. C’est en grande partie ce que fait le CCDUS dans le cadre de la mobilisation des connaissances. Je pense que ce travail se traduit par ce genre d’actions.
La sénatrice Hay : Merci.
Mme Motluk : C’est exactement ce que nous faisons auprès des communautés. Lorsque nous rencontrons les gens, et que nous lançons et soutenons leurs initiatives locales, nous leur demandons surtout de communiquer l’information dans les rayons des épiceries et à leur table. Ensemble, ces gestes et efforts locaux donnent des résultats.
Nous avons constaté une augmentation des produits non alcoolisés dans les rayons des épiceries. Je viens de la région viticole du sud de l’Okanagan. Nous travaillons en partenariat avec différents vignobles et nous sommes invités à prendre la parole au Festival of the Grape. Les communautés doivent donc tailler sur mesure leur solution et la faire connaître, mais nous constatons de réels progrès.
La présidente : Je vous remercie. Je vais maintenant donner la parole au sénateur Brazeau, qui parraine le projet de loi.
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie. Bonjour à tous. Mes collègues et moi vous remercions du travail que vous accomplissez dans le domaine de l’alcool, car sans vous, rien de tout cela ne serait possible. Je vous en remercie infiniment.
La semaine prochaine, nous entendrons probablement les représentants du lobby de l’alcool et de l’industrie. Quand je regarde le groupe de témoins d’aujourd’hui et le suivant, voici ce qu’il va probablement se passer la semaine prochaine. Je crois que les représentants de l’industrie vont venir ici et essayer de dénigrer les scientifiques qui travaillent à ce dossier depuis longtemps. Ils vont tenter de discréditer les nouvelles directives de consommation d’alcool du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances. Ils vont essayer de porter atteinte aux chiffres et aux ratios de la Société canadienne du cancer sur le cancer attribuable à la consommation d’alcool. Ils prétendront probablement que des projets de loi comme celui-ci ne concernent que ceux qui ont des problèmes d’alcoolisme, et personne d’autre.
Si vous n’avez pas le temps de donner votre réponse, je vous serais reconnaissant de bien vouloir l’écrire, car je pense qu’il est important que cette information figure au compte rendu. Que répondez-vous aux personnes, à l’industrie et aux lobbyistes qui s’opposent à un projet de loi dont l’objectif est que les consommateurs canadiens aient accès à l’information sur la santé à laquelle ils ont droit afin de pouvoir faire des choix plus éclairés? Il ne s’agit pas d’interdire, mais bien de fournir aux Canadiens davantage d’information afin qu’ils puissent prendre des décisions plus éclairées à ce chapitre. Que dites-vous à ces lobbyistes et à ceux qui s’opposent au projet de loi et à ce qui a trait à vos organisations respectives?
M. Purcell : J’encourage vivement les membres du comité, lorsqu’ils en auront l’occasion, à commencer par demander aux représentants de l’industrie de justifier leur opposition et à leur demander sans détour si l’alcool cause le cancer. Vous verrez où cette conversation pourrait mener.
Le sénateur a très bien expliqué en quoi consiste ce projet de loi pour nous. Il vise à sensibiliser. Il ne s’agit pas de dire aux Canadiens ce qu’ils doivent faire. Il s’assurerait que les gens ont cette information à portée de main. Le fait que l’information soit affichée sur la bouteille au moment de l’achat d’un produit est le moyen le plus simple et le plus cohérent pour qu’ils aient l’information, la retiennent et en tiennent compte dans leur prise de décision.
Dr Caudarella : En réalité, le projet de loi vise simplement à informer les gens des risques. Quand on y regarde de plus près, la science, c’est la science. Les recommandations de 2011 et celles de 2023 ont été rédigées en grande partie par les mêmes auteurs. Je ne sais pas si, tout à coup, ils ont pensé que ces personnes qui étaient dignes de confiance en 2011 avaient perdu la tête au cours de ces 10 années. La science est ce qu’elle est. C’est pourquoi, à l’échelle internationale, l’Organisation mondiale de la santé et toutes ces entités parviennent aux mêmes conclusions, et les tentatives visant à brouiller les pistes ne fonctionneront tout simplement pas. Elles ne convainquent plus les Canadiens.
J’invite l’industrie à mettre l’épaule à la roue et à aider véritablement les communautés en répondant aux attentes des consommateurs, car ceux-ci savent très bien ce qu’ils veulent.
Les multinationales de l’alcool sont redevables à leurs actionnaires. Elles doivent vendre plus d’alcool. C’est leur devoir. C’est pourquoi nous avons maintenant les déterminants commerciaux de la santé. En tant qu’organismes de santé, nous devons tenir compte du fardeau qui pèse sur les services d’urgence. Nous devons avoir une vision d’ensemble, et je pense qu’il serait également utile de leur poser des questions sur ces points précis.
La sénatrice Muggli : Merci à tous d’être ici aujourd’hui. Je vous en suis très reconnaissante. Tout le monde peut répondre à ma question, et M. Cunningham a peut-être une certaine expérience en matière d’étiquetage des produits du tabac. L’étiquetage aura-t-il autant d’incidence sur les personnes bien nanties que sur celles qui ont des difficultés liées au classisme, au racisme, au capacitisme et à l’hétérosexisme? Y a-t-il un groupe dans la société qui est plus susceptible de réduire sa consommation d’alcool à la suite de l’étiquetage? Je voudrais également savoir si vous pensez que l’étiquetage aura un effet sur la consommation chez les mineurs.
M. Cunningham : L’expérience du tabac nous a appris qu’il y a un effet sur différentes sous-populations. L’ampleur de l’incidence dépend en partie de la taille de la mise en garde, de l’efficacité du message, des couleurs contrastées et de la rotation. Tous ces éléments augmentent l’effet.
Il y a également une incidence sur les jeunes, ce qui est important en raison de la contribution de ce groupe d’âge. L’étiquette de mise en garde peut également rendre l’emballage légèrement moins « cool ».
Sénateurs, sachez que nous avons mis à votre disposition un rapport qui étaye l’expérience internationale à l’égard des mises en garde sur le tabac.
La sénatrice Muggli : Ma question est la suivante : observerons-nous une réduction équivalente de la consommation chez les personnes de notre société qui sont à l’aise que chez celles qui sont plus défavorisées? Si vous deviez donner un pourcentage, pensez-vous qu’il est probable que les personnes vivant toutes ces autres difficultés soient capables d’assimiler ces informations et de réduire leur consommation autant que les personnes privilégiées?
Dr Caudarella : Si je peux ajouter quelque chose, j’étais médecin dans un quartier défavorisé auparavant. J’ai été un peu choqué parce que j’avais un patient qui était très malade, souffrant d’un grave trouble lié à la consommation d’alcool, avec tous les signes de marginalisation. Ces patients, probablement plus que tous mes autres, étaient très intrigués par le lien avec le cancer. J’avais en quelque sorte écarté cette idée de mon esprit; je pensais qu’ils avaient des besoins plus aigus et plus urgents.
Nous savons maintenant que les seules personnes capables d’apporter ces changements dans leur vie sont bien nanties. Il faut consulter trois sites Web. Il faut avoir une calculatrice. Il faut faire toutes ces différentes choses. Ce que M. Cunningham vient de mentionner, ce sont des éléments qui amélioreront l’accès à l’information chez les populations dont vous parlez.
Quel est le pourcentage exact? Notre organisation a mené de nombreux travaux sur l’étiquetage afin de trouver les étiquettes les plus efficaces et la meilleure façon de les utiliser. Il faut poursuivre ces études et apporter des améliorations continues, mais ce doit être mieux que ce que nous avons actuellement.
M. Purcell : De même, je ne pense pas pouvoir vous donner de pourcentage. Nous espérons qu’en apposant cette étiquette claire, qui présente des informations très précises dans les deux langues officielles, ce sera accessible à la plupart des gens de manière équitable.
En ce qui concerne les jeunes, ils seront les plus touchés par cette discussion plus globale sur le lien entre l’alcool et le cancer. Nous savons que les jeunes boivent moins, ce qui est un excellent début. Leur donner accès à ces informations plus tôt dans leur vie, qu’ils aient l’âge légal ou qu’ils se soient procuré de l’alcool illégalement, leur fournit les informations dont ils ont besoin pour prendre de meilleures décisions plus tard dans leur vie. Car nous savons que deux cancers sur cinq peuvent être évités. Comme je l’ai mentionné, l’alcool est la principale cause de cancer après le tabac.
La sénatrice Muggli : Une partie de mon argument est que l’étiquette ne supprimera pas les facteurs externes qui rendent la vie difficile à certaines personnes. Je peux voir une étiquette, mais si je vis toujours dans la pauvreté et avec tous les autres obstacles dans ma vie, tout ce que je voudrai faire, c’est m’engourdir pendant un moment. Je me demande si ces personnes songeront au cancer autant que celles sans ces difficultés.
La sénatrice Bernard : Merci à tous d’être ici. Sans surprise, ma question fera suite à celle de la sénatrice Muggli. Nous sommes les travailleuses sociales du groupe, qui occupent aussi un poste de sénatrice.
Dans cette optique, pour ce qui est de la mobilisation des connaissances, comment atteindre les communautés qui se tournent vers l’alcool pour composer avec ces déterminants sociaux de la santé? En quoi l’adoption de ce projet de loi y contribuerait-elle? Nous parlons ici de la mobilisation des connaissances auprès de communautés et de familles très difficiles à atteindre. Elles ne font pas partie de la société dominante. Elles sont marginalisées. Tous les témoins peuvent y répondre.
Mme Motluk : Lorsque nous travaillons avec des médecins dans le système de santé et en particulier dans les soins primaires, il est essentiel que ces étiquettes incitent les professionnels de la santé à reconnaître la condition et à faire des tests de dépistage.
Notre organisation a mené un petit projet pilote à l’Interior Health, en Colombie-Britannique. Les responsables ont commencé à dépister les troubles liés à la consommation d’alcool dans les services d’urgence. Toute personne dont le résultat était positif était traitée et recevait un soutien dès sa sortie des urgences. Cette initiative a été étendue à tous les services d’urgence d’Interior Health. Chaque fois qu’il y a une interaction avec un professionnel de la santé, c’est le moment idéal pour avoir certaines de ces conversations.
De même, lorsque nous nous rendons dans les communautés, nous cherchons à être invités dans différents secteurs par les têtes dirigeantes de la communauté. Cette tactique nous a été très utile. Nous avons été invités à toutes sortes d’endroits où nous avons rencontré des personnes auxquelles nous n’aurions pas eu accès sans cette porte ouverte.
La mobilisation des connaissances est loin d’être simple. Elle se fait parfois une personne à la fois.
Dr Caudarella : Une grande partie du travail de notre organisation passe par la mobilisation des connaissances. Nous passons toute la journée à discuter de certaines initiatives. Mais l’étiquetage a l’avantage d’être répétitif, ce qui signifie qu’on y est constamment exposé. Il ne s’agit pas seulement du consommateur, mais aussi des membres de sa famille. Ce sont même ses médecins et ses travailleurs sociaux. Si tous ces gens sont constamment exposés au message, il y a plus de chances que tous les membres de l’équipe de soins abordent plus fréquemment le sujet avec cette personne. Il y a plus de chances qu’on en discute à table.
L’alcool fait des ravages dans l’ombre. C’est ce que nous avons appris. Plus les gens en parlent, plus la consommation d’alcool diminue. En amenant les gens à en discuter et à mettre le sujet au premier plan, qu’il s’agisse de la personne touchée, de sa famille ou de ses soignants, on s’assure qu’il y aura plus de dépistage, de discussions et de traitements. Il faut simplement qu’on en discute davantage.
La sénatrice Bernard : Merci. Il serait très utile pour notre comité d’avoir une copie des repères sur la consommation d’alcool du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, ou CCDUS, dans le cadre de notre étude du projet de loi. Je pense que ce serait utile.
La sénatrice Senior : Merci d’être ici. J’ai deux questions.
J’aimerais que vous imaginiez que ce projet de loi est adopté et devient loi. Je profite du message d’espoir que véhiculait Mme Motluk aujourd’hui. Selon vous, quels en seront les effets aux différents endroits où vous exercez vos activités? Quels seraient selon vous les résultats immédiats du projet de loi? Quelles recherches à l’appui de ces résultats attendus pourriez-vous transmettre au Comité?
M. Purcell : De notre point de vue, les résultats que nous espérons se produiront à plus long terme. Il faudra du temps pour constater la réduction essentielle des cancers attribuables à une baisse de la consommation d’alcool. Ce serait un effet à plus long terme.
À court terme, nous verrons des indicateurs sur les habitudes d’achat de toutes les générations. À quoi ressemble la consommation? Comment va la sensibilisation sur le lien entre l’alcool et le cancer? Ces chiffres évoluent-ils, puisque nous avons cité quelques chiffres différents à ce chapitre? Nous savons que, quoi qu’il en soit, la majorité de la population n’est pas consciente de ce lien. Il s’agit d’un moyen fondamental et simple de changer la donne et, comme vous l’avez mentionné, d’aborder le sujet à table afin que les gens soient plus ouverts à en parler.
Depuis que le CCDUS a publié ses premières directives il y a quelques années, les échanges ont considérablement évolué dans l’opinion publique et dans les médias lorsque nous parlons des recommandations en matière de consommation d’alcool sans risque pour la santé.
Dr Caudarella : Nous pouvons discuter longuement de l’effet qu’aura finalement le projet de loi, mais ce qui compte à mes yeux est le droit d’être informé. Il faut avoir les renseignements en main. Tout le reste est formidable.
Depuis la pandémie, les gens ont une confiance limitée envers les gouvernements, les organismes et tout ce qui s’y rapporte. Vous devriez voir le regard des patients lorsqu’ils découvrent qu’ils ont tout fait pour éviter le cancer du sein, sans savoir que l’alcool y contribue — alors que les scientifiques et les médecins le savent depuis longtemps. Essentiellement, le projet de loi cherche simplement à informer les gens de ce qu’ils sont en droit de savoir en révélant ce que contient le produit et ses effets sur la santé. Nous pouvons continuer à étudier la façon de gagner en efficacité, mais le cœur du problème, ce sont les conversations, la sensibilisation, les connaissances et l’information.
Mme Motluk : Je veux que les gens aient ces conversations en voyant les étiquettes, et que ceux qui ont besoin d’aide aient accès aux soins.
La sénatrice Arnold : Je vous remercie d’être ici. C’est la première fois que j’entends parler de « 1987 ». La première recommandation a été formulée il y a 38 ans. Je suppose que la mise en garde sur le cancer est suffisante. Vous avez fait référence aux céréales Count Chocula en ce qui a trait aux composantes alimentaires et autres ingrédients. Je comprends que la mise en garde sur le cancer vous suffit, n’est-ce pas?
M. Purcell : On peut toujours aller plus loin. L’avertissement sur le cancer est un excellent point de départ. Il a un effet choc qui incite les gens à faire le point sur leurs habitudes de consommation, à en discuter et à y réfléchir sérieusement. Mais ce que nous avons constaté au fil des ans, c’est que l’industrie de l’alcool a réussi à se placer en dehors de toute réglementation. Ce sont les seuls articles de consommation facilement accessibles qui ne nécessitent ni information nutritionnelle, ni apport calorique, ni certainement aucune information sur les risques réels associés à leurs produits.
Dr Caudarella : Le cancer obtient davantage d’attention, mais chacun est motivé par des besoins ou des désirs différents. Il vaut mieux afficher clairement davantage d’informations sur la santé, tout comme il vaut mieux que les gens aient facilement accès aux informations sur les bienfaits de changer leurs habitudes. C’est pourquoi il est si important d’afficher les conseils sur les produits ou d’en faciliter l’accès dans les points de vente. Votre vie pourrait être tellement meilleure à l’avenir. Regardez ce que vous pourriez faire. Vous n’avez pas besoin d’arrêter complètement. Même réduire votre consommation peut aider.
C’est là que l’industrie pourrait avoir l’occasion d’innover. Elle pourrait créer de nouveaux produits, de nouvelles choses. Il existe tout un marché qui pourrait se développer et croître, et des milliers de nouvelles personnes et nouveaux consommateurs pourraient être touchés.
Il est essentiel de regarder plus loin, mais le cancer est assurément un sujet qui attire l’attention de tout le monde.
La sénatrice Arnold : Monsieur Cunningham, il semble que vous ayez participé à l’initiative sur le tabac. Avez-vous des conseils à nous donner pour l’avenir? Quelles principales leçons avez-vous tirées?
M. Cunningham : Eh bien, l’initiative fonctionne, mais nous avons eu des années et des années d’opposition de la part de l’industrie du tabac, et nous entendons aujourd’hui des arguments similaires. L’un de leurs arguments était que tout le monde connaît les effets du tabagisme sur la santé, mais des enquêtes ont montré que les Canadiens les sous-estiment vraiment.
M. Purcell a mentionné plus tôt qu’une très grande proportion de Canadiens ignorent que l’alcool cause le cancer. L’industrie contesterait les coûts, mais il y a des étiquettes de mise en garde sur les contenants d’alcool aux États-Unis. Sur le plan de la faisabilité financière, la preuve a été faite à proximité. Nous pouvons nous attendre à beaucoup d’arguments de la part de l’industrie, mais nous avons dû les surmonter, puis avons finalement réussi à améliorer la santé publique.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Greenwood : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui et, bien sûr, du travail qu’ils accomplissent pour tous les Canadiens.
J’ai deux questions, qui font suite à ce que mes collègues travailleurs sociaux ont soulevé. Premièrement, avons-nous des données désagrégées par groupe démographique, par âge, par origine ethnique, sur la consommation d’alcool? Est-ce que l’un d’entre vous dispose de ces données?
Dr Caudarella : Oui, nous publierons une nouvelle version du rapport sur les causes et les méfaits de l’usage de substances au Canada, que nous avons produit en collaboration avec l’Université de Victoria. Le rapport contient de l’information sur chaque province et territoire, les hommes, les femmes et les différents groupes d’âge. On y utilise une foule de données sur la santé, ainsi que des données sur les achats et divers autres paramètres. Nous pourrons offrir au comité une séance d’information technique à la parution du rapport.
Mme Motluk : Ce sont des données que nous utilisons.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie. C’est important quand on pense à l’application des connaissances. Quel est le public visé? D’ailleurs, pour revenir à votre question, il y a un lien avec les déterminants de la santé des personnes. Une fois que nous connaissons notre public cible, comment pouvons-nous lui transférer ces connaissances le plus efficacement possible, sachant que ce genre d’information s’avère toujours utile? Cela ne fait aucun doute.
Mon bureau a reçu une lettre d’un intervenant de l’industrie qui s’oppose au projet de loi. Cette personne fait valoir qu’en examinant le rapport sur les directives de consommation d’alcool à faible risque, il est évident que ceux qui participent à ces efforts estiment que même une faible consommation d’alcool est excessive, malgré les données probantes bien établies à l’échelle mondiale qui montrent qu’une consommation modérée d’alcool peut avoir certains bienfaits pour la santé.
Voilà ce qui est suggéré dans la lettre, et on donne ensuite quelques exemples. On y cite également la clinique Mayo, sans toutefois mentionner l’étude d’où proviennent les données, et je crois comprendre que ces arguments ont été réfutés récemment.
Ma question est la suivante : si vous receviez une telle lettre, que répondriez-vous?
M. Purcell : C’est l’une des tactiques dont j’ai parlé. L’industrie de l’alcool, comme celle du tabac, cherche à dénigrer le travail des professionnels qui se consacrent à leur domaine d’intérêt. Je ne vois pas particulièrement de problème à ce qu’un spécialiste de la recherche sur l’alcool rédige un article sur le sujet. Personnellement, si je devais subir une opération du cerveau, je n’irais pas consulter un podiatre. La spécialisation est importante.
Nous avons vu l’industrie agir de la sorte à maintes reprises. Lorsque ses représentants auront l’occasion de comparaître la semaine prochaine, il faudra leur poser des questions sur le lien entre l’alcool et le cancer; ils devront en parler.
Mme Motluk : L’une des choses qui ont été utiles, c’est que nous ne prônons pas l’abstinence totale. Nous préconisons le choix. L’industrie fait fi des personnes aux prises avec des problèmes d’alcool. Si elle leur accordait la moindre attention, elle serait tenue d’admettre sa part de responsabilité. L’industrie n’a jamais vraiment reconnu l’existence d’un groupe de personnes qui ont besoin d’aide face à ses produits.
Chaque fois que nous nous adressons à l’industrie, nous parlons d’espoir, de soins, de traitement, tout en reconnaissant l’importance de soutenir les familles. Ce message semble trouver un écho. Dans notre domaine, nous commençons à nous rendre compte qu’il est possible de collaborer un peu avec l’industrie. C’est toutefois une tâche très difficile à l’échelle mondiale.
Dr Caudarella : Si vous lisez le rapport, c’est très clair. Toute réduction est bénéfique. Avant, on fixait une sorte de ligne à ne pas franchir, ce qui jouait en faveur de l’industrie. Si vous dépassez cette limite, alors il n’y a plus rien à faire — inutile même d’y penser. Par contre, si vous êtes en dessous de ce seuil, cela vous garantit une sorte de passe-droit. Pourtant, on n’applique pas ce genre de raisonnement à d’autres produits comme les hamburgers. On ne dit pas aux gens que tant qu’ils respectent une certaine limite, ils sont totalement à l’abri de tout risque. En fait, l’approche actuelle est beaucoup plus conforme à notre message. Lorsque nous mobilisons les connaissances, nous insistons très clairement sur le fait que toute réduction est bénéfique pour la santé. En fait, ce sont les gros consommateurs qui bénéficieront le plus de petites réductions.
Quant aux autres arguments concernant la consommation modérée, la Fédération mondiale du cœur, l’Organisation mondiale de la santé et toutes les autres grandes organisations mondiales ont clairement affirmé que l’alcool n’est pas bon pour la santé. Nous tenons ce genre de discours dans le contexte de beaucoup d’autres aliments et produits. Pourquoi continuons-nous à faire semblant au sujet de l’alcool?
La présidente : Je sais que vous pourriez en parler longuement.
[Français]
Le sénateur Boudreau : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui.
Il est certain qu’il y a eu une évolution dans les habitudes depuis 1988. Comme nous l’avons entendu ici, il y a eu une période au cours de laquelle on pouvait consommer de façon sécuritaire une certaine quantité d’alcool. Maintenant, on semble nous dire qu’aucune quantité n’est sécuritaire.
Côté pragmatique, je cherche à comprendre. Lorsqu’on parle d’une bouteille de bière, de vin ou de spiritueux, le pourcentage en alcool est différent. Lorsqu’on parle d’étiquette, est-ce que ce sera la même, peu importe le pourcentage en alcool? On semble dire qu’aucune quantité n’est sécuritaire. Parle-t-on d’une étiquette qui s’applique à tout ou, à votre avis, parle-t-on de différentes sortes d’étiquettes ou de différents messages sur les étiquettes selon que l’on parle de vin, de bière ou de spiritueux?
Dr Caudarella : Cela dépend moins du type d’alcool que de l’information. Comme je l’ai mentionné, il faut avoir l’information concernant la santé et le taux d’alcool sans avoir besoin d’une calculatrice, car maintenant, il y a des bières qui contiennent 5 % ou 7 % d’alcool ou des vins qui en contiennent 12 %.
Qu’est-ce qu’on peut faire? Ce n’est pas parce qu’il n’y a de pas de zone complètement sécuritaire qu’une personne ne doit jamais consommer de l’alcool. Il s’agit plutôt de savoir ce que vous ferez avec cette information dépendant des conditions pour lesquelles vous êtes préoccupé. Ce qu’on a entendu après la pandémie, c’est que les personnes ne veulent pas des choses qui sont mâchées. Elles veulent les données, elles veulent les informations. C’est ce qu’on a entendu.
Je crois qu’on parle moins du type d’alcool, mais plus de la quantité d’alcool et les effets sur la santé. Parce que 10 bières ou un shot, à la fin de la journée, il faut savoir quelle est la consommation quotidienne. Toutes ces composantes contiennent de l’éthanol, et c’est l’éthanol et l’acétaldéhyde qui sont les substances carcinogènes.
[Traduction]
M. Purcell : Certes, l’un des éléments les plus importants pour nous est la question de savoir ce qui constitue un verre standard et combien de verres standards contient chaque bouteille. Cela peut porter à confusion pour les consommateurs lorsqu’il est question de spiritueux, de vin ou de bière, car les quantités varient énormément d’une boisson à l’autre. Il serait utile d’avoir ce genre d’information. Quelle quantité constitue une portion? Combien de verres standards contient une bouteille de vin ou de vodka? L’accès des Canadiens à cette information fait partie des efforts en matière de sensibilisation et de transparence. Comme nous l’avons tous dit, ils ont le droit de connaître cette information.
[Français]
Le sénateur Forest : J’essaie de remplacer ici ma collègue la sénatrice Petitclerc. D’entrée de jeu, je voudrais remercier le sénateur Brazeau, parce que personnellement, c’est son combat qui m’a amené à réfléchir à l’impact de l’alcool sur la santé et le cancer.
C’est clair qu’un alcool fort peut, par exemple, avoir un degré d’alcool plus élevé par rapport à du vin ou de la bière. Comment peut-on s’assurer qu’une personne normale puisse faire le lien entre un verre standard d’une bouteille de gin comparé à un verre standard d’une bouteille de vin ou de bière?
Dr Caudarella : Il y a plusieurs façons, mais en fin de compte, il faut savoir combien de verres de boisson standards y sont contenus, et pas nécessairement le volume d’alcool dans la bouteille. C’est pourquoi dans les restaurants, les bars mêmes, il faut savoir combien de verres standards il y a dans chaque bouteille. L’information peut être difficile à trouver.
Parfois, il existe une occasion de clarifier les choses. Plusieurs personnes diront qu’elles ne boivent pas de whisky, seulement de la bière. Moi, en tant que médecin, j’ai vu beaucoup plus de personnes qui ont eu des problèmes de santé liés à la bière, parce que c’est souvent moins cher et plus facile à trouver que d’autres boissons. Il faut éduquer le public pour qu’il sache que l’alcool, c’est de l’alcool. Cela ne dépend pas du format dans lequel il vient. Plusieurs scientifiques et experts regardent si le visuel peut être une indication du nombre. On espère que quelqu’un ne va pas boire la bouteille de vodka entière. Quand on verse le contenu dans un verre, cela représente combien de consommations? Comment on communique cela? Vous avez raison : il y a des proportions à faire. Cependant, ultimement, la personne doit savoir que l’alcool, c’est de l’alcool.
[Traduction]
La présidente : Nous sommes censés entamer un deuxième tour, mais nous n’en aurons pas le temps. Quatre sénatrices souhaitent poser une deuxième question. Je vous invite à adresser vos questions directement à l’un des témoins, et nous leur demanderons de nous faire parvenir une réponse par écrit. De cette façon, les questions figureront au compte rendu, et nous prendrons en considération les réponses fournies par écrit. Je vais commencer par la sénatrice Hay.
La sénatrice Hay : Je vous remercie. C’est une excellente idée. Je serai brève. Ma question s’adresse à vous, docteur Caudarella. J’ai été frappée par l’idée que l’information est synonyme d’espoir. Je vais peut-être dire quelque chose de déplacé, mais j’ai l’impression que le pouvoir exercé par le lobby de l’industrie des boissons alcoolisées au Canada ressemble à celui de la NRA aux États-Unis. C’est peut-être une comparaison exagérée, mais ma question est la suivante : d’après vous, pourquoi les Repères canadiens sur l’alcool et la santé, publiés par le CCDUS, n’ont-ils pas été officiellement intégrés à la politique fédérale? C’est pourquoi je crains que le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques) — même s’il va jusqu’au bout du processus — risque d’être abandonné, ignoré ou sans suite.
La sénatrice Muggli : Je viens de recevoir, à l’instant même, le rapport du CCDUS sur les personnes derrière les données. Je vous remercie. Cela tombe à point nommé. L’étiquetage a un impact, car c’est ce qui peut amener une personne à reconnaître qu’elle a un problème et à vouloir agir. Que doit faire cette personne par la suite? D’après mon expérience de 36 ans dans ce domaine, il existe un manque criant de centres de désintoxication, qui représentent le premier point d’accès pour les personnes en quête de soins et qui leur permettent de stabiliser leur état de santé en toute sécurité avant d’entamer un traitement. Quel rôle le CCDUS pourrait-il jouer pour favoriser cette première prise de contact, lorsque les gens prennent la décision de chercher de l’aide, sachant que cela relève souvent de la compétence provinciale en matière de santé?
La sénatrice Bernard : Je crois que ma question s’adresse à M. Purcell. Je pense que vous avez utilisé l’expression « déterminants commerciaux de la santé ». J’aimerais en savoir plus à ce sujet. Je voudrais obtenir plus de renseignements sur ce concept, qui est nouveau pour moi.
La sénatrice Senior : Je m’intéresse à la recherche que vous avez mentionnée, docteur Caudarella, au sujet des données désagrégées. Pourriez-vous nous communiquer les résultats? Je me demande s’il s’agit de la seule recherche fondée sur des données désagrégées. Vous avez évoqué le genre et deux ou trois autres éléments. Cette recherche tient-elle aussi compte de toute la gamme des données désagrégées pour l’ensemble des groupes?
La présidente : Je vous remercie. Mesdames et messieurs les sénateurs, cela nous amène à la fin de la première partie de la réunion. Je tiens à remercier M. Purcell, M. Cunningham, le Dr Caudarella et Mme Motluk de leurs témoignages aujourd’hui. C’était inspirant.
Pour notre prochain groupe de témoins, nous accueillons, par vidéoconférence, Sheila Gilheany, cheffe de la direction, Alcool Action Ireland; Catherine Paradis, agente technique, Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Europe; le Dr Timothy Naimi, directeur, Institut canadien de recherche sur l’usage des substances, Université de Victoria; et M. Tim Stockwell, professeur émérite et scientifique, Institut canadien de recherche sur l’usage des substances, Université de Victoria.
Je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui.
Vous disposerez de cinq minutes pour faire vos déclarations liminaires, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Madame Gilheany, nous vous écoutons.
Sheila Gilheany, cheffe de la direction, Alcohol Action Ireland : Je vous remercie.
Alcohol Action Ireland est un groupe de défense de la santé publique qui s’emploie à réduire les méfaits de l’alcool.
Je suis honorée et ravie d’avoir été invitée à témoigner devant le comité dans le cadre de son travail sur les étiquettes de mise en garde sur les boissons alcoolisées. Je tiens à souligner certains progrès réalisés en Irlande dans ce dossier.
En 2018, le Parlement irlandais a adopté une loi qui prévoyait une gamme de mesures modestes en matière de santé publique pour s’attaquer à un important problème d’alcool en Irlande. Ces mesures comprenaient notamment l’instauration d’un prix unitaire minimum pour l’alcool, la régulation de la publicité sur l’alcool, la séparation structurelle des boissons alcoolisées dans les points de vente mixtes et l’apposition d’une étiquette contenant de l’information en matière de santé sur les produits alcoolisés.
La mesure relative à l’étiquetage exigeait une loi secondaire qui définirait les caractéristiques précises de l’étiquette, c’est-à-dire sa taille, sa police et son contenu.
La présidente : Madame Gilheany, je vous demanderai de ralentir un peu afin que nos interprètes puissent mieux vous suivre.
Mme Gilheany : La loi secondaire a été publiée en 2022. L’étiquette prévue comprend une mise en garde destinée à souligner le lien de causalité entre la consommation d’alcool et le développement de maladies du foie et de cancers mortels, un pictogramme déconseillant la consommation d’alcool pendant la grossesse, ainsi que des renseignements de base sur la teneur en alcool et la valeur énergétique du produit, en plus d’un lien vers un site Web de santé publique fournissant de plus amples informations. Il s’agit donc d’un étiquetage très complet.
Cette loi a ensuite été soumise à des processus réglementaires au sein de l’Union européenne. À la fin d’un processus de six mois, la Commission européenne a conclu que la réglementation irlandaise sur l’étiquetage ne constituait pas un obstacle au commerce ou au marché unique et qu’elle était proportionnelle à l’ampleur des problèmes liés à l’alcool en Irlande. Le règlement a ensuite été envoyé à l’Organisation mondiale du commerce, où il a été défendu par la Commission européenne. Il a été adopté en mai 2023 et il entrera en vigueur en mai 2026.
Je dois dire que cette date a maintenant été repoussée à septembre 2028. Cependant, plusieurs produits portent déjà cette étiquette. Depuis avril 2025, on la retrouve sur des dizaines de marques de vin, de bière et de cidre. Cette semaine, j’en ai même vu sur certaines bouteilles de spiritueux.
Je signale que la loi vise les détaillants d’alcool plutôt que les producteurs. Si un producteur n’appose pas l’étiquette sur la bouteille, le détaillant n’aura qu’à ajouter un autocollant qui contient l’information pertinente. L’objectif est d’aider les petits producteurs et importateurs.
Alors, pourquoi apposer de telles étiquettes? Nous croyons fermement que le consommateur a le droit de connaître les risques liés à l’alcool. Malheureusement, le niveau de connaissance du public reste faible. Par exemple, une étude récente menée en Irlande révèle que moins de 4 personnes sur 10 sont conscientes du lien entre l’alcool et le cancer.
Le cancer est aujourd’hui la principale cause de décès en Irlande. Chaque année, environ 1 000 cas de cancer sont attribuables à l’alcool. En Irlande, un cas de cancer du sein sur huit est causé par l’alcool. Le risque de cancer existe même lorsque les niveaux de consommation sont relativement faibles, soit environ une ou deux boissons par jour. Je ne reviendrai pas sur les données probantes à ce sujet, car elles ont déjà été abordées par le groupe de témoins précédent.
Il n’est pas surprenant que le public soit peu sensibilisé, car l’industrie de l’alcool a toujours cherché à occulter ou à minimiser les risques de cancer. Par exemple, au cours du processus de notification de l’Union européenne, de nombreuses présentations bien coordonnées de l’industrie ont invoqué ce qu’on pourrait appeler un argument fondé sur la complexité. Les représentants ont fait valoir que le lien entre l’alcool et le risque de cancer est apparemment trop complexe pour qu’on puisse bien l’expliquer sur une seule étiquette de mise en garde et qu’il s’agit d’une question scientifique et politique compliquée que les gens ne pourraient absolument pas comprendre si on leur fournissait de l’information en matière de santé publique.
En faisant valoir ses arguments dans les médias, l’industrie n’a cessé de déformer, de banaliser, voire de passer sous silence les preuves établissant un lien entre l’alcool et le cancer. De nombreux arguments de l’industrie ont en effet été repris, comme celui selon lequel les mises en garde contre le cancer étaient inexactes, non prouvées et fondées sur des preuves fausses ou boiteuses.
Cependant, les preuves établissant un lien entre la consommation d’alcool et le cancer sont bien établies depuis au moins 1988 et elles ne cessent d’être étoffées. En 2023, l’Organisation mondiale de la santé et le Centre international de recherche sur le cancer ont déclaré dans un communiqué commun qu’il n’est pas possible « d’établir une quantité sûre de consommation d’alcool pour les cancers ».
L’industrie de l’alcool a également fait valoir le coût élevé de ces étiquettes. Cependant, après s’être entretenu avec The Spirits Business, une revue spécialisée de portée internationale, Elliot Wilson, cofondateur et directeur stratégique de l’agence de marketing The Cabinet, a admis que les effets immédiats sur les coûts de l’industrie seraient limités. Voici ce qu’il a dit :
Le coût physique réel ne sera pas prohibitif. Les gens ont toutes sortes d’étiquettes, et il s’agit simplement d’en modifier une...
En fait, le nœud du problème a été révélé dans les procès-verbaux des réunions de lobbying à Bruxelles, qui montrent à quel point les principaux producteurs d’alcool européens craignent que les étiquettes relatives à la santé adoptées par l’Irlande ne créent un précédent pour les autres États membres de l’Union européenne.
Bien sûr, la source de leur inquiétude est clairement exprimée par Heineken, le grand producteur de bière. Dans son rapport annuel aux actionnaires, la société souligne en effet que l’ajout d’étiquettes contenant de l’information en matière de santé pourrait entraîner une baisse de la consommation de Heineken.
La présidente : Madame Gilheany, nous sommes arrivés au terme du temps qui nous était imparti. Je suis certaine que vous aurez l’occasion d’exposer le reste de vos observations en répondant aux questions de nos membres.
Madame Paradis, vous pouvez commencer. Merci.
[Français]
Catherine Paradis, agente technique, Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Europe : Bonjour. Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de votre invitation.
Je suis Catherine Paradis, agente technique au Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Europe.
Aujourd’hui, je souhaite montrer en quoi le projet de loi S-202 est cohérent avec les recommandations et les données scientifiques de l’OMS.
J’ai trois messages à vous transmettre.
Premier message : la raison d’être du projet de loi, soit réduire les méfaits causés par l’alcool, est pleinement conforme à la position de l’OMS et ses plus récentes publications.
En Europe, l’alcool cause environ 656 décès chaque jour. Chez les jeunes adultes, il est responsable d’un décès sur quatre chez les hommes et d’un sur six chez les femmes.
Il y a à peine une semaine, l’OMS et le Centre international de recherche sur le cancer ont réaffirmé que l’alcool est un cancérogène du groupe 1 et qu’il n’existe pas de seuil de consommation sans risque pour le cancer.
Au-delà de la santé, les décès prématurés attribuables aux cancers causés par l’alcool entraînent environ 4,6 milliards d’euros de pertes de productivité chaque année en Europe. Ces ressources pourraient soutenir l’innovation ou l’éducation, par exemple. Réduire les méfaits liés à l’alcool, c’est sauver des vies et renforcer la résilience économique et sociale des pays.
Les travaux de l’OMS montrent que les politiques dites « best buys » portant sur le prix, la disponibilité et le marketing de l’alcool réduisent efficacement la consommation. Toutefois, pour qu’elles soient acceptées, il faut d’abord que les citoyens soient informés des risques réels. Le projet de loi S-202 répond à cette exigence.
Deuxième message : l’instrument proposé par le projet de loi pour informer les citoyens, soit l’étiquetage directement sur les contenants, est pleinement conforme à la position de l’OMS et à ses plus récentes publications.
Certains diront qu’il existe d’autres façons d’informer : campagnes de sensibilisation, avertissements sur les publicités et éducation dans les écoles.
En Europe, une alternative souvent évoquée est celle des codes QR, présentée comme la solution moderne et efficace. Or, toutes les études menées par l’OMS/Europe démontrent que c’est faux. Près de 50 % des codes QR testés dans 13 pays d’Europe redirigeaient vers des sites promotionnels plutôt que sanitaires. Une enquête a révélé qu’à peine 27 % des consommateurs scanneraient un code QR s’ils en avaient l’occasion. Dans un supermarché de Barcelone, seulement 0,085 % des clients ont effectivement scanné un code QR qui leur était disponible.
Soyons très clairs : les codes QR servent les intérêts commerciaux, pas ceux de la santé publique. Les citoyens ont droit à une information claire et immédiate directement sur le contenant au moment de l’achat. Le projet de loi S-202 concrétise ce droit en privilégiant un étiquetage transparent et accessible à tous, fidèle à l’esprit de santé publique que défend l’OMS.
Troisième message : l’avertissement proposé par le projet de loi, soit la causalité entre l’alcool et le cancer, est pleinement aligné sur la position de l’OMS et ses plus récentes publications.
En 2024, l’OMS/Europe a démontré que les étiquettes mentionnant explicitement le lien entre l’alcool et le cancer étaient les plus efficaces pour informer le public et susciter le dialogue. Une étude menée auprès de 20 000 personnes dans 14 pays de l’Union européenne a confirmé que ces avertissements avaient augmenté la connaissance du lien entre l’alcool et le cancer de manière significative dans tous les pays à l’étude, que ces avertissements étaient efficaces dans tous les groupes sociodémographiques, et que ces avertissements suscitaient davantage de discussions et d’intention de réduire la consommation que les messages plus généraux.
Lorsqu’une étiquette mentionne le cancer, elle est remarquée, comprise, retenue et elle change la perception. Le projet de loi S-202 suit cette logique : il mise sur un avertissement clair et factuel conforme aux données scientifiques les plus récentes.
En conclusion, le Plan d’action mondial de l’OMS et le cadre européen appellent à un étiquetage obligatoire, clair et indépendant des intérêts commerciaux. Le projet de loi S-202 s’inscrit dans ce mouvement mondial, celui d’une information transparente et fondée sur la science au service de la santé publique. Un citoyen bien informé, c’est une société mieux protégée.
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, madame Paradis.
[Traduction]
Timothy Naimi, directeur, Institut canadien de recherche sur l’usage des substances, Université de Victoria, à titre personnel : Madame la présidente, je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner. Je suis médecin spécialiste en pédiatrie et en médecine interne. Je vais aborder trois aspects du sujet, puis je vais céder la parole à mon cher ami et collègue, le Dr Stockwell.
Premièrement, l’argument le plus convaincant en faveur de l’étiquetage des produits alcoolisés se trouve sur cette modeste boîte de pois verts nutritifs provenant du Canada. Cette boîte de pois contient des renseignements sur la taille des portions, les quatre ingrédients qu’elle contient et les calories. Je suis persuadé que si ces pois verts étaient un cancérigène de groupe 1 ou la principale cause évitable de déficience intellectuelle chez les jeunes Canadiens, ou si une personne sur quatre qui commence à manger des pois verts développait une dépendance aux pois au cours de sa vie, il est probable que cela serait aussi indiqué sur l’étiquette.
L’étiquette de cette belle bouteille de whisky, provenant de ma propre réserve, indique quant à elle qu’il s’agit d’un alcool « doux et boisé ». Le seul autre renseignement qu’on y trouve est « 40 % alc/vol ». Qu’est-ce que cela signifie pour les consommateurs? Il n’y a rien sur le fait que l’alcool provoque des cancers, ni aucune information sur la taille d’une consommation standard ou sur le nombre de consommations contenues dans la bouteille — il y en a 17 —, ni quoi que ce soit sur les recommandations en matière de consommation ou sur les ingrédients.
Deuxièmement, vous devez savoir que je suis né aux États-Unis et que je suis très fier d’être devenu citoyen canadien il y a quelques mois à peine. Or, bien que le Canada excelle dans pratiquement tous les domaines, je dois vous informer à regret qu’aux États-Unis, où la réglementation est beaucoup moins stricte qu’au Canada, les renseignements obligatoires en matière de santé figurent généralement sur les étiquettes des boissons alcoolisées depuis près de 40 ans. Canada, montre-nous que tu es meilleur que les États-Unis.
Troisièmement, nous reconnaissons que les entreprises du secteur de l’alcool ont exercé de fortes pressions à cet égard. Nous venons d’ailleurs de publier un article sur le lobbying du secteur de l’alcool à l’occasion de la publication des Repères canadiens sur l’alcool et la santé. Il est regrettable qu’aucun organisme de santé publique au Canada ne dispose d’un lobbyiste salarié affecté à cet enjeu, et encore moins d’un lobbyiste spécialisé dans l’alcool. Il reste que malgré ce manque relatif de pouvoir de lobbying, le gouvernement canadien a un objectif, un double mandat, qui ne consiste pas seulement à promouvoir les intérêts commerciaux, mais aussi à protéger la santé et le bien-être de ses citoyens.
Comme vous l’avez entendu, les contribuables canadiens assument actuellement un coût supplémentaire de près de 33 cents par consommation standard par rapport aux recettes fiscales générées par l’alcool.
En conclusion, les Canadiens ont le droit de connaître les renseignements de base. Le droit des consommateurs à l’information et le devoir d’informer des industries ne sont pas seulement des questions morales, mais aussi des enjeux juridiques. Un mouvement naissant vise à demander des comptes aux gouvernements qui ne divulguent pas les renseignements les plus élémentaires au sujet de l’alcool.
Dans l’intérêt de tous, j’espère que le gouvernement fédéral fera ce qu’il faut pour corriger cette violation de ses propres normes et principes fondamentaux.
Je cède maintenant la parole au Dr Tim Stockwell.
Tim Stockwell, professeur émérite et scientifique, Département de psychologie, Université de Victoria, à titre personnel : Merci. Je tiens simplement à souligner qu’à l’Institut canadien de recherche sur l’usage de substances, nous menons des recherches dans ce domaine depuis les 20 dernières années. Je vais me contenter de mettre trois aspects en évidence, puis nous pourrons répondre aux questions.
Le premier aspect concerne les coûts et les méfaits, domaine sur lequel nous collaborons avec le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances. Je peux vous dire que, selon nos meilleures estimations, plus de 3 000 Canadiens meurent chaque année de cancers liés à l’alcool, et plus de 20 000 personnes sont admises à l’hôpital pour des cancers causés par l’alcool.
Nous avons également mené des recherches en collaboration avec Santé publique Ontario afin d’évaluer, dans le cadre d’une étude concrète, la teneur d’étiquettes identiques à celles proposées par le projet de loi S-202. Au Yukon, des étiquettes comportant un avertissement sur le cancer, des renseignements standardisés sur les boissons alcoolisées et des conseils sur les niveaux de consommation à faible risque ont commencé à circuler. Nous les avons évaluées et avons publié 12 articles à ce sujet.
Enfin, je tiens à souligner que nous avons contribué à la littérature scientifique en examinant attentivement les preuves permettant d’établir si la consommation modérée d’alcool est bonne pour la santé, si elle favorise la santé cardiaque ainsi que dans quelle mesure et comment il est possible d’équilibrer les avantages potentiels par rapport à certains risques avérés, comme le cancer.
Je n’ai qu’un seul accessoire. Mon collègue avait une boîte de petits pois. J’ai ici un petit produit à base de cannabis avec un avertissement jaune vif. Sur les produits à base de cannabis, il y a 14 étiquettes.
Je vais terminer en vous présentant nos meilleures estimations concernant le coût économique de l’alcool par rapport à celui du cannabis : 20 milliards de dollars par an pour l’alcool et un peu plus de 2 milliards de dollars par an pour le cannabis; 118 000 admissions à l’hôpital liées à l’alcool chaque année, contre environ 8 000 pour le cannabis; et 17 000 décès liés à l’alcool par an, contre un peu plus de 300 pour le cannabis.
À la lumière de cet écart, j’espère vraiment que vous allez reconnaître qu’il s’agit de renseignements que les Canadiens ont le droit de savoir.
Lorsque notre étude a été interrompue par l’industrie de l’alcool au Yukon, les gens nous ont fait part de leur grande indignation. C’était palpable. Le soutien et la sympathie du public à l’idée que nous avons besoin de meilleurs renseignements et de meilleures politiques sur l’alcool, en particulier dans les collectivités les plus touchées, comme c’est le cas au Yukon, ont atteint des niveaux que je n’avais jamais vus. Je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, monsieur Stockwell. Merci à vous tous de vos déclarations liminaires.
Pour ce groupe d’experts, nous allons passer directement aux questions. Sénateurs, vous disposerez de quatre minutes pour vos questions — cela comprend les réponses. Veuillez indiquer si votre question s’adresse à un témoin en particulier ou à tous les témoins. Notre première intervenante est la sénatrice Osler.
La sénatrice Osler : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui. Ma première question s’adresse principalement au Dr Stockwell et peut-être au Dr Naimi.
Le projet de loi S-202 porte sur le besoin d’informer les gens. Êtes-vous en mesure de quantifier les avantages économiques — qu’il s’agisse de la réduction des coûts de santé ou des coûts sociaux — liés au fait que les gens soient en mesure de prendre des décisions éclairées concernant leur consommation d’alcool?
M. Stockwell : Oui, nous avons essayé de le faire. Le processus consiste à estimer l’incidence sur le niveau de consommation. Par exemple, au Yukon, nous avons pu observer que la mise en circulation de ces étiquettes en rotation a entraîné une baisse de 6 % de la consommation — cela a été mesuré par l’organisme de contrôle des alcools et les magasins de vente au détail d’alcool. Nous pouvons estimer ce que cela représente en ce qui a trait à la réduction du nombre de décès et à la perte de productivité, ainsi qu’au recul des hospitalisations, et attribuer une valeur économique à ces constats.
Tout cela repose sur des hypothèses, mais nous sommes arrivés à des estimations de ce que la réduction de la consommation signifie sur le plan des avantages économiques.
La sénatrice Osler : Savez-vous s’il existe des données internationales montrant que les choix éclairés des consommateurs se traduisent par des avantages économiques?
M. Stockwell : Il est entendu qu’ils peuvent toujours décider de boire. Donc, si j’ai bien compris votre question, si les gens choisissent, par exemple, d’éviter le cancer ou de compter plus soigneusement leurs verres, ils pourraient réduire leur consommation. Nous pouvons quantifier — et cela se fait à l’échelle internationale et au Canada — les avantages pour la santé de la population et des personnes, aussi bien en ce qui concerne les incidents préjudiciables que les coûts économiques de ces derniers.
La sénatrice Osler : Pouvez-vous fournir ces renseignements par écrit au comité?
M. Stockwell : Absolument.
La sénatrice Osler : Je vous remercie.
La sénatrice Hay : Madame Gilheany, veuillez transmettre mes salutations à mon ami et ancien collègue, Ian Powers, qui est votre ministre d’État chargé de la santé mentale au sein du cabinet.
Cela étant dit, ma question s’adresse à Mme Paradis, de l’Organisation mondiale de la santé. En Europe, le Réseau des jeunes contre l’alcool de l’Organisation mondiale de la santé s’est rapidement développé et il incite d’ores et déjà les jeunes d’une trentaine de pays à se mobiliser en faveur des politiques, de la recherche et du militantisme relatifs à l’alcool.
D’un point de vue politique, de quelles preuves disposez-vous pour affirmer que des initiatives menées par des jeunes peuvent modifier de manière significative les comportements de la jeunesse à l’égard de l’alcool? Comment des États comme le Canada devraient-ils tirer parti des réseaux de jeunes pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies efficaces visant à réduire les méfaits liés à l’alcool?
Mme Paradis : Merci beaucoup de votre question. En effet, cela fait maintenant près de deux ans que nous avons lancé un réseau de jeunes à travers l’Europe. Le réseau compte aujourd’hui plus de 100 jeunes de moins de 30 ans.
Je pense que l’un des principaux avantages pour eux a été de pouvoir s’exprimer ouvertement sur certaines hypothèses concernant leurs envies, leurs goûts et la manière dont ils souhaitent que certains produits leur soient proposés. Ces jeunes ont clairement exprimé leur droit de savoir et leur volonté de connaître les produits qu’ils consomment.
Or, ce qui est très intéressant dans ce réseau, c’est que la grande majorité des membres sont en fait des étudiants en médecine, des internes ou de jeunes médecins. Ils ont tous commencé leur carrière avec l’idée qu’ils allaient être débordés, mais ils ont vite constaté qu’ils allaient passer une grande partie de leur temps à soigner des maladies et des affections tout à fait évitables. Il s’agit de gens qui ont relevé que cela n’était tout simplement pas normal.
C’est ce qui a poussé nombre d’entre eux à se manifester, à s’exprimer non seulement en tant que jeunes, mais aussi en tant que jeunes professionnels de la santé. Ces derniers, qui ont portant tant à faire, en sont arrivés à la conclusion qu’il est vraiment dommage de soigner des affections qui sont évitables et pour lesquelles les gens sont tout simplement mal informés.
La sénatrice Hay : Merci. Quel conseil donneriez-vous au Canada concernant ces réseaux dirigés par des jeunes?
Mme Paradis : Je crois que tout ce qui permet de faire entendre la voix des jeunes dans n’importe quelle discussion politique est toujours une excellente idée. Après tout, ce sont eux qui vivront le plus longtemps avec les décisions qui sont prises. Il est donc clairement dans leur intérêt et dans celui du gouvernement de les consulter.
La sénatrice Hay : Merci.
[Français]
La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse à Mme Paradis.
Merci pour cette présentation concise. Y a-t-il un pays qui excelle dans la réduction de la consommation d’alcool? Et quelles mesures sont prises pour obtenir de tels résultats?
Mme Paradis : Merci beaucoup pour cette question.
En effet. J’ai un exemple qui me vient en tête. En Europe, la Lituanie est vraiment le pays qui excelle en ce moment dans la mise en œuvre de politiques liées à l’alcool. Au cours des dernières années, la Lituanie est allée de l’avant avec des politiques dites « best buys », particulièrement par rapport à la disponibilité de l’alcool.
Voici un exemple concret : ils ont décidé de réduire le nombre d’heures pendant lesquelles l’alcool peut être vendu le dimanche seulement. À la suite de la mise en œuvre de cette politique, ils ont réduit considérablement le nombre d’admissions aux urgences le dimanche soir ainsi que le nombre de décès liés aux maladies cardiovasculaires le lundi. On voit donc comment un simple petit ajustement dans une politique liée à l’alcool amène des résultats immédiats qui ont des conséquences économiques très importantes. Quand vous pensez à l’argent qui est dépensé pour ces admissions et ces hospitalisations liées à l’alcool, vous pouvez imaginer à quel point cet argent peut être redirigé par un gouvernement dans des domaines où il serait beaucoup plus productif d’investir. La Lituanie est vraiment un modèle exceptionnel.
Je vous donne l’exemple de la politique liée à la disponibilité. Ce qui est très intéressant aussi de la Lituanie est que leurs données nous permettent de constater une relative synchronicité entre le moment où une politique est mise en œuvre et la baisse de la mortalité prématurée, et vice versa. On n’a pas besoin d’attendre des années pour constater cet effet. Il apparaît dans les mois qui suivent la mise en œuvre d’une telle politique.
[Traduction]
Le sénateur Brazeau : Bienvenue aux experts. Pour la gouverne de mes collègues, sachez que c’est en grande partie grâce à nos trois témoins ici présents que j’ai été incité à présenter ce projet de loi. L’idée m’est venue après avoir regardé un documentaire présenté à la CBC en juillet 2021. La première lecture de ce projet de loi, dans sa version précédente, le projet de loi S-254, a eu lieu en novembre de la même année. Nous sommes tous ici.
Ma question à vous tous est donc la suivante. Dans le cadre de votre travail, vous avez manifestement eu affaire à Santé Canada. Il ne fait aucun doute que, rien qu’avec les deux docteurs Tim, le travail que vous avez fait n’est pas passé inaperçu au cours de la dernière décennie. Vous avez eu affaire à Santé Canada. Ce ministère a financé une grande partie des travaux que vous avez faits au fil des ans. Malheureusement, Santé Canada ne donne pas suite à bon nombre des recommandations que vos organismes respectifs lui ont soumises.
Pourriez-vous nous dire pourquoi, selon vous, Santé Canada est présentement inactif ou en mode veille en ce qui concerne les politiques en matière d’alcool?
Dr Naimi : Eh bien, je pense qu’il vaut mieux laisser Santé Canada répondre à cette question. Du reste, je tiens à féliciter Santé Canada pour certaines choses. Je sais que ce ministère évolue lui aussi dans un contexte politique et qu’il fait l’objet d’un lobbying par les grandes industries. Je tiens à préciser que les Repères canadiens sur l’alcool et la santé, qui ont été mandatées et financées par Santé Canada et élaborées par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, sont les lignes directrices du Canada en matière de santé, que le gouvernement choisisse de les appuyer ou non. Santé Canada a participé au travail qui s’est fait à cet égard.
À mon avis, sans connaître les détails, il y a beaucoup de considérations politiques qui entrent en jeu dans les politiques de santé. Je vais en rester là.
La sénatrice Senior : Merci à tous de vos témoignages. J’ai particulièrement aimé les accessoires et les exemples très concrets. Cela fait vraiment la lumière sur la problématique dont nous sommes saisis.
L’une de mes questions a trouvé réponse en ce qui concerne la Lituanie. Cela a été expliqué plus tôt, je vous en remercie.
Je vis dans une province où le premier ministre élu a fait en partie campagne sur la promesse de la bière à un dollar, même si je crois comprendre qu’il ne boit pas. Je trouve cela très intéressant.
Dans les régions où il n’y a pas d’étiquetage, comme au Canada et ailleurs, quel est le niveau de consommation par habitant par rapport aux régions où il y a un étiquetage, comme aux États-Unis et en Lituanie? J’aimerais avoir l’avis de Mme Gilheany à ce sujet, mais aussi celui du Dr Tims et celui de l’Organisation mondiale de la santé.
M. Stockwell : Merci de votre question, madame la sénatrice. La première chose que je voudrais dire, c’est qu’il s’agit d’un enjeu important auquel l’OMS Europe s’est attaquée. À cet égard, j’ai eu l’occasion de travailler avec Catherine Paradis au sein d’un groupe consultatif technique chargé d’élaborer une étiquette de mise en garde sur l’alcool pour l’Europe. Nous avons décidé qu’il ne fallait pas nourrir de faux espoirs en pensant que le simple fait d’apposer ces messages allait nécessairement modifier le comportement des consommateurs. Cela dit, contre toute attente, nous avons constaté que cette mesure avait fait fléchir la consommation au Yukon, qui est la région du Canada où la consommation est la plus grande et où les problèmes liés à l’alcool sont les plus présents.
C’est possible, mais cela s’inspire davantage de la volonté d’informer les consommateurs afin qu’ils puissent faire des choix. Nous ne savons pas nécessairement ce qu’ils feront de ces choix ni si l’expérience du Yukon peut être reproduite.
À l’échelle mondiale, depuis que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que l’alcool était cancérigène, comme cela a été mentionné, la Corée du Sud a instauré un avertissement sur le cancer du foie, mais son application est facultative. Les producteurs ne sont pas tenus d’utiliser ces avertissements. L’Irlande a proposé un avertissement sur le cancer, mais seulement environ 10 % des produits ont été étiquetés, puisque la mesure n’a pas été appliquée et a été retardée en raison de la pression exercée par l’industrie.
Les données probantes provenant des États-Unis montrent que leur étiquette d’avertissement — il s’agit d’un message ennuyeux qui n’a pas changé depuis environ 40 ans — n’est pas efficace. Les gens ne le remarquent probablement pas, tellement il est technique et ennuyeux. Nous avons testé des messages colorés et changeants auprès de groupes de discussion dans des régions rurales et isolées du Yukon, ainsi qu’auprès de communautés autochtones et d’intervenants, et nous les avons trouvés très percutants. Il se pourrait que les étiquettes bien conçues du Yukon soient la raison pour laquelle nous avons constaté un certain effet sur le comportement des gens.
Mme Gilheany : De plus, comme l’a souligné M. Stockwell, la réglementation irlandaise en matière d’étiquetage n’est pas encore entièrement en vigueur. Elle est également liée à une autre mesure prévue dans la même mesure législative, de sorte que, lorsque la réglementation sera pleinement mise en œuvre, les publicités pour l’alcool devront comporter les mêmes avertissements. Une publicité pour l’alcool devra comprendre une mention indiquant qu’il existe un lien entre l’alcool et certains cancers mortels et que l’alcool provoque des maladies du foie. Les mêmes avertissements figureront sur les étiquettes. J’estime qu’il est également logique de lier l’étiquetage à la publicité.
Pour ma part, je considère l’étiquetage comme une question relevant du « droit de savoir du consommateur ». Dans la mesure du possible, il devrait s’inscrire dans un ensemble plus large de mesures, qui s’appuierait sur les « meilleurs choix » de l’OMS et sur des mesures de contrôle des prix, du marketing et, surtout, de la disponibilité, comme l’a déclaré Mme Paradis tout à l’heure.
Le sénateur Boudreau : J’ai deux brèves questions à vous poser. Malgré toutes les informations que nous avons reçues à ce sujet, je n’ai pas encore vu d’exemples concrets de ce à quoi pourraient ressembler ces étiquettes. Je serais curieux de savoir si l’un des témoins a des exemples concrets d’étiquettes à remettre au comité, pas nécessairement ici même, mais dans le cadre d’un suivi ou de la communication d’un point à retenir.
De plus, pour faire suite à la question que j’ai posée pendant la première série de questions, j’aimerais savoir si, d’après votre expérience qui est fondée sur des situations réelles dans certains pays où de telles étiquettes existent, ces étiquettes sont les mêmes pour tous les produits alcoolisés, ou si elles varient en fonction du type de produit, qu’il s’agisse de bière, de vin ou de spiritueux. Je suis curieux de savoir s’il existe différentes étiquettes ou si elles sont identiques pour tous les produits. Je vous remercie de votre attention.
Mme Paradis : Je laisserai mes collègues répondre plus précisément aux questions concernant les exemples internationaux, mais je voudrais formuler une observation à ce sujet. Au cours de l’audition du groupe d’experts précédent, vous avez également posé cette question concernant les différents types de boissons et la nécessité ou non d’apposer des étiquettes différentes. Il est très important que le comité comprenne que ce ne sont pas des types particuliers de boissons qui causent le cancer et qui sont nocifs pour la santé. C’est l’éthanol, qu’il soit présent sous forme de bière, de spiritueux ou de vin. Tous les types de boissons devraient porter une étiquette qui informe les consommateurs des risques liés à la consommation d’alcool.
Ensuite, bien sûr, vient la question de la quantité. Nous savons tous que la quantité d’alcool varie en fonction des différents contenants et que cela doit également être pris en compte. Mais soyons clairs : il n’est pas nécessaire d’avoir des avertissements différents pour chaque type de boisson. L’éthanol provoque le cancer.
M. Stockwell : Merci. Nous avons présenté un document d’orientation avant la réunion d’aujourd’hui, et il contient quelques images des étiquettes d’avertissement utilisées au Yukon, qui pourraient vous être utiles, sénateur Boudreau.
Mais comme le disait Mme Paradis, vous avez tout à fait raison au sujet des renseignements sur les verres standards, un aspect que j’ai travaillé à cerner lorsque je vivais et travaillais en Australie. L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont des étiquettes relatives aux verres standards et, bien entendu, chaque produit est légèrement différent. Ces étiquettes indiquent le nombre de verres standards à une décimale près. Par conséquent, compte tenu des quelque 10 000 ou 20 000 produits vendus sur le marché, chacune d’entre elles... Enfin, non pas chacune d’entre elles, mais elles tendent toutes vers des chiffres semblables. Donc, oui, les renseignements sur les verres standards seraient plus variables, mais c’est à l’éthanol que s’applique l’avertissement sanitaire, et cela est universel.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Bernard : Ma question est destinée aux deux médecins. Au cours de l’audition du groupe d’experts précédent, il a été question des déterminants commerciaux de la santé. Ils ont laissé entendre que vous aviez peut-être fait des recherches dans ce domaine. J’aimerais en savoir davantage sur le concept des déterminants commerciaux de la santé et sur la façon dont ils s’inscrivent dans le cadre du travail que nous accomplissons en étudiant ce projet de loi.
Dr Naimi : C’est une excellente question, et je vous remercie de la poser, sénatrice Bernard. Nous parlons des déterminants sociaux. Tout d’abord, nous savons qu’en général dans les pays occidentaux, la santé est considérée comme une chose individuelle, n’est-ce pas? Mais nous savons qu’en réalité, c’est l’environnement qui est à l’origine de nombreux problèmes de santé.
Les gens parlent des déterminants sociaux de la santé, comme la pauvreté ou le manque relatif d’éducation, par exemple. Ce sont là des déterminants sociaux de la santé, mais il existe une autre catégorie de facteurs importants pour la santé, à savoir les déterminants commerciaux de la santé. En d’autres termes, le pouvoir et le marketing des partisans commerciaux, ainsi que le pouvoir de contrecarrer les interventions dictées par le bon sens, sont des déterminants commerciaux de la santé. Ils concernent, entre autres, des produits comme le tabac, l’alcool et les boissons sucrées, voire les jeux de hasard, qui peuvent favoriser les problèmes de dépendance. C’est une façon de reconnaître une catégorie importante de risques pour la santé, que l’on observe fréquemment en combinaison avec l’alcool.
La sénatrice Bernard : Merci. Des recherches particulières ont-elles été menées dans ce domaine?
Mme Paradis : En juin 2024, le Bureau régional de l’OMS pour l’Europe a publié un rapport précisément consacré aux déterminants commerciaux de la santé, que je pourrai présenter au comité par la suite. Le rapport fait allusion aux méthodes utilisées par le secteur privé, en particulier les grandes entreprises, pour produire, commercialiser et vendre leurs produits d’une manière qui a des répercussions directes sur la santé des populations. Je peux faire parvenir ce rapport au comité.
M. Stockwell : Je voudrais ajouter un exemple concret qui s’est produit au Canada. Les étiquettes d’avertissement quant aux risques de cancer que nous avons utilisées au Yukon ont survécu pendant 29 jours jusqu’à ce que les menaces juridiques des distillateurs, brasseurs et vignerons canadiens poussent le gouvernement du Yukon à céder. Bien que le gouvernement ait déclaré publiquement soutenir l’initiative et le message de l’OMS, il n’avait pas les moyens de se défendre devant les tribunaux.
Cet incident a fait la une des journaux partout au Canada et dans le monde entier. Le public s’est indigné qu’une industrie puisse se comporter ainsi, mais c’est un exemple très concret de la manière dont les gens ayant des intérêts commerciaux tentent de nous maintenir dans l’ignorance, de cacher aux consommateurs des renseignements importants sur les produits qui leur rapportent des milliards de dollars.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie.
La présidente : Le document dont M. Stockwell a parlé tout à l’heure a été distribué et, si vous souhaitez le consulter, il est disponible en ligne dans la section consacrée aux mémoires au comité.
La sénatrice Greenwood : Je remercie tous les témoins qui sont ici aujourd’hui. Je vous remercie également de tout le travail que vous avez manifestement accompli.
J’avais une question à poser à M. Stockwell, mais la sénatrice Bernard vient de le faire. Je m’intéressais à l’étude menée au Yukon et au pouvoir d’influence des groupes de pression de l’industrie des boissons alcoolisées, et vous venez d’en parler dans votre réponse. Je vous en remercie donc.
La question que j’adresse à Mme Gilheany concerne les groupes de pression industriels. Vous avez évoqué cet enjeu comme un problème de santé publique dans quatre milieux différents où vous avez abordé la question de la consommation d’alcool. Je suppose que vous avez également été confrontée à des groupes de pression liés à l’industrie des boissons alcoolisées. Pourriez-vous nous faire part de l’expérience que vous avez vécue en Irlande?
Mme Gilheany : Oui, l’industrie des boissons alcoolisées a exercé et continue d’exercer d’énormes pressions, et je peux vous envoyer des rapports qui détaillent le lobbying très intense qui a eu lieu. Pendant l’adoption du projet de loi que j’ai mentionné, c’est-à-dire la loi sur la santé publique et l’alcool, ces groupes ont communiqué quotidiennement avec des représentants des politiciens. Des réunions de très haut niveau ont également eu lieu avec le Taoiseach de l’époque, c’est-à-dire le premier ministre et les hauts placés du gouvernement. Cela se poursuit encore aujourd’hui, car même si la loi a été adoptée et qu’une date de mise en œuvre a été fixée, celle-ci a été repoussée à 2028. Ce report est attribuable à l’intensité extraordinaire du lobbying de l’industrie.
On constate généralement que ce secteur est très compétent dans son domaine. Il compte plusieurs types de représentants. Il y a les producteurs et leurs représentants, il y a les détaillants et leurs représentants, et il y a l’industrie de la publicité et ses représentants. Tous cherchent à rencontrer différents organes du gouvernement. Ils ne font pas seulement pression sur le ministère de la Santé. Ils font aussi pression sur le ministère de l’Agriculture et le ministère des Affaires économiques. Ils ont de nombreux points d’entrée différents.
Nous savons, par exemple, qu’au cours des quatre premiers mois de l’année en cours, des membres de l’industrie des boissons alcoolisées ont rencontré en personne des haut placés du gouvernement au moins sept fois. Je dirais qu’ils ont beaucoup de contacts et beaucoup de pouvoir.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie.
La sénatrice Muggli : Je pense que ma question est destinée au Dr Naimi et à M. Stockwell. Savez-vous s’il existe des exigences en matière d’étiquetage des désinfectants pour les mains à base d’alcool?
M. Stockwell : Non, je ne le sais pas.
La sénatrice Muggli : Je pose cette question parce que, s’il y en a, quelle est la différence? Quel est le rapport? Vous pouvez boire du désinfectant pour les mains. Croyez-moi, j’ai vu beaucoup de gens qui ont atterri à l’hôpital après avoir ingéré du désinfectant pour les mains. Si cette information mérite d’être indiquée sur les étiquettes des désinfectants pour les mains, pourquoi ne mériterait-elle pas d’être indiquée sur les bouteilles d’alcool?
M. Stockwell : Je peux me tromper, mais je crois qu’ils sont tenus d’indiquer le pourcentage d’alcool sur l’étiquette, et je suis sûr que cela peut être facilement vérifié. Cette exigence s’applique à l’alcool à friction que l’on peut acheter et qui est parfois utilisé à mauvais escient par les gens dans la rue. Si un rince-bouche contient de l’alcool, son étiquette doit indiquer sa teneur en alcool.
Des données montrent que les personnes qui utilisent des rince-bouches à base d’alcool sont plus susceptibles de développer des cancers buccaux, ce qui est assez frappant. Des recherches ont été menées à ce sujet.
Dr Naimi : Sénatrice, je n’ai pas examiné les flacons de désinfectant pour les mains, mais je crois qu’ils indiquent que le produit n’est pas destiné à être ingéré. N’est-ce pas le cas?
Quoi qu’il en soit, ces politiques concernent les boissons et les aliments emballés, parmi lesquels l’alcool est le seul produit au Canada à ne nécessiter aucune information. Je ne crois pas que le désinfectant pour les mains soit considéré comme une boisson ou un aliment emballé. Voilà ma réponse à cette question. De nombreux produits sont utilisés à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été conçus. Mais nous devrions peut-être ajouter des renseignements sur les verres standards sur les étiquettes des désinfectants pour les mains. C’est une bonne idée.
La sénatrice Muggli : Je vous remercie.
La sénatrice McPhedran : Je viens du Manitoba, où le seul grand journal local indépendant subsiste, c’est-à-dire le Winnipeg Free Press. Ce matin, son rédacteur en chef, Paul Samyn, a fait remarquer que le ratio entre les attachés de presse et les journalistes, c’est-à-dire entre les publicistes et les journalistes, est désormais de 14 pour 1 dans leur secteur. Je note la similitude de ses propos avec les observations formulées par le groupe d’experts que nous entendons en ce moment, en ce qui concerne la capacité massive de l’industrie des boissons alcoolisées, en quête de profits, par rapport à la capacité des gouvernements.
Je vous remercie d’avoir précisé que le retard de plus de deux ans relatif à l’entrée en vigueur de la loi en Irlande semble être directement attribuable à cette situation.
Ma question est la suivante : existe-t-il des recherches sur ce que j’appellerais la méthodologie d’intimidation que nous observons en ce moment? Au cours des quelque 20 années passées à essayer de réduire le tabagisme, nous avons clairement constaté que bon nombre des techniques dont nous discutons en ce moment étaient déjà utilisées. La méthodologie d’intimidation de l’industrie est très bien documentée.
Les membres du groupe d’experts ont-ils connaissance de recherches semblables menées quelque part?
Mme Paradis : Mes collègues ont fait allusion à une étude réalisée au Canada, mais à l’OMS, nous avons publié en 2024 un document intitulé Alcohol policy playbook, ou guide des politiques en matière d’alcool. Ce document répond clairement aux questions très courantes que se posent les gens au sujet de l’alcool : provoque-t-il le cancer? Qui en subit les effets néfastes? Quels sont ses effets? Nous avons répertorié les réponses typiques que l’industrie des boissons alcoolisées est susceptible de donner à ces questions, puis nous avons fourni les réponses des autorités de la santé publique à ces mêmes questions.
Il est important de souligner que, chaque fois que vous avez une question concernant l’alcool qui relève de la santé publique, vous devez examiner des données scientifiques en matière de santé publique. Pourquoi demanderiez-vous à des représentants de l’industrie des boissons alcoolisées de vous renseigner sur des questions de santé? Leur réponse sera la suivante : « Eh bien, c’est notre produit. Il est alcoolisé, et nous le savons ». Je suis désolée, mais le problème que nous abordons en ce moment ne concerne pas l’alcool. C’est un problème de santé publique, et ils ne savent absolument rien à ce sujet. Nous devrions cesser de les consulter. Nous devons examiner les données probantes en matière de santé publique.
Cette ressource, que je peux présenter à nouveau au comité, a été spécialement conçue pour aider les décideurs politiques et les journalistes à distinguer clairement si une réponse à une question concernant l’alcool leur est fournie dans une perspective lucrative ou dans une perspective de santé publique.
M. Stockwell : Mme Paradis a mentionné qu’ils ne possédaient pas les compétences nécessaires pour répondre à ces questions. Cela n’a pas empêché les grands groupes de sensibilisation à l’alcool, y compris Éduc’alcool au Canada, de produire des brochures sur papier glacé et des documents scientifiques dans lesquels ils indiquent si l’alcool est bon pour le cœur — et la réponse serait oui — ou s’il provoque le cancer. Ils proposent de nombreuses interprétations différentes des données scientifiques disponibles et donnent un point de vue très différent de celui de l’Organisation mondiale de la santé. Vous en entendrez parler la semaine prochaine. Vous entendrez d’autres interprétations des données scientifiques disponibles de la part de ces groupes qui ont des intérêts commerciaux considérables.
Mme Gilheany : L’un des arguments que l’industrie ne cessera jamais de faire valoir, c’est que toute mesure de santé publique proposée aura des conséquences catastrophiques. Elle évoquera souvent les petits producteurs, en affirmant que « cela les mènera à la faillite ».
Un argument qui a été très souvent avancé à propos du vin, et qui est vraiment bizarre, c’est que, comme nos étiquettes devaient indiquer la valeur calorique du produit et que cette valeur pouvait varier d’une année à l’autre en raison des différents millésimes et des différentes teneurs en sucre des ingrédients, cet effort aurait une incidence négative disproportionnée sur l’industrie viticole. Cependant, les fabricants de chutneys et de confitures sont tout à fait capables de produire des étiquettes différentes présentant des calories et des teneurs en sucre différentes d’une année à l’autre.
Ce secteur avance toujours le pire scénario possible, mais il continue d’enregistrer des bénéfices extrêmement élevés, et la plupart de ces bénéfices sont touchés par seulement 10 entreprises qui contrôlent la majeure partie de la production d’alcool.
Même si vous entendez des histoires potentiellement tristes de la part d’un petit producteur, vous devez garder à l’esprit que ce raisonnement émane des très grands producteurs. Comme l’Irlande l’a démontré, il existe des façons de contourner les problèmes en permettant, par exemple, l’apposition d’étiquettes autocollantes pour ne pas désavantager les petits producteurs.
La présidente : Je vous remercie infiniment. Sénateurs, cela conclut l’audition de ce groupe d’experts. Je tiens à remercier tous nos invités des témoignages qu’ils ont apportés aujourd’hui. Nous n’avons pas d’autres travaux dont nous devons nous occuper.
(La séance est levée.)