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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 29 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques); et à huis clos, pour étudier une ébauche d’ordre du jour (travaux à venir).

La sénatrice Rosemary Moodie (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je m’appelle Rosemary Moodie, je suis une sénatrice de l’Ontario et la présidente de ce comité.

J’aimerais faire un tour de table et demander aux sénatrices et aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Osler : Je m’appelle Flordeliz (Gigi) Osler, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.

La sénatrice Senior : Sénatrice Paulette Senior, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Boudreau : Bonjour. Victor Boudreau, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Arnold : Dawn Arnold, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, du Québec.

Le sénateur Brazeau : Patrick Brazeau, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Hay : Katherine Hay, de l’Ontario.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, du Mi’kma’ki, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Muggli : Tracy Muggli, du territoire du Traité no 6, de la Saskatchewan.

La présidente : Merci, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs.

Aujourd’hui, nous allons poursuivre notre étude sur le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques).

Dans le premier groupe de témoins, nous accueillons la Dre Michelle Murti, médecin-hygiéniste, de Santé publique de Toronto; le Dr Brandon Yau, médecin-hygiéniste, de Vancouver Coastal Health; et Mme Linda Stobo, gestionnaire de programme, Marketing social et partenariats avec le système de santé du Bureau de santé de Middlesex-London, qui se joignent à nous tous aujourd’hui par vidéoconférence.

Merci à tous de vous joindre à nous aujourd’hui. Vous aurez chacun cinq minutes pour présenter votre déclaration préliminaire, qui sera suivie des questions des membres du comité.

Michelle Murti, médecin-hygiéniste, Santé publique de Toronto : Bonjour. Je remercie la présidente et les membres du comité de me donner l’occasion de discuter avec vous aujourd’hui. Comme il a été dit, je suis la Dre Michelle Murti, et je suis médecin-hygiéniste pour Santé publique de Toronto.

Mes observations aujourd’hui portent spécifiquement sur le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues, que j’appuie, qui rendrait obligatoire une étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques en vente dans tout le Canada.

L’amendement proposé et mes observations, ici, aujourd’hui, reflètent la position de Our Health, Our City, soit notre santé, notre ville, qui est une stratégie de Toronto visant les problèmes de santé mentale, la consommation de drogues, la réduction des méfaits et les traitements. La stratégie expose les objectifs et les mesures recommandées aux services et aux organismes de la Ville de Toronto ainsi qu’aux partenaires gouvernementaux, aux dirigeants des services de santé, aux écoles, aux entreprises, à la société civile et à tous les Torontois. L’ajout d’une étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques cadre avec la stratégie et améliorerait la sensibilisation des consommateurs aux risques pour la santé liés à la consommation d’alcool.

L’alcool représente un des plus lourds fardeaux en matière de décès et de préjudices liés à la consommation de substances. À Toronto, chaque année, en moyenne, l’alcool est lié à 800 décès, 4 400 hospitalisations et près de 40 000 visites aux urgences. La consommation d’alcool impose également un énorme fardeau financier sur notre système de santé.

L’exigence relative à l’ajout d’une étiquette de mise en garde sur les contenants d’alcool reflète les preuves et les recommandations stratégiques du gouvernement fédéral, notamment les recherches réalisées dans le cadre du projet d’évaluation des politiques canadiennes sur l’alcool et la dernière version des Repères canadiens sur l’alcool et la santé du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances.

D’autres fédérations comme la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont rendu obligatoire l’étiquette de mise en garde sur les contenants de boissons alcooliques, et l’Irlande rendra obligatoire une étiquette de mise en garde relative au cancer, dès l’année prochaine.

Nous appuyons également les exigences proposées dans le projet de loi visant à ce que les étiquettes de mise en garde sur les boissons alcooliques indiquent aussi le volume de boisson constituant un verre standard, selon la nouvelle version des Repères canadiens sur l’alcool et la santé, le nombre de verres standard que contient l’emballage, le nombre de verres standard entraînant des risques pour la santé et le lien de causalité entre la consommation d’alcool et le développement de cancers mortels.

En outre, nous appuierons l’exigence que les étiquettes de mise en garde en respectant un format et une taille prescrits. Les étiquettes de mise en garde qui précisent ce qu’est un verre standard et le nombre de verres standard que contient l’emballage aident les consommateurs à faire des choix qui correspondent à la dernière version des Repères sur l’alcool et la santé. Des informations sur les risques pour la santé, y compris le lien de causalité avec le développement de cancers, peuvent également aider à modérer la consommation.

À Santé publique de Toronto, nous savons que les gens peuvent boire de l’alcool de manière responsable. Les consommateurs canadiens devraient avoir l’information exacte et à jour sur la consommation d’alcool afin de pouvoir prendre des décisions éclairées sur leur consommation.

Il a été prouvé que le public préfère l’ajout d’une étiquette sur les boissons alcooliques que d’autres mesures de contrôle de l’alcool. Des preuves montrent également que l’ajout d’une étiquette sur les boissons alcooliques sensibilise davantage les gens aux effets de l’alcool sur la santé et qu’une sensibilisation accrue au développement des cancers liés à la consommation d’alcool est associée à un soutien accru à l’étiquetage des boissons alcooliques.

Enfin, j’aimerais ajouter que les étiquettes de mise en garde sur les boissons alcooliques font partie d’une série de 10 mesures fédérales fondées sur des données probantes visant à réduire les effets néfastes sur la santé publique et le fardeau sur le système de santé causés par la consommation d’alcool. D’autres mesures comprennent des stratégies relatives au prix et aux taxes, des restrictions de la disponibilité physique et des interventions de dépistage et de traitement.

Sur ce, je vous remercie de votre attention, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, docteure Murti.

Brandon Yau, médecin-hygiéniste, Vancouver Coastal Health : Je suis le Dr Brandon Yau. Je suis médecin-hygiéniste pour Vancouver Coastal Health. Je suis médecin et j’ai suivi une formation spécialisée en santé publique et en médecine préventive. Une partie de mes responsabilités, ici à Vancouver Coastal Health, est de surveiller et d’évaluer l’état de santé des habitants de notre collectivité et de formuler des recommandations pour régler ces problèmes. En particulier, je suis également chargé de lutter contre les préjudices causés à la population par les substances psychoactives légales, comme le cannabis et l’alcool.

J’aimerais vous parler un peu plus de notre population. La Vancouver Coastal Health est une des cinq autorités sanitaires régionales de la Colombie-Britannique, et nous sommes chargés de fournir des soins de santé et des services de santé publique à une population de plus de 1,25 million d’habitants.

Je suis heureux d’être ici pour appuyer le projet de loi S-202.

J’aimerais maintenant parler un peu plus de l’alcool. Comme nous le savons probablement tous, l’alcool est une substance psychoactive légale qui est à la fois socialement acceptée et banalisée. Cependant, les données scientifiques les plus récentes sont claires : toute consommation d’alcool, quelle qu’en soit la quantité, présente un risque pour la santé.

Nous savons que la consommation d’alcool a une foule d’effets nocifs sur la santé. Cela comprend tant les préjudices sanitaires que les préjudices sociaux. Les préjudices sur la santé comprennent l’intoxication aiguë, l’intoxication alcoolique, les maladies hépatiques, l’hypertension, les maladies cardiaques et les cancers. Les préjudices sociaux peuvent concerner la violence conjugale, la conduite avec facultés affaiblies et les blessures.

Quand on parle des effets nocifs sur la santé de la population, du point de vue de la santé publique, on examine également l’exposition. La meilleure façon d’examiner l’exposition, c’est d’étudier la consommation au Canada. Les niveaux de consommation actuels au Canada sont d’environ 9,4 verres standard par semaine, par personne âgée de plus de 15 ans. C’est la catégorie de consommation qui présente un risque de plus en plus élevé.

On constate les effets négatifs sur la santé de ce niveau de consommation. Chaque année, au Canada, on compte plus de 800 000 visites aux urgences et 17 000 décès liés à l’alcool. Les coûts de l’alcool pour la société canadienne sont stupéfiants. Le coût de la consommation d’alcool est plus élevé que le coût du tabac et des opioïdes. La consommation d’alcool coûte 19,7 milliards de dollars à la société canadienne par année.

Même si les coûts pour la société et les effets nocifs de la consommation d’alcool sont importants, la sensibilisation du public aux risques pour la santé de la consommation d’alcool est généralement faible. Santé Canada a réalisé en 2023 un sondage, qui a révélé que, de manière générale, les Canadiens ne connaissaient pas les risques de développement d’un cancer liés à une faible consommation. Parmi les Canadiens qui connaissaient le concept de verre standard, 70 % n’étaient pas en mesure de donner le bon nombre de verres standard pour leur boisson alcoolique préférée.

De nombreuses preuves appuient l’ajout d’une étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques, et le public est largement d’accord avec cela. Dans le même sondage dont je viens de parler, la majorité des Canadiens interrogés étaient d’accord pour dire qu’il devrait y avoir sur les boissons alcooliques une étiquette indiquant le nombre de verres standard et donnant des conseils pour réduire les risques pour la santé ainsi que des mises en garde en matière de santé. On retrouve ces propositions dans le projet de loi que vous étudiez aujourd’hui.

De plus, de nombreuses personnes croient que l’étiquetage des produits alcooliques les aidera à surveiller leur propre consommation d’alcool, à réfléchir aux effets nocifs de l’alcool et à envisager de réduire leur consommation ou à dire à d’autres personnes de réduire leur consommation d’alcool.

D’après un examen systématique effectué par Erin Hobin et le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, les étiquettes de mise en garde et des orientations sur l’alcool entraîneraient probablement un changement positif dans les comportements de santé des Canadiens. Ils ont également conclu que les étiquettes faisaient en sorte que les Canadiens garderaient ce type de message sur la santé à l’esprit, quand ils pensaient à boire de l’alcool.

Essentiellement, les Canadiens ont le droit de connaître les effets nocifs de l’alcool sur la santé. Comme je l’ai dit, la majorité des Canadiens interrogés sont d’accord. Ils sont en faveur des étiquettes de mise en garde pour l’alcool qui pourraient être semblables aux étiquettes d’autres produits comme le cannabis et le tabac.

Je sais que tous les ordres du gouvernement ont un rôle à jouer dans la lutte contre les effets nocifs de l’alcool. Malheureusement, le gouvernement fédéral a échoué dans cette lutte, selon le groupe d’évaluation des politiques canadiennes sur l’alcool. En particulier, le gouvernement a également échoué dans ses efforts de communication en matière de santé et de sécurité. J’aimerais vous rappeler que le gouvernement fédéral a déjà adopté des lois pour rendre obligatoire l’étiquetage des produits du tabac et du cannabis, qui se sont avérés efficaces dans les deux ans.

En résumé, je suis heureux d’être ici pour appuyer le projet de loi S-202 ainsi que d’autres mesures visant à lutter contre les effets nocifs de l’alcool chez les Canadiens. Merci.

La présidente : Merci, docteur Yau.

Linda Stobo, gestionnaire de programme, Marketing social et partenariats avec le système de santé, Bureau de santé de Middlesex-London : Madame la présidente et membres distingués du comité, je m’appelle Linda Stobo, et je suis la gestionnaire de programme, Marketing social et partenariats avec le système de santé au Bureau de santé de Middlesex-London, en Ontario. Je suis ici pour exprimer le soutien du bureau de santé au projet de loi S-202.

Le bureau de santé assure la protection et la promotion de la santé de plus de 520 000 habitants du comté de Middlesex et de la ville de London et en fait la promotion, en offrant les programmes et les services de santé publique prévus dans la Loi sur la protection et la promotion de la santé de l’Ontario. Conformément à ce mandat, le bureau de santé — au moyen d’activités de surveillance et de la collaboration avec les membres de la collectivité locale, les organisations et les partenaires municipaux — recueille et évalue les données accessibles, travaille en collaboration pour cerner les risques pour la santé et met en œuvre des interventions visant à réduire ces risques. Cela suppose également de fournir aux décideurs des informations sur la santé pour aider à l’élaboration de politiques publiques saines; nous vous remercions donc de nous donner l’occasion de parler avec vous aujourd’hui.

Nous vous demandons d’appuyer ce projet de loi et de rendre obligatoires les étiquettes de mise en garde sur toutes les boissons alcooliques vendues au Canada pour que les Canadiens soient mieux informés sur les risques pour la santé de la consommation d’alcool. C’est d’autant plus important que la majorité des Canadiens ne savent pas que l’alcool est considéré comme une substance cancérigène du groupe 1 et qu’il est à l’origine d’au moins sept types de cancer.

En Ontario et dans l’ensemble du Canada, la disponibilité des produits alcooliques a augmenté de manière significative, au cours de la dernière décennie, mais les règlements sur la protection de la santé n’ont pas suivi la tendance. L’alcool est normalisé dans notre société. Il est consommé dans les événements heureux comme dans les événements tristes et est même vu comme un rite de passage.

Toutefois, l’alcool est tout sauf un produit ordinaire. Comme l’ont dit nombre de chercheurs de premier plan et d’experts en politique de santé, l’alcool est un facteur de risque majeur, au Canada, pour les maladies et les blessures, et est responsable chaque année de 17 000 décès et de près de 120 000 hospitalisations. L’alcool contribue à plus de 200 problèmes de santé, y compris les cancers, les maladies du foie et du cœur, les problèmes de santé mentale et le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. En plus de ses effets néfastes considérables sur la santé, l’alcool a sur l’économie et la société une incidence non négligeable, et coûte chaque année à la population canadienne 19,7 milliards de dollars, soit plus que les produits du tabac et les opioïdes combinés.

Dans la communauté de Middlesex-London, le fardeau de l’alcool sur la santé publique est similaire; 80 % de la population locale dit boire de l’alcool et 30 % dit boire une quantité supérieure à ce qui est considéré comme un niveau à faible risque. Ces niveaux de consommation d’alcool se traduisent par 4,1 % de décès, 2,4 % d’hospitalisations et 3,8 % de visites aux urgences, chaque année, seulement à Middlesex-London, et tout cela est lié à l’alcool.

Cela exerce une pression sur nos systèmes de santé et de police déjà surchargés. De plus, l’alcool peut avoir des effets secondaires graves dans les communautés : mentionnons la conduite en état d’ébriété, la violence conjugale et les troubles de l’ordre public.

Du point de vue de la santé publique, prévenir les préjudices causés par la consommation de produits alcooliques nécessite une approche complète qui offre un accès contrôlé à un produit strictement réglementé, tout en supprimant l’influence du commerce et des industries. En apposant des étiquettes de mise en garde relatives à la santé sur les boissons alcooliques, nous informons les consommateurs sur les risques pour la santé liés à l’alcool et sur la quantité d’alcool qu’ils consomment.

Nous avons également appris que l’on peut réaliser des progrès considérables en matière de santé publique en changeant les normes sociales. Nous pouvons nous inspirer des données probantes et de l’expérience que nous avons tirées de la lutte contre le tabagisme. Nous pouvons nous inspirer du leadership du Canada en matière d’étiquetage et d’emballage des produits du tabac destinés à la vente pour nous assurer de fournir aux Canadiens des informations sur la santé fondées sur des données probantes à tous les points de contact avec l’alcool : aux points de vente, aux points de service et au moment de la consommation.

Grâce aux leçons tirées des politiques de lutte contre le tabagisme, l’étiquetage des produits alcooliques pourrait être particulièrement efficace pour empêcher les jeunes de commencer. En raison de la visibilité accrue des produits alcooliques dans les commerces accessibles aux enfants et aux jeunes, l’étiquetage de ces produits permettrait de les toucher avec des messages faisant concurrence aux publicités de l’industrie affichées sur les tablettes des commerces dans leur propre collectivité. Les étiquettes peuvent aussi susciter des conversations significatives entre les parents et leurs enfants sur les effets néfastes de l’alcool sur la santé.

Malgré les progrès réalisés, l’alcool demeure un pour la santé publique fardeau important, qui dépasse la capacité de nos systèmes d’aide sociale et de santé. Le Bureau de santé de Middlesex-London appuie le projet de loi S-202 puisqu’il informe de manière transparente les consommateurs des risques pour la santé liés à la consommation d’alcool.

Merci.

La présidente : Merci.

Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Pour ce groupe de témoins, les sénateurs auront quatre minutes pour poser leurs questions et les réponses. Veuillez indiquer si votre question s’adresse à un témoin en particulier ou à tous les témoins.

La sénatrice Osler : Merci à tous les témoins d’être ici.

Ma question s’adresse à Mme Stobo, et les deux autres témoins pourront aussi y répondre s’ils souhaitent ajouter quelque chose. Madame Stobo, votre travail porte sur le marketing social et les partenariats servant à influencer les comportements de santé. Selon vous, quelle est l’efficacité des étiquettes de mise en garde comparativement aux autres outils de communication en matière de santé publique en ce qui concerne la sensibilisation et le comportement des consommateurs?

Mme Stobo : Merci de la question.

Les étiquettes de mise en garde relatives à la santé s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie complète visant à faire mieux connaître et comprendre à notre population les risques pour la santé liés à la consommation d’alcool. Il s’agit de différentes mesures mises en œuvre parallèlement, qui nous permettront de faire changer cette norme sociale et de combler le manque de compréhension que nous observons présentement dans l’ensemble de notre population. Nous pouvons réellement nous inspirer de ce qui a été fait dans le cadre de la lutte intégrée contre le tabagisme. Il a fallu des décennies pour arriver là où nous en sommes, aujourd’hui, et il y a encore du travail à faire, mais c’est possible grâce à une approche holistique d’examen des étiquettes de mise en garde relatives à la santé pour que les gens et leur famille puissent avoir ces conversations, comprendre le produit qu’ils consomment et faire un choix. En combinaison avec d’autres mesures de politique, y compris d’autres stratégies de marketing social, nous leur donnerons des informations factuelles et fondées sur les données en ce qui concerne les risques pour la santé liés à la consommation d’alcool.

La sénatrice Osler : Merci, madame Stobo.

J’invite les deux autres témoins à intervenir, s’ils ont quelque chose à ajouter.

Dre Murti : Je dirais que l’un des composants les plus efficaces de l’étiquetage de l’alcool est que cela rejoint directement le consommateur au point de consommation. D’autres méthodes de marketing social sont extrêmement efficaces pour rejoindre les populations, mais pourraient ne pas atteindre toutes les populations que nous essayons de rejoindre et ne pas avoir le même effet répétitif si les gens sont moins portés à consommer ce type de média. Toutefois, afficher ces étiquettes directement au point de consommation où le consommateur la voit, chaque fois qu’il consomme le produit, est un rappel constant très visible éclairant la décision avant la consommation.

Dr Yau : Je n’ai rien à ajouter. Merci.

La sénatrice Osler : Merci.

La sénatrice Hay : Merci de votre travail aux premières lignes de la santé publique. Je vous en suis reconnaissante.

Je crois que je suis la même logique que ma collègue, la sénatrice Osler. Ma question s’adresse peut-être à tous les témoins. Je dirais que nombre de populations n’ont qu’une confiance limitée envers les programmes gouvernementaux, et c’est peut-être simplement une réalité. En effet, le Baromètre de confiance Edelman 2024 a clairement montré cette tendance à la hausse, particulièrement chez les jeunes. Je vais me concentrer sur les jeunes. Je crois que Mme Stobo a parlé des jeunes. De quelle manière l’étiquetage pourrait-il interagir avec les autres interventions communautaires et programmes de prévention ciblant les jeunes, et j’ajouterais dans leur langage et en fonction de leur univers et du fait qu’ils sont jeunes, pour produire des retombées quantifiables?

Mme Stobo : Merci de la question. Je vais y répondre, mais j’invite aussi mes collègues à le faire.

En ce qui concerne l’étiquetage des produits alcooliques et la manière dont cela rejoint les jeunes, ils voient l’étiquette chaque fois qu’ils voient le produit. Si nous examinons la question dans la perspective de l’exposition précoce, ils verront ces étiquettes pendant leur enfance et leur jeunesse, avant même de penser à boire ou de vouloir expérimenter l’alcool. Si leurs parents consomment de l’alcool, ils verront ces produits et verront clairement ces étiquettes. Le message est immédiatement clair et direct : il s’agit d’une substance nocive. Elle n’est pas sans conséquence. L’alcool n’est pas un produit ordinaire. Il présente des risques pour la santé.

Ces messages peuvent être complémentés par les programmes en santé donnés par nos enseignants dans les systèmes scolaires. Ajoutons à cela les programmes et les interventions de qualité qui sont mis en œuvre dans différentes collectivités du pays, dans les centres jeunesse, où nous mobilisons les jeunes pour nous assurer de les mettre sur le droit chemin, afin que les substances ne contrôlent pas leur vie.

C’est une mesure complémentaire. Grâce à l’étiquetage, les jeunes voient sur le produit lui-même communiqué un message par ses producteurs disant que le produit est nocif. Ce n’est donc pas le gouvernement qui envoie le message; c’est l’industrie elle-même qui dit : « Faites attention », ce produit présente des risques pour la santé.

La sénatrice Hay : Je vais préciser ma question pour les autres témoins. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’une étiquette de mise en garde et le message « dites non » ne sont peut-être pas une bonne stratégie pour les jeunes, donc je me demande comment vous allez rejoindre les jeunes en utilisant leurs mots en plus des étiquettes portant ce message, qui pourraient être au point de vente. Je me pose des questions là-dessus, car les jeunes pourraient ne pas lire l’étiquetage.

Dr Yau : Je crois que vous parlez des efforts de promotion de la santé et de transfert des connaissances ciblant les populations à risque élevé, comme les jeunes, dont vous avez parlé. C’est une partie très importante d’une stratégie complète de lutte contre les méfaits de l’alcool.

À mon avis, l’étiquetage des produits alcooliques ne tient pas compte de la population. Les étiquettes de mise en garde visent tous les consommateurs, tous ceux qui les voient, donc elles jouent un rôle important pour rejoindre le grand public, mais les autorités de la santé publique et le gouvernement doivent aussi déployer des efforts pour s’assurer de parler le langage de chaque population qui subit les effets de l’alcool, y compris les jeunes. Il est vraiment question d’une approche complémentaire. Les étiquettes de mise en garde sur les produits alcooliques sont un bon point de départ, mais cela ne peut pas être la seule approche pour rejoindre, par exemple, les jeunes.

La sénatrice Hay : Merci.

La sénatrice McPhedran : Merci à nos témoins d’être avec nous aujourd’hui et merci du travail que vous faites chaque jour. Nous vous en sommes reconnaissants.

Je reconnais que ma question est peut-être difficile, mais j’aimerais vraiment que chacun de vous me parle de ses expériences avec l’industrie de l’alcool, qu’elles soient positives ou non. Sentez-vous libre de répondre, ma question s’adresse à tous les témoins.

La présidente : Docteur Yau, vous avez l’air d’avoir quelque chose à dire.

Dr Yau : Je me demandais simplement si j’avais déjà des interactions personnelles avec l’industrie de l’alcool dans mon rôle. Je suis relativement nouveau dans ce rôle, donc je n’ai pas eu énormément d’expériences personnelles. Je sais qu’en Colombie-Britannique, on est en train d’examiner le rôle de l’industrie et ce qui était appelé la capture réglementaire, à savoir le rôle que joue l’industrie lorsqu’elle élabore ses propres politiques, ici, en Colombie-Britannique. Nous avons un problème du fait que le gouvernement agit à titre d’organisme de réglementation et est en même temps l’unique propriétaire de l’alcool, des services de distribution de l’alcool. Nous en discutons un peu ici, à l’échelle locale. D’après le travail de mes collègues dans leur lutte contre l’alcool, je sais qu’il y a énormément de résistance chaque fois que l’on propose de restreindre ou de limiter l’accès à l’alcool et sa consommation au Canada. C’est principalement ce que j’ai observé.

Mme Stobo : Nous avons eu des échanges avec l’industrie de l’alcool. Il y a environ huit ans, nous avons présenté à notre conseil de santé un rapport, qui parlait du besoin d’une stratégie complète de lutte contre l’alcool. Parmi les recommandations de notre stratégie, nous nous demandions s’il fallait, en effet, augmenter l’âge légal à 21 ans. Y a-t-il d’autres mesures liées à l’alcool, comme l’étiquetage, que nous devrions inclure? Devrions-nous penser à la manière dont les produits alcooliques sont présentés et annoncés, en adoptant l’option et l’approche plus restrictives que nous avons utilisées pour la lutte intégrée contre le tabagisme? Je me souviens que nous avons reçu des lettres de l’industrie de l’alcool et de différents représentants de l’industrie faisant état des raisons pour lesquelles ils n’étaient pas d’accord avec certaines des recommandations qui avaient été faites. Je dirais que cela passe généralement par les canaux officiels, comme les résolutions officielles examinées par les conseils de santé locaux, puis transmises à nos partenaires gouvernementaux.

Dre Murti : Je suis relativement nouvelle à mon poste au Bureau de la santé publique de Toronto, moi aussi, et je ne sais pas si je peux parler de quelque chose qui touche précisément Santé publique de Toronto. Ce que je dirais, par contre, c’est que j’ai déjà travaillé pour Santé publique Ontario, où ma collègue, la Dre Erin Hobin, un chef de file mondial dans le domaine des politiques sur l’alcool, menait une étude sur l’étiquetage des boissons alcooliques dans les territoires; cette recherche a été arrêtée en raison de l’intervention de l’industrie de l’alcool. Puisque je suis sa collègue, que je fais partie de cet organisme scientifique, je peux dire qu’il est évident que l’industrie a eu une incidence sur les avancées scientifiques dans ce domaine.

Le sénateur Brazeau : Bonjour à vous tous. Comme mes collègues, j’aimerais vous remercier de votre travail. Selon moi, il ne passe pas inaperçu. Donc, merci.

J’ai une petite question : nous venons de parler de l’industrie. L’industrie est assez puissante. Cela dit, pourriez-vous nous dire ce qui se passera selon vous si nous laissons l’industrie faire ce qu’elle veut et que nous ne l’obligeons pas à mettre une étiquette de mise en garde sur ses produits cancérigènes?

Dre Murti : Je vais répondre la première, monsieur le sénateur. Merci de la question.

Il est toujours difficile de savoir ce qui pourrait se passer, mais vous posez une question importante, pour savoir quelle autre orientation pourraient prendre nos politiques sur l’alcool. Je suis ici pour faire valoir que l’étiquetage des boissons alcooliques est une étape importante. Ce n’est sans doute pas la seule mesure que nous devons prendre, mais c’est un premier pas dans la bonne direction, car il faut sensibiliser les consommateurs au sujet des risques de l’alcool pour la santé, et s’assurer que les Canadiens savent que nous reconnaissons que l’alcool est un produit cancérigène qui a plusieurs effets sur la santé de la population, et ce, à différents degrés. C’est la position que nous devons adopter en ce qui concerne l’industrie, en disant qu’il s’agit d’un produit comme un autre. Nous avons des étiquettes sur les aliments, les cigarettes, les produits de vapotage et le cannabis, mais nous n’avons pas d’étiquette sur les boissons alcooliques. C’est la dernière chose importante qu’il faut faire comprendre aux Canadiens, il faut s’assurer qu’ils comprennent les effets nocifs de ce produit.

Mme Stobo : Merci de la question.

En fait, pendant presque toute ma carrière, j’ai travaillé sur la réglementation complète du tabac, et je participe depuis une vingtaine d’années à l’élaboration de politiques de lutte contre le tabagisme. Quand je pense au travail qu’il nous reste à faire dans le dossier de l’alcool, je me dis qu’il nous en reste beaucoup, et c’est parce que l’industrie a réussi à convaincre les gens que son produit était sans danger et qu’il permettait de passer du bon temps. Nous sommes en retard, puisque l’on sait que l’alcool est un produit cancérigène du groupe 1, tout comme le tabac. Or, nous voyons des publicités, des emballages et des étiquettes qui continuent de mettre l’accent sur les bienfaits de la consommation d’alcool, et nous ne parvenons pas à faire passer dans nos collectivités le message que l’alcool a aussi des effets nocifs sur la santé. Nous pouvons voir les retards, parce que nous les subissons maintenant. Nous avons beaucoup de travail à faire pour changer les normes de notre société en matière d’alcool et pour faire passer le message qu’il est acceptable de ne pas boire.

La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins de nous aider dans l’étude de ce projet de loi.

Ma question est simple. Nous tentons de cibler l’étiquetage parce que nous pensons avoir le droit de savoir ce que nous consommons et de connaître les risques qui y sont associés. Si ce projet de loi est adopté et que nous devons décider de ce que nous mettrons sur les étiquettes, diriez-vous qu’il existe un consensus dans les données scientifiques médicales sur les dangers et les risques? Sommes-nous prêts? Y a-t-il un consensus solide, dans la communauté, et allons-nous savoir exactement ce qui devrait être indiqué sur ces étiquettes? J’essaie de savoir si les communautés médicale et scientifique s’entendent sur la nature de ces risques.

Dre Murti : Merci beaucoup de la question. Elle est importante.

Oui, nous sommes tout à fait prêts. La population en général n’a pas bien compris que l’alcool est cancérigène et qu’il est lié à sept cancers distincts. Toutes nos données probantes montrent que les gens ne comprennent vraiment pas que l’alcool peut être à l’origine d’un cancer. Nous pensons à tout ce que les gens font pour éviter le cancer. Ils disent : « Je ne fumerai pas, je vais faire plus d’exercice et je vais manger plus sainement. » Ils ne comprennent pas que l’alcool est un produit cancérigène, et c’est justement ce que nous essayons de changer en étiquetant les boissons alcooliques. Le lien entre l’alcool et la grossesse est mieux compris. Nous pourrions toujours en faire plus à cet égard, mais certains des risques importants, comme le risque de cancer, ne sont pas bien compris, et nous avons d’excellentes données probantes provenant d’autres études sur l’étiquetage qui ont montré que, quand nous expliquons aux gens que cela existe, ils modifient leur comportement. Je pense que oui, absolument, nous avons d’excellentes données probantes pour aller de l’avant, et nous savons ce que nous voulons mettre sur cette étiquette.

La sénatrice Petitclerc : C’est exactement ce que je voulais savoir. Je sais qu’il faut tenir compte de l’industrie et des connaissances du public, comme vous l’avez si bien expliqué, docteure Murti. Pour moi, ce qui est important également — et c’est aussi ce que vous semblez dire —, c’est que les communautés scientifique et médicale s’entendent pour dire qu’il faut le faire, compte tenu des données dont nous disposons. Je pense que c’est ce que j’ai compris. Merci.

La sénatrice Bernard : Merci à vous tous d’être présents. Je trouve vos témoignages très convaincants.

J’ai deux questions, et la première est la suivante : il est clair, à la lumière de vos témoignages et de ce que d’autres personnes nous ont dit que c’est nocif. Les preuves des méfaits sont claires. J’aimerais vous l’entendre dire dans vos propres mots, aux fins du procès-verbal : pourquoi y a-t-il tant d’opposition à l’étiquetage des boissons alcooliques alors que nous avons déjà des étiquettes pour le tabac, le cannabis, les aliments et bien d’autres choses? Pourquoi y a-t-il tant d’opposition?

Mme Stobo : Selon le point de vue de l’agence de la santé publique régionale, je dirais que c’est en partie parce que le financement que nous recevons pour faire notre travail, qui est de renseigner les gens sur les effets nocifs de l’alcool sur la santé, est minuscule comparativement aux milliards de dollars que l’industrie de l’alcool reçoit. Nous sommes dans la situation de David contre Goliath, et nous avons du travail à faire pour faire comprendre au grand public les risques pour la santé associés à l’alcool. Il faut une approche holistique, comme nous l’avons déjà dit. L’étiquetage est la mesure à prendre pour que les consommateurs comprennent quel genre de produit ils achètent. Pensons au travail que nous avons fait dans la lutte globale contre le tabagisme dans les années 1950; la moitié de la population, voire plus, fumait. Des médecins proposaient même aux gens de fumer des cigarettes au menthol pour les aider à soulager des maux de gorge. Nous sommes tout simplement en retard. Nous devons vraiment commencer à travailler pour que les gens comprennent les effets nocifs de l’alcool sur la santé. Nous devons trouver une façon de mettre en œuvre pour ce produit une réglementation rigoureuse qui respecte vraiment l’approche de la santé publique, au moyen d’un accès contrôlé, d’information et de stratégies à l’échelle locale, provinciale et nationale, le but étant de faire connaître les problèmes de santé associés à l’alcool et de montrer que la santé des gens et la santé de la collectivité pourraient s’améliorer si l’on choisissait de boire moins.

Dr Yau : J’envisage la question en fonction de ce que nous appelons les déterminants commerciaux de la santé. C’est ainsi que l’industrie privée influe sur la façon dont nous voyons ces substances. Je pense que la comparaison avec le tabac et la nicotine est parfaite. Le tabac et la nicotine étaient tout à fait normalisés et valorisés dans la société canadienne, et nous avons tout simplement accepté ce fait. On ne nous avait peut-être pas dit toute la vérité à leur sujet. Je pense que nous sommes rendus à un point dans la société où les données scientifiques sur les effets nocifs de l’alcool sont de plus en plus claires, en ce qui concerne non seulement le cancer, mais aussi divers problèmes de santé et préjudices sociaux. L’alcool est une substance normalisée et valorisée, et on en fait la promotion, dans notre société, donc toute politique que nous tentons d’encourager pour restreindre sa consommation se bute à des discours sur de vieilles lois draconiennes. Les gens demandent « pourquoi sommes-nous toujours dans cette ère qui ressemble à la prohibition? » quand, en réalité, nous ne faisons que nous appuyer sur les meilleures données probantes accessibles pour élaborer nos politiques. Je pense que c’est pour cela que nous acceptons les risques, même s’ils sont vraiment inacceptables pour la société.

La sénatrice Muggli : Merci à vous tous d’être présents avec nous aujourd’hui. Je l’apprécie vraiment.

Avant, j’étais responsable d’un hôpital du centre-ville. Vous avez parlé du nombre de visites aux urgences, etc. J’étais là. Puisque je me trouvais dans un hôpital du centre-ville et que de nombreuses personnes qui s’y présentaient faisaient face à des enjeux socioéconomiques très variés, je me demandais si certaines populations étaient plus réceptives à l’étiquetage. Je m’intéresse aux différences socioéconomiques. J’essaie d’imaginer les gens que nous recevions à l’hôpital dont j’étais responsable, des gens qui, en général, vivaient dans une extrême pauvreté. Sont-ils aussi touchés par les étiquettes que les autres populations, disons? Je vais le demander d’abord à Mme Stobo.

Mme Stobo : Merci de la question.

Un des avantages de la stratégie de l’étiquetage des boissons alcooliques, c’est qu’elle touche tout le monde. Elle touche quiconque achète le produit. Elle touche quiconque se rend dans une épicerie et se promène dans l’allée des alcools. Elle ne vise pas à stigmatiser; elle vise à informer. Je pense que l’étiquetage peut être fait de sorte à bien expliquer les risques pour la santé associés au produit. Elle ne vise pas précisément les gens qui choisissent de consommer de l’alcool ou qui ont des problèmes d’alcoolisme eux-mêmes.

Prenez par exemple ce que j’ai vécu dans notre centre d’abandon du tabagisme. Nous avions un centre de traitement du tabagisme dans notre unité de santé, et, quand les emballages neutres et les mises en garde précises affichées directement sur les paquets sont arrivés, des clients nous ont dit que c’était un bon rappel. Ils doivent eux-mêmes décider ou faire le choix d’arrêter, mais c’était un bon renforcement pour eux et c’était aussi un bon sujet de conversation; ils s’en sont servis pour discuter avec leur famille, en disant par exemple : « Je sais que c’est mauvais pour moi, et je travaille là-dessus. » Je pense que cette stratégie pourrait très bien sensibiliser les gens chaque fois qu’ils sont en contact avec de l’alcool.

La sénatrice Muggli : Je serais d’accord avec vous, mais je m’intéresse plutôt aux résultats. Savons-nous si les résultats diffèrent en fonction de la population qui reçoit l’information par le truchement des étiquettes? Je ne sais pas si cette recherche existe.

Dre Murti : Je ne crois pas qu’il y ait des recherches spécifiques à ce sujet. Cependant, nous pouvons nous appuyer sur la vaste expérience du Canada en matière de lutte contre le tabagisme et d’étiquetage. Le Canada a une longue histoire en matière d’étiquetage et est un chef de file mondial dans le domaine de l’emballage et il sait quelles mesures sont efficaces en matière d’étiquetage des produits du tabac. Nous pouvons tirer profit de cette longue expérience.

Nous avons une certaine expérience dans le domaine des études sur l’étiquetage des boissons alcooliques, menées également par Mme Erin Hobin dans les territoires du Canada. Ces études consistaient à montrer à des gens différents types d’étiquette, à évaluer leurs connaissances des informations avant et après, leur réceptivité à différents types d’étiquette et leur intention de changer de comportement en raison des informations fournies. Nous avons constaté que les messages clairs et illustrés avaient une incidence sur de nombreux types de populations des territoires qui avaient participé à cette étude. C’est une bonne preuve que cela peut fonctionner dans les territoires ou dans les populations nordiques, où nous savons qu’il existe des problèmes importants liés à la consommation d’alcool. Je crois que c’est une bonne extrapolation de la manière dont nous pourrions avoir une incidence sur le reste du Canada.

La sénatrice Arnold : Je vous remercie d’être avec nous, aujourd’hui. J’ai eu l’impression avec les derniers témoins que nous avions épuisé le sujet, mais vous avez apporté de nouvelles perspectives intéressantes, alors merci à vous.

Je regarde en ce moment même le dos d’une bouteille de bière Heineken. Elle affiche les messages suivants : « Ne buvez pas si vous conduisez, ne buvez pas si vous êtes enceinte, vous devez présenter une pièce d’identité et consommez de façon responsable. » Quelqu’un sait-il pourquoi ces mises en garde ont été apposées sur les boissons alcooliques?

Docteure Murti, vous avez dit que vous étiez prête et qu’il y avait un consensus sur ce qui devait figurer sur les étiquettes. Quel message devrait-il y avoir sur les produits alcooliques? Le message devrait-il être « Ce produit cause le cancer »? Quel message devrait-il y avoir?

Dre Murti : Pour répondre à votre première question, je ne peux pas vous donner l’historique complet de toutes ces mises en garde. Mes collègues pourront peut-être vous expliquer comment chacune de ces mises en garde, qui sont assez minimes, ont été ajoutées au fil du temps aux étiquettes actuelles des boissons alcooliques. Sur une bouteille de vin, il n’y a pratiquement pas d’étiquette. Il n’y a aucune indication sur son contenu ni d’information sur la santé.

Dans ma déclaration, je disais quels types d’information nous cherchons à inclure sur une étiquette de mise en garde : la taille d’un verre standard, le nombre de verres standard par contenant — comme l’a souligné mon collègue, bien des gens ignorent combien de verres standard contient une bouteille de vin ou une canette de bière —, le nombre de verres standard associé à des risques pour la santé, c’est-à-dire un rappel de la quantité recommandée considérée comme une consommation à faible risque, puis le lien de causalité spécifique entre l’alcool et le développement de cancers mortels. C’est l’une des informations clés que les gens n’ont pas encore assimilées.

La sénatrice Arnold : Pourriez-vous nous en dire davantage sur cela?

Dre Murti : Au Canada, nous avons beaucoup d’expérience sur l’établissement du lien entre le tabac et les cancers. Beaucoup de gens connaissent les images très explicites des différents types de cancers liés au tabagisme. Je m’en remets à mes collègues qui ont de l’expérience en sciences du comportement pour déterminer quels types d’images ou d’étiquettes seraient les plus efficaces pour l’alcool. Cela devra peut-être évoluer au fil du temps, à mesure que nous comprendrons mieux ce qui fonctionne ou non auprès de la population. Il est toutefois certain que les informations clés sont d’abord l’indication du nombre de verres dans un contenant d’alcool, la définition d’un verre standard et l’existence d’un lien direct avec le cancer.

Le sénateur Boudreau : J’aimerais comme mes collègues remercier les témoins d’être présents aujourd’hui.

Après tout ce que nous avons entendu au cours des dernières réunions, je suis convaincu de la nécessité d’apposer des étiquettes de mise en garde sur les boissons alcooliques. Je crois que c’est une mesure responsable, mais je crois aussi que nous devons adopter une approche responsable quant au contenu de ces étiquettes. Nous avons entendu les témoins précédents, dont certains affirmaient qu’aucune quantité d’alcool ne peut être consommée sans danger, si je peux m’exprimer ainsi. Il y a une phrase provenant d’un article tiré des coupures de presse que nous recevons chaque matin qui m’a un peu frappé. Je vais citer cet article. Je traduis :

Des données du Centre canadien sur les dépendances et l’usage des substances indiquent que la consommation de deux boissons alcooliques par jour augmente le risque de cancer de 0,0099 %.

Même s’il y a un risque, celui-ci semble très faible. J’essaie simplement de savoir si ces chiffres déforment certaines des recherches qui ont été menées. Nous avons eu de la difficulté à obtenir de l’information pour savoir si un verre de vin équivaut à une bouteille de bière ou à un verre de spiritueux. Du point de vue de la santé, qu’est-ce qui est raisonnable et qu’est-ce qui ne l’est pas? Ma question s’adresse en particulier aux deux médecins hygiénistes : que répondez-vous à une telle statistique? Est-elle correcte ou non, et comment trouvez-vous l’équilibre entre cette donnée et ce que la plupart des témoins nous ont dit, c’est-à-dire qu’aucune quantité d’alcool n’est considérée comme sûre ou saine?

Dre Murti : La précision à apporter, c’est que les données que vous citez proviennent du centre où, selon les nouvelles recommandations en matière de consommation d’alcool à faible risque, deux verres par semaine sont considérés comme un faible risque. Alors, il est certain que la recommandation est d’éviter l’alcool autant que possible, mais si vous buvez deux verres par semaine, cela correspond au faible pourcentage que vous avez cité, ce que vous appelez le « faible risque », car c’est effectivement un faible risque. Si vous consommez deux verres par semaine, votre risque supplémentaire de cancer est très faible, alors que si vous commencez à boire trois verres ou plus, ou surtout six ou sept verres par semaine, le risque augmente considérablement. De plus, surtout après six ou sept verres par semaine, il y a une différence assez importante entre les sexes. Le risque de cancer est nettement plus élevé chez les femmes que chez les hommes.

Nous voulons respecter les lignes directrices en vigueur et dire qu’un maximum de deux verres par semaine est encore associé à un faible risque, cela fait partie des informations que nous voulons transmettre aux consommateurs. L’étiquetage ne vise pas une « interdiction absolue », mais plutôt à permettre aux gens de faire un choix éclairé et qu’ils sachent ce qu’est un verre standard et ce qui est considéré comme un faible risque, à savoir pas plus de deux verres par semaine, et qu’ils comprennent que consommer plus que cela est associé à un risque accru de cancer.

La sénatrice Senior : Merci à tous les témoins d’être ici, aujourd’hui, et merci pour vos exposés.

Je crois que c’est Mme Stobo qui a dit que l’étiquetage fait partie d’une approche de prévention globale. Sachant cela, et compte tenu notamment de vos fonctions dans le domaine de la santé publique et des régions que vous représentez, je me demandais si vous menez actuellement des initiatives en matière de prévention dans les écoles, auprès des jeunes, peut-être dans le cadre de partenariats avec les conseils scolaires. Aussi, selon vous, quel serait l’effet de l’étiquetage sur certains de ces programmes de prévention, sur leurs résultats potentiels? Madame Stobo, si cela vous convient, je vous invite à commencer.

Mme Stobo : Merci de la question.

Oui, nous communiquons directement ces messages aux jeunes dans les établissements scolaires de deux ou trois manières. Il y a des variantes, et je ne peux pas parler au nom de tous les organismes de santé publique du pays, mais du point de vue de la santé publique en Ontario, nos bureaux de santé publique locaux entretiennent des relations solides avec les conseils scolaires locaux, les administrateurs scolaires et les enseignants qui sont en contact direct avec les écoles. La santé publique apporte son soutien soit en leur fournissant des informations et des ressources qu’ils peuvent utiliser, soit dans le cadre de l’approche fondamentale des écoles en santé qu’ils mettent en œuvre dans les établissements scolaires, soit en leur fournissant des ressources pédagogiques pour qu’ils apprennent concrètement les messages sur les effets nocifs pour la santé de la consommation d’alcool et d’autres substances dans le cadre de leurs programmes de santé et d’éducation physique et de santé.

D’un point de vue plus général, quant à la manière de mobiliser les jeunes et de travailler avec eux, il s’agirait de les faire participer à l’élaboration des messages. Ainsi, si nous avions des étiquettes et un produit qui indique clairement les risques pour la santé liés à sa consommation, nous pourrions travailler avec les jeunes et les inviter à co-créer des messages que nous pourrions ensuite diffuser sur Snapchat, TikTok et les autres plateformes où les jeunes passent du temps et où ils obtiennent des informations sur la santé; ils seraient des porte-parole qui partagent ces informations avec leurs pairs.

Ce serait une intervention sur le terrain, en première ligne, pour répondre à votre question. C’est de cette manière que nous voyons les avantages de communiquer sur des étiquettes les effets nocifs sur la santé liés à la consommation d’alcool.

Dr Yau : Je répondrai simplement oui à la première question au sujet de notre action auprès des jeunes dans les écoles. Nous offrons des programmes de prévention de la consommation de substances et nous contribuons à l’élaboration de programmes d’éducation dans ce domaine.

Votre question sur une approche systématique met en évidence l’absence de stratégie provinciale ou fédérale sur l’alcool qui définirait la direction à prendre et les objectifs à atteindre en tant que gouvernement et société. En Colombie-Britannique, nous n’avons pas de stratégie provinciale, et il n’y a pas de stratégie fédérale. Bien sûr, l’étiquetage est un élément important, mais nous en parlons comme s’il s’agissait d’une solution miracle, ce qui n’est pas le cas. Nous devons discuter d’une stratégie fédérale plus large afin de définir les objectifs de notre approche en matière d’alcool.

La sénatrice Senior : Merci.

La sénatrice Greenwood : Merci à tous les témoins d’être ici, aujourd’hui. Merci pour tout le travail que vous faites. J’ai travaillé dans la santé publique pendant plus de 20 ans, alors j’ai l’impression d’avoir trouvé ici des âmes sœurs originaires de la Colombie-Britannique.

Ma question porte sur les étiquettes de mise en garde sur les paquets de cigarettes. Beaucoup de travaux ont été menés sur le tabac et l’effet sur le comportement des fumeurs des étiquettes de mise en garde illustrées apposées sur les paquets de cigarettes. Ces étiquettes se sont révélées très efficaces et ont eu une portée appréciable. Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette expérience qui nous aideraient, en tant que décideurs, à vaincre la résistance de l’industrie aux efforts visant à mettre les Canadiens en garde contre les effets nocifs de l’alcool sur la santé? Je me demandais ce que nous pouvons faire en tant que décideurs devant une telle résistance de l’industrie. Auriez-vous des conseils à nous donner? Madame Stobo, peut-être que vous pourriez commencer.

Mme Stobo : L’une des raisons pour lesquelles nous avons réussi à lutter efficacement contre le tabagisme est que nous sommes restés fidèles aux données et que nous les avons laissé guider nos décisions. Cela n’a pas toujours été facile, mais en nous concentrant sur ce que nous savons et sur ce que les données nous disent et en réfléchissant à ce que nous voulons accomplir, à ce qui est notre objectif clair pour la santé publique de nos collectivités et de notre population, il devient très difficile de s’opposer à notre approche si nous nous en tenons aux données.

Nous devons également nous engager à poursuivre les recherches, car c’est un domaine émergent pour nous et nous en apprenons de plus en plus au fil du temps. Dans le cadre d’une stratégie globale, nous souhaiterions également voir un engagement en faveur de la poursuite des recherches financées afin d’orienter, de mesurer et d’évaluer les mesures que nous mettons en œuvre, puis de les adapter au besoin.

Dre Murti : J’ajouterais que je pense que les gens autour de la table se rappellent l’époque du chameau sur les paquets de cigarettes, où l’emballage du tabac était encore très reconnaissable. Nous sommes maintenant très loin de cette époque, et ce changement ne s’est pas fait du jour au lendemain. Il a fallu beaucoup de temps pour y arriver et pour mettre de l’avant ce qui est efficace, à savoir comment s’éloigner de l’image de marque, augmenter la taille des étiquettes, changer le message, reconnaître ce qui est nécessaire pour varier les messages, autrement ils stagneront. Nous avons beaucoup appris durant cette période. Nous espérons que nous pourrons apprendre beaucoup plus rapidement avec l’alcool. Je me range certainement à l’avis selon lequel nous devons continuer de mener des recherches et des évaluations pour adapter nos méthodes afin de déterminer ce qui est réellement efficace pour favoriser la compréhension et le changement de comportement que nous recherchons. En réalité, nous sommes toujours à l’époque du chameau parce que, si vous regardez la publicité concernant les produits alcoolisés, on constate qu’elle repose essentiellement sur l’étiquette, le design et le produit. Je pense que nous avons beaucoup de chemin à parcourir.

La sénatrice Greenwood : Merci.

La présidente : Sénateurs et sénatrices, nous voici arrivés à la fin de la rencontre avec le premier groupe de témoins. Je tiens à remercier la Dre Murti, le Dr Yau et Mme Stobo de leur témoignage aujourd’hui.

Avant d’entendre notre deuxième groupe de témoins, je tiens à mentionner aux membres que ce groupe présente uniquement les perspectives du secteur industriel. Nous n’avons que deux témoins pour cette section.

La sénatrice Petitclerc : Je m’excuse de vous interrompre. J’ai remarqué que nous n’en avions que deux — et merci beaucoup d’être ici — mais selon ce que j’ai vu sur l’avis de convocation, nous devions recevoir le chef de la direction de Spiritueux Canada et Vignerons Canada. Leur présence a-t-elle été confirmée?

La présidente : Oui. La semaine dernière, ces deux organisations, Spiritueux Canada et Vignerons Canada, ont confirmé leur présence, mais ils se sont depuis retirés. Nous avons poursuivi nos démarches auprès des organisations sectorielles et avons déployé tous les efforts possibles pour répondre à leurs besoins. Pour tout vous dire, nous avons communiqué avec 10 personnes. Deux personnes — merci, M. Malleck, et la Coalition of Canadian Independent Craft Brewers — se sont jointes à nous aujourd’hui. Nous avons également communiqué avec Vignerons Canada, Spiritueux Canada, la Chambre de commerce du Canada, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Bière Canada, Drinks Ontario, Import Vintners and Spirits Association et la Régie des alcools de l’Ontario, qui ont tous décliné notre invitation. Ils ont refusé de se joindre à nous dans le cadre de cet exercice.

La sénatrice Petitclerc : Merci, madame la présidente. Je posais la question parce que je siège au comité depuis de nombreuses années et je sais que nous faisons toujours un effort très conscient pour entendre les représentants de l’industrie et tous les camps d’un projet de loi, alors je vous remercie.

La présidente : J’ajouterai que nous remercions nos deux intervenants d’être ici aujourd’hui, qui nous aideront à mener un examen éclairé et équilibré de ce projet de loi.

Pour le deuxième groupe de témoins, nous recevons aujourd’hui en personne M. Brad Goddard, président du conseil d’administration de la Coalition of Canadian Independent Craft Brewers; et M. Dan Malleck, professeur et directeur, Département des sciences de la santé, de l’Université Brock.

Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Vous aurez chacun cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire, puis nous passerons aux questions des membres du comité.

Brad Goddard, président du conseil d’administration, Coalition of Canadian Independent Craft Brewers : Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs, de m’avoir invité à prendre la parole.

L’humanité consomme en toute sécurité de la bière depuis plus de 10 000 ans. Au-delà de son utilisation prédominante dans les rites religieux des Égyptiens jusqu’à aujourd’hui, la bière a également joué un rôle clé dans la création d’une eau potable sécuritaire — sécuritaire parce que l’eau était bouillie, mais aussi parce qu’elle contenait de l’alcool, ce qui empêchait la croissance de pathogènes d’origine hydrique mortels. Il s’adonne aussi qu’elle apporte une certaine valeur nutritive, accompagnée d’un effet secondaire plutôt agréable.

La bière a beaucoup évolué pendant ces 10 000 ans, essentiellement grâce aux données empiriques et aux études scientifiques qui ont été menées. La science est au cœur du processus de fabrication de la bière, et la bière est responsable de la création de plusieurs outils et procédés utilisés dans l’ensemble de l’industrie alimentaire et pharmaceutique aujourd’hui. Affirmer que les brasseurs de bière craignent la science ou les progrès équivaut à nier des milliers d’années d’histoire à l’égard du contraire.

On a établi des comparaisons directes entre le tabac et l’alcool, bien qu’on ait, dans le passé, établi que le projet de loi ne vise pas à rendre les étiquettes de bière aussi homogènes et explicites que les emballages de paquets de cigarettes. Les petites brasseries artisanales canadiennes ont réussi à bâtir leurs activités au Canada en créant des étiquettes et des noms uniques qui valorisent leur produit au-delà du simple statut de marchandise. Si nous perdons la capacité d’exprimer notre individualité, les brasseurs canadiens indépendants perdront la bataille sur les tablettes au profit des multinationales qui dominent les parts de marché au Canada, et la bière artisanale canadienne perdra son identité distinctive, et, en conséquence, son volume.

Le 3 juin, l’honorable sénateur Brazeau a mis en garde ses pairs à ce comité-ci, disant qu’il faut se méfier de tout rapport de santé parrainé par l’industrie et mené par des chercheurs et des professionnels de la santé, qui ne cadrait pas avec son programme. La polarisation des points de vue à l’américaine — des conseils sur quelles recherches et quels experts croire et lesquels ne pas croire — ne crée pas de dialogue constructif.

Sa déclaration selon laquelle nous « ne nous soucions ni de la santé ni du bien-être des Canadiens » n’est, de toute évidence, pas vraie. Nos brasseurs artisanaux indépendants d’un océan à l’autre soutiennent une panoplie de causes liées à la santé et au bien-être au sein de leurs collectivités. Nous investissons des centaines, voire des milliers de nos propres dollars pour améliorer nos collectivités. Ces organismes de bienfaisance comprennent des groupes qui sensibilisent la population au sujet des maladies graves, en créant des lieux de rencontre sûrs et en soutenant les organisations sportives locales. Les brasseurs pourraient conserver ces sommes à titre de profit, mais ce n’est pas le principe qui guide bon nombre des brasseries artisanales au Canada. Nous sommes un groupe d’entreprises qui place la collectivité en premier et joue un rôle très actif pour soutenir notre collectivité dans nos bars.

À l’heure actuelle, il existe des processus établis pour communiquer aux consommateurs les directives en matière de santé lorsque de l’alcool est vendu, des lignes directrices responsables sur le service empêchant la vente d’alcool aux mineurs ou aux personnes en état d’ébriété, ainsi que des affiches et des circulaires distribuées publiquement qui conseillent la modération et l’abstinence pendant la grossesse. En fait, c’est une condition de nos permis d’alcool, que ce soit dans le domaine du détail ou de la fabrication. L’industrie appuie depuis longtemps ces outils de communication efficaces qui permettent de communiquer beaucoup mieux les risques et les messages complexes, peu importe la manière dont l’alcool est vendu ou servi.

Si l’on doit ajouter des avertissements sur les canettes ou les cartons, cela coûterait plus de 100 000 $ à mon entreprise. Je le sais, parce qu’on nous a récemment demandé de mettre une mise en garde relative aux produits allergènes sur tous nos emballages pour avertir les consommateurs que la bière contient de l’orge. La bière contient de l’orge depuis des centaines d’années, et de nombreux brasseurs artisanaux canadiens divulguent volontairement ce fait en utilisant une liste d’ingrédients. Malgré la redondance que cela a créée, les étiquettes de mise en garde ont été ajoutées.

Pendant les délibérations antérieures au sujet du projet de loi, le Dr Naimi, de l’Institut canadien de recherche en toxicomanie, a signalé que les États-Unis utilisent des étiquettes de mise en garde pour l’alcool depuis près de 40 ans et que le Canada devrait rattraper son retard. De 1989, lorsque l’avertissement du directeur du Service de santé publique a été mis sur l’emballage, jusqu’en 2021, le taux de consommation d’alcool aux États-Unis est demeuré stable ou a augmenté.

Plus tôt cette année, Statistique Canada a constaté une diminution historique de la consommation d’alcool, soit la plus grande diminution de la consommation depuis qu’elle tient un registre, en 1949. La bière au Canada a connu une diminution stable depuis plus d’une dizaine d’années. Notre relation avec l’alcool a beaucoup évolué, et les tendances de consommation donnent à penser que chaque nouvelle génération devient plus renseignée et fait des choix qui correspondent à ses objectifs personnels en matière de bien-être. Qu’ils boivent une bière après le travail ou une boisson gazeuse, ou mangent un hamburger et des frites d’une chaîne d’alimentation rapide, les Canadiens font des choix pour eux-mêmes aujourd’hui dans un monde où l’information est accessible et décident du niveau de risque acceptable pour eux.

Certaines personnes diraient que, en raison de ma relation personnelle avec la bière artisanale — une boisson qui contient de l’alcool — on ne devrait pas me faire confiance, que mes décennies de brassage et de vente de bière invalident mon opinion, un cadeau empoisonné parce que j’ose faire pression sur le gouvernement. Je me décrirais autrement. Je suis à la tête d’une petite entreprise et une personne qui tire de la fierté de son travail, valorise les contributions que les brasseurs artisanaux apportent aux collectivités canadiennes et à l’économie et, en tant que consommateur moi-même, je suis profondément engagé à faire des choix responsables pour moi-même et pour mon bien-être.

La présidente : Monsieur Goddard, merci beaucoup.

Dan Malleck, professeur et directeur, Département des sciences de la santé, Université Brock : Bonjour, mesdames et messieurs. Je m’appelle Dan Malleck. Je suis un historien dans le domaine de la santé qui étudie la façon dont les sociétés réglementent l’alcool et les drogues. Mes recherches ont été financées par les conseils de recherche des trois organismes, et non pas par l’industrie.

Je suis ici parce que, même s’il est bien intentionné, le projet de loi S-202 constitue une réponse disproportionnée aux risques d’une consommation modérée d’alcool et peut, en soi, être dommageable.

Comme plusieurs personnes ici, ma vie a été marquée par l’alcoolisme et le cancer. J’ai eu un grand-parent alcoolique, et plusieurs amis aux prises avec des problèmes d’alcoolisme. Pour ce qui est du cancer, mon père a reçu un diagnostic de cancer au début des années 1970. Il a connu une rémission, mais le cancer est revenu en 1990 et l’a tué rapidement. Il avait 49 ans. Je prends donc au sérieux les risques de l’alcool et la dévastation causée par le cancer, mais en tant qu’historien, je constate, dans les données sur les méfaits liés à l’alcool, qu’il existe des stratégies de manipulation rappelant celles du mouvement de tempérance.

Prenons par exemple le point de discussion selon lequel l’alcool est un agent cancérogène du groupe 1, au même titre que le tabac et l’amiante. Techniquement, c’est vrai, mais c’est extrêmement trompeur. Une classification du groupe 1 signifie qu’il y a suffisamment de données probantes montrant qu’il peut causer le cancer chez les humains. Cela ne dit rien au sujet de la force de cet effet, de la dose ou du contexte. Parmi d’autres agents cancérogènes du groupe 1, citons la viande transformée, comme le bacon, ainsi que l’estrogène et même quelques médicaments pour traiter le cancer. Dans ce cas, le traitement hormonal substitutif est-il aussi risqué que le tabagisme? Bien sûr que non. Et la consommation d’alcool non plus.

Qu’en est-il des données sur l’alcool et le risque de cancer? La discussion publique confond souvent le risque absolu et relatif. Selon les données de la Convention-cadre pour la lutte antitabac, sept verres par semaine augmentent de 12,6 % le risque relatif qu’une femme souffre du cancer du sein. Cela semble assez inquiétant, mais le risque de base à vie de cancer du sein au Canada est d’environ 12,5 %. Cela augmente le risque absolu de 1,6 %, ramenant le risque à vie à 14,1 %. Ce n’est pas non significatif, mais prenez un instant le risque de cancer causé par le tabagisme. Le tabagisme régulier augmente le risque de contracter le cancer des poumons de plus de 2 500 %. C’est 12,6 % contre 2 500 %. Ce sont des niveaux de risque très différents, mais le projet de loi les traite comme s’ils étaient équivalents.

Il y a ensuite la manière dont la consommation est mesurée. Les chercheurs sur l’alcool décrivent la consommation en grammes d’éthanol plutôt qu’en type de boisson, habituellement exprimé en nombre de consommations par semaine. Cela facilite le calcul des effets, mais détache aussi la consommation d’alcool de sa réalité vécue. Prendre un verre de vin avec le repas du soir est-il la même chose que sept verres de téquila le samedi soir? Une personne raisonnable dirait que non, mais c’est ainsi que les données sont présentées. Cette approche efface le contexte : le cadre, la fréquence et la méthode de consommation, qui ont tous une incidence sur les niveaux de risque.

Enfin, j’aimerais dire un mot au sujet de nos réponses émotionnelles aux idées de ce qui constitue un méfait. Lorsqu’on parle d’alcool et de risque, la discussion se tourne rapidement vers les conséquences les plus graves d’une consommation excessive : la dépendance, la violence, la conduite en état d’ébriété, vous les connaissez toutes. C’est ce qu’on appelle un biais de disponibilité, lorsque les images négatives dominent notre perception et évincent les aspects positifs potentiels. Le biais de disponibilité de l’alcool est attribuable à des groupes de tempérance victoriens qui, ne voyant aucun avantage à consommer de l’alcool, l’ont présenté comme étant nuisible et immoral. Cette idée persiste, tout comme les groupes de tempérance comme Movendi International et l’Institute of Alcohol Studies, qui soutiennent et amplifient tous deux les recherches sur les méfaits causés par l’alcool.

Le biais de disponibilité explique également l’accent que l’on met sur le cancer. Comme le sénateur Brazeau l’a souligné, l’étiquetage lié au cancer est un argument de vente. Pourquoi? Parce que le cancer est une chose horrible et omniprésente. Ces biais nient toute compréhension nuancée des effets de l’alcool. À titre d’exemple, les données de la CCLAT — les mêmes données que nous observons avec les taux de cancer — montrent que jusqu’à 10 consommations par semaine contribuent à réduire le risque de cardiopathie ischémique et d’accident vasculaire cérébral. Ces affections tuent beaucoup plus de Canadiens que tous les cancers liés à l’alcool combinés.

En conclusion, sénateurs et sénatrices, les politiques de santé publique doivent être proportionnées et aligner le message sur les données probantes. La position d’avertissements explicites sur le cancer sur les boissons alcoolisées ne reflète pas de manière proportionnée le risque réel. Cela risque d’éroder la confiance publique dans les autorités sanitaires et de déformer la manière dont les gens comprennent les méfaits. Le projet de loi S-202 constitue une mesure disproportionnée et potentiellement préjudiciable, que les législateurs raisonnables devraient rejeter.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous.

La présidente : Je vais m’écarter un peu du protocole et poser la première question.

Monsieur Malleck, je dois vous poser une question. J’ai entendu des témoins précédents discuter de la nécessité de fournir un étiquetage qui traite du lien direct avec le cancer et, séparément, de la quantité d’alcool, du nombre de consommations standard, dans chaque bouteille de la boisson particulière. Je n’ai entendu personne dans cette salle comparer 10 verres de téquila à un verre de vin. Pouvez-vous nous citer précisément les propos d’un témoin à l’appui de cette affirmation? Je n’en ai pas été informée.

M. Malleck : Je suis désolé, madame la présidente. Je ne citais pas un témoin en particulier, même si nous avons entendu plus tôt aujourd’hui quelqu’un remettre en question les différences.

La présidente : C’est ce que je croyais vous avoir entendu dire.

M. Malleck : Non, je parle du fait que les recherches décrivent des grammes d’éthanol, mais cela ne représente pas, dans la réalité, la manière dont les gens consomment de l’alcool. Lorsqu’on parle de grammes d’éthanol sur une semaine complète, cela déforme le mode de consommation réel. Si vous dites qu’un verre par soir et sept verres de téquila correspondent tous deux à sept consommations standard dans une semaine... la réalité, c’est que ce sont des façons de consommer très différentes.

La présidente : Merci.

La sénatrice Osler : Merci aux deux témoins d’être ici aujourd’hui.

Ma question s’adresse à M. Malleck. Dans un article que vous avez rédigé plus tôt cette année, en janvier 2025, pour l’Université Brock, vous abordez ce dont vous parliez concernant les maladies cardiovasculaires. Vous avez écrit ceci :

... les données probantes montrent constamment qu’une consommation modérée offre une protection contre les maladies cardiovasculaires, la principale cause de décès prématuré au Canada et aux États-Unis.

J’ai fait une recherche sur plusieurs sites différents, mais je vais en citer deux. L’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa recommande « ... aux patients cardiaques d’éviter l’alcool ». Le journal médical Circulation a publié plus tôt cette année une déclaration scientifique de l’American Heart Association. On y dit ceci : « Compte tenu du niveau de données probantes, il demeure inconnu si la consommation d’alcool fait partie d’un mode de vie sain... »

Ma question est la suivante : si ce que vous dites est vrai, alors pourquoi ne voyons-nous pas l’industrie de l’alcool promouvoir, mettre en marché et commercialiser les prétendus bienfaits pour la santé de l’alcool s’il est consommé avec modération? Le comité discute d’étiquettes de mise en garde au sujet des risques. Si ces bienfaits pour la santé sont avérés, alors pourquoi n’en faisons-nous pas la promotion, la commercialisation et la mise en marché?

M. Malleck : Je vous remercie de poser la question.

Je ne peux pas parler au nom de l’industrie. Ce que je peux dire, c’est que lorsque quelqu’un souffre d’une maladie cardiovasculaire, la situation est différente de celle d’une personne en bonne santé. Les effets de protection disparaissent dans ce cas... Encore une fois, c’est un biais de disponibilité. On raisonne ici au niveau de la maladie, au niveau du dysfonctionnement. Je ne sais pas si M. Goddard souhaite s’exprimer au nom de l’industrie, mais je ne peux pas le faire. Je ne parle pas en son nom.

La sénatrice Osler : Je vous ai posé la question parce que vous êtes un historien dans le domaine médical qui a étudié les stratégies, mais j’aimerais bien entendre le point de vue de M. Goddard.

M. Goddard : Nous abordons un peu cette question. Nous ne pouvons pas présenter des allégations de santé sans étayer l’allégation de santé sur l’emballage. Par exemple, pour une allégation de bière faible en calories, il faut apposer un tableau de valeur nutritive sur l’étiquette pour montrer au consommateur qu’elle est faible en calories. Il serait difficile de prouver l’allégation de santé sur l’étiquette, et c’est ce que la loi canadienne sur l’emballage nous impose.

La sénatrice Osler : Je sais que les autres membres ont des questions, alors je vais céder le reste de mon temps.

La sénatrice Hay : Merci de nous avoir fait part de vos points de vue.

Ma première question s’adresse à M. Malleck. Si vous pouviez fournir par écrit au comité vos données sur le cancer du sein et toutes les données dont vous avez parlé, je vous en serais reconnaissante.

Je me promène dans les allées de l’épicerie et du magasin d’alcool. Je ne suis pas ici pour discuter d’une interdiction, pour « simplement dire non » ou pour dire que nous devrions l’abolir. Je ne crois pas que ce soit une stratégie. Mais lorsque je me promène dans les allées, je remarque que certaines des étiquettes les plus intéressantes et les plus convaincantes sont celles des bières artisanales, d’abord, ou des bouteilles de vin. Je le comprends, parce qu’il faut se démarquer sur les tablettes. Vous avez parlé de communiquer le caractère unique et distinctif de ces produits. Il y a un facteur tendance. Et franchement, j’adore la manière dont l’art est mis à profit, c’est très dynamique. Voilà une utilisation judicieuse du marketing et de la gestion de marque. Ma question porte uniquement sur la marque. D’où vient la résistance? Avec cette capacité de créer des emballages stylés, dynamiques et attrayants, pourquoi ne pouvez-vous pas ajouter quelque chose qui soit vraiment pertinent pour une personne au point de vente qui souhaite consommer de l’alcool, substance qui pourrait très bien poser un risque pour sa santé? Quel est le problème?

M. Goddard : Je crois que c’est là que réside le problème au sein du comité. Notre industrie craint de suivre le même chemin que le tabac, où il n’y a plus aucune identité de marque. Si la conversation s’oriente sur la manière de communiquer les messages, je pense que l’industrie serait ouverte à la manière de communiquer ces messages et de s’assurer qu’elle utilise les bons outils pour les communiquer. J’hésiterais à essayer de les intégrer de manière artistique dans les étiquettes, car je pense qu’on nous accuserait d’essayer d’occulter ou de cacher le message.

La sénatrice Hay : Si je peux me le permettre, je serais curieuse de savoir à quel moment le comité a dit que nous nous engagions en terrain glissant concernant l’identité de marque ou autre dans l’industrie. Je ne m’en souviens pas moi-même. Le comité a fait preuve de rigueur dans sa tentative de comprendre cette question. Je vais vous laisser poursuivre.

M. Goddard : Je le mentionnais simplement à cause de l’association étroite entre le tabac et l’alcool qui a été faite dans cette salle. Le tabac a perdu toute identité de marque, et je crains vivement que nous nous engagions dans cette voie et que ce soit là le fil conducteur de la conversation que nous amorçons aujourd’hui.

La sénatrice Hay : C’est un peu difficile pour moi d’accepter l’idée que « c’est ce qui va se passer dans l’avenir ». Je ne crois pas que cela repose sur de quelconques recherches ou faits. C’est simplement votre opinion, ce dont nous sommes ici pour parler. Si vous faites un parallèle avec le tabac, ces entreprises se portent très bien. Elles sont rentables. Elles s’en tirent très bien sans identité de marque, et elles n’ont même pas d’espace sur les tablettes. Elles s’en tirent très bien.

M. Goddard : C’est un marché fortement consolidé. Il est contrôlé par un très petit nombre de fabricants. Ce n’est pas le marché canadien que nous connaissons aujourd’hui. Dans le marché canadien, il y a 1 200 brasseries artisanales. Je ne crois pas que ces 1 200 brasseries artisanales survivraient dans un environnement dépourvu d’identité de marque, comme le tabac l’a fait en se consolidant.

La sénatrice Hay : Je le reconnais.

Le sénateur Brazeau : Ma question s’adresse à vous, monsieur Goddard. Êtes-vous médecin?

M. Goddard : Non.

Le sénateur Brazeau : Merci.

Dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné que votre produit pouvait être ingéré en toute sécurité. Vous avez utilisé les mots « valeur nutritive » et dit que vos brasseurs artisanaux avaient créé des étiquettes vraiment uniques. Ont-ils créé des étiquettes uniques pour mettre en garde leurs propres consommateurs au sujet des risques de cancer qui y sont associés?

M. Goddard : Non, nous ne l’avons pas fait.

Le sénateur Brazeau : Merci.

Je ne m’en prends pas à vous personnellement. Je comprends que vous avez un travail à faire, mais j’ai aussi le mien. Ma question pour vous est la suivante : savez-vous que l’alcool est classé comme un agent cancérogène du groupe 1 depuis 1988? Le savez-vous?

M. Goddard : Oui.

Le sénateur Brazeau : Merci.

Pour terminer, j’aimerais savoir ce que votre organisation a fait pour renseigner ses propres consommateurs au sujet des risques de cancer. Pouvez-vous nous dire exactement ce que vous avez fait depuis 1988?

M. Goddard : M. Malleck a effleuré le sujet. En ce qui concerne le risque de cancer, nous devons avoir un...

Le sénateur Brazeau : Ce n’est pas ce que j’ai demandé. J’ai demandé ce que votre organisation avait fait en particulier depuis 1988 pour mettre en garde ses propres consommateurs contre votre produit poison et cancérogène. Qu’avez-vous fait en particulier pour mettre en garde vos propres consommateurs?

M. Goddard : Nous avons soutenu beaucoup d’initiatives communautaires, y compris des associations du cancer, en amassant de l’argent et en soutenant leurs courses amicales et d’autres initiatives du genre.

Le sénateur Brazeau : Pourriez-vous fournir au comité une liste détaillée de tout ce que vous avez réalisé pour fournir à vos propres consommateurs les renseignements concernant le risque de cancer associé à la consommation de votre produit?

M. Goddard : Je ne pourrais probablement pas fournir de liste détaillée, non.

Le sénateur Brazeau : Pourriez-vous fournir une petite liste? N’importe quelle liste?

M. Goddard : La communication n’a pas fait partie des obligations que nous imposent les gouvernements provinciaux ou fédéral.

Le sénateur Brazeau : Vous dites donc que vous attendez que les gouvernements fédéral ou provinciaux vous y obligent pour commencer à aviser et à éduquer vos propres consommateurs au sujet du risque de cancer? Est-ce bien ce que vous dites? Vous attendez d’y être obligé par un ordre de gouvernement, les mêmes gouvernements sur lesquels vous faites pression pour vous assurer de ne pas avoir à mettre des étiquettes de mise en garde contre le cancer sur vos produits? Est-ce bien ce que vous laissez entendre?

M. Goddard : Je vais y réfléchir et en tenir compte.

Le sénateur Brazeau : Lorsque vous aurez la réponse, je demanderais que le comité la reçoive. Merci.

La sénatrice McPhedran : Je m’excuse d’être en retard. J’avais un engagement avec un groupe de visiteurs et j’ai dû m’éclipser.

Je pense qu’il est juste de dire que, au comité, nous avons été très fascinés par la notion des déterminants commerciaux de la santé. Nous savons que votre industrie — comme toutes les industries d’ailleurs — cherche à réaliser des profits, et vous devez fonctionner dans un environnement commercial très concurrentiel. Ma question pour vous s’appuie en quelque sorte sur celle du sénateur Brazeau. Menez-vous, au sein de votre organisation, des recherches ciblées sur les déterminants commerciaux de la santé ou sur les répercussions sanitaires liées à la consommation d’alcool?

M. Goddard : Non, nos recherches n’ont pas porté sur ce sujet. Mais, nous avons des études portant sur le niveau de sensibilisation aux méfaits de l’alcool sur la santé, même le rapport sur le niveau de sensibilisation du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, ou CCDUS. Il s’agit de données de l’Alberta, mais le niveau de sensibilisation aux méfaits de l’alcool sur la santé est d’environ 90 % pour les consommateurs de la province. Selon le rapport du CCDUS, le niveau de sensibilisation est de 55 %. Je dirais qu’ils ont effectué un bon travail dans leur façon de présenter le rapport et de sensibiliser les gens à ce sujet.

La sénatrice McPhedran : Vous avez mentionné des partenariats avec la collectivité. Je me demande si vous pouviez me donner un ou deux exemples spécifiques.

M. Goddard : On nous demande de soutenir beaucoup de courses à pied, dont certaines pour des causes liées à la santé mentale, assurément. Nous avons soutenu des événements Movember. La bière a la capacité de rassembler les gens d’une collectivité, et de créer une occasion où ils sont ensemble, et non isolés — quelle que soit la raison ou la cause initiale qui réunit les gens, qu’il s’agisse du Folk Fest ou peu importe son nom —, et je crois que cela génère des bienfaits pour la collectivité et des bienfaits pour la santé.

La sénatrice McPhedran : Lors de ces occasions dont vous venez de nous donner des exemples, est-ce que vous transmettez un quelconque message à propos des risques de la consommation d’alcool pour la santé?

M. Goddard : Si les gens consomment de l’alcool dans l’un de nos établissements licenciés, oui. Nous plaçons des affiches devant l’emplacement de la vente d’alcool pour avertir les consommateurs des conséquences potentielles pour la santé.

La sénatrice McPhedran : Merci.

La sénatrice Bernard : Merci à tous les deux d’être ici, et de passer cette soirée avec nous.

Ma collègue, la sénatrice Greenwood, a dû partir, donc je vais commencer avec sa question. Elle s’adresse à vous, monsieur Goddard.

Elle dit :

J’ai lu la lettre dont votre organisation a fait part à son bureau et à d’autres témoins qui ont comparu devant notre comité, à savoir vos arguments selon lesquels « ceux qui participent à ces initiatives pensent que moins d’alcool, c’est toujours trop d’alcool », et que « cette affirmation est vraie malgré les données probantes existantes, généralement bien établies à l’échelle mondiale, et qui démontrent que la consommation modérée d’alcool peut fournir des bienfaits pour la santé. »

La sénatrice Greenwood a communiqué certaines de vos affirmations concernant les maladies du cœur, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète et la santé mentale améliorée à d’autres témoins.

Un témoin a affirmé : « Cette étude a été démentie. » Un autre a dit : « Le risque de cancer dépasse de beaucoup n’importe lequel de ces bienfaits, selon plusieurs études. » Un autre témoin a affirmé : « Au même titre que l’industrie du tabac, l’industrie de l’alcool s’efforce de calomnier le travail des professionnels qui participent à ce secteur d’intervention. » Un autre a affirmé : « L’industrie a fait fi des personnes qui composent avec une dépendance à l’alcool. »

Le dernier témoin a affirmé : « Pour ce qui est des autres données concernant la consommation modérée d’alcool, la Fédération mondiale du cœur, l’Organisation mondiale de la santé et chaque organisme mondial de grande envergure ont clairement affirmé que l’alcool était néfaste pour la santé. C’est quelque chose dont nous parlons dans le contexte de nombreux aliments et d’autres choses. Pourquoi continuons-nous de faire semblant en ce qui a trait à l’alcool? »

Voici la question de la sénatrice Greenwood :

Maintenez-vous vos affirmations précédentes? Êtes-vous d’accord ou pas pour dire qu’il y a un lien entre la consommation d’alcool et le cancer?

M. Goddard : Je maintiens effectivement mes affirmations précédentes. Il n’est pas aussi facile de mesurer les bienfaits de l’alcool que d’en mesurer les méfaits. Beaucoup de témoins ont cité bon nombre de statistiques, et il est facile de mesurer les méfaits; on ne peut pas en dire autant pour ce qui est des bienfaits. Cependant, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui pensait que la bière était un aliment santé. Je n’ai certainement jamais rencontré quelqu’un qui pensait que la bière était bénéfique pour lui. Les occasions que la bière crée génèrent certes des incidences positives, mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui avait l’impression que le fait de prendre un verre de bière par jour allait le rendre plus rapide, plus fort et meilleur.

J’ai oublié la deuxième question.

La sénatrice Bernard : La question était de savoir si oui ou non vous mainteniez vos affirmations précédentes, et si vous étiez d’accord ou pas. Je pense que vous avez répondu à la question.

Je viens de la Nouvelle-Écosse. Il y a une petite brasserie en Nouvelle-Écosse appelée Candid Brewing Company à Antigonish, qui se trouve dans une partie rurale de la province. Les propriétaires ont fait équipe avec l’Université St. Francis Xavier dans le cadre d’un projet afin de coller des étiquettes d’avertissement sur les canettes de bière artisanale locale. Ils mettent ce projet à l’essai afin d’observer les effets des étiquettes sur la consommation des boissons alcoolisées. Comment se fait-il qu’une petite brasserie en Nouvelle-Écosse puisse être si audacieuse en plaçant des étiquettes d’avertissement sur ses produits?

M. Goddard : À vrai dire, j’ai la réponse à cette question, car j’ai parlé aux responsables. Ils pensaient que ce serait bon pour l’image de l’entreprise que son nom se retrouve dans les nouvelles.

Ces efforts témoignent de l’esprit de collaboration dans le milieu du brassage artisanal. Il semble que certaines des questions, ici, aujourd’hui, n’aient pas été posées dans le même esprit, mais vous trouverez au sein des brasseurs artisanaux — certainement chez les brasseurs artisanaux — qu’il y a un esprit de collaboration. Si nous pouvions travailler ensemble, nous trouverions un compromis, qui transmettrait des messages et qui tiendrait compte de notre objectif final pour les Canadiens. C’est l’esprit qui anime notre secteur industriel, et je pense que nous pourrions y parvenir. J’ignore simplement si ce projet de loi est le bon outil pour ce faire, ou du moins, si tous les éléments de ce projet de loi sont l’outil pour y parvenir.

La sénatrice Bernard : Cette brasserie est clairement en train de déclarer au public qu’elle pense qu’il est important de fournir davantage d’informations aux consommateurs afin qu’ils puissent faire des choix éclairés. Elle pense qu’elle peut le faire en plaçant des étiquettes sur les canettes de bière. Et vous, votre réponse c’est de dire que c’est pour l’image de l’entreprise?

M. Goddard : C’est ce que les propriétaires de la brasserie m’ont dit. Ils pensent que cela leur permettra d’apparaître dans les journaux et à la télévision. Cela leur donnera également le sentiment de s’acquitter de leurs obligations envers les consommateurs.

La présidente : En tant que présidente du comité, j’aimerais juste préciser que, en tant que comité, nous sommes ici pour examiner le problème et la législation. Nous ne sommes pas ici pour collaborer.

La sénatrice Muggli : Merci d’être ici.

Ma question s’adresse potentiellement à vous deux, mais je vais commencer par M. Goddard. Monsieur Goddard, mis à part les étiquettes, pouvez-vous parler de ce qui, selon vous, pourrait constituer des solutions de rechange susceptibles d’aider les consommateurs à comprendre et à reconnaître les risques de cancer liés à la consommation d’alcool?

M. Goddard : Oui. Les autorités provinciales utilisent déjà d’autres outils, car la réglementation des alcools fait déjà essentiellement partie de la compétence provinciale. En Alberta, nous devons accrocher plusieurs affiches aux points de vente, qui éduquent les consommateurs, ensuite, de façon saisonnière, bien évidemment, nous affichons le slogan « Pas d’alcool au volant ». Nous promouvons la consommation responsable. Pour ce qui est de la formation — et c’est vrai dans toutes les provinces —, nous avons reçu une quantité considérable de formations sur les risques liés à l’alcool et sur le service responsable de l’alcool. Et pour toutes les personnes qui participent à la vente d’alcool, qu’il s’agisse d’un service direct ou d’une entreprise de ventes en gros, cette formation se concentre sur l’éducation, que nous sommes censés transmettre aux consommateurs, que cela leur plaise ou non. Nous sommes censés attirer leur attention et leur transmettre ce message.

La sénatrice Muggli : Pouvez-vous nous donner des détails sur ce à quoi ressemble cette formation?

M. Goddard : Oui. Il y a une formation au sujet des conséquences sur la santé. Elle se décline en plusieurs modules. L’un des modules a trait à la manière de reconnaître si une personne a consommé trop d’alcool, la manière de reconnaître une personne qui a l’air de composer avec un problème de dépendance à l’alcool et d’interagir avec elle, les stratégies pour parler avec elle, la manière d’interagir avec elle afin d’éviter qu’elle refuse la solution. Certains éléments établissent un lien de risque direct, dont l’alcool et la conduite, l’alcool et la grossesse pouvant mener au syndrome d’alcoolisation fœtale, et le message concernant ces éléments est très direct. Des formations à ce sujet sont offertes, mais elles sont renforcées par la distribution de circulaires.

La sénatrice Muggli : Monsieur Malleck, avez-vous une quelconque réponse à cette question? Des solutions de rechange aux étiquettes pour transmettre le message concernant le risque de cancer?

M. Malleck : Mon avis général à ce sujet, c’est que vous fournissez une information déformée et dénuée de nuance. Des études intéressantes sur l’étiquetage, publiées en août 2025, se sont penchées sur la réaction des gens face à des verbes causatifs, et face à ce que l’on appelle des verbes modaux; « peut causer » par opposition à « cause ». Dans les deux cas, les gens se sont montrés très hostiles envers l’organisme responsable, lorsqu’ils ont vu les verbes causatifs. Leur confiance envers ces types de messages, c’est-à-dire les messages qui utilisent des verbes causatifs, a été réduite, mais dans les deux cas, les gens ont affirmé qu’ils n’allaient pas changer leur comportement.

Il y a beaucoup d’informations contradictoires sur les étiquettes. Je ne peux pas parler au nom de l’industrie, je ne parle pas au nom de l’industrie, mais je pense que d’un point de vue pratique, si vous vous attendez à ce qu’une entreprise change son produit, il serait peut-être utile de s’assurer que ce qu’elle fait est en réalité efficace. Une grande partie de l’information que le comité a reçue émane de l’étude du Yukon, dont la conception a été très problématique, en plus de ce qui s’est passé lorsque l’industrie y est intervenue. L’intervention de l’industrie dans l’étude a vraiment compliqué les données. Je ne pense pas que les chercheurs de la Canadian Institute for Substance Use Research aient donné plus de détails concernant la complication des données, mais jusqu’à ce que nous disposions de bonnes données sur le type de message qui fonctionne, je ne pense pas qu’il soit juste que l’industrie s’attende à ce que les entreprises modifient leurs étiquettes.

La sénatrice Muggli : Des opinions, rapidement, sur les codes QR, l’utilisation de codes QR sur les étiquettes? Peut-être, M. Goddard pourrait-il répondre?

M. Goddard : Nous avons utilisé des codes QR. Ils peuvent créer une expérience dynamique... pour répondre à l’une des questions de la sénatrice, plus tôt, ayant trait au fait de parler aux gens dans leur propre langue. Les codes QR peuvent vous fournir une certaine flexibilité si vous parvenez à convaincre les gens de les utiliser. À vrai dire, seule une certaine population utilise les codes QR, mais vous pouvez créer un message auquel le type de personne qui utiliserait les codes QR peut s’identifier. Vous pouvez créer un message qui peut être adapté.

La sénatrice Senior : J’apprécie le fait de pouvoir entendre directement des représentants de l’industrie aujourd’hui, donc je vous en remercie.

Il me semble que l’un de vous a utilisé le terme législateurs potentiellement déraisonnables pour nous décrire.

La sénatrice McPhedran : Et ayant une vision déformée.

La sénatrice Senior : Et qui utilisent la manipulation. J’essaie simplement de vous poser une question qui vous montrera que je suis une législatrice raisonnable.

Pour moi, les données probantes sont claires. Je vais juste préciser que je soutiens et crois la science, en ce qui concerne le lien entre l’alcool et les cancers — sept cancers, en réalité. Sachant cela, et sachant que, selon vous, les États-Unis procèdent à l’étiquetage des boissons alcoolisées, mais que la consommation d’alcool n’a pas été réduite pour autant, et sachant qu’il se peut que le lien entre ces deux éléments soit très ténu — je ne suis pas tout à fait certaine que ce soit ce que les données scientifiques que nous avons entendues affirment. Si l’étiquetage des boissons alcoolisées dans d’autres pays — disons, les États-Unis — n’a eu aucune incidence, quel est le risque de coller des étiquettes d’avertissement, sachant qu’il y a un lien. Monsieur Goddard, qu’en pensez-vous?

M. Goddard : Je pense que le risque, pour vraiment revenir à quelque chose que M. Malleck a évoqué, doit être proportionnel.

La sénatrice Senior : Je m’excuse de vous interrompre. Je pense que la proportion est quelque peu non pertinente, si vous essayez d’informer vos consommateurs au sujet de ce lien.

M. Goddard : Je suis d’accord, mais lorsque j’ai parlé à mon médecin récemment du cancer colorectal — je n’en suis pas atteint, mais j’approche un âge où je dois y songer de manière responsable — j’ai demandé : « Quels sont mes facteurs de risque? » Il a répondu : « Le tabagisme, certainement en grande partie; l’obésité; la consommation de viande rouge; un régime riche en gras et faible en fibres; le sucre; et l’alcool. » Il a expliqué que tous ces éléments contribuaient à l’apparition du cancer colorectal. J’ai demandé : « Qu’est-ce que je peux faire pour l’éviter? » Il a répondu : « Allez faire des promenades, consommez plus de fibres. » C’était donc les principales solutions qu’il m’a conseillé de mettre en pratique afin de transformer ma vie. Il n’a pas dit : « Consommez moins de bière. »

La sénatrice Senior : Le mien m’a aussi dit, « Buvez moins, » un point c’est tout. Je comprends l’anecdote personnelle que vous nous racontez. Certains médecins peuvent ne pas donner toutes les informations et tous les conseils non plus, mais je pense que la science est vraiment claire. Le lien a aussi été prouvé ailleurs dans le monde, car nous avons reçu quelqu’un des Nations unies qui a parlé de cela. Nous ne sommes pas des prohibitionnistes. Je ne suis pas du tout intéressée à devenir une prohibitionniste. Je ne veux pas dire aux gens quoi faire; c’est plutôt l’information qui m’intéresse véritablement en tant que législatrice raisonnable.

M. Goddard : Je suppose que ma seule réponse à cela est que je veux examiner les mesures correctives à plus fort impact afin d’espérer prévenir les cas de cancer. Je ne suis pas convaincu qu’une étiquette de mise en garde sur de la bière est la mesure ayant le plus grand impact sur les changements du comportement des consommateurs.

La sénatrice Senior : Merci.

La sénatrice Arnold : Merci de votre présence et de votre courage, nous apprécions cela.

Je voudrais revenir à ce qu’a dit la sénatrice Bernard, car je crois qu’il s’agit d’une belle réussite des Maritimes. J’ai une citation ici du gars qui gère cette brasserie. Il a dit qu’il estimait que les étiquettes étaient importantes pour aider les consommateurs à prendre des décisions éclairées. Je suis d’avis que c’est ce qu’ont dit nombre des témoins qui se sont adressés à nous. Nous savons que 81 % des Canadiens sont en faveur des étiquettes de mise en garde. Il me semble que les Canadiens devraient avoir le droit de savoir ce qui se trouve dans leurs produits, tout comme ils le savent déjà pour tous les autres produits qu’ils consomment et ingèrent. Nous sommes étonnés de constater que Corona Cero a de grandes étiquettes de mise en garde informant les consommateurs qu’ils ne doivent pas consommer plus de deux de ces boissons non alcoolisées, parce que sinon vous dépasserez votre taux de vitamine D quotidien recommandé. Néanmoins, nous ne pouvons pas dire aux Canadiens les risques qu’ils courent en consommant ces produits? Je serais curieuse de savoir ce que vous en pensez.

M. Malleck : Encore une fois, je ne parle pas au nom de l’industrie, mais je peux aborder l’idée de proportionnalité.

Les données que j’ai fournies, en passant, provenaient du rapport du CCDUS et de l’Agence de la santé publique du Canada. Ce qui arrive souvent, c’est que le résumé graphique comporte un certain biais dans l’information qu’il présente, et lorsque vous vous attardez vraiment aux données proprement dites, vous remarquez que ce ne sont pas le même genre d’informations qui y sont fournies.

Lorsque nous nous penchons sur un élément tel que le risque de cancer, comme l’a expliqué M. Goddard et comme la majorité des gens ici le savent, il faut garder en tête qu’il y a une multitude de facteurs qui causent le cancer. Il est très difficile de déceler les facteurs spécifiques qui causent le cancer dans un cas donné, cependant, au sein de la cohorte épidémiologique liée au cancer, on utilise une formule pour arriver à une estimation du nombre de maladies mortelles qui sont causées par la consommation d’alcool. Il est problématique de faire une telle supposition, à moins que vous ne regardiez les décès directs liés à l’alcool, c’est-à-dire l’empoisonnement à l’alcool. Quiconque connaît le moindrement le cancer — et je crois qu’il y a dans cette pièce trois médecins — sait qu’il y a beaucoup de causes différentes. Par exemple, une augmentation de l’œstrogène après l’accouchement a un impact sur le risque de cancer du sein. Je crois que l’allaitement y joue aussi un rôle.

Si quelqu’un dit que cela augmente votre risque d’avoir un cancer, il s’agit là d’une déclaration plus raisonnable. Lorsqu’on dit que cela cause le cancer, il s’agit d’un lien de causalité problématique. Toutes les toxines présentes dans le tabac, oui, causent le cancer. Je ne crois pas que quelqu’un dans cette salle soit en désaccord avec cela. Lorsque l’on s’attache à des choses comme l’augmentation du risque marginal et son risque relatif, lequel est lui-même parfois problématique — si vous ne connaissez pas votre risque absolu, le risque relatif peut sembler effrayant. Le risque relatif de cancer de l’oropharynx si vous consommez 14 verres par semaine augmente de 90 % votre risque de contracter ce cancer, mais le risque d’avoir ce cancer est remarquablement faible. Je ne crois même pas que l’on peut vraiment calculer le risque de la même manière que l’on calculerait le risque que court une femme de contracter le cancer du sein.

Cette déclaration audacieuse sur le cancer est vraiment déformée. C’est pour cela que j’ai parlé de manipulation, car ce type de déclaration manipule les données, et je dirais même qu’elle manque de respect envers les Canadiens et Canadiennes, car on affirme que le cancer est en cause, mais il y a beaucoup de choses qui entrent en jeu lorsqu’il est question de cancer, et l’alcool peut ou non... je ne vais pas nier le fait qu’il y a une augmentation des risques, mais aller jusqu’à dire que l’alcool cause le cancer et inclure cette déclaration dans l’avertissement est problématique.

Maintenant, si vous souhaitez étendre l’application de ce projet de loi...

La présidente : Votre temps de parole est écoulé pour cette question.

Le sénateur Brazeau : Vous avez parlé de la manipulation et de la déformation liées au projet de loi, et vous avez tenté de les associer à mon cas personnel, mais voici ce qui est véritablement déformé et manipulateur. Il y a deux personnes devant le comité, deux hommes adultes, qui déclarent qu’il n’y a aucun problème et que l’alcool, c’est génial. Nous venons de parler de cancer, mais l’alcool cause également des morts, des accidents, des appels au 911, des appels à la police, l’ETCAF, des problèmes de santé mentale, de la dépression et des suicides, mais vous ne semblez pas vouloir parler de cela.

Voilà ce qui est déformé. La seule raison pour laquelle des gens se positionneraient contre un tel projet de loi, qui est une question de gros bon sens, serait à cause des profits. Mais vous n’osez même pas dire cela. On ne peut pas générer de richesse au Canada sans une population en bonne santé. Malheureusement, vous produisez votre richesse aux dépens de la santé des Canadiens. Pourquoi ne pas les informer? Voilà la question centrale. Pourquoi les sociétés fabricant de l’alcool au Canada obtiennent-elles un passe-droit? Le cannabis et le tabac ont des étiquettes de mise en garde. Pourquoi avez-vous un passe-droit? Pouvez-vous répondre à cette question?

La présidente : Sénateur Brazeau, à qui adressez-vous votre question?

Le sénateur Brazeau : À n’importe quel témoin. Pourquoi avez-vous un passe-droit?

M. Goddard : Bon, en premier lieu, je ne crois pas que nous ayons dit qu’il n’y avait aucun problème. Je ne crois pas que nous ayons dit que nous n’étions pas préoccupés par la santé publique. Je ne crois pas que cela ait été le contexte d’un quelconque message communiqué aujourd’hui.

Ce que je souhaiterais, c’est lorsque nous communiquons avec les Canadiens, que cela soit fait de manière digne de confiance, crédible et claire. Pour revenir ce que disait M. Malleck plus tôt, je ne suis pas convaincu que le message proposé soit digne de confiance, crédible ou clair.

La sénatrice McPhedran : Monsieur Malleck, je voudrais vous demander si vous pourriez préciser le projet de recherche que vous menez actuellement ainsi que sa source de financement.

M. Malleck : En vérité, je n’ai pas de financement pour mon projet de recherche actuellement. Je viens de soumettre une demande au CRSH pour un projet portant sur l’histoire de la prohibition. Je n’obtiens pas le moindre financement de la part de l’industrie. Je suis très ferme là-dessus. Des gens de l’industrie m’appellent et veulent m’inviter à boire une bière. Je parle à n’importe qui. J’ai discuté avec des gens du secteur de la santé publique. J’étais à l’Université d’Ottawa et j’y ai rencontré le sénateur Brazeau. Je me suis entretenu également avec un groupe de personnes travaillant dans le secteur de la santé publique. Lorsque j’assiste à ces réunions, j’insiste — et ils le comprennent bien — pour dire que je ne laisserai personne m’inviter à souper ou à prendre un verre ou quoi que ce soit. Il n’y a pas de relation financière. Je donne des conférences à différents endroits. Ma recherche n’est pas du tout financée, comme je l’ai mentionné au début, et je ne sais pas pourquoi vous penseriez que je ne dis pas la vérité.

La présidente : Ce n’était pas clair.

M. Malleck : Ah, je m’excuse. Je ne suis pas financé par l’industrie.

La sénatrice McPhedran : Je suis au courant de votre déclaration. J’essayais simplement de comprendre quelles étaient vos sources de financement.

Un autre élément que je souhaite mettre de l’avant est le résultat d’une recherche de votre nom sur le site Web de l’Université Brock : une photo de vous qui levez votre verre de bière d’une main, en tenant, de l’autre, Liquor and the Liberal State, qui est, bien évidemment, un de vos livres. Je crois que mon temps de parole est sûrement écoulé, mais je vous demanderais si vous pourriez s’il vous plaît répondre à la question suivante par écrit; pourriez-vous dresser une liste des projets de recherche que vous avez menés au cours des cinq dernières années et des sources de financement de ces projets de recherche.

M. Malleck : Je me demande simplement si cette question a été posée à toutes les autres personnes qui ont présenté un exposé.

La sénatrice McPhedran : Vous êtes le premier universitaire qui a été aussi positif et encourageant quant à la consommation d’alcool.

M. Malleck : Eh bien, je n’ai pas apporté une bouteille de whisky provenant de ma propre réserve.

La présidente : Je vais mettre fin à cette conversation.

La sénatrice Osler : Monsieur Malleck, vous avez fait allusion à l’étude réalisée au Yukon.

M. Malleck : Oui.

La sénatrice Osler : Pour les personnes présentes qui ne sont pas au courant, l’étude réalisée au Yukon était une intervention de huit mois où l’on a apposé trois étiquettes de mise en garde bien visibles sur des contenants d’alcool. Il y avait un site d’intervention, à Whitehorse, au Yukon, ainsi qu’un site témoin, où il n’y avait pas d’étiquette de mise en garde, à Yellowknife. Monsieur Malleck, je crois que vous avez qualifié cette étude d’imparfaite. Je serais intéressée à savoir quels étaient les défauts que vous avez cernés au sujet de cette étude.

M. Malleck : Je ne peux entrer trop dans les détails, mais, comme vous le savez, l’étude a été interrompue. La durée initiale de l’étude était de plus de huit mois, mais elle a été interrompue lorsqu’il y a eu des problèmes avec le... J’imagine que les gens ont interprété cette interruption comme preuve du fait que l’industrie de l’alcool veut mettre des bâtons dans les roues du milieu de la recherche.

Le problème avec une étude sur la santé publique qui dure huit mois, surtout lorsqu’on se penche sur la consommation, c’est que vous n’avez pas les données d’une année entière, alors vous n’avez pas la chance d’observer chaque saison. La consommation de certains produits varie selon les saisons. Voilà un autre problème.

Il est intéressant de noter que sept articles de recherche ont été publiés à partir de cette étude, où l’on examine les réactions et où l’on affirme que, oui, les gens ont remarqué les étiquettes, mais qu’après les deux premiers mois de l’étude, lorsque le fait que celle-ci allait être interrompue a été médiatisé, la solidité de l’étude a été quelque peu ébranlée, car, soudainement, d’autres personnes en parlaient et certaines questions flottaient dans l’air : comment avez-vous entendu parler de ça? Avez-vous remarqué l’étiquette, ou est-ce que vous en avez entendu parler dans les nouvelles et que cela a perturbé vos souvenirs? Il y a beaucoup de problèmes à cet égard.

Fait intéressant, une tonne de recherches portent sur l’étiquetage et fournissent une diversité d’informations très utiles et équilibrées quant aux nuances que suppose une telle étude. Certains sont d’avis que l’étiquetage ne fonctionne pas du tout. D’autres estiment qu’il est utile pour faire de la sensibilisation à certains égards. Je ne suis pas un expert en étiquetage, mais j’ai décidé que, parce qu’il s’agit d’un projet de loi sur l’étiquetage, j’examinerais, en quelque sorte, la robustesse de la recherche à ce sujet.

Comme je l’ai dit, avec l’article paru en août 2025, les chercheurs s’attendaient à voir une réaction à ces étiquettes, une réaction du genre « Je vais peut-être moins boire », et ils ont reconnu avoir été surpris lorsque cela ne s’était pas produit.

La sénatrice Osler : Pardon, vous avez dit août 2025. Quel était le titre de l’article et dans quel journal a-t-il été publié?

M. Malleck : Je peux vous transmettre ces informations.

La sénatrice Osler : Merci.

M. Malleck : Je ne m’en souviens pas. L’article était dans l’édition d’août 2025 d’Addictive Behaviours.

La sénatrice Osler : Pourriez-vous transmettre ces informations à notre greffière?

M. Malleck : Absolument. Pas de problème.

La sénatrice Osler : Merci.

La présidente : Merci beaucoup à nos témoins de s’être joints à nous aujourd’hui et d’avoir fait part de leurs points de vue.

Sénatrices et sénateur, nous arrivons à la fin de notre séance, mais nous allons poursuivre pour une courte période à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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