LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 17 novembre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui à 15 h 58 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2025).
La sénatrice Rosemary Moodie (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue, chers collègues. Je m’appelle Rosemary Moodie. Je suis sénatrice de l’Ontario et présidente de ce comité.
Avant de commencer, j’invite les sénatrices et sénateurs à se présenter.
La sénatrice Osler : Sénatrice Flordeliz (Gigi) Osler, du Manitoba.
La sénatrice McPhedran : Sénatrice Marilou McPhedran, également du Manitoba.
La sénatrice Senior : Sénatrice Paulette Senior, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Boudreau : Victor Boudreau, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Arnold : Dawn Arnold, du New Brunswick.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish en Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Hay : Katherine Hay, Ontario.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, Ontario.
[Français]
La sénatrice Youance : Suze Youance, du Québec.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Cuzner : Bienvenue, madame la ministre. Rodger Cuzner, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Arnot : Bienvenue, madame la ministre. David Arnot, du berceau des champions de la coupe Grey, les Roughriders de la Saskatchewan.
La présidente : Merci, chers collègues.
Nous commençons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2025). Notre premier témoin est l’honorable Lena Metlege Diab, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Merci de vous joindre à nous, madame. Vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire, qui sera suivie des questions des membres du comité. Madame la ministre, vous avez la parole.
[Français]
L’honorable Lena Metlege Diab, c.p., députée, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Merci beaucoup, madame la présidente. Merci de m’avoir invitée cet après-midi.
Je commence par souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Le projet de loi C-3 vise à régulariser le statut des Canadiens perdus restants et à clarifier les conditions d’accès à la citoyenneté par filiation.
[Traduction]
Comme les sénateurs le savent, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a invalidé les principales dispositions limitant l’accès à la citoyenneté par filiation à la première génération, estimant qu’elles violaient les droits à l’égalité et à la mobilité garantis par la Charte. Le projet de loi C-3 garantit qu’un enfant né ou adopté à l’étranger par une Canadienne ou un Canadien ayant un lien manifeste avec ce pays a accès à la citoyenneté, peu importe lequel des parents la transmet ou l’endroit où vit la famille. Ce lien manifeste doit être prouvé par une présence physique au Canada pendant au moins 1 095 jours avant la naissance ou l’adoption de l’enfant.
[Français]
Certains sénateurs ont demandé si ces jours devaient être compris dans une période déterminée, par exemple trois ans au cours des cinq dernières années. Nous avons examiné la question attentivement. L’accès à la citoyenneté par filiation n’est pas une naturalisation. Il ne s’agit pas d’accorder la citoyenneté à une nouvelle personne. Il est question de vérifier qu’une Canadienne ou un Canadien né ou adopté à l’étranger a un lien manifeste avec ce pays avant de pouvoir transmettre sa citoyenneté à son enfant également né ou adopté à l’étranger.
Une fenêtre de cinq ans risque d’exclure les personnes qui ont établi leur lien avec le Canada par étape. Le seul critère qui s’applique de manière appropriée est celui du lien manifeste du parent. Il garantit aux familles un traitement équitable tout en préservant la valeur de la citoyenneté canadienne.
[Traduction]
Il convient de noter que bon nombre des personnes concernées par le projet de loi C-3 sont des enfants. La limite de l’accès à la citoyenneté à la première génération ayant été imposée en 2009, les personnes directement concernées sont celles âgées de 16 ans et moins. Comme l’accès à la citoyenneté par filiation est acquis à la naissance ou accordé après l’adoption, les futurs cas concerneront probablement de très jeunes enfants.
Nous avons eu vent d’inquiétudes selon lesquelles le projet de loi C-3 pourrait ouvrir la voie à un afflux massif de nouveaux citoyens. D’après les données disponibles, nous prévoyons des dizaines de milliers de demandes au fil du temps, et non des centaines de milliers. Entre janvier 2024 et juillet 2025, nous avons reçu un peu plus de 4 200 demandes au titre de la mesure provisoire visant les personnes concernées par la limite de l’accès à la citoyenneté à la première génération. Les modifications précédentes, apportées en 2009 et 2015, ont incité environ 20 000 personnes à demander une preuve de citoyenneté.
Dans tous les cas, nous n’avons pas constaté d’augmentation du nombre de demandes.
L’incidence nette sur le budget devrait être modérée. Certains membres de cette cohorte se trouvent déjà au Canada et contribuent aux recettes publiques, tandis que ceux qui sont à l’étranger ne sont généralement pas admissibles à la plupart des programmes sociaux nationaux. Toutefois, il faudra qu’ils le deviennent même s’ils entrent au Canada en vertu de programmes sociaux provinciaux ou territoriaux.
[Français]
Le projet de loi C-3 vise à garantir qu’aucune famille canadienne ne soit laissée de côté en matière de citoyenneté à cause de règles obsolètes. Il garantit un traitement équitable, préserve l’égalité et rend hommage aux générations de Canadiens qui ont choisi de vivre à l’étranger tout en conservant leurs racines ici, leur pays natal. J’ai hâte de travailler avec vous pour que cet important projet de loi devienne loi.
[Traduction]
C’est là tout ce que j’avais à vous dire, et je me mets à votre disposition pour répondre à vos questions.
Si vous m’accordez un peu plus de temps, je dirai simplement que ce n’est pas la première fois que nous sommes saisis de ce projet de loi. En fait, celui-ci est en gestation depuis des années et il se trouve que j’ai la chance d’être la ministre qui a hérité de la tâche de le faire adopter.
Je suis accompagnée de personnes très compétentes. J’ai bénéficié de nombreuses séances d’information au sujet de cette loi parce que, si elle ne vise pas forcément un grand nombre de personnes, elle revêtira un caractère existentiel pour celles à qui elle s’appliquera. C’est un aspect très important. Il s’agit d’une mesure législative complexe et, à l’examen, on se rend compte qu’elle va au-delà de ce qu’on peut imaginer a priori. Merci beaucoup.
La présidente : Merci, madame la ministre. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Pour ce tour, les sénateurs disposeront de quatre minutes pour leurs questions, réponses comprises.
La sénatrice Osler : Merci pour votre présence, madame la ministre.
En décembre 2024, le comité a effectué une étude préalable du projet de loi C-71, qui visait à modifier la Loi sur la citoyenneté. Voici ce qu’on peut notamment lire dans son rapport :
[...] certains intervenants ont fait part de leurs inquiétudes concernant les conditions de reconnaissance de la citoyenneté des enfants de personnes adoptées nées à l’étranger. Votre comité a entendu des points de vue divergents sur cette question et encourage donc le gouvernement du Canada à s’engager avec les intervenants concernés pour examiner ce problème de manière plus approfondie et envisager des amendements au projet de loi, le cas échéant.
Comme vous le savez, ce projet de loi est mort au Feuilleton en janvier 2025. Le projet de loi C-3 est une mouture différente du projet de loi C-71, mais les mêmes préoccupations persistent au sujet des enfants adoptés et de la citoyenneté par filiation. Les témoignages présentés lors de l’étude préalable du projet de loi C-71 par ce comité ne semblent pas avoir influencé la rédaction du projet de loi C-3. Étant donné que ce texte réserve un traitement différent aux enfants adoptés qu’aux enfants nés au pays, l’Association du Barreau canadien a soulevé cette préoccupation en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. En fait, l’Association du Barreau canadien réclame un amendement au projet de loi C-3 pour que les enfants adoptés obtiennent la citoyenneté canadienne rétroactivement à leur date de naissance en sorte que tous les enfants des citoyens canadiens bénéficient d’un traitement égal aux yeux de la loi.
Madame la ministre, avant que le projet de loi C-3 ne soit déposé, le gouvernement du Canada a-t-il consulté les parties prenantes pour approfondir cette question? Dans l’affirmative, pourquoi le cadre actuel de la citoyenneté par filiation continue‑t‑il de traiter les enfants adoptés d’une manière différente des enfants nés de citoyens canadiens?
Mme Metlege Diab : Je vous remercie de cette question.
Permettez-moi de dire quelques mots avant de céder la parole aux fonctionnaires qui m’accompagnent pour qu’ils puissent vous répondre plus en détail.
Dans son objet et dans sa structure, le projet de loi vise, autant que faire se peut, à traiter de la même façon les enfants adoptés et ceux nés à l’étranger, notamment par l’application des mêmes règles de transmission de la citoyenneté à leurs propres enfants nés ou adoptés à l’étranger.
D’après mes notes d’information, cette approche s’est appuyée sur la jurisprudence. Le projet de loi C-3 ne modifie pas le cadre actuel régissant les adoptions internationales, mais il étend plutôt l’accès à la citoyenneté au-delà de la première génération, quand le lien substantiel d’un parent canadien est démontré.
Si le projet de loi C-3 est appliqué dans sa forme actuelle, les Canadiens nés ou adoptés à l’étranger pourront transmettre la citoyenneté à tout enfant né ou adopté à l’étranger de la même façon.
Si vous me le permettez, je vais demander à...
La sénatrice Osler : Les fonctionnaires peuvent-ils nous dire si des consultations avec les intervenants concernés ont eu lieu entre le projet de loi C-71 et la rédaction du projet de loi C-3?
La présidente : Vous avez 30 secondes pour répondre.
Uyen Hoang, directrice générale, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Merci pour la question, sénatrice.
Comme vous le savez peut-être, le projet de loi C-3 est plus ou moins un miroir du projet de loi C-71. Il n’y a donc aucun changement de fond. Quand nous avons... quand le gouvernement a présenté les projets de loi C-71 et C-3, dans chaque cas, nous avions rencontré des parties prenantes, notamment des personnes adoptées, pour discuter du contenu du projet de loi et recueillir leurs préoccupations.
Le projet de loi C-3 est une reprise parce qu’il donne suite à la décision du tribunal relative à la limite à la première génération. La décision de la cour ne concernait pas directement les personnes adoptées. Nous avons simplement repris le projet de loi précédent et avons élargi l’accès à la citoyenneté aux personnes adoptées afin que celles qui sont adoptées à l’étranger soient traitées de la même façon que les personnes nées à l’étranger.
La sénatrice Hay : L’équité peut être difficile à obtenir dans de nombreux endroits et au Canada. Comment le projet de loi C-3 renforce-t-il l’identité canadienne en tant que nation inclusive qui valorise l’unité familiale et la diversité, et quel message cela envoie-t-il aux gens du Canada et à la communauté internationale?
Mme Metlege Diab : Je vous remercie de cette question. Encore une fois, cela est en partie subjectif. D’autres éléments, je suppose, sont peut-être objectifs, mais tout dépend de la personne concernée. Voici la façon dont je vois les choses. Il y a des gens qui ont des liens avec un pays... nous parlons ici de Canadiens qui n’ont peut-être pas nécessairement vécu ici toute leur vie, et qui ont dû quitter le Canada pour aller travailler ailleurs ou pour d’autres raisons. Cette mesure permettra à ces gens-là de transférer leur nationalité à leurs enfants, pour qu’eux‑mêmes puissent la transmettre ensuite. Je vais vous en donner un exemple. La Nouvelle-Écosse est très rurale et nous comptons beaucoup de chalets d’été où les enfants d’expatriés reviennent chaque été pour rendre visite à leurs grands-parents. C’est le cas dans toutes nos collectivités. Or, certains de ces petits-enfants ne sont pas nés au Canada, mais à toutes fins utiles, on les considère comme étant tout aussi Canadiens que n’importe lequel d’entre nous parce qu’ils ont un attachement envers le pays. Ils sont attachés aux communautés. Ils sont attachés aux gens qui y vivent. Donc, au bout de 1 095 jours — période non consécutive qui prend fin avant la naissance d’un enfant de deuxième génération —, ces enfants sont autorisés à transmettre la citoyenneté à leurs progénitures. Si nous limitions le délai ou fixions un nombre de jours consécutifs, nous écarterions cette possibilité. De nos jours, on dit que tout le monde est citoyen du monde. Les gens sont mobiles. Les gens voyagent. Nous allons en différents endroits. C’est l’attachement au pays qui, à mon avis, est vraiment important, et le Canada a toujours été un pays accueillant. Il n’y a pas que cela, mais cela fait partie de l’identité et de l’identification du domicile.
La sénatrice Hay : Merci.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Madame la ministre, vous avez mentionné que cette tâche vous a été confiée après que de nombreux ministres vous ont précédée, et je tiens à vous remercier, vous et vos collaborateurs, d’être venus nous dire que vous êtes probablement la ministre idéale pour mener ce projet à terme. Je tiens également à préciser, en tout respect, que le Sénat a travaillé très fort pour faciliter l’établissement du calendrier de ce projet de loi. Nous savons tous qu’il s’agit d’une importante mesure attendue depuis longtemps. J’ajouterai, madame la ministre — et j’espère que vous le répercuterez au Cabinet —, qu’en cette enceinte, nous sommes en train d’accélérer les choses. Nous faisons tout notre possible pour examiner correctement ce projet de loi que nous espérons adopter en même temps qu’une mesure semblable étudiée par un autre comité, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Cette autre mesure porte sur un grand nombre des mêmes enjeux — le rétablissement du statut — car la bataille dure depuis des décennies contre les femmes autochtones qui ont plaidé et se sont battues en justice sans relâche. Voilà que nous sommes saisis par le Cabinet d’un petit projet de loi tandis que la question est si importante. Puis-je simplement souligner l’ironie du fait que nous avons ici le projet de loi C-3 — qui est gros comme ça — et que nous aurons ensuite le projet de loi S-2 qui ne sera guère plus gros.
J’aimerais savoir ce qui est prévu pour aviser les Canadiens vivant à l’étranger, à supposer que le projet de loi soit adopté comme nous l’espérons. Quels mécanismes seront mis en place et activés pour que les Canadiens un peu partout dans le monde soient mis au courant des changements apportés à la loi?
Mme Metlege Diab : C’est une excellente question. Vendredi matin, on m’a donné une petite séance d’information sur ce qui s’en vient. Une fois que ce texte aura été adopté ici, il devrait être accompagné d’un plan de mise en œuvre. Encore une fois, rien n’est coulé dans le béton. Il faudra la sanction royale, après quoi le Conseil du Trésor devra l’approuver par décret pour que la loi entre en vigueur. Nous ciblons la deuxième semaine de décembre pour le faire lors d’une réunion du Conseil du Trésor. Ensuite, il faudra mettre à jour les documents et les formulaires et faire un travail de formation et de liaison auprès d’Affaires mondiales Canada, de l’Agence des services frontaliers du Canada, d’IRCC et des fonctionnaires.
Le ministère assurera une communication proactive afin d’informer toutes les personnes qui pourraient être touchées par un éventuel changement de statut et de guider ces personnes vers les ressources en ligne d’IRCC pour obtenir plus de renseignements à ce sujet. En toute franchise, comme je l’ai dit au début, je sais qu’on craint que cela n’engendre des centaines de milliers de demandes. Nos données ne témoignent pas d’un problème à cet égard ces dernières années. Nous savons aussi que tout le monde ne va pas se hâter de présenter une demande, mais pour ceux qui le souhaitent, l’information sera là. Je sais que le ministère travaille sur ce dossier depuis longtemps, comme vous l’avez dit, et je tiens à remercier les sénateurs, le comité sénatorial et tous ceux qui travaillent sur ce dossier depuis plusieurs années. Merci pour tout votre travail. Je vais reprendre l’autre question.
La sénatrice McPhedran : Merci.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Comme vous le savez, madame la ministre, le projet de loi C-3 avait un prédécesseur, le projet de loi C-71, qui n’a pas pu être adopté en raison de la prorogation. Nous savons maintenant que le délai fixé par les tribunaux pour l’adoption de cette mesure législative a été légèrement prolongé jusqu’en janvier, au lieu de cette semaine. Il reste clair que nous devons adopter rapidement ce projet de loi pour corriger certaines injustices et accorder ces droits aux « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ».
Pouvez-vous nous expliquer à quel point il est important que ce projet de loi soit adopté rapidement, et quel serait le scénario si notre comité devait modifier cette mesure législative et quelles en seraient les répercussions?
Mme Metlege Diab : Pourriez-vous me répéter la question?
La sénatrice Coyle : Pouvez-vous nous expliquer à quel point il est important que ce projet de loi soit adopté rapidement? Dans le délai que nous avons maintenant, qui est légèrement prolongé, et quel serait, selon vous, l’impact d’un amendement sur ce délai?
Mme Metlege Diab : Le délai a été prolongé par les tribunaux jusqu’en janvier. Il expirera avant notre retour au Parlement, dont l’ajournement débutera la deuxième semaine de décembre. Nous savons que le Parlement — la Chambre des communes — doit adopter ce projet de loi d’ici la deuxième semaine de décembre, car nous ne serons pas physiquement de retour pour le faire. Je pense que si le projet de loi n’est pas adopté, cela aura probablement l’effet que redoutent beaucoup de parlementaires. C’est-à-dire que la citoyenneté par filiation sera illimitée, et c’est exactement ce dont beaucoup de gens ne veulent pas. Nous avons donc mis en place l’exigence d’un lien substantiel et d’autres dispositions. L’autre solution, qui est de laisser la porte ouverte, n’est pas acceptable. Nous savons qu’il faut faire quelque chose. Comme je l’ai dit, selon la séance d’information qui m’a été donnée, après que vous l’aurez adopté, le projet de loi devra encore recevoir la sanction royale et faire l’objet d’un décret du Conseil du Trésor, etc.
Si vous deviez apporter des amendements ici, au Sénat, ce qui est votre prérogative, selon ma compréhension du processus, qui est limitée, je l’avoue — et c’est pourquoi je suis accompagnée de collaborateurs —, le projet de loi serait renvoyé à la Chambre des communes pour y être débattu. C’est ce que je comprends, parce que cela rouvrirait le débat, alors que nous avons maintenant terminé d’en débattre à la Chambre, et c’est pourquoi nous sommes ici. C’est ainsi que je comprends le processus.
La sénatrice Coyle : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci d’être venus aujourd’hui, et merci de m’avoir rencontré la semaine dernière, ce qui a été utile. J’ai apprécié votre ouverture à discuter des enjeux.
Je vous félicite parce que je vois que ce projet de loi règle les problèmes soulevés dans la décision Bjorkquist pour deux groupes, soit les enfants nés à l’étranger de parents canadiens vivant à l’étranger, et les enfants adoptés à l’étranger par des parents canadiens vivant à l’étranger. Mais il y a un troisième groupe, le groupe international, celui des enfants nés à l’étranger qui sont adoptés par des parents canadiens vivant au Canada et ramenés au Canada pour y vivre conformément aux règles strictes de l’adoption. C’est ce que j’appellerai le groupe 3, car il n’en a pas été fait mention par le passé. C’est là où je vois un défaut.
La seule façon de régler le problème, c’est d’amender cette mesure législative. Mais je ne vais pas demander un amendement à la loi. Je vais vous demander, à vous et à vos collègues du ministère, de rencontrer certains groupes, en particulier Kat Lanteigne, Don Chapman et d’autres personnes raisonnables qui travaillent sur ces questions depuis plus d’une décennie avec beaucoup de frustration. La raison pour laquelle je dis cela est la suivante : dans ce groupe 3, l’exigence d’un lien substantiel est illégale. Elle ne peut pas être appliquée. Vous ne pouvez pas comparer le groupe 3 au groupe 2 en droit. Pourquoi? Parce que cela contrevient au paragraphe 26(2) de la Convention de La Haye et à la Convention relative aux droits de l’enfant. C’est une violation de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, une discrimination fondée sur l’origine nationale et probablement une violation de l’article 7, sur la sécurité de la personne.
Je dis cela parce que les enfants du groupe 3, c’est-à-dire les enfants adoptés à l’étranger, doivent être traités de la même façon que ceux qui sont adoptés au pays. C’est le groupe de comparaison. Un enfant né en Zambie et adopté par des parents canadiens résidant à Toronto, qui grandit à Toronto, doit être traité de la même façon que tout autre enfant né à Toronto et adopté par des parents canadiens. C’est le groupe de comparaison. On ne peut donc pas appliquer l’exigence d’un lien substantiel au groupe 3. C’est là le défaut fondamental.
Vous et vos collègues ne serez peut-être pas d’accord avec moi sur certains points, mais je sais que des avocats très bien placés — je crois que l’Association du Barreau canadien partage la même opinion très tranchée —, ainsi que M. Choudhry et Mme Silcoff de deux cabinets différents à Toronto, sont d’accord avec ce que je viens de dire. C’est là la faille. En fait, cela forcera Katherine Lanteigne et d’autres, qui représentent 4 000 enfants canadiens dépossédés de leur citoyenneté, à intenter des poursuites. C’est inacceptable. J’aimerais que vous vous engagiez à travailler avec ces groupes de parties prenantes pour trouver une solution raisonnable, et la solution raisonnable serait probablement de modifier la loi à une date ultérieure, parce que je comprends le processus et ce que vous m’avez dit. Je suis convaincu que vous avez raison à ce sujet. Ce projet de loi mourra s’il est renvoyé à la Chambre des communes.
Je vous demande de vous engager à travailler avec les groupes d’intervenants qui ont beaucoup à dire, qui sont très bien informés et qui vivent depuis 10 ans dans la frustration. Ne leur imposez pas le coût élevé des litiges — quelques millions de dollars — et cinq ou dix ans d’attente avant d’arriver devant la Cour suprême du Canada. Il devrait y avoir une solution juridique dans la loi.
La présidente : Votre temps est écoulé.
Le sénateur Arnot : La réponse est oui.
La présidente : La ministre n’aura pas l’occasion de répondre, et nous devons donc passer au suivant.
La sénatrice Senior : Je remercie la ministre et son personnel d’être ici.
J’ai deux questions. Je vais poser les deux. Pourriez-vous nous dire si vous avez mené l’analyse comparative entre les sexes plus sur le projet de loi C-3, et quelles en ont été les conclusions? C’est ma première question. Ma prochaine question est la suivante : dans un mémoire concernant le projet de loi S-245, le Conseil canadien des droits des citoyens a prévenu qu’en ce qui concerne l’exigence d’un lien substantiel fondé sur la présence d’une personne dans un pays, il peut être difficile de trouver et de vérifier des preuves pertinentes, surtout après une longue période. Ma question est la suivante : de quelle preuve les demandeurs auront-ils besoin pour prouver les 1 095 jours de présence effective cumulative au Canada?
Mme Metlege Diab : Permettez-moi de répondre d’abord à votre deuxième question. Le ministère a déjà des mécanismes pour évaluer la présence effective. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, le fait déjà. Par exemple, c’est exactement ce qu’il fait lorsque les gens demandent la citoyenneté. Il y a déjà un suivi de la présence effective. Nous avons également des données sur les entrées et les sorties, auxquelles le ministère peut avoir accès en s’adressant à l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, au besoin. Il est possible que le ministère le fasse dans certaines situations.
C’est toujours le demandeur qui doit en fournir la preuve, mais il y a des mécanismes permettant au ministère et aux agents qui travaillent dans ce domaine de faire un suivi.
La sénatrice Senior : Est-ce la seule preuve requise?
Mme Metlege Diab : La seule preuve de présence effective?
La sénatrice Senior : Pour présenter une demande. Oui.
Mme Metlege Diab : Les 1 095 jours — oui. Ce lien substantiel mesuré par 1 095 jours de présence du parent avant la naissance ou l’adoption de l’enfant.
Mme Hoang : En plus du lien substantiel, il y a d’autres données qui doivent être recueillies à des fins de vérification. Par exemple, il est essentiel de s’assurer que vous avez un parent canadien qui peut vous transmettre la citoyenneté. Il y a un processus de demande, qui est déjà très semblable à celui que nous avons pour la preuve de citoyenneté, et qui sera utilisé pour mettre en œuvre le projet de loi C-3.
Mme Metlege Diab : Pouvez-vous répondre à la question sur l’analyse comparative entre les sexes? En tant que femme dans ce pays, je suis heureuse d’avoir les mêmes droits à cet égard qu’un homme. Dans certains pays, nous n’avons pas ce droit.
Mme Hoang : Lorsque nous élaborons une politique qui mène à une loi, nous effectuons une ACS Plus. Je ne peux pas vous dire exactement tous les résultats de cette analyse, mais dans l’ensemble, je peux dire qu’elle n’a révélé aucun problème. Il s’agissait plutôt de régler et de corriger certaines des questions qui ont été soulevées jusqu’à maintenant.
Le ministère de la Justice évalue également les risques liés à la Charte. Je pourrais peut-être céder la parole à mon collègue, Alain Laurencelle, qui vous parlera de l’énoncé concernant la Charte.
Alain Laurencelle, gestionnaire et avocat principal, Services juridiques, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Dans le cas de tout projet de loi du gouvernement, le ministère de la Justice effectue un examen du point de vue de la Charte. Il l’a fait pour ce projet de loi. L’énoncé concernant la Charte a été présenté à la Chambre des communes et il concluait que le projet de loi ne posait aucun problème en ce qui concerne la Charte. Habituellement, dans le contexte du droit de la citoyenneté, nous examinons l’article 15 entre autres, mais nous n’avons relevé aucun problème.
La présidente : Je vous demanderais de bien vouloir nous envoyer par écrit cette ACS Plus. Merci.
Le sénateur Cuzner : Merci, madame la ministre, d’être ici aujourd’hui. Bien sûr, ma connaissance de ce projet de loi n’est pas aussi approfondie que celle de mes éminents collègues qui l’ont examiné en détail. Je n’en discuterai certainement pas point par point avec le sénateur Arnot. Ma question ne sera pas aussi détaillée. Mais à la lecture des notes, les histoires individuelles sont très convaincantes. Chacune est très différente, mais l’impact est considérable pour les personnes touchées.
Certaines préoccupations ont été soulevées, et elles l’ont été récemment au Sénat, en ce qui concerne le contrôle de sécurité et le fait de ne pas assujettir les demandeurs à quelque forme que ce soit d’enquête de sécurité. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, madame la ministre? Pourquoi cette approche a-t-elle été adoptée?
Mme Metlege Diab : Je vous en remercie. Cette approche a été adoptée pour deux raisons. Premièrement, le projet de loi vise à donner à ces personnes le droit d’être des Canadiens parce qu’elles ont le droit d’être des Canadiens. Si vous êtes un Canadien, vous n’êtes pas soumis à un test linguistique ou à un contrôle de sécurité. C’est la première raison. Il n’est pas nécessaire de réussir un examen de langue si vous êtes Canadien.
Le sénateur Cuzner : Un Canadien est un Canadien.
Mme Metlege Diab : C’est tout à fait exact. Je me souviens d’avoir entendu un excellent premier ministre dire cela lorsque j’étais beaucoup plus jeune. Un Canadien est un Canadien. C’est tout à fait exact.
C’est aussi pour remédier à la majorité des cas de personnes nées après 2009 qui, par définition, sont encore mineures. Nous espérons que les enfants ne sont pas des criminels; certains semblent penser qu’ils pourraient l’être.
Encore une fois, les citoyens nés à l’étranger après l’adoption du projet de loi seront des nouveau-nés ou de jeunes enfants lorsque leurs parents feront la demande, alors cela ne devrait pas avoir d’importance. Les bébés parlent toutes les langues. Vous pouvez probablement les comprendre en tant que parent, peu importe la langue de leur babillage. Ils ne devraient pas poser de risque pour la sécurité. Cela résume très clairement la situation.
La sénatrice Burey : Madame la ministre, je vous remercie infiniment pour tout le travail que votre équipe a accompli sur cet important projet de loi et aussi avec ce comité.
Dans votre discours à l’étape de la deuxième lecture, vous avez dit, madame la ministre :
Nous reconnaissons que la citoyenneté ne doit pas être imposée aux gens qui ne la désirent pas [...]
Vous avez ensuite ajouté :
[...] Dans de nombreux pays, la double nationalité empêche en effet d’accéder à certains emplois, notamment au sein de la fonction publique, de l’armée ou des services de sécurité nationale. Parfois, le fait de posséder la nationalité d’un autre pays peut par ailleurs poser des obstacles sur les plans juridique, professionnel ou autres [...] C’est pourquoi ce projet de loi permettra d’accéder à la même procédure simplifiée de répudiation [...]
Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste cette procédure simplifiée de répudiation? Quels étaient les défis de la procédure de 2009 qui a été mise en place? Parlons-en.
Mme Metlege Diab : C’est une excellente question, et je crois que la plupart des gens passent à côté. L’intention est évidemment d’accorder la citoyenneté aux gens, mais en réalité, ce n’est pas tout le monde qui souhaite devenir citoyen, même du Canada, n’est-ce pas? En réalité, si les gens l’acquièrent d’une façon ou d’une autre, la double citoyenneté peut aussi leur faire du tort. Donc, ce projet de loi prévoit une façon simple de la répudier. Il y a une façon simple de le faire, et c’est un point important.
La sénatrice Burey : Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette procédure?
Mme Hoang : Les personnes qui deviennent citoyens canadiens de plein droit avant la date d’entrée en vigueur auront accès à un processus simplifié de répudiation à la condition de ne pas avoir déjà obtenu la citoyenneté parce que cela exigeait une démarche active de leur part pour la demander. C’est un moyen plus facile, si vous voulez, que le processus habituel de répudiation. Il y a moins de renseignements à fournir, et c’est aussi gratuit. C’est une différence importante par rapport au processus normal de répudiation, qui est payant.
La sénatrice Burey : Pour revenir à la question de la sénatrice McPhedran, comment comptez-vous faire savoir aux gens qu’ils sont maintenant citoyens et qu’ils peuvent y renoncer, s’ils le veulent?
Mme Hoang : Comme la ministre l’a mentionné plus tôt, une communication proactive sera diffusée lorsque le projet de loi entrera en vigueur afin que nous puissions communiquer avec les personnes qui pourraient être touchées par le projet de loi C-3. Une partie de cette communication visera à rejoindre les gens à l’intérieur du pays. Lorsque vous rencontrerez les intervenants plus tard cet après-midi et ce soir, ils confirmeront que nous les avons rencontrés au cours des dernières années lorsque les différents projets de loi ont été présentés au Parlement. Nous avons discuté avec eux du contenu de ce projet de loi et leur avons expliqué comment il sera mis en œuvre. Nous ferons également appel à nos fonctionnaires ministériels, tant au pays qu’à l’étranger, en particulier à Affaires mondiales Canada, pour faire savoir aux personnes qui bénéficieront du projet de loi C-3 ce qu’elles doivent faire pour obtenir une preuve de citoyenneté, et dans les cas où elles ne veulent pas de la citoyenneté, comment elles peuvent demander une répudiation simplifiée.
La sénatrice Burey : Merci.
La sénatrice Muggli : Je vais vous donner l’occasion de répondre à la question du sénateur Arnot. J’ai, moi aussi, des préoccupations semblables. Je suis d’accord avec l’Association du Barreau canadien sur ce point. J’ai entendu Mme Hoang dire tout à l’heure que les personnes adoptées seront traitées de la façon la plus similaire possible. Ce n’est pas « de façon identique ». Je ne sais pas ce que signifie « la plus similaire possible ». Nous avons besoin de précisions, mais j’aimerais entendre la réponse à la question du sénateur Arnot. Allez-vous rencontrer les intervenants et essayer de trouver une solution? Et voyez-vous des solutions politiques à ce problème qui éviteraient d’avoir à légiférer?
Mme Metlege Diab : Comme nous l’avons déjà dit, le projet de loi C-3 ne modifie pas le cadre existant. Il vise à traiter de la même façon les enfants de parents canadiens nés à l’étranger ou adoptés à l’étranger. C’est le but de cette...
La sénatrice Muggli : Est-ce de façon similaire ou de la même façon?
Mme Metlege Diab : Je crois que c’est de la même façon.
Mme Hoang : De façon similaire.
Mme Metlege Diab : De la même façon? Pouvez-vous répondre?
La sénatrice Muggli : C’est ce dont parlait le sénateur Arnot. Il y a un groupe no 3.
Mme Hoang : Si vous me permettez de prendre un peu de recul, je vais expliquer le processus pour les adoptions. Pour obtenir la citoyenneté par le biais du processus d’adoption internationale, il faut franchir deux étapes clés. La première étape est le processus d’adoption. La deuxième étape est le processus de demande de citoyenneté.
La sénatrice Muggli : Je suis désolée de vous interrompre, mais j’aimerais que la ministre nous dise si elle est prête à rencontrer ces intervenants au sujet du troisième groupe dont parlait le sénateur Arnot. Y a-t-il une solution politique plutôt que législative possible pour ce groupe?
Mme Metlege Diab : Je ne peux pas vous dire s’il y a une solution politique. Je ne connais pas la réponse à cette question.
La sénatrice Muggli : Seriez-vous prête à examiner cette question? De plus, seriez-vous prête à rencontrer les intervenants?
Mme Metlege Diab : Je ne vois pas de problème. Pourquoi ne le ferions-nous pas? Oui, bien sûr.
La sénatrice Muggli : Merci.
[Français]
Le sénateur Boudreau : Merci à la ministre.
Je pense que la sénatrice Muggli avait exactement la même question que moi. J’aimerais comprendre les nuances entre les deux situations. Selon moi, les enfants adoptés devraient avoir exactement les mêmes droits que les enfants biologiques. Si ce n’est pas le cas, pourquoi?
J’aimerais aussi mieux comprendre si cela a à faire avec la décision de la cour. La décision de la cour ne parlait pas d’enfants adoptés. Est-ce pour cette raison qu’aujourd’hui, votre solution ne traite pas entièrement la solution des enfants adoptés?
Ce sont mes deux questions. Pourriez-vous y répondre, s’il vous plaît? Merci.
Mme Metlege Diab : Il est vrai que la cour n’a pas considéré l’adoption. C’est pour cette raison que ce n’est pas inclus dans le projet de loi.
Lorsque je suis devenue ministre, dès le deuxième jour, on m’a dit : « Voici le projet de loi, et vous devrez le déposer. » C’est vrai. Honnêtement, vous pouvez même regarder les dates. C’est exactement le même projet de loi qui a été déposé avant la prorogation du Parlement.
Le sénateur Boudreau : J’aimerais connaître les nuances et savoir pourquoi il y a deux catégories d’enfants adoptés.
[Traduction]
Mme Hoang : Pour répondre à votre question dans un ordre différent, la décision de la cour ne concernait pas les enfants adoptés, mais les enfants nés à l’étranger qui sont assujettis à la limite de la première génération.
Étant donné que l’intention et la structure de la Loi sur la citoyenneté visent à traiter de la façon la plus similaire possible les enfants nés et adoptés à l’étranger, et les enfants nés à l’étranger, nous avons élargi l’accès pour les enfants adoptés à l’étranger au-delà de la première génération, à la condition que le parent puisse démontrer un lien substantiel avec le Canada. Cela n’a pas modifié le fonctionnement du cadre d’adoption, mais a simplement élargi l’accès.
La façon dont cela fonctionne est fondée sur la jurisprudence, et je peux demander à mon collègue de vous expliquer pourquoi il en est ainsi. C’est fondé sur la jurisprudence.
Il est important de comprendre les deux processus. Le premier est le processus d’adoption et le deuxième, le processus de citoyenneté.
Dans le cadre du processus d’adoption, un parent canadien peut vivre au Canada ou à l’étranger lorsqu’il adopte un enfant. Il n’a pas à vivre au Canada au moment de l’adoption d’un enfant. Les adoptions finalisées au Canada relèvent de la compétence des gouvernements provinciaux et territoriaux. Ce sont les provinces et les territoires qui établissent les lois et les exigences régissant l’adoption; ce n’est pas le gouvernement fédéral qui en est responsable.
Pour que l’enfant ait accès à la citoyenneté, le parent n’a pas besoin de vivre au Canada. Lorsque je dis « accéder à la citoyenneté », je parle précisément de l’attribution directe de la citoyenneté, ce que nous appelons souvent l’article 5.1. Le parent n’a pas à vivre au Canada. Le parent peut résider à l’étranger.
Une fois l’adoption complétée, la Loi sur la citoyenneté n’exige pas que l’enfant revienne vivre au Canada avec le parent ou que l’enfant reste à l’étranger; c’est le choix de la famille.
En réalité, un parent canadien peut adopter un enfant pendant qu’il vit à l’étranger. Il peut également compléter le processus d’adoption pendant qu’il se trouve à l’étranger. La Loi sur la citoyenneté ne l’oblige pas à revenir au Canada pour conserver son statut de citoyen.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de me permettre de poser une question. Je veux continuer dans cette lignée, parce que je trouve cela assez difficile à comprendre.
Je dois vous dire que je suis moi-même la mère d’une enfant adoptée à l’étranger. J’essaie de comprendre. Vous donnez des droits différents à deux types d’enfants adoptés. Ceux qui sont adoptés au Canada, qui iraient à l’étranger et passeraient à travers un processus seraient exemptés de prouver le lien substantiel, alors que ceux qui sont adoptés à l’étranger — ce qui est mon propre cheminement — devraient passer à travers ce test du lien substantiel. La discrimination est perçue — pas par moi, qui ne suis pas une spécialiste — dans le mémoire de Choudhry et Silcoff qui a été remis au comité.
Pourquoi exiger que le lien substantiel soit prouvé par l’enfant adopté à l’étranger, alors qu’on sait que la plupart des parents adoptants vivent au Canada, et que cela fait d’ailleurs partie des conditions pour adopter?
[Traduction]
Mme Hoang : Si j’ai bien compris votre question, sénatrice, vous demandez pourquoi, lorsque l’adoption a lieu au Canada, l’enfant est traité comme s’il était né au Canada alors qu’un enfant né à l’étranger et adopté est traité comme s’il était né à l’étranger?
Les enfants qui sont nés au Canada obtiennent leur citoyenneté parce qu’ils sont nés au Canada, et non en vertu de droits liés à la citoyenneté ou de la Loi sur la citoyenneté.
Si quelqu’un a des enfants au Canada, qu’il les ait adoptés ou non, ces enfants sont citoyens canadiens.
En ce qui concerne les adoptions internationales, il s’agit d’enfants nés à l’extérieur du Canada. La Loi sur la citoyenneté vise à traiter tous les enfants nés à l’extérieur du Canada de façon aussi similaire que possible, parce qu’il y a aussi des cas où des parents élargissent leur famille par l’entremise d’une mère porteuse ou de mécanismes de procréation assistée. Ces enfants sont également traités comme s’ils étaient nés à l’étranger.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ne créez-vous pas une nouvelle discrimination entre les enfants adoptés à l’étranger et les enfants adoptés au Canada?
Mme Hoang : Je vais demander à mon collègue, Me Laurencelle, de vous expliquer la jurisprudence qui explique pourquoi le cadre d’adoption est structuré de cette façon.
[Français]
Me Laurencelle : Pour clarifier, quelqu’un qui est né en sol canadien, à moins d’une exception très pointue, obtient sa citoyenneté de par sa naissance en sol canadien. L’adoption n’est donc pas pertinente dans ce contexte.
On croit comprendre que ces tiers groupes font une comparaison entre les enfants qui sont adoptés à l’étranger et qui reviennent au pays, et les enfants qui sont adoptés à l’étranger, mais ne reviennent pas au pays. Ce que je peux toutefois dire, c’est qu’il y a de la jurisprudence pertinente. On peut fournir au comité les références qui datent de 1999, ainsi qu’une cause subséquente, en 2007 ou en 2008, qui traitait de cette question des enfants adoptés et du point de vue de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces deux lois ont tendance à se polliniser, pour ainsi dire.
Ce que ces deux décisions ont fourni comme cadre jurisprudentiel est que l’on compare, aux fins de la citoyenneté par filiation et des règles s’y appliquant, les enfants adoptés aux enfants nés à l’étranger. De cela découle tout le cadre de politique de la loi actuelle, qui existe depuis 2007 et à laquelle des dispositions d’attribution de citoyenneté pour les enfants adoptés ont été ajoutées, et des règles s’appliquent à la citoyenneté par filiation. C’est de là que provient le principe selon lequel on tente de traiter les enfants adoptés à l’étranger de la même façon que les enfants qui sont nés à l’étranger.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends votre logique.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie, chers collègues, de m’accorder la parole alors que je ne suis pas membre du comité. Ce projet de loi est d’un grand intérêt. Je suis heureux d’être ici et de pouvoir poser une question.
Tout d’abord, j’aimerais soulever une question connexe. J’ai beaucoup aimé que vous souleviez la question des adoptions dans ce projet de loi. Je veux parler de la question des citoyens canadiens qui sont en poste à l’étranger pour le compte du Canada, que ce soit en tant que diplomates ou membres des FAC, qui adoptent un enfant ou se marient à l’étranger et dont les demandes de résidence permanente, ou RP, pour leur conjoint prennent beaucoup de temps. Pourriez-vous répondre à cette question?
Les critiques formulées à l’égard de ce projet de loi laissent entendre qu’il y aurait des Canadiens de convenance — terme qui est utilisé — qui profiteraient du projet de loi. Je suppose que cela fait référence à des gens que la citoyenneté canadienne n’intéresse pas vraiment, mais qui s’y intéresseraient soudainement pour une raison ou une autre. Que répondez-vous aux gens qui parlent de « Canadiens de convenance »?
Mme Metlege Diab : Merci, sénateur. Permettez-moi de répondre d’abord à votre première question, même si vous ne l’avez pas directement posée, car j’ai eu une séance d’information au sujet des fonctionnaires de la Couronne, des personnes qui servent dans les forces armées, les missions diplomatiques ou autres. À titre d’information pour les gens qui nous écoutent, il y a une exemption selon laquelle si leurs enfants sont nés à l’étranger pendant qu’ils étaient en service à l’étranger, ce sont des Canadiens, simplement pour préciser ce qu’il est important de savoir. Ils ne sont pas tenus de démontrer un lien substantiel parce qu’ils sont au service de leur pays.
Pour ce qui est de votre deuxième point, chacun à son avis là‑dessus, et nous respectons toutes les opinions de ce côté-ci de la Chambre. De façon générale, je vous dirais que si des personnes font autant d’efforts pour que leurs enfants puissent demander à devenir Canadiens, c’est une bonne chose. Le Canada a toujours été un pays où nous accueillons la diversité et les gens. Ces enfants deviendront nos médecins, nos infirmières et nos ingénieurs quand ils seront tous devenus grands. Il est certain que si les gens ont peur qu’ils viennent prendre leur logement, leurs soins de santé, etc., s’ils ont de la famille ou des grands‑parents ici, il y a de bonnes chances qu’ils leur rendent visite, qu’ils aient des liens solides avec eux, qu’ils deviennent des citoyens du monde.
De nos jours, nous parlons des gens qui veulent venir au Canada pour étudier, mais qui n’ont pas nécessairement besoin de rester ici. Ils peuvent aller n’importe où dans le monde et amener le Canada là où ils se trouvent. Si les gens veulent avoir un lien avec le Canada parce qu’ils sont fiers d’être Canadiens, c’est une bonne chose et il n’y a rien de mal à cela.
Nous avons construit un système conforme à la Charte, comme vous l’avez entendu dire. Le ministère de la Justice l’a examiné. Les tribunaux ont également dit que le système existant ne fonctionne pas. Il faut y apporter des changements. Nous exigeons un lien substantiel et il y a des façons de respecter cette exigence. Si les gens viennent au Canada et veulent présenter une demande pour d’autres choses, comme tout le monde ici, ils ont des étapes à suivre. Les provinces et les territoires ont leurs propres lois et exigences.
La présidente : Merci.
[Français]
La sénatrice Youance : J’aimerais que vous reveniez sur deux points que je trouve très positifs dans ce projet de loi. Le premier, c’est que l’injonction des tribunaux touche seulement la filiation, alors que ce projet de loi permet de ramener des Canadiens qui étaient dépossédés de leur citoyenneté, particulièrement ceux qui sont adoptés à l’étranger. Finalement, dans le fil des changements et des amendements, il y a eu deux catégories d’enfants adoptés à l’étranger : ceux qui ont pu avoir la citoyenneté par naturalisation, et ceux qui l’ont eue par filiation. Ce dernier groupe ne pouvait pas transmettre la citoyenneté canadienne à leurs enfants.
Je trouve que ces deux éléments qu’apporte le projet de loi sont très importants. J’aurais aimé que vous les mettiez un peu plus de l’avant.
Mme Metlege Diab : J’ai compris vos questions. Comme je l’ai dit au début, c’est compliqué. C’est une loi simple, mais en même temps, c’est très compliqué. Pour cette raison, j’ai plusieurs personnes ici avec moi, car parfois, je trouve tout compliqué.
[Traduction]
Permettez-moi de répondre à cette question, et c’est un point important. Prenons une famille qui vit au Canada, qui est canadienne et qui a vécu ici toute sa vie. Elle a deux enfants qui sont nés au Canada. Tout d’un coup, cette famille part à l’étranger pour une raison quelconque. Elle a deux autres enfants qui naissent à l’étranger. Ce sont des enfants biologiques. C’est un cas assez fréquent. Les enfants à qui les parents ont donné naissance à l’étranger ne sont pas nés au Canada. Ils sont Canadiens qu’ils reviennent ou ne reviennent pas, très franchement, parce que leurs parents ont vécu ici, et la plupart du temps les enfants qui ne sont pas nés à l’étranger reviendront, parce que les parents reviennent ou peu importe, et vivront ici jusqu’à la fin de leurs jours. Comme ils ne sont pas nés au Canada, ils n’obtiendront pas de certificat disant qu’ils sont nés au Canada.
Ce projet de loi traite les enfants qui sont adoptés à l’étranger de la même façon que ceux qui sont aussi nés à l’étranger. Je sais que c’est compliqué. C’est un peu comme si je remettais la toge d’avocat que je portais il y a une quinzaine d’années, et j’ai de la difficulté, pour être honnête, parce que c’est très complexe et très technique, mais nous sommes prêts à apprendre et à écouter davantage. Ce que nous essayons de faire ici, c’est de composer avec ce qu’on nous a donné et d’essayer de le faire de la façon la plus juste et la plus équitable possible afin de vraiment traiter de la même manière les personnes qui se trouvent dans la même situation.
Je comprends qu’il y a des familles qui ont des enfants autres que des enfants adoptés ou naturels, et qu’ils ne seraient pas visés. Ils seraient tous traités de la même façon parce que cela dépend du lien substantiel des parents.
Je ne sais pas comment vous répondre autrement. Y avait-il autre chose?
[Français]
Ce n’est pas facile, mais j’apprécie beaucoup toutes les questions.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, cela nous amène à la fin du premier groupe de témoins. J’aimerais remercier l’honorable Lena Metlege Diab de son témoignage d’aujourd’hui, de s’être jointe à nous, d’avoir été très présente et d’avoir répondu franchement.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous accueillons aujourd’hui, en personne, le deuxième groupe de témoins — et je remercie d’être restés avec nous ceux qui étaient ici auparavant —, soit Catherine Scott, sous-ministre adjointe, Établissement et citoyens, Uyen Hoang, directrice générale, Citoyenneté, et Me Alain Laurencelle, gestionnaire et avocat-conseil, Services juridiques, tous les trois d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Du Bureau du directeur parlementaire du budget, nous accueillons Jason Jacques, directeur parlementaire du budget par intérim, et Louis Perrault, directeur des politiques. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.
Monsieur Jacques, vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, qui sera suivie des questions des membres du comité. La parole est à vous.
[Français]
Jason Jacques, directeur parlementaire du budget par intérim, Bureau du directeur parlementaire du budget : Honorables sénateurs, je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui.
[Traduction]
Nous avons publié notre estimation indépendante des coûts du projet de loi C-3, anciennement connu sous le nom de projet de loi C-71, au cours de la 44e législature, en décembre 2024. D’après notre analyse, nous estimons que le coût net total des modifications proposées à la Loi sur la citoyenneté sera d’environ 21 millions de dollars sur 5 ans. Le nombre total de personnes touchées est estimé à environ 115 000 au cours de la même période. Étant donné que cette estimation a été préparée il y a près d’un an, en octobre 2025 — il y a environ un mois —, nous avons envoyé une demande de renseignements à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour obtenir les données les plus récentes disponibles. Grâce aux nouvelles données fournies par le ministère, nous avons été en mesure de valider notre modèle et de veiller à ce que les hypothèses qui sous-tendent notre estimation demeurent solides.
[Français]
Nous répondrons avec plaisir à toutes vos questions sur notre analyse du projet de loi C-3. Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur Jacques. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Pour ce groupe de témoins, nous aurons quatre minutes pour la question, y compris la réponse. Veuillez indiquer si votre question s’adresse à un témoin en particulier ou à tous les témoins.
La sénatrice Osler : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à IRCC et concerne la façon dont le projet de loi C-3 sera mis en œuvre au sein de votre ministère.
Comme la fonction publique fédérale devra réaliser des économies de 15 % au cours des 3 prochaines années, vous devrez gérer la demande croissante avec moins de ressources. Dans le dernier groupe de témoins, nous avons entendu la ministre dire qu’elle s’attend à recevoir des dizaines de milliers de demandes. Vous venez d’entendre le DPB par intérim parler d’un chiffre estimatif de 115 000 personnes. Les médias ont estimé ce nombre à plus d’un million de personnes.
En même temps, les délais de traitement sont déjà prolongés de plusieurs mois, et l’attribution de la citoyenneté prend actuellement environ 13 mois.
Compte tenu de ces contraintes en matière de ressources et des volumes croissants, comment votre ministère vérifiera-t-il les demandes, notamment les 1 095 jours cumulatifs de présence effective au Canada, surtout pour les personnes dont le séjour au Canada remonte peut-être à plusieurs décennies?
Catherine Scott, sous-ministre adjointe, Établissement et citoyens, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Je vous remercie de la question.
Il est difficile d’estimer le nombre exact de personnes touchées par cette mesure législative, surtout parce que le gouvernement n’a pas fait le suivi des naissances à l’étranger depuis 1977. Mais nous savons que lorsque le gouvernement a remédié au problème des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » en 2009 et 2015, il n’y a pas eu d’augmentation subite du nombre de demandes. Ce ne sont pas toutes les personnes touchées qui vont demander une preuve de citoyenneté.
Si nous regardons le nombre de « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté », depuis 2009, un peu plus de 20 000 personnes ont demandé une preuve de citoyenneté. Il n’y a pas eu de précipitation ou d’afflux, et sur une période d’environ 16 ans, il y a eu aux alentours de 20 000 requérants. Au summum de la demande, nous en recevions moins de 2 400 par année.
Si je peux me permettre un comparatif plus récent, nous avons mis en place des mesures provisoires après la décision Bjorkquist en janvier 2024, et de janvier 2024 à juillet 2025, nous avons reçu environ 4 200 demandes de personnes touchées par la limite de la première génération.
Par conséquent, nous ne nous attendons pas à ce qu’il y ait une forte augmentation des demandes une fois que le projet de loi aura été adopté, et nous sommes convaincus que nous serons en mesure de gérer ces volumes avec les ressources actuelles du ministère.
La sénatrice Hay : Merci à tous d’être ici.
Je vais poser une question au sujet de la durabilité juridique, qui est essentielle à la stabilité des politiques et à la confiance du public. Une loi qui échoue aux tests constitutionnels risque de miner la confiance à l’égard du Canada et de son cadre de citoyenneté.
D’un point de vue juridique, dans quelle mesure IRCC est-il convaincu que les dispositions du projet de loi C-3, y compris l’exigence d’un lien substantiel, résisteront à l’examen fondé sur la Charte, et y a-t-il des domaines où des risques de litige subsistent?
Mme Hoang : Je vais céder la parole à Me Alain Laurencelle.
Me Laurencelle : Je vais peut-être mentionner encore une fois que, bien sûr, les projets de loi sont examinés par le ministère de la Justice pour s’assurer qu’ils respectent la Charte. Cela a été fait dans ce cas-ci. Comme l’indique l’énoncé concernant la Charte qui a été déposé à la Chambre des communes, le ministère de la Justice est d’avis que ce projet de loi et son contenu sont conformes à la Charte.
La sénatrice Hay : Merci beaucoup.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup à chacun d’entre vous d’être parmi nous aujourd’hui. J’ai vraiment apprécié certaines des réponses que la ministre a données au sénateur Arnot et à la sénatrice Youance. Mais je ne comprends toujours pas très bien la raison. Je comprends la distinction. Je ne comprends pas le raisonnement. Comment se fait-il que nous soyons saisis d’un projet de loi qui, de toute évidence, est discriminatoire? Comment cela s’est-il produit?
Mme Hoang : Vous parlez des adoptions?
La sénatrice McPhedran : Des points soulevés par le sénateur Arnot.
Mme Hoang : Je vous remercie de la question, sénatrice. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la décision de la cour ne portait pas sur les personnes adoptées. Elle s’adressait à celles qui sont assujetties à la limite de la première génération. Pour garantir que l’intention et la structure de la Loi sur la citoyenneté soient maintenues de manière à traiter de la façon la plus similaire possible les enfants nés et adoptés à l’étranger et les enfants nés à l’étranger — et lorsque je dis « de la façon la plus similaire possible », je veux parler de l’accès à la citoyenneté. Pour les enfants nés à l’étranger, à partir de l’entrée en vigueur du projet de loi et par la suite, les parents devront démontrer — les parents qui sont nés à l’étranger ou ont été adoptés à l’étranger — qu’ils ont un lien substantiel avec le Canada pour transmettre la citoyenneté à leurs enfants nés à l’étranger.
Dans le cas d’un enfant né et adopté à l’étranger, au-delà de la première génération, les parents devront démontrer qu’ils ont des liens substantiels pour avoir accès à l’article 5.1, qui crée une voie directe. La façon dont ils accèdent à la citoyenneté est donc différente, mais le résultat final est le même. Pourvu qu’ils répondent à toutes les exigences, ils pourront obtenir la citoyenneté par filiation. L’intention et la structure de la loi sont de faire en sorte que ces deux groupes soient traités de la façon la plus similaire possible, et cela est fondé sur la jurisprudence, comme Me Laurencelle l’a expliqué, la jurisprudence antérieure qui nous a menés là où nous sommes aujourd’hui.
La sénatrice Coyle : Pourrions-nous aller un peu plus loin, parce que la sénatrice McPhedran était préoccupée par la discrimination et que le sénateur Arnot nous en a également parlé? Pourriez-vous nous dire quels enfants nés à l’étranger, les enfants adoptés nés à l’étranger, seront traités différemment des deux catégories que vous venez de décrire et qui seront visées par ce projet de loi, pour que nous puissions comprendre cette distinction?
Mme Hoang : Si nous éliminions l’exigence d’un lien substantiel pour les parents qui vivent au Canada et qui finalisent leur adoption au Canada, plutôt que de continuer à y assujettir les parents qui vivent à l’étranger et adoptent leur enfant à l’étranger, cela signifierait que nous accorderions un traitement préférentiel aux parents qui résident au Canada. Cependant, le résultat serait qu’une fois l’adoption finalisée, le parent qui résidait au Canada au moment de l’adoption pourrait déménager à l’étranger avec cet enfant et y vivre jusqu’à la fin de ses jours, tandis que l’enfant adopté par des parents vivant à l’étranger pourrait revenir au Canada et y vivre le reste de sa vie. Dans ce cas, le traitement préférentiel donnerait lieu à des résultats différents, en ce sens que l’enfant qui est revenu au Canada, du simple fait que son adoption a été finalisée à l’étranger, devra démontrer un lien substantiel, même s’il a vécu le reste de sa vie au Canada, pour transmettre sa citoyenneté à d’autres enfants nés ou adoptés à l’étranger, alors que l’enfant qui a été adopté au Canada, mais qui est parti vivre à l’étranger pour le restant de ses jours n’aura pas à démontrer un lien substantiel avec le Canada.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie de cette description. Je tiens à apporter une précision, car je ne suis pas certaine que nous ayons tous bien compris la réponse au scénario présenté par la sénatrice Miville-Dechêne. Elle a adopté un enfant à l’étranger. D’après ce que je comprends, dans ce scénario — et je veux comprendre pour vous —, son enfant, qui a la citoyenneté canadienne, pourra transmettre sa citoyenneté tout comme mon enfant né au Canada pourrait le faire en vertu de cette disposition?
Mme Hoang : Oui. Dans ce scénario, si j’ai bien compris, son enfant est revenue au Canada, a vécu au Canada et répondrait facilement à l’exigence des 1 095 jours pour étayer un lien substantiel. Par conséquent, la citoyenneté pourrait être transmise à tout enfant à qui elle donne naissance à l’étranger ou qu’elle adopte à l’étranger.
La sénatrice Coyle : Merci. Je tenais simplement à le préciser parce qu’il y avait un peu de confusion.
La sénatrice Senior : Merci d’être resté avec nous. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous faisons de notre mieux. La sénatrice McPhedran, je crois, a parlé plus tôt du processus qui se déroulera une fois que ces mesures seront mises en œuvre. Je m’intéresse davantage aux délais dont il sera question. Une fois qu’une personne a présenté une demande, quel est le délai prévu ou estimé pour que cette personne obtienne la citoyenneté?
Mme Scott : Je peux vous donner une indication en fonction des délais actuels. Donc, en vertu des mesures provisoires qui ont été mises en place à la suite de l’arrêt Bjorkquist, il faut prévoir une période d’environ six mois actuellement.
Le sénateur Arnot : Merci. Ma question s’adresse à Mme Hoang. L’une des choses que j’entends ce soir, c’est que l’arrêt Bjorkquist ne portait pas vraiment sur les adoptions, mais il y a ici des gens qui feront partie d’un deuxième groupe de témoins ce soir — un troisième groupe au total, je suppose —, qui vont parler des adoptions. Ils ont beaucoup de problèmes à signaler. Ils estiment avoir besoin d’un recours, et le recours doit probablement être prévu dans la loi. Cela pourrait être dans une politique, mais peut-être aussi dans un règlement. Comme je l’ai dit plus tôt, j’ai parlé des premier et deuxième groupes, mais je crois que les gens de ce troisième groupe ont été dépossédés de leur citoyenneté. Ma question est donc la suivante : pensez-vous que ce serait une très bonne politique et que cela donnerait une mesure législative vraiment solide si l’on consultait davantage le groupe des adoptés, ces parents — ces personnes qui viendront témoigner plus tard — qui font partie intégrante des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté », afin de mieux comprendre leur point de vue à ce sujet, de sorte qu’on puisse trouver un recours législatif pour eux ou en arriver à une solution qui profiterait à tout le monde. Ces gens ont l’impression d’avoir été laissés pour compte, qu’il y aura de la discrimination et qu’ils n’auront d’autre choix que d’intenter des poursuites.
Il s’agirait d’une consultation étendue et à plus grande échelle. Pourrions-nous dire cela?
Mme Hoang : Ce que je peux dire, c’est que nous avons eu des discussions avec tous les intervenants qui sont touchés par le projet de loi, avec ceux qui ont un intérêt direct et ceux qui sont assujettis à la limite de l’accès à la citoyenneté à la première génération ainsi qu’avec ceux qui sont préoccupés du point de vue de l’adoption. Nous avons écouté leurs préoccupations et nous croyons les comprendre. En tant que fonctionnaire, je suis heureuse de continuer à dialoguer avec eux et de mieux connaître les enjeux qui les intéressent. Mais en ce qui concerne le projet de loi C-3, je voulais préciser que tout changement apporté aux dispositions sur le lien substantiel et à leur incidence sur les enfants adoptés devra être sous forme de modifications législatives, et non pas de politique ou de règlement. Si le projet de loi entre en vigueur dans sa forme actuelle, l’exigence relative au lien substantiel sera l’élément clé de la législation, et aucun règlement ni aucune politique ne pourra y changer quoi que ce soit.
Le sénateur Arnot : Vous avez dit l’autre jour — et je pense que c’était une information très importante —, si j’ai bien compris, qu’environ 40 % des enfants adoptés ne vivent pas au Canada, ne viendront pas au Canada, pourraient y revenir et, le cas échéant, ils doivent satisfaire à un critère de lien substantiel.
Cela veut dire que 60 % des enfants adoptés vivent toute leur vie au Canada. C’est ce groupe qui ne devrait pas être assujetti à un critère de lien substantiel parce qu’il s’agit d’un obstacle, et c’est exactement ce que la Convention de La Haye interdit. C’est un obstacle à la pleine citoyenneté. C’est un problème fondamental.
Mme Hoang : Comme je l’ai dit plus tôt, il y a deux étapes aux adoptions internationales. La première est le processus d’adoption et la deuxième, le processus de citoyenneté.
Le gouvernement fédéral n’a pas compétence sur la façon dont les provinces et les territoires régissent les lois en matière d’adoption. Je ne suis pas une experte des lois en vigueur dans les 13 provinces et territoires. Je ne saurais donc vous dire dans quelle mesure elles sont appliquées de façon uniforme ni si certaines sont pareilles ou non. Ces exigences sont établies par les provinces et les territoires.
À l’échelon fédéral, nous sommes responsables de l’application de la Loi sur la citoyenneté et des exigences suivant lesquelles les enfants adoptés peuvent obtenir la citoyenneté en vertu de l’article 5.1. Comme je l’ai indiqué plus tôt, pour que la citoyenneté soit attribuée à l’adoption en vertu de l’article 5.1, il n’est pas nécessaire que le parent de l’enfant adopté vive au Canada. Il peut vivre à l’extérieur du Canada. Il peut terminer le processus à l’extérieur du Canada. Une fois que l’enfant a reçu la citoyenneté, la Loi sur la citoyenneté n’exige pas qu’il revienne au Canada.
La sénatrice Burey : Je ne vous ai pas oublié, monsieur Jacques, parce que je veux vous poser une question au sujet de vos modèles.
Les chiffres que vous nous avez donnés, soit 115 000 personnes, pour environ 21 millions de dollars sur cinq ans. Quel genre de données utilisez-vous pour élaborer les modèles?
Je crois avoir constaté un écart important entre les chiffres d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, et les vôtres. Ai-je mal calculé? J’ai cru entendre parler d’environ 4 000 personnes sur une période d’un an ou deux depuis la décision prise en Ontario; si nous multiplions ce chiffre sur cinq ans, cela ferait 20 000 personnes et vous parlez plutôt de 115 000. Je me trompe peut-être. Répondez-moi, s’il vous plaît.
Je vais d’abord demander au Bureau du directeur parlementaire du budget, le DPB, puis à IRCC, s’il y a un grand décalage entre vos chiffres et ceux qu’ils nous communiquent.
M. Jacques : Je vous remercie de la question, sénatrice. Je vais demander à notre responsable de la modélisation, M. Perrault, de vous expliquer certaines des subtilités.
Louis Perrault, directeur des politiques, Bureau du directeur parlementaire du budget : L’intrant principal de notre modèle provient d’une étude de Statistique Canada qui vise à évaluer la population qui compose la diaspora des Canadiens.
Plus précisément, on a évalué pour 2016 le nombre de citoyens par filiation qui sont à l’extérieur du Canada. À partir de ce chiffre, nous faisons des projections dans un sens ou dans l’autre pour différentes raisons, puis nous appliquons les taux de fécondité et différentes décisions démographiques pour en arriver à la mesure réelle. Ensuite, nous prenons le nombre d’enfants par filiation, de première ou deuxième génération, pour chaque année, puis nous en faisons la somme.
Dans ce modèle, il y a une décision comportementale qui entre en ligne de compte. Techniquement, le nombre de personnes admissibles serait plus élevé que le nombre de personnes qui présenteront une demande. Nous utilisons une approximation pour déterminer le résultat de cette décision comportementale, ce qui nous donne un chiffre d’environ 115 000 demandes.
Avec l’information que nous avons obtenue suite à notre demande au sujet des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » par application de l’article 8, notre modèle fonctionne bien. Nous arrivons à ce chiffre de 20 000 personnes. Cela nous rend très confiants, si les nouvelles personnes se comportent à peu près de la même façon que ces « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté », que nous saisissons probablement une partie de ce comportement.
Maintenant, les autres amendements sur ces 10 000, les 95 jours, pourraient changer. A priori, il n’y a pas de raison de le savoir. Ce sont des populations différentes.
M. Jacques : Vous avez posé une question au sujet des 4 200 par rapport aux 115 000 — mes homologues fonctionnaires du ministère me corrigeront si je me trompe —, mais je crois que c’est un peu comme comparer des pommes et des oranges.
Le chiffre de 115 000 est plus près de la réalité que la déclaration de la ministre, qui parlait de dizaines de milliers. Si j’ai bien compris, les 4 200 demandes sont directement liées à une période de présentation des demandes qui a débuté en décembre 2024. Ce sont les demandes que le ministère a reçues.
Si l’on se fie à nos prévisions, en dépit de la confiance que nous avons à l’égard de nos estimations — et du chiffre de 115 000 que nous avons mis sur la table, des dizaines de milliers comparativement à 115 000 —, les chiffres sont probablement assez proches dans l’ensemble.
D’un point de vue budgétaire, encore une fois, il y a des millions de dollars de différence entre les deux pour ce qui est du coût du traitement des demandes.
La sénatrice Arnold : J’ai une question que vous n’aimerez probablement pas. En 2008, ce comité s’est penché sur cette question. Suivant l’une des recommandations formulées à cette époque, toute la loi devrait être réécrite en langage clair afin que les gens comprennent ce qu’elle signifie. S’il y a des plans en cours, est-ce qu’on les prend au sérieux? Une fois que nous aurons surmonté cet obstacle, est-ce quelque chose que l’on envisage?
Mme Hoang : En tant que DG responsable de notre équipe des politiques, je peux vous affirmer que nous examinons toujours les nouveaux enjeux et la façon dont la loi est structurée pour y faire face. Nous travaillons toujours à l’élaboration de politiques pour trouver des points à améliorer et à moderniser. Puis-je vous dire aujourd’hui que cela fait partie de notre plan de travail? Cela fait toujours partie de notre plan de travail. La vitesse à laquelle nous progressons dépend des priorités auxquelles nous sommes confrontés.
La sénatrice Osler : Ma question s’adresse au Bureau du directeur parlementaire du budget.
Dans le mémoire de décembre 2024 au sujet du projet de loi C-71, on estime un coût net de 20,8 millions de dollars sur cinq ans. Pouvez-vous nous donner une ventilation de ces coûts? Est-ce un coût pour le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires? C’est un coût net. Quel était le coût brut? Qu’a-t-on déduit du montant brut pour en arriver au montant net?
M. Perrault : Les coûts totaux représentent les services consulaires ainsi que le coût du traitement des demandes au titre des preuves et des attributions de la citoyenneté. C’est tout. Dans le cadre de cet exercice, il y a souvent des recouvrements de coûts liés à l’obtention d’un passeport ou aux frais de demande. C’est ce que nous avons inclus. C’est ainsi que nous en sommes arrivés à ce coût net.
La sénatrice Osler : Le coût net relevait des services consulaires?
M. Perrault : Exactement. C’est un coût limité. Il correspond à l’attribution de la citoyenneté et à certains services consulaires offerts si vous êtes un Canadien à l’étranger.
La sénatrice McPhedran : Vous n’aurez peut-être pas le temps de fournir une réponse complète à cette question. Si vous n’avez pas la réponse aujourd’hui, j’aimerais recevoir un suivi écrit, s’il vous plaît.
La présidente : D’ici demain.
La sénatrice McPhedran : Oui. Prenons la décision de 2024 de la Cour suprême du Canada, qui a mis en lumière ce qui se passe lorsque la discrimination est jugée inconstitutionnelle. Nous parlons de l’arrêt Power de 2024. Ce que nous avons ici, c’est une limite générationnelle jugée inconstitutionnelle, et vous avez entendu les préoccupations de nombreux sénateurs et sénatrices autour de la table au sujet des personnes adoptées, des différences et, peut-être, d’une forte discrimination. Puis-je simplement demander à IRCC, dans le cadre de l’élaboration de cette loi — et nous comprenons que c’était en réponse à des décisions judiciaires en particulier —, ce qu’il en est de l’analyse du risque, de l’ouverture d’IRCC et, en fait, des fonds publics prévus au titre des préjudices découlant d’une discrimination inconstitutionnelle?
Mme Hoang : Encore une fois, je m’en remets à ce qu’a dit mon collègue, Me Laurencelle. Il a déjà décrit l’énoncé du ministère de la Justice concernant la Charte.
La sénatrice McPhedran : Quelle était la date de cette évaluation?
Mme Hoang : Nous nous engageons à vous faire parvenir cette information. Elle est publique et elle est accessible sur le site Web, mais je sais que c’était tout de suite après la présentation du projet de loi C-71. Je ne voudrais pas vous donner la mauvaise date, sénatrice, mais je serais heureuse de faire un suivi et de fournir le lien vers l’énoncé concernant la Charte et la date à laquelle il a été publié.
La sénatrice McPhedran : La date était peut-être telle que cette opinion ne tenait pas compte de l’arrêt Power?
Mme Hoang : Encore une fois, l’énoncé du ministère de la Justice est une évaluation du projet de loi, alors je peux céder la parole à mon collègue pour qu’il vous donne des détails sur cet énoncé concernant la Charte, si vous le voulez.
La sénatrice McPhedran : C’était le 10 juin 2025. Merci.
La sénatrice Senior : Je voulais simplement revenir sur une question qui a été posée plus tôt, car elle fait suite aux préoccupations concernant les gens qui pourraient avoir un casier judiciaire. D’après ce que je comprends, étant donné qu’il s’agit de 2009 et des années suivantes, à partir de maintenant, nous parlons en réalité de jeunes de 14 ans et moins? Est-ce exact?
Mme Scott : C’est exact. À l’avenir, lorsque des personnes demanderont une preuve de citoyenneté, nous nous attendons à ce que ce soit surtout les parents qui la demanderont pour leurs enfants mineurs.
La sénatrice Senior : Donc, cela s’appliquera à des gens plus vieux, s’ils décident de présenter une demande beaucoup plus tard.
Mme Scott : Possiblement.
La sénatrice Senior : Merci.
J’ai une autre question, parce qu’il me reste du temps.
En ce qui concerne le décalage énorme entre ce que les médias présentent comme des millions et 115 000 personnes, savez-vous pourquoi il y a un tel écart? Y a-t-il quelque chose que nous pourrions identifier comme étant responsable de cet écart?
M. Perrault : Avant les estimations précédentes, il y avait un large éventail d’estimations de la diaspora canadienne réelle et du nombre de Canadiens par filiation. Selon certains ensembles de données, ce peut être 300 000 et selon d’autres, quatre millions. C’est donc une fourchette assez importante, et la question de savoir qui présentera une demande à cet égard doit probablement en tenir compte. Ensuite, je ne peux pas dire où les gens des médias obtiennent leurs données, mais il existe une grande variété d’estimations de la diaspora canadienne. D’après ce que je comprends, nous ne faisons pas un suivi du nombre de personnes. Du moins, d’après les demandes de renseignements que nous avons reçues d’IRCC, personne ne fait le suivi du nombre de Canadiens vivant à l’étranger.
La sénatrice Senior : Je comprends, mais il y a une limite depuis 2009. Donc, même là, pourquoi supposerait-on qu’il y a des millions de personnes? Je ne comprends pas, mais je comprends que vous n’en faites pas le suivi.
La présidente : Honorables sénatrices et sénateurs, cela nous amène à la fin des témoignages de notre deuxième groupe. J’aimerais remercier tous les fonctionnaires de leur témoignage d’aujourd’hui.
Nous passons maintenant à notre troisième groupe de témoins, s’il y a consensus. Oui, tout le monde est d’accord.
Nous accueillons aujourd’hui en personne Don Chapman, qui représente le groupe Lost Canadians. Bon retour au Sénat du Canada.
Nous accueillons également Mme Allison Petrozziello, professeure à l’Université métropolitaine de Toronto, qui a amené ses charmantes filles, Alba et Alaia, ainsi que Mme Katherine Lanteigne et M. Graeme Ball, défenseurs des parents adoptifs.
Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Vous disposerez chacun de cinq minutes pour lire votre déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.
Monsieur Chapman, vous avez la parole.
Don Chapman, chef, Lost Canadians : Merci. Bonjour. Mon mémoire répondra à bon nombre de vos questions.
Le projet de loi C-3 est en préparation depuis environ 100 ans. Comment, me demanderez-vous? Si vous sortez de la salle du Sénat, vous verrez la statue des Cinq femmes célèbres. En 1929, elles ont fait reconnaître le droit d’être une personne à part entière, une sénatrice ou une juge. Ce qu’elles n’ont pas obtenu et qu’elles n’ont toujours pas, c’est un droit égal de transmettre leur citoyenneté à leurs enfants, comme les hommes. Vous devriez être fiers que le projet de loi C-3 donnera enfin aux femmes des droits égaux prospectifs et rétrospectifs.
Passons maintenant à un autre projet de loi du Sénat. Si vous vous souvenez, le projet de loi S-3 a éliminé la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Alors, comment peut-il être inconstitutionnel de refuser un droit aux femmes en vertu de la Loi sur les Indiens, mais constitutionnel de le faire en application de la Loi sur la citoyenneté? Le projet de loi C-3 permet également de remédier à cette incohérence. L’égalité devrait toujours primer.
Dans le cas des enfants adoptés, même si ce n’est pas mon domaine d’expertise, j’ai aidé de nombreuses familles. Pas plus tard qu’il y a tout juste 20 minutes, j’ai reçu un courriel m’apprenant que la demande d’April Murphy venait d’être acceptée, et elle a été adoptée.
J’en connais un bout au sujet du processus et de la façon dont les familles sont touchées. Pour ce qui est de mes réflexions sur l’adoption internationale, je serai heureux d’en parler pendant la période des questions.
J’ai vécu le problème des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » depuis probablement plus longtemps que quiconque. En 1961, à l’âge de six ans, j’ai été dépossédé de ma citoyenneté avant même la naissance de certains sénateurs et sénatrices. Cela remonte donc à loin. J’ai écrit un livre sur les « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté », et c’est moi qui ai inventé l’expression. Le projet de loi C-3 est mon 12e au sujet des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté », et j’aimerais vraiment que ce soit mon dernier.
J’ai remarqué, dans le cas des projets de loi précédents, un décalage entre l’intention du Parlement et la mise en œuvre. Par exemple, lorsque le projet de loi C-37 a été étudié en comités, les députés, y compris le ministre de la Citoyenneté d’alors, voulaient que tous les bébés apatrides nés d’un parent canadien obtiennent immédiatement la citoyenneté. Cela ne s’est pas produit.
Tous les enfants apatrides nés d’un parent canadien, s’ils n’avaient pas la citoyenneté canadienne, mais s’installaient au Canada, devaient obtenir le statut de résident permanent, et ce, de la naissance jusqu’à l’âge de 23 ans, je crois. De cette façon, le Canada aurait respecté deux conventions des Nations unies sur les droits de la personne, soit la Convention sur la réduction des cas d’apatridie et la Convention relative aux droits de l’enfant. Cependant, parce qu’aucune directive précise n’a été donnée à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, les enfants sont demeurés apatrides et les séparations forcées de familles sont devenues monnaie courante. De nombreux parents canadiens et leurs enfants ont vécu dans des pays différents.
Dans un autre ordre d’idées, les Canadiens naturalisés devaient tous être réputés nés au Canada aux fins de l’attribution de la citoyenneté, et cela aussi a été mis de côté.
De même, les personnes à qui l’on a attribué la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(4) étaient réputées nées au Canada, et pourtant, IRCC a par la suite changé sa décision pour certaines d’entre elles, ce qui a créé d’autres catégories de « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Ce qu’il faut pour éviter que le projet de loi C-3 donne les mêmes résultats, ce sont des lignes directrices claires sur l’intention du Parlement et la façon dont vous vous attendez à ce qu’IRCC mette en œuvre les lois.
Ma suggestion, qui n’a jamais été mise en œuvre, consiste à nommer un ombudsman de la citoyenneté. Adopter un projet de loi et le laisser ensuite entre les mains d’IRCC ne fonctionne tout simplement pas. Vous devez continuer à participer activement au dossier.
Enfin, mettons en pratique ce que nous prêchons; l’équité, la compassion, les droits de la personne, la paix, l’ordre et le bon gouvernement, et défendons nos intérêts, et je parle ici de nos intérêts à tous. Le Canada ne devrait plus jamais tourner le dos à son propre peuple, et surtout pas aux enfants.
À partir d’aujourd’hui, chaque fois que vous passez devant la statue des Cinq femmes célèbres, sachez qu’en votant pour l’adoption du projet de loi C-3, vous contribuez à la poursuite de l’objectif de ces femmes, c’est-à-dire l’égalité des droits. Bon, cela nous aura pris 96 ans pour y arriver, mais mieux vaut tard que jamais. Vos mères, vos grands-mères et vos filles seraient fières.
Je vous prie d’adopter sans tarder le projet de loi C-3, et j’ajouterais une autre chose. Suivez la recommandation de votre propre comité faite en 2008 et commencez à rédiger une toute nouvelle loi sur la citoyenneté conforme à la Charte. Merci.
La présidente : Merci, monsieur Chapman.
Madame Petrozziello, vous avez cinq minutes.
Allison Petrozziello, professeure, Université métropolitaine de Toronto, à titre personnel : Bonjour, chers sénateurs et sénatrices. Je suis professeure adjointe en inégalité et migration mondiales à l’Université métropolitaine de Toronto. Je suis ici avec mes filles, Alba et Alaia.
Mon intérêt pour le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, est à la fois professionnel et personnel. Tout d’abord, je vais vous parler de l’aspect professionnel.
J’ai passé la dernière décennie à faire des recherches sur l’exclusion de l’enregistrement des naissances et de la preuve de citoyenneté partout dans le monde, sous la surveillance du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, entre autres, comme je l’indique dans mon livre à paraître, qui s’intitule Birth Registration as Bordering Practice.
Imaginez ma surprise, tout d’abord, que les enfants nés de Canadiens vivant à l’étranger soient parmi ceux qui seraient touchés par des lois sur la citoyenneté de plus en plus restrictives, comme l’inconstitutionnelle « limite de l’accès à la citoyenneté à la première génération », et imaginez ma surprise supplémentaire d’apprendre que ma propre famille serait personnellement touchée. En tant que citoyenne canadienne par filiation qui travaillait à l’étranger pour ONU Femmes à l’époque, j’ai dû parrainer mes propres enfants — que vous voyez ici aujourd’hui — afin qu’elles obtiennent la résidence permanente et, éventuellement, la naturalisation parce qu’elles étaient de la deuxième génération née à l’étranger. Je voulais que vous puissiez voir à quoi ressemblent ces enfants, de fières Canadiennes par filiation, qui ont été touchés négativement par cette limite.
Le Sénat a la possibilité de corriger ce tort en adoptant rapidement le projet de loi C-3 et en maintenant l’aspect cumulatif et la souplesse du critère du lien substantiel.
Les recommandations suivantes sont fondées sur mes recherches actuelles en tant que chercheuse principale dans le cadre du projet Birthing Canadian Citizens, qui fait partie du programme de recherche Bridging Divides, et qui est financé par le Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada de notre gouvernement. Nous avons interviewé des parents citoyens canadiens qui accouchent à l’étranger, à Hong Kong, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, à Singapour et ailleurs, mais qui ont eu de la difficulté à transmettre leur citoyenneté en raison de la limite de l’accès à la citoyenneté à la première génération.
Ma première recommandation consisterait à faire en sorte que le projet de loi C-3 modifié franchisse rapidement les étapes du processus législatif et qu’il soit adopté avant la date limite en janvier. Le projet de loi C-3 promet de rétablir un droit égal à la citoyenneté pour les enfants canadiens nés à l’étranger et, comme vous le savez, ce changement a été ordonné par la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qui a conclu que cette limite était inconstitutionnelle et violait également les droits à la mobilité et à l’égalité garantis par la Charte. D’après ce que je comprends, le projet de loi C-3 rendra notre Loi sur la citoyenneté conforme à la Charte et créera une plus grande égalité entre les citoyens canadiens de naissance et par filiation. J’aimerais insister sur l’aspect sexospécifique de la question. Depuis 2009, le seul conseil que le gouvernement a été en mesure d’offrir aux femmes canadiennes pour qu’elles puissent transmettre leur citoyenneté est de retourner chez elles à un stade avancé de leur grossesse pour accoucher au Canada. Même pendant la pandémie de COVID-19, même dans les cas de grossesse à risque élevé, même pour les couples dont la femme essaie depuis des années de tomber enceinte au moyen d’un traitement de fécondation in vitro et même lorsque les médecins et l’assurance-maladie sont en place dans leur pays de résidence, mais pas ici au Canada. Le projet de loi C-3 promet donc d’éliminer une fois pour toutes la discrimination fondée sur le sexe dans notre Loi sur la citoyenneté et de permettre aux parents canadiens de prendre des décisions en matière de procréation en consultation avec leur médecin, et non avec le gouvernement.
Ma deuxième recommandation est de faire preuve de souplesse à l’égard du critère du lien substantiel, afin d’éviter d’imposer un fardeau administratif inutile aux familles canadiennes vivant à l’étranger. L’exigence des 1 095 jours de présence effective pourrait encore porter atteinte aux droits des Canadiens à la mobilité garantis par la Charte, selon lesquels les Canadiens ont le droit d’entrer au Canada, d’y demeurer et d’en sortir librement.
Si le Sénat souhaite maintenir ce critère, il devrait le garder cumulatif et envisager de l’appliquer uniquement à la deuxième génération née à l’étranger.
C’est parce que nos recherches démontrent que les Canadiens de la première génération née à l’étranger ont déjà un lien substantiel avec le Canada du fait d’avoir été élevés par un parent canadien, peu importe où ils ont grandi dans le monde.
Le Sénat pourrait également envisager d’accorder des exemptions à cette exigence pour les enfants adoptés à l’étranger, dont nous avons beaucoup entendu parler aujourd’hui, ainsi que pour les enfants nés de peuples autochtones d’Amérique du Nord.
De cette façon, la loi respecterait non seulement la Charte, mais aussi la Convention de La Haye et le Traité de Jay de 1794. Le Sénat devrait adopter le projet de loi C-3 sans plus tarder. À une époque où le Canada continue d’avoir besoin d’une population croissante, mais où l’appui du public à l’égard de l’immigration diminue, reconnaître que les enfants des Canadiens nés à l’étranger sont nos propres enfants est de nature à renforcer le Canada. La reconnaissance de la diversité des familles qui caractérise notre pays, que ses membres soient nés au pays ou à l’étranger, qu’ils soient de parents adoptifs ou biologiques, autochtones ou Canadiens de première génération, est un élément nécessaire pour renforcer notre sentiment d’appartenance en tant que Canadien. Je vous remercie du leadership dont vous faites preuve pour rétablir nos droits en matière de citoyenneté.
La présidente : Merci, madame Petrozziello.
Katherine Lanteigne, défenseure des parents adoptifs, à titre personnel : Bonjour. Muli bwanji.
Je m’appelle Katherine Lanteigne. Je suis ici aujourd’hui avec mon mari, Graeme Ball, qui représente notre fils, Nathanael, pour défendre ses droits à la citoyenneté et les droits des enfants adoptés à l’étranger. Nous avons adopté Nathanaël en 2017 et avons quitté temporairement le Canada afin de satisfaire aux exigences du pays pour le rapatrier. Nous n’avons été autorisés à l’adopter qu’en vertu de la Loi de 1998 sur l’adoption internationale de l’Ontario, qui stipule que nous devons résider dans la province.
Notre fils est originaire de la Zambie, mais nous l’avons adopté en Ontario, au Canada. Il est illégal pour nous de ne pas vivre au Canada et d’adopter un enfant né à l’étranger.
Cependant, parce que nous avons choisi la voie de « l’attribution directe » pour sa demande de citoyenneté, à laquelle nous étions admissibles, il sera maintenant assujetti à un traitement discriminatoire si le projet de loi C-3 est adopté dans sa forme actuelle. Le projet de loi C-3 imposerait à notre fils canadien un critère de lien rétroactif qui exigerait qu’il prouve qu’il a un lien substantiel avec le Canada s’il choisit de transmettre la citoyenneté à son enfant, s’il est né à l’étranger.
Demander à un enfant qui a été adopté dans le cadre d’une adoption internationale de prouver qu’il a un lien avec le pays où il a été adopté, c’est comme lui demander qui sont ses vrais parents. Cette exigence a un effet délétère sur l’enfant adopté; elle remet en question sa légitimité et son sentiment d’appartenance. Elle ne sert absolument aucun objectif législatif et ne répond à aucun objectif stratégique énoncé dans l’esprit du projet de loi C-3.
Le projet de loi C-3 perpétuera les stéréotypes à l’égard des enfants adoptés à l’étranger, car il traitera notre fils comme s’il était un étranger au Canada. Il est discriminatoire dans son application, il subordonne le statut de citoyenneté de notre fils et viole ses droits garantis par l’article 15 de la Charte.
Le rôle d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, IRCC, est de veiller à ce que notre adoption soit légale, et non d’évaluer la qualité de la citoyenneté de notre fils.
Nous sommes dans cette situation parce que le gouvernement du Canada n’a pas modernisé comme il se doit la Loi sur la citoyenneté pour les personnes adoptées. Nos enfants canadiens sont censés être traités de la même façon que les Canadiens de naissance, puisque le Canada est signataire de la Convention de La Haye sur l’adoption internationale, qui stipule clairement à l’article 26 que les personnes adoptées doivent jouir du même ensemble de droits que celles qui sont adoptées au Canada. Le gouvernement n’en a pas tenu compte.
L’adoption internationale est une expérience éprouvante pour les personnes adoptées. Un enfant renonce à tout ce qu’il a dans son pays de naissance. Sa culture d’origine, ses origines biologiques et le lien avec son pays de naissance.
En retour, l’adoption garantit à un enfant le droit inaliénable à une famille permanente, mais elle n’efface pas le profond traumatisme avec lequel il vit. Cela, la Société canadienne de pédiatrie l’a bien compris.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-3 fera en sorte que, d’une façon ou d’une autre, les personnes adoptées seront persécutées. Soit que leur légitimité sera remise en question au moyen d’un critère de lien arbitraire, soit qu’ils devront attendre des années avant que leur citoyenneté ne soit délivrée par le biais du parrainage, et les parents canadiens devront soupeser les conséquences de la voie qu’ils choisiront pour leur enfant adoptif, parce que le Canada confond encore immigration et citoyenneté. Il s’agit d’un acte de cruauté législative gratuit à l’égard des personnes les plus vulnérables du monde, c’est-à-dire les enfants adoptés à l’étranger.
Nous tenons à remercier sincèrement le sénateur Arnot, la sénatrice Wallin, Jenny Kwan et Nathaniel Erskine-Smith de leurs efforts acharnés pour corriger ce problème, ainsi que les familles adoptives de partout au Canada qui nous ont fait confiance pour défendre cette cause en leur nom. Et à notre Nathanaël, rappelle-toi, en tant que Canadien, de toujours être fier de qui tu es, notre beau et brave garçon canado-zambien. Nikukonda, Bebe. Nous t’aimons.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Pour ce groupe de témoins, les sénatrices et sénateurs auront quatre minutes pour chaque question, en incluant la réponse. Veuillez indiquer si votre question s’adresse à une personne en particulier ou à tous les témoins en général.
La première question sera posée par la sénatrice Osler, suivie de la sénatrice Hay, de la sénatrice McPhedran et de la marraine du projet de loi, la sénatrice Coyle.
La sénatrice Osler : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question, qui est en deux parties, s’adresse à Mme Lanteigne.
Dans les deux derniers groupes de témoins, le comité a entendu dire que l’intention du projet de loi est de traiter autant que possible les enfants de parents adoptifs et les enfants de parents biologiques de la même façon, et nous avons également entendu dire que le projet de loi traite les enfants de la même façon.
J’aimerais d’abord connaître votre opinion à ce sujet.
Dans la deuxième partie de ma question, vous avez parlé d’un amendement au projet de loi C-3. Dans le premier groupe, le sénateur Arnot a obtenu de la ministre l’engagement de rencontrer les intervenants au sujet des adoptions internationales pour voir s’il y aurait une loi future, une modification législative ou un changement réglementaire qui serait possible sans que la loi soit modifiée.
Pour ce qui est de la deuxième partie de ma question donc, quel serait le libellé d’un amendement au projet de loi C-3 ou d’une future mesure législative? Quel serait le libellé que vous aimeriez voir pour modifier la réglementation?
Mme Lanteigne : La réponse est que ce projet de loi ne traite pas les enfants adoptés sur un pied d’égalité.
À notre avis — et nous l’avons exprimé sans équivoque —, IRCC a induit ces comités en erreur tout au long du processus ayant entouré ce projet de loi. Il y a ce qu’on appelle l’adoption locale par des gens qui sont résidents d’un autre pays et qui adoptent un enfant. En théorie, cet enfant pourrait devenir un enfant adopté à l’étranger si cette famille devait revenir au Canada.
L’adoption internationale est un processus juridique très circonscrit dans notre pays, en sa qualité de signataire de la Convention de La Haye. Lorsque nous avons adhéré à la Convention de La Haye, nous l’avons adoptée au niveau fédéral et provincial. Dans l’ensemble des provinces au pays...
[Français]
C’est la même chose au Nouveau-Brunswick et au Québec.
[Traduction]
... la Loi sur l’adoption internationale qui intègre le libellé de la Convention de La Haye est appliquée. C’est une loi. Vous n’êtes pas autorisé à fonder une adoption au Canada sans vivre ici. C’est illégal.
Ce qui est frustrant pour nous, c’est que lorsque nous procédons en tandem, c’est un processus intégré. Lorsque nous faisons une demande de citoyenneté en vertu de la partie 1 pour notre enfant, nous devons choisir entre la résidence permanente et l’attribution directe. Ce que d’autres ne comprennent pas non plus, c’est que nous n’avons parfois pas le choix parce que les pays où nous adoptons dictent le processus. Par exemple, si vous adoptez un enfant aux États-Unis, vous devez d’abord venir ici et votre adoption est finalisée devant les tribunaux de l’Ontario. Vous êtes surveillé par un travailleur social.
Par exemple, si IRCC accordait la citoyenneté à notre fils sans savoir que nous vivons ici, étant donné que l’adoption a été fondée au Canada, c’est à ce moment-là que naissent les soupçons, vous savez, l’hystérie qui entoure la traite des enfants? C’est ce qui se produirait.
Nous avons des documents très précis qui déclenchent la deuxième partie de l’examen que mènent les fonctionnaires d’IRCC; c’est ce qu’on appelle une lettre de non-opposition. Lorsque tous nos documents d’adoption sont accumulés en provenance de l’Ontario, des pays d’où nous adoptons, les fonctionnaires d’IRCC les examinent. S’ils autorisent l’adoption, ils nous permettent de rentrer à la maison avec nos enfants.
Graeme et moi ne pouvions pas quitter la Zambie. Nous sommes restés là et nous avons attendu. La sénatrice Wallin nous a aidés à ramener notre fils à la maison, parce qu’autrement, on nous fait attendre pendant des semaines ou des mois avant de nous accorder la citoyenneté.
Je tiens à ce qu’il soit bien clair que le principe selon lequel les Canadiens qui adoptent des enfants à l’étranger ne sont pas tenus de vivre ici est absolument faux.
La sénatrice Hay : Merci d’être ici et de nous avoir fait part de votre parcours, à vous et à Nathanael. Je suis désolée du traumatisme que vous avez vécu.
Monsieur Chapman, j’aimerais vous poser une question d’ordre technique au sujet du projet de loi C-3. Il y a de nombreux obstacles systémiques au sujet desquels j’ai lu, dont j’ai entendu parler et que j’ai étudiés.
D’après vous, en dehors du groupe de l’adoption internationale dont il est question ici et d’un amendement éventuel, quelles sont les lacunes qui subsistent? Quelles mesures supplémentaires sont nécessaires? Vous avez parlé d’un ombudsman, de lignes directrices suffisamment claires et de reddition de comptes. Pouvez-vous m’expliquer tout cela?
M. Chapman : Oui. Si vous obtenez la citoyenneté par attribution, disons en vertu de l’article 5.4, vous êtes réputé né au Canada. Si IRCC renverse ensuite cette présomption, que se passerait-il si vous avez un enfant né à l’extérieur du Canada? Quel est le statut de cet enfant? Si vous avez obtenu la citoyenneté par attribution en vertu de l’article 5.4 ou si vous êtes naturalisé, vous devriez conserver la présomption de naissance au Canada. Je ne suis pas un expert des autres types de citoyenneté par attribution, comme dans le cas des adoptions, la citoyenneté par attribution en vertu de l’article 5.1.
Je dois dire que mon frère et ma sœur sont adoptés. Nous venons tous du Canada. Je suis né au Canada. Si j’étais né à l’extérieur du Canada, je serais demeuré canadien. De plus, comme mon frère et ma sœur sont adoptés, ils ont pu conserver leur citoyenneté, et c’est moi qui en ai été dépossédé.
Ces lois sont sans fondement depuis longtemps. Mme Lanteigne a raison. Nous devrions inclure cela. Que cela figure ou non dans le projet de loi, le problème, c’est que s’il est renvoyé à la Chambre, il pourrait faire l’objet d’obstruction et tout le projet de loi mourrait au Feuilleton.
Je collaborerai avec le sénateur Arnot, qu’il s’agisse ou non d’un projet de loi d’initiative parlementaire. Je suis déjà passé par le processus de deux ou trois projets de loi d’initiative parlementaire au Sénat. Je suis sûr que nous pourrons le mener à terme. C’est l’un des aspects qui restent à régler.
L’autre aspect, c’est que partout où vous allez, on dit que la citoyenneté a commencé en 1947. C’est faux. Elle a commencé avec la Confédération. Je vais contester cette affirmation devant les tribunaux si nous ne réussissons pas à convaincre le gouvernement; je n’ai pas besoin d’une loi, parce que les personnes visées étaient déjà légalement des Canadiens. J’ai besoin d’une déclaration du premier ministre ou de la ministre de la Citoyenneté. Si la citoyenneté n’existait pas, aucun de nos morts à la guerre n’était canadien et le Canada ne s’est pas battu pendant les deux guerres mondiales. Le Canada n’a pas libéré la Hollande, mais il existait. C’est une autre question que je veux régler. Nous ne devrions pas procéder à la pièce.
La sénatrice Hay : Sans amendement, croyez-vous qu’il y aura un véritable dialogue?
Mme Lanteigne : Non, je ne suis pas convaincue qu’il y aura un véritable dialogue. Nous avons essayé pendant une décennie. Cela fait 15 ans que nous y travaillons. Nous avons fait de solides tentatives pendant une décennie.
Au cours des 10 dernières années, pas un seul ministre ne nous a consacré du temps. Ils ont dit à l’un des parents adoptifs de notre groupe, une autre mère adoptive — monoparentale — que nous n’étions pas des intervenants privilégiés.
La sénatrice Hay : Merci.
La sénatrice McPhedran : Je vous remercie de nous avoir donné une idée aussi claire de ce qui est en jeu ici.
Je pense que vous étiez tous dans la salle lorsque j’ai parlé de l’arrêt Power de 2024 de la Cour suprême du Canada. C’est peut-être une question hypothétique, mais je vais quand même vous inviter à y répondre.
Une décision serait rendue si vous ou d’autres poursuiviez IRCC et le gouvernement du Canada. Certains d’entre vous ont parlé de cette possibilité. Pouvez-vous nous aider à comprendre certains des préjudices que vous avez subis dans vos situations particulières?
M. Chapman : Mes préjudices se traduisent en millions de dollars. N’oubliez pas que j’ai perdu ma citoyenneté en 1961. Il m’a fallu 47 ans pour la récupérer. J’ai dû devenir immigrant reçu dans mon propre pays. C’est pour le moins étrange d’avoir un certificat de naissance montrant que je suis né au Canada et que je suis immigrant. Il a fallu 47 ans. Même si je suis né au Canada, je ne pouvais pas y faire entrer mes enfants. IRCC ne laissait pas entrer mes propres enfants, la première génération née à l’étranger.
La sénatrice McPhedran : Je suis désolée, monsieur Chapman, mais j’aimerais que nous puissions laisser du temps aux autres témoins.
M. Chapman : Sur le plan financier, cela représente des millions de dollars, mais l’argent du gouvernement ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est de corriger la loi.
La sénatrice McPhedran : Merci.
Mme Lanteigne : Nous avons officiellement retenu les services d’un avocat. Je suis la mère. Nous sommes le père et la mère. Nous sommes les parents qui iront devant les tribunaux en vertu de la Charte, au nom de notre fils, si ce projet de loi est adopté.
Nous avons retenu les services d’un avocat cet été, parce que nous savions que nous n’allions nulle part. Nous en sommes à notre troisième avis juridique. Aucun des avocats que nous avons consultés n’avait de lien avec les autres. Ils nous ont tous dit que cela violait les droits de notre fils garantis par la Charte et les droits des personnes adoptées à l’étranger.
Ce sont les enfants canadiens issus de communautés racisées qui en souffrent.
La sénatrice McPhedran : Merci. Madame Petrozziello, il nous reste du temps.
Mme Petrozziello : Le fait de devoir payer des milliers de dollars pour parrainer mes propres enfants en vue d’obtenir la résidence permanente et d’avoir à attendre leur naturalisation me semble injuste, compte tenu du fait que je suis citoyenne canadienne. Je ne demande pas d’indemnisation, mais j’imagine qu’il pourrait y avoir des réclamations de la part de ceux qui ont dû passer par ce processus.
La présidente : Merci.
La sénatrice Coyle : Merci à tous nos témoins qui proviennent de divers horizons et qui ont des préoccupations très différentes. J’ai moi aussi donné naissance à ma fille à l’étranger, et elle était donc dans la même situation que vos filles, madame Petrozziello, sauf qu’elle a épousé un Canadien. Ses enfants nés au Mexique ont donc reçu la citoyenneté, non pas par elle, mais par lui. Je suis au courant de certains de ces procès.
Je m’intéresse à la question de l’adoption parce que c’est celle qui pose un problème ici. Vous avez entendu les interventions du dernier groupe de témoins, et l’intention du projet de loi est bonne, à savoir donner les mêmes droits à un enfant, qu’il soit né d’un parent canadien à l’étranger ou qu’il soit adopté. Si vous regardez ce qui est décrit à l’objectif 3 de ce projet de loi, soit minimiser les distinctions pour les enfants adoptés à l’étranger par un parent canadien, dans le cas de ceux adoptés à l’étranger avant l’entrée en vigueur de cette loi qui appartiennent à la deuxième génération ou aux générations suivantes, l’attribution directe de la citoyenneté sera accessible pour toutes les personnes adoptées à l’étranger par un citoyen canadien, comme votre enfant, y compris celles de la deuxième génération ou des générations suivantes.
J’essaie de comprendre pourquoi Nathanael serait victime de discrimination en vertu de cette loi.
Mme Lanteigne : Nous sommes des citoyens canadiens et nous vivons au Canada. Notre fils n’est pas un immigrant. Il n’a pas de critères à respecter. Aucun. Il est protégé par la Convention de La Haye. Le gouvernement viole la Convention de La Haye depuis 2009. Il contrevient à plusieurs articles de cette convention. Le gouvernement du Canada ne doit notamment pas imposer d’obstacles au transfert sécuritaire de cet enfant au Canada. Je n’ai pas adopté mon fils à l’étranger. J’ai adopté mon fils au Canada, mais il est né à l’étranger. Cela veut donc dire que ce gouvernement est sur le point de violer ses droits garantis par la Charte, étant donné qu’il ne peut pas être traité différemment d’un enfant canadien. C’est écrit dans la loi. Il ne peut pas être traité différemment d’un enfant adopté en Ontario. C’est une violation majeure de mes droits en tant que mère non biologique. Il y a de très nombreuses violations de la Charte au sujet desquelles nous allons faire appel aux tribunaux.
La sénatrice Coyle : Avons-nous un peu plus de temps? C’est un sujet très important. Votre témoignage est extrêmement important pour nous, et je ne conteste aucunement ce que vous avez dit. Je reviens aux témoignages du groupe précédent et à ce qu’ont dit les représentants du ministère concernant la différence entre le fédéral et le provincial. Vous les avez entendus.
Comment réagissez-vous à ce que vous avez entendu, notamment, cette distinction qui a été faite en ce qui concerne la Convention de La Haye et les responsabilités du gouvernement fédéral par rapport à celles du gouvernement provincial dans ce genre de situation?
Graeme Ball, défenseur des parents adoptifs, à titre personnel : Nous respectons la Convention de La Haye aux niveaux provincial et fédéral. Nous savons donc maintenant que le Canada contrevient au droit international depuis 2009 en ce qui concerne l’adoption internationale. J’aimerais ajouter que nous avons adopté Nathanael, qui est né en Zambie. Ce pays respecte la Convention de La Haye. Ses responsables s’attendent à ce que le Canada fasse de même et ont pleinement confiance que c’est ce que fait notre pays, mais ce n’est pas le cas. Par conséquent, si des pays comme la Zambie savaient que le Canada viole la Convention de La Haye et le droit international, ils auraient de graves préoccupations. C’est une honte pour notre pays, et cela cause des torts, puisqu’il est question de tort.
Le sénateur Arnot : Je pose la question pour Katherine Lanteigne et Graeme Ball. Monsieur Chapman, ce projet de loi ne règle pas la question pour tous les « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Il faut élargir le filet. Après l’adoption de ce projet de loi, il y aura encore des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Ma question est la suivante : conseilleriez-vous au comité d’entreprendre une étude approfondie sur les « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » et de faire des recommandations au gouvernement sur la façon de régler ce problème à l’avenir, afin que vous n’ayez pas à revenir ici?
M. Chapman : C’est ce que je demande depuis des décennies. Oui, c’est une bonne idée. J’adopterais ce projet de loi, parce que je suis favorable à toute approche graduelle, et il est certain que je reviendrais ici aider Mme Lanteigne, car elle est manifestement dans son droit. Alors, oui, faites-le, je vous en prie.
Le sénateur Arnot : Merci. Mme Lanteigne et M. Ball, en réponse à la question de la sénatrice Osler, je dois mentionner que le fait d’imposer à Nathanael le critère du lien substantiel est un obstacle, et c’en est un pour toutes les personnes adoptées à l’étranger à partir du Canada, et c’est cela qui pose problème. C’est cet obstacle qu’il faut éliminer. Le fait de soumettre les personnes adoptées à l’étranger à partir du Canada au critère du lien substantiel est fondamentalement inacceptable et constitue une violation de la Convention de La Haye. Êtes-vous d’accord avec cela? Il s’agit donc également d’une violation de l’article 15 de la Charte.
M. Ball : C’est de la discrimination fondée sur le pays d’origine.
Le sénateur Arnot : Je tenais à ce que cela figure au compte rendu.
Je sais que vous avez vécu 10 ou 15 ans de frustration et d’angoisse incroyables à ce sujet. Il semble que le gouvernement vous force à aller encore une fois devant les tribunaux. Vous ne lui faites pas confiance pour régler les problèmes.
Mme Lanteigne : Un amendement qui serait conforme à la Convention de La Haye consisterait à faire comme au Royaume-Uni, c’est-à-dire se conformer à la Convention de La Haye, de sorte qu’au moment d’accorder la citoyenneté à un enfant adopté à l’étranger à partir du Canada, on ajoute la mention « autrement que par filiation », tout cela signifiant le même traitement pour cet enfant que pour les personnes nées au Canada. Il est impossible que nous obtenions la citoyenneté pour notre fils avant la fin du processus d’adoption parce qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada doit s’assurer que nous respectons la loi, et si IRCC estime que nous ne respectons pas la loi, je perds mon fils; je n’ai plus de fils.
C’est donc dire que le principe selon lequel on peut comparer notre adoption et notre vie familiale à une adoption domestique à l’étranger ou à une naissance d’une mère biologique est déjà complètement injuste. Ils ont érigé un obstacle et nous forcent, soit à parrainer notre enfant dans le cadre du processus de résidence permanente et attendre presque cinq ans avant que la citoyenneté lui soit accordée, soit à passer par l’attribution directe. Il y a donc un coût, peu importe la démarche. Il s’agit déjà d’une violation de la Convention de La Haye. La raison pour laquelle nous n’avons pas choisi la résidence permanente, c’est que si quelque chose était arrivé à Graeme et à moi-même avant que notre fils ait la citoyenneté, il serait apatride. C’est pourquoi nous avons fait cela. Il nous a fallu sept ans et demi pour avoir un enfant, pour avoir notre Nathanael, et notre enfant aurait pu se retrouver apatride, avec des personnes étrangères à ce processus d’adoption, et il aurait pu être renvoyé dans son pays de naissance.
Les enjeux sont très élevés pour nous, et IRCC et Mme Hoang le savent. Cette dernière sait aussi que ce processus est intégré. Il y a des étapes, absolument, ainsi que des pouvoirs juridictionnels, et le gouvernement fédéral ne pourrait jamais procéder à un examen de notre cas et envoyer des travailleurs sociaux chez nous. Graeme et moi avons fait l’objet de trois vérifications d’INTERPOL. Nous avons subi des tests psychologiques. Nos impôts ont été révisés. Nous avons reçu la visite d’un travailleur social pendant sept ans et demi. Nous avons dû nous présenter devant un tribunal en Zambie et obtenir une confirmation du ministère là-bas que tous les documents transférés étaient exacts. Nous avons dû donner du soutien à notre fils pour qu’il soit stabilisé et en sécurité. Puis, lorsque le processus a pris fin, nous avons obtenu l’ordonnance d’adoption, qui a donné lieu à une lettre de non-objection de la part du gouvernement de l’Ontario. Toutes les provinces du pays ont une telle lettre. Nous n’aurions pas été autorisés par IRCC à revenir avec notre enfant sans cela.
Il est donc complètement malhonnête d’agir de façon aussi insensible au nom du gouvernement et d’appliquer le principe selon lequel l’adoption a eu lieu à l’étranger — c’est-à-dire que, tout à coup, nous ne sommes pas considérés comme étant au Canada, nous ne sommes pas considérés comme des Canadiens et nous ne sommes pas considérés comme ayant suivi ce processus très précis. Je dirais, sénateur Arnot, qu’il y a une différence entre quelque chose qui est injuste et une violation de la Charte.
La sénatrice Senior : Je vous remercie de votre présence ici et des précisions que vous avez apportées pour nous, afin que nous puissions comprendre les répercussions.
En répondant à la question du sénateur Arnot, vous avez répondu en partie à la mienne, mais vous avez également dit dans votre déclaration — ou peut-être s’agissait-il d’une réponse — que ce sont les enfants racisés qui souffriront le plus de cette injustice ou de cette contestation. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Mme Lanteigne : La plupart des enfants adoptés à l’étranger proviennent de pays qui ont de multiples défis à relever pour ce qui est d’aider les enfants sur de nombreux fronts. La plupart des enfants adoptés à l’étranger proviennent de milieux racisés, en particulier de pays africains, de la Corée et de la Chine. L’altérisation qui se produit pour les enfants qui sont à la fois adoptés et de couleur — ou d’une ethnie qui, souvent, ne correspond pas à celle de la famille qui les a adoptés — ajoute à leurs difficultés en tant que personnes adoptées. C’est quelque chose qu’il est très important de reconnaître, parce que cela rend beaucoup plus difficile pour eux d’accepter que l’on dise qu’ils ont été adoptés. La réalité, c’est qu’un enfant adopté à l’étranger à partir du Canada ne peut être que né à l’étranger. Cela fait partie des motifs énumérés. Il s’agit bien d’un motif. C’est ce qu’ils sont. Essayer ensuite de les priver de devenir Canadiens, alors que leurs parents les ont adoptés dans un pays signataire de ce très respecté traité international — et les obliger à prouver qu’ils ont un lien avec notre pays —, est profondément répréhensible et est préjudiciable pour notre fils. C’est extrêmement dommageable pour lui et ses camarades adoptés par voie internationale.
Il est aussi tout à fait inutile que l’objectif de ce projet de loi soit atteint, parce que des personnes seront rattrapées par la réalité. Cela touchera mes petits-enfants, s’ils sont nés à l’étranger. À un moment donné, toutes ces règles s’appliqueront à tous les Canadiens s’ils ne reviennent pas au Canada.
Le sénateur Cuzner : J’ai deux questions.
Pourriez-vous nous parler de l’ampleur du problème? Combien d’enfants canadiens sont touchés? La loi a été modifiée en 2009. Cela fait 16 ans. N’y a-t-il pas eu des représentations selon lesquelles le Canada contrevenait à la Convention de La Haye, et autrement, pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas?
Mme Lanteigne : C’est une excellente question.
Nous avons cherché à amener le gouvernement à modifier la loi. Il y a des étapes à suivre lorsque l’on dépose une plainte pour non-conformité d’un pays à La Haye ou auprès de l’ONU. Vous devez en fait prouver que vous avez suivi toutes les étapes et que vous avez toute la documentation pour démontrer l’infraction. Dans notre cas, lorsque nous présenterons une plainte officielle à La Haye, ce que nous sommes déterminés à faire, et que nous déposerons une plainte officielle auprès de l’ONU, elles seront fondées sur notre démarche devant les tribunaux. Tout au long de cette période pendant laquelle nous avons fait des représentations, nous n’avons pas été en mesure d’avoir accès à une très bonne équipe juridique, mais nous en avons finalement une. Nos avocats sont Sujit Choudhry, qui a remporté cette bataille constitutionnelle, et Maureen Silcoff, et nous suivrons toutes les étapes également.
Ce que je dis, c’est que c’est à nous qu’est revenu le fardeau de faire le nécessaire pour essayer d’attirer l’attention du gouvernement. Notre fils aura 10 ans la semaine prochaine, mais les enfants d’une grande partie de notre communauté de parents adoptifs sont plus âgés. Ils en sont là dans leur vie. Nous ne pouvons plus attendre et voir ce gouvernement adopter une position obstinée en choisissant d’être insensible. Les responsables savent qu’ils ont tort, mais c’est un choix. C’est un choix que de faire ce qu’ils font présentement.
Le sénateur Cuzner : En ce qui concerne la portée, combien d’enfants canadiens seraient touchés?
Mme Lanteigne : Je me trompe peut-être, mais je crois qu’il y en a 2 000. Je sais que quelqu’un a parlé de 4 000 personnes, mais je crois qu’il s’agit de 2 000. Je pense que c’est très peu. En ce qui concerne les chiffres fournis par IRCC, il est absolument impossible qu’ils aient ceux qu’ils ont présentés au comité. Ils ne savent pas où les gens vivent après l’adoption. Ce qu’ils font, c’est dire qu’il y a X personnes qui vivent à l’étranger et qui profitent d’une attribution directe, et qu’il y a Y personnes qui sont au pays, qui ont été adoptées au Canada et qui sont ici. Je pense que c’est en fait une meilleure interprétation de ce qu’IRCC essayait de dire avec ses chiffres.
Le sénateur Arnot : C’est moi qui ai mentionné le chiffre de 4 000, mais il m’a été fourni par quelqu’un. Je vais me fier à votre chiffre.
Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire au comité? Je pense que votre témoignage est convaincant et qu’il faut vraiment modifier la loi. J’espère que le comité pourra inciter le gouvernement à le faire. Mais si les responsables adoptent une attitude aussi obtuse que par le passé, nos espoirs sont faibles. Avez-vous d’autres commentaires?
Mme Lanteigne : Une chose m’a profondément marquée pendant toute cette période où nous avons défendu nos droits — et elle est bien illustrée par la rencontre que j’ai eue avec Mme Hoang et deux de ses fonctionnaires qui nous avaient invités. C’était dans le cadre d’une réunion d’information plus générale des parties prenantes. Pendant que j’intervenais, mon micro s’est éteint, et il y a une question que je n’ai pas pu poser. On m’a donc invitée à participer à une autre réunion.
Alors que je présentais des arguments très succincts qui sont fondés en droit — pas seulement en principe, mais en droit —, Mme Hoang m’a demandé si ce qui me préoccupait vraiment au sujet de ce projet de loi, c’était l’incapacité pour mon fils de respecter les critères à son retour à la maison. Je lui ai demandé si la maison c’était chez moi.
Ce projet de loi est imprégné de xénophobie et de racisme. Nous sommes profondément contre ces principes. Je lui ai posé la question à nouveau parce que je croyais qu’elle s’était mal exprimée, mais elle m’a répondu la même chose.
C’est ce qui nous préoccupe. Il ne devrait y avoir aucun danger en ce qui a trait à la transmission de la citoyenneté canadienne à nos petits-enfants par notre fils canadien. Il ne devrait pas être traité différemment des autres Canadiens. C’est une absurdité. Nous ne nous opposons pas à ce que le gouvernement du Canada essaie de trouver une solution pour l’attribution de la citoyenneté, génération après génération. Nous n’avons pas d’objection à cela. Mais nous soutenons que notre fils n’est pas un citoyen de deuxième génération. Il ne fait pas partie de la catégorie « autre ». C’est notre fils, et cette nation est la sienne.
C’est ce que nous essayons de vous démontrer aujourd’hui. Nous sommes atterrés que le Sénat soit placé dans une position où il doit voter pour ce projet de loi qui fera en sorte que des enfants, lorsqu’ils sont au terrain de jeu, se voient rappeler jour après jour dans notre pays qu’ils sont « un genre de Canadiens ». C’est cette administration qui est responsable totalement et ultimement de cela, et c’est plus que décevant.
La sénatrice Coyle : Je m’adresse à vous de nouveau parce que nous voulons vraiment nous assurer de prendre connaissance de tous les aspects. Lorsque j’ai posé des questions à ce sujet, on m’a dit que si le projet de loi devait être modifié pour éliminer l’exigence relative au « lien substantiel » pour que les personnes adoptées à l’étranger puissent obtenir ou transmettre la citoyenneté, cela créerait des situations où les enfants adoptés à l’étranger par des Canadiens bénéficieraient d’un traitement préférentiel comparativement aux enfants nés à l’étranger de parents canadiens.
Avez-vous entendu cet argument? Je suis simplement curieuse, car cela semble très différent de ce que vous dites ici. Quelles raisons IRCC vous a-t-il données pour ne pas inclure le scénario que vous voulez inclure dans le projet de loi C-3?
Mme Lanteigne : Ils diraient la même chose que ce que vous venez de dire, mais le problème, c’est que l’adoption internationale n’est pas nécessairement la même chose que l’adoption à l’étranger fondée au Canada. Notre but est de bien faire comprendre cela au comité.
Nous n’avons aucune idée de la façon dont la Suisse traite les adoptions dans le cas des citoyens canadiens. Une autorisation est obtenue, mais ce n’est pas une autorisation d’adopter un enfant canadien au Canada. Je suis la preuve de l’existence de Nathanael; son père est la preuve de son existence. Nous sommes des Canadiens. Nous sommes sa famille canadienne. Il n’y a pas de critère de lien à respecter. Le critère de lien en soi, qu’il s’agisse de 10 jours, d’un millier d’années ou peu importe, ne s’applique pas à lui. Il n’est pas un émigrant de notre pays. C’est notre fils, notre garçon canadien, et nous sommes une famille canadienne qui vit dans ce pays. C’est pourquoi il s’agit clairement d’une violation de la Charte.
On ne peut pas faire valoir l’argument de la citoyenneté de génération en génération pour des personnes qui ne vivent pas à l’étranger.
La sénatrice Coyle : Merci.
Le sénateur Boudreau : Chaque fois que je pense avoir compris, il y a une autre couche de complexité qui s’ajoute.
Dans les groupes précédents, il a été dit, et je cite librement, que nous voulons traiter les enfants adoptés à l’étranger de la même façon que nous traitons les enfants nés à l’étranger.
C’est essentiellement ce qui a été dit. Votre enfant fait partie de la première catégorie, celle des enfants adoptés à l’étranger.
Mme Lanteigne : Non, monsieur. Nous avons eu recours à l’adoption internationale fondée au Canada. Notre fils est né à l’étranger, mais nous ne l’avons pas adopté à l’étranger. Nous l’avons adopté en Ontario, au Canada. Notre fils doit vivre ici. Il est illégal...
M. Ball : J’ajouterais qu’il faut vivre au Canada pour faire ce genre d’adoption. Les parents qui adoptent à l’étranger adhèrent aux règles nationales du pays dans lequel ils souhaitent adopter. Ce n’est pas ce que nous avons fait. Nous avons adopté au Canada.
Le sénateur Boudreau : D’accord. C’est la nuance que je n’avais pas saisie.
Le sénateur Arnot : C’est une distinction fondamentale qu’IRCC ne reconnaît pas fondamentalement.
Le sénateur Boudreau : C’était juste une nuance, mais cela clarifie les choses pour moi. Merci.
M. Ball : Il a parlé d’un troisième groupe, et nous appartenons à ce troisième groupe.
La présidente : S’il n’y a pas d’autres questions, honorables sénateurs et sénatrices, cela nous amène à la fin de ce troisième groupe. Je remercie M. Chapman, Mme Petrozziello, Mme Lanteigne et M. Ball de leurs témoignages d’aujourd’hui.
Nous allons maintenant passer à notre dernier groupe de témoins. Nous accueillons Bruce Allen, avocat en droit de la citoyenneté et de l’immigration, associé chez Allen & Hodgman, de l’Association canadienne des avocats en immigration; Amandeep S. Hayer, vice-président, Section du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien en Colombie-Britannique, et avocat principal chez Hayer Law; et Andrew Griffith, membre, Environics Institute, et ancien directeur général, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Merci de vous joindre à nous.
Messieurs, vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.
Maître Allen, vous avez la parole. Je vous en prie.
Me Bruce Allen, avocat, droit de la citoyenneté et de l’immigration, associé chez Allen & Hodgman, Association canadienne des avocats en immigration : Bonsoir, honorables sénateurs et sénatrices.
La citoyenneté par filiation a longtemps été un pilier du droit canadien. La Loi concernant la Naturalisation de 1914 prévoyait que les enfants nés à l’extérieur du Canada de pères sujets britanniques étaient des sujets britanniques. En 1947, la première Loi sur la citoyenneté du Canada prévoyait que les enfants de pères citoyens canadiens étaient des citoyens canadiens.
Jusqu’en 2009, il n’y avait pas de limite explicite quant au nombre de générations, mais il y avait beaucoup de restrictions qui empêchaient même la plupart des personnes de première génération d’obtenir la citoyenneté. Il s’agissait notamment de la règle du « père seulement », des règles d’inscription et de conservation et de la perte de citoyenneté causée par la naturalisation à l’étranger. La Loi sur la citoyenneté de 1977 a éliminé la plupart de ces règles, mais n’a pas rétabli la citoyenneté des personnes nées avant 1977. De nombreuses personnes nées après 1977 n’ont pas non plus obtenu la citoyenneté, parce que leur parent né au Canada avait déjà perdu sa citoyenneté.
Les modifications de 2009 ont changé beaucoup de choses, alors que tous les « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » de la première génération sont devenus citoyens canadiens, mais ces modifications limitaient la citoyenneté à la première génération. Les personnes de la deuxième génération et au-delà qui étaient des citoyens avant avril 2009 n’ont pas perdu leur citoyenneté, mais la plupart des personnes de la deuxième génération nées avant 2009 n’ont jamais été des citoyens canadiens et ne le sont pas encore aujourd’hui.
Par exemple, il y a aujourd’hui un nombre incalculable de personnes qui ne sont pas canadiennes parce que leur grand-mère, plutôt que leur grand-père, était leur ancêtre. Ces personnes nées avant 2009 et toutes les personnes de la deuxième génération nées depuis constituent le dernier grand groupe de « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Ils devraient tous devenir des citoyens canadiens maintenant, comme tous ceux qui naîtront à l’avenir de parents citoyens canadiens ayant un lien substantiel avec le Canada. C’est la bonne chose à faire, et c’est une bonne chose pour le Canada.
Mon cabinet d’avocats pratique le droit de la citoyenneté canadienne aux États-Unis et au Canada. Depuis la première élection de Donald Trump, nous avons traité environ 1 000 demandes de citoyenneté pour des personnes nées à l’extérieur du Canada de parents canadiens. La presque totalité d’entre eux sont des citoyens américains. Leur âge varie de nouveau‑né à personne âgée de plus de 90 ans. Presque tous les adultes ont au moins un baccalauréat; bon nombre d’entre eux ont des doctorats, des diplômes en médecine, en droit et d’autres grades supérieurs. Bon nombre d’entre eux se sont démarqués dans les domaines de l’éducation, des arts, de la médecine, des sciences et de l’administration publique. Tous sont motivés par leur identification de longue date au Canada, qui est fondée sur les liens familiaux et le temps passé au pays.
La plupart sont influencés par leur forte appartenance aux valeurs culturelles, morales et politiques canadiennes, y compris les droits des LGBTQ. Ils sont tous anglophones, et beaucoup parlent français. Tous demandent la reconnaissance de leur citoyenneté canadienne pour valider légalement le sentiment d’appartenance qu’ils ressentent depuis longtemps dans leur cœur. Avec leur permission, je vais vous faire part de plusieurs de leurs histoires.
La famille Goodman est composée de Patricia Goodman, 87 ans, née au New Jersey, dont le père est né en Nouvelle-Écosse en 1905, de sa fille Lisa et de David, fils de Lisa. Patricia est une éleveuse de chevaux olympiques reconnue à l’échelle internationale. Lisa a dirigé la lutte pour l’égalité du mariage au Delaware, qui a été couronnée de succès. David est en cours de maîtrise en biodiversité à l’Université d’Oxford. Tous ont présenté une demande de citoyenneté canadienne en vertu de la mesure provisoire.
La famille Rouda comprend Harley Rouda fils, 63 ans, dont le père est né à Toronto, et ses quatre enfants, Harley III, Avery, Shea et Dylan, tous nés en Ohio. Harley Rouda fils est un ancien membre du Congrès des États-Unis d’Amérique. Son fils Harley III travaille dans l’immobilier commercial. Avery est une cinéaste primée. Shea a fondé une entreprise de technologie, et Dylan est un musicien professionnel qui a fait de nombreuses tournées au Canada.
La famille Raab est composée de Patti Raab, dont la mère est née à Niagara Falls, en Ontario, et de ses fils Reilly et Mitchell. Reilly et son épouse détiennent tous deux un doctorat en informatique et espèrent travailler au Canada. Mitchell est spécialisé dans la construction d’ouvrages techniques.
La famille Lin comprend Lola Lin, une avocate naturalisée au Canada en 1974, et son fils Kenzo, maintenant âgé de 18 ans, qui est né au Texas. À la suite d’une visite dans un camp de réfugiés au Monténégro, alors qu’il avait 11 ans, Kenzo est devenu un défenseur des enfants réfugiés et un collecteur de fonds pour eux, dès l’âge de 12 ans, et il poursuit dans cette voie encore aujourd’hui.
La présidente : Maître Allen, merci beaucoup. Je suis certaine que vous aurez l’occasion de nous en dire davantage au sujet de ces familles.
Maître Hayer, veuillez commencer votre déclaration préliminaire.
[Français]
Me Amandeep S. Hayer, vice-président, Section du droit de l’immigration (ABC-C.-B.) et avocat principal, Hayer Law, Association du Barreau canadien : Honorables sénateurs et sénatrices, merci de m’avoir invité ici aujourd’hui.
[Traduction]
Je suis avocat principal chez Hayer Law et vice-président de la Section du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien en Colombie-Britannique.
Je pratique sur les territoires traditionnels et non cédés des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. Je comparais aujourd’hui au nom de la section nationale de l’Association du Barreau canadien pour défendre ce projet de loi et recommander d’autres améliorations. La section que je représente appuie l’amendement visant à créer une voie d’accès à la citoyenneté canadienne pour ceux qui ont des liens avec ce pays. Nous sommes heureux de constater que le projet de loi s’aligne en grande partie sur nos recommandations visant à utiliser un critère fondé sur la résidence, comme c’est le cas aux États-Unis. Cependant, nous voulions cerner certains enjeux restants, dont certains ont déjà fait l’objet de discussions.
Le premier de ces enjeux concerne la discrimination fondée sur le sexe. Honorables sénateurs et sénatrices, notre société a fait beaucoup de progrès dans ce dossier. Il n’y a pas d’endroit plus représentatif de cela que cette chambre, où la moitié des membres sont maintenant des femmes et à l’extérieur de laquelle se trouvent les statues de cinq femmes qui se sont battues pour le droit de la toute première femme à siéger à la Chambre. Mais il y a une réalité troublante. La loi même qui définit notre identité en tant que peuple continue de faire l’objet d’une grande discrimination fondée sur le sexe et l’état matrimonial, comme mon collègue vient de le dire.
Bien que ce projet de loi aille dans la bonne direction, et nous avons bon espoir qu’il s’agira peut-être de la première véritable tentative en vue de créer une Loi sur la citoyenneté non sexiste, je tiens à souligner que des problèmes pourraient encore surgir au fur et à mesure que nous avançons, en particulier des références aux anciennes dispositions législatives depuis longtemps caduques, notamment la loi de 46 et celle de 49. Ces lois reposent dans une très large mesure sur l’hypothèse que les femmes ne sont pas à égalité pour ce qui est de leur citoyenneté. Par exemple, les femmes mariées ne peuvent pas transmettre leur citoyenneté à leur enfant si celui-ci est né à l’étranger d’un parent ressortissant étranger.
Nous faisons donc deux recommandations. Premièrement, le Parlement devrait se demander s’il est même nécessaire de faire référence aux anciennes dispositions législatives. Le Sénat a fait exactement cette référence, il y a déjà un certain temps, en 2009. Nous croyons qu’il est possible d’atteindre bon nombre des objectifs mentionnés dans les anciennes dispositions législatives en supprimant cette référence. Lorsqu’une telle référence est nécessaire, il devrait y avoir une sorte de directive d’interprétation claire disant que c’est ainsi qu’on peut prévenir la réapparition de la discrimination fondée sur le sexe.
Cela irait dans le sens des objectifs du projet de loi, qui visent non seulement à créer l’égalité entre les sexes, mais aussi à éliminer le problème de longue date des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Cela va également dans le sens de notre recommandation générale d’arrêter d’utiliser un langage complexe et d’adopter une loi très simple, cohérente et facile à comprendre. À notre avis, il ne devrait pas falloir un diplôme en droit pour déterminer que l’on est Canadien.
Il y a une deuxième lacune, qui a été abordée à quelques reprises ici, et c’est le traitement inégal des enfants adoptés par des citoyens canadiens. On en a déjà discuté ici, mais j’aimerais aborder la question sous un angle différent. L’un des problèmes qui se posent, c’est que pour quelqu’un qui est adopté en tant que citoyen canadien, contrairement à l’enfant d’un citoyen canadien né à l’étranger, la date d’entrée en vigueur de la citoyenneté est la date à laquelle la demande est approuvée. Si vous êtes un Canadien né à l’étranger, la date d’entrée en vigueur de votre citoyenneté est votre date de naissance.
Cela peut être un problème parce que beaucoup de gens viennent nous voir plus tard dans la vie pour demander la citoyenneté canadienne. Si vous êtes naturalisé, cela ne pose pas de problème. Tous vos enfants nés par la suite peuvent être admissibles à la citoyenneté canadienne, en supposant qu’ils répondent à tous les critères nécessaires, mais cela est refusé de façon permanente à ceux qui sont adoptés parce que, dans ces cas-là, ces enfants sont nés avant que la demande soit approuvée. Étant donné qu’ils sont nés avant que la demande soit approuvée, la date d’entrée en vigueur de leur citoyenneté est celle de l’approbation. C’est pourquoi nous demandons l’adoption du même processus que celui utilisé dans des pays pairs, les États-Unis et le Royaume-Uni, comme on l’a mentionné, où la citoyenneté par adoption entre en vigueur à la date de naissance de l’enfant. Je tiens également à souligner que même cette disposition précise contrevient à l’article 15 de la Charte parce qu’elle traite les enfants biologiques et les enfants adoptés différemment.
Enfin, à mon avis, un tel changement nous mettrait en conformité avec la Charte et les normes internationales. Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de vous faire part de nos préoccupations, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, maître Hayer. Monsieur Griffith, vous avez la parole. Je vous en prie.
Andrew Griffith, membre, Environics Institute, et ancien directeur général, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, à titre personnel : Je suis heureux d’être de retour ici. Comme vous vous en souviendrez peut-être, dans mon exposé précédent devant le comité, j’ai mis l’accent sur l’absence de limite en ce qui a trait aux 1 095 jours nécessaires pour satisfaire à l’exigence de résidence, ce qui nuit à la détermination d’un lien substantiel avec le Canada.
Par la suite, ce comité a évidemment accepté l’approche du gouvernement de ne pas imposer de limite de temps. Cependant, bien que le Comité de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre ait apporté un certain nombre de changements au projet de loi C-3, le gouvernement a choisi de revenir au projet de loi initial, comme il en avait le droit. C’était logique en ce qui concerne le retrait des amendements du comité de la Chambre exigeant une évaluation de la langue et des connaissances, ainsi que des vérifications des antécédents criminels et des vérifications de sécurité. La deuxième génération, comme la première génération née à l’étranger, revendique un droit, et il ne s’agit pas de résidents permanents qui demandent la citoyenneté.
Cependant, deux amendements apportés par le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes ont amélioré le projet de loi, à mon avis. Le premier prévoit que l’exigence de résidence de 1 095 jours soit cumulative, mais au cours d’une période de cinq ans précédant la naissance de l’enfant. Cela répondait à mes principales préoccupations concernant la difficulté pour les demandeurs et IRCC d’appliquer le projet de loi C-3, ainsi que la création d’un critère de lien plus solide. Le délai de traitement des preuves de citoyenneté est déjà passé de cinq à neuf mois avant la mise en œuvre du projet de loi C-3. À mon avis, il serait irresponsable d’imposer le fardeau administratif supplémentaire de calculer 1 095 jours de résidence sur toute une vie, plutôt que sur cinq ans, à un ministère qui a déjà du mal à respecter les normes de service. Le deuxième amendement exige un rapport annuel sur le nombre de personnes qui obtiennent la citoyenneté grâce aux dispositions du projet de loi. Cela est nécessaire pour assurer la reddition de comptes et veiller à ce que le projet de loi fonctionne. Dans son éditorial du 3 novembre, le Globe and Mail a plaidé de façon convaincante pour le rétablissement de ces deux dispositions. Les témoignages de la ministre et de ses fonctionnaires en octobre, et en grande partie ceux d’aujourd’hui, ont démontré la faiblesse générale des données présentées et la confusion apparente quant à l’existence de contrôles à la sortie, ceux-ci semblant inexistants. La fourniture de données est donc particulièrement importante.
De plus, IRCC n’a présenté aucune analyse du nombre de personnes susceptibles de présenter une demande dans le cadre du processus simplifié de renonciation ni des coûts connexes. Nous savons qu’à ce jour, IRCC a reçu environ 4 200 demandes de personnes de la deuxième génération née à l’étranger. Idéalement, grâce à cet échantillon important, IRCC peut partager les caractéristiques du demandeur, le sexe, l’âge, le pays de résidence et l’origine. Il peut effectuer une analyse pour déterminer combien de ces personnes seraient visées par la limite de cinq ans ou celle supérieure à cinq ans. En fait, je m’attends à ce que la plupart des personnes qui présentent une demande aient déjà un lien substantiel avec le Canada, à ce qu’il soit probablement facile pour elles de respecter la limite de cinq ans, et à ce qu’elles puissent déposer les documents à la satisfaction d’IRCC.
Il existe un enjeu connexe, à savoir le processus simplifié de renonciation à la citoyenneté canadienne qui, encore une fois pour des raisons de reddition de comptes, devrait faire partie du rapport annuel.
En conclusion, j’ai trois recommandations à formuler. D’abord — et je répète que nous n’aurons peut-être pas le temps de le faire —, IRCC devrait effectuer une analyse des demandes en attente en fonction de toutes ces variables, afin que vous sachiez qui est susceptible de présenter une demande, parce que cela représente un gros échantillon. Deuxièmement, les sénateurs devraient envisager de renvoyer le projet de loi C-3 avec les mêmes recommandations concernant la limite de cinq ans et la déclaration annuelle des données. Troisièmement, les sénateurs devraient exiger un rapport annuel qui inclurait le nombre de demandeurs et leur pays de résidence, dans le cadre du processus simplifié de renonciation. Je vous remercie de votre attention.
[Français]
Je serai heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur Griffith. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité.
La sénatrice Osler : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Griffith, et elle comporte deux volets. Dans votre mémoire, vous mentionnez qu’IRCC doit communiquer des données sur les demandes reçues à ce jour, et vous avez mentionné le sexe, l’âge, ainsi que le pays de résidence ou d’origine.
Ma première question est la suivante : y a-t-il d’autres données qui, selon vous, devraient être recueillies, analysées et partagées? La deuxième partie de ma question est la suivante : comme vous l’avez dit dans votre témoignage sur le projet de loi C-71 et dans votre mémoire sur le projet de loi C-3, vous recommandez le rétablissement de la limite de cinq ans pour les 1 095 jours de présence effective. Pourquoi cette limite est-elle essentielle, et quels risques pourraient survenir si cette période cumulative illimitée était maintenue dans le projet de loi C-3?
M. Griffith : Eh bien, pour ce qui est de la première question, j’ai décidé de choisir les variables les plus importantes. Il faut du temps pour recueillir des données et les analyser, alors j’ai pensé que ce sont celles-là qui étaient essentielles. Il y en a peut-être d’autres que j’ai laissées de côté, mais je pensais que cela donnerait au comité une très bonne idée des personnes concernées.
Pour ce qui est de la limite de cinq ans, je suppose que l’une des choses que nous avons apprises au cours des dernières années, c’est que lorsqu’il n’y a pas de limites imposées à IRCC, ou lorsqu’il n’y a pas de gestion étroite, on se retrouve dans des situations où les chiffres explosent, et tout à coup cela pose des problèmes à des gens. En général, du point de vue de l’administration publique, c’est bien de ne pas avoir d’engagements illimités, parce que vous ne savez pas nécessairement où cela va mener.
Même si la grande majorité des gens qui ont présenté une demande respectent probablement la limite de cinq ans, il y aura certaines exceptions. Par exemple, nous savons qu’il y a des gens qui passent leurs vacances dans des chalets, qui prennent des vacances l’été, alors faisons le calcul. Il faut respecter une période de trois ans, ou 36 mois. Donc si vous vous absentez un mois par année, cela fait 36 ans. Si vous vous absentez deux mois par année, cela fait 18 ans, ce qui est plus difficile à documenter pour les gens. Cela rend également plus difficile pour IRCC de faire un suivi régulier.
De façon générale, je crois aussi qu’une période plus concentrée de temps passé au Canada équivaut probablement à un lien plus substantiel qu’une période étalée sur de nombreuses années, parce que les vacances représentent une occasion de lien avec la famille, avec des amis et avec un endroit, mais je ne pense pas que ce lien soit aussi profond. Il se peut que des gens soient en désaccord avec cela, mais d’un point de vue administratif, je pense que c’est quelque chose qu’il faut garder à l’esprit.
La sénatrice Osler : D’un point de vue administratif, le fait d’avoir cette limite de cinq ans pour accumuler les 1 095 jours faciliterait l’administration. Est-ce bien ce que j’entends?
M. Griffith : Je pense qu’une période de cinq ans est raisonnable, parce que, d’après mes anciens homologues, le nombre de jours a été choisi pour correspondre à l’exigence relative à la citoyenneté, et je crois que la même logique devrait s’appliquer également à la limite.
La différence, c’est que pour qu’une personne puisse devenir citoyenne canadienne, il faut que la période de cinq ans précède immédiatement la demande, alors que cela pourrait être n’importe quelle période. Donc, théoriquement, elle pourrait être respectée, oui.
La sénatrice Hay : Merci à tous d’être ici. J’aimerais me concentrer sur les risques et l’atténuation des risques, sur les vulnérabilités potentielles du projet de loi C-3 qui pourraient mener à d’autres litiges ou contestations, constitutionnels et autres. Donc, lorsque je pense à l’atténuation des risques, je pense aux coûts, mais aussi aux perturbations et à la réputation du Canada, ainsi qu’à un plus grand traumatisme pour les familles et les collectivités.
J’aimerais donc que vous nous disiez ce qui pourrait arriver au groupe 3, celui de l’adoption internationale sans amendement au projet de loi C-3 dans sa forme actuelle. Comment voyez-vous cela? Quelle est votre opinion à ce sujet?
Me Hayer : Je dirais qu’il y a toujours ce problème sous‑jacent qui finira par surgir. Dans cette optique, je crois que c’est maintenant la quatrième fois que ce comité aborde la question de la citoyenneté et intègre cette inégalité si profonde dans la loi. Le fait de revenir sans cesse essayer de réécrire ce projet de loi a un effet négatif sur la psyché canadienne, tout comme les changements constants à la loi sur le prétexte qu’un problème ou un autre se pose.
Nous avons également entendu le groupe qui conteste la loi. Les litiges sont très épuisants. Je peux parler d’expérience. Ces démarches usent. Si nous devions proposer un amendement et le faire adopter, nous pourrions enfin commencer à régler certains des problèmes qui affligent la Loi sur la citoyenneté depuis si longtemps.
Me Allen : J’ai écouté — comme vous l’avez tous fait — les témoignages très convaincants des personnes touchées par le traitement différent réservé aux personnes adoptées, tant en ce qui concerne leur capacité de transmettre la citoyenneté que le fait qu’elles n’obtiennent la citoyenneté que par attribution, ce qui peut survenir assez tard dans la vie. Je suis d’accord pour dire qu’il faut régler ce problème. Comme je l’ai mentionné, il y a des dizaines de milliers de cas très convaincants de personnes qui ont des liens substantiels avec le Canada et qui ont besoin que ce projet de loi entre en vigueur, afin de pouvoir revendiquer leur citoyenneté. Nous avons deux mois. La date limite fixée par le tribunal a été reportée au 20 janvier. S’il y avait moyen d’en arriver à un consensus au cours de cette période, ce serait merveilleux.
La sénatrice McPhedran : Merci, messieurs, d’être là et de nous faire profiter de vos compétences juridiques.
Comme vous êtes présents dans la salle depuis un moment, vous aurez remarqué mon intérêt pour l’arrêt Power et entendu la déclaration des fonctionnaires d’IRCC voulant que le ministère de la Justice les ait assurés que le projet de loi respecte toutes les normes de la Charte. Je m’intéresse particulièrement à l’analyse comparative entre les sexes qui est intégrée à cette mesure.
Fait intéressant, le ministère de la Justice semblait penser que le texte est tout à fait acceptable. Qu’avez-vous à dire de l’arrêt Power et de l’analyse en fonction de la Charte?
Me Hayer : Je vais attirer votre attention sur deux dispositions, les alinéas 3(1)q) et 3(1)r). Ils portent sur les personnes nées à l’extérieur de Terre-Neuve-et-Labrador au Canada avant le 1er janvier 1947 d’un parent qui est devenu citoyen canadien à cette date, et ils renvoient précisément à la Loi sur la citoyenneté de 1946. Or, l’alinéa r) indique l’année 1949 pour Terre-Neuve. Si je soulève cette question, c’est que, à la lecture de la loi, dont vous avez lu précisément les dispositions sur l’attribution de la citoyenneté, on constate qu’elles visent exclusivement les enfants de pères mariés et de femmes non mariées. C’est un exemple très facile. Pouvons-nous intégrer ce genre de disposition?
J’ai cependant remarqué dans ma pratique qu’habituellement, lorsque ces articles sont interprétés, ils le sont à la lumière d’articles précédents dans lesquels les personnes sont considérées rétroactivement comme des citoyens en vertu d’autres articles, les dates étant le 1er janvier 1947 ou le 1er avril 1949, et ils sont interprétés d’une certaine façon. À ce stade-ci, lorsque nous interprétons la loi, nous ne devrions vraiment pas courir ce risque. Nous ne devrions pas compter sur le gouvernement pour adopter une certaine interprétation, alors que les dispositions pourraient en recevoir une autre.
Je reviens en arrière. La première fois que la question a été soulevée, c’était en 1997, et j’avais alors 10 ans. C’était la même chose. Lorsque nous appliquons rétroactivement ces anciennes lois, nous incorporons par inadvertance leurs valeurs, et nous ne savons pas trop pourquoi nous en arrivons à des résultats variables.
La sénatrice McPhedran : Y a-t-il assez de temps pour que d’autres témoins répondent?
La présidente : Il nous reste une minute et 30 secondes.
M. Griffith : Au sujet de l’analyse comparative entre les sexes? C’était au début de mon mandat au gouvernement. Je crois me souvenir que c’était un processus assez rigoureux, mais je n’ai pas pris connaissance de cette analyse portant sur le projet de loi.
La sénatrice McPhedran : Qu’en est-il de la Charte de manière plus générale?
M. Griffith : À propos de la Charte, je me suis toujours fié à l’avis des avocats du ministère de la Justice parce qu’ils ont des compétences plus poussées en la matière. À mon avis de profane, le projet de loi devrait être conforme à la Charte. C’est une mesure raisonnable qui porte sur la résidence. Une limite de cinq ans ne changerait rien. Je ne suis pas avocat, mais j’ai cette impression parce que nous ne disons pas qu’il n’y a aucune restriction et qu’on peut supposer que le gouvernement, dans son analyse, dirait qu’il est légitime d’avoir une restriction, tout comme nous avons des restrictions dans d’autres domaines.
La sénatrice McPhedran : Maître Allen, quel est votre avis?
Me Allen : La principale considération de l’arrêt Bjorkquist était l’impact énorme que la règle actuelle de première génération a sur les femmes, car ce sont les femmes qui donnent naissance et ce sont les femmes qui doivent revenir au Canada pour s’assurer que leurs enfants auront la citoyenneté. De ce point de vue, le projet de loi C-3 constitue un énorme progrès. C’est un thème qui revient sans cesse. En même temps, je pense que la mesure sera contestée. Il est certain que le projet de loi crée une énorme discrimination à l’égard des enfants nés après son entrée en vigueur, car les parents devront respecter un critère extrêmement rigoureux et, selon notre expérience, très peu d’entre eux y arriveront.
Vous venez de l’entendre. À coups de deux semaines passées dans un chalet, il faut y aller pendant plus de 70 ans pour respecter le critère. Et n’oubliez pas que c’est avant la naissance du premier enfant. Il y a donc très peu de gens qui vont respecter cette exigence parce qu’il s’agit de personnes dont les parents sont nés à l’étranger, qui sont eux-mêmes nés à l’étranger et qui, généralement, vivent à l’étranger. Par contre, une énorme population de personnes qui sont actuellement de deuxième génération et au-delà, dont bon nombre auxquelles j’ai fait allusion, seront des citoyens en vertu de cette loi.
Ces questions seront certainement examinées de près lorsque le projet de loi entrera en vigueur. C’est deux poids, deux mesures. Nous n’avons pas eu beaucoup d’explications sur la raison exacte de cette distinction. Nous allons certainement faire cette constatation, et des questions constitutionnelles importantes vont surgir.
La sénatrice Coyle : Merci à tous les témoins. Heureuse de vous revoir, monsieur Griffith. J’ai une bonne idée des amendements que vous souhaitez, monsieur Griffith. Maîtres Allen et Hayer, je ne suis pas sûre de comprendre parfaitement. Je pensais que Me Allen ne demandait pas d’amendements, mais vous y avez peut-être réfléchi. Maître Hayer, vous avez parlé de lignes directrices claires pour guider l’interprétation. Elles pourraient figurer dans un règlement d’application. Vous voulez qu’on mette de l’ordre dans la loi, que le libellé soit clair. Ce sont les prochaines étapes. Quant aux enfants adoptés, cependant, je me demande si vous vouliez proposer un amendement précis. Maître Allen, j’ai peut-être mal interprété vos propos.
Me Hayer : Voici ce que j’ai à dire. L’année dernière, j’ai formulé une recommandation à propos du projet de loi C-71. J’apporterais des amendements à l’alinéa 3(1)b). Toute personne née à l’étranger après le 14 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance est citoyen canadien. J’abrogerais la partie de l’article 5, qui porte sur la naturalisation des enfants adoptés, et je l’insérerais à l’alinéa 3(1)b) : « Au moment de sa naissance ou de son adoption, un de ses parents était citoyen canadien ». Il faudrait assurer la neutralité de genre. Cela réglerait plus ou moins beaucoup de problèmes. J’ajouterais aussi au paragraphe : « pourvu que l’adoption soit conforme aux obligations du Canada en vertu de la Convention de La Haye ». Cela réglerait bon nombre des problèmes qui ont surgi.
Il faudra peut-être aussi passer en revue d’autres paragraphes qui s’appliquaient avant le 15 février 1977 et permettre aux enfants adoptés d’être inclus également. Il pourrait s’agir d’un autre amendement disant « ce qui précède s’étend aux enfants adoptés ». Cela réglerait beaucoup de problèmes.
Pour ce qui est de mettre de l’ordre dans le texte, j’ignore si cela peut se faire cette fois-ci. À un moment donné, le Sénat devra se demander pourquoi nous renvoyons à des textes dans lesquels les femmes ne sont pas considérées comme égales aux hommes et les hommes sont considérés comme le chef du ménage.
Dans la mesure du possible, nous devrions supprimer ces renvois et dire plutôt « quiconque est citoyen canadien ». Par exemple, au lieu de renvoyer à la Loi sur la citoyenneté, nous pourrions dire simplement : toute personne qui était citoyen canadien le 1er janvier 1947.
Me Allen : C’est vrai. Le message que je voulais transmettre ici est fondé sur notre expérience auprès d’un grand nombre de ces personnes et sur les avantages que le Canada pourrait tirer de leur accueil dans notre société comme concitoyens.
J’ai suivi le débat, qui a été long et exhaustif à la Chambre des communes, et j’ai vu ces gens être constamment qualifiés de Canadiens de complaisance, de personnes n’ayant aucun lien avec le Canada.
Je tenais à venir vous dire que ce n’est pas vrai. Ils sont notre chair et notre sang. Ils sont le meilleur de notre passé et l’espoir de notre avenir. Je considère le projet de loi C-3 comme un énorme progrès.
Maintenant, si j’avais été ici il y a un an et si j’avais été invité à rédiger le texte... Je vois dans le libellé des problèmes qui sont minimes auprès de ce que nous avons à gagner. C’est surtout cela que je voulais dire.
Je suis d’accord sur les deux points soulevés par Me Hayer au sujet des enfants adoptés. Ce serait utile. Je pense aussi qu’il y a un problème du fait que la loi actuelle sur la citoyenneté a été rédigée en fonction d’un accès limité à la citoyenneté par filiation. Cette loi comprend des passages qui risquent de susciter des problèmes relativement aux parents décédés.
La présidente : Merci, maître Allen.
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Me Hayer. Maître, vous représentez l’Association du Barreau canadien, qui compte environ 40 000 membres au Canada. Sauf erreur, vous dites que le projet de loi est imparfait et qu’il y a une nette violation de l’article 15 de la Charte. La dernière fois que vous avez comparu, vous avez dit que vous aviez une ébauche de réclamation sur cette question.
Me Hayer : J’ai une réclamation possible, je suis prêt à plaider.
Le sénateur Arnot : Je suis prêt à parier que le projet de loi présente un risque de contestation de 1 000 %, n’est-ce pas?
Me Hayer : Oui.
Le sénateur Arnot : Je m’adresse à quiconque voudrait répondre. Encourageriez-vous le comité à faire une étude approfondie de cette question et à essayer de régler le problème des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » une fois pour toutes? C’est très important. Il faut agir en légiférant. Seriez‑vous en faveur d’une étude de cette nature qui serait réalisée par le comité?
Nous allons adopter le projet de loi. Nous serons obligés de l’adopter demain à 19 heures environ, sans amendement. Le ministre et bien d’autres nous ont dit que le projet de loi est voué à disparaître si nous ne l’adoptions pas. Nous devons donc l’adopter malgré ses lacunes.
Il y a toute une cohorte d’environ 2 000 personnes qui seront lésées par l’adoption du projet de loi. Avez-vous quelque chose à dire?
Me Hayer : Oui. Je ne veux pas parler du processus législatif. Ce n’est pas mon domaine de compétence. Je m’en remets à vous.
La question a été soulevée à plusieurs reprises. La première tentative du Parlement a été l’adoption de l’actuelle Loi sur la citoyenneté, le 15 février 1977.
Puis, la Cour suprême du Canada a déclaré en 1997, dans l’arrêt Benner, que la discrimination sexuelle est extrêmement présente dans cette loi. Puis, en 2009, il y a eu un projet de loi, dont j’ai oublié le nom exact, puis des modifications en 2009 et 2015. Nous essayons de régler ce problème depuis avant même ma naissance.
Le moment est venu de revoir enfin la Loi sur la citoyenneté et de chercher comment nous pouvons en arriver à un texte vraiment non sexiste qui utilise un critère objectif, et non des lignes de démarcation arbitraires, mais qui reflète les réalités de la personne ordinaire. C’est ainsi qu’il faut aborder les choses.
Nous devons aussi nous demander si les lois du passé incarnent nos valeurs actuelles. Sinon, nous pouvons nous en passer.
Tous les pays du monde ont une disposition sur la citoyenneté par filiation. Rares sont ceux dont les lois renvoient à des textes législatifs anciens. C’est très clair dans la loi américaine qui ne renvoie jamais à des lois anciennes. À l’évidence, il y a un critère clairement défini qui est à la fois objectif et clair. C’est ce dont nous avons besoin.
La sénatrice Muggli : Les contestations peuvent prendre un certain temps, mais je ne sais pas combien. Dans l’intervalle, pensez-vous, maîtres Allen et Hayer, qu’un projet de loi d’initiative parlementaire — je ne prétends pas qu’il ne prendrait pas plus de temps encore — pourrait être un moyen de s’occuper du troisième groupe, celui des enfants adoptés à l’étranger? Peut‑on appliquer des politiques ou des règlements pour aider ce groupe?
Me Hayer : Tant que les dispositions sur l’adoption rattachées à celles qui portent sur la naturalisation s’appliqueront, plutôt que l’article 3 qui prévoit l’attribution automatique de la citoyenneté à la naissance, un problème risque de surgir un jour. Il y aura des contestations.
Le processus législatif ne m’est pas très familier, je le répète, et je ne veux donc pas trop entrer dans les détails. Je dirais que nous avons l’occasion, si nous amendons le projet de loi maintenant, de régler au moins une de ces grandes questions et d’ouvrir une avenue au lieu d’obliger les gens à s’adresser aux tribunaux.
Je dirai d’abord que la Cour fédérale est engorgée. Pourquoi alourdissons-nous son fardeau, alors que le Parlement peut agir? C’est là qu’il faut rédiger et interpréter les lois. On ne devrait pas compter sur les tribunaux pour constamment pousser le Parlement dans la bonne direction.
La sénatrice Muggli : Maître Allen, entrevoyez-vous la possibilité de recourir à un règlement ou à une politique pour aider ce groupe entre-temps?
Me Allen : Non. C’est une question d’ordre législatif. Il y aura des contestations. C’est le message que lance aujourd’hui l’équipe juridique qui a eu gain de cause dans l’affaire Bjorkquist. Il est certain qu’on en arrivera là.
D’après ce que nous avons entendu aujourd’hui, le gouvernement est convaincu de la justesse de son interprétation du cadre actuel. Nous n’avons pas entendu beaucoup de tergiversations à ce sujet. Ce sont une contestation ou l’élaboration d’une nouvelle loi qui vont régler ce problème. Cet élément est indissociable de la loi. Ou bien les tribunaux vont se prononcer, ou bien le Parlement apportera des modifications.
La sénatrice Muggli : Voulez-vous répondre, monsieur Griffith?
M. Griffith : La question relève du législatif. À mon avis de profane, il faut une solution d’ordre législatif. L’autre point qui a été soulevé à plusieurs reprises au comité — non seulement pendant la session en cours, mais aussi pendant des sessions antérieures —, c’est qu’il faut reprendre complètement la rédaction du projet de loi. Même les avocats ont du mal à le lire. Les autres, que le ciel leur vienne en aide. C’est ce qu’a dit mon collègue d’IRCC. Ce n’est pas sur l’écran radar parce que le ministère est tellement pris par d’autres choses. Ce n’est pas une priorité.
Si nous voulons prendre la citoyenneté plus au sérieux, il y a un certain nombre de choses que nous pouvons faire. Par exemple, il serait vraiment bon d’examiner l’intégralité de la Loi sur la citoyenneté et d’en rédiger une nouvelle version débarrassée de tous les anachronismes et des formulations anciennes, une loi moderne et lisible qui soit à l’image de la situation actuelle du Canada et de l’orientation qu’il devrait prendre.
La sénatrice Muggli : Une étude, en quelque sorte. Merci.
Le sénateur Cuzner : J’ai vécu à Fort McMurray pendant 10 ans, et la seule chose que j’y ai perdue, c’est mon accent du Cap-Breton, mais je n’ai pas perdu ma citoyenneté du Cap-Breton. Je ne rentrais chez moi que deux semaines l’été, et dans une bonne année, j’y rentrais deux semaines à Noël.
Il est difficile de limiter à cinq ans la période pendant laquelle il faut accumuler 1 095 jours. La région que je représente — nos gens de métier vont partout dans le monde pour travailler à certains des plus grands projets de construction, et ils travaillent pendant six ou huit mois à la fois. Il est difficile d’accumuler ce nombre de jours. J’appuie l’approche qui a été adoptée.
Pour ce qui est de s’assurer qu’ils passent la période voulue au Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada n’est-elle pas actuellement en mesure de suivre les allées et venues des gens? Chaque fois que quiconque franchit la frontière, elle scanne le passeport pour savoir quand il entre au Canada ou le quitte. Ces données ne devraient-elles pas suffire à confirmer le chiffre de 1 095 jours, ou faut-il plus de données encore?
M. Griffith : Permettez-moi de commencer par la première question.
Quand on s’interroge sur la période de cinq ans, il faut tenir compte de la durée de vie. Au cours de la vie active d’un adulte, il peut être difficile d’y arriver à cause des déplacements, mais on peut présumer qu’un bon nombre de ces personnes ont passé du temps au Canada pendant l’enfance ou les études, si bien que le nombre réel de personnes touchées... Je songe à l’exemple des pilotes de ligne qu’a donné Don Chapman. Il y a d’autres personnes qui sont dans une situation comparable.
Il faut tenir compte de la durée de la vie. Bien des gens auront passé leur enfance au Canada et respecteront donc les critères de trois et cinq ans, mais il est probable que certains ne les respecteront pas. Voilà pourquoi, entre autres raisons, je demandais une analyse des 4 200 demandes. Il devrait être possible de faire cette évaluation. Est-ce 90 % d’entre eux qui peuvent respecter les critères? Ce sont là des renseignements importants.
J’ai oublié votre deuxième question.
Le sénateur Cuzner : L’Agence des services frontaliers du Canada assure...
M. Griffith : Le contrôle des entrées et des sorties. D’après ce que je comprends, en théorie, l’ASFC devrait avoir des chiffres, mais je n’ai pas vu d’ensembles de données publiques qui permettent vraiment d’exercer un suivi. J’ai des gens qui ont travaillé à ce dossier avec Statistique Canada, et ils me disent qu’il y a des problèmes de données.
Théoriquement, oui, cela devrait se faire, mais pour moi, le critère sera la publication, par Statistique Canada ou l’ASFC, de données mensuelles sur... L’un ou l’autre pourront donner des chiffres.
D’après ce que j’ai compris, cela s’en vient, mais je ne pense pas que nous en soyons encore là.
Me Hayer : Je veux simplement souligner l’historique des déplacements.
L’une des premières choses que nous faisons dans notre bureau avant de demander à quelqu’un de renouveler sa carte de résident permanent ou de demander la citoyenneté canadienne par le processus habituel de naturalisation, c’est d’obtenir le relevé de ses déplacements auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada. Nous nous procurons également le formulaire I-94, ce qui prend environ cinq secondes. Nous pouvons l’obtenir à partir de là, et comme la plupart des pays tiennent maintenant des dossiers complets, nous avons commencé à nous les procurer.
Les dossiers sont disponibles. Ils sont très facilement accessibles. Si nous avons de la chance, nous obtenons habituellement les dossiers de l’Agence des services frontaliers du Canada dans un délai de six à huit semaines, ceux des États-Unis dans un délai de cinq minutes, et la plupart des pays peuvent les produire en moins d’un mois. Si c’est une préoccupation, les données sont là. Elles existent. Elles sont très faciles d’accès.
La présidente : Comme il n’y a pas d’autres questions, nous allons mettre fin à la séance.
Chers collègues, la séance qui s’achève met fin aux témoignages au programme au sujet du projet de loi. La prochaine séance, qui aura lieu demain matin à 8 h 30, sera consacrée à l’étude article par article du projet de loi.
Veuillez noter que la prochaine séance ne se tiendra pas dans la salle habituelle du comité, mais plutôt dans la salle W120 de l’édifice Wellington.
(La séance est levée.)