LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 28 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications s’est réuni aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le maintien des services de transport en cas de perturbations du travail.
Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Honorables sénateurs et sénatrices, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Avant de commencer, veuillez jeter un coup d’œil sur les cartes disposées sur les tables dans la salle du comité, afin de prendre connaissance de quelques consignes visant à prévenir les incidents acoustiques.
Gardez votre oreillette éloignée de tous les microphones en tout temps. Ne touchez pas aux microphones. Leur activation et leur désactivation sont contrôlées par l’opérateur de la console. Enfin, évitez de manipuler votre oreillette lorsque le microphone est activé. Elle doit rester dans votre oreille ou être placée sur l’autocollant apposé sur la table devant vous. Je vous remercie tous de votre collaboration.
Je m’appelle Larry Smith. Je suis un sénateur du Québec et le président du comité. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter.
La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
Le sénateur Wilson : Duncan Wilson, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Mohamed : Farah Mohamed, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Hay : Katherine Hay, de l’Ontario.
Le sénateur Lewis : Todd Lewis, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le président : Merci, chers collègues. J’aimerais souhaiter la bienvenue aux gens présents ici aujourd’hui, ainsi qu’à tous ceux et celles qui nous écoutent en ligne sur sencanada.ca.
Nous nous réunissons aujourd’hui pour commencer notre étude sur le maintien des services de transport en cas de perturbations du travail.
J’aimerais maintenant vous présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons Paul Champ, avocat, Champ et Associés, et Ian Lee, professeur adjoint, Sprott School of Business, Université Carleton.
Merci à vous deux d’être ici avec nous aujourd’hui.
Nous allons commencer par une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes de la part des témoins, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs.
J’invite maintenant Me Champ à faire sa déclaration préliminaire.
Paul Champ, avocat, Champ et Associés, à titre personnel : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs et sénatrices. Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui sur la question que vous étudiez. Je suis un avocat spécialisé en droit du travail et en droit constitutionnel, et j’ai représenté des particuliers et des syndicats pendant plus de 25 ans devant des arbitres, des commissions du travail et des tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada. J’ai comparu devant la Cour suprême du Canada en 2015 dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, où il avait été statué que le droit de grève est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, en vertu particulièrement de la liberté d’association garantie par l’alinéa 2d).
Dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, la Cour suprême du Canada a statué que le droit de s’organiser collectivement et de négocier avec l’employeur est un droit fondamental de la personne et que l’État ne devrait pas entraver ce droit en exerçant son pouvoir par voie législative ou réglementaire. La cour a également reconnu que le droit historique de grève et le fait que les travailleurs s’organisent collectivement pour améliorer leur vie sont fondamentalement une question de dignité personnelle et d’autonomie, notre vie professionnelle étant un aspect important de notre identité et de notre estime de soi.
La réglementation du droit de grève remonte à plus de 80 ans au Canada. Elle est le résultat d’un compromis historique entre les employeurs, l’État et les travailleurs. Le gouvernement a convenu qu’il protégerait le droit de grève, en échange de quoi il a été exigé des travailleurs et des syndicats qu’ils s’entendent pour ne faire la grève que pendant certaines périodes. Ces derniers ont accepté la réglementation du droit de grève. Habituellement, la période de grève commence lorsqu’une convention collective est expirée, et il existe des règles, des exigences et des lois du travail dans toutes les provinces et tous les territoires au Canada concernant le moment où les syndicats peuvent faire la grève. La réglementation signifie qu’il y a des critères et des limites enchâssés dans les lois quant au moment où les syndicats et les travailleurs peuvent exercer ce droit de grève et celui où ils ne le peuvent pas, ces critères et limites étant connus à l’avance.
L’élément clé, c’est que les travailleurs et les syndicats ont convenu qu’ils n’exerceraient pas leur droit de grève dans tous les conflits de travail, mais ne le feraient que dans certaines situations. Sauf erreur, vous étudiez aujourd’hui l’article 87.4 du Code canadien du travail, qui représente l’une des exceptions au droit de grève, soit les ententes sur les services essentiels. Toutes les lois du travail de chaque province et territoire au Canada comportent des dispositions comme celle-là, qui prévoient ce qui suit : avant une grève, les syndicats et les employeurs doivent discuter — et des tierces parties peuvent participer également — de la possibilité de conclure une entente au sujet de certaines catégories de travailleurs qui demeureront au travail malgré la grève, parce qu’ils fournissent des services essentiels. C’est habituellement pour des raisons de santé et de sécurité. Les infirmières sont un exemple classique. Les hôpitaux disposent de travailleurs essentiels. Un certain nombre de travailleurs peuvent s’absenter du travail, mais certains doivent continuer de travailler.
Pour ce qui est du libellé de l’article 87.4 du Code canadien du travail — et j’ai vu votre mandat —, la citation pourrait être un peu plus longue parce qu’il est dit « [...] pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public. » Cela fait partie du libellé, mais il est aussi dit : « [...] dans la mesure nécessaire [...] » Chaque terme de ce libellé a été interprété par le Conseil canadien des relations industrielles et les tribunaux comme reconnaissant que le droit de grève devrait être limité le plus possible et devrait être contrebalancé avec les droits du public et la protection du public lorsque la santé et la sécurité sont en jeu.
D’après la jurisprudence du Conseil canadien des relations industrielles et des tribunaux, ce que je peux vous dire au sujet de cette disposition, c’est qu’elle ne vise pas à protéger le public ou d’autres entités contre les conséquences économiques, les inconvénients ou les difficultés personnelles. Elle concerne plutôt un danger imminent pour la santé ou la sécurité. Lorsque les conseils d’administration examinent une situation de ce genre, ils se demandent s’il existe d’autres options de services. Les gestionnaires peuvent-ils intervenir pour fournir les services? Y a-t-il d’autres façons de fournir ces services? Les contrôleurs de la circulation aérienne et les pompiers des aéroports sont un bon exemple. Il y a quelques années, j’ai travaillé à un cas concernant les laboratoires de Chalk River, qui produisent des isotopes médicaux. C’est de la médecine nucléaire. Il s’agit de ce genre de situations.
Les gens d’Ottawa savent qu’à une occasion, une ordonnance de services essentiels a été demandée pour le transport en commun, mais le conseil a dit non. Même si c’est vraiment dérangeant et qu’il pourrait y avoir des conséquences économiques, il existe d’autres options à la portée des gens.
Le dernier élément est l’article 107 du Code canadien du travail. Il en a beaucoup été question au cours de la dernière année et demie. L’article 107 comporte un libellé général qui dit que le ou la ministre peut prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente. Cela ne respecte pas l’esprit de la loi. Les syndicats et les travailleurs ne savent pas quand ce pouvoir sera exercé. L’article n’est pas conforme à ce que nous appelons en droit le principe de légalité.
Le principe de légalité signifie que je connais les règles à l’avance et que je peux prendre les décisions qui me concernent en conséquence. Les syndicats, les travailleurs et les employeurs ne peuvent pas savoir quand un ministre peut invoquer ce pouvoir pour une raison ou pour une autre. Cela pose donc un problème, et ce problème est grave parce que cela se produit de plus en plus souvent. Selon nous, ce pouvoir n’a jamais été conçu pour être exercé de cette façon.
Le dernier point à mentionner est la loi de retour au travail. Ce que l’on a vu à maintes reprises dans l’histoire du Canada, c’est que lorsqu’une grève dans n’importe quelle industrie dure depuis longtemps et qu’elle commence à causer un préjudice indu au reste de la collectivité ou peut-être à des tierces parties, un gouvernement peut présenter et adopter un projet de loi ordonnant la fin de la grève. Il y a un débat public à ce sujet. Les parlementaires peuvent en débattre. Habituellement, dans ces projets de loi, vous verrez aussi le gouvernement ordonner l’arbitrage exécutoire en disant : « Nous allons ordonner la fin de la grève, mais il y aura un arbitrage exécutoire pour que les modalités soient réglées par une tierce partie. »
Dans des circonstances exceptionnelles, les gouvernements ordonneront une entente. C’est ce qui s’est produit hier avec le gouvernement provincial de l’Alberta. Certains d’entre vous ont peut-être vu cela dans les nouvelles aujourd’hui. L’Alberta a eu recours à une loi de retour au travail pour mettre fin au conflit et aux négociations collectives en ordonnant la signature d’une entente avec les travailleurs concernés. Depuis l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan en 2015, les tribunaux ont présumé que toute loi de retour au travail était inconstitutionnelle, et plus encore dans le cas d’une loi de retour au travail imposant une entente. C’est pourquoi, malheureusement, le gouvernement provincial a eu recours à la disposition de dérogation parce qu’il savait que sa décision était inconstitutionnelle.
Merci, honorables sénateurs et sénatrices. Ce sont les observations que je voulais faire dans le peu de temps dont je disposais.
Le président : Merci, maître Champ. Je vous remercie d’avoir respecté le temps qui vous était alloué.
J’invite maintenant M. Lee à faire sa déclaration préliminaire.
Ian Lee, professeur adjoint, Sprott School of Business, Université Carleton, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Avant que vous lanciez le chronomètre, j’aimerais apporter une précision concernant votre présentation. Vous m’avez présenté comme professeur adjoint, mais je suis professeur agrégé depuis 20 ans. J’ai pensé que vous voudriez rectifier cela dans le compte rendu. Pour commencer, j’ai trois déclarations à faire. Tout d’abord, je ne suis membre d’aucun parti politique et je ne contribue à aucun parti politique. Je n’autorise pas non plus l’installation de pancartes de partis politiques sur ma pelouse pendant les élections. Deuxièmement, j’ai donné le cours de synthèse de stratégie et de politique générale sur la recherche comparative entre les sociétés et la compétitivité de l’industrie pendant 35 ans. Troisièmement, je suis membre du syndicat des professeurs de l’Université Carleton depuis 38 ans et j’ai été membre du comité des finances du syndicat au cours des cinq dernières années, jusqu’au printemps dernier.
Tout au long de ma carrière, j’ai analysé la compétitivité des entreprises et de l’industrie — d’abord en tant que banquier pendant neuf ans, responsable des prêts, puis en tant que professeur qui a enseigné le cours de synthèse au cours des 35 dernières années —, et j’ai souvent dû m’occuper du cadre des relations de travail et des conflits de travail. Par suite d’une grève des travailleurs d’Air Canada en 2012 et de la loi de retour au travail du Parlement, certains experts et analystes dans les médias ont affirmé que le projet de loi était « sans précédent ». J’ai décidé de faire des recherches sur la question, car je savais, d’après ma thèse de doctorat de 850 pages, qu’il y avait eu de nombreuses grèves des postes dans les années 1960, 1970 et 1980. Certaines étaient illégales et d’autres avaient eu lieu avant que la négociation collective ne soit autorisée en 1967. Cette affirmation était donc inexacte.
Cependant, j’ai constaté qu’aucun juriste ou spécialiste des relations de travail n’avait fait de recherche sur le problème des grèves au niveau fédéral. Les données empiriques des dossiers parlementaires révèlent que le gouvernement du Canada est intervenu en adoptant une loi de retour au travail dans le cadre de 34 grèves, de 1950 à 2012, soit sur une période de 62 ans. Cela signifie donc que le gouvernement du Canada est intervenu en moyenne tous les 18 mois.
Je tiens à dire que je suis profondément reconnaissant envers la Direction de la recherche parlementaire du Parlement du Canada, qui a compilé une liste de tous les projets de loi aux étapes de la première, de la deuxième et de la troisième lectures à la Chambre et au Sénat, ainsi que les dates des sanctions royales qui ont forcé le retour au travail des travailleurs en grève. Cette recherche a été publiée en 2012 dans la Revue de droit parlementaire et politique.
J’ai mis mes recherches à jour en 2024, et j’ai déterminé que le nombre de projets de loi de retour au travail déposés au Parlement entre 1950 et 2024 avait augmenté pour atteindre un total de 37. Cependant, au cours des cinq dernières années, le gouvernement du Canada a élaboré une nouvelle politique, qui repose sur l’article 107 du Code canadien du travail, pour ordonner le retour au travail des travailleurs en grève.
À mon avis, du point de vue des politiques, il s’agit d’une distinction sans qu’il y ait de différence ultimement, puisque les deux interventions visent le même but, c’est-à-dire mettre fin à la grève. Toutefois, ce qui est beaucoup plus important, c’est que la tendance dans les données — ce que je recherche toujours en tant qu’analyste comparatif — était stupéfiante. Dans tous les cas, de 1950 à aujourd’hui, les grèves qui ont fait l’objet d’une loi de retour au travail se sont produites dans le secteur des transports.
Les 44 interventions parlementaires ou gouvernementales en 70 ans par les gouvernements libéraux et conservateurs ont fait ressortir que le Parlement considérait comme inacceptablement graves les perturbations économiques et sociétales. Je ne conteste pas le témoignage du distingué témoin qui comparaît avec moi. Je ne suis pas avocat. Je vous fais simplement part des faits. Ceux-ci révèlent que les conflits de travail dans leur forme actuelle doivent — comme on me l’a suggéré — être modernisés.
Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par des grèves ou des lock-out périodiques sont extrêmement dommageables pour la santé et la productivité d’une économie qui est déjà en forte décroissance en raison de la dépendance des chaînes d’approvisionnement de toutes les industries à l’égard du secteur des transports. Bien que ce soit le cas dans toutes les économies avancées, cela est particulièrement marqué au Canada qui, en tant que deuxième plus grand pays du monde, s’étend sur 8 800 kilomètres d’est en ouest et a la plus faible densité de population du monde entier à quatre personnes par kilomètre carré.
Cependant, ce dont parlent rarement les spécialistes des relations de travail, les dirigeants syndicaux ou les experts, ce sont les coûts sociaux massifs ou les externalités sociales imposés à des millions de Canadiens d’un océan à l’autre qui dépendent, en tant qu’employés ou clients, du transport rapide de biens et de personnes qui représentent des milliards de dollars dans l’économie moderne. En vertu du régime actuel de relations de travail au Canada, des petites unités de négociation de 5 000 à 20 000 employés ont le pouvoir extraordinaire de fermer toute la chaîne d’approvisionnement et l’économie de la huitième ou neuvième économie en importance dans le monde. Cependant, en vertu du régime actuel de relations de travail, seul le Parlement du Canada peut prévenir un arrêt de travail ou y mettre fin, grâce à une loi de retour au travail ou à l’imposition d’un arbitrage exécutoire.
Dans l’étude que j’ai publiée l’an dernier, en 2024, je concluais que le Parlement du Canada et le gouvernement du Canada sont confrontés à trois grandes options stratégiques, soit, premièrement, maintenir le statu quo, sans modifier aucune loi, et s’assurer — en se fondant sur le bilan de près de trois quarts de siècle — de pouvoir continuer à intervenir dans les conflits de travail du secteur des transports, comme il l’a fait 44 fois au cours des trois derniers quarts de siècle.
Deuxièmement, il peut modifier le Code canadien du travail — si cela est juridiquement acceptable —, afin de désigner les emplois essentiels dans les chemins de fer, les ports, les aéroports, les compagnies aériennes et les secteurs connexes des transports, et adopter un autre régime de règlement des différends semblable à celui du secteur public fédéral, qui impose l’arbitrage obligatoire et exécutoire par un arbitre indépendant. Troisièmement — et c’est l’option que j’ai recommandée —, il faudrait réviser le Code canadien du travail pour adopter un système semblable à celui de la Railway Labor Act des États-Unis, que j’ai étudiée et qui n’interdit pas à quiconque de faire la grève. Le modèle est toutefois conçu pour ralentir la négociation collective à chaque étape du processus, afin de réduire la probabilité d’une grève.
Le modèle qui s’applique au système ferroviaire américain est le plus efficace, et il a été élaboré sous la direction d’un président progressiste appelé Franklin D. Roosevelt. Il comporte un équilibre entre le droit de grève et l’objectif national global de réduction des grèves dans le secteur des transports pour qu’elles se situent à des niveaux correspondant à la moyenne dans le reste de l’économie, les transports faisant exception depuis un certain temps déjà.
En conclusion, avec l’élection du gouvernement de M. Carney et sa politique annoncée visant à transformer le Canada en superpuissance énergétique et à diversifier les échanges commerciaux, sans dépendre trop d’un partenaire dont la fiabilité diminue de plus en plus — les États-Unis —, le problème de manque de fiabilité et d’instabilité dans le secteur des transports doit faire l’objet d’une réforme. Merci.
Le président : Merci, monsieur Lee. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs et sénatrices.
La sénatrice Dasko : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Nous vous remercions tous les deux de vos observations. J’aimerais commencer par M. Lee. Dans vos commentaires, vous avez mentionné qu’il fallait moderniser notre approche, et vous nous avez dit quelle était selon vous la meilleure façon de le faire. Cela veut-il dire que c’est votre recommandation?
M. Lee : Oui.
La sénatrice Dasko : À votre avis, quelle incidence cela a-t-il sur le droit de grève que les tribunaux ont établi au Canada?
M. Lee : Je ne suis pas avocat. Je tiens à ce que cela soit clair. Cependant, je suis sûr que vous comprendrez qu’en tant que membre d’un syndicat depuis 38 ans, j’ai assisté à beaucoup de discussions autour de cette question — probablement chaque année et probablement tous les mois ou deux — dans les universités, où il arrive que des grèves se produisent, quelle que soit la région du Canada. Cependant, cela ne s’est jamais produit dans ma propre université, parce que nous avons toujours mené à bien des négociations fructueuses.
Pour répondre à votre question, j’ai lu la décision dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan de 2015. Je l’ai lue trois ou quatre fois, j’ai souligné des choses, j’en ai surligné d’autres et ainsi de suite. Je ne conteste pas l’autorité de la Cour suprême. Je ne conteste absolument pas cette décision. Je tiens à être clair : je ne préconise pas l’élimination du droit de grève. Bien sûr, c’est un droit au Canada, et cela a été confirmé de façon définitive aux termes de la loi.
Sauf erreur, cela ne veut pas dire que n’importe qui peut faire la grève quand bon lui semble. J’ai vécu à Ottawa toute ma vie, et au Conseil du Trésor — je me rends compte que le sujet est le secteur privé et les chemins de fer, mais je ne parle que de chiffres et de tendances en ce moment —, il existe une liste de toutes les personnes qui sont exemptées du droit de grève. Je ne l’ai pas à portée de la main — et je m’en excuse —, mais je crois qu’il s’agit de 20 % de tout l’effectif du gouvernement du Canada, soit plus d’un demi-million de personnes. Cela comprend évidemment les Forces armées canadiennes, la GRC, les frontières, le système carcéral et ainsi de suite.
Il est inexact de dire que s’il est plus difficile de faire la grève, cela élimine le droit de grève. Cela est surtout évident lorsque l’on regarde le bilan des grèves dans les transports, où elles sont beaucoup plus nombreuses que dans toutes les industries syndiquées du reste de l’économie.
Lorsque l’on fait une comparaison, on constate que cela ne semble pas avoir touché les gens dans d’autres secteurs. Je ne vois pas de contradiction dans le fait d’imposer des exigences à la négociation collective pour ralentir l’empressement à décider de partir en grève, c’est-à-dire d’imposer des périodes d’apaisement, ce que prévoit la U.S. Railway Labor Act.
La sénatrice Dasko : Merci. Monsieur Champ, vous avez entendu l’autre témoin mentionner que le gouvernement est intervenu 44 fois. À votre avis, devrions-nous maintenir le statu quo en ce qui concerne le cadre réglementaire et législatif que nous avons actuellement? Pensez-vous que c’est la façon de procéder? Pensez-vous plutôt qu’il devrait y avoir des changements? Que pensez-vous de la situation actuelle? Y a-t-il un problème qui nécessite une solution législative ou réglementaire?
Me Champ : Le recours à l’article 107 a posé un problème au cours des dernières années. Si vous changez la loi et que vous érigez plus d’obstacles, ce qui rendra plus difficile pour les travailleurs de faire la grève — ou dans le cas de l’article 107, la possibilité pour quiconque a l’oreille du ministre de demander que soit ordonnée la fin d’une grève —, cela entraînera des perturbations de travail plus importantes. Nous avons eu de la chance que la grève d’Air Canada ait abouti à un règlement. Vous avez vu que les travailleurs et le syndicat ont décidé de défier la loi, le président du syndicat ayant même dit : « Mettez‑moi en prison. »
C’est quelque chose que nous n’avons pas vu au cours des 15 ou 20 dernières années, mais c’était le cas auparavant. Pour ce qui est de ces quelque 40 cas, j’aimerais qu’on fasse une étude plus approfondie sur le nombre de dirigeants syndicaux qui se sont retrouvés en prison. Je vous parie que cela s’est produit dans bien des cas. Nous n’avons pas non plus entendu le professeur parler de la durée de chaque grève. Combien de temps s’est-il écoulé avant que la loi de retour au travail ne soit invoquée? Je pense que tout n’est pas noir ou blanc. Une loi de retour au travail est quelque chose de délicat. Dans l’ensemble, on y a eu recours en cas de grève prolongée et de problèmes nombreux, les parties — le syndicat et l’employeur — ayant pu voir cela venir.
Dans l’ensemble, le régime actuel fonctionne bien. À mon avis, si vous commencez à le perturber, il y aura plus de conflits de travail, pas moins.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Lewis : J’ai une question pour M. Champ. Connaissez-vous la législation américaine en matière de transport ferroviaire, et quelle est votre opinion à ce sujet?
Me Champ : Non, je ne suis pas au courant spécifiquement de ce que le professeur a dit. Nous avons des dispositions de ce genre. En vertu du Code canadien du travail et d’autres lois sur les relations de travail, différentes mesures doivent être prises avant qu’un syndicat puisse faire la grève. Tout d’abord, la convention collective doit être expirée. Un avis de négociation doit être donné. Ensuite, avant de faire la grève, un avis de conciliation doit être fourni.
Le ministre du Travail est informé que les négociations achoppent et qu’un conciliateur est nécessaire. Celui-ci est nommé par le ministre. J’oublie la période qui suit, mais il y a une période après laquelle le ministère et le ministre s’efforcent de concilier ou de réunir les parties avant que la grève puisse commencer. Même à ce moment-là, ils doivent aviser l’employeur qu’à partir de cette date, ils peuvent faire la grève.
Certaines mesures sont déjà en place. Pourrait-il y en avoir plus? Devrait-il y en avoir plus? Je pense que c’est le cas. Il faut essayer d’aider les parties à régler cela ensemble et à négocier ensemble. Ce que fait actuellement le ministre du Travail, c’est presque toujours d’affecter un agent des relations industrielles aux parties. Dans certains cas très médiatisés, le ministre va nommer une personne très en vue. Par exemple, lors de la grève dans la fonction publique en Colombie-Britannique, on a nommé Vince Ready, qui est un médiateur très connu. Ce sont là d’autres mesures qui peuvent être adoptées. Il n’y a aucune raison pour laquelle on ne pourrait pas avoir une loi qui prévoit d’autres types de mesures ou de règlements pour aider les parties à s’entendre avant qu’il y ait rupture.
Le sénateur Lewis : Les modalités commerciales ont changé, tant au pays qu’à l’étranger, au cours des deux dernières décennies, surtout en ce qui concerne les délais de livraison et ce genre de choses. Dans le cas des cheminots, par exemple, on dit que pour chaque jour de grève, il faut une semaine pour que les choses se rétablissent. Un des éléments importants de la législation américaine est la nécessité de déployer beaucoup d’efforts avant que les gens partent en grève. C’est le plus gros problème que nous constatons dans ma province. C’est le déclenchement de la grève qui est le problème. Ce n’est pas le retour au travail et ce genre de choses. On a recours aux tribunaux et il arrive ce qui arrive. Mais d’une façon ou d’une autre, nous devons en venir à un point où la dernière chose qui se produit, c’est que les gens fassent la grève dans le contexte de certains de ces enjeux de transport.
Me Champ : Oui, sénateur. Il ne faut pas se faire d’illusions. Les travailleurs ne veulent pas faire la grève. Ils ne veulent pas s’absenter du travail et cesser de recevoir un chèque de paie. Les travailleurs éprouvent des difficultés lorsqu’ils font la grève. La plupart des syndicats ont un fonds de grève, mais cela représente environ 20 $ par jour pour les travailleurs. Cela ne suffit pas pour payer l’épicerie, le loyer, l’hypothèque ou les déplacements vers l’aréna. Les travailleurs qui font la grève sont affectés eux aussi. Qu’on ne s’y trompe pas, ils ne veulent pas faire la grève.
Peut-il y avoir des mesures plus proactives pour aider les parties à s’entendre? Pourrait-il s’agir d’un collectif d’agriculteurs qui communiquent avec les compagnies de chemin de fer en leur disant : « Votre convention collective arrive à échéance l’an prochain. Que diable faites-vous à ce sujet? Nous ne pouvons pas nous permettre qu’il y ait une grève, et nous savons que vous n’en voulez pas non plus. » Il pourrait s’agir d’autres parties externes qui négocient des choses dans leurs contrats avec les entreprises qui fournissent ce qu’elles pourraient considérer comme des services essentiels à leur propre entreprise et qui pourraient ensuite dire à ces fournisseurs : « Si une grève est déclenchée, vous devrez nous indemniser. » Ce sont d’autres options pour protéger les tierces parties. Ce sont des pressions exercées sur les entreprises ou les employeurs pour qu’ils fassent ce qu’ils peuvent pour être justes envers ces travailleurs, parce que personne ne veut d’une grève.
Le sénateur Wilson : Ma première question s’adresse à M. Lee. En 2023, Emploi et Développement social Canada a mené des consultations, afin d’améliorer le processus de maintien des activités en vertu du Code canadien du travail. Selon le rapport final, les employeurs ont indiqué que le Code canadien du travail devrait exiger que l’intérêt économique public soit pris en compte au moment de déterminer quels services devraient être maintenus. Plus précisément, les employeurs ont fait les propositions suivantes : premièrement, établir des seuils, comme 5 millions de dollars en dommages économiques; deuxièmement, dresser une liste de services essentiels; et troisièmement, dresser une liste d’organisations et d’entreprises dont les activités sont essentielles.
Vous avez parlé du taux élevé de conflits de travail qui surviennent dans le secteur des transports. À ce sujet, j’aimerais savoir ce que vous pensez de ces commentaires des employeurs et si le secteur des transports devrait être considéré comme distinct de ces autres secteurs.
M. Lee : Merci beaucoup. Oui, c’est une excellente question.
Pour y répondre, je veux simplement souligner quelque chose. Je suis un empiriste, alors tout ce que je fais, c’est de consulter les données du gouvernement, qu’elles proviennent de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, de Statistique Canada ou d’ailleurs. Selon la dernière étude que l’OCDE a effectuée dans tous les pays membres, nous sommes un cas très particulier en ce qui concerne le nombre de jours de travail perdus à cause des conflits de travail. La médiane de l’OCDE était de 14 jours par million de travailleurs, et nous en sommes à 75, ce qui est nettement supérieur à la moyenne nationale enregistrée dans d’autres pays.
Ensuite, lorsqu’on fait une analyse méthodologique, au Canada, le secteur des transports est un cas particulier par rapport au reste de l’économie. Il se passe quelque chose dans le domaine des transports, et votre question le fait bien ressortir.
Le regretté Harold Innis, le grand érudit de l’Université de Toronto, a déclaré qu’on ne peut pas comprendre l’histoire du Canada sans comprendre le caractère central des transports et des communications. Il ne s’agit pas simplement d’un secteur comme les autres, d’un commerce de détail comme Walmart ou un autre magasin. Les transports fournissent des services à ce vaste et énorme pays, et la preuve en est que lorsque survient une grève illégale — je m’excuse — ou une grève, vous voyez des maires de toutes les petites villes et de toutes les villes de taille moyenne du pays, ainsi que des conseillers locaux, des députés et tout le monde, se révolter parce que cela a un impact incroyable sur eux personnellement. Cela a d’énormes externalités sociales pour nous tous, soit 40 millions de personnes.
Bien sûr, le droit de grève ne sera pas aboli, mais nous devons certainement tenir compte du fait qu’il y a quelque chose dans le secteur des transports qui cause beaucoup plus de perturbations que dans le reste de l’économie canadienne et beaucoup plus par rapport à la moyenne de l’OCDE ou de n’importe quel autre pays membre.
Le sénateur Wilson : Je comprends ce que vous dites au sujet des transports, mais à mon avis, c’est le tort économique qui est causé et le contexte de négociation qui a le pouvoir de paralyser l’économie qui expliquent probablement pourquoi les données dont vous parlez sont telles qu’elles sont. Y a-t-il des dommages économiques chiffrés que nous devrions examiner, ou devrions‑nous nous concentrer principalement sur la chaîne d’approvisionnement?
M. Lee : Je dirais qu’il y a une troisième option. Oui, il y a les dommages économiques, mais comme on l’a fait remarquer, ce n’est pas ce qui justifie cela. Je ne vais pas me lancer dans des arguments juridiques; je ne suis pas avocat, mais je dirais que les coûts sociaux pour les collectivités de tout le pays sont encore plus élevés que les énormes coûts économiques. La preuve, c’est qu’il y a des gens dans les petites villes qui protestent partout au pays, ainsi que dans les villages et les villes de taille moyenne, et que cela se produit partout au pays. Ce ne sont pas les grandes associations de gens d’affaires qui se plaignent. Il y a un grand nombre de Canadiens ordinaires qui subissent des répercussions négatives, alors je dirais qu’il faut une norme beaucoup plus rigoureuse, en raison des coûts sociaux pour des millions de Canadiens ordinaires qui sont victimes de ces grèves qui perturbent leur économie et font en sorte que bon nombre d’entre eux perdent leur emploi, parce que les chaînes d’approvisionnement ferment et qu’ils sont mis à pied, leurs entreprises ne recevant pas les produits dont elles ont besoin pour poursuivre leurs activités.
Le président : Il vous reste 30 secondes.
Le sénateur Wilson : Je n’ai pas assez de temps pour poser ma prochaine question à M. Champ, alors je vais devoir attendre le prochain tour.
La sénatrice Simons : Monsieur Champ, je représente la province de l’Alberta, où la journée d’hier a été très sombre pour les droits des travailleurs. Comme vous l’avez fait remarquer, non seulement la première ministre a ordonné le retour au travail des enseignants, mais elle a aussi invoqué de façon préventive la clause dérogatoire et imposé aux enseignants un règlement qui avait déjà été rejeté par près de 90 % des membres du syndicat.
Lorsque je vois cela, je me demande quelles sont les conséquences pour les administrations à l’extérieur de l’Alberta et quel genre de précédent cela pourrait créer, parce que les cas dont nous parlons ont été renvoyés à l’arbitrage. Il n’y a pas eu de tentative d’imposer un règlement qui avait déjà été rejeté par un syndicat.
Puisque j’ai le privilège de vous avoir devant moi aujourd’hui, je me demande si vous pourriez extrapoler à partir de ce qui s’est passé en Alberta hier soir et nous dire ce que cela pourrait signifier pour un futur gouvernement fédéral canadien qui pourrait considérer cela comme un précédent pour ce qu’il pourrait faire à son propre niveau. Est-ce possible ou le gouvernement fédéral a-t-il des contraintes qu’un gouvernement provincial n’a pas?
Me Champ : Oui, sénatrice. Nous verrons ce qui va se passer. Je pense que ce sera une leçon difficile pour l’Alberta au cours des prochains jours parce que les réactions ne se limiteront pas à ce syndicat. Je suis presque certain que vous allez voir le reste du mouvement syndical se lever. De la même façon, lorsque le ministre a ordonné le retour au travail des agents de bord d’Air Canada, il ne s’est pas écoulé 48 heures avant que le Congrès du travail du Canada tienne une réunion d’urgence et que le président du Congrès du travail du Canada déclare que tous les syndicats appuyaient le Syndicat canadien de la fonction publique, ou le SCFP.
Nous verrons ce qui se passera. Je pense qu’il y aura des perturbations généralisées. Les travailleurs ou les enseignants retourneront-ils au travail? Je ne sais pas. Peut-être pas. Y aura‑t‑il des amendes? Peut-être qu’il y en aura. Des gens seront‑ils mis en prison? Peut-être que oui, mais est-ce vraiment ce que nous voulons voir au Canada?
Il y a d’autres façons de régler nos différends. Voilà où je veux en venir. Il y a d’autres façons de régler nos différends, et la leçon que j’espère que les autres administrations du Canada tireront de ce qui va se passer en Alberta, c’est de se tenir loin de ce genre de situation.
La sénatrice Simons : J’ai peur qu’ils en tirent la leçon contraire.
Monsieur Lee, selon la Bibliothèque du Parlement, depuis 2024, les ministres du Travail ont utilisé huit fois leurs pouvoirs en vertu de l’article 107 du Code canadien du travail pour intervenir dans des conflits de travail. Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que vous ne pensiez pas qu’il y avait une différence entre le recours à l’article 107 et la mise en place d’une loi de retour au travail. En tant que parlementaire, je peux vous dire qu’il y a une différence pour nous parce que, par exemple, en 2018, lorsque les travailleurs des postes ont reçu l’ordre de retourner au travail, nous avons débattu d’un projet de loi à la Chambre et ensuite au Sénat. La situation était très tendue. Un débat réfléchi a eu lieu au Sénat et a abouti à un vote assez serré à la fin. Lorsque le gouvernement invoque l’article 107, il passe outre à tout le processus parlementaire, et c’est pourquoi je m’inquiète de la facilité avec laquelle on peut invoquer l’article 107.
Je comprends que, pour les Canadiens, ces grèves sont extrêmement perturbatrices et, en tant qu’Albertaine, je saisis bien ce que cela a signifié pour les producteurs agricoles de l’Alberta de ne pas avoir accès au transport ferroviaire, mais vous inquiétez-vous — et je vais vous poser la question en premier, puis à M. Champ, s’il reste du temps — que l’on contourne le processus parlementaire en ayant toujours recours à l’article 107 pour passer outre aux règles?
M. Lee : Cela vous surprendra peut-être, sénatrice Simons, mais je suis tout à fait d’accord avec vous. Étant donné que j’ai beaucoup parlé de grèves dans les médias au fil des ans en raison de mes travaux, j’ai pu faire valoir que la seule façon appropriée d’y arriver est par l’entremise de l’institution démocratique qu’on appelle le Parlement.
J’ai beaucoup de respect pour les députés et les sénateurs, et je sais que vous débattez des questions de façon judicieuse et appropriée, alors que l’article 107 est autocratique. C’est une décision administrative arbitraire. Oui, je sais que le gouvernement et le ministre sont élus, mais en même temps, c’est une décision de l’exécutif qui court-circuite le Parlement. Si la décision draconienne d’ordonner un retour au travail est prise, il est certain qu’elle devrait être examinée de façon approfondie par le Parlement.
La sénatrice Simons : Merci. Et vous, monsieur Champ?
Me Champ : Je suis d’accord avec le professeur. Lorsqu’il y a un examen et un débat complets au Parlement, c’est beaucoup mieux.
L’article 107 ne se voulait pas une incitation pour le ou la ministre à violer à son gré les droits des travailleurs. Soit dit en passant, aucun tribunal ne s’est encore prononcé sur la question de savoir si le recours à l’article 107 était légal ou non. J’aimerais voir l’avis juridique sur lequel s’est fondé le gouvernement libéral pour l’utiliser de cette façon.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je réfléchis au défi d’équilibre entre les droits des travailleurs et les besoins des Canadiens d’avoir accès à des biens et services essentiels, mais aussi aux impacts économiques et sociaux associés à ces défis de négociation.
Monsieur Lee, vous avez parlé du modèle américain, le « slowdown collective bargaining ». Quels sont les critères utilisés et dans quelles conditions le modèle américain est-il efficace pour calmer cette négociation? Quels sont les critères et les conditions? Comment ceux-ci s’appliquent-ils dans l’environnement canadien?
[Traduction]
M. Lee : Merci beaucoup, sénateur Cormier. Il y a deux points : premièrement, la Railway Labor Act ne s’applique qu’aux chemins de fer et aux compagnies aériennes. Elle ne s’applique pas à l’ensemble des travailleurs. Elle a été adoptée uniquement parce qu’il y avait beaucoup de grèves dans ce secteur à l’époque.
Deuxièmement, je fais quelques généralisations, mais je l’ai lue et j’ai consulté les analyses fascinantes qui en ont été faites par le Congressional Budget Office et d’autres organismes du Congrès.
Ce qu’ils ont fait, c’est que chaque fois qu’il y a eu une rupture des négociations ou de la médiation — chaque fois que quelque chose a changé pendant les négociations collectives —, ils ont imposé essentiellement une période d’apaisement de 90 jours. J’espère que je ne me trompe pas de grève. Je vous parle de cela de mémoire, et je ne suis plus jeune, mais je crois qu’il y a eu deux grèves au cours des 50 dernières années dans les chemins de fer, ce qui a eu pour effet de tout ralentir. Le droit de grève n’a pas été abandonné. Ce qu’ils ont fait, c’est dire : « D’accord. Il y a une rupture dans les discussions. Vous avez rompu les négociations. Nous allons prendre une période de réflexion de 90 jours. »
Des périodes de réflexion interminables émaillent tout le processus, ce qui rend les choses très difficiles, mais les parties finissent par conclure une entente. Cela pourrait donc s’appliquer à notre secteur des transports.
Le sénateur Cormier : Si je peux me permettre, que se passe-t-il pendant ces 90 jours? Que se passe-t-il concrètement pendant les 90 jours?
M. Lee : Je n’ai pas vérifié, mais j’imagine qu’ils continuent de se parler parce qu’on leur interdit de faire la grève. Il ne leur est pas interdit de se parler ou de discuter. Il leur est interdit de faire la grève. Ils continuent de discuter entre eux et le temps s’écoule. Ils sont devant une barrière de 90 jours, si je peux m’exprimer ainsi, avant de pouvoir faire quoi que ce soit. C’est beaucoup de temps pour permettre aux deux parties de se réunir et de dire : « Écoutez, pouvons-nous en arriver à une entente quelconque? » C’est ce qui s’est produit à maintes reprises dans ce secteur. Les grèves sont très rares.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci.
Dans la décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, le conseil a conclu qu’il n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de mettre en œuvre les instructions ministérielles données en vertu de l’article 107 ni de modifier leurs modalités.
Êtes-vous de l’avis du CCRI lorsqu’il affirme de ne pas avoir le pouvoir discrétionnaire de refuser de mettre en œuvre les instructions ministérielles? Si oui, devrait-il avoir ce pouvoir? Est-ce que cela nécessite une modification au Code canadien du travail?
[Traduction]
Me Champ : Oui, monsieur. Je peux répondre à cette question. C’est ainsi que le Conseil canadien des relations industrielles l’a interprété jusqu’à présent. Aucun tribunal ne s’est encore prononcé à ce sujet.
Selon mon avis juridique — que je vous offre à titre gracieux —, un tribunal n’aura même pas besoin de se référer à la Constitution. Le tribunal n’aura pas à dire que c’est inconstitutionnel. Je pense qu’un tribunal conclura que l’article 107 n’a pas été adopté à cette fin. Il n’était pas destiné à être aussi radical, à inviter ouvertement le ou la ministre à faire tout ce qui lui plaît pour mettre fin à une grève. Sans même entrer dans le détail de la Charte, c’est ce que je prédis.
C’est regrettable. Je pense que le gouvernement pourrait envisager d’autres mesures au lieu de l’utiliser ainsi.
Pensez-y de cette façon : nous voyons dans d’autres pays que le simple fait d’être élu ne signifie pas que l’on peut tout faire. Nous avons un État de droit, et lorsqu’une personne élue au pouvoir décide seule comment interpréter et appliquer les lois, ou à qui les appliquer ou non, on assiste à l’effondrement de l’ordre démocratique. Honnêtement, sans vouloir exagérer, c’est le problème avec la façon dont l’article 107 a été utilisé ces dernières années.
M. Lee : J’y ai beaucoup réfléchi. Lorsque nous parlons de la désignation des services essentiels, ma recherche — du moins ce que j’ai lu et ce que j’ai pu découvrir jusqu’à présent — s’applique uniquement au secteur public, qu’il soit fédéral ou provincial.
Je vous pose la question, à vous et aux juristes et avocats comme M. Champ : le Parlement a-t-il le pouvoir de désigner certaines professions du secteur privé, comme celles liées aux chemins de fer, aux compagnies aériennes ou aux aéroports?
Nous savons que la Cour suprême accepte que vous puissiez désigner des professions dans le secteur public. Il y a un très grand nombre d’emplois, des services d’urgence aux services de police en passant par les services d’incendie, etc., mais pouvons-nous désigner des professions dans le secteur privé où les dommages sont énormes, comme cela s’est produit dans le secteur des transports, car cela touche tous les Canadiens en raison des répercussions sur les chaînes d’approvisionnement, les entreprises et les épiceries et la capacité de se procurer de la nourriture et ainsi de suite. Si ce n’est pas essentiel, je ne sais pas ce qui serait considéré comme essentiel.
Je n’en dis pas plus.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Lee.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Merci à nos témoins pour toute l’information que vous nous avez donnée.
Monsieur Lee, vos derniers commentaires sont très appropriés aussi.
Durant toutes ces années, on a été obligé de légiférer dans 44 % des causes. J’ai l’impression que les travailleurs du secteur du transport savent qu’en plus de leur droit de grève, cela a un impact sur les citoyens et sur le tissu social de nos communautés. J’ai l’impression qu’ils utilisent cela comme un deuxième pouvoir qui est non écrit. Ils savent que le public ne sera pas content. Ils essaient de l’utiliser en leur faveur. J’aimerais avoir vos commentaires là-dessus.
Monsieur Lee, j’aurai une deuxième question par la suite.
[Traduction]
M. Lee : Je peux répondre rapidement à votre question. Je veux corriger un point. Vous avez dit 44 %. Je ne veux induire personne en erreur au sein de ce distingué comité. Je n’ai pas examiné méthodiquement « la population totale de grèves » à partir de 1950. Je n’ai aucune idée du nombre de grèves qui ont été déclenchées dans le secteur des transports entre 1950 et 2012 ou aujourd’hui.
Ce que j’ai fait, c’est que la Direction de la recherche parlementaire a examiné tous les projets de loi qui avaient été déposés à la Chambre des communes ou au Sénat entre 1950 et 2012, puis en 2024. Ce nombre, y compris les cas visés par l’article 107, totalise maintenant 44 interventions au cours de cette période de 70 ans, soit environ une fois tous les 18 mois.
Me Champ : Le domaine du droit dans lequel j’ai étudié et travaillé s’appelait autrefois le « droit concernant les maîtres et les serviteurs ». Nous n’utilisons plus cette terminologie. Les gens ne sont pas des serviteurs. Les gens ne sont pas des esclaves. Les gens ont le droit de décider s’ils vont travailler ou non et où ils vont travailler.
Je ne doute pas que différents types de grèves aient des répercussions sur d’autres personnes, mais j’aimerais voir d’autres données, par exemple, aux États-Unis, où il n’y a eu que deux grèves depuis plus de 50 ans. Que disent les données sur les salaires? Comment la rémunération de ces personnes a-t-elle évolué? J’aimerais voir les données sur les salaires du secteur du transport par rapport à ceux d’autres secteurs.
Vous devez y jeter un œil. Sauf votre respect, je ne sais pas très bien pourquoi... eh bien, je sais pourquoi ce comité se penche sur cette question maintenant. C’est parce qu’il semble que nous aurons un peu plus de grèves maintenant qu’au cours des 20 dernières années. C’est parce que l’inflation a connu une forte hausse — elle est maintenant en baisse — et que les conventions collectives n’ont pas suivi cette évolution.
Je peux vous dire qui y perd presque toujours, monsieur. Ce sont les travailleurs, pour ce qui est de leurs salaires. Ils essaient toujours de négocier pour pouvoir au moins suivre l’augmentation du coût de la vie ou, s’ils ont de la chance, peut‑être faire un peu mieux. Par contre, si vous regardez les études menées depuis 1990 sur l’évolution du coût de la vie et sur ce que les travailleurs de tous les secteurs essaient d’obtenir, les salaires sont à la baisse. C’est la stagnation, monsieur le sénateur.
Les grèves sont le seul moyen. Que peut faire un travailleur à part continuer à être un serviteur? Est-ce compatible avec la dignité personnelle? Est-ce compatible avec l’épanouissement personnel et le désir d’améliorer sa vie et celle de sa famille? Non, monsieur. Ces travailleurs ont un droit humain fondamental, et c’est le seul pouvoir dont ils disposent pour essayer d’améliorer leurs conditions d’emploi. Tous les parlementaires de la Chambre et du Sénat devraient être très prudents lorsqu’ils examinent des mesures visant à restreindre ce droit.
[Français]
Le sénateur Aucoin : On a vu l’exemple des États-Unis. Reconnaissant que le droit de grève existe et devrait continuer d’exister, en tant que parlementaires, y a-t-il d’autres actions et outils que vous pourriez nous suggérer d’étudier pour créer un équilibre entre l’exercice du droit de vote et la destruction de toute la ligne d’approvisionnement partout au Canada? C’est ce qui est essentiel : que la chaîne d’approvisionnement puisse continuer. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
[Traduction]
Me Champ : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter ceci, monsieur le sénateur : il ne fait aucun doute que nos économies ont changé. Je ne suis pas économiste. Comme le professeur l’a fait remarquer à quelques reprises, il n’est pas avocat, et je ne suis pas économiste, mais j’aimerais faire une observation.
Il ne fait aucun doute que les chaînes d’approvisionnement se sont raréfiées, car les entreprises sont devenues plus efficaces pour acheminer les produits jusqu’aux consommateurs, qu’il s’agisse de l’épicerie, de marchandises, de téléphones ou autres. La raréfaction des chaînes d’approvisionnement a une seule conséquence, soit l’augmentation des profits.
Nous pouvons examiner la valeur d’Amazon. Je suis sûr que tout le monde ici connaît Amazon. Savez-vous combien ces travailleurs sont payés? Essayez d’organiser ces gens et regardez qui passe à la caisse. Nous avons un type qui vaut un demi‑billion de dollars, et nous sommes ici, dans un comité, à nous préoccuper de ces gens qui gagnent 50 000 ou 60 000 dollars et à nous demander s’ils pourront faire la grève pour améliorer leur vie et celle de leurs familles.
Il faut voir les choses sous un angle un peu plus large. Nous discutons actuellement du droit de grève des travailleurs et des cas dans lesquels il devrait être restreint. Examinons le reste de l’industrie et regardons du côté des employeurs et des entreprises. Où vont les profits? S’ils le souhaitent, ils peuvent mieux rémunérer leurs travailleurs. Nous pouvons commencer à améliorer les conditions de travail des travailleurs afin qu’ils ne travaillent pas pour un salaire de plus en plus bas d’année en année. Le droit de grève est le seul moyen dont ils disposent pour agir dans ce sens.
La sénatrice Hay : Merci à vous deux. Ma question s’adresse au professeur Lee. Parmi vos trois options, vous recommandez de réviser le Code canadien du travail pour qu’il ressemble davantage à la Railway Labor Act des États-Unis. Je m’interroge sur deux points. Le premier est simple. Votre révision dépasse‑t‑elle les chemins de fer et les compagnies aériennes?
Mon deuxième est un peu plus compliqué, je suppose. Je mesure l’importance du droit fondamental de faire la grève qui fait partie de votre révision. Je m’interroge sur le ralentissement des négociations collectives, autrement dit sur la période de réflexion. Les longues négociations collectives ont des répercussions sur d’autres secteurs d’activité. Je vous ai entendu parler de périodes de réflexion potentiellement interminables, aux États-Unis, où il y a eu deux grèves en 50 ans. Je ne sais pas si c’est positif ou négatif; cela pourrait être négatif.
Au beau milieu de longues négociations collectives — et j’ai déjà été cheffe de la direction de quatre unités de négociation collective —, il arrive que des conflits surgissent, accompagnés d’incertitudes des deux côtés de la table. Je m’interroge sur les répercussions sur le moral et la productivité de l’ensemble de l’entreprise, car vous allez toujours passer par une période de réflexion, ainsi que sur le ralentissement des orientations stratégiques essentielles pour l’entreprise elle-même, laquelle, en fin de compte, profite à l’économie et aux travailleurs. Il y a également l’impact sur la réputation de l’entreprise, des travailleurs, du secteur et du pays. Comment prenez-vous en compte ces éléments dans votre révision?
M. Lee : Merci beaucoup pour cette question fascinante. Je vais répondre à la première parce que c’est beaucoup plus facile, et la deuxième sera beaucoup plus difficile.
Je sais qu’on a établi des parallèles avec l’Europe de temps à autre, qu’il s’agisse des postes ou du transport. Ce sont là de très mauvaises comparaisons. Si vous prenez la densité au kilomètre carré aux Pays-Bas, je crois qu’elle est de 650 personnes au kilomètre carré. L’Allemagne est à environ 700. Mackenzie King a eu un mot d’esprit formidable : « L’Europe n’a pas suffisamment de géographie et beaucoup trop de gens, et nous avons beaucoup trop de géographie et pas assez de gens ». Cela résume bien la différence.
Nous dépendons absolument et entièrement du transport au pays. Si vous êtes à Halifax et que votre mère est en train de mourir tragiquement d’un cancer à Vancouver pendant une grève, il ne sert à rien de dire que vous pouvez simplement traverser le Canada en voiture ou sur le pouce. Nous sommes complètement dépendants, et c’est pourquoi la situation est plus grave au Canada pour les chemins de fer et les compagnies aériennes. C’est pourquoi les travailleurs ont été contraints par la loi de retourner au travail à plusieurs reprises. Vous pouvez consulter cette liste.
Soit dit en passant, comme M. Champ l’a évoqué, j’ai été étonné de la rapidité avec laquelle le Parlement réagissait chaque fois. Il faudrait que j’établisse des moyennes et que je fasse quelques calculs, mais la plupart du temps, le Parlement est intervenu très rapidement dans un délai de cinq à sept jours. Il adoptait rapidement un projet de loi. Vous, les parlementaires, procédiez à la première, deuxième et troisième lecture en un jour ou deux. Je ne pensais pas qu’il était possible qu’un projet de loi soit adopté par la Chambre et le Sénat et reçoive la sanction royale en deux ou trois jours. De toute évidence, le Parlement prenait cela très au sérieux.
Pour répondre à votre deuxième question, je serai très franc avec vous : je ne sais pas, mais vous m’avez certainement donné l’idée de faire plus de recherche pour examiner les répercussions des périodes de réflexion sur les entreprises et les syndicats. Je vais être très franc avec vous : je n’ai jamais fait de recherche sur ce sujet et je n’ai jamais examiné ou étudié cette possibilité parce que je n’y avais pas pensé. Grâce à votre question, je vais maintenant le faire.
La sénatrice Hay : Bravo. Tenez-moi au courant.
La sénatrice Mohamed : Pour revenir à ce que vous avez dit, monsieur Champ, à savoir qu’il y a de plus en plus de grèves, et à votre commentaire, monsieur Lee, selon lequel nous sommes un pays qui dépend des transports, ma question est posée dans l’esprit où le Canada est un partenaire fiable dans les relations commerciales, où les arrêts de travail ont une incidence sur notre capacité à livrer la marchandise, particulièrement alors que nous cherchons à diversifier nos partenaires commerciaux et nos marchés.
Selon une analyse réalisée en 2020 par le Centre for Future Work, le Canada se classe au troisième rang des pays de l’OCDE disposant de données comparables ayant perdu le plus grand nombre de jours de travail en raison d’arrêts de travail entre 2011 et 2016, derrière la France et la Belgique. À quoi attribuez-vous le taux plus élevé de conflits de travail au Canada ou le taux relativement plus faible de différends chez nos partenaires de l’OCDE?
Me Champ : Je ne suis pas certain d’être qualifié pour répondre à cette question, sénateur. Je ne suis pas en mesure de vous dire pourquoi il en est ainsi. En fait, pour être honnête, j’ai été très surpris d’entendre cela. Et quand j’ai entendu le professeur Lee dire qu’il y avait plus de grèves au Canada qu’en Europe, cela m’a un peu surpris.
M. Lee : Madame Mohamed, c’était une excellente question. Je n’essaie pas de vous orienter dans cette direction, mais si nous voulons diversifier nos échanges commerciaux, cela signifie que nous devons faire du commerce à l’extérieur des États-Unis. Nous comprenons tous cela.
Cela signifie que nous allons dans l’une des deux directions. Nous allons soit vers l’ouest, soit vers l’est — de l’autre côté du Pacifique ou de l’autre côté de l’Europe —, et nous avons désigné des sénateurs, des parlementaires et des députés qui ont dit : « Diversifions nos marchés en Europe. Diversifions-nous en Asie. » Cela signifie que les chaînes d’approvisionnement au Canada — je serai aussi direct que possible — seront plus critiques, et non moins. Ce n’est pas neutre. Cela exercera une pression supplémentaire sur les chaînes d’approvisionnement, en particulier les chemins de fer dont il y en a deux, essentiellement des chemins de fer de catégorie 1. Cette question sera soulevée plus souvent.
Pour ce qui est de votre deuxième question, je suis perplexe parce que c’est une question intéressante. La France est un pays hautement syndiqué, et elle a un bilan de grèves. Mon hypothèse, et je ne l’ai pas vérifiée par la recherche, c’est qu’en raison des très fortes densités dans tous les pays européens, où il y a 300, 400 ou 500 personnes au kilomètre carré, il y a de multiples systèmes de transport. Ils ont un réseau de transport en commun dont nous ne pouvons que rêver au Canada parce qu’ils sont densément peuplés. Il pourrait y avoir des solutions de rechange.
Il y a des entreprises de camionnage partout en Europe. Il y a des chemins de fer partout en Europe, et je pense qu’il y a des substituts et des concurrents, alors que nous sommes beaucoup plus concentrés au Canada. Nous avons exactement deux chemins de fer et trois compagnies aériennes. Cela signifie que nous avons beaucoup moins de solutions de rechange, alors nous sommes beaucoup plus dépendants. Pour reprendre l’argument de la dépendance économique, nous sommes beaucoup plus dépendants, ce qui — je le dis très franchement — donne aux syndicats beaucoup plus d’influence dans une situation de négociation que les syndicats européens parce qu’il y a tellement de solutions de rechange à l’entreprise avec laquelle ils négocient.
La sénatrice Mohamed : Merci. On a tendance à penser aux grèves de façon négative parce qu’elles ont des répercussions sur les gens, mais lorsque vous pensez aux choses positives qui découlent des grèves, avez-vous une idée de la façon dont l’idée des grèves et des négociations finit par influencer le secteur privé et les industries non syndiquées? Qu’avons-nous appris de cela qui aurait une incidence sur les deux autres? Est-ce que l’un ou l’autre d’entre vous a quelque chose à dire à ce sujet?
Me Champ : Nous savons que bon nombre des améliorations que nous avons apportées aux conditions de travail, qu’il s’agisse de la santé et de la sécurité au travail, de l’assurance-emploi, du Régime de pensions du Canada et de toutes ces autres prestations plus générales, ont été causées par les pressions exercées par la main-d’œuvre.
Parfois, on entend des gens dire : « Eh bien, tout est réglé maintenant. » Je ne le crois pas. Encore une fois, nous assistons à un grand aplatissement des salaires. Les gens sont encore plus en retard. Les gens ont plus de mal à le faire. Certains d’entre nous ont des enfants adultes qui ont besoin de deux parents qui travaillent pour s’en sortir maintenant, plutôt qu’un parent qui travaille comme lorsque nous étions jeunes. Il y a des calculs qui le démontrent.
Nous savons pertinemment — et je suis sûr que M. Lee le confirmera — que les salaires des travailleurs syndiqués sont beaucoup plus élevés que ceux des personnes qui ne sont pas syndiquées. Cela aura-t-il une incidence sur les salaires non syndiqués? Oui, j’en suis sûr. Évidemment, je ne suis pas économiste, mais je pense que c’est une question de bon sens et que cela aura un effet positif sur les salaires des travailleurs non syndiqués.
M. Lee : Merci, madame Mohamed. C’est un bon point parce que cela me permet de mettre plus de données sur la table, ce que j’aime faire, comme vous le savez.
Voici les données de Statistique Canada pour 2023 : seulement 15 % des employés du secteur privé au Canada sont syndiqués. Cela veut dire que 85 % des travailleurs ne sont pas syndiqués. Dans le secteur public, 75 % des employés sont syndiqués. Dans l’ensemble, lorsqu’on les combine, 30 % des Canadiens sont représentés par un syndicat, ce qui signifie que 70 % ne le sont pas. Pour revenir à ce que j’ai dit au sujet des coûts sociaux, oui, je suis privilégié parce que je suis dans une région syndiquée et que nous avons de très bons salaires. Je vais être très franc. Je ne suis pas censé le dire en tant que professeur, mais c’est vrai. C’est la réalité lorsqu’on compare les salaires.
Ce que j’ai dit tout à l’heure, c’est que les coûts des grèves dans le secteur des transports sont assumés par tout le monde. Ils ne tombent pas seulement sur les grands employeurs dont nous parlons. Ils tombent sur tous ceux qui vont à l’épicerie et les magasins sont à moitié approvisionnés parce que le produit ne passe pas en raison des systèmes d’inventaire juste-à-temps que nous utilisons dans l’ensemble de l’économie, car les stocks coûtent cher.
C’est vraiment perturbateur. Nous l’avons vu lorsque le pont a été fermé à Detroit. Nous devons tenir compte des coûts sociaux, et pas seulement des coûts économiques, pour des millions de Canadiens ordinaires.
Le président : Merci, monsieur.
Je pourrais peut-être vous poser une question à laquelle vous voudrez peut-être répondre par écrit. L’article 87.4 du Code canadien du travail dit que lors d’une grève ou d’un lockout, toutes les parties doivent continuer à fournir des services essentiels pour empêcher « des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public. »
J’ai une question : pensez-vous que le retrait du mot « imminents » donnerait au Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI, plus de souplesse pour envisager un ensemble plus vaste de services qui pourraient ne pas avoir d’effet immédiat sur la santé et la sécurité des Canadiens? Je pense, par exemple, au chlore pour la purification de l’eau et l’assainissement.
Il nous reste encore quelques minutes si vous voulez répondre brièvement ou si vous pouvez nous écrire quelque chose, ce serait très apprécié.
M. Lee : Je peux répondre en environ 20 secondes. Premièrement, je crois que la suppression du mot « imminents » aura un impact. Deuxièmement, nous devons considérer de façon plus générale les services essentiels comme quelque chose qui n’est pas seulement fourni par le gouvernement. Vous pouvez avoir des services essentiels fournis par le secteur privé, qui traitent de la sécurité des chemins de fer pour les mécaniciens. J’espère que nous pourrons élargir notre compréhension des services essentiels afin de pouvoir nous occuper des industries qui ont une incidence sur tout le monde au pays en cas de perturbation.
Le président : Merci, monsieur Lee. Nous sommes arrivés à la fin du temps prévu pour ce groupe de témoins.
Nous vous remercions tous les deux, monsieur Lee et maître Champ, de votre participation. Si vous voulez ajouter quelque chose, monsieur Lee ou maître Champ, veuillez le faire par écrit. Vous pouvez l’envoyer à la greffière. Si vous avez quoi que ce soit à nous renvoyer ou si nous n’avons pas nécessairement posé les questions auxquelles vous vouliez répondre, si vous pouviez nous revenir d’ici le 11 novembre 2025, ce serait formidable. Merci encore.
J’aimerais maintenant vous présenter notre prochain groupe de témoins : Colin Stacey, directeur général, Stratégie, Bureau national de la chaîne d’approvisionnement. Il est également accompagné de fonctionnaires qui sont à votre disposition pour répondre aux questions techniques qui pourraient être soulevées. S’ils sont appelés à la table, je leur demande de donner leur nom et leur titre avant de commencer à répondre.
Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. M. Stacey fera une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant M. Stacey à faire sa déclaration préliminaire.
[Français]
Colin Stacey, directeur général, Stratégie, Bureau national de la chaîne d’approvisionnement, Transports Canada : Bonjour. Je suis heureux de comparaître devant ce comité au nom de Transports Canada.
Je suis accompagné aujourd’hui de Sonya Read, directrice générale, Politiques du transport maritime, et de Tamara Rudge, directrice générale, Politique des transports terrestres.
Je m’adresse à vous aujourd’hui à partir de Vancouver, sur le territoire traditionnel non cédé des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.
[Traduction]
Des chaînes d’approvisionnement efficaces, résilientes et fiables sont essentielles à nos objectifs nationaux de croissance et de diversification du commerce, ainsi qu’à notre productivité et à notre compétitivité. Le Canada dépend fortement du transport pour transporter de grandes quantités de marchandises sur de vastes distances et dans des régions géographiques complexes, tant à l’intérieur de notre pays qu’à destination et en provenance de nos partenaires commerciaux mondiaux.
Le Bureau national de la chaîne d’approvisionnement travaille avec l’industrie, les autres ordres de gouvernement et toute la famille fédérale pour renforcer les systèmes de transport et de logistique du Canada. Dans le cadre de notre mandat, nous travaillons avec nos partenaires pour atténuer les répercussions des perturbations et soutenir la reprise. Cela comprend les catastrophes naturelles, comme les feux de forêt de l’an dernier, ainsi que les arrêts de travail dans le contexte des négociations collectives qui ont d’importantes répercussions sur les industries et les régions.
Souvent, il y a peu ou pas de moyens de transport de rechange dans le mouvement à grande échelle des marchandises, ce qui signifie que les perturbations peuvent avoir des répercussions importantes sur plusieurs utilisateurs différents au Canada et à l’étranger. Même la menace d’une perturbation peut avoir des répercussions. Les opérateurs doivent commencer à planifier avant qu’un événement ne se produise. Par exemple, les chemins de fer cessent de transporter certaines marchandises à l’avance afin que le matériel et le fret soient sécurisés et sécuritaires et ne soient pas bloqués là où ils ne devraient pas l’être. De plus, le rétablissement du service peut prendre plusieurs jours pour chaque jour d’interruption. Les utilisateurs du système doivent également prendre des dispositions d’urgence dans la mesure du possible, ce qui est souvent coûteux.
En cas de perturbations, le Bureau national de la chaîne d’approvisionnement se concentre principalement sur la facilitation du partage de l’information afin que les utilisateurs et les exploitants, ainsi que les décideurs gouvernementaux, aient une image claire et commune des opérations, qui peut éclairer les décisions menant à : pendant et pendant la récupération de l’événement. En entreprenant ce travail, nous veillons à maintenir une orientation opérationnelle et à ne pas nous ingérer dans le processus de négociation, qui est supervisé par le Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada.
Par exemple, nous pouvons réunir les expéditeurs et les exploitants de la chaîne d’approvisionnement, les gouvernements provinciaux et territoriaux, plusieurs ministères fédéraux, etc., pour partager les plans opérationnels et les répercussions. Ces réunions ont lieu à un rythme adapté aux perturbations particulières et au stade où elles en sont. Nous avons souvent rencontré près de 200 participants dans le cadre de notre intervention à la suite d’incidents récents.
On demande aux participants de traiter les renseignements échangés à titre confidentiel. Nous communiquons également directement avec certaines organisations pour nous concentrer sur des défis et des enjeux précis. Par exemple, nous pouvons approfondir les répercussions sur des types particuliers de biens, comme les fournitures médicales, ou sur une région en particulier.
Je vais vous donner quelques exemples généraux de ce que nous avons entendu au sujet des répercussions des perturbations. Je remarque que les répercussions dépendent habituellement de l’ampleur et de la durée d’une perturbation, du moment et de la nature du produit transporté.
La situation devient plus critique à mesure que les perturbations se prolongent. De nombreux produits, comme les matières premières pour les animaux ou les produits chimiques, ont des moyens de transport de rechange limités et ne peuvent pas être stockés pendant de longues périodes. Les produits agroalimentaires et les denrées périssables ont une durée de conservation limitée.
Certains produits doivent être livrés en temps opportun à des moments précis de l’année, comme la potasse lorsqu’elle est nécessaire pour fertiliser les champs ou les produits agricoles après la récolte et lorsque la demande mondiale est la plus forte.
Du côté des importations, les fabricants canadiens pourraient être incapables d’obtenir les matériaux nécessaires pour poursuivre la production, ce qui pourrait avoir un effet en cascade sur les chaînes de valeur transfrontalières dans des industries comme la fabrication automobile. De plus, la livraison de produits pharmaceutiques et de fournitures médicales essentiels fabriqués à l’extérieur du Canada peut être touchée. Ce ne sont que quelques exemples. De plus, des intervenants nous disent que les perturbations et l’incertitude à grande échelle peuvent nuire à la réputation du Canada comme fournisseur mondial. Les utilisateurs étrangers de produits canadiens se disent préoccupés lorsqu’une perturbation est probable.
Les répercussions en période de perturbation sont inévitables, et un accès transparent et rapide à des renseignements opérationnels faisant autorité est important, surtout dans les circonstances où il n’est pas clair combien de temps durera une perturbation. Nous sommes ici pour offrir ce soutien.
[Français]
Le Bureau national de la chaîne d’approvisionnement continuera de travailler pour accroître l’efficacité, la résilience et la fiabilité des chaînes d’approvisionnement au Canada.
Je conclus ici mes remarques liminaires. Nous serons heureux de répondre à vos questions. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur Stacey. Nous allons passer aux questions des sénateurs.
La sénatrice Dasko : Merci à vous, monsieur Stacey, et vos collègues, d’être parmi nous aujourd’hui. Vous avez décrit les effets des perturbations des chaînes d’approvisionnement et le genre de dommages qui s’ensuivent.
J’aimerais savoir si vous avez des mesures à proposer pour modifier les lois et les règlements actuellement en vigueur. D’autres témoins nous ont parlé du nombre d’arrêts de travail dans le secteur des transports. Le Canada semble être un cas d’exception à cet égard.
Pourriez-vous nous parler des changements que vous jugeriez nécessaires? Que pensez-vous de l’article 107, par exemple, et comment réagiriez-vous à la situation actuelle? Le statu quo est‑il une solution ou doit-on s’y prendre autrement?
M. Stacey : Merci, sénatrice. C’est une excellente question. Je rappelle que je suis ici à titre de fonctionnaire du ministère des Transports et que je m’occupe surtout de transport en lien avec les chaînes d’approvisionnement. C’est nous qui surveillons les chaînes d’approvisionnement. Nous travaillons avec nos partenaires pour circonscrire les difficultés et trouver des moyens de les surmonter.
Cela dit, je ne suis pas un expert de la politique ou des lois du travail ni des processus de négociation. Honnêtement, je ne me crois pas qualifié pour parler de cet enjeu. L’expertise et le leadership à cet égard appartiennent à nos collègues d’Emploi et Développement social Canada, et, malheureusement, je ne suis pas placé pour formuler des recommandations ou des conseils à cet égard. J’aimerais pouvoir être plus utile.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Wilson : Bienvenue à nos invités. Ma question a pour but d’informer les sénateurs ici présents qui ne sauraient peut-être pas ce qui se passe effectivement sur le terrain pendant des arrêts de travail tels qu’on en a connu ces dernières années.
Les témoins peuvent-ils décrire les répercussions opérationnelles de ces perturbations et les engorgements qui s’ensuivent, comme on a pu en constater dans les ports de la côte Ouest en 2023 quand le conflit s’est prolongé? Combien de temps faut-il pour retrouver l’équilibre? Que se passe-t-il du côté maritime? Où va tout le fret? Pourriez-vous décrire la situation pour mes collègues ici présents? Je crois que ce serait très utile pour la suite de la discussion.
M. Stacey : Quand on parle de chaînes d’approvisionnement, on parle évidemment de réseaux très complexes où interviennent de multiples utilisateurs et où circulent de multiples marchandises à tel ou tel moment et sous telle ou telle forme, que ce soit en vrac, dans des conteneurs, etc. Les répercussions peuvent varier considérablement selon l’expéditeur et la marchandise transportée.
Je vais vous donner un exemple concret concernant les grèves ou les lock-out qui auraient pu avoir lieu l’année dernière chez nos deux exploitants ferroviaires de catégorie 1. Il faut comprendre que les utilisateurs du réseau et les exploitants doivent se préparer très à l’avance quand il y a un risque important de débrayage ou d’arrêt de travail, si du moins il est prévisible.
Dans ce cas, plusieurs jours avant que le lock-out ou la grève soit éventuellement déclenché, les exploitants doivent commencer à placer ce qu’ils appellent un embargo sur certains services. Autrement dit, ils doivent cesser d’offrir certains services pour s’assurer, par exemple, que des biens ou du matériel ne sont pas laissés là où ils ne devraient pas rester. Par exemple, plusieurs jours d’avance, ils commencent par faire cesser la circulation de marchandises potentiellement dangereuses, comme les produits chimiques ou les produits toxiques. Cela a une incidence sur la circulation de ce genre de marchandises — par exemple, les carburants ou les produits chimiques et autres.
Un peu plus tard, les marchandises qui font partie de la chaîne du froid et celles qui sont périssables doivent aussi cesser de circuler. Je rappelle que tout cela se passe plusieurs jours avant le déclenchement de l’arrêt de travail. Certains produits agricoles et tout ce qui est froid, comme les viandes et ce genre de produits, doivent aussi, comme vous pouvez l’imaginer, cesser de circuler. Puis, les activités cessent progressivement jusqu’au moment où le débrayage est effectivement déclenché.
Tout se passe à l’avance. Les effets se produisent par anticipation sur les différents utilisateurs du réseau. Cela touche différents utilisateurs de différentes façons, ceux qui expédient les marchandises, mais aussi ceux qui pourraient les recevoir.
Si j’ai bien compris, dans ce cas, certaines grandes compagnies de transport maritime international ont également cessé de recevoir ou d’expédier des marchandises au Canada parce qu’elles ne savaient pas ce qui allait se passer à l’autre bout. Cela a également une incidence sur la circulation des marchandises et, je le rappelle, tout cela se passe avant le débrayage effectif.
Évidemment, pendant le débrayage proprement dit, cela dépend de la nature de l’événement. Il peut s’agir d’un arrêt de travail complet ou d’autre chose. Mais en l’occurrence, l’impact est majeur pour l’ensemble des utilisateurs du réseau.
Par la suite, il y a une longue période de reprise des services pendant laquelle le réseau est progressivement remis en route. Dans le cas qui nous occupe, on nous a dit que le délai de reprise pouvait aller jusqu’à sept jours pour chaque journée de débrayage. J’espère que cela vous donne une idée de ce qui peut arriver.
Je vais passer la parole à mes collègues. Peut-être que Sonya Read, du côté maritime, a quelque chose à ajouter au sujet des ports.
Sonya Read, directrice générale, Politiques maritimes, Transports Canada : Pour ajouter aux propos de M. Stacey, j’aimerais vous parler des ports. Il vous a dit qu’une journée de débrayage peut se solder par trois à sept jours de récupération selon la nature de la grève. D’après ce que nous avons entendu au cours des dernières grèves, c’est tout à fait exact.
Dans les ports, cela varie évidemment selon le produit, mais nous voyons souvent des expéditeurs dérouter leurs cargaisons par anticipation quand ils pensent qu’il risque d’y avoir une grève. Selon la chaîne d’approvisionnement et la flexibilité dont ils disposent, certains expéditeurs peuvent réacheminer des marchandises vers des ports qui ne seront pas touchés par la grève.
Au cours de la dernière grève sur la côte Ouest du Canada, par exemple, nous avons vu des cargaisons acheminées vers des ports américains de la côte Ouest. La reprise prend parfois beaucoup de temps. Certaines de ces voies ou lignes maritimes ne retournent pas nécessairement au port. C’est très variable. Quand les marchandises sont acheminées par une certaine voie ou une certaine chaîne d’approvisionnement, il arrive que la reprise ne se fasse pas immédiatement. Ce n’est pas comme si les choses revenaient à la normale d’un coup. Les marchandises restent parfois ailleurs très longtemps. Il n’y a pas toujours de retour complet des services.
Nous avons également remarqué que, pendant les grèves ou les arrêts de travail, il se produit un véritable engorgement des conteneurs sur les quais du port, selon le type de grève. Évidemment, dans le cas de la grève des chemins de fer, il y a eu un important engorgement de conteneurs aux terminaux portuaires, même si eux n’étaient pas en grève. Ces conteneurs ne peuvent pas sortir des ports. Et les navires ne peuvent donc pas décharger leurs marchandises. Ensuite, on observe un recours plus fréquent aux aires de mouillage ou aux déroutements, et c’est ce qu’on voit notamment dans beaucoup de nos ports de la côte Ouest. On voit des navires qui, s’ils n’ont pas pu se dérouter à temps, sont immobilisés en attendant la fin de la grève.
Le sénateur Lewis : On parle ici des répercussions d’une grève et de ce qui se passe. Est-ce que vous faites des analyses prospectives? Vous avez parlé de ce qui s’est passé au cours de la dernière grève. Avez-vous des solutions à proposer ou estimez-vous que certaines grèves auraient pu être mieux gérées sur le plan de la logistique portuaire ou de la réaction des sociétés ferroviaires, etc.?
M. Stacey : La gestion de la logistique sur le terrain est évidemment prise en charge par les exploitants du réseau. Notre rôle consiste notamment à veiller à ce que tous les utilisateurs aient une vision opérationnelle commune. Il s’agit de réseaux extrêmement complexes de chaînes d’approvisionnement dont dépendent plusieurs entités distinctes. On a besoin d’une vision opérationnelle commune, par exemple en ce qui concerne les parties du réseau qui sont stoppées à tel ou tel moment. Quelles sont les difficultés observées dans les ports du côté des engorgements de conteneurs et des entraves à la circulation des marchandises, etc.?
Nous sommes ainsi en mesure de faciliter une meilleure prise de décisions, notamment par les entités qui expédient ou qui doivent traiter les produits qu’elles ont en main et qui essaient de déterminer ce qu’il faut faire dans cette situation.
J’aimerais penser que ces informations sont également utiles pour réfléchir à ce qu’il faudrait faire dans une autre situation, mais nous ne disposons pas de ces informations si vous souhaitez un processus organisé dans le cadre duquel nous aidons à planifier un événement à venir, notamment en ce qui concerne la main-d’œuvre.
Le sénateur Lewis : Faites-vous des analyses prospectives du commerce? Par exemple, nous en sommes maintenant à une étape où nous aurons probablement moins d’échanges commerciaux avec les États-Unis. Nous aurons plus que jamais besoin des chemins de fer et du transport maritime pour une grande partie de nos exportations. Avez-vous fait une analyse de ce qui sera nécessaire à l’avenir?
M. Stacey : C’est une question vraiment importante compte tenu des objectifs actuels du gouvernement. Je dirais que, en règle générale, notre ministère s’intéresse au fonctionnement de notre réseau et de nos chaînes d’approvisionnement et qu’il tient compte des différents besoins pour pouvoir approvisionner différents marchés dans différentes directions. C’est effectivement une priorité d’ordre général pour notre organisation.
Le sénateur Lewis : Je suppose que les expéditeurs et les utilisateurs du réseau vous posent beaucoup de questions. Est-ce qu’il vous arrive de passer beaucoup de temps à parler aux syndicats de ce qui se passe pendant une grève?
M. Stacey : Quand nous sommes en situation réelle, nous examinons la façon dont les différents utilisateurs du réseau sont déployés, où ils déploient ce qu’ils transportent, c’est-à-dire leurs produits et leurs marchandises, et comment ils réagissent. En fait, nous nous intéressons à ces utilisateurs et aux exploitants qui peuvent fournir des renseignements sur ce qui se passe réellement sur le terrain. C’est notre principal objectif dans ce genre de situation.
Le sénateur Lewis : Merci.
La sénatrice Simons : Monsieur Stacey, je crois que les Canadiens ont pris conscience de la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement en 2020, au pire moment de la crise de la COVID-19. Puis, en 2021, une énorme tempête a détruit les voies du CN et du CP près de Vancouver, ainsi que les autoroutes. Comme Albertaine, je peux vous dire que cela m’a fait comprendre de façon plutôt extraordinaire l’importance des chaînes d’approvisionnement, mais je veux essayer de situer les choses dans leur contexte.
Quand vous analysez les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement, comment les grèves se classent-elles comparativement aux phénomènes météorologiques extrêmes, aux pandémies ou à la politique commerciale de notre plus proche voisin en termes de facteur de risque pour ces chaînes d’approvisionnement?
M. Stacey : Je ne crois pas pouvoir faire de comparaison entre différents types d’incidents ou de perturbations, mais ce qui est clair — et vous l’avez très bien souligné, sénatrice —, c’est que nous vivons dans une période d’incertitude croissante, et cela fait vraiment ressortir l’importance de la résilience de notre réseau global.
En effet, ces derniers temps, nous avons souvent été témoins de perturbations de toutes sortes échappant au contrôle de tout le monde, et nous avons réagi de manière très semblable, par exemple, au moment des tragiques incendies qui ont ravagé notre réseau et la ville de Jasper l’an dernier. Cela a eu une incidence majeure, car cela a provoqué l’arrêt complet du transport ferroviaire sur les lignes principales desservant les ports de Prince Rupert et de Vancouver.
Nous constatons régulièrement que cela fait partie du monde dans lequel nous vivons, et nous devons nous y préparer. Nous avons à notre disposition divers mécanismes qui nous permettent de collaborer avec les parties intéressées dans le cadre de différentes tribunes. Nous avons ce qu’on appelle la bourse logistique du corridor occidental, où nous travaillons. Cela ne nous permet pas de prévoir des événements catastrophiques comme ceux-là, mais c’est là que nous travaillons avec les parties intéressées pour examiner ce qui se passe du côté du transport de marchandises dans ce très important corridor occidental. C’est un exemple.
Vous avez raison de le souligner. Je dirais en effet, de manière générale, que partout dans le monde on reconnaît les difficultés croissantes auxquelles se heurtent les chaînes d’approvisionnement en raison de catastrophes naturelles liées aux changements climatiques ou de situations géopolitiques, etc. C’est un enjeu très important.
La sénatrice Simons : Il y a eu des grèves dans le secteur des transports. Elles ont été réglées très rapidement, tout bien considéré, grâce à l’intervention du gouvernement. Entretemps, les risques sont énormes pour les chaînes d’approvisionnement. J’ai parlé de certains cas sur la côte Ouest et en Alberta, mais il y a aussi le risque d’inondation de l’isthme de Chignecto qui est un lien de transport vital entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Nous avons des vulnérabilités semblables dans les chaînes d’approvisionnement partout au pays.
Nous avons récemment terminé une étude importante sur la résilience du secteur des transports face aux changements climatiques. Je comprends bien que, quand les facteurs de risque sont multiples, nous voulons gérer ceux qui sont sous notre contrôle et qu’une grève est particulièrement dévastatrice quand elle survient au moment d’une autre défaillance de la chaîne d’approvisionnement, mais, quand on classe les phénomènes qui menacent la résilience de nos chaînes d’approvisionnement, je me demande si les grèves ne sont pas tout en bas de la liste comparativement aux phénomènes climatiques comme les inondations, les feux de forêt, les ondes de tempête ou d’autres.
M. Stacey : Je ne sais pas si on a fait ce genre de classement.
La sénatrice Simons : Si vous n’avez pas eu l’occasion de prendre connaissance de notre étude, sachez qu’elle est excellente.
M. Stacey : Je l’ai lue.
La sénatrice Simons : Le titre principal est Urgent, et c’est bien ce que nous voulions dire.
M. Stacey : Je comprends. Je l’ai lue. Merci.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Merci aux invités.
Compte tenu de l’importance stratégique du transport ferroviaire et maritime pour la résilience de notre économie, j’ai deux questions. Peut-être ne pourrez-vous pas totalement y répondre. Ma première question est la suivante : croyez-vous que le cadre actuel de réglementation et de coordination interprovinciale est suffisant pour protéger les chaînes d’approvisionnement critique du pays? Deuxièmement, dans quelle mesure des perturbations au niveau du transport ferroviaire pourraient-elles avoir des impacts sur les autres réseaux de transport, par exemple provinciaux ou privés? Avez‑vous une opinion sur ce que l’on pourrait faire comme parlementaires par rapport à cela?
M. Stacey : Je commencerais avec la deuxième question.
Les systèmes ferroviaires et les grands ports sont très importants pour le mouvement de marchandises. Ils font partie de chaînes d’approvisionnement très complexes qui sont en relation avec plusieurs industries et autres formes de transport. Une chaîne d’approvisionnement est constituée de liens, de multiples modes de transport et d’opérateurs qui travaillent ensemble pour transporter des marchandises sur de très longues distances entre des pays. S’il y a une interruption dans une partie de ce système, surtout dans une importante partie de ce système, par exemple un opérateur ferroviaire, cela aura des impacts sur tout le réseau. Par exemple, nous pouvons penser aux parties qui appartiennent aux provinces comme les routes, aux opérateurs comme les camionneurs, etc.
Je ne sais ce que l’on peut faire. Évidemment, c’est pour cela qu’il est important de travailler pour améliorer et mitiger ces situations lorsqu’elles surviennent, c’est ce qu’on peut faire.
L’objectif de notre Bureau national de la chaîne d’approvisionnement est d’essayer de trouver des façons d’améliorer le mouvement des marchandises entre les différentes parties du système.
En cas de crise, on fait ce que j’ai décrit plus tôt. Je ne sais pas ce que le Parlement pourrait faire pour changer cela.
Pourriez-vous répéter la première partie de votre question?
Le sénateur Aucoin : Est-ce que le cadre réglementaire et la coordination intergouvernementale sont suffisants à l’heure actuelle pour éviter la plus grande des catastrophes ou la perturbation?
M. Stacey : On a une grande collaboration avec les hauts niveaux de gouvernement. Par exemple, il y a le Conseil des ministres responsables des transports et de la sécurité routière qui travaille en étroite collaboration avec les hauts niveaux de gouvernement.
On travaille toujours pour examiner et améliorer nos politiques. Je suppose qu’on pourrait toujours les améliorer.
Le sénateur Aucoin : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Wilson : J’ai une question complémentaire. M. Stacey a très bien décrit les mesures de préparation qui sont prises dans le secteur ferroviaire dans la perspective d’un conflit de travail. Du côté maritime, je crois que des mesures semblables sont prises. La sénatrice Simons essayait de se faire une idée de l’ordre d’importance des répercussions des conflits de travail, mais je crois comprendre qu’il ne s’agit pas seulement des conflits de travail, mais aussi de la menace de conflits de travail, et c’est quelque chose qui arrive régulièrement et même, à vrai dire, tout le temps, et cela peut entraîner des déroutements de marchandises. Madame Read, pourriez-vous nous parler de ce qui se passe du côté maritime dans ce genre de dynamique?
Mme Read : Merci de la question, sénateur. Comme je l’ai indiqué dans ma réponse précédente, en effet, dès qu’il y a menace de conflit de travail, beaucoup d’expéditeurs et d’utilisateurs du réseau vont être particulièrement attentifs à la probabilité que cela se concrétise. Il est important de maintenir ces voies de communication ouvertes. On voit effectivement qu’ils commencent à planifier ces expéditions des semaines à l’avance et qu’ils vont donc prendre des décisions. C’est ce que mon collègue Colin Stacey aurait vu également dans le cadre des conversations et de la collaboration avec d’autres parties intéressées. Ils commencent à prendre des décisions plusieurs semaines à l’avance sur le transport de telle ou telle cargaison.
Un déroutement peut être anticipé plusieurs semaines à l’avance en raison de l’éventualité d’une grève et pour éviter que la cargaison soit coincée quelque part dans le réseau, compte tenu de sa fragilité. Ils veulent s’assurer de pouvoir le faire.
Dans le cas d’une grève du rail, c’est un peu différent, évidemment, parce qu’une grève dans un port bloquera la partie intermodale du transport des marchandises, c’est-à-dire l’interface entre le transport maritime et le transport ferroviaire. C’est différent dans le cas du transport ferroviaire en raison de son interaction avec la chaîne d’approvisionnement.
En termes de planification, le processus est très semblable. Il y a une circulation anticipée dans les chaînes d’approvisionnement avant la grève. Certaines cargaisons ne reviennent pas. Il n’y a pas nécessairement de retour en arrière. Concernant les volumes de conteneurs, par exemple, on a constaté une baisse dans certains ports en prévision de grèves, et il a parfois fallu beaucoup de temps avant que les choses reviennent à la normale. En 2024, on a constaté un rétablissement très lent dans certains cas.
Le sénateur Wilson : Canadian Tire ou d’importants exportateurs comme Canpotex ou d’autres peuvent choisir la destination de leurs cargaisons. Certains grands exportateurs canadiens, par exemple, construisent des installations aux États-Unis en raison du risque pour notre chaîne d’approvisionnement ici au Canada. Canadian Tire, par exemple, conserve de multiples chaînes d’approvisionnement pour réacheminer plus facilement les marchandises, mais que peut faire un petit importateur ou exportateur qui n’a pas ces moyens? Que se passe-t-il alors?
Mme Read : Je ne peux pas vous parler d’expéditeurs en particulier dans ce contexte. Évidemment, cela dépendra. On sait que, dans le contexte de grèves précédentes, par exemple, beaucoup de conteneurs ont été bloqués dans un port en attendant d’être déplacés ou ont été coincés sur un navire en attendant d’être déchargés. Cela a des répercussions plus importantes sur les personnes ou les entreprises qui n’ont pas les moyens de réorienter leurs chaînes d’approvisionnement à temps ou qui sont davantage dépendantes du réseau.
Tamara Rudge, directrice générale, Politiques des transports terrestres, Transports Canada : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose à ce sujet, c’est important, et vous avez souligné, sénateur, que, dans ces réunions au sujet des solutions de rechange, on nous dit qu’il n’y en a pas. Il n’y a pas de plan B. Les marchandises devront attendre. Et les expéditeurs vont perdre ces clients. La réputation commerciale du Canada se détériore, et parfois, comme le disait Mme Read, il n’y a pas de retour.
Concernant le classement, ce qui est difficile au sujet des menaces d’arrêt de travail, c’est que, pour les clients et pour ceux qui font notre réputation commerciale, c’est quelque chose que nous pourrions empêcher. Quand il s’agit d’une rivière atmosphérique, même si les clients sont quand même frustrés et même si cela a le même effet de bloquer nos chaînes d’approvisionnement, du côté de la main-d’œuvre, on a l’impression — et c’est ce que nous disent les expéditeurs — qu’il s’agit d’une situation régulière propre au Canada et que cela compromet notre aptitude à être un partenaire commercial fiable. Ces clients décident donc d’aller ailleurs parce qu’ils ne peuvent pas gérer la fréquence des perturbations qu’ils constatent ici.
Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Stacey?
M. Stacey : Non. Je pense que c’est très bien dit. Merci.
La sénatrice Simons : J’espère que vous avez pu entendre le témoignage de M. Champ et du professeur Lee ce matin. Vers la fin de son intervention, M. Lee a dit quelque chose qui me semble apparenté à ce que nous disons ici, à savoir que le Canada est vulnérable parce que nous avons très peu de solutions de rechange. Nous avons exactement deux chemins de fer à longue voie. Nous avons aussi des chemins de fer locaux, mais c’est pour les courtes distances. Nous avons plus d’un port, mais nous n’en avons pas beaucoup, et il n’y a pas d’autres syndicats avec lesquels il soit possible de négocier.
Pourriez-vous nous parler de façon plus générale des difficultés qu’affronte le Canada en raison de la vulnérabilité unique associée au manque de solutions de rechange? Comme l’a rappelé M. Lee, pour le transport aérien, il y a Air Canada, WestJet et maintenant Porter, et Flair je suppose. Il ne faudrait pas laisser Flair de côté, mais il reste que les gens qui veulent prendre l’avion ont peu de choix. Dans quelle mesure nos chaînes d’approvisionnement en transport sont-elles vulnérables par manque de pression concurrentielle et de solutions concurrentielles?
M. Stacey : Merci, sénatrice. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, l’expérience de la COVID-19 a révélé notre degré de dépendance à l’égard des réseaux de transport et des chaînes d’approvisionnement, ainsi que la vulnérabilité potentielle de ces systèmes logistiques de transport multidimensionnels. Un obstacle à la circulation des marchandises peut avoir des effets en cascade très importants sur nos entreprises et pour les marchandises qui circulent dans les deux sens. Cela peut aussi avoir une incidence sur ceux qui comptent sur ces services, y compris nos clients à l’étranger.
Il n’y a pas deux façons de faire. Je ne peux pas nécessairement faire de comparaison avec d’autres pays. Tous ont évidemment leurs propres difficultés, mais, comme on l’a rappelé à juste titre, nous avons une géographie particulière. À bien des égards, les enjeux dans le Nord sont spécifiques. Nous avons de très longs corridors à travers le pays, et cela peut comporter des difficultés, mais en matière de transfert de marchandises entre les différents modes et exploitants, quand elles circulent d’un bout à l’autre du pays, qu’elles traversent les frontières et qu’elles sont acheminées dans le reste du monde, d’autres problèmes peuvent s’ajouter en termes d’efficacité, de productivité, etc. Tout ce que vous dites est juste et explique pourquoi cet enjeu est si important.
La sénatrice Simons : Il y a autre chose dont nous n’avons pas encore vraiment parlé aujourd’hui, et ce sont les conditions de travail. Nous réagissons comme si le seul motif de grève était la pression inflationniste sur les salaires, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Comme nous l’avons vu dans le cas des agents de bord d’Air Canada, l’enjeu qui a suscité l’intérêt de la population est quelque chose dont je ne me rendais pas compte avant de devenir sénatrice et de commencer à prendre l’avion deux fois par semaine. Le problème est que les agents de bord ne sont pas payés pour leur temps au sol. Leur rémunération ne commence qu’au moment où la porte de l’avion se referme. Beaucoup de Canadiens ont été choqués par le nombre d’heures de travail non rémunérées des agents de bord.
Dans le cadre de réunions avec des groupes syndicaux représentant les employés du secteur ferroviaire, j’ai constaté que les gens avaient l’impression que leur charge de travail avait augmenté et qu’ils travaillaient de très longues heures à un moment où les effectifs avaient diminué en raison de l’automatisation. En fait, nous avons beaucoup de mal à trouver des gens disposés à suivre une formation d’ingénieur ferroviaire ou de chauffeur routier longue distance. Ces emplois ne sont pas considérés comme désirables, et on a beaucoup de mal à avoir du personnel formé et qualifié.
Qu’en est-il de l’autre côté de la médaille? Comment rendre ces emplois — je ne voudrais pas dire plus séduisants. Mais comment améliorer les conditions de travail pour intéresser plus de gens?
M. Stacey : Merci de la question. J’avoue que, dans notre secteur, on a du mal à trouver la main-d’œuvre qualifiée dont nous avons besoin, et c’est un enjeu dans l’ensemble de l’économie. Ce n’est pas propre au secteur des transports, même si c’est un problème dans notre chaîne d’approvisionnement. Je ne sais pas s’il existe une seule analyse qui résumerait toutes les raisons de cette situation et, à vrai dire, cela relèverait probablement d’un autre ministère, mais je ne connais aucune solution miracle ni même l’ampleur réelle du problème.
La sénatrice Dasko : J’ai une brève question complémentaire pour M. Stacey. Vous avez parlé d’un comité des ministres des Transports. Je suppose qu’il s’agit des ministres provinciaux. Pourriez-vous nous dire ce que pense ce comité de l’approche du gouvernement fédéral? Est-ce qu’il aurait des conseils à donner au gouvernement fédéral sur les changements qu’il faudrait apporter à la façon dont il aborde ces questions? Y a-t-il consensus entre ces ministres? Le Canada étant ce qu’il est, j’en doute. Quoi qu’il en soit, ce comité donne-t-il des conseils au gouvernement fédéral sur la façon d’aborder ces enjeux à mesure qu’ils se présentent?
M. Stacey : Parlez-vous précisément des enjeux liés aux relations de travail?
La sénatrice Dasko : Je parle des arrêts de travail, de la perturbation des chaînes d’approvisionnement, des règlements et des lois en vigueur, ainsi que du rôle du gouvernement fédéral et la façon dont il traite ces questions. Ce comité a-t-il formulé des avis, et pouvez-vous nous en faire part?
M. Stacey : Il y a un conseil des ministres des Transports, qui comprend également un conseil de sous-ministres. Quand ils se réunissent, ils discutent de multiples questions et ils se concentrent évidemment sur les enjeux prioritaires à ce moment-là. Il est donc difficile pour moi de généraliser leur point de vue sur les enjeux en général.
Chose certaine, j’ai le sentiment qu’on s’entend sur l’importance de régler les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement, mais je ne peux pas parler au nom du conseil des ministres et me prononcer sur son point de vue général concernant un large éventail de questions. Les ministres s’occupent effectivement de toutes sortes de questions, dont certaines relèvent des divers paliers de gouvernement.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le président : Ce sera tout, à moins que M. Stacey, Mme Read ou Mme Rudge aient d’autres commentaires. Je vous remercie tous de vous être joints à nous aujourd’hui, de nous avoir informés et d’avoir répondu à nos questions.
Avant de lever la séance, je rappelle aux sénateurs que notre prochaine réunion aura lieu demain, mercredi 29 octobre, à 18 h 45. Avant de clore la réunion, je tiens à remercier toute l’équipe de soutien du comité, ceux qui sont à l’avant de la salle, ceux qui sont au fond de la salle et ceux qui se trouvent en coulisse.
Merci à vous tous pour votre travail, qui contribue énormément au succès du nôtre comme sénateurs.
(La séance est levée.)