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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 29 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le maintien des activités ou des services essentiels dans les secteurs ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale en cas de conflit de travail.

Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, bienvenue. Je m’appelle Larry Smith. Je suis sénateur du Québec et président du comité.

[Français]

J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

Le sénateur Wilson : Duncan Wilson, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec. Je remplace la sénatrice Mohamed aujourd’hui.

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Arnold : Dawn Arnold, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Lewis : Todd Lewis, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le président : Bienvenue à tous ceux qui sont avec nous aujourd’hui, ainsi qu’à ceux qui nous écoutent en ligne sur sencanada.ca. Nous nous réunissons aujourd’hui pour poursuivre notre étude sur le maintien des services de transport en cas de conflits de travail.

Je vous présente notre premier groupe de témoins. Nous recevons, de l’Association des chemins de fer du Canada, Eric Harvey, président et directeur général; de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Stephanie McGuire, vice‑présidente adjointe, Relations de travail; et du Canadien Pacifique Kansas City, Nathan Cato, vice-président adjoint, Affaires gouvernementales canadiennes; et, pour l’Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale, Daniel Safayeni, président et chef de la direction, et Christopher D. Pigott, associé, Fasken Martineau DuMoulin LLP. Merci à tous d’être avec nous aujourd’hui.

Les témoins prononceront une allocution d’ouverture d’environ cinq minutes, qui sera suivie de questions des sénateurs.

J’invite maintenant M. Harvey à prononcer son allocution d’ouverture.

[Français]

Eric Harvey, président et directeur général, Association des chemins de fer du Canada : Merci, honorables sénateurs.

L’Association des chemins de fer du Canada remercie ce comité de lui donner l’occasion de comparaître sur le sujet important de la stabilité du travail au sein des chaînes d’approvisionnement canadiennes.

Nous représentons plus de 50 compagnies de transport ferroviaire de marchandises et de passagers qui emploient 37 000 personnes et exploitent 42 000 kilomètres de voies ferrées. Chaque année, les chemins de fer canadiens transportent des marchandises d’une valeur d’environ 380 milliards de dollars, soit, en d’autres mots, plus d’un milliard de dollars par jour. En fait, la moitié des exportations canadiennes sont acheminées par rail, que ce soit vers la frontière américaine ou vers un port.

L’importance économique du maintien d’une chaîne d’approvisionnement fluide dans un pays exportateur comme le Canada ne saurait être surestimée. Au cours des dernières décennies, de nombreuses perturbations ont eu de graves conséquences économiques et ont miné la confiance mondiale envers la fiabilité du Canada comme partenaire commercial.

[Traduction]

Ces perturbations ont également nui à l’économie intérieure du Canada et aux importateurs. La situation ne s’est pas améliorée ces dernières années. En fait, elle s’est aggravée.

En termes simples, les conflits de travail, en particulier ceux qui touchent les industries sous réglementation fédérale, continuent de nuire à la compétitivité du Canada. Depuis des décennies, le Canada se classe parmi les derniers pays de l’OCDE en ce qui concerne le nombre de jours de travail perdus en raison d’arrêts de travail, soit environ 5 de plus que les autres membres de l’OCDE et 10 de plus que les États-Unis.

Au début de l’année, l’Association des chemins de fer du Canada, l’ACFC, a publié un rapport intitulé Les effets considérables des arrêts de travail dans le secteur des transports du Canada. Avant la réunion, nous en avons remis une copie à la greffière du comité afin d’éclairer vos délibérations.

Les données d’Emploi et Développement social Canada montrent qu’au cours des dernières décennies, le secteur des transports au Canada a été confronté à des milliers d’arrêts de travail touchant près de 2 millions de travailleurs, ce qui a entraîné la perte de plus de 19 millions de jours de travail. De 2023 à 2024, on a observé une forte augmentation des arrêts de travail dans le secteur des transports, avec 62 cas recensés. Ces arrêts ont entraîné la perte de 230 000 jours de travail pour la seule année 2023 et de 1,3 million de jours de travail pour 2024, ce qui représente le nombre le plus élevé de jours-personnes perdus dans ce secteur depuis 1966.

À partir des données publiées par les organismes gouvernementaux, notre rapport a établi que les pertes en PIB liées aux arrêts de travail dans le secteur ferroviaire sont environ 10 fois supérieures à celles liées au transport routier et environ 20 fois supérieures à celles liées au transport aérien. Il est important de noter que le rapport montre également que près des deux tiers des pertes irrécupérables en PIB liées aux arrêts de travail dans le secteur ferroviaire se produisent dans d’autres secteurs. En d’autres termes, les arrêts de travail dans le secteur ferroviaire causent des pertes durables et qui ne peuvent être récupérées dans l’ensemble de l’économie.

Cette conclusion n’est pas surprenante. L’arrêt des opérations ferroviaires est un processus complexe qui nécessite une planification minutieuse et plusieurs jours pour être mené à bien afin de s’assurer qu’aucun train ou chargement ne soit bloqué. De même, la reprise des opérations exige un enchaînement approprié des équipements et des activités, et cela peut prendre des semaines avant que l’ensemble du réseau ne retrouve sa pleine capacité.

Les gouvernements successifs ont reconnu le rôle essentiel des chaînes d’approvisionnement pour l’économie canadienne en rétablissant les services en cas d’arrêt de travail. Si ces interventions étaient justifiées, elles ont également entraîné des retards importants et une incertitude liée à des facteurs politiques et procéduraux. Au début de la semaine, un témoin a confirmé que le gouvernement canadien était intervenu 38 fois dans le secteur des transports depuis 1950, soit une fois tous les deux ans.

Un cadre plus prévisible et plus durable concernant les interventions est nécessaire pour assurer la stabilité à long terme du travail dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes et éliminer les effets négatifs des arrêts de travail sur notre économie.

Les entreprises font leur part, et dix associations nationales, dont l’ACFC, représentant un large éventail d’entreprises canadiennes, notamment dans les secteurs agricole, minier, forestier et automobile, se sont regroupées sous la bannière movingeconomies.ca. Cette coalition réclame de nouveaux mécanismes efficaces pour protéger les différents secteurs contre les préjudices économiques causés par les perturbations du travail dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes.

Le secteur ferroviaire soutient pleinement la négociation collective et les accords négociés qui offrent à nos employés des avantages sociaux solides, des salaires compétitifs et des conditions de travail sûres. Cependant, le Canada a besoin d’un système équilibré et efficace de règlement des conflits du travail qui garantisse la stabilité et la prévisibilité de nos chaînes d’approvisionnement pour les clients qui en dépendent. Le régime actuel ne permet pas d’atteindre cet objectif.

Merci.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Harvey. J’invite maintenant Mme McGuire à faire ses déclarations liminaires.

[Traduction]

Veuillez commencer.

[Français]

Stephanie McGuire, vice-présidente adjointe, Relations de travail, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada : Honorables sénateurs, merci de nous donner l’occasion de comparaître aujourd’hui au nom du Canadien National (CN).

Nous saluons le travail essentiel de votre comité dans l’examen des moyens de maintenir les services essentiels dans les secteurs du transport sous réglementation fédérale lors de perturbations du travail. Le CN est une composante cruciale de l’infrastructure du Canada. Chaque jour, nous transportons les marchandises sur lesquelles les Canadiens comptent : des minéraux critiques, du bois, du pétrole, des céréales, et des fournitures médicales.

Notre réseau s’étend sur trois côtes, reliant les communautés, les industries et les marchés internationaux. Le CN n’est pas seulement un chemin de fer, c’est l’artère vitale de l’économie canadienne.

[Traduction]

Le CN reconnaît et respecte le droit des employés à négocier collectivement et le rôle des syndicats dans la représentation des travailleurs. En fait, en tant qu’employeur, nous souhaitons conclure des accords négociés. Nous estimons que cela est dans l’intérêt des syndicats, des employés et des employeurs. Parallèlement, il est essentiel de trouver un équilibre entre les droits des travailleurs et l’intérêt public, en particulier lorsque des perturbations menacent la chaîne d’approvisionnement et l’économie canadiennes, que le pays s’efforce sans relâche de diversifier et de renforcer.

Cet objectif ne peut être atteint sans un mécanisme obligeant les parties à rester à la table des négociations et à négocier de bonne foi, tout en atténuant les perturbations qui nuisent à l’économie. Le CN estime qu’un processus de médiation par un tiers neutre, habilité à déterminer les modalités d’un accord et donnant au ministre du Travail le pouvoir de mettre en œuvre ces modalités si elles sont jugées d’intérêt national, constitue une solution réaliste.

Le mécanisme de maintien des activités récemment modifié en vertu du Code canadien du travail habilite le ministre du Travail à renvoyer au Conseil canadien des relations industrielles, le CCRI, les questions relatives au maintien des activités pendant un conflit de travail, s’il le juge nécessaire.

En 2024, le ministre a renvoyé une telle question pour le secteur du transport ferroviaire de marchandises, plus précisément le CN et le Canadian Pacific Kansas City, ou CPKC. Après trois mois d’examen, pendant lesquels les négociations ont été suspendues, le CCRI a conclu que, selon le Code actuel, le secteur ferroviaire n’est pas un service essentiel. Il a également statué qu’aucune marchandise spécifique, telle que le chlore ou les céréales, ne devrait être désignée comme essentielle.

Nous estimons que cette décision était appropriée. Avec un résultat contraire, le CN aurait pu être contraint de localiser et d’isoler certaines marchandises jugées essentielles et d’assurer leur transport en cas de conflit de travail. Concrètement, cela aurait signifié localiser les wagons appropriés dispersés à travers le pays, et former de multiples trains courts qui auraient traversé nos communautés.

Sélectionner les marchandises à transporter pendant une grève est tellement irréaliste que c’en est impossible.

[Français]

Le CN ne croit pas que la désignation de service essentiel soit la bonne réponse. Nous convenons que le rail n’est peut-être pas « essentiel » au sens du code, mais il demeure crucial pour l’économie canadienne. La véritable question est donc la suivante : comment protéger les secteurs économiques vitaux pendant les conflits de travail?

[Traduction]

Le Canada doit moderniser son cadre de négociation collective. Les arrêts de travail sont de plus en plus longs et fréquents, ce qui menace la productivité et la réputation du Canada en tant que partenaire commercial fiable.

Depuis 2023, nous avons assisté à des perturbations répétées dans ces secteurs : les deux grèves dans les ports de la Colombie-Britannique qui ont paralysé les ports de la côte ouest; les conflits de travail chez le CPKC et le CN en 2024; la grève des travailleurs de l’entretien de WestJet pendant la longue fin de semaine de la fête du Canada en 2024; et, comme nous le savons, la dernière grève des agents de bord d’Air Canada en septembre dernier.

Les grèves prolongées dans le secteur des transports maritimes et ferroviaires compromettent la fiabilité de la chaîne d’approvisionnement et la compétitivité mondiale. Sans mécanismes plus solides pour maintenir les parties à la table des négociations, le cadre actuel reste fragile.

Si l’on ne veut pas recourir à l’article 107, quelle est alors la solution? Nous pensons que le Canada a besoin d’un processus moderne et contraignant de règlement des différends, qui permette à un tiers neutre de faire des recommandations aux parties et au ministre du Travail avant que les parties puissent obtenir le droit de faire grève ou de procéder à un lock-out.

Pour des secteurs comme le transport ferroviaire, le ministre devrait avoir le pouvoir d’adopter ces recommandations si nécessaire afin de protéger les Canadiens et l’économie. Ce sujet revêt un caractère d’urgence, car au cours des deux prochaines années, nous assisterons à d’importantes négociations dans les ports de la côte Est et de la côte Ouest, ainsi qu’au CN et au CPKC.

[Français]

Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, le CN demeure profondément engagé à maintenir des relations de travail constructives et à collaborer avec le gouvernement, les syndicats et les partenaires du secteur pour limiter les impacts des perturbations sur les Canadiens.

Nous appuyons les travaux de votre comité et souhaitons contribuer à un cadre moderne qui protège à la fois les droits des travailleurs et les intérêts publics.

[Traduction]

Merci. Je répondrai volontiers à vos questions.

[Français]

Le président : Merci, madame McGuire. J’invite maintenant M. Cato à faire ses déclarations liminaires.

Nathan Cato, vice-président adjoint, Affaires gouvernementales canadiennes, Canadien Pacifique Kansas City : Merci et bonsoir, honorables sénateurs.

Le Canadien Pacifique Kansas City, ou CPKC, a un bilan solide de négociations collectives fructueuses avec nos syndicats. Les meilleures ententes sont obtenues à la table des négociations. C’est toujours le résultat que l’on souhaite.

[Traduction]

Dans la grande majorité des cas, nous parvenons à conclure des accords négociés. En fait, plus tôt cette année, nous avons conclu de nouvelles conventions collectives de quatre ans avec trois syndicats représentant des milliers d’employés des secteurs de la mécanique, de l’ingénierie, du travail de bureau et du transport intermodal au Canada.

Malheureusement, dans notre secteur, il y a un syndicat canadien avec lequel il est difficile de parvenir à un accord négocié, ce qui entraîne généralement un arrêt de travail. En revanche, si l’on exclut ce syndicat, nous avons mené environ 40 rondes de négociations collectives avec d’autres syndicats canadiens depuis 1993, avec un seul arrêt de travail.

À notre avis, la question politique clé à explorer dans votre étude est la suivante : le gouvernement fédéral dispose-t-il des outils juridiques les plus efficaces pour protéger les intérêts nationaux du Canada lorsque les négociations collectives échouent dans des secteurs économiques essentiels au fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement, comme les chemins de fer et les ports?

[Français]

Une interruption de travail dans une compagnie de chemin de fer ou dans un port est plus grave qu’un conflit entre un employeur et un syndicat : tous les Canadiens sont touchés.

[Traduction]

Lorsqu’un conflit de travail survient dans ces secteurs, l’intérêt national est incontestablement en jeu. Les dirigeants syndicaux représentant quelques centaines ou quelques milliers d’employés ne devraient pas être autorisés à prendre en otage 41 millions de Canadiens et l’économie du pays. La réputation du Canada en tant que partenaire commercial fiable est également ternie lorsque les chaînes d’approvisionnement du pays sont paralysées en raison de perturbations fréquentes et récurrentes du travail. Une telle atteinte à la réputation nuit à la compétitivité du Canada.

Ces dernières années, d’importants clients internationaux ont demandé comment ils pouvaient commercer avec le Canada alors que ses chaînes d’approvisionnement essentielles sont si souvent interrompues ou menacées de l’être. Le programme ambitieux de diversification commerciale du gouvernement fédéral ne peut être réalisé sans une stabilité des relations de travail dans la chaîne d’approvisionnement.

[Français]

Dans le cas des chemins de fer et des ports, l’intérêt national exige que le gouvernement ait la capacité d’intervenir efficacement dans des circonstances appropriées pour résoudre un différend.

[Traduction]

Comme l’a souligné Ian Lee, professeur à l’Université Carleton, devant votre comité, tous les gouvernements depuis 1950, quelle que soit leur couleur politique, sont intervenus dans les secteurs ferroviaires et portuaires pour protéger l’intérêt national lorsque les négociations collectives ont échoué. Dans les secteurs clés des transports qui sont essentiels au fonctionnement de l’union économique du Canada, la question qui se pose au gouvernement fédéral en matière d’intervention n’est pas de savoir s’il doit intervenir, mais comment. Il n’est tout simplement pas envisageable pour un gouvernement de laisser les fonctions essentielles de la chaîne d’approvisionnement à l’arrêt.

À notre avis, le Parlement devrait modifier le Code canadien du travail afin de conférer au gouverneur en conseil, le cabinet, un pouvoir législatif explicite et spécialement conçu pour imposer directement et efficacement l’arbitrage exécutoire comme solution finale à un conflit de travail et pour prévenir ou mettre rapidement fin à une grève ou à un lock-out lorsque la négociation collective échoue dans des secteurs clés du transport qui sont essentiels au fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement.

[Français]

Cette autorité ne devrait pas se voir donner carte blanche. Le Parlement pourrait établir trois critères clairs pour son utilisation.

[Traduction]

Premièrement, des négociations collectives doivent avoir eu lieu et avoir échoué. Deuxièmement, il ne doit y avoir aucune perspective raisonnable de parvenir à un règlement négocié, y compris avec l’aide de médiateurs et de conciliateurs fédéraux. Troisièmement, une grève ou un lock-out doit causer un préjudice important à l’économie canadienne dans son ensemble. Ces critères constitueraient des garanties protégeant la validité constitutionnelle de l’intervention.

Bien que la décision rendue en 2015 par la Cour suprême du Canada reconnaisse le droit constitutionnel de grève, les tribunaux ont clairement établi que ce droit n’est pas absolu, contrairement à ce que certains voudraient vous faire croire. Il existe des restrictions légitimes, appropriées et constitutionnellement valides au droit de grève, en particulier lorsque l’intérêt national est en jeu.

L’intervention fédérale, quel que soit le mécanisme utilisé, est généralement contestée par les syndicats, soi-disant pour des raisons constitutionnelles. Les tribunaux ont régulièrement confirmé les interventions lorsque le gouvernement agit clairement dans l’intérêt national.

Le pouvoir proposé permettrait au cabinet d’agir rapidement, notamment lorsque le Parlement ne siège pas, ce qui est important. Un tel pouvoir renforcerait également la persuasion morale du gouvernement. La menace crédible d’une intervention rapide inciterait fortement les parties à parvenir à un accord négocié.

Dans le contexte commercial actuel, le premier ministre Carney répète souvent que nous devons contrôler ce que nous pouvons contrôler. Honorables sénateurs, la manière dont notre pays choisit de résoudre les conflits du travail qui causent un préjudice économique important et compromettent notre intérêt national est quelque chose que nous pouvons contrôler. Il s’agit de choix à faire.

Nous vous invitons à formuler, dans le cadre de votre étude, des recommandations qui contribueront à faire prévaloir les intérêts nationaux du Canada. Merci.

Daniel Safayeni, président et chef de la direction, Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale : Bonsoir, monsieur le président et membres du comité.

Je représente l’Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale, ou l’ETCOF, et je suis accompagné de Christopher Pigott, associé chez Fasken et conseiller juridique de l’ETCOF, qui vous parlera dans quelques instants des aspects juridiques des accords sur les services essentiels et le maintien des activités.

Je tiens tout d’abord à vous remercier de m’avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd’hui. Pour vous donner un peu de contexte, l’ETCOF représente les employeurs du secteur privé dans les industries réglementées par le gouvernement fédéral canadien, notamment les grandes compagnies ferroviaires, les ports, les entreprises de messagerie, les compagnies aériennes et les institutions financières, qui sont toutes soumises au Code canadien du travail.

Collectivement, ces secteurs génèrent plus de 543 milliards de dollars par an, directement pour le PIB. Cela représente environ 17 % du PIB canadien. Ils emploient plus de 2,1 millions de Canadiens, soit environ 12 % de la main-d’œuvre nationale, avec des salaires qui sont en moyenne 45 % plus élevés que la moyenne nationale.

Ces employeurs sont les piliers dynamiques de l’économie canadienne. Ils transportent les marchandises, les personnes, les capitaux, l’énergie et les informations. Ensemble, ils constituent l’épine dorsale de nos chaînes d’approvisionnement nationales et internationales. En bref, tous les autres secteurs de l’économie dépendent d’une manière ou d’une autre de leur fiabilité. Or, c’est précisément cette fiabilité qui est menacée ici.

Au cours des deux dernières années, le Canada a connu plus de 60 arrêts de travail liés au transport. Ceux-ci minent la confiance des investisseurs. Ils font grimper les coûts. Ils ébranlent la confiance du public, d’autant plus que les Canadiens sont de plus en plus lassés par les conflits de travail. La pression monte. Comme l’a mentionné ma collègue Stéphanie, au cours de la prochaine année, plusieurs conventions collectives importantes arriveront à échéance dans des secteurs cruciaux tels que les chemins de fer, les transports aériens, les ports, la logistique intégrée et les réseaux de livraison, qui constituent ensemble le maillage des chaînes d’approvisionnement du Canada ainsi que des déplacements personnels et professionnels.

Tout cela se déroule dans un contexte géopolitique et commercial instable, où la stabilité et la fiabilité sont des conditions préalables à l’investissement dans les partenariats et où l’incertitude prolongée menace non seulement nos activités nationales, mais aussi la crédibilité du Canada en tant que partenaire économique de confiance.

Le gouvernement fédéral a établi un programme ambitieux de construction nationale et de réforme économique, qui dépend fortement des secteurs sous réglementation fédérale. Or, ces mêmes secteurs restent soumis à un cadre de négociation collective qui n’a pas suivi l’évolution du temps. Les réformes ont été largement réactives, fragmentaires et motivées par des considérations politiques, ce qui a entraîné une rigidité, une efficacité opérationnelle et des coûts plus élevés qui, en fin de compte, freinent les investissements et la création d’emplois.

C’est pourquoi je tiens à vous remercier sincèrement pour la discussion d’aujourd’hui qui examine ces questions importantes.

Pour le dire clairement, les employeurs ne demandent pas au gouvernement de prendre parti. Nous demandons un cadre moderne et fondé sur des principes qui aide les parties à négocier de bonne foi, qui reconnaît et protège le droit de grève tout en tenant compte de l’intérêt public général lorsque des arrêts de travail prolongés menacent les chaînes d’approvisionnement nationales.

Nous sommes tous d’accord pour dire que le système actuel ne fonctionne pas et que le gouvernement a un rôle légitime à jouer, non pas pour imposer une issue, mais pour favoriser un règlement équitable et rapide des conflits, tout en maintenant les deux parties pleinement engagées dans le processus. L’objectif ici n’est pas d’affaiblir les droits des travailleurs, mais de mettre en place un processus équilibré et moderne qui protège à la fois l’intégrité des négociations et la stabilité de l’économie nationale.

Sur ce, je cède la parole à mon collègue, Me Christopher Pigott.

Me Christopher D. Pigott, associé, Fasken Martineau DuMoulin LLP, L’Association des employeurs des transports et communications de régie fédérale : Merci. Monsieur le président, les exigences relatives aux services essentiels ou au maintien des activités prévues dans le Code canadien du travail prévoient actuellement que l’employeur, le syndicat et les employés sont tenus de maintenir certaines activités pendant un arrêt de travail dans diverses circonstances, mais uniquement dans la mesure nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public.

Le Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI, l’organisme fédéral chargé des relations de travail, a toujours limité l’application de ces dispositions à ce qui est strictement nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour la santé et la sécurité. Tout autre risque ou intérêt, aussi grave soit‑il, ne déclenche pas l’application des dispositions relatives aux services essentiels.

Ainsi, le conseil a conclu à maintes reprises que ces exigences ne s’appliquent pas aux risques économiques ou financiers, ce qui comprend les risques pour le bien-être économique et la stabilité financière du Canada ou pour la chaîne d’approvisionnement nationale en tant que telle.

Toutefois, même lorsque les dispositions relatives au maintien des activités s’appliquent, c’est-à-dire même en présence de risques imminents et graves pour la santé et la sécurité dans un lieu de travail particulier, l’application de ces dispositions pose de sérieux problèmes. J’en soulignerai deux.

Premièrement, dans la pratique, les employeurs et les syndicats ne parviennent presque jamais à s’entendre sur les services qui doivent être maintenus pendant un arrêt de travail. Par conséquent, ces différends vont invariablement être portés devant la commission des relations de travail fédérale. Ces litiges nécessitent de nombreuses preuves, souvent fournies par des témoins experts, et prennent souvent des mois, voire des années, avant qu’une décision sur le maintien des activités ne soit rendue.

Deuxièmement, même lorsque les parties ou la commission désignent des services comme étant essentiels, déterminer comment maintenir ces services pendant les arrêts de travail et quels employés les fourniront représente un obstacle supplémentaire de taille. Pour de nombreuses activités, il n’est tout simplement pas possible de fonctionner à mi-régime. Soit elles fonctionnent à plein régime, soit elles s’arrêtent. C’est le cas notamment des transports, et ce, en raison de la nature du réseau et des exigences réglementaires qui s’appliquent à ce secteur au Canada. Ainsi, dans le contexte d’un conflit de travail, il existe des problèmes évidents en matière de mise en œuvre, même lorsqu’un service est considéré comme essentiel.

Je me ferai un plaisir de fournir plus de détails lors de la période des questions.

Le président : Je vous remercie, monsieur Safayeni et maître Pigott.

J’invite maintenant la vice-présidente, la sénatrice Dasko, à poser la première question.

La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’être avec nous aujourd’hui. Ma première question s’adresse à M. Harvey ainsi qu’à Mme McGuire et à M. Cato.

Vous avez parlé des jours de travail perdus, des nombreux arrêts de travail et des interventions du gouvernement. Pourquoi y en a-t-il autant dans ce secteur?

Les arrêts de travail semblent faire partie de la culture. Ils semblent faire partie du travail. C’est ainsi que je vois les choses.

Pourquoi la situation est-elle si difficile dans ce secteur? Je veux vraiment comprendre.

M. Harvey : Tout d’abord, je crois que c’est M. Cato qui a mentionné que notre industrie conclut de nombreuses ententes avec de nombreux syndicats. Je pense que vous faites allusion aux répercussions considérables de ces arrêts de travail sur l’économie, qui ont conduit à la mise en lumière de ce problème, à son examen par le Parlement et aux demandes d’intervention.

À notre avis, la structure actuelle du Code canadien du travail n’offre pas un cadre approprié pour gérer les arrêts de travail et les négociations collectives dans certains secteurs d’activité qui sont essentiels à l’économie, et c’est ce qui mène à l’adoption répétée de lois spéciales. En d’autres termes, d’après notre expérience, les chiffres sont clairs. Depuis 1950, le gouvernement est intervenu à 38 reprises dans le seul secteur des transports, soit une fois tous les deux ans.

Le fait est que malgré la bonne volonté de tous et l’engagement des parties à négocier, nous nous heurtons à ces problèmes. Il faut sans doute examiner le cadre actuellement en place, car ce cadre conduit essentiellement à une logique de grève ou de lock-out comme seul moyen d’apporter une solution à un conflit, et il faut alors que le Parlement intervienne.

À notre avis, la structure actuelle du Code canadien du travail ne fournit pas le cadre approprié pour remédier à ce type d’arrêt de travail.

La sénatrice Dasko : Le problème est donc lié aux structures que nous avons en place. Cela n’a rien à voir avec la culture dans ce secteur et son évolution. Vous avez dit que nous sommes le pays dans le monde où les choses se passent le plus mal. C’est grave, n’est-ce pas?

M. Harvey : C’est très grave. Nous devons agir, et c’est ce que cela nous montre dans une certaine mesure. En d’autres termes, nous ne pouvons pas continuer à avoir une situation qui exige l’intervention du Parlement. Il faudrait mettre en place un cadre adéquat qui favoriserait les négociations au lieu de mener à des arrêts de travail, tout en maintenant le service pendant ce temps et en offrant une rémunération équitable à nos employés, des conditions de travail sécuritaires, etc.

Personne ne conteste le fait que cela doit être notre objectif final à tous, mais ce message est parfois brouillé par la situation désastreuse dans laquelle ce cadre nous place en raison des répercussions économiques que cela entraîne.

La sénatrice Dasko : Madame McGuire, vous avez proposé une solution impliquant un nouveau tiers, et monsieur Cato, vous avez suggéré une variante de l’arbitrage. Ces deux propositions se fondent-elles ensemble, ou sont-elles différentes? S’agit-il de la même idée ou de solutions très différentes?

Mme McGuire : Je dirais que ce sont des idées similaires. Pour répondre à votre question précédente, et parce que c’est lié, je dirais que dans le Code canadien du travail, dans le processus qui est en place depuis longtemps, probablement trois décennies, rien n’incite les parties à rester à la table des négociations et à conclure un accord. Des négociations de façade peuvent facilement avoir lieu parce qu’il y a un délai et qu’il est possible d’obtenir le droit de grève dans un délai de 96 jours.

Nous suggérons qu’avant de pouvoir obtenir le droit de grève ou de lock-out — cela s’applique aux employeurs et aux syndicats —, un tiers, un médiateur ou un arbitre, intervienne, examine les questions en litige et recommande aux parties, mais aussi au ministre du Travail, les termes de la convention collective.

Nous suggérons que cela soit assorti de mesures contraignantes, afin d’inciter les parties à déployer tous les efforts nécessaires pour parvenir à un accord, plutôt que de surfer sur le délai jusqu’à ce qu’elles obtiennent le droit de grève ou de lock-out afin d’exercer une influence ou un pouvoir maximal sur l’autre partie. Dans ce cas, cela a évidemment des répercussions sur l’économie canadienne.

En ce sens, nous pensons que le ministre du Travail devrait avoir son mot à dire. Lorsque l’intérêt national est en jeu et que les parties refusent d’adopter les recommandations, il devrait pouvoir les imposer, un peu comme dans un processus d’arbitrage à l’heure actuelle.

M. Cato : En réponse à la première question, sénatrice, si vous regardez les chiffres, nous avons un bilan très solide en matière de négociations collectives. Dans l’ensemble, nous nous entendons sur une convention collective avec la majorité de nos syndicats. Comme il n’y a pas de problème, on ne mentionne pas cela au Parlement.

Il existe un syndicat au Canada qui fait exception. Depuis plusieurs décennies, il est très difficile de parvenir à un accord négocié avec ce syndicat.

Notre proposition porte sur ce qu’il faut à la fin du processus. Quand on passe par la conciliation et la médiation, c’est qu’on souhaite vivement parvenir à un accord négocié. Le meilleur résultat est toujours un accord négocié à la table des négociations. Toutefois, si malgré toute l’aide apportée aux parties pour parvenir à cet accord négocié, le processus échoue, nous estimons que le Cabinet fédéral doit disposer d’un nouveau pouvoir pour imposer l’arbitrage exécutoire aux parties, afin d’avoir un processus responsable pour protéger les intérêts nationaux.

Le sénateur Lewis : Merci à tous les témoins présents ici ce soir.

Ma question s’adresse à tous les témoins, mais plus particulièrement à M. Harvey. Vous avez mentionné qu’il est très difficile pour un chemin de fer de relancer ses activités après un arrêt. Et cela ne concerne pas seulement les grèves dans le secteur ferroviaire, mais aussi dans les grands ports comme celui de Vancouver, qui ont des répercussions disproportionnées sur certaines régions du pays selon les marchandises transportées.

Pouvez-vous nous donner une idée des répercussions de chaque jour de grève sur les activités ferroviaires et la reprise des services?

M. Harvey : Merci de la question, sénateur.

Les compagnies ferroviaires transportent toutes sortes de marchandises : des automobiles, du bois d’œuvre, des minéraux, etc. Le volume est très important. Elles transportent également des marchandises dangereuses.

Le transport des marchandises dangereuses est strictement réglementées pour de bonnes raisons. Vous ne pouvez pas laisser un train transportant des marchandises dangereuses sans surveillance où que ce soit au pays. S’il est stationné quelque part, il faut que l’endroit soit clôturé, protégé et sécurisé afin que personne ne puisse manipuler quoi que ce soit.

Tout cela pour dire qu’en prévision d’une grève, les compagnies ferroviaires prennent généralement au moins une semaine, voire plus, pour organiser l’arrêt de l’ensemble des activités de manière à ce que, comme dans mon exemple, les marchandises dangereuses se trouvent là où elles doivent être, qu’elles soient protégées, etc., et qu’il n’y ait pas de train où que ce soit qui soit exposé à des risques.

Ensuite, quand on relance les activités — et on parle ici de centaines de trains répartis dans tout le pays —, il faut également plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour mettre les choses en mouvement de manière structurée.

En d’autres termes, on ne peut pas simplement dire : « Bon, ce train va là », etc. Il faut procéder de manière structurée pour que tout redémarre de manière efficace et logique, afin que chaque train qui part ait un endroit où arriver, pour ainsi dire, à sa destination.

Ce que je viens de décrire signifie que même pour un seul jour d’arrêt, il y a toute la préparation pour l’avant et l’après. Par conséquent, même si l’arrêt ne dure qu’un ou deux jours, les répercussions sur nos clients sont énormes, car cela représente des semaines d’arrêt pour leurs activités, même si les chemins de fer ne sont arrêtés que pendant quelques jours.

M. Cato : Si je peux rapidement ajouter quelque chose, les chemins de fer sont un système complexe, mais ils ne représentent qu’une partie de la chaîne d’approvisionnement. Il y a aussi les terminaux portuaires et les installations des clients, et tout cela doit fonctionner de manière synchronisée.

Lorsque tout le système est mis à l’arrêt — ce qui, comme l’a décrit M. Harvey, nécessite généralement plusieurs jours de préparation avant l’arrêt de travail, car nous devons le faire de manière sûre et très ordonnée — le système doit ensuite fonctionner de manière synchronisée pour retrouver sa vitesse de croisière de manière équilibrée. Les marchandises, les différentes parties du réseau, tout doit être équilibré pour retrouver un rythme de fonctionnement optimal. C’est très complexe.

M. Safayeni : J’aimerais ajouter à ce que mes collègues ont dit et faire un commentaire plus général sur les arrêts de travail et leur signification dans l’économie interconnectée d’aujourd’hui.

Littéralement, les expéditions sont paralysées. Les colis ne sont pas livrés, les déplacements sont perturbés et l’accès à Internet, aux télécommunications et aux services bancaires pourrait être compromis.

Il ne s’agit pas là de simples inconvénients. Cela met à rude épreuve les chaînes d’approvisionnement, paralyse les infrastructures essentielles et érode la compétitivité mondiale du Canada à un moment où nous devons composer avec une baisse de la productivité et du PIB et le protectionnisme des États-Unis.

Je tiens simplement à souligner ici que les entreprises qui ne sont pas en mesure de maintenir leurs activités perdent des contrats, des parts de marché et la confiance des consommateurs. Ces pertes ne s’inversent pas simplement lorsque le travail reprend; beaucoup de ces pertes persistent de manière permanente.

Et bien que ces conflits du travail soient souvent présentés comme un problème opposant les employeurs aux travailleurs, ce que vous entendez en réalité dans les descriptions de M. Harvey, de M. Cato et de Mme McGuire, c’est un problème opposant des travailleurs à d’autres travailleurs.

Si les ports sont paralysés, si les chemins de fer sont à l’arrêt, cela a des répercussions sur la main-d’œuvre dans tout le pays; cela a des répercussions sur les petites entreprises dont les marges sont beaucoup plus faibles que les grandes pour résister à ce type de perturbation.

Cet aspect est souvent négligé dans le débat, car en réalité, ce sont les travailleurs, les consommateurs et les Canadiens de tout le pays qui sont perdants lorsque des perturbations de cette nature se produisent.

Le sénateur Wilson : Nous avons entendu plusieurs propositions différentes sur la forme que pourrait prendre un nouveau processus de règlement des différends, ou quelque chose de similaire. J’aimerais comprendre notamment comment on peut mettre en place ce type de processus afin de minimiser le risque perçu d’avoir des conflits de travail. Ce que je veux dire ici, c’est que, d’après mon expérience dans ce secteur, je sais que nous avons malheureusement une très mauvaise réputation sur la scène internationale au chapitre de la fiabilité de la main-d’œuvre.

Je sais également qu’une simple menace de grève suffit pour voir des marchandises être déroutées, ce qui a des répercussions très concrètes.

Si nous devions concevoir un meilleur système, comment pourrions-nous le faire de manière à prévoir un délai de préavis suffisant pour éviter ces déroutements de marchandises pendant le processus?

Comme nous le savons tous, il y a plus de 100 conventions collectives rattachées au port de Vancouver, et bon nombre d’entre elles peuvent entraîner la fermeture du port. Avec autant de menaces de grève qui pèsent en permanence, que faudrait-il pour qu’un processus de résolution des conflits permette de remédier à cette situation?

M. Cato : Je dirais, sénateur, que la proposition que nous avons faite consiste à créer un nouveau pouvoir afin que le gouvernement fédéral puisse intervenir plus efficacement à la fin du processus.

Je pense que si le Parlement créait ce nouveau pouvoir, cela enverrait un signal fort au monde entier pour montrer que le Canada prend ce problème au sérieux et met en place les outils nécessaires pour s’en occuper plus efficacement.

Le fait que ce soit inscrit dans la loi aurait un effet puissant. C’est le genre de message que nous devons envoyer dans le contexte actuel, à un moment où nous accordons la priorité à la diversification du commerce.

Mme McGuire : Si je peux me permettre d’ajouter quelque chose — pour appuyer votre commentaire —, en tant que spécialiste en relations de travail qui participe à ces négociations, c’est une question importante que posent les expéditeurs et les clients bien avant que nous entamions les négociations avec les Teamsters, qui représentent ces employés qui ont tendance à faire la grève régulièrement.

Oui, ils vont prendre des décisions bien avant la date limite potentielle. Le code prévoit qu’à partir du moment où une demande de conciliation est déposée, il peut y avoir potentiellement un conflit de travail 96 jours plus tard, qu’il s’agisse d’une grève ou d’un lock-out.

Pour reprendre le point soulevé par M. Cato, le code doit comporter des mesures coercitives — avant d’arriver au 96e jour — qui protègent la chaîne d’approvisionnement et rassurent les fournisseurs et les clients internationaux, afin qu’ils sachent qu’il existe une voie de résolution qui ne passe pas par un conflit de travail; autrement, ils prennent des décisions plusieurs semaines avant ce délai, et ce délai est bien connu. Ils le savent. Ils posent des questions à ce sujet. C’est un élément dont nous devons tenir compte en tant que compagnie de chemin de fer, et je suis sûre que le Canadian Pacifique Kansas City est dans la même situation.

Me Pigott : J’ajouterais que l’un des grands problèmes que nous pose la structure actuelle du code concerne la période qui suit celle à laquelle Mme McGuire vient de faire allusion, soit la fin de la conciliation et la période de réflexion, pendant laquelle c’est véritablement le far-west pour ce qui est des possibilités de grève et de lock-out.

En d’autres termes, il n’existe aucune mesure de protection significative, à part la loi de retour au travail ou l’intervention du ministre, en vertu de l’article 107, pour limiter le recours à la grève ou au lock-out.

Le problème est que tant la loi de retour au travail que le recours à l’article 107 sont des mesures totalement improvisées. Le monde extérieur — en fait, tout le monde — n’a aucune idée du moment où un conflit du travail ou un arrêt de travail pourrait commencer et prendre fin. L’ajout d’un processus structuré, qu’il s’agisse de la médiation et de l’arbitrage ou de l’un ou l’autre qui exclut le droit de grève ou de lock-out, au moins pendant la période pendant laquelle ces processus sont en cours, aurait un effet significatif en donnant au monde extérieur des indications sur le moment où une grève ou un lock-out pourrait commencer et prendre fin.

La sénatrice Simons : En 1926, il y a près de 100 ans, les États-Unis ont adopté la Railway Labor Act, qui visait à réduire au minimum le nombre de grèves en mettant davantage l’accent sur l’arbitrage et la médiation.

J’aimerais d’abord poser la question à M. Cato, puis possiblement aux autres témoins. Le CPKC a évidemment des activités à la fois au Canada et aux États-Unis. Selon vous, la Railway Labor Act est-elle réellement aussi efficace que certains le disent? Est-ce un modèle à suivre ou présente-t-elle son propre lot de problèmes?

M. Cato : Je vous remercie de la question, sénatrice. La Railway Labor Act est effectivement entrée en vigueur aux États-Unis en 1926. Je dirais que cette loi reconnaît certainement le rôle très particulier de l’industrie ferroviaire pour appuyer l’économie, et l’industrie est donc assujettie à un cadre très spécial. Cette loi vise à éviter les perturbations du commerce interétatique.

Je pense à cet égard que le nombre de perturbations observées dans le secteur ferroviaire aux États-Unis est éloquent : les grèves ou lock-out sont très rares. Cela remonte à de nombreuses années, début des années 1990, je pense. La dernière véritable grève dans le secteur ferroviaire a eu lieu en 1992. Il y a eu menace de grève il y a quelques années, en décembre 2022, et le processus a alors été suivi.

Le cadre prévu dans la loi américaine encourage la médiation, la conciliation, et tout autre processus du genre, avec des médiateurs chargés de faire des recommandations aux parties dans le cadre de commissions présidentielles d’urgence, par exemple, mais au bout du compte, il y a toujours le Congrès qui doit déterminer la marche à suivre s’il n’y a pas d’accord volontaire.

En décembre 2022, le Congrès américain et le président Biden sont intervenus avant le déclenchement d’une grève. Ils sont intervenus pour éviter les dommages économiques importants que cette grève aurait causés si elle avait eu lieu.

Aucun cadre n’est parfait. Tout cadre a ses avantages et ses inconvénients, mais il y a sans doute des éléments du modèle américain dont le Canada pourrait s’inspirer.

La sénatrice Simons : J’ai entendu des critiques selon lesquelles obtenir un résultat est beaucoup trop long et que c’est un processus fastidieux.

M. Cato : C’est vrai. Il s’agit certainement d’une observation valable au sujet du modèle américain.

Mme McGuire : Permettez-moi d’ajouter que le tiers des activités du CN a lieu aux États-Unis, et nous participons actuellement à des négociations nationales dans le cadre de la Railway Labor Act. Cela s’applique également à l’industrie aéronautique.

Le commentaire est vrai — cela pourrait être long —, mais je peux dire que nous avons connu beaucoup de succès. La convention collective a été rouverte le 1er juillet 2025, et nous avons négocié avec succès 9 des 12 conventions collectives, ce qui touche 78 % de notre main-d’œuvre. Nous avons réussi à éviter que le processus se prolonge cette fois-ci.

Je dirais également que le modèle que nous avons présenté s’inspire fortement de celui de la Railway Labor Act, qui est très efficace. Il permet aux parties de négocier. Comme vous l’avez mentionné, sénatrice, ce processus fait largement appel à la médiation. Lorsque le commerce interétatique est menacé, un mécanisme permet à un groupe d’experts d’intervenir, à la manière d’un processus d’arbitrage de différends, et de formuler des recommandations. Cela a donné d’excellents résultats, comme M. Cato l’a indiqué.

La sénatrice Simons : Concernant les services essentiels, la barre est extrêmement haute dans ce pays. Si je ne me trompe pas, monsieur Harvey, vous avez dit que vous n’étiez pas d’accord pour que le secteur ferroviaire soit considéré comme un service essentiel, mais simplement un service vital, je suppose.

M. Harvey : Je n’ai pas fait ce commentaire en ces termes. Le problème, dans cette discussion, c’est que selon la définition actuelle de « service essentiel », nous comprenons que selon au moins deux décisions, les chemins de fer ne satisfont pas à cette définition.

Je suppose que l’on pourrait en débattre indéfiniment. Devraient-ils l’être, ou non? Faudrait-il modifier le Code pour que ce soit le cas? Nous sommes d’avis que cela ne favoriserait pas un climat propice aux négociations collectives. Voilà pourquoi nous estimons qu’il pourrait être intéressant d’examiner des modèles comme le modèle américain, par exemple.

Permettez-moi d’ajouter un commentaire par rapport à votre question, en particulier concernant les délais. Certes, cela peut prendre du temps, mais le principal avantage de ce long délai, c’est qu’aux États-Unis, contrairement au contexte canadien, l’aboutissement logique de toute négociation n’est pas nécessairement la grève. Par conséquent, lorsque de possibles négociations sont évoquées, les compagnies maritimes et les partenaires commerciaux ne mettent pas en place des mesures immédiates comme ils le feraient à l’égard du Canada ou dans le contexte canadien. C’est un avantage important. Sur le plan économique, pour notre pays, ce serait un avantage énorme.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Merci aux invités.

Monsieur Harvey, pour poursuivre dans cette veine, pourriez-vous en dire un peu plus sur comment cela bénéficierait au Canada si on avait cette possibilité? Par la suite, je vous parlerai des différents syndicats.

M. Harvey : Merci, sénateur Aucoin, pour votre question.

Je vais utiliser l’exemple de l’an dernier où initialement, les syndicats du CN et CP pouvaient déclencher une grève en mai. Cela a été référé au Conseil canadien des relations industrielles jusqu’en août, et par la suite, la référence à l’article 107 a fait qu’il n’y a pas eu de grève. La période qui a précédé le mois de mai, où l’on parlait seulement d’une grève possible au Canada, a été suffisante pour que plusieurs lignes de transport maritime puissent rediriger leur trafic vers d’autres juridictions, en particulier aux États-Unis.

On a perdu beaucoup d’occasions pour les ports et les chemins de fer de faire du transport. Cet environnement où il subsistait un doute est demeuré toute l’année jusqu’en août, moment où la situation a été réglée par l’intervention du conseil. L’effet est très grand et immédiat. Cependant, dans l’environnement du régime américain où les négociations sont plus longues, elles mènent généralement à un règlement. Donc, le même doute n’existe pas pour les lignes de transport maritime américaines. Leur réflexe de rediriger immédiatement le trafic n’existe pas non plus.

On peut le quantifier. Nous l’avions vérifié pour nos entreprises. On parle d’une estimation de plusieurs millions de dollars, si ce n’est pas des milliards de dollars, de pertes pour l’économie en PIB.

Le sénateur Aucoin : Si je comprends bien, la simple menace d’une grève crée toute sorte d’inconvénients et de pertes d’emplois au Canada?

M. Harvey : Oui.

Le sénateur Aucoin : Cependant, ce n’est pas ma question. Vous avez parlé de nombreux syndicats. J’ignore leur nombre. Évidemment, plusieurs d’entre eux touchent les services ferroviaires, aériens et les ports. Serait-ce préférable d’avoir seulement quelques syndicats au lieu de plusieurs centaines?

Mme McGuire a dit qu’ils avaient négocié avec 75 % des syndicats. Les autres, vous n’en avez pas parlé. Je présume que parmi eux, certains voudront faire la grève.

M. Harvey : Vous savez, dans notre industrie, les syndicats qui représentent nos employés existent depuis de nombreuses années. On a une industrie où les syndicats existent depuis très longtemps, car notre industrie fait partie du pays depuis longtemps. Je ne sais pas si notre rôle ou notre position est de faire des commentaires sur ce genre de question. Je crois qu’on respecte de façon générale le droit de nos employés d’être représentés par le syndicat de leur choix. Ils ont leur propre régime démocratique au moyen de l’élection de leur leadership. Il est possible pour eux de changer d’unité de représentation s’ils le désirent. Cette structure n’est pas ce qui fait l’objet de notre demande. Si l’on tient pour acquis que nos employés seront représentés par un syndicat, quel qu’il soit, ce dont on parle ici est plutôt d’encadrer le régime de négociations avec eux pour ne pas créer de dommages qui excèdent ce qui est nécessaire pour réussir à obtenir des salaires raisonnables et de bonnes conditions de travail.

Mme McGuire : Je veux faire un commentaire. Les États-Unis négocient dans un environnement très différent. Les employeurs, les voies ferroviaires, négocient en groupe. Les syndicats aussi négocient en groupe. C’est très différent au Canada. Il y a cet élément qui est très différent. On doit garder cela en tête.

La sénatrice Oudar : Bienvenue à tous les témoins.

Je vais continuer avec M. Harvey.

Vous avez parlé du droit de s’associer. Cependant, la jurisprudence de la Cour suprême reconnaît aussi le droit de faire la grève comme un droit constitutionnel depuis l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan. Le droit de grève est enchâssé. C’est devenu un droit que la cour a reconnu. Il est intégré et protégé par la Constitution. Il est essentiel à la négociation collective. On doit respecter les principes de la jurisprudence. Vous connaissez certainement cet arrêt, j’en suis certaine. Il limite les atteintes au droit de grève uniquement en cas de services essentiels. Il s’agit d’une notion qui doit être interprétée de façon restrictive, puisqu’on limite le droit de grève.

J’aimerais vous entendre sur la conciliation qu’on doit établir et le respect de la jurisprudence par opposition aux solutions que vous mettez de l’avant. En quoi ces solutions garantissent-elles le respect de la jurisprudence, notamment l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan?

Aussi, il y a une nouvelle législation que l’Assemblée nationale du Québec vient d’adopter en mai 2025, la Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out. Ma prochaine question portera là-dessus. Auparavant, j’aimerais vous entendre sur cette nécessité et cette obligation que l’on a de respecter les instruments internationaux et notre Constitution.

M. Harvey : Merci de votre question, sénatrice Oudar.

D’abord, sur la jurisprudence, ma perception est qu’il y a certaines nuances à apporter au droit de grève. Je confie à Me Pigott le soin de parler davantage de ce sujet.

Curieusement, la discussion porte souvent sur le droit de grève, alors qu’elle devrait porter sur le fait de fournir à nos employés des salaires compétitifs et des conditions de travail sécuritaires et raisonnables. La question que nous posons est la suivante : est-il absolument nécessaire d’avoir une grève pour en arriver là? N’y a-t-il pas d’autres moyens que la grève et son impact économique négatif sur tous les secteurs d’activité du pays pour déterminer en 2025 quels devraient être le salaire et les conditions de travail de nos employés?

Il y a des gens qui sont spécialisés dans les relations industrielles. Les niveaux de salaire sont connus de tout le monde. Ce sont des informations publiques. La plupart de nos conventions collectives sont publiques. Il y a certainement d’autres moyens que l’accès à l’ultime recours à une grève pour déterminer quels devraient être le salaire et les conditions de travail de nos employés. C’est de cette manière qu’on le voit.

Sans exagérer, il est possible de dire que tout droit ne devrait pas être absolu et ne devrait pas permettre à un groupe limité de personnes d’avoir des impacts aussi importants sur tous les autres groupes et secteurs de l’économie qui se voient ainsi affectés. On comprend que le droit de grève existe pour créer un levier. Toutefois, il est clair que les interventions excessives des gouvernements montrent qu’il y a une perception que ce levier, dans le cas de certains employés, est trop grand. L’impact du levier fait que l’économie ralentit et est parfois arrêtée dans plusieurs secteurs. Il faut poursuivre cette réflexion, aller au-delà de cette décision de la Cour suprême et se poser de véritables questions pour voir s’il n’y a pas d’autres choix, plutôt que de dire que le droit de grève doit prévaloir sur tout.

La sénatrice Oudar : Il existe une alternative que le Québec a présentée dans une nouvelle législation. Je ne sais pas si l’un de vous a examiné cette nouvelle loi qui a été adoptée par l’Assemblée nationale en mai 2025. Elle ajoute une nouvelle catégorie de services qui doivent être maintenus en cas de conflit de travail. C’est un concept qui a élargi le nombre et la nature des services essentiels qui doivent être maintenus au-delà de ce dont on vient de discuter. Il y a une nouvelle notion de « services assurant le bien-être de la population », ce que la loi a défini comme étant :

[...] les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population [...]

Concrètement, le gouvernement désignera par décret les milieux de travail susceptibles de fournir ces services. Je pense que l’un de vous quatre a certainement examiné cette nouvelle législation. Je vois une main levée. Pourrait-on passer la parole à Me Pigott? À moins que vous n’ayez quelque chose à ajouter sur ce projet de loi, monsieur Harvey?

M. Harvey : J’aimerais laisser Me Pigott intervenir.

La sénatrice Oudar : On passe la balle?

M. Harvey : Je commenterai par la suite si j’ai quelque chose à ajouter.

La sénatrice Oudar : D’accord. Merci.

[Traduction]

Le président : Maître Pigott, avez-vous quelque chose à ajouter?

Me Pigott : Oui. Pour clarifier l’incidence de la décision de la Cour suprême dans l’affaire de la Saskatchewan Federation of Labour, en 2015, la Cour suprême a expressément déclaré, dans cette décision, qu’il existe un droit constitutionnel de grève, mais qu’il peut être limité, à condition que le gouvernement remplace le droit de grève par un mécanisme substitutif de règlement des différends à la fois équitable et équilibré, par exemple un système équilibré d’arbitrage de différends.

Dans d’autres décisions de tribunaux canadiens qui se sont penchés sur la constitutionnalité des lois de retour au travail, par exemple, les tribunaux ont cherché à savoir, en particulier, si les conditions des processus d’arbitrage des différends sont équitables et équilibrés de façon à faciliter la poursuite des négociations collectives et, sinon, à parvenir à un dénouement équitable grâce au processus d’arbitrage.

Il est donc tout à fait possible d’imposer des restrictions au droit de grève et d’imposer le recours aux processus de médiation ou d’arbitrage des différends qui limitent le droit de grève tout en restant conformes à la Constitution. Je pense que c’est en partie ce que le gouvernement du Québec a tenté de faire avec le projet de loi C-89, qui s’apparente au pouvoir prévu à l’article 107 du Code canadien du travail.

La sénatrice Hay : Mes collègues ont posé d’excellentes questions, et les réponses ont été tout aussi excellentes. Je vais céder mon temps de parole. Ma question portait sur la Railway Labour Act; je voulais avoir votre opinion. Je pense que cela a abondamment été discuté. Je cède donc mon temps de parole, monsieur le président.

[Français]

Le sénateur Cormier : Sans vouloir résumer les conversations, je voudrais être certain d’avoir bien compris.

Le système actuel ne fonctionne pas. Il est difficile de définir ce que sont des services essentiels ou des services économiques vitaux, etc. On mesure difficilement ou mal l’impact de l’utilisation de l’article 107 sur les travailleurs. Une loi sur le retour au travail ne semble pas être la solution.

Comment soutenir un processus de négociation qui respecte le droit de grève des travailleurs tout en assurant la stabilité de l’économie et de votre secteur d’activité? Ce que j’entends, c’est qu’il faut modifier le Code canadien du travail.

Je sais que vous en avez nommé quelques-unes, mais quelles seraient les trois priorités auxquelles il faudrait s’attaquer dans le cas d’une modification du Code canadien du travail, par exemple?

Mme McGuire : Je vous remercie pour la question, sénateur Cormier. J’aimerais répondre en anglais, parce que j’aimerais m’assurer que mon point soit très clair.

[Traduction]

Nous pensons qu’il est essentiel de modifier le Code du travail du Canada afin d’inciter les parties à parvenir à un accord négocié sans recourir à la menace d’une grève ou d’un lock-out pour exercer une pression maximale et obtenir un impact maximal. À cette fin, nous proposons de modifier le Code afin d’inclure un mécanisme d’arbitrage des différends, comme Me Pigott l’a mentionné, mais un processus dans lequel un tiers est chargé d’examiner les enjeux et de formuler une recommandation, une recommandation avec du mordant.

J’entends par là que selon la version actuelle du Code, le ministre peut déjà faire appel à une personne pour examiner la situation et présenter une recommandation. Or, cette recommandation est transmise au ministre, puis personne n’en entend parler, de sorte que cela n’incite pas les parties à s’entendre. D’une certaine manière, les recommandations doivent être rendues publiques afin que le syndicat et l’employeur restent honnêtes, poursuivent les négociations et évitent ce que nous appelons les négociations de façade, ce qui revient essentiellement à attendre que le temps fasse son œuvre.

Voilà la modification au Code que nous proposons.

[Français]

M. Harvey : J’ajouterais à ces commentaires qu’il est important de considérer toutes les options, c’est-à-dire que l’enjeu et l’équilibre que l’on souhaite sont de s’assurer qu’on fournit aux parties qui négocient tous les outils et tout le temps nécessaire pour accomplir leur travail de négociation pour qu’ultimement, les employés aient des conditions de travail adéquates et qu’ils soient bien payés.

L’enjeu qui affecte notre secteur est que lorsqu’il y a une grève, cela affecte non seulement notre secteur, mais également tous les autres. Donc, à cause de l’impact d’une grève sur tous les autres secteurs, le nouveau régime doit aussi assurer une stabilité dans nos opérations plutôt que de suggérer un arrêt rapide. Cet aspect est vraiment critique.

La perception de tous nos partenaires doit changer pour suggérer plutôt une stabilité et une continuité de nos activités pour que l’impact économique ne soit pas ce qu’il est présentement.

Le sénateur Cormier : On est dans un rapport de force lorsqu’on est en négociation.

M. Harvey : Oui.

Le sénateur Cormier : Vous venez de mentionner l’impact sur l’ensemble du secteur économique. Évidemment, il y a l’impact sur les travailleurs en tant que tels et les syndicats qui les représentent. Comment assure-t-on une juste prise en compte des intérêts à la fois des travailleurs et de l’économie canadienne?

M. Harvey : Ce point est important. Nous sommes d’accord pour que nos employés soient bien payés, et ils le sont. Les employés du secteur ferroviaire sont bien payés au Canada, soit plus que la moyenne canadienne. Il n’y a aucun doute là-dessus. On est très à l’aise avec les conditions de travail qui sont fournies à nos employés.

L’enjeu est plutôt de savoir s’il est absolument nécessaire d’avoir une grève pour leur offrir ces conditions. N’y a-t-il pas d’autres options tout aussi valables qui existent dans d’autres administrations? Vos collègues nous ont parlé du régime américain, et la sénatrice Oudar a parlé de la Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out, qui sont des pistes qui fournissent des suggestions qui doivent être considérées.

Une chose est sûre : il faut éliminer le doute selon lequel une grève est nécessairement la suite logique à une négociation.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Traduction]

Le président : J’ai une question pour M. Cato avant de terminer avec ce groupe de témoins. Vous réclamez la création d’un nouveau pouvoir qui remplacerait l’article 107 et donnerait au Cabinet le pouvoir d’imposer un arbitrage exécutoire. Pourriez-vous expliquer plus en détail comment se traduirait ce pouvoir, en pratique? En quoi cela permettrait-il de concilier la nécessité d’une résolution rapide et les droits de négociation?

M. Cato : Je vous remercie de la question, monsieur le président. Pour être clair, le CPKC est actuellement parti à un litige en cours lié à l’article 107. Par conséquent, je ne veux pas faire de commentaires sur cet article précis. Cela ne serait pas approprié. Concernant le nouveau pouvoir que nous proposons, je dirais que le mot « équilibre », que vous avez employé, est absolument fondamental. Dans les bonnes circonstances, lorsque l’intérêt national est en jeu lors d’un conflit de travail, le gouvernement fédéral a besoin d’outils pour défendre cet intérêt national. Selon moi, à voir la fréquence des conflits dans le secteur sous réglementation fédérale ces dernières années, personne ne peut affirmer que le régime actuel permet d’y arriver.

Ce pouvoir permettrait au Cabinet d’équilibrer les droits, les intérêts et les considérations stratégiques de l’ensemble du pays, et non seulement le droit de grève des travailleurs ou les droits des employeurs, mais dans ce contexte, cela lui permettrait de défendre plus efficacement l’intérêt national, l’intérêt de tous les Canadiens.

Le président : J’ai juste une petite question complémentaire. Ce qui est évidemment préoccupant avec cette approche, c’est que cela aurait pour effet de contourner le Parlement, car ce pouvoir serait mis en œuvre par voie législative. Quelles protections et quels mécanismes de reddition de comptes devrait‑on mettre en place? Si vous ne pouvez pas répondre en 60 secondes, vous pouvez nous répondre par écrit. Nous serions ravis d’avoir une réponse écrite.

M. Cato : Je pense pouvoir y arriver. Le Parlement aurait un rôle à jouer d’entrée de jeu. Il créerait ce pouvoir et établirait des critères, conditions et paramètres très clairs pour son utilisation, soit les conditions nécessaires pour que le Cabinet puisse exercer ce pouvoir. Le Parlement aurait un rôle très important à jouer dès le début, pour définir à quel moment il serait approprié, pour le gouvernement fédéral, de juger si le préjudice économique met l’économie nationale en danger et, par conséquent, si une intervention sous forme d’arbitrage exécutoire et obligatoire comme mode substitutif de règlement des différends est de mise pour protéger l’intérêt national.

L’autre élément qu’il serait important que le législateur examine, à mon avis, est la création d’un mécanisme de reddition de comptes. Le Cabinet serait tenu de faire rapport à la Chambre des communes et au Sénat du recours à ce pouvoir. Ce rapport contiendrait les raisons pour lesquelles il a invoqué et exercé ce pouvoir, une liste des préjudices économiques et des faits précis liés à la situation et sur lesquels le gouvernement s’est appuyé pour exercer ce pouvoir.

Évidemment, il est possible d’intégrer un rôle pour le Parlement dès le début, lors de la création de ce pouvoir, et de lui confier également un rôle après l’exercice de ce pouvoir par le pouvoir exécutif.

Le président : Je vous remercie. Malheureusement, notre temps est limité. Je sais que nous aimerions continuer le plus possible, mais nous devons reconnaître que nos techniciens ont aussi un horaire à respecter. C’est là-dessus que se termine notre première partie avec ce groupe de témoins. Je vous remercie tous de votre temps et de votre présence aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Chers témoins, si vous souhaitez présenter des observations écrites au sujet des questions des membres du comité, veuillez nous les faire parvenir avant le 12 novembre 2025.

Accueillons maintenant notre prochain groupe de témoins. Nous entendrons Mme Julie Gascon, présidente-directrice générale de l’Administration portuaire de Montréal, qui est accompagnée de Mme Marie-Claude Galarneau, vice-présidente aux ressources humaines et à la stratégie. Nous accueillons également M. Derrick Hynes, chef de la direction de la Coalition maritime canadienne. Enfin, nous accueillons le professeur Barry Eidlin, du Département de sociologie de l’Université McGill, qui comparait à titre personnel. Il est aussi haltérophile, ce qui est assez intéressant à savoir.

Bienvenue. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Les témoins feront chacun une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, puis nous passerons aux questions des membres du comité.

[Français]

Je vais maintenant inviter Mme Gascon à faire sa déclaration préliminaire.

Julie Gascon, présidente-directrice générale, Administration portuaire de Montréal : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de votre invitation.

Je suis accompagnée de Mme Marie-Claude Galarneau, vice-présidente exécutive, Ressources humaines et stratégie.

Je vous parle aujourd’hui au nom de l’Administration portuaire de Montréal, un acteur clé du commerce canadien et du réseau des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent. Le Port de Montréal est le plus grand port à conteneurs de la côte Est du Canada et le deuxième port en importance au pays. Environ 65 % de la population canadienne et 75 % de la capacité manufacturière du pays est à moins de 12 heures de nos installations.

À l’échelle nationale, notre activité soutient près de 600 000 emplois et génère 98,5 milliards de dollars en retombées économiques, soit 3,5 % du PIB canadien. Que ce soit pour acheminer des pièces automobiles vers l’Ontario ou exporter du grain conteneurisé des Prairies, des milliers d’entreprises dépendent directement de la fluidité de nos opérations. Ces entreprises font circuler 400 millions de dollars de marchandises sur nos quais tous les jours. Depuis 2020, nous avons connu une instabilité récurrente dans les relations de travail. Les effets négatifs se font sentir dès les premiers signes de tensions, bien avant le déclenchement des moyens de pression.

Un préavis de seulement 72 heures est incompatible avec un navire qui prend 12, 14 ou 20 jours pour traverser l’océan, selon son port de destination ou de départ.

Nos analyses montrent qu’à l’automne 2024, malgré des moyens de pression limités, le volume moyen de conteneurs manutentionnés a chuté de 65 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années.

Plus largement, on observe une fuite commerciale de certains de nos volumes, en grande partie à cause du transfert d’activités vers des ports américains. Ce phénomène compromet directement notre souveraineté économique.

Permettez-moi d’être claire : dans le contexte géopolitique actuel, chaque fois qu’une entreprise canadienne choisit un port américain, c’est notre sécurité alimentaire, économique, manufacturière, et plus largement notre résilience nationale qui sont mises à risque.

D’ailleurs, lorsqu’un conflit de travail survient, on est non seulement perdants en raison de la fuite commerciale du cargo canadien vers les États-Unis, mais aussi parce que les Américains sont conscients de ces enjeux et ont adopté une approche proactive pour attirer du cargo, en plus d’envisager d’imposer des tarifs portuaires et des frais administratifs sur les conteneurs américains qui transitent par des ports canadiens.

À l’inverse, le Canada n’impose aucune mesure sur le cargo canadien entrant ou sortant par des ports américains.

Ce manque de réciprocité pourrait mettre gravement en péril notre souveraineté économique s’il se concrétise.

Quand un conflit éclate à Montréal, ce n’est pas nécessaire un autre port canadien, comme Halifax ou Saint John qui en profite, mais bien souvent un port américain. Lorsque cela survient, les marchandises prennent plus de temps à arriver et génèrent plus de carbone et coûtent plus cher aux Canadiens et aux Canadiennes.

Les entreprises qui font ce choix préfèrent souvent payer davantage pour la prévisibilité, ce qui démontre que la confiance du marché repose sur la stabilité.

Je tiens à rappeler que l’Administration portuaire de Montréal n’est ni la partie patronale ni la partie syndicale. Nous gérons un équipement collectif au service de l’intérêt public. Notre rôle est d’assurer la continuité, la performance et la sécurité d’un port au service du Canada, et ce, dans le respect des travailleurs, des partenaires et des collectivités.

Cependant, trois conflits en quatre ans ont eu des effets disproportionnés et ont provoqué un stress inutile et coûteux pour les Canadiens, les entreprises, les hôpitaux, les agriculteurs, les usines, et malheureusement sur la réputation du Canada comme partenaire commercial fiable.

Si le Canada souhaite doubler ses exportations d’ici 2030, nos entreprises exportatrices doivent pouvoir compter sur la fiabilité de nos capacités d’exportation afin de garantir à leur clientèle l’arrivée de leurs marchandises.

Le Canada peut construire les meilleures infrastructures et encourager la diversification des marchés autant qu’il le souhaite, mais le succès de ces initiatives repose sur la prévisibilité des relations de travail.

Nous partageons l’objectif de ce comité : assurer le maintien des activités essentielles lorsque la sécurité publique ou la continuité économique sont en jeu.

Nous estimons qu’un cadre clair et prévisible doit guider l’interprétation de la notion de « [...] risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public » prévue à l’article 87.4(1) du Code canadien du travail.

Nous appuyons les conclusions du rapport final de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest, qui soulignent l’importance d’un processus de négociation transparent, prévisible et fondé sur la responsabilité partagée. Nous pensons que les recommandations de ce rapport, développé pour l’Ouest, devraient également s’appliquer dans le contexte de l’est du pays. Ces principes doivent inspirer les prochaines politiques canadiennes en matière de continuité des services essentiels.

Nous ne sommes ni la partie patronale ni la partie syndicale, mais nous défendons, en tant qu’administration portuaire, le succès des relations entre les employeurs maritimes et leurs employés. Nous soutenons les deux parties dans la recherche d’une solution viable et d’un dialogue renouvelé. Si cela s’avère impossible, je crois que le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest propose des pistes de solution que nous devons envisager pour le bien de l’économie canadienne.

En conclusion, la stabilité des opérations portuaires n’est pas l’enjeu d’un seul port, c’est une responsabilité nationale. Elle engage la confiance des marchés, la sécurité des citoyens et la compétitivité du Canada.

Merci. Mon équipe et moi serons heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

Derrick Hynes, chef de la direction, Coalition maritime canadienne : Honorables sénatrices et sénateurs, bonsoir. Je suis chef de la direction de la Coalition maritime canadienne, ou CMC, un organisme qui représente près de 100 employeurs et exploitants maritimes du secteur privé d’un océan à l’autre et dans la voie maritime du Saint-Laurent.

Les entreprises membres de la CMC travaillent 24 heures sur 24 pour assurer la circulation des marchandises à destination et en provenance du Canada. Ces activités portuaires sont des maillons essentiels des chaînes d’approvisionnement nationales et internationales névralgiques qui acheminent plus du quart de la totalité des biens échangés par le Canada. Il devrait être évident, d’après les propos entendus avec le premier groupe de témoins de ce soir, que la communauté des employeurs estime, de manière générale, que dans leur forme actuelle, les règles relatives aux négociations collectives ne fonctionnent pas dans toutes les situations.

Les processus actuels concernant les services essentiels, le maintien des activités et les travailleurs de remplacement, par exemple, exacerbent davantage les difficultés. Nous sommes d’avis qu’il faut de meilleurs outils, en plus grand nombre. Ce soir, j’aimerais d’abord présenter une série d’hypothèses.

Premièrement, les employeurs et les syndicats croient en une négociation collective libre et équitable. L’ensemble du secteur privé sous réglementation fédérale, à quelques exceptions près, a des décennies d’expérience dans la négociation de conventions collectives. Les parties reconnaissent également que le droit de grève est protégé par la Constitution, mais comme nous l’avons entendu plus tôt, il existe des limites à ce droit.

Deuxièmement, les négociations sont devenues tendues ces derniers temps et le système ne fonctionne pas pleinement. Cela ne signifie pas toutefois que les grèves ou les lock-out sont la preuve de la défaillance du système. Cependant, on observe ces dernières années une tendance préoccupante, avec d’importants arrêts de travail dans des secteurs vitaux qui touchent les Canadiens de manière disproportionnée.

Troisièmement, il arrive parfois que l’aide du gouvernement soit requise dans le cadre du processus de négociation. Une telle intervention du gouvernement est appropriée et bénéfique, non seulement pour le système, mais aussi pour la population canadienne en général.

Quatrièmement, l’intervention du gouvernement devrait avoir pour objectif de maintenir les parties à la table des négociations pour trouver des solutions en vue de conclure une convention collective. Personne ne souhaite qu’une tierce partie indépendante rédige ses contrats.

Enfin, des mécanismes de règlement des différends efficaces peuvent être nécessaires lorsque toutes les tentatives d’arriver à une entente achoppent et que les négociations semblent irrémédiablement rompues.

Prenons un exemple récent. En juillet 2023, selon les estimations, la perturbation des échanges commerciaux en raison d’une grève de 13 jours dans les ports de la côte Ouest du Canada a coûté 10 milliards de dollars au Canada. Concrètement, cela a paralysé l’économie. Pour les Canadiens, en tant que consommateurs, travailleurs ou dirigeants d’entreprise en ont ressenti les répercussions presque immédiatement. À la suite de ce conflit, le ministre du Travail a annoncé la création d’une commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte ouest pour examiner les structures et processus de négociation des débardeurs.

Plus tôt cette année, après de vastes consultations, la commission d’enquête sur les relations de travail, dirigée par des experts très respectés, a publié son rapport, concluant que le système de négociation actuelle « [...] est défectueux, mais pas irréparable ».

Deux recommandations clés issues du rapport sont pertinentes ce soir.

Premièrement, le Code canadien du travail devrait être mis à jour pour permettre une accréditation par région géographique unique le long des ports de la côte Ouest qui désigne une organisation patronale et un syndicat pour négocier au nom de leurs organisations respectives. Ce type de structure harmoniserait les ports de la côte Ouest avec tous les autres grands ports du pays et contribuerait à une plus grande certitude en matière de négociation.

Deuxièmement, le Code canadien du travail devrait être mis à jour pour inclure l’accès ministériel à un médiateur spécial dans les cas où les négociations sont vraiment paralysées. Un médiateur spécial pourrait avoir le pouvoir d’aller au-delà des processus de médiation standard afin de maintenir les parties à la table des négociations. Durant ce processus, les grèves et les lock-out seraient suspendus.

Ces deux changements peuvent et, selon nous, doivent être apportés immédiatement. Ils constituent tous les deux des mesures concrètes dans la bonne direction pour atteindre l’objectif de maintenir les parties à la table des négociations. Ces changements ne supprimeraient pas le droit de grève, mais pourraient contribuer à éviter des arrêts de travail inutiles.

Ce n’est que le début. À la CMC, nous croyons qu’il est maintenant temps d’engager une discussion exhaustive sur l’avenir des négociations collectives en vertu du Code canadien du travail — et c’est la raison pour laquelle votre étude ici ce soir est si encourageante pour nous. Mais la seule façon de faire les choses correctement est par l’entremise d’une véritable consultation tripartite entre le gouvernement, les entreprises et les syndicats.

Le premier ministre parle de son désir de transformer l’économie canadienne, plus particulièrement en ce qui concerne notre place dans l’ordre mondial. Une augmentation des échanges commerciaux, par exemple, avec des pays autres que les États-Unis, signifiera inévitablement une augmentation des activités aux ports canadiens. Sans stabilité de la main-d’œuvre, ces efforts resteront vains. Concrètement, notre image de marque en tant qu’endroit où faire des affaires est en jeu lorsque nos chaînes d’approvisionnement sont instables en raison de conflits de travail.

Nos recommandations comportent donc deux volets: premièrement, lorsque des solutions ont déjà fait l’objet d’une étude exhaustive et que des recommandations ont été présentées — par exemple, dans le rapport de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest —, nous croyons que le moment est venu pour le gouvernement d’agir. Il convient de noter que les négociations sur la côte Ouest reprendront dans un peu plus d’un an.

Deuxièmement, nous appuierions une consultation tripartite plus vaste et plus longue sur l’avenir du système de négociation collective en vertu de la partie I du Code canadien du travail. Merci.

Barry Eidlin, professeur agrégé, Département de sociologie, Université McGill, à titre personnel : Merci, sénateurs, de m’avoir invité ce soir pour discuter avec vous des relations de travail dans les secteurs ferroviaire et maritime.

[Français]

Je suis professeur agrégé de sociologie à l’Université McGill, où j’enseigne depuis 2015. Je suis spécialisé dans l’étude des mouvements syndicaux, de la politique et des politiques publiques. J’ai publié de nombreux articles sur la formation et le développement des régimes de travail au Canada et aux États‑Unis.

Même si je ferai ma présentation en anglais, je serai heureux de répondre aux questions en français ou en anglais, comme vous le désirez.

[Traduction]

J’ai deux points à soulever aujourd’hui. Premièrement, les droits garantis par la Charte ne doivent pas être violés systématiquement si l’on veut que la Charte ait un sens. Deuxièmement, les ordonnances de retour au travail constituent un moyen inefficace de favoriser la paix industrielle.

Le premier porte sur la Charte. Comme nous en avons discuté, la Cour suprême du Canada a statué en 2015, dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, que le droit de grève fait partie intégrante de la liberté d’association des Canadiens.

Je vais lire un passage, car cela vaut la peine. La cour a déclaré ce qui suit :

[Le droit de grève] n’est pas seulement dérivé du droit à la négociation collective, il en constitue une composante indispensable.

Et elle dit également :

Cette action concertée à l’occasion d’une impasse se veut une affirmation de la dignité et de l’autonomie personnelle des salariés pendant leur vie professionnelle.

La décision de la Cour suprême a reconnu deux choses : premièrement, le droit de grève est le fondement de la négociation collective et, deuxièmement, le droit de grève fait partie intégrante de la liberté humaine sur le lieu de travail. Obliger les travailleurs à retourner au travail les contraint à travailler contre leur gré, dans des conditions qu’ils n’ont pas acceptées et sous peine de sanctions ou de perte de leur moyen de subsistance.

Autrement dit, les droits garantis par la Charte sont importants. Ils ne sont pas absolus, comme plusieurs l’ont mentionné aujourd’hui, mais des règles strictes doivent être en place pour préciser quand ils peuvent être violés. Cela n’a généralement pas été le cas pour le droit de grève. Au contraire, ces dernières années, les gouvernements fédéraux ont invoqué l’article 107 du Code canadien du travail pour ordonner aux travailleurs de reprendre le travail, non seulement dans les secteurs maritime et ferroviaire, mais aussi à Postes Canada et à Air Canada. Cela évite aux gouvernements de devoir invoquer la clause dérogatoire, comme nous l’avons vu plus tôt cette semaine en Alberta.

Le recours à l’article 107 est nouveau, mais il s’inscrit dans une tradition que les spécialistes du droit du travail Leo Panitch et Donald Swartz ont qualifié d’« exceptionnalisme permanent ». En effet, les gouvernements et les employeurs canadiens déclarent leur soutien aux droits à la négociation collective et même au droit de grève tout en trouvant régulièrement des raisons de contourner ces droits « juste cette fois-ci ».

Par conséquent, entre 2002 et 2019, le Canada était à l’origine de 54 % de toutes les plaintes de violations des droits du travail déposées auprès du Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail contre les pays du G7. Ce sont des pays similaires.

Mais pour en venir à mon deuxième point, si nous mettons de côté les droits garantis par la Charte, le fait de restreindre le droit de grève des travailleurs par des ordonnances de retour au travail ou des définitions élargies de ce qui constitue un « travailleur essentiel » est un moyen inefficace d’instaurer la paix industrielle.

Les gouvernements canadiens précédents l’ont appris à leurs dépens. Dans les années 1940, les restrictions répétées sur les grèves ont attisé la lutte des classes, ce qui a amené le premier ministre de l’époque, William Lyon Mackenzie King, à prendre conscience qu’un système de relations industrielles stable exigeait d’obliger les employeurs à reconnaître les syndicats et à négocier avec eux. Le fondement de cette obligation était le droit de grève des travailleurs. Le fait de trop restreindre la capacité des travailleurs à faire la grève a éliminé la motivation des employeurs à négocier et a alimenté le ressentiment des travailleurs, ce qui a donné lieu à plus de conflits. Les employeurs ont dû faire face à des sanctions pour les amener à la table de négociation et apaiser les conflits de travail.

Quelques décennies plus tard, devant une augmentation semblable du militantisme parmi les travailleurs du secteur public dans les années 1960, le premier ministre de l’époque, Lester B. Pearson, a déconseillé l’interdiction des grèves, faisant valoir ce qui suit :

[...] si l’on dit aux fonctionnaires qu’ils ne peuvent jamais faire la grève en vertu de la loi, on risque de précipiter précisément ce que l’on cherche à éviter.

Avec le retour du militantisme syndical au cours des dernières années — et d’autres témoins vous l’ont dit ce soir —, je crains que notre gouvernement actuel oublie ou ignore les leçons durement apprises par ses prédécesseurs. Les ordonnances de retour au travail répétées ont réduit la motivation des employeurs à négocier et ont laissé les travailleurs canadiens se demander si la Charte s’applique à eux. Pendant ce temps, les griefs sur le lieu de travail ont continué à s’envenimer et à refaire surface encore et encore. Le résultat prévisible — nous l’avons vu plus particulièrement dans le secteur maritime — a été une succession de conflits de travail.

Un système de négociation collective solide repose sur de forts incitatifs à conclure des accords négociés, qui doivent être soutenus par un véritable droit de grève. Tenter de résoudre des conflits de travail par l’entremise d’interventions ponctuelles du gouvernement peut régler le problème à court terme, mais cela crée des problèmes plus importants plus tard. Merci du temps que vous m’avez consacré.

Le président : Merci, monsieur Eidlin. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je leur rappelle qu’ils disposent d’au plus cinq minutes pour cette série de questions. Le bâtiment est réservé pour encore 32 minutes.

J’invite notre vice-présidente, la sénatrice Dasko, à poser la première question.

La sénatrice Dasko : Merci aux témoins d’être ici. Monsieur Eidlin, un projet de loi d’initiative parlementaire a été présenté, le projet de loi C-247, Loi modifiant le Code canadien du travail, qui abrogerait l’article 107 du code. L’appuyez-vous?

M. Eidlin : Absolument.

La sénatrice Dasko : Vous l’appuyez?

M. Eidlin : Oui. Eh bien, il est important de reconnaître que l’article 107 est en vigueur depuis de nombreuses décennies, mais ce n’est que depuis l’arrivée au pouvoir d’une succession de gouvernements libéraux que nous sommes témoins de cette nouvelle interprétation.

J’ai cité les propos d’une ancienne ministre conservatrice du Travail, Lisa Raitt, qui est la première à avoir élaboré la disposition à l’article 107 qui permettrait de renvoyer au Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI, les enquêtes sur les conflits de travail. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’elle pensait de l’utilisation de l’article 107 par les libéraux, elle a répondu ce qui suit :

Si vous trouvez un avocat qui peut vous dire que c’est possible [que le ministre ordonne aux parties d’aller en arbitrage], alors j’aurais aimé avoir son avis il y a 15 ans. En ce qui me concerne, vous ne pouvez pas faire cela.

C’est vraiment ainsi que nous interprétons l’article 107, mais je pense qu’il donne une trop grande marge de manœuvre. Avec une ordonnance de retour au travail, au moins, vous devez réunir l’assemblée législative. Vous pouvez en débattre. Il permet essentiellement au gouvernement au pouvoir d’ordonner aux travailleurs de retourner au travail par courriel, et je pense que c’est un abus de pouvoir de la part du gouvernement.

La sénatrice Dasko : Monsieur Hynes, comment appuyez-vous ce projet de loi d’initiative parlementaire qui vise à abroger l’article 107?

M. Hynes : Le recours à l’article 107 est nouveau. Je ne suis pas contre. Je pense qu’on a commencé à l’utiliser ces dernières années parce que les trois ministres du Travail qui l’ont invoqué ont estimé que les circonstances du conflit de travail étaient si exceptionnelles qu’ils ont jugé nécessaire d’interpréter la disposition de manière à ce que les parties retournent à la table des négociations et au travail par l’entremise d’un processus d’arbitrage exécutoire.

Le système judiciaire sera saisi de ces trois circonstances. Je serais intéressé de suivre ces affaires pour voir comment les tribunaux interprètent le recours de cette disposition avant de la supprimer sans réserve du Code canadien du travail.

Elle y a été intégrée pour une raison. C’est une disposition générale qui confère au ministre certains pouvoirs dans ces circonstances exceptionnelles. Nous pourrions utiliser d’autres outils, dont j’ai parlé un peu dans mes commentaires, mais il serait prématuré de la supprimer sans passer par ce processus.

La sénatrice Dasko : Il y a un différend en ce moment.

M. Hynes : Oui, dans les trois cas, cela a été utilisé.

La sénatrice Dasko : C’est sur cet article.

M. Hynes : C’est exact.

La sénatrice Dasko : Est-ce à propos de l’abrogation de cet article?

M. Hynes : Non, c’est au sujet de son utilisation. Les syndicats ont contesté son utilisation dans les trois cas.

La sénatrice Dasko : Madame Gascon, je tiens à dire que notre comité a visité le port de Montréal l’an dernier, et ce fut une visite très productive. Le port nous a beaucoup impressionnés. Je vous remercie de nous avoir accueillis à cette occasion.

Avez-vous des suggestions ou des propositions pour modifier la loi ou la réglementation concernant le Code canadien du travail? Je n’ai pas bien compris vos commentaires.

Mme Gascon : Je suis reconnaissante à MM. Hynes et Eidlin d’avoir exprimé leur point de vue, mais de notre côté, nous subissons les conséquences d’une grève. Le port a été fermé. À un moment donné, les ports de Prince Ruper, de Vancouver et de Montréal ont été fermés. Les marchandises que nous transportons stimulent l’économie. Ces conteneurs contiennent du matériel médical, de l’équipement agricole, toute la collection de Noël d’un petit magasin quelque part, etc. Il y a toutes sortes de marchandises. Cela crée beaucoup de perturbations et de difficultés.

En 2023, l’ancien ministre O’Regan a lancé une enquête en vertu de l’article 108. Cette enquête a donné lieu à un rapport qui a été déposé en 2025, et c’est ce dont M. Hynes a parlé, je crois.

Ce rapport renferme huit recommandations. Vous aimez peut‑être les recommandations ou vous estimez peut-être qu’elles ne sont pas assez bonnes ou pourraient être plus fermes, mais c’est un début.

Pourrions-nous examiner ces recommandations, évaluer leur valeur et déterminer s’il existe un plan de mise en œuvre qui pourrait être envisagé? Je crois qu’elles offrent une piste de solution pour résoudre ce problème d’une manière qui préserve, comme M. Eidlin l’a mentionné, le droit de grève et les droits garantis par la Charte des employés.

La sénatrice Dasko : Merci.

Le sénateur Wilson : Ma question s’adresse à Mme Gascon et, peut-être, à M. Hynes.

Premièrement, madame Gascon, je suis ravi de vous revoir, dans des rôles très différents. Je vous remercie d’avoir attiré l’attention sur la question de la souveraineté, car je ne pense pas qu’elle avait été soulevée jusqu’à présent. Cela fait partie des raisons pour lesquelles nous tentons de régler ce problème.

Je veux vous interroger plus précisément sur le rapport Ready et Rogers. M. Hynes et vous en avez tous les deux parlé. Nous avons examiné le rapport. J’ai rencontré des gens pour en discuter.

Même si je conviens que cela semble représenter, pour ainsi dire, une solution facile à mettre en œuvre rapidement, l’une de mes préoccupations concerne le processus de médiation spéciale et la question de savoir s’il nous aidera avec cette menace constante de grève. J’ai l’impression qu’il doit y avoir un échéancier ou quelque chose qui nous permette de faire ce que nous voyons aux États-Unis, ce qui permet vraiment de calmer les esprits. J’aimerais connaître votre avis sur la manière dont nous pourrions y parvenir grâce à un processus de médiation spéciale.

Mme Gascon : Je suis également ravie de vous voir, sénateur.

Vous avez parlé de la souveraineté économique, et c’est un sujet que j’évoque sur toutes les plateformes où j’ai l’occasion de m’exprimer.

Lorsque les marchandises ne transitent pas par un port canadien, mais par un port américain, il faut bien le dire, elles commencent à se déplacer dès qu’il y a une menace. Tout comme moi, vous savez, sénateur, que les compagnies de transport maritime n’attendent pas. Elles trouvent la trajectoire la plus facile pour transporter leurs marchandises, et la résilience est essentielle. Elles ont besoin de stabilité et de résilience. Les cargaisons circulent très rapidement. C’est une cargaison canadienne destinée à des entreprises canadiennes ou à des importateurs ou exportateurs canadiens qui transite par un port américain et, dans le contexte géopolitique actuel, je ne pense pas que ce soit acceptable.

À ce sujet, le rapport Vince Ready évoque le processus de médiation spéciale. Comme je l’ai dit, ce n’est peut-être pas la recommandation la plus solide, mais c’est une avenue que nous devons explorer pour voir si cela peut fonctionner.

Ce que nous voyons dans notre situation, et plus particulièrement à Montréal, c’est un grief de longue date entre les parties qui semblent incapables d’aller de l’avant. Le fait d’avoir quelqu’un de nouveau qui examine la situation et accompagne les deux parties pourrait être une solution.

Vancouver est à un an des négociations. Je ne sais pas où nous en serons dans le processus d’arbitrage. Je ne pense pas qu’une nouvelle enquête complète nous laisserait le temps nécessaire. Nous devons aller de l’avant.

Le sénateur Lewis : Merci à tous les témoins d’être ici ce soir.

Comme l’ont mentionné les témoins précédents, cette agitation ouvrière perdure depuis 75 ans, et vous l’avez également souligné, monsieur Eidlin. À mesure que nous avançons, nous parlons de pertes estimées à 10 milliards de dollars sur la côte Ouest et de pertes de débouchés au port de Montréal chaque fois qu’un conflit de travail éclate. Cette situation ne touche pas seulement les entreprises. Elle a aussi une incidence sur les travailleurs syndiqués et d’autres.

Monsieur Eidlin, quelle est la solution pour adopter une nouvelle approche? Les mêmes vieilles méthodes ne fonctionnent plus depuis 1950.

Nous avons entendu hier à quel point ces grèves sont disproportionnées par rapport aux transports. C’est un problème de taille, qui ne cesse de s’aggraver, et tous nos clients en sont conscients alors que nous essayons d’exporter nos produits. Qu’allons-nous faire? C’est ce que nous essayons de déterminer au comité.

M. Eidlin : Vous avez entendu M. Harvey, de l’Association des chemins de fer du Canada, parler dans le premier groupe de témoins de la nécessité de façonner les attentes des expéditeurs, du fait que nous avons besoin d’un système de relations de travail stable pour façonner les attentes des expéditeurs afin qu’ils ne détournent pas leurs expéditions.

Ce que nous devons faire ici, c’est faire comprendre aux employeurs que le gouvernement n’interviendra pas pour les aider dans le processus de négociation. Il ne s’agit pas des ports et des chemins de fer, mais chez Air Canada, vous l’avez clairement vu lorsque le PDG a dit sans équivoque qu’ils n’avaient pas vraiment négocié parce qu’ils pensaient que le gouvernement allait émettre une ordonnance en vertu de l’article 107. Nous voyons comment les employeurs sont essentiellement conditionnés pour compter sur l’intervention du gouvernement dans les conflits de travail. J’ai parlé des leçons durement apprises par le gouvernement, mais ce n’était qu’après des efforts répétés pour réprimer l’intervention du gouvernement.

À mon avis, la solution consiste essentiellement à renforcer le droit de grève, car les représentants des employeurs nous ont parlé des effets extrêmement perturbateurs de ces grèves, ce qui est tout à fait vrai, mais c’est précisément le but d’une grève. C’est la menace de perturbation qui crée un environnement sous pression propice à la conclusion d’une entente entre les parties. Si vous réduisez ces pressions, vous réduisez la motivation à conclure une entente.

Nous devons considérer la négociation collective et le droit de grève comme les piliers sur lesquels repose un système de négociation collective stable.

Le sénateur Lewis : Monsieur Hynes, avez-vous une observation à formuler à ce sujet?

M. Hynes : Je ne veux pas transformer cette discussion en séance de club de débat, mais je suis totalement en désaccord avec les propos de mon collègue.

Les employeurs ne supplient pas le gouvernement de les renflouer. Les employeurs veulent négocier librement et équitablement avec leurs syndicats et parvenir en fin de compte à un accord. Nous avons de réelles difficultés à le faire, et nous le constatons dans divers secteurs. Je n’ai pas besoin de répéter toutes les raisons pour lesquelles cela a d’énormes répercussions sur les Canadiens. Nous devons trouver des outils qui permettent de garder les parties à la table des négociations afin d’éviter que certaines d’entre elles ne recourent rapidement à la menace de « retirer leurs services et de faire souffrir l’employeur et le public », afin d’obtenir peut-être un meilleur accord. Ce que nous voulons, ce sont des outils.

Le rapport de Vince Ready présente plusieurs options. Dans ce rapport, M. Ready tente le difficile exercice consistant à trouver un équilibre entre le droit de grève et la nécessité d’empêcher que quelqu’un ne cause des préjudices économiques de ce genre à notre pays. L’intervention d’un médiateur spécial n’est pas une solution miracle, mais nous pensons que c’est un pas dans la bonne direction. Ce médiateur doit être doté de pouvoirs plus étendus que ceux dont dispose le médiateur actuel, et il doit rester à la table des négociations pour parvenir à des accords. Personne ne souhaite qu’un arbitre rédige ses conventions collectives, un point c’est tout.

La sénatrice Simons : J’étais l’étoile du club de débat de mon école secondaire. J’ai toujours adoré les bons clubs de débat.

Professeur Eidlin, comme vous l’avez peut-être entendu lorsque je me suis présentée, je viens de l’Alberta. Cette semaine, la première ministre de ma province a non seulement ordonné aux enseignants en grève de reprendre le travail, mais elle a aussi invoqué la disposition de dérogation, qui les prive de toute possibilité de contester cette décision. À mon avis, ce qui est le plus scandaleux dans tout cela, c’est qu’elle leur a imposé le même contrat que près de 90 % d’entre eux avaient rejeté lors d’un vote.

M. Eidlin : Oui.

La sénatrice Simons : Je me demande si vous pourriez nous parler du précédent que cela crée pour d’autres provinces et des conséquences que cela a pour le moral des syndicats de notre pays. Je sais quel est le moral dans ma province, mais pourriez-vous nous parler des répercussions que les mesures prises en Alberta pourraient avoir sur d’autres provinces et d’autres secteurs syndicaux?

M. Eidlin : De manière générale, cette situation est assez préoccupante. Le problème auquel nous faisons face, c’est que la capacité du gouvernement à promulguer des lois et à les faire respecter repose en fin de compte sur leur légitimité. Lorsqu’une situation comme celle que vous avez observée en Alberta cette semaine survient, une situation où le gouvernement invoque la disposition de dérogation — c’est-à-dire qu’il déclare publiquement qu’il viole les droits des travailleurs garantis par la Charte afin de leur imposer un accord qu’ils avaient rejeté —, le problème ne se limite pas au fait que cela oblige ce groupe de travailleurs à reprendre le travail contre leur gré, que cela démontre un manque de bonne volonté et que la rancœur va en découler. Cela compromet la légitimité des mesures prises par le gouvernement, et cela montre bien l’importance d’éviter ce genre de situations.

Cela nous ramène à la citation de Lester B. Pearson. Premièrement, d’un point de vue pratique, nous risquons de provoquer les actions que nous ne voulons pas observer en essayant de les interdire. Si nous nous soucions d’avoir un régime de relations de travail stable, nous devons avoir un régime que tout le monde considère comme légitime. Nous n’approuverons peut-être pas toujours toutes les décisions, mais nous comprendrons au moins qu’il s’agit d’un régime dans lequel nous pouvons être entendus de manière équitable. Nous ne sortirons peut-être pas toujours victorieux des négociations, mais au moins les règles seront équitables.

La sénatrice Simons : Monsieur Hynes, le but d’une grève est, en fait, d’infliger des souffrances à l’employeur et au grand public. C’est l’arme dont disposent les travailleurs. Je comprends pourquoi nous n’aimons pas cela, mais c’est la fonction d’une grève.

Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit, car j’ai besoin de comprendre cet enjeu, étant donné que j’ai dérangé le sénateur Wilson à ce sujet. Il soutient qu’il y a plus de 100 syndicats différents qui interviennent au port de Vancouver, et vous avez mentionné qu’il s’agissait là d’un problème propre à la côte Ouest. Pourquoi est-ce un problème dans les ports de la côte Ouest, mais pas dans les autres ports?

M. Hynes : Ils sont organisés différemment. Dans le reste du pays, les syndicats sont organisés selon une accréditation régionale, ce qui signifie que tous les syndicats d’une région donnée qui travaillent avec les employeurs en question négocient d’une seule voix. Sur la côte Ouest, cet arrangement a toujours été volontaire. Ainsi, la British Columbia Maritime Employers Association, ou BCMEA, représente tous les employeurs qui exercent leurs activités dans les ports, et l’International Longshore and Warehouse Union, ou ILWU, représente tous les syndicats locaux présents dans les ports. Cette façon de négocier est volontaire depuis des décennies.

On craint que, dans un an, dans le cadre du prochain cycle de négociations, les syndicats décident d’arrêter d’adhérer à cet arrangement volontaire. Je pense qu’ils pourraient finir par essayer de négocier jusqu’à 39 conventions collectives distinctes avec les différents employeurs avec lesquels ils travaillent. Pour nous, ce serait catastrophique.

L’une des principales recommandations présentées dans le rapport de la CEI, c’est que le gouvernement offre aux employeurs une possibilité qui n’existe pas dans le Code canadien du travail en ce moment, c’est-à-dire celle de demander une accréditation régionale, un processus qui serait confié au Conseil canadien des relations industrielles et qui leur permettrait d’obtenir une accréditation régionale pour toute la côte Ouest. Ainsi, la BCMEA représenterait tous les employeurs et l’ILWU représenterait toutes les sections locales, ce qui permettrait de réunir tous les intervenants autour d’une même table pendant l’ensemble du processus de négociation collective.

La sénatrice Simons : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Je vais changer un peu de propos. Madame Gascon, après tous les commentaires intéressants que nous avons entendus ce soir, est-ce qu’il serait valable de décréter que les ports sont un service essentiel, avec toutes les ramifications que cela peut entraîner pour les ouvriers et les employeurs? Si les autres témoins veulent ajouter leurs propres commentaires, ils sont les bienvenus. Merci.

Mme Gascon : Merci, sénateur Aucoin.

Ce n’est certainement pas ce que je demande à votre comité ce soir. La chose que je demande est la suivante : pouvons-nous nous pencher sur des pistes de solution? Des grèves à répétition sont extrêmement difficiles à gérer pour l’intérêt national. C’est vraiment la question sur laquelle vous vous penchez, la réconciliation de l’intérêt national avec le droit de grève, qui est un droit constitutionnel. Ce n’est pas facile. C’est pourquoi le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest est rédigé difficilement. Comme l’a expliqué mon collègue M. Hynes, c’est thread and needle, ce qu’il a essayé de faire.

Je pense que cela offre des pistes de solution. Il faut garder les deux parties à la table. On doit être capable de s’entendre. On doit avoir une négociation basée sur les intérêts communs des deux côtés de la table. Présentement, on voit que les deux parties ne peuvent plus se rendre à la table, car il y a des enjeux de longue date qui perdurent. Cela fait des années que les deux parties ne voient pas les choses de la même façon. Ce rapport offre donc des pistes de solutions. Avec les négociations qui s’en viennent, il ne serait pas opportun d’en refaire un autre.

Le professeur Eidlin nous a très bien expliqué ce qui s’est fait par le passé par d’autres premiers ministres et administrations qui ont essayé de se pencher sur la question. Je pense que le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest pourrait nous offrir des pistes de solution en ce sens.

Ce n’est pas mon intention, mais cela a fait du mal aux Canadiens, au Port de Montréal, à l’économie et aux petites entreprises. Comme votre collègue la sénatrice Simons l’a expliqué avant vous, je comprends que le but de la grève est de faire du mal. Toutefois, jusqu’où devrons-nous nous rendre? Nous rendrons-nous jusqu’à ne plus être capables de mettre de la nourriture sur nos tables? Ou jusqu’à ce que des animaux de ferme meurent, parce qu’ils n’ont plus de nourriture? Ou jusqu’à ce que l’on ne soit plus en mesure d’amener du mazout pour chauffer les maisons dans le Nord? Quelle est la limite? Telle est la question.

Je propose que l’on regarde le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest et que l’on crée un plan de mise en œuvre. Quand le ministre O’Regan a lancé cette commission d’enquête, j’avais demandé s’il prendrait en compte le contexte canadien. On m’avait dit que ce rapport et ses recommandations seraient pris en compte dans le contexte canadien. C’est ce que je demande ce soir, monsieur le sénateur.

La sénatrice Oudar : Je vais poursuivre sur cette lancée de l’effet de la grève, dont je doute que l’objectif soit d’imposer de la souffrance ou de faire du mal. Le droit de grève est protégé par notre Constitution. Le professeur Eidlin a parlé de la jurisprudence de la Cour suprême dont on doit tenir compte. Il faut le faire dans notre encadrement juridique. Il faut trouver des solutions qui respectent le principe, car cela fait partie de la négociation collective, et c’est maintenant enchâssé dans notre droit constitutionnel. D’ailleurs, merci au professeur Eidlin d’avoir parlé de l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan. Cependant, il est important pour moi de rappeler que l’on doit tenir compte du contenu des enseignements de la Cour suprême.

Là où vous vous rejoignez tous les deux dans ce dont vous avez discuté, et je crois qu’une des clés pourrait résider dans cette solution, c’est qu’il ne s’agit peut-être pas de s’attaquer au droit de grève, mais plutôt de revoir toute la question du mode de négociation. Vous avez parlé de maintenir les personnes à la table des négociations et de respecter le droit de grève, et Mme Gascon vient également de rediscuter de cette nécessité de maintenir le dialogue social. La clé est donc probablement de créer des outils qui permettent de maintenir les parties à la table et de ne pas toujours négocier dans la perspective d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Je le dis pour les parties syndicales et patronales. Pour avoir moi-même fait de la négociation une grande partie de ma vie, ce sont des outils utiles tant pour les employeurs que pour les travailleurs.

Toutefois, on n’a pas parlé du lock-out, qui est également un droit de l’employeur de mettre fin temporairement à un conflit de travail, de la même façon que les travailleurs le font. C’est le pendant du droit de grève. Il a les mêmes effets. Il y a donc un équilibre à trouver.

Vous vous rejoignez dans cette reconfiguration de la négociation entre les parties — et je vous en félicite — ainsi que sur la nécessité de maintenir les gens à la table, sur le droit de grève et sur l’obligation de continuer à maintenir le dialogue social.

Je crois qu’il y a des solutions; plusieurs choses ont été mises sur la table ce soir, mais je voulais vous remercier tous les quatre pour vos interventions et pour cette piste commune que je vois émerger à la fin de ces travaux.

[Traduction]

Le président : Chers témoins, si vous souhaitez nous faire part par écrit de vos réflexions concernant la culture du leadership, sachez qu’après avoir passé ma vie à travailler dans les sports et les affaires, au sein de grandes et petites organisations, je considère que la culture du leadership et la capacité des personnes à faire preuve de souplesse constituent toujours l’un des éléments clés et positifs de la négociation. Si vous avez l’occasion de poursuivre le processus que nous avons entamé ce soir et de nous faire parvenir vos observations à ce sujet par écrit, nous vous en serions très reconnaissants, car cela viendrait enrichir les témoignages déjà très précieux que vous nous avez fournis.

Cela est-il logique?

[Français]

Madame Gascon, merci encore de votre témoignage au nom du Port de Montréal.

Mme Gascon : Merci.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie tous de votre participation. Cette discussion a été passionnante. J’aurais aimé disposer de deux heures de plus pour la poursuivre, mais je crois que nous trouverons un moyen de vous réunir de nouveau afin d’approfondir la conversation et de parvenir à des conclusions pertinentes qui, je l’espère, aideront le gouvernement à aller de l’avant. Merci à tous.

Je remercie également notre personnel à l’avant et à l’arrière de la salle de leur excellent travail. Je sais qu’il vous a fallu faire amende honorable pour nous accorder davantage de temps.

(La séance est levée.)

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