Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 4 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le maintien des activités ou des services essentiels dans les secteurs ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale en cas de conflit de travail.

Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Avant de commencer, veuillez prendre un moment pour jeter un coup d’œil sur les cartes disposées sur les tables dans la salle du comité, afin de prendre connaissance de quelques consignes visant à prévenir les incidents acoustiques. Gardez votre oreillette éloignée de tous les microphones en tout temps. Ne touchez pas aux microphones. Leur activation et leur désactivation sont contrôlées par l’opérateur de la console. Enfin, évitez de manipuler votre oreillette lorsque le microphone est activé. Elle doit rester dans votre oreille ou être placée sur l’autocollant apposé sur la table devant vous. Je vous remercie tous de votre collaboration.

Je m’appelle Larry Smith. Je suis un sénateur du Québec et le président du comité. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter.

La sénatrice Simons : Bonjour. Sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

Le sénateur Wilson : Bonjour. Sénateur Duncan Wilson, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Mohamed : Bonjour. Je suis le sénateur Mohamed, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bienvenue au Sénat. René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Arnold : Bonjour. Dawn Arnold, du Nouveau‑Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Hay : Bonjour. Katherine Hay, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Quinn : Bonjour. Jim Quinn, du Nouveau‑Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Manning : Bonjour. Fabian Manning, de Terre‑Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Lewis : Todd Lewis, de la Saskatchewan.

La sénatrice Robinson : Soyez les bienvenus. Je suis la sénatrice Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Bonjour. Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.

Le président : Merci, chers collègues. J’aimerais souhaiter la bienvenue aux gens présents ici aujourd’hui ainsi qu’à tous ceux et celles qui nous écoutent en ligne sur le site Web du Sénat, sencanada.ca. Nous sommes réunis aujourd’hui pour poursuivre notre étude sur le maintien des services de transport en cas de perturbations du travail.

J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons Bea Bruske, présidente, et Chris Roberts, directeur national, Politiques sociales et économiques, du Congrès du travail du Canada. Nous accueillons également Tom Doran, premier vice-président de l’International Longshore and Warehouse Union Canada. Nous recevons aussi Paul Boucher, président, Don Ashley, directeur législatif national, et Ken Stuebing, associé, CaleyWary, de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.

Les témoins feront une déclaration préliminaire de cinq minutes. J’en ai parlé à la plupart d’entre vous auparavant, mais je vous rappelle de respecter les cinq minutes, afin que nous ne dépassions pas le temps toujours limité qui nous est alloué. Il y aura ensuite une période de questions et réponses avec les sénateurs et sénatrices. J’invite maintenant Mme Bruske à faire sa déclaration préliminaire.

Bea Bruske, présidente, Congrès du travail du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Merci, honorables sénateurs et sénatrices. Je vous suis reconnaissante de me donner l’occasion d’être ici avec vous aujourd’hui.

Je m’appelle Bea Bruske et je suis présidente du Congrès du travail du Canada, ou CTC. Nous représentons 50 syndicats affiliés provenant de tous les secteurs de notre économie, d’un océan à l’autre, et littéralement tous les types de main-d’œuvre qui existent. Le CTC rassemble de nombreux syndicats qui négocient au nom des travailleurs des secteurs ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale.

Je veux que les choses soient parfaitement claires pour tous ce matin. Dans notre pays, le droit à la négociation collective des travailleurs est protégé par la Constitution, et cela comprend le droit de grève. La Cour suprême a reconnu que la capacité d’exercer des pressions économiques sur les employeurs est nécessaire et fait partie intégrante de la négociation collective. C’est un moyen légitime d’atteindre certains objectifs en milieu de travail.

Il ne faut pas se leurrer : la grande majorité des négociations de conventions collectives dans les secteurs de compétence fédérale se règlent sans arrêts de travail. Il arrive toutefois, à l’occasion, que les négociations stagnent, et c’est de ces cas-là que nous entendons parler. Lorsque cela se produit, les employés ont le droit de cesser de fournir leurs services. Ce ne sont pas des décisions rapides et faciles à prendre pour les travailleurs. Ils ont le droit de faire subir un préjudice économique directement à leur employeur et, oui, parfois indirectement à des tiers qui font affaire avec celui-ci.

Les travailleurs ne feront jamais de compromis concernant leur droit de ne pas travailler. Nous sommes extrêmement préoccupés de voir que le gouvernement fédéral est de plus en plus prêt à intervenir dans les relations de travail pour mettre fin aux négociations collectives et aux grèves légales, et même pour interdire les grèves légales avant qu’elles ne commencent.

L’empressement d’Ottawa à intervenir nuit dangereusement à l’efficacité de la négociation collective. Il encourage les employeurs à compter sur l’intervention du gouvernement. Cela a pour effet de transformer des questions très graves à la table de négociation et des négociations sérieuses en négociations superficielles, où les employeurs peuvent attendre leur heure pour passer au travers de toutes les étapes.

La négociation entre les agents de bord du Syndicat canadien de la fonction publique et Air Canada, en août dernier, est un parfait exemple de cela. L’entreprise comptait sur l’intervention du gouvernement pour prévenir un arrêt de travail. La compagnie aérienne a mis fin aux négociations sérieuses et s’est concentrée sur une campagne de communication, s’attendant à ce qu’Ottawa intervienne pour sauver la situation. Air Canada était tellement convaincue qu’Ottawa allait intervenir qu’elle ne s’est pas donné la peine de prendre les précautions nécessaires et n’a pas informé adéquatement les passagers d’un conflit potentiel.

Lorsqu’Ottawa laisse continuellement supposer qu’il va se ranger du côté des employeurs, cela corrompt la négociation collective. La loi prévoit déjà des mesures de protection pour réduire au minimum les risques légitimes d’un arrêt de travail. Dans le Code canadien du travail, il est dit qu’en cas d’arrêt de travail, les services sont maintenus, « dans la mesure nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public. » La nouvelle interdiction visant les briseurs de grève protège également contre les menaces imminentes ou graves en incluant les menaces pour la vie, la santé ou la sécurité, les menaces de détérioration grave des biens de l’employeur et les menaces de graves dommages environnementaux.

Nous constatons maintenant que l’industrie semble vouloir ajouter les bénéfices des sociétés à la liste des aspects vitaux qui doivent être protégés. Nous, du mouvement syndical, n’acceptons pas cela.

Lorsqu’il y a menace de grève, les travailleurs de l’industrie du transport sont désignés comme « essentiels ». Mais la plupart du temps, ce que nous voyons de la part des sociétés de transport, c’est qu’elles pensent que leurs travailleurs sont remplaçables. Les programmes de réduction des effectifs des entreprises visent sans relâche à réduire la masse salariale, à intensifier le travail, à réduire les coûts de main-d’œuvre et, en général, à trouver des moyens d’en faire plus avec moins de travailleurs. Les travailleurs pensent de façon très cynique que l’on applique là deux poids, deux mesures — qu’ils sont essentiels, d’une part, quand cela fait l’affaire de l’employeur, mais pas essentiels autrement.

J’aimerais terminer en reprenant les propos de l’ancien ministre du Travail sur cette question. En 2022, notre ministre des Transports a nommé un groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement, composé de cadres et de conseillers d’entreprises. Dans son rapport, le groupe de travail a recommandé que le gouvernement protège les activités de la chaîne d’approvisionnement en réduisant la menace d’arrêts de travail. Il convient de saluer le fait que le ministre du Travail de l’époque avait indiqué qu’il n’accepterait pas cette recommandation. Il avait alors écrit que les chaînes d’approvisionnement saines et résilientes sont construites et exploitées par des travailleurs en santé et résilients, qui dépendent des meilleures ententes conclues aux tables de négociation, et non imposées par suite de l’intervention du gouvernement.

Honorables sénateurs et sénatrices, nous demandons au comité de défendre la négociation collective et le droit de grève garanti par la Charte dans le cadre du système démocratique canadien qui régit le milieu de travail et permet le partage de notre prospérité économique. Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame Bruske. J’invite maintenant M. Doran à faire sa déclaration préliminaire.

Tom Doran, premier vice-président, International Longshore and Warehouse Union Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices. Je suis heureux que vous m’ayez invité et donné la possibilité de me joindre à vous à distance. Je m’appelle Tom Doran et, en tant que premier vice-président de l’International Longshore and Warehouse Union Canada, ou ILWU, je représente les débardeurs de la côte Ouest qui aident à assurer la sécurité des ports du Canada et le transport continu des marchandises. Nos membres sont ceux que vous voyez sur les quais à 3 heures du matin sous la pluie. Ils se soucient de la sécurité, avec comme objectif de bien faire leur travail et de rentrer à la maison avec leur famille. C’est dans cet esprit que je participe à cette discussion.

J’espère que nous pourrons vous être utiles dans votre étude sur le maintien des activités. De notre point de vue, à l’ILWU, il y a une incompréhension généralisée des règles régissant le maintien des activités pendant les arrêts de travail dans les industries sous réglementation fédérale.

L’article 87.4 du Code canadien du travail dit que le travail se poursuit seulement si, en y mettant fin, on créait « [...] des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public. » La bonne nouvelle, c’est qu’en pratique, les employeurs et les syndicats définissent ces activités à l’avance. En cas de désaccord, c’est le Conseil canadien des relations industrielles, ou le CCRI, le tribunal fédéral du travail indépendant, qui détermine ce qui répond vraiment aux critères de santé et de sécurité prévus à l’article 87.4.

Pour ce qui est des activités portuaires, cela comprend le déplacement des passagers de navires de croisière en toute sécurité dans les terminaux, la vérification des conteneurs réfrigérés, afin que les marchandises ne se gâtent pas, et le maintien de la sécurité portuaire et des interventions d’urgence essentielles. Cet équilibre permet de protéger le public sans franchir la ligne de démarcation problématique où une règle de sécurité se transforme en règle économique.

Nous aimerions également souligner brièvement notre appui à la récente modification législative du code, qui interdit le recours à des travailleurs de remplacement pendant une grève, à condition que ne soit pas perturbé le maintien des services nécessaires. Encore une fois, il s’agit d’un équilibre qui protège la liberté constitutionnelle de grève, tout en assurant la sécurité du public.

Honorables sénateurs et sénatrices, si vous cherchez à réduire les conséquences des interruptions de travail, la solution ne consiste pas à redéfinir le terme « essentiels » en fonction de répercussions commerciales courantes. La meilleure façon de le faire, c’est de laisser les parties négocier plus tôt et de bonne foi selon des règles prévisibles.

Au-delà de ce que le code prescrit pour la manutention et le transport des grains, notre point de vue est simple. Si l’interruption d’une activité devait entraîner un danger immédiat et grave pour la sécurité ou la santé du public, cette activité devrait être maintenue. Le code ne donne pas compétence pour décider que les répercussions économiques sont un facteur permettant de déterminer si un service est nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour le public. Une telle norme équivaudrait de facto à un ordre de retour au travail et enlèverait son sens à la grève. Nous ne sommes pas ouverts à des listes de marchandises générales dans lequel le transport courant est réétiqueté comme étant « essentiel ».

Cette norme axée sur la sécurité préserve les exclusions limitées et laisse la pression économique normale s’exercer là où elle doit l’être, c’est-à-dire à la table de négociation. Les arrêts de travail entraînent des coûts, mais c’est cette pression légale qui ramène les deux parties à la table pour négocier. Les interruptions de travail attribuables à une grève ou à une autre action syndicale exercent des pressions économiques sur l’employeur pour qu’il négocie, de la même façon que les salaires perdus exercent des pressions sur les travailleurs et leurs représentants pendant un lock-out. Cette tension réciproque est un outil économique légitime et fait partie du processus de négociation collective. Elle est la marque d’une négociation de bonne foi fondée sur des règles.

C’est pourquoi le recours abusif récent à l’article 107 du Code canadien du travail est si troublant. Sur papier, l’article 107 est un mécanisme restreint de renvoi au CCRI pour maintenir ou assurer la paix industrielle. Bien qu’il soit présent dans le code depuis 1984, il n’avait jamais été utilisé pour mettre fin unilatéralement à des grèves avant 2023, alors qu’il l’a été de façon répétée depuis, lorsque cela est commode au niveau politique.

Honorables sénateurs et sénatrices, ne vous y trompez pas; cette nouvelle façon de faire de la part du gouvernement du Canada a des répercussions. Elle change les comportements.

Lorsqu’une partie s’attend à ce que le ministre intervienne par l’entremise de l’article 107 pendant un arrêt de travail, elle a une raison de ne rien faire plutôt que de négocier. La boîte « brisez la vitre en cas d’urgence » devient un dispositif de tous les jours, qui est, pour être franc, presque exclusivement à l’avantage de l’employeur.

Cela a pour résultat une incertitude prolongée, des conventions collectives imparfaites et précaires et, ironiquement, une atteinte à la réputation commerciale du Canada. Cette incertitude est ensuite invoquée pour justifier un nouveau recours à l’article 107. Il s’agit d’un cycle descendant qui se perpétue lui‑même et qui mine de façon permanente les relations de travail.

Le rétablissement de l’article 107 au rôle limité qu’il jouait historiquement réduirait les arrêts de travail en éliminant la motivation d’attendre un sauvetage et en remettant la pression là où elle doit être, c’est-à-dire à la table de négociation. Ce serait une mesure positive pour les chaînes d’approvisionnement du Canada, ainsi que pour les relations commerciales du pays et son économie en général.

Les débardeurs que je représente veulent profiter de milieux de travail stables, de règles prévisibles et de la dignité de négocier leurs contrats de travail. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’apporter ma contribution, et je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

Le président : Merci, monsieur Doran. J’invite maintenant M. Boucher à faire sa déclaration d’ouverture.

Paul Boucher, président, Conférence ferroviaire de Teamsters Canada : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Je m’appelle Paul Boucher, et je suis le président national de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, ou CFTC, qui représente 11 500 membres partout au pays, chargés de l’exploitation sécuritaire des trains pour plusieurs compagnies ferroviaires au Canada, y compris le Canadien National et le Canadien Pacifique Kansas City. Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole devant le comité et à présenter les observations de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada sur ces sujets importants.

Il est bien établi que les compagnies de transport ferroviaire des marchandises n’offrent pas de services essentiels au sens de l’article 87.4 du Code canadien du travail. C’est en vertu d’ententes de longue date entre les parties, comme l’a déterminé le Conseil canadien des relations industrielles.

Pendant des décennies avant 2024, le CN et le CPKC ont convenu expressément avec tous leurs agents négociateurs qu’ils ne fournissaient aucun service, n’exploitaient aucune installation ou ne produisaient aucun bien au sens du code.

En mai 2024, le ministre du Travail a fait des renvois demandant au Conseil canadien des relations industrielles de déterminer si l’entente conclue par les parties était suffisante pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public en cas d’arrêt de travail au CN et au CPKC, respectivement.

À la suite de l’audience du 9 août 2024, le conseil a rendu deux décisions confirmant qu’un arrêt de travail dans l’une ou l’autre des compagnies de chemin de fer n’entraînerait pas de risques imminents et graves au sens du code, et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire de maintenir les services, l’exploitation ou la production pendant un arrêt de travail.

Cela est le résultat de décennies de précédents uniformes et acceptés. Il n’est pas urgent de réviser le code à la lumière de cette longue histoire d’accords entre les parties sur le maintien des activités, comme l’a récemment confirmé le conseil.

Il convient d’insister sur le fait que les sociétés de transport ferroviaire des marchandises sont des entreprises privées — des entreprises hautement rentables. La chaîne d’approvisionnement a été laissée entre les mains de sociétés privées qui rendent des comptes à leurs actionnaires. Il est essentiel que les droits constitutionnels des travailleurs ne soient pas bafoués au profit des intérêts de ces sociétés.

Je tiens à souligner que le projet de loi C-58 est entré en vigueur cet été. Il a modifié le paragraphe 87.4(2) du code pour exiger que l’employeur et le syndicat s’entendent sur le maintien des activités, au plus tard 15 jours après la remise de l’avis de négociation. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre dans un délai de 15 jours, l’une ou l’autre peut demander au CCRI de régler les questions en suspens.

La semaine dernière, le CPKC n’a pas mentionné qu’il utilise actuellement ce processus dans le contexte des négociations avec la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale no 11. L’audience du conseil aura lieu la semaine prochaine.

Nous sommes d’avis qu’il faut laisser à ce processus révisé en vertu du code la possibilité de fonctionner avant que d’autres changements au code ou à cet article soient envisagés, le cas échéant.

La semaine dernière, le comité a entendu les commentaires des employeurs du secteur du transport ferroviaire de marchandises et de l’Association des chemins de fer du Canada, ou ACFC, au sujet des répercussions économiques des actions syndicales. Il n’a pas beaucoup été fait mention de lock-out par les compagnies de chemin de fer. En mars 2022, le CPKC a mis ses employés en lock-out. En juillet 2024, la CFTC, dans le cadre de sa représentation des groupes du CPKC et de l’unité de négociation du CN, a offert d’échelonner la période d’apaisement, en vue de décaler les arrêts de travail entre les deux transporteurs, afin qu’une compagnie ferroviaire soit en service à l’échelle nationale. Le CN et le CPKC ont rejeté cette offre du revers de la main.

Quelques heures après avoir pris connaissance de la décision du conseil du 9 août 2024, le CPKC a donné avis de son intention de mettre ses employés en lock-out et de modifier les modalités de toutes ses conventions collectives. Ce faisant, il ne nous a donné d’autre choix que de signifier un avis de grève.

Le 18 août 2024, le CN a également signifié au syndicat un avis de lock-out qui devait entrer en vigueur à 0 h 1, le 22 août 2024. Cela coïncidait avec l’avis de lock-out déjà signifié par le CPKC. Le syndicat n’a pas signifié d’avis de grève au CN.

Les sociétés ont également négligé d’expliquer les concessions importantes qu’elles ont demandées à la CFTC lors de la plus récente ronde de négociations.

Ce qui est révélateur, c’est qu’au nom du CN, Mme McGuire a parlé de négociations superficielles et de l’absence d’incitation à négocier une entente. En 2023-2024, le syndicat avait l’intention de parvenir à un règlement négocié. Il avait réussi à conclure une entente négociée avec le CN lors de la ronde précédente. Cependant, en 2023-2024, les deux sociétés ont cherché à obtenir des concessions extrêmes sur des protections essentielles dans les conventions collectives et ont ensuite tenté d’obtenir par l’arbitrage de différends ce qu’elles ne pourraient pas obtenir autrement au moyen d’ententes librement négociées.

La fatigue est un problème de sécurité de premier plan pour les employés et le public. Les employés des services roulants du CN et du CPKC ont été victimes de manquements systémiques aux droits au repos des employés en vertu des conventions collectives. Au cours de récentes négociations, le CN et le CPKC ont tous deux cherché à limiter ou à éliminer les articles concernant le repos protecteur et à faire en sorte que seules les périodes minimales de repos prévues par la loi s’appliquent. La CFTC n’est au courant d’aucun autre syndicat de cette industrie assujetti à de telles demandes de concessions de la part des entreprises. La médiation fonctionne lorsque les deux parties veulent négocier. Selon l’expérience de la CFTC, l’arbitrage forcé n’a rien en commun avec la libre négociation collective.

Malheureusement, il n’y a pas eu de gagnants lors des arbitrages récents de différends. Les parties n’ont pas été en mesure de résoudre les questions importantes. Des salaires équitables et une poignée de questions de sécurité sont tout ce qui se règle en arbitrage de différends. Les vrais problèmes ne se règlent pas par l’arbitrage de différends. C’est pourquoi le droit protégé par la Constitution d’exercer des pressions économiques sur l’autre partie est nécessaire pour parvenir à un règlement significatif des enjeux critiques réels qui sont les priorités des membres de la CFTC.

Le droit des travailleurs de participer à la libre négociation est enchâssé dans les dispositions du code, ce qui mène à une convention collective librement négociée, et non pas à une négociation ou à une convention collective imposée. Ce sont des processus démocratiques fondamentaux.

L’article 107 doit être lu dans le contexte du code, qui prévoit un mécanisme clair pour le droit de grève. On ne peut pas dire que l’article 107 a été conçu pour passer outre à ce processus protégé par la Constitution.

L’utilisation récente de l’article 107 a enhardi les employeurs sous réglementation fédérale et menace de perpétuer la négociation superficielle. Le CN et le CPKC se sont entendus pour créer une crise artificielle, ce qui a incité le ministre à invoquer l’article 107 pour miner les droits des travailleurs et récompenser les entreprises qui ne négocient pas de bonne foi.

Il est essentiel que les processus prévus dans le code demeurent en place pour aider les travailleurs à négocier ce qu’ils considèrent comme une entente équitable, par opposition à ce qui pourrait être jugé juste par les employeurs des chemins de fer ou le gouvernement.

Merci. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Boucher.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs et sénatrices. Je vous rappelle que vous disposerez chacun d’un maximum de cinq minutes pour la première série de questions.

Je rappelle également aux témoins que s’ils n’ont pas assez de temps pour fournir une réponse complète, ils peuvent le faire par écrit. Nous confirmerons cela à la fin de notre réunion avec ce groupe de témoins.

Les sénateurs et les sénatrices qui souhaitent poser des questions à nos témoins doivent en informer la greffière, qui ajoutera leur nom à la liste des intervenants. J’invite notre vice‑présidente, la sénatrice Dasko, à poser la première question.

La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être présents ici aujourd’hui et de participer à l’étude que nous avons lancée.

La semaine dernière, des témoins nous ont parlé de l’augmentation du nombre de conflits de travail et de perturbations dans l’industrie que nous étudions. Nous avons pris connaissance du piètre classement international du Canada en matière de relations de travail dans ce secteur particulier. Nous avons également entendu parler de l’utilisation accrue de l’article 107 et, de votre part, madame Bruske, de la promptitude du gouvernement à intervenir.

J’essaie de comprendre pourquoi le gouvernement intervient davantage. Je me demande si vous avez eu des discussions sérieuses avec ses représentants pour savoir pourquoi cela se produit. Je me demande si vous avez fait une analyse approfondie en parallèle, en parlant à des experts du domaine. Pourquoi font-ils cela maintenant? Je pense que l’un d’entre vous a mentionné que l’article 107 a été utilisé pour la première fois en 2003, mais peut-être ai-je mal compris. Je me demande pourquoi ils sont capables d’agir ainsi.

Monsieur Doran, vous avez utilisé l’expression « commode au niveau politique ». Si c’est le cas, pourquoi? Ma question s’adresse à n’importe lequel des témoins.

Mme Bruske : L’article 107 a été invoqué 8 fois au cours des 24 derniers mois, ce qui représente un recours important à cet article. Plutôt que de déposer un projet de loi de retour au travail, qui devrait être débattu à la Chambre, avec justification, arguments et vote des députés...

La sénatrice Dasko : Notre vote aussi.

Mme Bruske : ... votre vote aussi, absolument — c’est une façon beaucoup plus commode sur le plan politique pour le gouvernement de faire revenir les travailleurs au travail. La réalité, c’est que chaque fois qu’on invoque l’article 107, cela signifie que les parties n’ont pas à négocier pour arriver à une fin. Ils n’ont pas à négocier une convention collective acceptable pour les travailleurs et pour l’employeur. Il y a des habiletés cognitives qui se perdent lorsque vous n’avez pas à vous asseoir à une table de négociation et à discuter des enjeux très difficiles qui séparent les gens.

Certains des autres témoins que vous avez entendus ce matin vous ont dit que l’arbitrage de différends ne résout qu’une partie du problème. Il ne permet pas d’aborder les questions très graves qui restent en suspens après le règlement de la convention collective et qui prennent encore plus d’importance au moment de la ronde de négociations suivante. Le problème n’est donc jamais réglé.

La sénatrice Dasko : Mais pourquoi cela se produit-il? Pourquoi cette option est-elle de plus en plus utilisée?

Mme Bruske : Encore une fois, il est politiquement commode d’utiliser cette option, plutôt que de forcer l’employeur à négocier à la table de négociation.

Nous entendons beaucoup parler des difficultés économiques que connaissent les employeurs. Nous devons nous rappeler que les travailleurs qui décident de faire la grève éprouvent des difficultés financières. Personne ne décide de faire la grève ou d’être en lock-out. Les travailleurs doivent s’asseoir avec leur famille pour décider s’ils peuvent ou non se permettre d’accepter ce qui est sur la table en votant pour une entente potentiellement inférieure aux normes ou s’ils peuvent dire non et participer à une ligne de piquetage. Personne n’espère cela. Cela représente un fardeau économique pour toute la famille. Nous venons de voir des enseignants à Edmonton et partout en Alberta faire la grève pendant trois semaines sans être payés. C’est dire à quel point ils considéraient comme graves les questions qui n’étaient pas réglées.

La sénatrice Dasko : Le gouvernement a-t-il l’appui du public à cet égard? Si le gouvernement fait cela sans conséquences, diriez-vous que la population l’appuie?

Mme Bruske : Est-ce que ce sont les travailleurs qui obtiennent l’appui du public ou est-ce que c’est l’employeur qui reçoit l’appui du public?

La sénatrice Dasko : Le gouvernement obtient l’appui du public parce qu’il met fin à la grève.

Mme Bruske : Je pense que chaque fois que des gens sont touchés par une interruption de travail, ils veulent qu’on y mette fin parce que personne n’aime être touché par quelque perturbation que ce soit, n’est-ce pas? Nous comprenons que beaucoup de pressions sont exercées sur les employeurs, surtout par les sociétés, pour qu’ils interviennent en leur nom, afin qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir cette difficile négociation à la table de négociation. C’est ainsi que je vois la chose.

La sénatrice Dasko : Y a-t-il d’autres témoins qui aimeraient répondre?

M. Boucher : Oui, les compagnies et le gouvernement exercent toujours beaucoup de pression pour qu’on intervienne parce qu’ils ne veulent pas négocier de bonne foi. Ils peuvent ou vouloir s’asseoir à la table et conclure une entente, comme vous l’avez entendu la semaine dernière, mais ce n’est pas nécessairement vrai.

Par exemple, au cours des négociations, le CN et le CPKC se sont entendus pour négocier ensemble et planifier simultanément l’éventuel arrêt de travail afin de faire pression sur le gouvernement, mettre fin à toute forme de négociation de bonne foi et obtenir une entente imposée par un arbitre. Comme je l’ai dit dans mon exposé préliminaire, ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient et nous non plus, et personne n’a gagné.

Les meilleures ententes sont négociées, sans ingérence, et avec des pressions économiques sur l’entreprise et sur les employés syndiqués. Il y a toujours de bonnes ententes à conclure. Je vais prendre l’exemple du CN avec la grève des chefs de train en 2019. Si le gouvernement s’était mêlé du conflit de travail, il n’y aurait pas eu de disposition importante en matière de sécurité dans la convention collective, à savoir que, quand on est fatigué à bord d’un train, il n’est pas question de continuer malgré tout, et de déposer un grief par la suite. On peut simplement être remplacé. Cela n’aurait jamais été possible si le gouvernement s’en était mêlé.

Le sénateur Lewis : Je vous remercie de vos observations et de vos exposés. Dans l’ensemble, vous avez parlé des employeurs, des grandes sociétés, etc. Est-ce que les syndicats se rendent compte que cela ne touche pas seulement les employeurs? Je viens d’une province où, en cas de grève des chemins de fer, les agriculteurs ne sont évidemment pas payés, pas plus que les concessionnaires de matériel. Cela a un impact énorme sur l’ensemble de la région, voire du pays. Il y a bien plus en jeu que les profits du CN ou du CP. J’aimerais avoir votre avis à tous.

Mme Bruske : Tous les travailleurs savent que, quand ils prennent la difficile décision de participer à un piquet de grève ou quand ils sont victimes de lockout — ils ne choisissent, ils y sont contraints —, cela a des conséquences pour d’autres entités, pour les clients, pour les consommateurs et pour d’autres entreprises. On entend cela tout le temps. Personne ne veut être sur une ligne de piquetage. Ce que nous voulons, ce sont des négociations collectives libres et équitables pour pouvoir régler les problèmes. Et le seul moyen est de tenir le gouvernement à l’écart des négociations collectives afin que les parties soient contraintes d’en arriver à une entente négociée.

M. Boucher : J’aimerais ajouter quelque chose. La semaine dernière, les représentants du CPKC ont dit des syndicats qu’ils représentent, si je me souviens bien, entre 300 et 3 000 personnes, et qu’ils tiendraient 41 millions de Canadiens en otage. En réalité, au cours des dernières négociations, ce sont le CN et le CPKC qui ont déposé l’avis de lockout. Le CN nous a mis en lockout. Le CP a également imposé un lockout à ses employés. Nous avons également dû préparer un avis de grève. Mais c’était leur choix. Ils ne se souciaient pas des 41 millions de Canadiens et de l’économie quand ils nous ont forcé la main et imposé cette situation.

Nous prenons les choses au sérieux quand nous négocions. C’est très difficile de décider d’imposer une grève à l’échelle du pays, surtout quand il s’agit du transport ferroviaire national. Ce n’est pas une décision facile à prendre. Au cours des trois ou quatre dernières négociations avec ces entreprises, celles-ci nous ont demandé d’importantes concessions. Par exemple, la dernière fois, elles voulaient — toutes les deux — mettre à la poubelle une convention collective vieille de plus de 100 ans et tout recommencer à zéro, parce que cela ne fonctionne pas pour elles. Mais cela fonctionne pour nous. Elles ont décidé d’exercer des pressions sur le gouvernement en organisant un arrêt de travail simultané pour que le gouvernement intervienne, avec pour résultat l’article 107 et l’imposition d’un arbitrage exécutoire. Et pourtant elles n’ont pas obtenu ce qu’elles voulaient. Ce n’est pas la voie à suivre. Il faut que les gens négocient. La pression est là, et une entente sera conclue. L’histoire en donne la preuve.

Le sénateur Lewis : Parlant d’histoire, certains témoins de la semaine dernière nous ont parlé des années entre 1950 et aujourd’hui, 75 ans au cours desquels on a adopté des lois forçant le retour au travail plus d’une vingtaine de fois, notamment dans le transport ferroviaire et dans le transport maritime, et ces lois sont largement axées sur ce genre de grèves.

Vous n’arrêtez pas de parler de sécurité ferroviaire, etc. Qu’en pense Transports Canada? Pourquoi le gouvernement fédéral continuerait-il d’utiliser cette loi sur le retour au travail si la sécurité est menacée? Est-ce que vous pensez que la sécurité est menacée? Pouvez-vous nous donner un exemple où une loi de retour au travail a eu des répercussions sur la sécurité?

M. Boucher : Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question concernant les lois sur le retour au travail qui auraient une incidence sur la sécurité, en dehors de ce qui est négocié. Donc, quand nous parlons de sécurité pour nous, Transports Canada s’intéresse plutôt aux règlements sur les périodes de service et de repos, qui sont des normes minimales. Il s’agit des normes minimales de repos à la maison ou au terminal éloigné. Il y a dans notre convention collective des dispositions qui renforcent ces exigences minimales. Au cours des dernières négociations, les entreprises ont réclamé la suppression de ces dispositions dans notre convention collective et l’imposition d’un maximum de règlements gouvernementaux, et c’est ce qui, à notre avis, aura une incidence sur la sécurité de nos travailleurs et de la population.

Nous sommes les meilleurs juges de nos propres conditions de travail. L’exigence minimale du gouvernement est de 12 heures quand on rentre chez soi. Beaucoup de nos conventions collectives prévoient une période de repos de 24 heures ou plus pour que nous puissions retourner au travail reposés.

Le président : Merci.

Le sénateur Wilson : Ma question s’adresse à M. Doran. Merci d’être parmi nous virtuellement aujourd’hui. Je voulais vous poser une question sur quelque chose qui découle du rapport de Ready and Rogers, en particulier au sujet du risque que l’ILWU de la côte Ouest puisse négocier à l’échelle de l’entreprise plutôt qu’à l’échelle géographique. Je crois savoir que l’ILWU négocie délibérément à l’échelle géographique depuis de nombreuses années. Je voudrais savoir si ce risque est fondé.

M. Doran : Désolé, la fonction audio s’est arrêtée un instant. Quelle était votre question au sujet du risque? J’ai lu le rapport Ready and Rogers, mais...

Le sénateur Wilson : Je voudrais savoir si l’an prochain, dans environ un an, quand les ententes devront être renouvelées, l’ILWU de la côte Ouest envisage de négocier à l’échelle des entreprises — au cas par cas, entreprise par entreprise, terminal par terminal — ou à l’échelle géographique.

M. Doran : Je crois qu’il en est question dans le rapport de la Commission d’enquête sur les relations de travail adressé à la ministre du Travail. Nous sommes une organisation démocratique. Nos membres et notre caucus sont chargés d’élaborer une stratégie de négociation. Il n’y a pas de directive précise quant à savoir s’il convient de négocier entreprise par entreprise ou à l’échelle du secteur d’activité.

Je ne vois pas en quoi la négociation collective serait une menace, que ce soit à l’échelle du secteur ou à l’échelle des employeurs.

Certains enjeux sont évidemment propres à certains employeurs. Comme les sénateurs le savent peut-être, ILWU Canada a conclu une convention collective avec la British Columbia Maritime Employers Association, qui représente environ 40 employeurs. Nous avons une convention collective multi-employeurs, et certaines questions précises pourraient devoir être réglées entre le syndicat et tel ou tel employeur, parce que l’association ne serait peut-être pas en mesure d’en discuter et de les régler par manque de connaissances ou d’expertise.

J’ajoute que, tout au long de notre histoire, nous avons été en lockout autant de fois que nous avons fait grève. Tout récemment, en 2024, quand la section locale 514 de l’ILWU, qui a sa propre convention collective — ce n’est pas la convention collective des débardeurs, mais une convention distincte avec leurs employeurs —, a tenté de lancer une grève limitée chez un seul employeur, la B.C. Maritime Employers Association a réagi en imposant un lockout à l’échelle du secteur, qui a entraîné le lockout de tous les contremaîtres et des débardeurs et la fermeture des ports de la côte Ouest en réaction aux mesures limitées prises par la section locale 514 de l’ILWU.

Le sénateur Wilson : La réponse n’est pas vraiment claire, mais peut-être qu’on n’a pas encore décidé si vous négocierez terminal par terminal l’an prochain.

Le rapport Ready et Rogers contient également des recommandations concernant la possibilité pour les employeurs de présenter une demande d’accréditation géographique — si j’ai bien compris, c’est du ressort du syndicat et non des employeurs — au Conseil canadien des relations industrielles. On y recommande aussi la création ou l’instauration d’un processus spécial de médiation. J’aimerais savoir si l’ILWU a pris position concernant ces deux recommandations.

M. Doran : Oui, effectivement. Nous avons fait connaître notre position à la ministre fédérale de l’Emploi et à son personnel, ainsi qu’au secrétaire d’État au Travail M. Zerucelli.

Nous ne sommes pas en faveur de la création d’une accréditation géographique générale pour un certain nombre de raisons. Il y faudrait une loi. Et cela inscrirait les travailleurs dans une structure de négociation collective contre leur gré. On se demande comment les commissaires concilient cette idée avec les droits protégés par la Charte, comme la liberté d’association et le droit d’appartenir au syndicat de son choix. À notre avis, cette recommandation n’est pas étayée par les droits garantis par la Charte.

Certains enjeux se perpétuent d’une négociation à l’autre, et il est probable, à notre avis, qu’ils seraient enchâssés dans une accréditation géographique générale et que cela contraindrait les unités de négociation à conclure une entente contre leur gré et consoliderait le pouvoir d’un côté de la table, sans équilibre de l’autre côté.

Quant à un médiateur spécial...

Le président : Monsieur Doran, nous devons conclure.

M. Doran : Nous sommes d’accord avec la recommandation concernant le médiateur spécial. Nous l’avons également dit à la ministre. Merci.

Le président : Merci, monsieur.

La sénatrice Simons : J’aimerais commencer par Mme Bruske et reprendre là où la sénatrice Dasko avait laissé la conversation.

Ce qui m’a intriguée quand le gouvernement fédéral a invoqué l’article 107 à plusieurs reprises l’année dernière — c’est quand même extraordinaire cette multiplication —, c’est que la population a très peu réagi. Il n’y a eu aucun risque moral pour le gouvernement. La semaine dernière, en Alberta, d’où je viens, je m’attendais à beaucoup plus de résistance face à l’invocation par le gouvernement de la clause « nonobstant » et à l’imposition d’une convention collective que le syndicat avait rejetée. Le syndicat organisé a parlé pendant un instant d’une grève générale, et puis tout est tombé à l’eau.

D’après vous, le fait que la population reconnaisse comme une norme l’imposition de ces ordonnances de retour au travail par le gouvernement met-il le mouvement syndical en danger?

Mme Bruske : Merci de cette question. C’est très préoccupant. Si nous laissons un premier ministre passer outre à nos droits protégés par la Constitution en utilisant la disposition de dérogation contre les travailleurs, qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir?

En l’occurrence, l’Alberta Teachers’ Association a décidé qu’elle ne pourrait pas assumer le risque de payer 27 millions de dollars d’amendes par jour. J’imagine la perspective de devoir s’inquiéter du montant des amendes à payer, qui paralyseraient littéralement l’organisation, alors qu’elle n’a même pas pu verser une indemnité à ses enseignants en grève. Nous traversons une période critique. L’idée de priver les travailleurs de certains droits a des conséquences à long terme. Cela aura des conséquences sur les milieux de travail qui soutiennent les familles et la collectivité.

Pour répondre à la question du sénateur Wilson au sujet de la désignation d’un médiateur, je tiens à dire que, malgré d’éventuelles divergences d’opinions entre les syndicats à ce sujet, il existe déjà des processus de médiation dans le cadre du CCRI. Ce n’est pas le manque d’information qui empêche les parties à la négociation de conclure une entente, mais le recours abusif des employeurs à l’intervention des gouvernements pour faire le travail à leur place et leur dépendance à cet égard.

Je signale que, au moment de la dernière grève d’Air Canada, dans les 24 heures qui ont suivi le rejet de l’ordre de retour au travail par le syndicat, les parties ont conclu une entente de principe. Il est vrai qu’un processus d’arbitrage est nécessaire pour régler quelques-unes des questions en suspens, mais il n’a fallu que 24 heures à l’employeur, confronté au « non, nous ne retournons pas au travail », pour revenir négocier et prendre les choses au sérieux.

La sénatrice Simons : Monsieur Roberts, votre avis?

Chris Roberts, directeur national, Politiques sociales et économiques, Congrès du Travail du Canada : Je voudrais seulement ajouter que la grève des agents de bord du SCFP a été extrêmement populaire. D’après notre expérience, ils ont bénéficié d’un soutien massif dans la population.

La sénatrice Simons : Je ne crois pas que la grève ait été populaire. Je crois que beaucoup de Canadiens ont appris à ce moment-là les conditions de travail des agents de bord et leur structure salariale et que cela a été une révélation. Les sénateurs qui voyagent beaucoup savent ce qu’il en est, mais je crois que cela a été une révélation pour beaucoup de gens.

Dans le temps qu’il me reste, j’ai une petite question pour M. Boucher. La semaine dernière, des témoins sont venus exprimer la frustration des compagnies ferroviaires dont les représentants nous ont dit qu’ils pouvaient négocier avec tous leurs autres syndicats, mais que les Teamsters ne faisaient pas souvent front commun au sein de leur syndicat. Ce sont des négociations difficiles à cause des divergences d’opinions au sein même de leur organisation. M. Doran nous a expliqué qu’une grande unité de négociation est un problème. Pourriez‑vous nous parler un peu de la structure des Teamsters et nous dire s’il y a dans la structure de votre syndicat quelque chose qui complique le déroulement des négociations?

Le président : Vous avez une minute pour répondre.

M. Boucher : Cela pourrait prendre toute la journée.

Le président : C’est pourquoi je le précise.

M. Boucher : Pour faire court, le problème n’est pas notre structure, mais les entreprises elles-mêmes. Elles aiment bien blâmer les Teamsters de l’échec des négociations. En réalité, elles ont une attitude agressive à la table des négociations et demandent des concessions que nous ne pouvons accepter ni approuver. Peut-être que les autres syndicats avec lesquels elles traitent n’ont pas les mêmes problèmes, qu’elles ne demandent pas autant de concessions et qu’elles peuvent obtenir les ententes qu’elles souhaitent. Au final, si les entreprises étaient de bonne foi, il n’y aurait pas de problème à la table de négociation.

Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question à Mme Bruske. Cela dépasse peut-être la portée de ce dont nous parlons, mais je pense qu’il y a un lien.

[Français]

Pour assurer leur bien-être, les travailleurs que vous représentez ont non seulement besoin de négocier de bonnes conditions avec leurs employeurs, mais aussi d’un filet de sécurité sociale robuste qui les protège, que ce soit pour l’accès aux soins de santé publique ou pour l’assurance-emploi.

J’ai pris connaissance du mémoire que vous avez déposé au Comité permanent des finances de la Chambre des communes en juillet dernier au sujet du budget qui est présenté aujourd’hui. Dans les recommandations, vous parlez de 4 milliards de dollars pour l’assurance-médicaments et d’un nouveau fonds pour la main-d’œuvre dans le domaine de l’éducation. Vous parlez également d’une aide financière immédiate aux travailleurs et travailleuses et aux établissements d’enseignement postsecondaire, et vous recommandez d’investir directement dans les infrastructures essentielles, dont le transport et l’énergie, pour soutenir l’accroissement du commerce intérieur et la diversification des partenaires commerciaux.

Ma question est la suivante : si ces recommandations étaient prises en compte par le gouvernement et qu’elles se retrouvaient dans le budget, comment ces actions aideraient‑elles, soutiendraient-elles ou auraient-elles une influence positive sur votre capacité de négocier avec les employeurs? J’aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

Mme Bruske : Le budget déposé aujourd’hui est extrêmement important. Il y a des lacunes importantes dans notre filet de sécurité sociale, et je pense que notre mémoire les a circonscrites.

À l’heure actuelle, les travailleurs font face à une guerre commerciale. Je voyage tout le temps et partout au Canada et j’entends des travailleurs de toutes les collectivités s’inquiéter de l’avenir de leurs emplois. Il faut absolument veiller à ce qu’un solide filet de sécurité sociale permette d’offrir des soins de santé où et quand ils en ont besoin, de garantir un régime d’assurance-emploi remanié et une subvention salariale pour qu’ils puissent rester en contact avec leur employeur, d’offrir des possibilités de formation et d’éducation suffisantes pour les emplois de demain et de gérer les risques liés à l’intelligence artificielle. Tous ces enjeux doivent être pris en considération, car nos milieux de travail évoluent constamment.

Qu’il s’agisse des ports, des chemins de fer ou des compagnies aériennes, quel que soit le milieu de travail, ces milieux et les méthodes de travail sont en train d’évoluer. Cela entraîne souvent des frictions à la table de négociation dès qu’il est question d’automatisation, d’intelligence artificielle et de sécurité d’emploi. Il est absolument indispensable de circonscrire tous ces besoins supplémentaires de formation et d’éducation et de les financer suffisamment pour que les travailleurs puissent se réorienter vers la nouvelle économie et conserver facilement un emploi bien rémunéré pour subvenir aux besoins de leurs familles.

[Français]

Le sénateur Cormier : Monsieur Boucher, voulez-vous commenter?

[Traduction]

M. Boucher : Le monde change constamment. Les mentalités changent à l’échelle nationale et internationale. Compte tenu de l’évolution actuelle du monde, il y aura toujours des problèmes à la table de négociation. L’idée centrale ici est que les deux parties doivent négocier de bonne foi. Je constate que les entreprises s’éloignent de ce principe et essaient de s’appuyer sur le gouvernement pour forcer des ententes arbitrées, et, comme je l’ai déjà dit, cela ne fonctionne pas. Les problèmes sont toujours là. À défaut, on ne s’en sortira pas, ni d’un côté ni de l’autre.

Le pire est que les entreprises reconnaissent que ce n’est pas une question de rentabilité et d’argent. Toutes sortes de gens sont concernés, notamment les 41 millions de Canadiens qui sont touchés. Elles ont aussi la responsabilité de s’asseoir à la table et de respecter cela.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Français]

Le sénateur Quinn : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui.

[Traduction]

J’ai quelques questions, et n’importe quel témoin peut y répondre.

De nos jours, le Canada est attaqué par nos amis du Sud, avec les droits de douane et Dieu sait quoi. Cela compromet la possibilité d’avoir des relations commerciales constantes et fiables avec les États-Unis. Nous sommes probablement devenus un peu paresseux au fil du temps parce que nous avions 350 millions de clients à proximité.

Aujourd’hui, le gouvernement nous dit qu’il est temps d’envisager de diversifier nos routes commerciales et nos partenaires commerciaux. Pourtant, en cas de perturbations effectives, la fiabilité du Canada comme partenaire commercial est remise en question, et la question se pose du détournement du commerce. Des études, comme celle de la Commission d’enquête sur les relations de travail de mai 2025, dont vous êtes probablement au courant, ont révélé que les entreprises sont à risque. Lorsque la cargaison est partie, elle risque de ne pas revenir. Je me suis occupé de la gestion d’un port pendant quelques années, et je peux vous dire que l’une de nos principales préoccupations était de travailler fort pour attirer des transporteurs de marchandises afin que les travailleurs puissent accumuler le nombre d’heures nécessaires pour subvenir aux besoins de leurs familles, alors qu’une grève pourrait entraîner le détournement de ces marchandises et de ces marchés fluides.

Aujourd’hui, compte tenu de tous ces facteurs — le monde est différent en 2025 —, pourquoi ne pas examiner l’article 87.4 du Code canadien du travail et parler non seulement de santé et de sécurité, mais aussi de sécurité économique de la population? Pourquoi ne pas envisager d’élargir cette définition pour que le CCRI puisse examiner sérieusement non seulement les enjeux de santé et de sécurité, mais aussi de sécurité économique, un enjeu dont les répercussions sur la population sont multiples? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Bruske : Je tiens à souligner que, quand des travailleurs font la grève, c’est généralement parce qu’il y a un changement important dans leur milieu de travail. En général, ils ne font pas la grève parce que leur augmentation de salaire n’est pas assez élevée. Ils font la grève parce qu’on essaie de modifier leurs conditions de travail ou qu’on tente de réduire leurs salaires et leurs avantages sociaux. Si nous voulons avoir de bons milieux de travail avec des travailleurs qui sont prêts, aptes et disposés à faire le travail dont nous avons besoin pour maintenir notre économie en marche, nous devons les traiter équitablement à la table de négociation. Cela veut dire des négociations collectives libres et équitables.

Les travailleurs ne décident pas de faire la grève à la légère, pas plus qu’ils ne sont heureux d’être mis en lockout. Il y a aussi des conséquences économiques pour leurs familles. La meilleure façon de protéger notre activité économique est d’obliger les parties à négocier et à conclure une entente sans intervention.

Le sénateur Quinn : Merci.

Don Ashley, directeur législatif national, Conférence ferroviaire de Teamsters Canada : J’aimerais répondre à cette question.

Avant d’envisager le maintien des activités, il convient d’examiner le déséquilibre actuel. Le pays a choisi de confier les infrastructures essentielles à des sociétés privées. Quand on agit ainsi, on perd le contrôle.

Chaque fois qu’il y a une intervention, ce sont toujours les droits des travailleurs qui sont sacrifiés. On ne voit jamais de décision en vertu de l’article 107 imposant des dommages‑intérêts punitifs à une entreprise privée qui est également un partenaire dans n’importe quel type de différend ou d’absence de règlement. La solution par défaut consiste à priver les travailleurs de leur droit de régler un problème. On ne règle pas le problème. Il n’y a pas de résultat négatif pour une entreprise privée dans ce cas, et cela entraîne un déséquilibre complet.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie de cette explication. Ma deuxième question portait sur le recours à l’article 107, qui est invoqué beaucoup trop souvent et pas nécessairement pour les bonnes raisons. Le Parlement a le pouvoir d’obliger les gens à retourner au travail.

Cela dit, nous avons parlé de négociations de bonne foi. Des témoins — et j’ai moi-même travaillé dans le secteur privé — nous ont dit que ce sont les syndicats qui négocient de mauvaise foi. D’autres disent que non, ce sont les directions d’entreprise, les propriétaires, qui négocient de mauvaise foi. Comment savoir qui négocie de mauvaise foi?

Le Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement a fait une étude où l’on peut lire ceci :

Le ministre du Travail doit convoquer un conseil d’experts de toute urgence en vue d’élaborer un nouveau paradigme de relations de travail collaboratif qui permettrait de réduire le potentiel [de perturbations] [...]

La grève est due au fait que la direction dit : « Nous vous mettons en lockout; vous avez négocié de mauvaise foi » tandis que, de l’autre côté, on dit : « Vous avez négocié de mauvaise foi; par conséquent, nous allons faire la grève. »

Comment faire pour que les gens négocient de bonne foi et que quelqu’un surveille le processus et détermine qui, de la partie A ou de la partie B, ne négocie pas de bonne foi, pour proposer une solution, par exemple sous la forme d’un arbitrage obligatoire — au début plutôt que de causer un ralentissement économique?

Le président : Une réponse rapide à la question du sénateur Quinn, s’il vous plaît.

Le sénateur Quinn : Vous pouvez transmettre votre réponse par écrit.

Le président : Nous n’avons plus de temps.

Mme Bruske : Si l’arbitrage obligatoire est déterminé au début, qu’est-ce qui incite les parties à négocier? Et vous n’arriverez jamais au cœur des problèmes qui séparent les deux parties avec une approche d’arbitrage obligatoire.

Le sénateur Quinn : Si une partie négocie de mauvaise foi, il est préférable que ce soit déterminé au début du processus plutôt que de passer par un long processus pour en arriver au même résultat final.

Le président : Nous devons poursuivre nos travaux, monsieur le sénateur. S’il y a quoi que ce soit que les témoins peuvent nous envoyer par écrit après la réunion pour répondre ou fournir des renseignements supplémentaires, nous serions vraiment heureux qu’ils nous fournissent une réponse complète. Merci.

[Français]

Le sénateur Aucoin : En tant que sénateurs, on doit analyser la situation. Après avoir entendu les témoignages de la semaine dernière et d’aujourd’hui, il nous semble que le système est brisé. Vous avez dit que l’article 107 n’était pas acceptable. Toutefois, n’est-il pas qu’une continuité des 38 interventions qui se sont produites depuis 1950? Même s’il fallait aller à la Chambre des communes pour négocier un retour au travail, il s’agit encore d’une imposition par le gouvernement.

Ma question s’adresse à qui voudra bien y répondre. Je viens de comprendre que l’imposition d’un arbitrage n’est pas acceptable. J’ai peut-être tort, mais je crois que le système ne fonctionne pas. Qu’avez-vous à nous suggérer pour éviter d’utiliser l’article 107 ou de voir le gouvernement intervenir? Aux États-Unis, cela semble mieux fonctionner avec la Railway Labor Act. Peut-il y avoir un système d’arbitrage? Appelons-le arbitrage, intervention ou obligation. Avez-vous des suggestions qui permettraient de faire en sorte que le droit des travailleurs de faire la grève soit toujours respecté, mais qu’on ne se retrouverait pas tous les six mois avec une grève ou autre chose nuisant considérablement à l’économie du Canada?

[Traduction]

M. Roberts : Je vous remercie de la question. L’une des plaintes que les syndicats des chemins de fer et des ports maritimes ont formulées au fil des ans, c’est que les gouvernements ne semblent tenir compte avec sérieux de leurs préoccupations en matière de santé et de sécurité, de fatigue, de constantes compressions des coûts et du personnel — ils n’accordent leur attention qu’aux industries —, que dans les cas d’arrêts de travail où il y a beaucoup de pression politique, de mécontentement du public et de dommages économiques.

Le gouvernement aurait donc intérêt, en tant qu’organisme de réglementation, en particulier au ministère des Transports et au ministère de l’Emploi, à s’occuper d’une façon continue et plus active aux conditions de travail, aux modalités et aux conditions d’emploi qui sont souvent à l’origine du mécontentement et des perturbations.

Il ne suffit pas d’intervenir en cas de crise et d’imaginer ensuite que tous les problèmes disparaîtront. C’est en fait le contraire qui se produit. Les perturbations résultent de l’incapacité de composer avec les frustrations et les problèmes sous-jacents, qui s’accumulent sans cesse et causent des interruptions de travail. Ces causes sous-jacentes doivent être attaquées de front, et ce, sans attendre les impasses et les arrêts de travail.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Y a-t-il d’autres personnes qui aimeraient intervenir?

[Traduction]

Ken Stuebing, associé, CaleyWary, Conférence ferroviaire de Teamsters Canada : Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Comme M. Boucher l’a dit, la fatigue est un problème majeur pour les membres de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, la CFTC, et c’est un problème avec lequel ils doivent composer, outre que leurs droits sont restreints et bafoués, et ce, pendant qu’une convention collective est en vigueur. C’est donc pendant la période de libre négociation collective prévue par le Code, appuyée par la structure du Code, que les membres ont l’occasion d’exercer des pressions pour obtenir un changement réel et significatif et de véritablement défendre leurs droits.

Le système qui prévoit et appuie ce droit à la négociation collective n’est pas déréglé. Le Code fonctionne très bien. Le droit de grève, inscrit en vertu de la Constitution dans le Code, fonctionne remarquablement bien lorsqu’il est appliqué comme prévu, y compris en permettant aux travailleurs de faire la grève et d’exercer des pressions économiques sur l’employeur. C’est de cette façon, dans ce cas particulier, que le syndicat s’attaquera sérieusement au problème de la fatigue. De toute évidence, nous invitons le gouvernement, Transports Canada et d’autres à...

Le président : Monsieur Doran, c’est à vous.

M. Doran : J’aimerais dire que la Railway Labor Act des États-Unis n’interdit pas le droit de grève, et elle ne contient aucune disposition qui force l’arbitrage obligatoire par une tierce partie, comme certains continuent de le laisser entendre, ce qui mine le droit fondamental de grève protégé par la Constitution.

Le Canada a besoin des syndicats. Les 41 millions de Canadiens ont besoin des syndicats, et les syndicats améliorent les conditions relatives pour tous les travailleurs au Canada. Ce que nous avons constaté, c’est que les employeurs se sont engagés dans des négociations superficielles au fil des ans précisément parce que, comme vous l’avez dit, le système est déréglé. Si les employeurs peuvent compter sur le gouvernement pour leur fournir constamment une porte de sortie, qu’il s’agisse du recours à l’article 107 ou de l’utilisation continue d’une loi forçant le retour au travail qui prévoit un arbitrage exécutoire, comme on l’a dit, on ne s’attaque pas aux problèmes fondamentaux. On ne règle pas les problèmes de l’industrie. On ne fait que les laisser en suspens.

La sénatrice Hay : Merci à tous d’être ici et en ligne.

J’aimerais reprendre un fil conducteur que j’ai entendu tout au long du débat. Lors d’une autre réunion, on a laissé entendre qu’il serait utile de réviser le Code du travail en s’inspirant un peu de la Railway Labor Act des États-Unis. Ce que je me souviens de cette réunion, c’est qu’il y aurait des périodes de réflexion ou une période de 90 jours de ralentissement de la négociation collective, tout en préservant le droit d’un travailleur de faire la grève.

J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet, en particulier sur ce que vous avez dit au sujet de l’augmentation du stress et du mécontentement potentiel pendant la période des négociations. Qu’en pensez-vous? Je crois que c’est M. Lee qui a laissé entendre que cela pourrait être une option. Ensuite, toujours à ce sujet lors d’une autre réunion, on a laissé entendre que le Code canadien du travail ne fournit pas le bon cadre; quel serait donc ce cadre? C’est presque la même question, mais sous deux formes différentes.

M. Roberts : Rapidement, je peux dire, comme M. Doran l’a fait remarquer, que la Railway Labor Act aux États-Unis, si j’ai bien compris, n’interdit pas les grèves majeures, et elle autorise également le piquetage secondaire. Il y a déjà des périodes de réflexion prévues dans le Code canadien du travail sous la forme d’une période de réflexion dans le cadre de la conciliation...

La sénatrice Hay : S’agit-il d’une période de 15 jours? Parce que c’est plutôt 90 jours, si j’ai bien compris.

M. Roberts : Je ne suis pas sûr que ce soit aussi long, 21 jours — mes collègues me corrigeront si je me trompe —, mais il est possible de faire la grève en vertu de la Railway Labor Act. En vertu de la National Labor Relations Act, ou NLRA, aux États-Unis, je crois comprendre que les travailleurs peuvent faire la grève pendant la durée de la convention collective pour des questions de santé et de sécurité, ce qui n’est pas le cas ici.

Je ne suis donc pas sûr que le simple fait d’adopter une loi semblable à celle des États-Unis soit une solution ici non plus. Je ne suis pas sûr qu’elle ait été aussi efficace, pas autant du moins pour les employés des chemins de fer que pour les entreprises.

La sénatrice Hay : Pour que ce soit bien clair, je ne crois pas qu’il ait dit de simplement adopter une loi semblable, mais plutôt de réviser notre Code du travail actuel en s’inspirant un peu de la Railway Labor Act des États-Unis.

M. Boucher : Si vous me le permettez, à titre d’exemple, avec la période de réflexion de 90 jours dont vous parlez, comme nous l’avons dit, il y a une période de réflexion de 21 jours après 60 jours de médiation. C’est ce qu’on appelle la conciliation, mais c’est comme la médiation. Disons donc 90 jours de plus.

Prenons l’exemple du Canadien National, le CN, et du Canadien Pacifique Kansas City, le CPKC. Lors de la dernière ronde, le ministre a renvoyé la question du maintien des activités au Conseil. Il s’agissait en fait d’une période de réflexion de 90 jours essentiellement. C’était le 9 mai, puis la décision a été prise le 9 août. Il n’y a pas eu de négociation. Il ne se passe rien. Les gens attendent de voir ce qui se passera. C’est ce qui se produit pendant la période de réflexion, peu importe sa durée. À mon avis, il s’agit simplement d’une période d’attente avant le dénouement inévitable.

La sénatrice Hay : Que suggérez-vous, alors?

M. Boucher : Ce que je dis, c’est qu’il n’y a rien à changer dans le Code actuel. Les deux parties subissent des pressions économiques.

Le président : Merci beaucoup.

Nous sommes arrivés à la fin du temps prévu pour ce groupe. Je tiens à vous remercier tous d’être venus aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Comme je l’ai dit plus tôt, si les témoins doivent remettre des réponses écrites aux questions, veuillez les envoyer à la greffière d’ici la fin de la journée du mardi 25 novembre. Je vous encourage à le faire pour les deux ou trois questions que nous avons examinées en profondeur. Cela nous serait utile.

J’aimerais maintenant présenter notre prochain groupe de témoins. Du Bureau national de la chaîne d’approvisionnement, nous accueillons M. John Corey, président de l’Association canadienne de gestion du fret; de l’Association minière du Canada, M. Geoff Smith, vice-président, Relations gouvernementales, et en ligne avec nous, Mme Pam Schwann, présidente de la Saskatchewan Mining Association; et Michael Bourque, président et directeur général de Fertilisants Canada.

Merci à tous d’être ici aujourd’hui. Les témoins feront une déclaration préliminaire, et je demanderais à tous ceux qui prendront la parole de s’en tenir à ce maximum de cinq minutes afin que nous puissions passer aux questions des sénatrices et des sénateurs, car nous sommes tous contents de vous voir et nous aimerions avoir le plus de temps possible.

J’invite maintenant M. Corey à faire sa déclaration préliminaire.

John Corey, président, Association canadienne de gestion du fret : Bonjour. Je m’appelle John Corey et je suis président de l’Association canadienne de gestion du fret. Je n’ai pas obtenu d’emploi au Bureau national de la chaîne d’approvisionnement.

Je tiens à remercier le président et les membres du comité de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

L’Association canadienne de gestion du fret, ou AGF, est le porte-parole des expéditeurs. Elle représente tous les grands secteurs industriels, y compris l’agriculture et l’agroalimentaire, la transformation des aliments, les produits forestiers, l’exploitation minière, la chimie, la fabrication et la vente au détail. La santé de la chaîne d’approvisionnement canadienne intéresse beaucoup mes membres. Mes membres ne sont pas parties aux conventions, mais ils sont touchés par le processus et les résultats.

Comme vous le savez, la chaîne d’approvisionnement canadienne a connu de nombreux arrêts de travail depuis 2019. Les deux dernières années ont été particulièrement éprouvantes.

Maintenant, avec l’adoption du projet de loi C-5, un environnement de travail prévisible est plus important que jamais. Les interruptions de service ou les augmentations de prix font partie des activités commerciales, mais l’incertitude est pire. Les chefs d’entreprise ne peuvent pas planifier des solutions de rechange aux conflits de travail. Les derniers conflits de travail au Canada ont créé une incertitude inacceptable dans le processus de règlement des différends.

Le 1er juillet 2023, 7 000 débardeurs ont fait la grève dans tous les ports de la Colombie-Britannique. Ils n’ont pas travaillé pendant 13 jours, période au cours de laquelle toutes les importations et exportations passant par les ports de la Colombie-Britannique ont cessé. Cela a eu pour effet d’interrompre tout le service ferroviaire à destination et en provenance de la Colombie-Britannique. La chaîne d’approvisionnement canadienne s’est arrêtée pendant 13 jours. Il faut habituellement une semaine pour se remettre d’une journée de cessation des activités portuaires ou ferroviaires. La chaîne d’approvisionnement a mis des mois à se remettre de la fermeture des ports de la Colombie-Britannique. Le port de Montréal a aussi connu des conflits de travail.

Les conventions collectives du CN et du CPKC arrivaient à échéance le 31 décembre 2024. Les négociations entre le CN et les Teamsters ainsi qu’entre le CPKC et les Teamsters avaient échoué, et la première grève ou lock-out probable pouvait avoir lieu en mai 2024. Ce serait la première fois dans l’histoire du Canada que deux — les deux seuls — chemins de fer de catégorie I seraient en grève en même temps.

Comme nous l’avons vu, lorsque les ports ferment, les chemins de fer en font autant. Donc, avec la fermeture des chemins de fer, les ports des deux côtes emboîteraient le pas, paralysant ainsi la chaîne d’approvisionnement et l’économie canadiennes. Plus important encore, il serait impossible pour les produits chimiques essentiels à la purification de l’eau et le propane d’atteindre leur destination en cas de grève ferroviaire.

Le ministre du Travail a demandé au Conseil canadien des relations industrielles, le CCRI, d’examiner les répercussions d’une grève dans le secteur ferroviaire. Le 8 août 2024, le CCRI a rendu une décision qui reconnaissait les répercussions sur l’économie, sur le commerce et pour la réputation d’une grève dans le secteur ferroviaire, mais qui concluait que les services ferroviaires ne correspondaient pas aux critères prévus dans le Code du travail actuel pour être désignés comme étant essentiels pour prévenir un grave danger pour la santé et la sécurité publiques. Il a fallu trois mois pour rendre cette décision qui, curieusement, déterminait que la possibilité de ne pas avoir d’eau potable propre et salubre pour les Canadiens ne constituerait pas un grave danger pour la santé et la sécurité publiques. Une décision qui aurait dû prendre une semaine, à mon avis, a pris trois mois.

Même si l’examen du CCRI a retardé l’arrêt de travail tout au long de l’été, en réalité, il n’a fait que prolonger l’incertitude. L’incertitude rend la planification impossible. Les répercussions économiques doivent jouer un rôle, selon le Code du travail, lorsqu’il s’agit de déterminer si des services devraient être maintenus pendant une grève ou un lock-out.

Le 22 août 2024, les Teamsters ont été mis en lock-out par le CPKC. Dix-sept heures plus tard, le ministre du Travail a ordonné aux travailleurs de retourner au travail et il a imposé l’arbitrage exécutoire. Fait ironique, le CN avait demandé l’arbitrage exécutoire la semaine précédente, mais cette demande avait été rejetée par le ministre. L’arbitrage exécutoire imposé est maintenant terminé, et des règlements sont en place au CN et au CPKC. Les travailleurs ont reçu une augmentation de salaire de 3 % en vertu du règlement.

D’autres questions liées aux conditions de travail et à la sécurité n’ont pas été examinées, comme on l’a dit dans le groupe précédent. De plus, la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada cherche à faire en sorte que l’arbitrage exécutoire imposé par le ministre soit jugé illégal.

De toute évidence, le système ne fonctionne pas. Il y a déjà eu des situations où les grèves étaient interdites. Par exemple, il est généralement interdit aux services de police et d’incendie de faire la grève. Cette interdiction est ancrée dans le cadre juridique qui protège les services publics essentiels et maintient la sécurité publique. Le paragraphe 87.7(1) du Code canadien du travail exige déjà expressément que les services des navires céréaliers soient maintenus pendant les interruptions de travail.

Le Conseil canadien des relations industrielles a statué qu’en raison du rôle essentiel que joue Oceanex dans la livraison de fournitures essentielles à Terre-Neuve-et-Labrador, le service a été désigné comme étant essentiel. Par conséquent, les activités d’Oceanex se poursuivent sans interruption malgré l’arrêt de travail.

Que peut-on faire pour améliorer le processus, le cadre? Premièrement, reconnaître que la chaîne d’approvisionnement est essentielle à l’économie canadienne; deuxièmement, reconnaître que les négociations collectives sont le fondement de règlements équitables des conflits de travail dans un délai raisonnable et défini; troisièmement, maintenir l’article 107 du Code canadien du travail et donner au ministre le pouvoir discrétionnaire de reconnaître les exceptions au code; quatrièmement, traiter les services ferroviaires et portuaires comme des exceptions dans le code; cinquièmement, prévoir un délai clairement défini pour le règlement des différends, comme 90 jours, lorsque la négociation collective a échoué, parce qu’un délai permet de se focaliser sur l’enjeu; sixièmement, mettre en œuvre un processus qui pourrait comprendre, sans s’y limiter, la facilitation, la médiation, l’arbitrage exécutoire et un processus de révision comme les commissions d’urgence présidentielles aux États-Unis; septièmement, reconnaître qu’une loi de retour au travail est un échec du cadre de règlement des différends dans la chaîne d’approvisionnement; huitièmement, veiller à ce qu’Emploi et Développement social Canada, Transports Canada et toute autre instance pertinente participent à l’élaboration d’un cadre de règlement des différends dans la chaîne d’approvisionnement et s’intéresse aux enjeux en cours.

Pour que le Canada puisse avancer, diversifier ses échanges commerciaux et devenir un chef de file mondial, tous les Canadiens, transporteurs, expéditeurs et travailleurs doivent travailler ensemble afin de faire en sorte que la chaîne d’approvisionnement canadienne soit fiable et qu’elle puisse fonctionner 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par année dans l’intérêt mutuel de tous.

Je vous remercie de votre attention et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Corey. J’ai fait une erreur lorsque je vous ai présenté et je m’en excuse. Vous êtes bien le président de l’Association canadienne de gestion du fret.

Nous allons maintenant entendre Geoff Smith, vice-président, Relations gouvernementales, de l’Association minière du Canada et Pam Schwann, présidente de la Saskatchewan Mining Association. Je vous demanderais de bien vouloir vous partager le temps de parole à parts égales.

Geoff Smith, vice-président, Relations gouvernementales, Association minière du Canada : Il me faudra procéder avec beaucoup de délicatesse.

Merci, monsieur le président. Je tiens d’abord à souligner que nous sommes réunis aujourd’hui sur le territoire traditionnel et non cédé de la nation algonquine anishinabe, et je tiens à saluer les centaines de nations autochtones du Canada sur les terres traditionnelles desquelles notre industrie exerce ses activités et avec lesquelles nous avons établi des partenariats solides.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes heureux d’avoir l’occasion de vous parler des activités de l’industrie minière et de l’incidence des conflits de travail sur les secteurs ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale au Canada.

L’industrie minière est le plus important groupe de clients industriels des chemins de fer du Canada, représentant chaque année environ 50 % des revenus totaux générés par le transport ferroviaire de marchandises. C’est aussi le plus grand secteur d’expédition du transport maritime et ferroviaire en volume.

La force du Canada dans le secteur minier repose sur sa capacité de produire et de traiter des minéraux de façon concurrentielle et de transporter des produits efficacement et en toute sécurité à destination et en provenance des marchés nationaux et internationaux. C’est particulièrement vrai pour le Canada, deuxième plus grand pays du monde en superficie. Les arrêts de travail entraînent d’énormes coûts opérationnels supplémentaires pour les entreprises et réduisent la confiance dans le Canada en tant que destination d’investissement pour des entreprises comme les nôtres qui dépendent de la chaîne d’approvisionnement. Au cours des dernières années, comme M. Corey l’a indiqué, le Canada a été témoin d’un niveau sans précédent de perturbation dans sa chaîne d’approvisionnement. Par conséquent, la fiabilité et la réputation de la chaîne d’approvisionnement du Canada continuent de se détériorer.

Cela s’explique en partie par le fait que l’on constate de plus en plus que les interruptions de travail au Canada « traînent en longueur », ce qui cause des perturbations et des dommages considérables aux opérations avant que les gouvernements n’interviennent de façon significative. Au lieu de laisser les choses traîner en longueur, le gouvernement devrait faire tous les efforts et utiliser tous les outils à sa disposition pour régler les différends. Vous avez déjà entendu parler de certains des outils mis à la disposition du ministre et de ceux qui sont utilisés dans d’autres administrations, et nous vous encourageons à examiner les options sous un angle nouveau et créatif tout en veillant à ce que les droits des travailleurs ne soient pas violés.

Quelles sont les répercussions des perturbations sur l’exploitation minière? En bref, lorsque les marchandises et les produits miniers cessent de circuler en raison d’une interruption du service ferroviaire et de l’accès aux ports, les activités minières s’arrêtent. Les répercussions vont au-delà des mises à pied dans les mines pour les Canadiens et les économies locales, y compris les entreprises locales et leurs employés qui approvisionnent et desservent les exploitations minières.

Le transport ferroviaire est également essentiel à la transformation secondaire dans le secteur minier. Les arrêts de travail dans le secteur ferroviaire ont une incidence importante sur la capacité qu’ont les entreprises de faire venir des intrants essentiels dans leurs mines. Un grand volume de produits, comme le minerai, les concentrés, les réactifs et les carburants, sont expédiés par chemin de fer et font l’objet d’embargos préventifs imposés par les transporteurs ferroviaires sur toutes les matières dangereuses, même lorsque des perturbations du réseau ne sont que prévues, pour empêcher que ces matières soient bloquées, y compris sur les rails.

Le Canada peut et doit faire mieux pour créer une chaîne d’approvisionnement logistique stable et prévisible qui rétablit la confiance, surtout à mesure que s’intensifie la course aux minéraux critiques. Il s’agit notamment de relever les défis miniers et ferroviaires de longue date qui découlent de l’emplacement éloigné et nordique de la plupart des mines canadiennes et du fait que la majorité des sociétés minières canadiennes sont des « expéditeurs captifs » en ce sens qu’elles ne peuvent accéder au service qu’avec l’une des deux compagnies de chemin de fer de catégorie 1 au Canada.

Par conséquent, le système de transport ferroviaire des marchandises du Canada fonctionne principalement comme un double monopole pour nous. Comme on peut s’y attendre, ce manque de concurrence signifie qu’un pouvoir sur le marché ferroviaire s’exerce au moyen de décisions internes et opérationnelles qui font en sorte que les expéditeurs du secteur ferroviaire paient des tarifs excessifs et des suppléments carburant injustes et reçoivent un service inadéquat.

En fait, c’est ce comité sénatorial qui, en 2018, nous a rapprochés d’un changement significatif en appuyant les amendements sur les expéditeurs captifs proposés dans le projet de loi C-49 du gouvernement, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada, que le ministre des Transports a en fin de compte rejetés. Nous aimerions donc que vous nous veniez de nouveau en aide. Si le temps nous le permet, nous pourrons y revenir, mais je cède maintenant la parole à Pam Schwann, pour les deux dernières minutes.

Le président : Nous vous souhaitons la bienvenue au comité.

Pam Schwann, présidente, Saskatchewan Mining Association, Association minière du Canada : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de présenter le point de vue de la Saskatchewan Mining Association, ou SMA. Nos membres sont des sociétés d’exploration et d’exploitation minière qui exercent leurs activités dans la province.

Les économies du Canada et de la Saskatchewan sont fortement tributaires du commerce, un emploi sur trois dans la province étant directement lié aux exportations. La province étant enclavée, ses activités minières dépendent presque exclusivement des services ferroviaires et portuaires pour livrer de façon fiable et prévisible nos produits, comme la potasse, aux États-Unis et sur les marchés internationaux, ainsi que pour recevoir des intrants essentiels.

La potasse est l’un des principaux produits en volume et en valeur qui est acheminé au moyen des services ferroviaires de catégorie 1 et des ports. Le Canada exporte 95 % de sa potasse aux États-Unis et dans plus de 40 autres pays. La potasse est essentielle pour assurer la sécurité alimentaire mondiale, puisque 50 % de la production alimentaire mondiale est tributaire de l’épandage d’engrais.

Les interruptions de travail répétées dans les installations ferroviaires et portuaires au cours des 6 dernières années ont entraîné la perte de plus de 1,3 million de tonnes de potasse et de plus de 600 millions de dollars en ventes pour les producteurs de potasse de la Saskatchewan. Il s’agit également d’une perte de revenus pour le gouvernement, puisque les redevances et les taxes sur la potasse sont liées à la valeur et au volume de production.

Les sociétés minières essaient de contrôler le plus possible la chaîne d’approvisionnement des exportations afin de limiter les risques en fournissant leurs propres wagons et en ajoutant des installations de stockage supplémentaires sur place. Certaines d’entre elles sont si vastes qu’on peut les voir de l’espace.

Les interruptions de travail dans les installations de tierces parties constituent un risque qu’elles ne peuvent pas atténuer et qui, au bout du compte, a une incidence sur les activités minières et leurs travailleurs en Saskatchewan. Les conséquences des interruptions de travail sont réelles, y compris la perte de part du marché, comme on l’a vu en 2023, lorsque la Russie et le Bélarus ont remplacé la Saskatchewan comme principal fournisseur de potasse vers les marchés de l’Asie du Sud-Est parce que nous ne pouvions pas exporter notre produit.

Le gouvernement doit prendre de façon proactive toutes les mesures nécessaires pour éviter les interruptions de travail et utiliser tous les outils à sa disposition. L’économie canadienne en dépend maintenant plus que jamais. Il s’agirait notamment de traiter la potasse de la même façon que les céréales et de lui accorder une protection en vertu de l’article 87.7 du Code canadien du travail afin que, indépendamment des conflits de travail, la potasse puisse continuer à circuler, pour des raisons humanitaires, parce qu’elle est essentielle à la sécurité alimentaire mondiale. S’il le faut, nous appuyons l’exercice par le gouvernement fédéral des pouvoirs que lui confère l’article 107 du Code canadien du travail.

Je vous remercie de votre attention. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Excellent travail. Merci beaucoup, madame Schwann. Nous passons maintenant à Michael Bourque.

Michael Bourque, président et directeur général, Fertilisants Canada : Merci, monsieur le président et membres du comité. Merci, madame Schwann. Vous allez m’entendre répéter certains de ses propos. Elle fait un excellent travail en Saskatchewan, et nous lui en savons gré.

Les interruptions de travail dans nos chaînes d’approvisionnement en transport ont des conséquences économiques et mondiales profondes, mais elles reçoivent rarement l’attention qu’elles méritent une fois qu’elles sont terminées. L’industrie des engrais vous est reconnaissante d’examiner cette question en profondeur.

Je m’appelle Michael Bourque, et je suis président et directeur général de Fertilisants Canada. Notre association représente les producteurs, les fabricants, les importateurs, les grossistes et les distributeurs au détail d’engrais azotés, phosphatés, potassiques et soufrés. Ensemble, nos membres contribuent pour plus de 42 milliards de dollars par année à l’économie canadienne et soutiennent plus de 118 000 emplois canadiens.

Bien que je sois relativement nouveau dans l’industrie des engrais, je ne le suis pas dans le domaine des transports. Un message que m’ont répété nos membres — les producteurs comme les distributeurs —, c’est que les interruptions de travail récurrentes dans les chemins de fer et les ports du Canada représentent l’un des risques les plus existentiels auxquels leurs entreprises et notre industrie sont confrontées.

Permettez-moi d’expliquer brièvement comment fonctionne le secteur des engrais. Le Canada produit près de 40 % de la potasse mondiale, dont 95 % est exportée à des agriculteurs dans plus de 75 pays. On pourrait dire que nous sommes le Moyen‑Orient de la potasse. Nous avons les plus grandes réserves au monde. Nous sommes également un important producteur d’engrais azotés, principalement dans l’Ouest canadien. Or, bien qu’il soit un important producteur d’engrais, le Canada n’est pas autosuffisant. À l’heure actuelle, nous ne produisons pas de phosphate au pays et nous importons donc tous nos engrais phosphatés, principalement des États-Unis. Nous importons également une partie importante de nos engrais azotés.

Ces produits ne sont pas interchangeables. Ils constituent le fondement de l’agriculture moderne et ils font la différence entre le succès ou l’échec d’une récolte. Autrement dit, nos chaînes d’approvisionnement en engrais dépendent autant des importations que des exportations qui transitent efficacement par les ports et les réseaux ferroviaires de notre pays.

Les engrais ne sont pas des produits qui peuvent attendre. Ils doivent être appliqués pendant des périodes saisonnières très circonscrites — de trois à cinq semaines au printemps et à l’automne — et le moment de leur application détermine le succès ou l’échec des cultures. Lorsque les trains s’arrêtent ou que les ports ferment, les engrais ne se rendent pas aux agriculteurs, les rendements sont gravement touchés et l’approvisionnement alimentaire mondial est menacé.

Depuis 2018, notre industrie a subi neuf graves perturbations ferroviaires et portuaires qui ont entraîné des pertes économiques de plus d’un milliard de dollars. La grève de 2023 au port de Vancouver a coûté à elle seule près de 127 millions de dollars et a délocalisé en permanence des parts de marché à nos concurrents de la Russie et du Bélarus, qui ont rapidement rempli les contrats du Canada en Indonésie et en Malaisie. Les dommages se font encore sentir aujourd’hui.

Ce n’est pas seulement une question économique; c’est une question géopolitique. La potasse de la Russie et du Bélarus finance directement ces régimes et, dans le cas de la Russie, soutient l’effort de guerre en Ukraine. Nos alliés veulent acheter la potasse canadienne justement parce qu’elle est produite de façon responsable. Si le Canada ne peut pas être un fournisseur fiable, ces alliés seront obligés de se tourner vers des pays antagonistes.

En outre, ces perturbations frappent durement les agriculteurs canadiens. L’Est du Canada importe jusqu’à 85 % de ses engrais, dont une grande partie transite par le port de Montréal et la voie maritime du Saint-Laurent. Si l’engrais n’arrive pas avant que la Voie maritime du Saint-Laurent gèle, les agriculteurs risquent de ne pas avoir le produit dont ils ont besoin au début du printemps.

Même s’il n’y a pas de grève, cette menace à elle seule peut s’avérer dévastatrice. Il arrive qu’on impose des embargos ferroviaires jusqu’à 10 jours à l’avance, ce qui oblige les producteurs d’engrais à réduire leurs activités, et le produit reste coincé dans le système. Ces embargos produisent un effet d’entraînement qui se répercute sur toute la chaîne d’approvisionnement.

Fertilisants Canada tient à souligner qu’il ne demande pas de supprimer le droit de grève ou de lock-out. Ce droit est fondamental. Cependant, il n’est pas absolu, et quand l’intérêt national et la sécurité alimentaire sont en jeu, il nous faut un mécanisme pour protéger les Canadiens.

Selon nous, le gouvernement fédéral devrait avoir le pouvoir précis et ciblé d’imposer un arbitrage exécutoire quand des conflits de travail dans des secteurs clés du transport, comme les chemins de fer et les ports, menacent de causer un préjudice économique important ou de perturber des biens essentiels, comme les engrais. Cette approche permettrait au Cabinet d’agir rapidement et de façon prévisible, en particulier quand le Parlement ne siège pas. En fait, ce pouvoir encouragerait les deux parties à conclure une entente avant que les perturbations ne surviennent.

Nous avons vu, dans d’autres pays, ce pouvoir contribuer à régler des différends plus rapidement et éviter des grèves. Il avantage tout le monde — les travailleurs, l’industrie et l’économie en général.

Enfin, je tiens à souligner que, même si cette année, le réseau portuaire et ferroviaire a été relativement paisible, de sombres nuages se profilent à l’horizon. Au cours de ces six prochains mois, quatre conventions collectives importantes touchant les activités ferroviaires et portuaires arriveront à échéance. Même une perturbation pendant la prochaine saison de plantation aurait des répercussions profondes sur nos agriculteurs, notre économie et nos partenaires du monde entier.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

[Français]

Je serais également prêt à répondre à vos questions en français. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Bourque.

[Traduction]

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Si les témoins doivent nous envoyer des renseignements écrits pour compléter leurs réponses aux questions des sénateurs, je les prie de le faire dans les plus brefs délais.

Nous allons maintenant passer la parole à notre vice‑présidente, la sénatrice Dasko.

La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins. J’ai une question assez brève pour M. Corey et aussi pour M. Smith et Mme Schwann.

Pourriez-vous préciser les changements que vous souhaitez apporter à l’article 87 du Code canadien du travail? Vous semblez demander un élargissement des critères de maintien des services, si j’ai bien compris. Pourriez-vous préciser ce que vous demandez au sujet de l’article 87? Merci.

M. Corey : À mon avis, pour le moment, l’article 87 s’applique aux céréales, et je pense que Mme Schwann nous dira qu’il devrait aussi s’appliquer à la potasse.

Je ne pense pas que nous devrions utiliser ces outils en fonction des produits. À mon avis, le ministre devrait avoir plus de discrétion pour décider du moment et du lieu où utiliser ces outils. Il nous faudrait un échéancier qui réprime le drame. Quand nous faisons face à ces situations, tout le monde est sur les nerfs. Nous devrions prendre un peu de recul et considérer la situation comme une activité normale. Les négociations collectives ont lieu partout, dans toutes les entreprises. Nous devrions établir un processus qui calme les esprits afin que la raison l’emporte.

M. Smith : Merci, madame la sénatrice. Nous n’avons pas de recommandation à présenter sur cet article en particulier. Il serait pour nous un dernier recours. Nous avons bien d’autres problèmes plus urgents à aborder.

Je vais demander à Mme Schwann, qui vient de la Saskatchewan, de nous dire ce que son association minière pense du problème de la potasse. Elle a peut-être un point de vue différent sur cette question.

Mme Schwann : Je vous remercie beaucoup pour votre question, madame la sénatrice.

Nous serions heureux de vous faire parvenir le libellé que nous recommandons. Essentiellement, M. Corey a raison, nous aimerions que la potasse soit exemptée pour des motifs humanitaires. Ce minéral est essentiel à la sécurité alimentaire mondiale. Pour des raisons humanitaires, nous aimerions qu’il soit exempté de l’article 87.7. Je me ferais un plaisir de vous faire parvenir ce libellé.

La sénatrice Dasko : Très bien. Merci.

Le sénateur Wilson : Ma question s’adresse à M. Bourque, mais je pense que d’autres témoins pourront y répondre aussi.

Je sais que certains de vos membres, en envisageant d’effectuer d’importants investissements en immobilisations pour de nouveaux terminaux, ne considèrent pas seulement le Canada, mais aussi les États-Unis. Certains d’entre eux ont investi aux États-Unis. Je sais qu’à l’heure actuelle, l’un d’entre eux pondère la viabilité d’un nouveau terminal soit au Canada, soit aux États-Unis. Je me souviens, au port de Vancouver, des efforts que nous avons déployés pour inciter la société BHP à prendre de l’expansion à Vancouver.

Dans quelle mesure pensez-vous que le milieu de la main‑d’œuvre du Canada pousse ces investissements vers le Sud, vers les États-Unis?

M. Bourque : Je dirais que 97 % de ces fuites sont dues aux perturbations de travail qui minent le système. Il y a aussi des problèmes d’infrastructures, mais les entreprises qui prennent de l’expansion s’inquiètent surtout des perturbations de travail. Je tiens à signaler que trois entreprises prennent de l’ampleur en Saskatchewan. La société BHP, qui entrera en service en 2027. La société Nutrien, qui a annoncé publiquement qu’elle allait prendre de l’expansion et qu’elle examine maintenant ses chaînes d’approvisionnement. La société K+S a annoncé il y a environ un mois qu’elle doublait sa production. Ces trois sociétés affirment qu’elles se préoccupent avant tout des risques qui menacent la chaîne d’approvisionnement, et que le premier de ces risques est lié à la main-d’œuvre.

Le sénateur Wilson : Merci. Je vais laisser aux autres sénateurs le temps de poser des questions.

Le sénateur Lewis : Je vous remercie tous pour vos exposés. Pour ce qui est de l’article 87 et de son lien avec les céréales, j’ai travaillé avec des producteurs céréaliers pendant de nombreuses années, et leur expérience n’est pas vraiment différente pendant les perturbations de travail. Vous nous direz que, pendant un arrêt de travail ferroviaire, en vertu de l’article 87, on peut charger des bateaux. Cependant, le type de céréales demandées ne tarde pas à manquer dans le terminal. Cela illustre que, dans toute la chaîne d’approvisionnement, il est important de livrer les denrées à temps. Dans les ports, si un terminal est à court d’une certaine catégorie de céréales et que l’on n’en attend pas de sitôt, le bateau ne peut pas partir, et les producteurs doivent payer pour fusionner. Je tiens donc à souligner aux sénateurs que l’article 87 s’est avéré utile aux producteurs céréaliers dans certains cas, mais que, dans la plupart des cas, il ne les aide pas du tout.

Quant à notre réputation de client fiable, l’année 2013 a sans aucun doute marqué un véritable tournant pour l’ensemble de nos clients céréaliers dans le secteur céréalier — ils en parlent encore. Depuis 2013, nous en ressentons les dommages à long terme. Comme vous l’avez dit, nous avons fait face à divers arrêts de travail récemment, et la situation ne semble pas s’améliorer. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, monsieur Corey. Merci.

M. Corey : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Même si l’article 87 s’est avéré efficace quand la main-d’œuvre était très réduite, comme pendant la grève au port de Montréal, les chemins de fer fonctionnaient toujours, alors ils livraient la marchandise, on a pu l’expédier. Cependant, cet article ne produit pas une solution magique. Il y a de meilleures solutions. Les gens peuvent se parler et conclure une entente. À mon avis, il ne serait pas nécessairement efficace d’imposer tout de suite un arbitrage exécutoire. Cela mettrait tout le monde sur la défensive, et un tiers prendrait la décision. Il faut que les gens continuent à discuter et à négocier pendant le processus. Comme je l’ai dit, un délai de 90 jours permettra aux gens de se concentrer. Si les gens craignent que, s’ils n’en arrivent pas à une entente, une tierce partie leur impose une solution, ils s’efforceront de conclure une entente.

M. Smith : Permettez-moi de revenir sur une chose dont M. Bourque a parlé. Il est tout à l’honneur du comité de discuter de cela alors que nous ne faisons pas face à une crise majeure ou à des piquets de grève. Les mesures de l’article 87 ont été conçues pour des circonstances extrêmes. Elles constituent peut‑être, en un sens, une vache sacrée. Ce sont des mesures très délicates et extrêmes, si l’on peut dire.

Je pense que ce qu’il faut faire... Transports Canada a ouvert un Bureau national de la chaîne d’approvisionnement. Nous en discutons, et l’organisme de M. Corey publie souvent une fiche annuelle d’une page — parfois plus d’une page — sur toutes les ententes collectives qui arrivent à échéance. Il y a eu une certaine consolidation de ces dates, mais tout le monde sait que ces ententes arrivent à échéance. Nous avons le Bureau national de la chaîne d’approvisionnement de Transports Canada, qui se tient à l’affût pour avertir les gens des répercussions que l’échéance de certaines ententes pourront avoir sur des secteurs particuliers, comme le nôtre. Ce que vous faites est important, mais nous devrions aussi cerner les activités intermédiaires, comme la sensibilisation. Que peut faire le gouvernement? Quelles conversations devrions-nous tenir pour que les utilisateurs finals et d’autres personnes soient au courant de ce qu’il risque de se produire? Nous pourrons alors commencer à aborder certaines de ces questions d’une façon plus modérée.

Là où ils se trouvent, les législateurs — les sénateurs, les parlementaires —, disposent d’outils pour travailler sur la Loi sur les transports au Canada afin d’uniformiser les règles du jeu. Notre secteur est particulièrement dépendant des transporteurs de catégorie 1. À mon avis, il serait possible d’uniformiser les règles du jeu tout en ne portant pas atteinte aux droits des travailleurs. Cela relève tout à fait de votre compétence et de votre rôle de législateurs.

Je vous félicite et je vous encourage à continuer d’examiner les moyens dont disposent les législateurs comme vous pour réduire l’impact des répercussions que causeront ces ententes en venant à échéance. Cependant, je pense qu’il est également possible d’accroître la sensibilisation à ces répercussions en temps opportun. Je propose que le Bureau national de la chaîne d’approvisionnement joue un rôle à cet égard.

Mme Schwann : Je tiens à souligner que l’article 87.7 n’est peut-être pas une panacée, mais qu’il est un outil parmi plusieurs autres que l’on peut utiliser, parce que l’économie canadienne en dépend.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : En tant qu’Albertaine, ancienne vice‑présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et ancienne membre du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, je comprends vos préoccupations, et je comprends qu’en ce point de l’histoire économique et politique du Canada, ces préoccupations sont plus urgentes que jamais.

Cependant, M. Corey a dit une chose qui m’a vraiment frappée. Il a dit qu’il nous faut moins de drames, moins d’excitation. Il demeure que les grèves existent et sont efficaces grâce au récit dramatique dont elles font l’objet, à la théâtralité qui les enveloppe, et à tout le pouvoir qu’ont les syndicats de faire la vie dure à vos membres. C’est leur levier.

Donc, si nous convenons tous qu’en cette période d’urgence nationale pour le Canada il n’a jamais été aussi important de jouir d’une solide réputation à l’exportation pour parvenir à ouvrir de nouveaux marchés en Asie-Pacifique et en Europe, qu’est-ce que vos organisations pourraient faire pour appliquer un effet de levier sur les entreprises en sorte de les inciter à offrir des conditions de travail favorables à la paix sociale?

M. Corey : Je peux répondre à cette question. Je comprends que les travailleurs recherchent un levier, qu’ils veulent pouvoir exercer un effet de levier sur l’entreprise, car, comme vous le disiez, c’est le drame qui fait bouger les choses.

La sénatrice Simons : L’essentiel est de vous tenir en otage.

M. Corey : Effectivement. C’est un point que j’aimerais aborder également. La plupart des expéditeurs... 80 % des expéditeurs au Canada sont captifs d’une seule compagnie de chemin de fer.

La sénatrice Simons : C’est cela.

M. Corey : Nous n’avons aucun pouvoir sur les chemins de fer. En fait, si nous disposions d’un effet de levier, nous obtiendrions un meilleur service et de meilleurs tarifs, mais nous n’avons ni l’un ni l’autre. Nous sommes démunis.

Je propose de limiter les circonstances dans lesquelles le gouvernement pourrait ordonner un retour au travail, comme dans les exemples que j’ai donnés, soit une fermeture de tous les ports de la Colombie-Britannique qui provoquerait la paralysie du pays. Dans ce genre de situation, le gouvernement pourrait intervenir et imposer un règlement dans les 90 jours, avec comparution devant un conseil qui se pencherait sur la question et inviterait les parties à décider. Sans accord, il imposerait un arbitrage exécutoire, le tout dans un délai de 90 jours, sans grève.

L’autre situation surviendrait si les deux compagnies de chemin de fer subissaient une grève. Si une seule était en grève, ce pouvoir ne serait pas nécessaire parce qu’il y aurait d’autres solutions. Cela s’est d’ailleurs produit à de très nombreuses reprises. Le camionnage pourrait combler une partie du vide, tout comme l’autre compagnie ferroviaire. Ce n’est que si la chaîne d’approvisionnement était complètement coupée et à l’arrêt que le gouvernement devrait intervenir et utiliser son pouvoir pour ordonner un retour au travail dans un délai de 90 jours à la suite d’une entente, sans compter que le travail se poursuivra pendant cette période.

La sénatrice Simons : Quelqu’un d’autre veut-il répondre?

M. Bourque : Je commencerai par prendre acte de ce qu’a dit le sénateur Quinn tout à l’heure, soit que nous sommes sous attaque. Il faut comprendre et intégrer cette idée que nous sommes en plein changement de paradigme. Le Canada est sous attaque. Tout à l’heure, j’ai entendu mon collègue de l’Association des produits forestiers du Canada dire que nous avions déjà perdu 2 000 emplois dans le secteur forestier. Si vous parliez au secteur de l’automobile ou à celui de l’acier, ils vous diraient qu’ils ont des alarmes semblables.

Nous vivons à une époque très différente. Nous devons mettre de l’ordre dans nos affaires. C’est la seule chose que nous pouvons faire. Le premier ministre a dit que nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons contrôler. Tout ce que nous pouvons vraiment faire, c’est mettre de l’ordre dans nos propres affaires.

Il me paraît inacceptable d’avoir vécu neuf interruptions de travail au cours des sept dernières années. Je pense que nous devons collaborer parce que nous ne réclamons pas de priver les travailleurs de leurs droits, mais nous avons besoin de meilleurs mécanismes. J’ai entendu des représentants du secteur syndical exprimer leur mécontentement à l’égard de l’application de l’article 107. L’article 107 n’a peut-être pas été conçu aux fins pour lesquelles il a été utilisé, mais nous devons imaginer quelque chose qui servira à cette fin parce que nos cousins du Sud ont à peu près le même système. Ils ont le même réseau ferroviaire, qui est dominé par des acteurs canadiens, qui sont de toute évidence de très bons exploitants ferroviaires, mais ils ne subissent pas autant de grèves que nous. Pourquoi? Parce qu’ils disposent d’un mécanisme approprié pour s’assurer que les gens négocient de bonne foi et trouvent une solution avant d’en arriver à la rupture. Ils ont un gros bâton qu’ils peuvent utiliser pour forcer tout le monde à s’asseoir à la table, au besoin. Ici, de toute évidence, nous n’avons pas ce genre d’outil, sinon il n’y aurait pas autant d’interruptions de travail. Encore une fois, je suis très heureux que le Comité se penche sur ces questions, mais je crois que nous devons tous être sur le qui-vive parce que nous sommes attaqués.

Le sénateur Quinn : Je remercie nos deux témoins de leurs derniers commentaires, et j’insisterai à nouveau sur le fait que la négociation collective est un élément essentiel du processus. Toutefois, nos témoins nous ont dit que, dans le cadre du processus collectif, une grève est une option qui permet aux travailleurs d’exercer des pressions économiques sur la direction, sur le propriétaire de l’entreprise. À l’évidence, ce que nous avons entendu ce matin le confirme. Il ne s’agit pas seulement d’exercer des pressions sur la direction ou le propriétaire, mais aussi sur l’ensemble de l’économie et sur les utilisateurs ou exportateurs des produits.

Pour en revenir au Bureau national de la chaîne d’approvisionnement, je préconisais — et j’aimerais savoir ce que vous en pensez — qu’une structure — peut-être le Bureau lui-même — surveille les négociations afin qu’on puisse déterminer si elles sont sérieuses ou non. J’ai eu le plaisir ou le déplaisir de participer à des négociations et il m’était apparu évident qu’aucune des deux parties n’était sérieuse.

Comment pouvons-nous envisager de laisser le processus suivre son cours au vu de nos échanges commerciaux à l’échelle mondiale et du fait qu’avec les tarifs, d’autres pays peuvent devenir des fournisseurs pour les pays que nous approvisionnons actuellement? La potasse en est un exemple. Ne devrait-on pas tenir compte de ce nouveau paradigme? Ne devrait-il pas y avoir une nouvelle approche permettant à quelqu’un de dire si c’est sérieux ou non dans le cadre du processus de négociation?

M. Smith : Je ne le pense pas. Qui porterait ce jugement outre que la détermination du caractère sérieux d’une chose est subjective?

Mais je pense qu’il faut améliorer la fonction. Avec le budget de cet après-midi, peut-être que certains bureaux, comme le Bureau national de la chaîne d’approvisionnement, devront se réinventer pour justifier leur existence. Il pourrait y avoir un rôle à jouer. Je ne sais pas s’il est légal, aux termes du Code canadien du travail et des règles sur les négociations, qu’une personne neutre fasse office d’observateur.

Nous parlons d’approches créatives. Vous savez, si vous songez à ce que dit la Banque mondiale de l’augmentation de la demande de minéraux critiques dans le monde, qui pourrait être exponentielle, notre secteur — le secteur minier — est déjà bien positionné à l’international pour contribuer à la diversification des échanges commerciaux du Canada. Cela étant, que pouvons‑nous faire, en particulier, comme l’a mentionné la sénatrice Simons, pour attirer des travailleurs? Nous avons besoin d’un nombre exponentiel de travailleurs dans notre secteur. Nous faisons tout ce que nous pouvons. Nous sommes dans une situation difficile à cause de l’éloignement des sites, des mises en place par avion. Nous avons les salaires les plus élevés au pays dans l’industrie minière. Nous savons tous que les salaires ne suffisent pas à attirer les jeunes. Nous travaillons beaucoup par l’entremise du Conseil des ressources humaines de l’industrie minière...

Le président : Un mot rapide. Aimeriez-vous que d’autres témoins vous aident?

M. Smith : Bien sûr, je vais m’arrêter ici, mais nous avons Unifor et les Métallurgistes unis autour de la table du Conseil des ressources humaines de l’industrie minière pour parler de la façon dont nous pouvons attirer des travailleurs et créer des conditions favorables. En fait, nous avons une campagne intitulée Mining Needs You, mais nous n’atteindrons aucune des prévisions et ne parviendrons pas à diversifier les échanges commerciaux du Canada...

Le président : Merci, monsieur Smith.

M. Bourque : La question de savoir si les parties sont sérieuses ou pas est excellente. J’ai entendu dire qu’il était question, avec ce pouvoir du Cabinet d’imposer l’arbitrage, de proposer des garde-fous. Le principal garde-fou consiste à déterminer si les acteurs négocient de bonne foi. Dans le cas contraire, si les parties ou l’une d’elles ne négocient pas de bonne foi, aucune ne devrait pouvoir invoquer le droit à un arbitrage forcé. Je pense qu’il doit y avoir des garde-fous. C’est probablement une très bonne question.

Le président : Monsieur Corey, pourrez-vous répondre rapidement à une question du sénateur?

M. Corey : Posez-moi votre prochaine question, je suis prêt.

Le sénateur Quinn : Puisqu’il me reste du temps de parole, j’aimerais que nous traitions du bien-être économique dont il est question au paragraphe 87.4. D’après certains témoignages que j’ai entendus ici, la potasse, par exemple, est vendue dans le monde entier. Cela, nous le savons. Toutefois, je m’inquiète de ce qu’il pourrait advenir de notre réputation de partenaire commercial fiable à cause de toutes ces grèves. En même temps, la guerre tarifaire n’est pas toujours appliquée également aux fournisseurs. Nous augmentons notre offre de potasse grâce aux projets dont vous avez parlé. Risquons-nous de perdre une partie de notre part du marché au profit d’autres pays qui ne sont peut-être pas soumis aux mêmes droits de douane, voire à aucun?

M. Bourque : Nous avons perdu des parts sur les marchés indonésiens et malaisiens, ces pays considérant que la Russie est plus fiable que le Canada. Nous exportons. Nous avons une excellente entreprise, Canpotex, qui exporte de la potasse. C’est de la potasse canadienne destinée à l’exportation. C’est dans le nom. Canpotex exporte dans de nombreux pays. L’accès aux marchés n’est pas le problème. Il s’agit d’être en mesure de livrer la marchandise de façon fiable et d’utiliser notre chaîne d’approvisionnement sans interruption, évidemment, à un coût concurrentiel. Il est là le problème. Ce sont des choses que nous pouvons contrôler et sur lesquelles nous devrions nous concentrer.

Le président : Je vais accorder une dernière petite réponse à la question du sénateur Quinn, car nous allons devoir passer au prochain sénateur. Allez-y.

Mme Schwann : Je dirais simplement que la Saskatchewan fournit 33 % de la potasse mondiale, et c’est au niveau de l’acheminement des produits vers les ports par chemin de fer, puis vers les marchés étrangers, que réside notre principal risque. Nous exportons vers plus de 40 pays. C’est le principal risque. Au cours des 15 dernières années, nous avons investi 45 milliards de dollars dans l’exploitation de la potasse. Cet investissement ne sera pas rentabilisé si nous ne pouvons pas acheminer la potasse de nos mines jusqu’à nos clients mondiaux.

Le président : Merci, madame Schwann.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Je vais changer de sujet. Vous avez entendu le premier groupe de témoins. Ces témoins ont parlé de fatigue, de conditions de travail et de sécurité.

Ma question s’adresse surtout à M. Corey. Vous avez donné plusieurs pistes de solution possibles. À part l’élément du salaire, qui ne semble jamais se régler pleinement et qui fait souvent partie de négociations ou de disputes patronales-syndicales, serait-il préférable que les éléments de négociation qui n’ont pas pu être résolus doivent obligatoirement l’être durant la période où la convention collective est en vigueur à la suite de l’implantation d’un nouveau système? En d’autres mots, si on n’a pas résolu tous les problèmes, y aurait-il une façon d’imposer que cela se fasse avant les prochaines négociations? Avez-vous des commentaires à faire là-dessus?

[Traduction]

M. Corey : Je vous remercie de la question. Je pense que cette situation s’est déjà produite. C’est exactement ce qui s’est passé récemment avec le CN et CPKC, quand l’arbitrage exécutoire leur a été imposé. Ces compagnies ont réglé la partie salariale, mais certaines conditions de travail et d’autres aspects ne l’ont toujours pas été. C’est pourquoi je pense que cet instrument radical n’est pas le bon.

Il a été suggéré qu’un ou plusieurs ministères fédéraux continuent d’examiner ces questions non pas pendant les négociations, mais avant que le conflit ne s’installe dans un port. Cette façon de faire contribuerait à désamorcer les crises. Ce serait un processus continu dans le cadre duquel les gens discuteraient des problèmes pour essayer de les résoudre. Pour ce qui est du délai de négociation, si les 90 jours ne suffisent pas, alors peut-être que les gens pourraient continuer de travailler et que les deux parties pourraient s’engager à poursuivre le dialogue.

Comme vous l’avez dit, le problème est que nous sommes actuellement dans une situation où nous devons agir de toute urgence, car nous nous trouvons dans une position très délicate. Néanmoins, je ne pense pas que nous devrions légiférer ou envisager des cadres qui s’appliqueraient uniquement à cette situation. Nous avons besoin de cadres qui fonctionneront à l’avenir. C’est pourquoi nous devons réfléchir à cette situation avec calme et logique afin que ce système puisse fonctionner aujourd’hui, demain, dans 10 ans, et pas seulement en tant que solution provisoire à court terme.

Cela dit, nous sommes dans une situation très délicate en raison des arrêts de travail et de la chaîne d’approvisionnement qui, à toutes fins utiles, est l’épine dorsale de l’économie canadienne. Chaque fois qu’elle s’arrête, nous avons un grave problème dans tout le pays pour tout le monde.

Le président : Avez-vous d’autres commentaires, monsieur Smith ou monsieur Bourque?

M. Bourque : La question de la fatigue n’est pas nouvelle. Transports Canada a réalisé de nombreuses études, et les chemins de fer ont adopté nombre de mesures pour lutter contre la fatigue. C’est une question très complexe.

Cela influerait certainement sur les revendications syndicales, mais encore une fois, il faut choisir ses priorités. J’estime que nous pourrions avoir ce genre de discussions et tout de même maintenir les gens au travail et faire tourner l’économie, parce que les répercussions ne se limitent pas aux entreprises.

Ce n’est pas une question de profits. Les expéditeurs doivent pouvoir compter sur les ports, les sociétés de chemins de fer et le monde syndical, parce qu’à une époque où nous sommes sous attaque, nous devrions nous comporter comme des Canadiens et travailler ensemble. Tous ces problèmes peuvent être résolus, mais il est clair que le système actuel ne fonctionne pas.

Le président : Monsieur Smith, vous avez une minute.

M. Smith : Je dirais brièvement qu’en période de crise ou de diversification nécessaire de notre économie et de nos échanges commerciaux, quand il faut penser différemment, il est des moments où nous devons songer à choisir des gagnants. Avec les minéraux critiques, notre secteur s’est sans doute vu imposer un nouveau cadre qui a été identifié comme une opportunité. Cela ne veut pas dire que nous bénéficions d’un traitement favorable. Cela veut dire qu’il y a des possibilités dans notre secteur.

La catégorie des « expéditeurs » est large. Si nous voulons en arriver au point où ce secteur tiendra ses promesses, nous devons commencer à être à l’écoute des besoins particuliers de certains, surtout des expéditeurs captifs. D’aucuns sont d’avis qu’il faut maintenir un équilibre avec les chemins de fer dans une proportion de près de 50-50, mais il n’y a jamais eu d’équilibre entre les expéditeurs captifs et les deux compagnies ferroviaires de catégorie 1. C’est une relation de monopole qui nous a désavantagés en raison des surtaxes sur le carburant, des tarifs et de toutes sortes d’autres moyens.

À une époque comme celle que nous traversons, nous nous devons également d’examiner de près certains des secteurs prioritaires pour nous demander de quoi ils ont besoin. Quels leviers spécifiques s’imposent dans cette situation d’urgence, dans cette crise? Réglons une partie de ces problèmes entre deux conflits de travail en vue de rééquilibrer certains des secteurs prioritaires. Ce faisant, nous pourrions nous retrouver là où il le faut d’un point de vue économique.

Le sénateur Mohamed : Je vous remercie tous pour vos commentaires.

Monsieur Corey et monsieur Bourque, j’apprécie beaucoup ce que vous avez dit au sujet des États-Unis, mais je pense qu’une partie du problème tient au fait qu’au Canada, nous avons une culture très différente. Je dirais que suivre ce que font les États‑Unis à certains égards ne fonctionne pas nécessairement ici.

Pour parler des pressions immédiates dont nous faisons l’objet pour ouvrir différentes voies de diversification commerciale et pour être également un partenaire fiable, pensez-vous qu’il existe un autre pays, à part les États-Unis, qui fasse bien les choses, qui parvienne à concilier le droit de grève avec les pouvoirs discrétionnaires d’un ministre et les principes de viabilité économique? Existe-t-il un autre pays dont on pourrait dire qu’il a compris, qui applique un modèle dont nous pourrions nous inspirer ou que nous pourrions emprunter ou voler?

M. Corey : Malheureusement, ce sont les États-Unis qui sont le plus près de nous. D’autres pays ont des systèmes politiques radicalement différents, beaucoup plus autoritaires. Le Canada est un immense pays, contrairement à bien d’autres. On nous compare souvent avec l’Europe à propos du train à grande vitesse, mais ce sont des pommes et des oranges.

C’est la même chose dans notre secteur. Le réseau ferroviaire est à l’échelle de l’Amérique du Nord. Il est complètement intégré, comme l’a dit M. Bourque. Le CN et le CP représentent essentiellement 40 % de l’ensemble des transporteurs américains, sur le plan de la propriété comme du volume.

Personnellement, je ne négligerais pas ce qui se passe aux États-Unis. J’hésite à admettre qu’ils font peut-être quelque chose de très bien. Cependant, je parle avec d’autres et je pose des questions à des gens extérieurs à notre secteur — j’ai déjà été médiateur dans le domaine des différends industriels dans le secteur ferroviaire, pendant cinq ans environ —, et je peux dire que la grande question est de savoir s’il vaut mieux, pour la prise de décisions, recourir à quelqu’un qui connaît l’industrie ou à quelqu’un qui n’y connaît rien. Parfois, je me dis qu’il est préférable de ne rien savoir du sujet, car cela permet d’aller au fond des choses, d’aller à ce qui est vraiment important.

Je ne connais pas d’autres pays comparables au Canada.

M. Bourque : Je prétends qu’il faut agir dans l’intérêt du Canada. Qu’on vole une idée aux États-Unis ou ailleurs n’a pas vraiment d’importance, pourvu qu’elle serve nos fins.

Par exemple, nous pourrions examiner les différentes façons de travailler ensemble dans l’intérêt commun. L’autre jour, l’Association des chemins de fer a parlé de coalition, et nous attendons notamment du budget d’aujourd’hui, une sorte de régime d’amortissement accéléré qui nous permettrait d’attirer des capitaux privés.

Nous souhaitons par ailleurs que le gouvernement du Canada investisse massivement dans l’infrastructure de notre chaîne d’approvisionnement et de nos réseaux de transport qui favorisent le commerce, notamment dans les ports et les chemins de fer, afin de désengorger quelque peu les routes. S’il devait être fermé, le pont Second Narrows, en Colombie‑Britannique, causerait des dommages majeurs à la chaîne d’approvisionnement. Nous devons commencer à planifier en fonction de ce genre d’aléas.

Les idées de dépenses dans les infrastructures qui iraient dans le sens des intérêts du Canada abondent. Je prêche pour que nous travaillions en collaboration dans l’intérêt du Canada.

La sénatrice Hay : Je suis tout à fait d’accord pour dire que nous sommes sous attaque. Il y a urgence, ce qui m’enrage et me met très mal à l’aise.

Le président : Je vous remercie de ce commentaire. C’était éclairant.

La sénatrice Hay : J’ai une question sur l’équilibre, et elle pourrait vous mettre mal à l’aise à votre tour. Personnellement, il y a deux ou trois choses auxquelles je n’arrive pas à croire. Il existe le droit fondamental à la grève et le droit fondamental à la négociation collective pour parvenir à une convention collective juste et librement négociée, le qualificatif « collective » étant le mot clé, je suppose.

Je ne veux pas partir de cette réunion avec l’impression que, si les syndicats venaient à la table, si les travailleurs... on considérerait que c’est un peu de leur faute. Les grèves n’ont rien de théâtral, elles sont le résultat d’un échec du processus de négociation collective. Les deux parties doivent collaborer. J’aimerais entendre vos commentaires à ce propos. Il y a deux revers à la médaille. Les deux parties doivent se présenter à la table et pas seulement pour faire du théâtre. Pour la partie syndicale, la menace de grève est évidemment un levier, mais je ne suis pas très à l’aise avec cela. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Corey : Les expéditeurs que nous sommes ne sont pas des amis des chemins de fer. Nous sommes traités comme des expéditeurs captifs. Comme je l’ai dit, nous n’avons aucun contrôle ni sur les services ni sur les tarifs. Cependant, nous reconnaissons que les chemins de fer relient le pays d’un océan à l’autre et qu’ils sont essentiels à notre chaîne d’approvisionnement. Nous voulons donc qu’ils continuent de fonctionner.

Ces compagnies sont-elles les meilleurs employeurs? Je ne sais pas. Je ne vais pas entrer dans les détails des conventions collectives, mais il faut que les deux parties parlent de ces choses-là. Il faut que les deux parties soient prêtes à donner. Dans le cadre d’une médiation, on demande plus au début pour se contenter de moins à la fin. Il faut quitter la table en n’étant pas ravi, mais satisfait. C’est cela qu’il faut viser.

La rupture de la chaîne d’approvisionnement doit être exceptionnelle. Si le pays est paralysé, le gouvernement se doit d’intervenir et faire des choix difficiles consistant à désigner un gagnant et un perdant.

La sénatrice Hay : Je ne ferai pas de commentaire à ce sujet, mais j’ai entendu dire ici que ce n’est pas une question de profit. Or, je pense que le profit entre en ligne de compte. Autour de la table, on trouve des sociétés cotées en bourse qui pèsent plusieurs milliards de dollars.

M. Corey : Absolument.

M. Bourque : Nous ne demandons pas de supprimer le droit de grève ou celui de déclencher un lock-out. S’ils sont fondamentaux, ces droits ne sont pas absolus. Nous sommes dans une situation très grave, tandis que l’intérêt national et la sécurité alimentaire sont en jeu ici et partout dans le monde. Il faut pouvoir compter sur un meilleur mécanisme afin de protéger les Canadiens, car il est un fait que notre système ne fonctionne pas actuellement. Je suggère que nous travaillions en collaboration avec toutes les parties.

Je ne suis pas ici pour défendre les compagnies ferroviaires ou les syndicats ni pour prétendre être un expert en matière de relations industrielles, mais je crois que notre industrie peut collaborer avec d’autres acteurs dans l’intérêt de tous les Canadiens. Nous avons déjà accès au marché. Nous sommes déjà le joueur dominant dans le domaine des engrais. Nous devons simplement mettre de l’ordre dans nos affaires.

M. Smith : Je ne veux pas qualifier l’action syndicale de geste dramatique, mais je pense qu’il faut s’attaquer à ces questions avant que la situation ne devienne plus dramatique.

Encore une fois, je vous félicite pour le travail que vous faites. Nous avons beaucoup de suggestions à formuler, du moins en ce qui concerne les sociétés minières que nous représentons, pour améliorer la situation avant que nous ne soyons confrontés à ces perturbations. Vous faites du bon travail, et je vous encourage à continuer. Nous avons beaucoup d’autres suggestions, et peut‑être que nous vous les ferons parvenir d’ici mardi prochain qui, je crois, est la date butoir. Nous serons heureux de pouvoir le faire.

Madame Schwann, auriez-vous quelque chose à ajouter du point de vue de la Saskatchewan.

Mme Schwann : Je pense que vous avez tout couvert. Il y a peut-être des vaches sacrées dont il va falloir s’occuper pour que le Canada demeure concurrentiel à l’échelle mondiale, notamment en ce qui concerne l’automatisation de nos ports, afin que nous puissions faire concurrence aux autres ports de la Chine. D’après notre expérience, l’automatisation a amélioré la sécurité. Nos mines de potasse sont très automatisées. Cela a été fait pour améliorer la sécurité des travailleurs et la productivité, et je pense que nos ports doivent considérer le même cadre.

Le président : Je remercie nos témoins dont les réponses étaient complètes. Si vous songez à des renseignements supplémentaires que nous devrions avoir, veuillez nous les envoyer par écrit d’ici le mardi 25 novembre 2025.

Avant de lever la séance, je souhaite rappeler aux sénateurs que notre prochaine réunion aura lieu demain, le mercredi 5 novembre, à 18 h 45.

Avant de conclure pour de bon, je tiens à remercier toute l’équipe de soutien qui se trouve à l’avant de la salle, ainsi que ceux qui travaillent en coulisses et qui ne sont pas visibles. Merci à tous pour votre travail, qui contribue énormément au succès de notre travail de sénateurs. Merci encore aux témoins.

(La séance est levée.)

Haut de page