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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 5 novembre 2025

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 49 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le maintien des services de transport en cas de perturbations du travail.

Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Je m’appelle Larry Smith. Je suis un sénateur du Québec et le président du comité.

[Français]

J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

Le sénateur Wilson : Duncan Wilson, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Mohamed : Farah Mohamed, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Arnold : Dawn Arnold, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Lewis : Todd Lewis, de la Saskatchewan

[Français]

Le sénateur Surette : Allister W. Surette, de la Nouvelle-Écosse, en remplacement du sénateur Cormier.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec. Je vais remplacer de façon permanente la sénatrice Katherine Hay au comité.

Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le président : Je souhaite la bienvenue à tout le monde ici présent aujourd’hui ainsi qu’à ceux et celles qui nous suivent en ligne sur le site Web du Sénat, sencanada.ca.

Sénatrice Miville-Dechêne, je suis heureux de vous revoir à ce comité. Je crois comprendre que vous y avez fait du bon travail il y a quelques années.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’était il y a environ six ans.

Le président : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur le maintien des services de transport en cas d’interruption de travail.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins.

Nous accueillons Jasmin Guénette, vice-président, Affaires nationales, et Christina Santini, directrice, Affaires nationales, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.

Nous entendrons également Matthew Foss, vice-président, Recherche et politiques publiques, du Conseil canadien pour le commerce autochtone. M. Foss est en ligne avec nous. Bonjour, Matthew. J’espère que vous allez bien. Je vous remercie de vous joindre à nous.

Et enfin, nous accueillons Rachel Mackenzie, directrice, Communications et relations gouvernementales, de la Western Canadian Short Line Railway Association.

Merci à tous d’être ici aujourd’hui. Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes. Je vous demanderais de ne pas dépasser cette limite, car je ne veux pas vous presser. Après les exposés de chacun de nos témoins, nous aurons une période de questions et réponses avec les sénateurs.

J’invite maintenant M. Guénette à faire sa déclaration préliminaire.

[Français]

Jasmin Guénette, vice-président, Affaires nationales, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Bonsoir. Nous tenons à remercier sincèrement le comité pour cette aimable invitation. Ma collègue et moi allons nous partager le temps de parole et répondre à vos questions.

Je vais faire mes commentaires en français et ma collègue fera les siens en anglais.

La FCEI représente 100 000 propriétaires de PME dans tous les secteurs de l’économie et dans toutes les régions du pays.

Les PME canadiennes sont très préoccupées par l’impact négatif des conflits de travail dans les secteurs sous réglementation fédérale pour leurs entreprises, leurs employés et l’économie en général.

Les PME subissent les dommages collatéraux des arrêts de travail, et souvent les grèves lancées par les syndicats visent délibérément à faire mal aux entreprises. Mettre en danger des PME est, pour les grandes centrales syndicales, un outil, une manière de faire avancer leur cause, quitte à faire du mal aux petites entreprises et à leurs travailleurs.

Les arrêts de travail entraînent des conséquences néfastes pour l’économie qui sont disproportionnées par rapport au bénéfice qu’un syndicat peut éventuellement en tirer. En cas de grève dans les infrastructures fédérales de transport, de trop nombreuses PME perdent des ventes et de l’inventaire de produits frais, paient des pénalités contractuelles et/ou réduisent la production et les heures de travail.

C’est pourquoi votre étude sur le maintien des services de transport en cas de perturbations du travail est si importante. Aucun conflit de travail ne devrait provoquer une paralysie de l’économie.

Je cède maintenant la parole à ma collègue Christina Santini.

[Traduction]

Christina Santini, directrice, Affaires nationales, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Je vous remercie, monsieur Guénette.

La grande majorité des petites et moyennes entreprises, soit près de 92 %, s’entendent sur le fait que les entreprises sous réglementation fédérale qui jouent un rôle dans la chaîne d’approvisionnement doivent être définies comme des fournisseurs de services essentiels.

Les récents arrêts de travail dans les ports et les chemins de fer du Canada ont eu des répercussions concrètes et immédiates sur leurs activités commerciales, mais le préjudice économique ne fait pas partie des facteurs pris en compte dans le Code canadien du travail, sous sa forme actuelle. Il devrait en faire partie.

À titre d’exemple, l’arrêt de travail de 2022 dans les ports de la côte Ouest a gravement perturbé les activités d’un producteur et distributeur d’aliments pour le bétail de Colombie‑Britannique, qui desservait plus de 141 fermes et 4 magasins de détail sur l’île de Vancouver. À cause de cet arrêt de travail, cette entreprise a dû payer des transporteurs et n’a pu faire venir qu’un huitième de ses cargaisons régulières de ses fournisseurs de l’Alberta et des États-Unis, par traversier. L’entreprise a vu ses coûts augmenter et ses revenus mensuels chuter de 80 à 85 %.

Ce n’est là qu’un exemple illustrant les répercussions que les arrêts de travail peuvent avoir sur les petites entreprises. Les conséquences économiques désastreuses d’un long arrêt de travail sont parfois disproportionnées par rapport aux avantages qu’un syndicat peut en tirer.

Voilà pourquoi il est impératif d’effectuer une analyse détaillée des coûts afin de déterminer quel sera l’impact d’un arrêt de travail sur l’économie, les PME et la population du Canada avant même d’autoriser cet arrêt de travail. Si les dommages estimés sont très graves, il faudrait alors s’abstenir d’autoriser une grève générale ou un lock-out.

Nos membres n’ont pas les moyens de composer avec les coûts et l’imprévisibilité que leur imposent les arrêts de travail dans les ports et les chemins de fer du Canada.

Nous vous remercions de l’attention que vous portez à ce dossier très important et nous demeurons à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le président : Monsieur Guénette, madame Santini, je vous remercie.

Nous entendrons maintenant M. Foss. Vous disposez de cinq minutes, monsieur.

Matthew Foss, vice-président, Recherche et politiques publiques, Conseil canadien pour l’entreprise autochtone : Taanishi. Matthew Foss, dishinihkaashoon.

Bonjour. Je m’appelle Matthew Foss. Je suis membre de la Nation métisse d’Otipemisiwak. Je m’adresse à vous aujourd’hui de mon bureau à domicile sur les terres des peuples signataires du traité no 6 et des Métis. En ma qualité de vice-président de la recherche et des politiques publiques du Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, ou CCEI, je tiens à vous remercier, monsieur le président et distingués membres du comité, de me donner l’occasion de témoigner devant vous et de contribuer à cette importante étude.

Depuis 1984, le CCEI ne cesse de favoriser la pleine participation des peuples autochtones à l’économie canadienne. Nous sommes une organisation nationale, apolitique et sans but lucratif voué à la promotion de cette pleine participation des peuples autochtones à l’économie canadienne.

La mission du CCEI est de promouvoir, de renforcer et de développer une économie autochtone prospère grâce à des relations d’affaires. Garantir aux entreprises autochtones un accès ininterrompu aux marchés et aux intrants s’inscrit pleinement dans cette mission. Si les politiques en matière de transport ignorent les vulnérabilités des populations autochtones, les entrepreneurs et les travailleurs autochtones des régions éloignées seront laissés pour compte.

Dans nos récents rapports intitulés Adàwe et Atamitowin, que nous avons élaborés en partenariat avec Affaires mondiales Canada, nous constatons que les entreprises autochtones ont 40 % moins de chances d’être exportatrices que l’ensemble des entreprises canadiennes. Le manque d’accès à des infrastructures fiables est l’une des principales causes de cet écart.

Les conflits de travail dans les secteurs ferroviaires et maritimes sous réglementation fédérale du Canada font peser de gros risques sur les services essentiels et les chaînes d’approvisionnement et ont des répercussions disproportionnées sur les communautés et les entreprises autochtones. De nombreux territoires autochtones, notamment dans les régions éloignées ou nordiques, sont tributaires de ces modes de transport pour la nourriture, le carburant, les biens, l’accès aux marchés et aux entreprises tributaires des ressources. Des perturbations comme les récents lock-out ferroviaires bloquent rapidement la chaîne logistique, exacerbent les vulnérabilités et menacent les gains économiques.

Dans une grande ville, une entreprise peut facilement se tourner vers d’autres options, par exemple choisir d’autres modes de transport, d’autres sources d’approvisionnement ou d’autres itinéraires. Dans une communauté éloignée ou nordique, les entreprises autochtones n’ont souvent aucune solution de rechange. La plupart sont dépendantes d’une seule ligne ferroviaire ou d’un seul port. Pour ces entreprises, une interruption ne signifie pas un simple retard, mais un arrêt complet de leurs activités, ce qui met en péril leur existence même.

De nombreuses entreprises autochtones, en particulier les entreprises émergentes, fonctionnent avec des flux de trésorerie plus restreints et des réserves de capital limitées. Elles ne peuvent pas se permettre de rester plusieurs semaines sans aucun revenu.

De plus, bon nombre d’entre elles évoluent dans des secteurs de produits périssables, comme les pêches et l’agriculture. Ces grèves les contraignent à perdre la totalité de leur production, une perte catastrophique qu’une entreprise de biens non périssables ne subirait pas. Cette vulnérabilité est un élément essentiel à prendre en compte en matière d’équité.

Dans le cadre de son programme Restructurer l’approvisionnement, le CCEI s’efforce depuis des années d’intégrer les entreprises autochtones aux chaînes d’approvisionnement des entreprises canadiennes. La fermeture des chemins de fer et des ports menace précisément ces chaînes. Quand une importante mine, une usine de fabrication ou un projet d’exploitation des ressources réduit ses activités faute de pouvoir acheminer ses produits à partir d’un port, les fournisseurs autochtones — traiteurs, fournisseurs de services et entreprises engagées dans une relation interentreprises — sont les premiers à voir leurs contrats suspendus ou annulés.

Le transport ferroviaire et maritime est essentiel pour les entreprises et les collectivités autochtones, car il soutient les chaînes d’approvisionnement, l’extraction des ressources et l’accès aux biens essentiels dans les régions éloignées. Le CCEI a abordé cette question dans une publication de 2022 intitulée, en anglais, The Transportation Issue, qui met en lumière l’importance historique du transport dans les réseaux commerciaux autochtones et son rôle moderne dans la résilience et le développement des entreprises.

Le transport ferroviaire et maritime est essentiel au développement des économies autochtones, dont les origines remontent aux innovations commerciales précoloniales comme les canots jusqu’aux partenariats modernes favorisant la croissance. Les chemins de fer relient les communautés grâce au transport de passagers et de marchandises. Ces réseaux acheminent des biens essentiels comme des denrées alimentaires, du carburant, des matériaux de construction et des ressources naturelles, ce qui permet aux entrepreneurs autochtones œuvrant dans les secteurs de l’exploitation minière, de la foresterie, de l’agriculture, de la pêche et de la vente au détail d’accéder aux marchés et de pérenniser leurs activités.

Le CCEA est d’avis que les lois sur les services essentiels doivent concilier la protection des travailleurs et les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, tout en évitant les mesures imposées d’en haut qui portent atteinte aux droits des travailleurs autochtones. Afin de prévenir tout conflit futur et de faciliter un dialogue continu, le CCEA recommande la tenue de consultations tripartites — gouvernement, syndicats et représentants autochtones — sur les accords en matière de transport ferroviaire et maritime. Bon nombre de ces accords mettent l’accent sur les droits des travailleurs ou la productivité économique, mais le CCEA avance l’argument de la réconciliation, de l’équité et de la logistique particulière des communautés éloignées. Nous exhortons donc le comité à recommander que toute loi ou tout cadre visant le « maintien des activités » intègre une perspective économique autochtone.

Marsee, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Foss.

J’invite maintenant Mme Mackenzie à prononcer sa déclaration préliminaire.

Rachel Mackenzie, directrice, Communications et relations gouvernementales, Western Canadian Short Line Railway Association : Bonsoir, honorables sénateurs et merci de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Rachel Mackenzie et je représente la Western Canadian Short Line Railway Association, une association regroupant plus de 20 chemins de fer d’intérêt local du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de Colombie-Britannique.

Votre comité a le mandat d’examiner :

... les répercussions des conflits de travail sur les utilisateurs des réseaux ferroviaires et maritimes sous réglementation fédérale... et sur les chaînes d’approvisionnement du Canada...

Ce soir, j’aimerais mettre en contexte les répercussions des interruptions de travail sur les chemins de fer d’intérêt local et sur les expéditeurs desservis par ces chemins de fer.

Les chemins de fer d’intérêt local sont d’anciens embranchements du Canadien national et du Canadien Pacifique qui ont été vendus ou loués à de nouveaux exploitants et qui sont toujours reliés à un chemin de fer de classe 1 à un point de correspondance. Chaque chemin de fer local dessert plusieurs lieux de chargement et achemine ensuite les trains chargés jusqu’au point de correspondance d’où les wagons sont expédiés vers des ports ou des emplacements intérieurs par l’entremise d’un transporteur de classe I. Les chemins de fer locaux transportent des céréales en vrac, des légumineuses et des cultures spéciales, des agrégats, des marchandises dangereuses, des produits énergétiques, des charges surdimensionnées et fournissent un espace de stockage de wagons, ce qui réduit la congestion sur les réseaux du Canadien national, ou CN, et du Canadien Pacifique Kansas City, ou CPKC.

La plupart des chemins de fer locaux de l’Ouest canadien sont réglementés par les provinces et leurs employés ne sont pas syndiqués. Ceux dont les employés sont syndiqués font état de relations positives et de négociations fructueuses avec les syndicats.

Quand il y a une interruption de travail sur un chemin de fer de classe I, les chemins de fer locaux qui y sont connectés sont également à l’arrêt parce qu’ils ne reçoivent pas de nouveaux wagons et ne peuvent acheminer les marchandises de leurs clients. Certains exploitants de chemins de fer locaux continueront à charger des wagons à partir de wagons de leurs clients qui sont déjà sur leur ligne ou de parcs de wagons privés appartenant à des exploitants locaux, mais cette activité prendra fin dès que le stock de wagons sera épuisé, ce qui fera augmenter le nombre de wagons chargés laissés en attente au lieu de correspondance quand le service classe I reprendra.

En ce qui concerne les légumineuses et les cultures spéciales qui sont expédiées en vrac à partir de régions rurales de la Saskatchewan et conteneurisées au port de Vancouver, le conflit de travail de 2023 entre l’Association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique, la BCMEA, et l’International Longshore & Warehouse Union Canada, l’ILWU, a interrompu le chargement et l’expédition de légumineuses à partir de lignes ferroviaires locales.

Avant les négociations collectives sur le transport ferroviaire de 2024, les clients desservis par des chemins de fer locaux, craignant l’imprévisibilité et les retards dans les services, ont commencé à élaborer d’autres plans pour le transport de leurs marchandises. Dans le Sud de la Saskatchewan, cela voulait dire vendre du grain à des acheteurs américains, transporter la marchandise par camion de l’autre côté de la frontière américaine puis l’acheminer ensuite par le chemin de fer Burlington Northern and Santa Fe, le BNSF, dans le Nord du Montana. Le blé dur, les légumineuses et les cultures spéciales biologiques qui auraient dû être chargés sur des lignes locales se sont retrouvés dans des camions et des trains américains. Des témoins de Transports Canada ont dit au comité qu’il est parfois très difficile de ramener sur les rails le trafic perdu au profit des camions. Les chemins de fer locaux de l’Ouest canadien en ont fait l’expérience.

Certains clients ont réagi en commandant à l’avance un grand nombre de wagons afin de respecter leurs engagements avant l’arrêt de travail prévu. Cette réaction crée des goulots d’étranglement, des problèmes d’approvisionnement en wagons et des défis opérationnels autant pour les clients, que pour le chemin de fer local et pour le chemin de fer de classe I.

Quand le ministre O’Regan a demandé au Conseil canadien des relations industrielles de déterminer si le service ferroviaire devait être considéré comme un service essentiel, nous ne savions pas clairement à quel moment le Conseil rendrait sa conclusion publique. Comme le gouvernement est intervenu très rapidement dans les récents conflits de travail, de nombreux clients ont supposé qu’une grève ou un lock-out aurait lieu à des dates précises au printemps 2024 et que le gouvernement n’allait pas tarder à intervenir pour y mettre fin. Les délibérations du CCRI ont suscité encore plus d’incertitude au sujet du calendrier et ont poussé les expéditeurs à se tourner vers d’autres modes de transport afin d’exercer un meilleur contrôle.

La reprise du service est un processus complexe, qui varie selon la durée de l’arrêt de travail. D’après des témoins qui ont comparu devant votre comité, il peut y avoir un retard de trois à sept jours pour chaque jour de grève. Comme les compagnies de chemin de fer de classe I veulent avant tout rétablir les services sur leur propre ligne principale, le délai est encore plus long pour les expéditeurs desservis par des lignes ferroviaires locales qui se trouvent au bout des embranchements. La reprise du service se traduit par une congestion importante dans les gares de triage et aux points de correspondance, un temps d’arrêt prolongé et des retards dans l’approvisionnement en wagons. Ces problèmes se répercutent directement sur les chemins de fer d’intérêt local et leurs clients.

Les chemins de fer d’intérêt local offrent des sites de chargement et des possibilités de développement aux petites et moyennes entreprises qui veulent avoir accès aux grandes lignes de chemin de fer. Ils fournissent des services de qualité du premier au dernier kilomètre de la chaîne d’approvisionnement canadienne, tout en luttant contre la perception erronée selon laquelle ils sont inefficaces. Les interruptions de service et les longs retards attribuables à des facteurs qui échappent à leur contrôle ne font que nuire davantage à la réputation de l’industrie des chemins de fer d’intérêt local.

Le résultat idéal, ce sont des négociations fructueuses entre employeurs et syndicats. Les problèmes récurrents durant le processus de négociation portent à croire que les relations entre les chemins de fer de classe 1 sous réglementation fédérale et la Conférence ferroriaire de Teamsters Canada, la CFTC, sont fondamentalement tendues et qu’il est nécessaire de prévoir un soutien supplémentaire. Même si nous n’avons pas de modèle précis à recommander, notre association, la WCSLRA, serait en faveur d’une réforme qui augmenterait les chances de négocier de bons accords, réduirait la fréquence des interruptions de travail, préserverait les droits des travailleurs et garantirait la transparence des calendriers pour les utilisateurs du réseau ferroviaire canadien.

Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie, madame Mackenzie.

Passons maintenant aux questions des sénateurs et sénatrices.

La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui.

Monsieur Guénette et madame Santini, pouvez-vous nous expliquer ce que vous demandez pour que nous puissions corriger la situation et atténuer les pressions exercées sur le système à cause des pénuries de main-d’œuvre?

Vous avez dit souhaiter un élargissement de la définition de service essentiel. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet? Souhaitez-vous que des modifications soient apportées à l’article 87 du Code canadien du travail?

Monsieur Foss, je vais vous poser la même question. Souhaitez-vous le même genre de changement? Madame Mackenzie, je vous pose aussi la même question. Souhaitez-vous le même genre de changement?

Je vais commencer par les deux premiers témoins. Merci.

M. Guénette : Je vais commencer et ma collègue prendra le relais.

Nous avons recommandé qu’une analyse des coûts par un tiers indépendant soit obligatoire, comme ma collègue l’a mentionné dans ses observations préliminaires, avant même qu’une grève ne soit autorisée afin de déterminer le coût et l’impact d’un arrêt de travail sur l’économie, les PME et les Canadiens. Si les répercussions et les coûts sont jugés potentiellement trop importants en termes de perte financière ou de retard dans le transport de produits essentiels, il ne faudrait pas autoriser de grève générale. D’autres formes d’arrêt de travail pourraient être permises, mais pas une grève générale qui paralyse l’économie dans son ensemble.

La sénatrice Dasko : Faudrait-il apporter des modifications à l’article 87 ou à un autre article du Code canadien du travail?

M. Guénette : Il faut faire ce qui est le plus logique de faire sur le plan législatif. Au cours des dernières années, nos membres — nous en comptons 100 000 au pays dans tous les secteurs de l’économie — ont subi le contrecoup de plusieurs arrêts de travail au port de Montréal, en Colombie-Britannique et dans la voie maritime du Saint-Laurent. L’an dernier, s’ils n’étaient pas intervenus rapidement, le CN et le CPKC auraient également connu un arrêt de travail de plusieurs jours. Les PME perdent des ventes, de l’argent, des stocks et bien plus.

Aucun syndicat ne devrait avoir le droit de paralyser l’ensemble de l’économie, et nous espérons que votre étude permettra d’inclure dans la loi l’idée du préjudice économique afin qu’une étude soit menée avant même qu’une grève soit autorisée. Si tous les chemins de fer du Canada sont paralysés, de nombreuses entreprises en souffriront. Voilà pourquoi il ne faut pas autoriser de débrayage.

La sénatrice Dasko : Monsieur Foss, pourriez-vous nous expliquer quelle serait la solution aux problèmes que vous avez décrits dans votre présentation?

M. Foss : Je ne peux pas dire, sénatrice, que nous avons une solution précise en tête à proposer à cet égard. Je ferai simplement écho à d’autres commentaires voulant qu’une grève et la fermeture d’installations portuaires ou ferroviaires peuvent être dévastatrices. Il faut donc réfléchir sérieusement à la façon de prévenir et de réduire au minimum les risques que cela se produise, que ce soit par le biais de l’article 87 ou au moyen d’autres outils. Je ne crois pas avoir la réponse à cette question. Je ne suis certes pas un expert sur ces aspects des lois canadiennes.

La sénatrice Dasko : Le préjudice devrait donc être le critère invoqué pour changer les ententes que nous avons maintenant?

M. Foss : C’est exact.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie. Madame Mackenzie, êtes-vous d’accord ou avez-vous un point de vue différent?

Mme Mackenzie : L’élargissement de l’article 87 ne règle pas nécessairement le problème fondamental, à savoir que la relation entre les chemins de fer sous réglementation fédérale et les syndicats est fondamentalement tendue.

La sénatrice Dasko : D’autres changements seraient donc nécessaires?

Mme Mackenzie : Oui, c’est ce que je pense.

La sénatrice Dasko : D’accord. Je vous remercie.

Le sénateur Lewis : Je vous remercie pour vos exposés. J’ai une question pour vous, monsieur Foss. Votre point de vue est bien sûr très intéressant. Il n’est pas seulement question d’acheminer des produits pour l’exportation ou vers les marchés. Il est aussi question des Premières Nations et de leur isolement, et de l’acheminement de marchandises dans ces communautés. Pourriez-vous me donner une idée du pourcentage de Premières Nations qui seraient touchées? Avez-vous des chiffres sur le nombre de communautés qui seraient gravement touchées par les arrêts de travail?

M. Foss : Toutes mes excuses, sénateur. Je n’ai pas cette information sous la main et je ne sais même pas si j’ai ces chiffres. Je peux simplement vous dire que la plupart des communautés vivent dans des endroits éloignés et qu’elles ont un accès limité aux infrastructures.

Le sénateur Lewis : Ma deuxième question est la suivante : avez-vous déjà été consultés avant un arrêt de travail? Y a-t-il eu des échanges entre votre groupe ou d’autres Premières Nations et les entreprises en lock-out ou avec les syndicats qui font la grève?

M. Foss : Non. Notre association n’a certainement pas été consultée. Je ne sais pas si d’autres Autochtones l’ont été ou s’ils ont eu des échanges, mais j’en doute.

Le sénateur Lewis : Je vous remercie.

Le sénateur Wilson : Je sais que les grandes organisations ou les grandes entreprises sont capables de gérer plusieurs chaînes d’approvisionnement et de se retourner plus facilement durant ces conflits de travail, tandis que les PME sont souvent dépassées par la situation. Vous l’avez bien expliqué dans votre exposé. Par exemple, combien d’entreprises la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, ou FCEI, représente‑t‑elle et combien d’entre elles sont tributaires du commerce, en pourcentage? Y a-t-il un juste équilibre entre celles qui dépendent des intrants importés ou exportés par les corridors commerciaux ou est-ce que cette situation favorise davantage l’exportation que l’importation?

M. Guénette : Nous représentons 100 000 petites entreprises dans tous les secteurs de l’économie et dans toutes les régions du pays. La majorité de nos membres sont dans le commerce de détail. Bon nombre d’entre eux dépendent des ports et des chemins de fer pour recevoir les produits qu’ils vendent à leurs clients. Nous comptons 6 000 membres dans le secteur agricole qui dépendent en grande partie du transport ferroviaire pour l’expédition et la réception de produits frais.

Nous comptons également des membres dans le secteur de la construction, du commerce de gros, en fait, dans tous les secteurs de l’économie.

Je ne peux pas vous donner le nombre exact d’entreprises qui sont tributaires du commerce, mais je suppose que la plupart d’entre elles le sont simplement parce qu’elles vendent des produits à la population canadienne dans toutes les régions du pays. C’est pourquoi nous avons protesté si vigoureusement devant cette situation. Quand les ports sont à l’arrêt, nos membres nous envoient des messages. Durant la dernière grève dans les ports de la Colombie-Britannique, certains de nos membres de l’Est du Canada œuvrant dans le secteur de la réparation automobile attendaient des pièces d’automobile qui arrivaient par les ports de la Colombie-Britannique et vice versa, d’est en ouest.

Nous avons formulé à maintes reprises des propositions visant à atténuer le problème et y faire face. Il semble que chaque fois que des négociations achoppent entre un employeur et un syndicat, cela se termine par un arrêt de travail. Cela n’aide pas l’économie canadienne ni les petites entreprises du pays.

La sénatrice Simons : J’ai une question pour vous, madame Mackenzie. N’importe quel importateur ou exportateur sera lésé par une grève du chemin de fer, mais votre industrie y est particulièrement vulnérable parce que vous devez littéralement connecter vos trains avec ceux des grandes compagnies ferroviaires. En cas de grève majeure, comme celle qui a eu lieu lorsque le CN et le CPKC ont cessé leurs activités en même temps, quelles ont été les pertes pour votre secteur?

Mme Mackenzie : Vous avez raison. Je me ferai un plaisir de transmettre au comité, par écrit, les chiffres sur les pertes économiques. Incidemment, nous entendons beaucoup parler, comme je l’ai dit dans mes observations préliminaires, de clients qui se tournent vers le transport par camion, surtout pour des marchandises de grande valeur offrant une meilleure marge de profit, ce qui leur permet d’absorber les coûts légèrement plus élevés du transport par camion. Des clients ont revu leurs plans et les chemins de fer d’intérêt local n’en font pas partie.

La sénatrice Simons : Y a-t-il une solution dans l’immédiat? Un de mes collègues a dit qu’Air Canada lui avait récemment remboursé des billets sur un vol qu’il était censé prendre pendant la grève du transport aérien cet été. Air Canada lui a remboursé le coût des billets qu’il a dû acheter sur WestJet à la place. Cela m’a fait réfléchir. Dans une industrie comme la vôtre, y a-t-il un filet de sécurité? Vos membres peuvent-ils souscrire une assurance contre une grève? Avez-vous des recours juridiques si jamais le CPKC ou le CN ne respectait pas un contrat conclu avec vous pour transporter vos produits?

Mme Mackenzie : À ma connaissance, il n’existe pas d’assurance pour soutenir les chemins de fer locaux dans une telle situation ni de recours juridique possible.

La sénatrice Simons : L’un des problèmes du secteur ferroviaire, c’est le manque de concurrence. Hier, un représentant du secteur du transport de fret nous a affirmé qu’il n’était pas du côté des chemins de fer, parce qu’ils sont toujours en conflit avec eux. Mais je le répète, votre industrie est très concurrentielle. Il y a beaucoup de petits réseaux ferroviaires sur courtes distances — je viens de l’Alberta, alors je m’y connais assez bien dans ce domaine —, mais vous n’avez que deux grands partenaires. Quelles contraintes cela impose-t-il à vos membres?

Mme Mackenzie : C’est très important pour nos membres. Dans l’Ouest du Canada, le fonctionnement des chemins de fer d’intérêt local dépend de la manière dont ils ont évolué. Ils sont généralement desservis par une seule ligne. Tous les chemins de fer locaux vont se raccorder à une ligne de classe 1, appartenant au CN ou au CPKC. Ils ne peuvent pas interchanger. De nombreux clients souhaitent désormais avoir accès à deux lignes. Les grandes mines de potasse qui sont en construction, par exemple, essaient de trouver un moyen d’avoir accès aux deux lignes, celle du CPKC et celle du CN. Les chemins de fer locaux continueront à avoir accès qu’à une seule ligne. Par conséquent, tous les clients de ces petits chemins de fer locaux dépendent du bon fonctionnement et des tarifs de fret exigés par le chemin de fer de classe I, avec les niveaux de service.

Il nous arrive souvent de nous identifier à ces expéditeurs parce que les chemins de fer locaux sont eux-mêmes à la merci des opérations et des accords conclus avec les transporteurs de classe 1.

Le président : Madame Mackenzie, vous avez dit que vous alliez nous faire parvenir une réponse écrite pour étoffer la réponse que vous nous avez donnée au sujet des relations entre les chemins de fer locaux et les gros joueurs et de ce qui se passe en cas d’interruption de travail. Si vous pouviez nous envoyer ce complément d’information à votre retour, il nous sera très utile et nous donnera un portrait plus complet de ce que subissent les clients lorsqu’une grève touche un joueur important.

Mme Mackenzie : Vous voulez parler des chiffres sur les pertes et des choses du genre?

Le président : Oui, ce serait très utile. Je me fie à votre créativité pour nous faire parvenir des renseignements qui nous donneront une meilleure idée des problèmes potentiels avec lesquels votre secteur doit composer.

Mme Mackenzie : Volontiers.

Le président : N’hésitez pas à nous envoyer l’information, si cela vous convient.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Guénette. Effectivement, le syndicat en général veut faire mal à son employeur. Ici, la particularité est que ce n’est pas tant l’employeur que tous les clients qui ont mal. Vous proposez une solution qui me semble un peu bancale. Vous dites qu’il faut qu’avant chaque grève générale, on sache quels sont les effets financiers qu’une grève pourrait avoir sur les petites et moyennes entreprises. Comment peut-on faire cela? À quoi peut-on se fier? Comment peut-on collecter les données? Quel est le seuil au-delà duquel on dit qu’il ne faut pas qu’il y ait de grève générale?

Dans le fond, voulez-vous une interdiction de grève générale? J’ai l’impression que votre mécanisme est difficile à mettre en place.

M. Guénette : Je vous remercie pour la question, sénatrice. Ma collègue pourra compléter ma réponse si j’oublie quelque chose.

Il y a plusieurs éléments. Tout d’abord, on a fait un sondage auprès des membres de la fédération. La très grande majorité voudrait voir les travailleurs qui sont essentiels à la chaîne d’approvisionnement devenir des travailleurs essentiels, et donc que les activités des entreprises portuaires ou ferroviaires continuent normalement, même si les négociations sont difficiles et si le syndicat et la partie patronale ne s’entendent pas.

La deuxième chose, c’est que si un vote de grève est adopté, avant que cette grève ne soit déclenchée, une tierce partie indépendante devrait avoir quelques jours pour évaluer quel sera l’impact économique d’une grève pour le Canada. Lorsque le port de Vancouver ou le Port de Montréal ont subi une grève, on avait ces chiffres et on savait combien de centaines de millions de dollars par jour de marchandises ne seraient pas livrées. On avait ces chiffres.

Selon l’ampleur des dommages causés à l’économie, il pourrait y avoir une interdiction de grève généralisée. Cela pourrait être une grève à plus petite échelle, une grève de soir, de fin de semaine, d’heures supplémentaires. Il pourrait y avoir d’autres activités, mais une grève générale qui viendrait paralyser l’ensemble de l’économie ne devrait pas être autorisée.

Les PME ne sont pas à la table de négociation. Lorsque nos membres perdent des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de dollars parce que le syndicat est fâché...

La sénatrice Miville-Dechêne : Je saisis très bien. J’essayais de comprendre le mécanisme. Si c’est une tierce partie, cela a peut-être un peu plus d’impact...

M. Guénette : Une tierce partie indépendante.

La sénatrice Miville-Dechêne : ... que des PME qui disent qu’elles vont perdre des millions de dollars. C’est de cette façon que je l’avais compris.

Deuxièmement, lors de vos remarques liminaires, vous avez parlé avec beaucoup d’émotion du fait que le syndicat veut faire du mal aux PME, qu’on cherche précisément à faire mal aux PME pour régler la grève. Pensez-vous que c’est parce que vous vous trouvez là et que vous êtes ceux qui en souffrent le plus par rapport aux entreprises? J’ai senti qu’il y avait là beaucoup d’émotion.

M. Guénette : Je pense que c’est une tactique qui est employée, et on veut faire mal à l’économie, pas seulement à l’employeur. Évidemment, le Port de Montréal et le port de Vancouver subissent des pertes énormes, et le rattrapage qu’il y a à faire, une fois la grève terminée, est un casse-tête logistique monumental. Ces entreprises subissent des pertes considérables également.

On prétend que les syndicats se servent de cette tactique : si cela fait mal à l’économie, et pas juste à l’employeur, le gouvernement ou la partie patronale arrivera à quelque chose. La situation se réglera plus rapidement, parce que les dommages seront si importants que la pression montera. On essaie donc de faire mal à l’économie pour faire avancer ses propres objectifs.

Les syndicats utilisent les grèves pour faire mal à l’économie afin de faire avancer leurs propres objectifs. On souhaite que cette situation ne se poursuive pas encore très longtemps.

Les dernières années ont été très difficiles, malheureusement. On l’a vu avec tous les arrêts de travail. Ils ne devraient pas avoir le droit de paralyser l’économie pour favoriser leurs propres intérêts.

[Traduction]

La sénatrice Arnold : Merci à tous d’être ici aujourd’hui. J’ai une question qui va un peu dans le même sens que la dernière question. Les interruptions de travail dans les secteurs ferroviaire et maritime ont à maintes reprises paralysé les chaînes d’approvisionnement du Canada et, par le fait même, notre économie.

Nous avons entendu de nombreux témoins à ce moment-ci, et tous s’entendent pour dire que les répercussions sont extrêmes. Je dirais qu’on nous a brossé un tableau de la situation à cet égard.

Ma question va peut-être vous mettre mal à l’aise, mais j’aimerais avoir votre point de vue là-dessus, parce que je présume que vous suivez ces négociations et ces situations de très près.

À votre avis, quels sont les problèmes sous-jacents qui alimentent cette tension persistante entre les syndicats et les employeurs?

Mme Santini : Au bout du compte, les syndicats tentent de représenter leurs membres, et les employeurs essaient de tenir compte de leurs coûts et de leurs revenus. Il est vrai que les perceptions des deux parties peuvent être très différentes. Le gouvernement essaie habituellement d’intervenir au moyen de médiateurs, d’arbitres et de tous les outils dont il dispose pour trouver un terrain d’entente.

Il semble que très souvent, dernièrement, ces différences n’ont pu être aplanies et que les deux parties n’ont pu être rapprochées. Elles aboutissent toujours à une impasse, ce qui entraîne un arrêt de travail.

Une partie de la question pourrait être de savoir s’il y a suffisamment d’outils. Qu’est-ce qui pourrait aider à renforcer ou à stimuler ces discussions? De notre point de vue, nous ne sommes pas à la table. Nous ne pouvons pas dire quelles pourraient être les causes sous-jacentes de l’impasse.

Pendant un certain temps, il y a peut-être eu beaucoup de revenus parce que la demande était à la hausse, mais comme la demande est maintenant à la baisse, on ne peut pas fonder les prévisions salariales futures sur ce que seront les revenus, parce qu’ils ne sont plus ce qu’ils étaient. Nous ne sommes pas à la table. Nous ne connaissons pas ces réalités. Nous ne connaissons que ce qui est rendu public.

De notre point de vue, au bout du compte, ce sont les petites entreprises qui en souffrent. Nous pensions auparavant que les détaillants ou les grossistes avaient de trois à six mois de stock, et qu’ils pourraient donc bien s’en tirer en cas d’une interruption. Or, j’ai dû parler à des membres qui opèrent de semaine en semaine ou qui ont entre deux et quatre semaines de stock. Dès qu’il y a des interruptions de travail, surtout que cela crée des arriérés et des points d’engorgement, dès qu’il y a quelques jours de grève, la planification ne tient plus. Ils finissent par avoir des pénuries et doivent prendre des décisions difficiles ou laisser tomber leurs clients. Cela fait donc partie de leur réalité.

La sénatrice Arnold : On nous a dit à maintes reprises que ce n’était pas une question de salaires. Je suis simplement curieuse de savoir de quoi s’agit-il alors?

Monsieur Foss, vous avez parlé d’une approche trilatérale. À votre avis, qu’est-ce qui pourrait être mis à la table de négociation et qui ne l’est peut-être pas en ce moment?

M. Foss : Je vous remercie de cette question. Je pense que la relation est l’un de ces aspects, et aussi l’importance de connaître le point de vue d’une autre partie sur ce qui se passe et sur les répercussions. Ni l’employeur ni le groupe d’employés ne réfléchissent aux répercussions des arrêts de travail sur les collectivités et sur les entreprises de régions éloignées qui ne sont peut-être pas à l’avant-plan de leurs considérations, dans le cadre des négociations.

La sénatrice Arnold : Merci.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Merci à nos témoins. Vous parlez du droit de grève et du fait qu’il ne devrait pas y avoir de grève. Est‑ce qu’on parle également du lock-out de la part des employeurs? Est-ce que vos commentaires s’appliquent aux deux parties?

[Traduction]

Mme Mackenzie : J’ai examiné toutes les transcriptions des réunions précédentes du comité sur ce sujet, et les gens ont parlé du droit des travailleurs de faire la grève, de l’importance de préserver leur dignité et de respecter leurs droits. Ce que je n’ai pas vu, c’est que lorsqu’on laisse les négociations échouer ou lorsque le gouvernement intervient, qu’est-ce que cela finit par créer sur le plan de l’insatisfaction ou de la démoralisation des travailleurs?

Il est vraiment important de penser à la longévité de l’industrie ferroviaire et de maintenir un milieu où les gens se sentent en sécurité et veulent travailler et rester à long terme. La création d’un environnement défavorable aux travailleurs peut avoir des répercussions à long terme sur le plan de la disponibilité des employés et de la durée de leur carrière dans l’industrie ferroviaire à tous les niveaux. Cela aura selon moi des répercussions sur la sécurité et l’efficacité ferroviaires. Nous voulons une industrie ferroviaire au sein de laquelle les gens veulent travailler.

Le sénateur Aucoin : Merci.

Le sénateur Quinn : Merci d’être ici ce soir.

Hier, nous avons eu de bonnes discussions avec nos groupes de témoins sur différents aspects de ce sujet. J’ai dit qu’il est toujours préférable de négocier à la table pour trouver une solution, et pourtant le gouvernement a eu recours à l’article 107, peut-être trop souvent et peut-être de façon inappropriée, mais il n’en demeure pas moins que cet article a été invoqué.

L’article 90 du Code canadien du travail permet au Cabinet de suspendre la grève ou le lockout pendant une période électorale s’il est d’avis que le différend « [...] est ou serait, bien que conforme à la présente partie, préjudiciable à l’intérêt national [...] »

Seriez-vous d’accord pour donner au Cabinet la possibilité similaire de suspendre temporairement un conflit de travail pendant que le Parlement débat sur l’opportunité d’adopter ou non une loi de retour au travail?

M. Guénette : Oui.

Le sénateur Quinn : C’est une question qui s’adresse à tout le monde, soit dit en passant.

M. Guénette : Le gouvernement devrait avoir les outils dont il a besoin pour s’assurer que l’arrêt de travail se termine rapidement ou qu’il ne commence pas. Il a besoin de l’article 107, d’une loi de retour au travail et d’autres outils, mais il doit pouvoir agir.

Mme Mackenzie : Si je comprends bien, il s’agirait d’un compromis entre l’article 107 et le processus parlementaire type; au moins, c’est tout le Cabinet qui examine la question, et pas seulement un ministre, ce qui est un pas dans la bonne direction, si plus de gens participent au processus plutôt que de s’en remettre à la décision d’une seule personne.

M. Foss : Je conviens que l’augmentation des outils disponibles est un pas dans la bonne direction.

Le sénateur Quinn : Hier soir, dans le cadre d’une autre discussion que nous avons eue, j’ai dit que notre gouvernement actuel se penche maintenant sur la diversification du commerce, en grande partie parce que nos voisins du Sud nous attaquent. Nous devons donc chercher différents partenaires commerciaux, entre autres objectifs de cette nature. Pourtant, l’article 87.4 nous impose certaines restrictions, comme suit :

... fonctionnement d’installations ou production d’articles — dans la mesure nécessaire pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public.

Lorsque le Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI, examine la situation, il le fait à travers ce prisme de la sécurité et de la santé du public et, pourtant, à notre époque, c’est une idée dépassée — c’est ainsi que je la qualifierais — parce que la réalité du monde d’aujourd’hui est la suivante : Ne devrions-nous pas examiner ce que cela signifie pour la sécurité du public et celle des fournisseurs de services de fret? Parce que lorsque la chaîne d’approvisionnement s’effondre, ce qui m’inquiète aussi, les gens du CCRI ne comprennent peut-être pas nécessairement les subtilités des chaînes d’approvisionnement. Par conséquent, ne devrions-nous pas penser à la sécurité du public et à celle des fournisseurs de services de fret essentiels dans l’avenir?

Mme Mackenzie : Je vois que vous me regardez. Je pense donc que cette question s’adresse à moi.

Pour ce qui est de la sécurité, de la résilience opérationnelle et financière des chemins de fer d’intérêt local et des autres fournisseurs sur la chaîne d’approvisionnement?

Le sénateur Quinn : Hier soir, si je me souviens bien, monsieur le président, les gens ont dit que lorsqu’il y a une grève, c’est contre la direction; c’est une grève contre l’entreprise qui engrange de gros profits.

J’ai posé une question au sujet des autres personnes qui font partie de la chaîne d’approvisionnement, et c’est pourquoi je pose cette question ce soir : Ne devrions-nous pas envisager de modifier l’article 87.4 pour le mettre à jour, compte tenu de tous les facteurs dont j’ai parlé, pour que le CCRI tienne au moins compte du bien du public et de celui du fournisseur de services de fret?

M. Foss : Monsieur le sénateur, je dirais que oui, les dispositions et les considérations ont été trop étroites par le passé. Je ne sais pas si certaines des répercussions de ces dispositions sur les collectivités éloignées ont déjà été sérieusement prises en considération.

M. Guénette : En un sens, c’est ce que nous suggérons au comité ce soir : ajouter un critère pour ce qui peut être considéré...

Mme Santini : Comme un préjudice économique.

M. Guénette : ... préjudiciable à la population, et nous disons que c’est un préjudice économique.

Le sénateur Quinn : Ma dernière petite question s’adresse à la Short Line Railway Association. Je suis très heureux que vous soyez ici ce soir. Il y a des chemins de fer d’intérêt local dans l’Est, d’où je viens.

Par le passé, le CCRI a décidé que les marchandises pouvaient être transférées des lignes ferroviaires aux camions, et vous avez parlé des camions, ce qui m’amène à me demander si le CCRI comprend vraiment qu’on ne peut pas simplement transférer les marchandises des trains aux camions.

Le volume de marchandises qu’on peut transporter dans un train pour les transporter sur le marché est assez différent de celui des camions. Compte tenu de mon expérience dans le secteur maritime, c’est comme si on disait que la cargaison d’un gros porte-conteneurs pouvait être transférée sur une barge, ce qui ne serait pas pratique ou possible en réalité.

Je m’inquiète du fait que le CCRI prenne des décisions sans faire appel à ceux qui ont l’expertise qu’ils n’ont peut-être pas pour entendre et recevoir les conseils de ceux qui sont concernés.

Mme Mackenzie : Il y a d’autres complications. Si vous pensez au camionnage à grande échelle, et je pense clairement aux émissions, mais je dirais aussi qu’il faut tenir compte des surestaries routières. On entend beaucoup parler de la pénurie de chauffeurs et d’équipement dans le secteur du camionnage.

Chaque wagon d’un train qui passe devant vous équivaut à plusieurs camions. Pensez à la circulation sur les routes et à la sécurité routière. Dans les régions rurales de la Saskatchewan — et je suis sûr que le sénateur Lewis pourra corroborer mes propos —, pensez aux surestaries sur les routes rurales.

Le sénateur Quinn : Le CCRI devrait-il être tenu de faire appel à l’expertise qui peut juger d’une décision qu’il pourrait prendre au sujet du transfert de marchandises d’un train à un camion?

Mme Mackenzie : Toute expertise qui leur permettrait de prendre une décision plus éclairée serait probablement très utile.

Le sénateur Quinn : Merci.

Le sénateur Wilson : Je voudrais parler de ce dont certains témoins nous ont parlé à plusieurs reprises jusqu’ici sur cette question, et il y a eu un rapport à ce sujet. Je ne sais pas si vous le connaissez. Une commission a été chargée d’examiner cette question, surtout en ce qui concerne les débardeurs, et je parle de la commission Ready-Rogers.

L’une des recommandations de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest, dirigée par Vincent Ready et Amanda Rogers, consistait à nommer un médiateur spécial dans une situation où il semble que les négociations sont en train d’échouer. À un certain point du processus, ce médiateur spécial serait nommé, afin de donner au gouvernement un aperçu de ce qui se passe.

Vous avez dit plus tôt ce soir que vous ne savez pas ce qui se passe, et nous avons entendu à maintes reprises plusieurs témoins parler de la nécessité d’accroître la transparence. Je me demande si nous devrions envisager d’aller plus loin que le médiateur spécial et si les utilisateurs devraient surveiller certaines de ces négociations.

D’après ce que j’ai entendu de certaines des négociations les plus corsées, il est assez étonnant de constater ce qui se passe derrière ces portes closes, comme les exigences qui sont soumises, et parfois, la mauvaise foi des négociateurs. Nous devrions peut-être faire encore plus la lumière sur cette question que ne le suggère la commission Ready-Rogers.

Monsieur Foss, vous avez également proposé un représentant autochtone, et j’aimerais savoir ce que vous pensez de l’aide que cela pourrait apporter pour faire la lumière sur la situation et amener les parties à s’entendre.

M. Guénette : C’est une bonne question. Accroître la transparence en soi est une bonne idée. Si cela empêchait d’autres grèves, nous appuierions une telle proposition.

Pour nous, ce qui est important, c’est que les surestaries observées au cours des dernières années ne se reproduisent plus, et c’est ce qui explique notre proposition. Nous avons dit que les petites entreprises ne sont pas à la table, et il serait peut-être bon de discuter davantage avec elles avant le vote sur une grève, mais au bout du compte, nous devons trouver un mécanisme qui empêche une grève générale si le préjudice économique est jugé trop sévère. Que les petites entreprises soient à la table ou non, l’objectif final consiste à faire en sorte que la chaîne d’approvisionnement soit protégée et que la certitude soit assurée, et ce, en tout temps.

Il n’y a aucune raison pour qu’un établissement de détail qui attend des articles de sport en prévision de la période des Fêtes se retrouve dans une situation où toutes les ventes de Noël seront perdues à cause d’une grève. Nous devons trouver des moyens d’éviter ces situations.

La sénatrice Simons : J’aimerais revenir à Mme Mackenzie.

Lorsque vous avez discuté avec le sénateur Aucoin il y a un instant, vous avez parlé des défis liés au fait d’assurer la formation, le repos et la sécurité des travailleurs. Je sais que dans l’ensemble du secteur des transports, il est très difficile de trouver des travailleurs et de les former pour occuper des emplois exigeants. Dans votre univers des chemins de fer d’intérêt local, est-ce que les gens viennent travailler chez vous comme apprentis avant de travailler ensuite pour les chemins de fer de la catégorie I ou est-ce que certains de vos employés sont des travailleurs qui ont quitté la catégorie I parce qu’ils ne voulaient plus faire de longs trajets? Par quel processus veillez‑vous à ce que vos travailleurs aient la formation et le repos qui s’imposent?

Mme Mackenzie : En ce qui concerne la catégorie de l’entrée sur le marché du travail, on y trouve des gens qui ont quitté les chemins de fer de la catégorie I. Il y a aussi des plus jeunes qui n’ont pas aimé le mode de vie associé à la catégorie I, et ils recherchent une qualité de vie et un milieu de travail différents dans l’industrie ferroviaire. Ces gens se tournent vers les chemins de fer d’intérêt local. Ces derniers embauchent aussi des gens d’autres industries ou des collectivités rurales qu’ils desservent. La formation est conforme aux normes réglementaires à respecter dans l’industrie.

Pour ce qui est des règlements relatifs au repos, puisque la majorité de nos membres sont assujettis à la réglementation provinciale, ils doivent observer les lignes directrices provinciales relatives à la fatigue et ainsi de suite.

Les opérations des chemins de fer d’intérêt local sont très différentes de celles de la catégorie I. Souvent, les gens vont travailler du lundi au vendredi, suivant un horaire prévisible, et quand ils ne travaillent pas, ils sont à la maison avec leur famille. Leur situation est donc très différente.

La sénatrice Simons : La sénatrice Arnold demandait pourquoi les gens font la grève. Ce que vous dites, c’est que travailler pour la catégorie I peut être très difficile, parce qu’on est loin de sa famille, qu’on travaille de longues heures et que le travail est physiquement exigeant. On peut présumer que ce n’est pas seulement une question d’argent; c’est aussi parce que les travailleurs des chemins de fer de la catégorie I font beaucoup de sacrifices.

Mme Mackenzie : Oui. J’ai indiqué dans ma déclaration préliminaire que nos membres dont les employés sont syndiqués disent avoir des relations très positives avec le syndicat. Cela s’explique en partie par le fait que certains des problèmes qui préoccupent les syndicats au sujet des chemins de fer de catégorie I ne sont pas aussi présents avec les chemins de fer d’intérêt local, et mes membres insistent pour établir une relation de confiance avec les syndicats. Ils disent que les syndicats estiment que les chemins de fer d’intérêt local sont de bons employeurs et qu’ils s’occupent bien de leurs employés, et les employeurs des chemins de fer estiment que les syndicats négocient de bonne foi et qu’ils sont nos partenaires. Ils considèrent presque la relation comme un partenariat.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le président : Peut-être que M. Foss pourrait répondre à ma question. Vous avez dit qu’en cas d’interruption de travail, vous et vos membres ne receviez pas beaucoup de communication ou de rétroaction. Serait-il possible pour vos membres d’établir une relation plus étroite avec le gouvernement? Je ne devrais pas laisser entendre que la relation n’est pas étroite, mais vous avez parlé du problème de la relation, et cela a attiré mon attention. En plus de ces données statistiques, avez-vous ou recueillez-vous des données pour vos membres afin que vous puissiez voir les chiffres réels qui ont une incidence sur eux lorsque ces pénuries de main-d’œuvre ou ces interruptions se produisent?

M. Foss : Sénateur, je vous remercie de cette question. Malheureusement, la réponse est non. En tant qu’association, nos membres sont très diversifiés d’un bout à l’autre du pays, bien que nous soyons souvent dans une position où nous parlons au nom d’entreprises autochtones qui ne sont pas membres aussi bien que de celles qui le sont, et parfois même au nom des communautés dans lesquelles ces membres résident et servent.

Je ne sais pas si j’ai ces chiffres pour vous, et je ne sais pas si j’ai des anecdotes de membres qui concernent directement les répercussions ou ce genre de questions, mais je remarque que, dans nos études concernant les entreprises autochtones, puisque l’accès à l’infrastructure est en général l’un des plus grands défis auxquels elles sont confrontées, tout ce qui le limite ou le restreint davantage est certainement préjudiciable. Si vous nous ameniez à participer davantage aux discussions, je pense que ce serait utile.

Le président : Avez-vous réfléchi à des mesures proactives que vous et vos membres pourriez prendre pour que les gens commencent à reconnaître davantage vos besoins?

M. Foss : Ma comparution devant votre comité est un exemple de prise de position proactive, mais il s’agit en partie simplement de mieux faire connaître notre existence et nos besoins afin qu’il en soit tenu compte dans certains types de discussions.

Le président : Merci. Y a-t-il d’autres questions pour nos témoins?

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Si possible, pourriez-vous nous faire parvenir une compilation des pertes que vos membres ont enregistrées? Je ne sais pas si vous avez fait les calculs.

M. Guénette : On a différents commentaires. On a peut-être des chiffres à partager avec vous. Lorsqu’on sera au bureau, on essaiera de compiler cela le plus rapidement possible. Puis-je ajouter un petit commentaire?

Le président : Allez-y.

M. Guénette : Plus tôt, on a posé une question sur la raison pour laquelle il y a autant de grèves ces derniers temps, et on a demandé si cela avait un lien avec les salaires. J’aimerais ajouter un élément de réponse qui n’explique pas tout, mais qui peut tout de même expliquer la situation : il s’agit du climat politique dans lequel on est, avec un gouvernement minoritaire. Il y a certainement des centrales syndicales qui veulent tirer avantage de la situation, parce que mettre en place des lois de retour au travail devient difficile lorsque le gouvernement minoritaire, pour toutes les raisons que l’on connaît.

Il y a évidemment les questions liées au travail en soi, le salaire, les heures de travail et tout cela. Cependant, il y a aussi la question de l’environnement politique dans lequel on est qui encourage certains syndicats à déclencher la grève quand les négociations deviennent difficiles en raison de la présence d’un gouvernement minoritaire et de la difficulté à faire adopter une loi spéciale de retour au travail.

[Traduction]

Le président : Nos sénateurs ont-ils d’autres questions?

[Français]

Je tiens à vous remercier de votre présence aujourd’hui. C’est grandement apprécié.

[Traduction]

Merci de votre participation aujourd’hui. Nous vous en sommes reconnaissants. Merci de nous avoir fait part de vos connaissances.

Nous aimerions vous présenter notre prochain groupe de témoins : Greg Moffatt, président-directeur général de l’Association canadienne de l’industrie de la chimie; Bridgitte Anderson, présidente-directrice générale du Greater Vancouver Board of Trade; et Chris Procyk, vice-président de l’Agricultural Producers Association of Saskatchewan.

Merci à tous d’être ici aujourd’hui. Les témoins feront une déclaration préliminaire d’un maximum de cinq minutes — nous vous en serons très reconnaissants si vous respectez cette limite —, qui sera suivie d’une période de questions et réponses.

J’invite maintenant M. Moffatt à faire sa déclaration préliminaire.

Greg Moffatt, président-directeur général de l’Association canadienne de l’industrie de la chimie : Merci, monsieur le président et membres du comité. C’est un privilège de me joindre à vous aujourd’hui sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Mon intervention d’aujourd’hui repose sur un constat : notre réputation n’est pas à la hauteur de notre ambition.

L’ambition du Canada est audacieuse : doubler les exportations ailleurs qu’aux États-Unis de 300 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Cependant, la façon dont nos partenaires commerciaux nous perçoivent pourrait rendre cet objectif difficile à réaliser. Nous sommes perçus comme un pays peu fiable, où les interruptions de travail dans les infrastructures de transport essentielles sont fréquentes et attendues, et non rares. Le travail de ce comité est essentiel pour combler l’écart entre l’image que nous voulons projeter et celle que nous projetons actuellement.

Le secteur canadien de la chimie et des plastiques est le troisième en importance dans le secteur manufacturier, générant des livraisons de 112 milliards de dollars chaque année. Plus de 80 % de nos produits sont exportés et 85 % transitent par les chemins de fer ou les ports canadiens. Chaque jour, des produits chimiques d’une valeur approximative de 75 millions de dollars — transportés dans plus de 500 wagons-citernes et wagons de chemin de fer — se déplacent au Canada. Pour nos membres, il n’y a pas de plan B si le train s’arrête.

Un wagon équivaut à trois camions. Dans une grande installation, le remplacement du service ferroviaire signifierait 240 camions de plus par jour sur les routes — ce qui n’est ni pratique ni sécuritaire —, et lorsque les ports sont fermés, il n’y a pas d’autres solutions.

En cas de grève ou de lock-out, les installations doivent commencer à fermer leurs portes jusqu’à une semaine plus tôt que prévu pour se conformer aux règlements stricts sur le transport. Ces fermetures coûtent environ 1 million de dollars par jour par installation, et le redémarrage peut prendre des semaines.

Il ne s’agit pas seulement d’une question économique, mais aussi de sécurité publique. Des produits chimiques comme le chlore et l’acide sulfurique, essentiels au traitement de l’eau et des eaux usées, sont expédiés quotidiennement. La plupart des municipalités ne peuvent entreposer qu’environ une semaine d’approvisionnement. En cas d’interruption du service ferroviaire, le risque pour la santé publique est immédiat et grave. En vertu de l’article 87.4 du Code canadien du travail, un service est considéré comme essentiel si sa perturbation met en danger la santé ou la sécurité publiques. Le rôle de notre secteur correspond clairement à cette définition pour ce qui est des produits chimiques de traitement de l’eau et des eaux usées. Cependant, le fait de ne protéger que les expéditions de produits chimiques essentiels n’empêchera pas une augmentation des surestaries dans toutes les chaînes d’approvisionnement et dans l’ensemble de l’économie canadienne.

L’industrie chimique sous-tend presque tous les secteurs au Canada. Les mines, la foresterie, les métaux, l’automobile, l’énergie, la défense et la construction dépendent tous de nos produits. Lorsque notre industrie est à l’arrêt, ces secteurs ralentissent ou s’arrêtent aussi. Chaque jour pendant lequel la perturbation se poursuit, les coûts se multiplient pour les producteurs, les consommateurs et le gouvernement.

Au cours des deux dernières années, le Canada a connu 62 arrêts de travail distincts dans les transports, soit au port de Montréal, dans la Voie maritime du Saint-Laurent, dans les ports de la côte Ouest et dans les deux grandes compagnies ferroviaires. Chacun de ces arrêts nuit à la réputation internationale du Canada en matière de fiabilité. Chacun dit aux acheteurs et aux investisseurs que le Canada est un endroit à risque élevé et imprévisible où faire des affaires. Cette perception nuit à notre capacité d’accroître nos exportations et d’attirer des investissements.

Nous reconnaissons l’importance fondamentale de la négociation collective, mais les négociations entre quelques parties ne devraient pas paralyser toute l’économie nationale ni compromettre la santé et la sécurité publiques.

La question dont est saisi le comité est cruciale : comment pouvons-nous maintenir les chaînes d’approvisionnement du Canada en mouvement pendant les négociations collectives tout en réduisant le plus possible l’incertitude et le risque?

Le Canada a besoin d’une approche moderne et équilibrée. Nous devons veiller à ce que les transports et les services commerciaux essentiels se poursuivent pendant les négociations, tout en protégeant le droit de négocier de bonne foi.

Nous appuyons les appels en faveur de processus spéciaux de médiation, de tierces parties neutres pour assurer la poursuite des pourparlers et aider à éviter les arrêts de travail, comme recommandé après les difficultés de l’an dernier dans les ports de la côte Ouest.

Cependant, la médiation n’assure pas toujours le succès. Lorsque les négociations échouent, le gouvernement doit disposer d’outils clairs et opportuns pour préserver la paix sociale et maintenir l’économie en activité. Ces pouvoirs sont conférés au ministre du Travail en vertu de l’article 107 et de la loi de retour au travail du Parlement. Cependant, l’article 107 est trop vaste et ne précise pas clairement les pouvoirs et les délais. Au cours du conflit ferroviaire de l’année dernière, les pouvoirs ministériels ont été invoqués de mai à août, mais sans processus ni communication clairs, ce qui a laissé les expéditeurs et les travailleurs dans l’incertitude pendant des mois.

Notre secteur recommande de clarifier l’article 107 en définissant les pouvoirs ministériels, en décrivant les mesures de règlement des différends disponibles, en établissant des délais et des critères clairs et en tenant compte explicitement du préjudice économique comme facteur d’intervention gouvernementale. Une loi de retour au travail devrait demeurer un dernier recours, invoquée seulement dans des circonstances vraiment exceptionnelles, parce que lorsqu’on en a besoin, le mal est déjà fait.

Pour combler l’écart entre ses ambitions et sa réputation, le Canada doit reconnaître que le commerce et les transports sont essentiels à notre économie; clarifier et renforcer l’article 107 afin que les mesures gouvernementales puissent être opportunes et transparentes; et créer un cadre de négociation collective équilibré qui protège les travailleurs et l’économie nationale.

Le moment est venu d’aligner l’ambition du Canada sur notre réputation et de garantir que, même pendant des négociations difficiles, le Canada n’est pas paralysé.

Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Moffatt.

Nous allons maintenant inviter Mme Anderson à faire sa déclaration préliminaire.

Bridgitte Anderson, présidente-directrice générale, Greater Vancouver Board of Trade : Merci et bonsoir, honorables sénatrices et sénateurs.

Je m’appelle Bridgitte Anderson. Je suis présidente-directrice générale de la chambre de commerce du Grand Vancouver. Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire traditionnel des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.

Sur la côte Ouest se trouvent les deux plus grands ports du Canada. Ils jouent un rôle de premier plan dans la diversification des exportations en dehors des États-Unis. Plus de 80 % des exportations transitant par l’administration portuaire de Vancouver Fraser et ses exploitants de terminaux sont destinées à des marchés non américains.

Au nom de nos membres, qui représentent plus de 5 000 entreprises, je suis heureuse d’avoir l’occasion de discuter des répercussions des arrêts de travail sur les utilisateurs des réseaux ferroviaires et maritimes sous réglementation fédérale, sur les consommateurs canadiens et sur les chaînes d’approvisionnement du Canada.

La fermeture des ports de la côte Ouest a mis en péril 800 millions de dollars par jour.

Rappelez-vous, les activités portuaires et le transport ferroviaire et routier connexe dans les ports de la côte Ouest du Canada ont été interrompus pendant 24 jours sur une période de 16 mois entre 2023 et 2024. Ces arrêts ont retardé des exportations cruciales, perturbé la circulation de marchandises d’une valeur approximative de 19,2 milliards de dollars et fait augmenter les coûts pour les consommateurs et les entreprises.

Les fermetures ont porté préjudice à la réputation de fiabilité du Canada comme partenaire commercial à un moment où nous devons tout faire pour consolider nos relations commerciales internationales et nos chaînes d’approvisionnement nationales.

Comme les prochaines négociations collectives auront lieu dans moins de 14 mois, un climat d’instabilité pourrait se réinstaller rapidement. L’International Longshore and Warehouse Union Canada a clairement indiqué qu’il négocierait désormais une convention collective distincte directement avec chaque employeur. Cela pourrait accentuer le climat d’instabilité et retarder la circulation des biens et services essentiels.

À la suite de la grève de 13 jours en juillet 2023, le gouvernement a chargé la Commission d’enquête sur les relations de travail, dirigée par Vince Ready et Amanda Rogers, d’examiner les problèmes sous-jacents aux conflits de travail dans les ports de la côte Ouest du Canada. Publié en juin 2025, le rapport final de la Commission conclut que le système de négociation des débardeurs est « [...] défectueux, mais pas irréparable [...] » et recommande des mesures qui « [...] offrent une feuille de route pour parvenir à une stabilité et une prospérité durables dans les ports de la côte Ouest [...] ».

Aujourd’hui, nous invitons instamment le gouvernement à tenir compte des principales recommandations de la Commission. Plus précisément, nous demandons que le Code canadien du travail soit modifié pour permettre aux employeurs, à la ministre ou au CCRI d’entamer des procédures pour créer une accréditation géographique en vertu de l’article 34 et un conseil de syndicats pour représenter les employés visés par l’accréditation.

Les modifications que la Commission propose d’apporter au Code canadien du travail n’imposeraient pas unilatéralement une structure de négociation aux parties, mais elles permettraient une procédure passant par le CCRI. Ainsi, les négociations ne seraient pas fragmentées, mais le processus de négociation collective serait préservé.

Les ports de la côte Ouest restent un cas particulier, mais d’autres perturbations pourraient, une fois de plus, entraîner le détournement des marchandises canadiennes vers les ports américains, et la réputation de fiabilité du Canada comme partenaire commercial continuerait de se détériorer.

Nous recommandons également de modifier le Code canadien du travail pour y inclure des dispositions prévoyant la désignation de médiateurs spéciaux dotés de pouvoirs conformes aux recommandations de la Commission. C’est essentiel pour garantir la certitude des négociations et l’harmonisation des ports de la côte Ouest du Canada avec ceux du reste du pays, ainsi qu’avec nos principaux concurrents aux États-Unis.

S’il y a une autre grève, les prix vont encore augmenter pour les Canadiens à un moment où l’économie est en difficulté. Chaque jour de perturbation mine la confiance des entreprises, menace les emplois dans l’ensemble des secteurs d’activité et met en péril les relations commerciales internationales du Canada.

Les mesures adoptées par le gouvernement américain révèlent clairement qu’il veut s’en prendre à notre secteur, à nos entreprises et à nos activités portuaires. Il nous faut des politiques intelligentes favorisant la croissance de notre économie, ici au pays, et permettant de bien rémunérer les travailleurs et de livrer nos produits sur les marchés étrangers.

Je vous remercie de votre temps et de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame Anderson. Nous invitons M. Procyk à faire son exposé préliminaire.

Chris Procyk, vice-président, Agricultural Producers Association of Saskatchewan : Bonsoir, monsieur le président et distingués membres du comité.

Je vous remercie de m’avoir invité à m’exprimer au nom de l’APAS, l’Agricultural Producers Association of Saskatchewan, au sujet de l’enjeu crucial des perturbations ferroviaires et de leurs répercussions sur les familles d’agriculteurs, notamment en Saskatchewan.

Je m’appelle Chris Procyk. Je suis vice-président de l’APAS. J’exploite une ferme située à environ une heure au sud-est de Regina, près de Fillmore. Au nom des agriculteurs de la Saskatchewan, je tiens à remercier sincèrement le président et les membres du comité d’avoir entrepris cette étude.

Ce soir, je vais centrer mon exposé sur les répercussions des perturbations ferroviaires et portuaires sur les fermes céréalières de la Saskatchewan. Il faut vraiment comprendre que les réseaux ferroviaires et portuaires du Canada ne sont pas seulement un moyen de transport, mais aussi un lien vital pour l’économie agricole. Compte tenu des grandes distances qui séparent les régions de notre pays, le transport ferroviaire est le moyen le plus viable, le plus efficace et le plus rentable d’acheminer nos produits vers les marchés mondiaux.

Le transport ferroviaire est directement lié aux moyens de subsistance de la plupart des familles d’agriculteurs. Toute perturbation peut avoir des effets importants et immédiats sur nos activités et sur nos revenus. Je tiens à préciser que les agriculteurs de la Saskatchewan n’ont d’autre choix que le transport ferroviaire pour acheminer leurs céréales vers les ports. Nous dépendons entièrement de l’infrastructure ferroviaire.

Les répercussions des perturbations ferroviaires et portuaires ont une grande portée et elles touchent le Canada sur de nombreux plans : économique, opérationnel et réputationnel à l’échelle mondiale. Mais je vais surtout parler de la conséquence la plus immédiate et la plus dévastatrice pour les agriculteurs de la Saskatchewan : l’impact financier.

Même les perturbations à court terme ont des répercussions à long terme quand toute la chaîne d’approvisionnement est bloquée. Chaque journée d’interruption entraîne généralement au moins une semaine de récupération pour que le système revienne à la normale. Les agriculteurs ne sont pas payés pour cultiver des céréales; ils le sont à la livraison.

Imaginez un instant que votre salaire de parlementaire soit compromis par quelque chose qui échappe complètement à votre contrôle, comme un problème technique lié au système de paie du gouvernement. Vous avez fait le travail et vous avez rempli vos responsabilités, mais vous ne pouvez pas toucher votre salaire à cause de forces indépendantes de votre volonté. Maintenant, imaginez que cela arrive fréquemment. Pensez au stress et à l’incertitude que cela provoque.

C’est la réalité des agriculteurs canadiens pendant les perturbations ferroviaires et portuaires. Nous faisons notre travail, mais nous ne sommes pas payés à moins de pouvoir livrer nos produits sur le marché. Sans ces revenus, nous n’avons aucun moyen de payer nos factures, de rembourser nos prêts, de préparer les récoltes de l’an prochain ou de subvenir aux besoins de nos familles.

À l’automne 2024, pendant le dernier arrêt de travail, je n’ai pas pu livrer de céréales pendant la période de mon contrat, de sorte que ma ferme n’a pas pu rembourser les marges de crédit et que cela a entraîné des frais d’intérêt importants. De plus, l’arriéré provoqué par la perturbation a entraîné encore plus de retards dans la livraison ponctuelle de nos produits, même si cette production avait été commandée plus de six mois auparavant.

Il est évident que ce problème récurrent exige des mesures concrètes pour atténuer les répercussions des interruptions de travail sur les secteurs ferroviaires et maritimes sous réglementation fédérale. Nous invitons instamment le comité à tenir compte de la situation unique et cruciale des produits agricoles. Ce sont des denrées périssables, qu’il faut transporter rapidement pour que leur valeur ne se perde pas.

La prévention des perturbations à venir exige prévoyance et préparation. Dans cette enceinte même, des stratégies proactives sont régulièrement appliquées pour éviter de perturber les activités du gouvernement fédéral. Cette même prévoyance doit s’appliquer à nos systèmes ferroviaires et maritimes pour l’agriculture.

Nous recommandons les trois mesures concrètes suivantes pour régler préventivement ce problème : élargir les services essentiels pour y inclure les activités économiques indispensables, comme le transport des céréales vers les marchés mondiaux; élargir la portée de l’article 87.7 du Code canadien du travail pour y inclure le transport des céréales dans l’ensemble du réseau de transport ferroviaire et portuaire et garantir la protection des agriculteurs; et améliorer les mesures préventives en réduisant les délais de règlement des différends et des mesures d’intervention pour réduire la probabilité et l’incidence des perturbations dans les chemins de fer et les ports.

On ne peut pas se permettre d’exposer les familles d’agriculteurs à ces revers évitables. La situation que je décris aujourd’hui n’est pas hypothétique, mais bien un problème récurrent qui met en péril le gagne-pain des familles d’agriculteurs et la stabilité de notre économie agricole. L’inaction n’a pas seulement un coût économique, mais touche au cœur des collectivités rurales de la Saskatchewan et d’ailleurs.

Les solutions que je propose aujourd’hui pourraient atténuer les effets des perturbations à venir, offrir une certitude à long terme aux agriculteurs canadiens et protéger la position de notre pays sur la scène agricole mondiale.

Les familles d’agriculteurs de la Saskatchewan sont prêtes à collaborer avec toutes les parties pour concevoir et concrétiser des solutions garantissant la résilience de nos réseaux de transport ferroviaire et maritime, dont l’importance est cruciale.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Procyk. Nous allons maintenant passer aux questions des sénatrices et sénateurs.

J’invite les témoins, s’il n’y a pas assez de temps pour terminer de vive voix, à nous soumettre leurs réponses complètes par écrit.

La sénatrice Dasko : Merci aux témoins de leur présence parmi nous. Vous avez tous parlé des préjudices causés par les conflits de travail et des dommages causés à vos activités et à vos familles. Vous avez tous proposé des modifications à la loi et d’autres mesures qui sont intéressantes.

Tout d’abord, monsieur Moffatt, pourriez-vous nous parler un peu plus longuement des modifications que vous proposez à l’article 107? Vous avez parlé de certains changements. Pourriez-vous préciser? Cela nous serait utile.

M. Moffatt : La grande majorité des négociations collectives se terminent bien. Il y a très peu de grèves et seulement quelques cas où les répercussions de ces grèves ont fait très mal à l’économie. Les négociations des deux catégories 1 se sont déroulées en même temps l’an dernier. C’est exceptionnel. La dernière fois remonte aux années 1980 au Canada. C’est rare, mais cela arrive.

Ce qui est important dans l’article 107, c’est le besoin de délais clairs. L’article 107 vise à préserver la paix sociale. Rien dans le règlement ne précise que le ministre doit prendre sa décision en tenant compte du préjudice économique.

Évidemment, quand vient le temps pour le gouvernement d’intervenir et de protéger l’économie, il ne devrait pas le faire uniquement en fonction de la sécurité publique. Le préjudice économique doit entrer en ligne de compte. Il y a aussi les enjeux liés aux délais, aux communications et à la transparence.

La sénatrice Dasko : L’article 107 donne au gouvernement le droit de renvoyer les employés au travail.

M. Moffatt : En effet.

La sénatrice Dasko : Avec ou sans arbitrage, à son gré.

M. Moffatt : En mai 2024, on a fait appel au CCRI pour déterminer quelles marchandises devraient être obligatoirement acheminées en cas de grève. Je crois qu’il y a un délai de 90 jours. Donc trois mois. Mais cela crée encore de l’incertitude dans le mode d’exploitation des entreprises. Il est difficile de changer de chaîne d’approvisionnement, quels que soient le type d’entreprise ou la complexité de l’organisation.

Quand le CCRI fait connaître son avis, il ne dit rien du délai dans lequel le gouvernement devra décider d’intervenir. C’est bien dommage, et notre association a effectivement appris une leçon à cet égard. Nous aurions dû participer beaucoup plus activement au processus du CCRI pour attirer l’attention sur la sécurité et le caractère crucial de l’eau, du chlore et de l’acide sulfurique pour traiter l’eau et fournir de l’eau potable.

En fait, 15 wagons de chlore circulent chaque jour, à l’échelle nationale, sur le réseau ferroviaire du Canada. On ne peut pas exploiter un réseau national de transport pour faire circuler 15 wagons. Il est difficile d’imaginer qu’un chemin de fer national puisse faire circuler 15 wagons. De toute façon, on ne peut pas tous les faire circuler en un même train parce que c’est très réglementé. Le chlore est transporté de façon très distincte sur les chemins de fer, dans des corridors spéciaux et à certaines limites de vitesse. C’est très réglementé.

La sénatrice Dasko : J’ai une autre question pour M. Moffatt, Mme Anderson et M. Procyk. Vous avez des solutions. En avez‑vous parlé au gouvernement? Avez-vous parlé à vos députés ou à des ministres pour faire valoir vos points de vue? Avez-vous obtenu des réactions du gouvernement? Sont-ils favorables à ce que vous proposez?

M. Moffatt : Il y a eu la Commission sur les relations de travail, dont vous avez le rapport et les recommandations. Ce ne sont évidemment pas les nôtres, mais on vous en a parlé ici ce soir, et je suis sûr que d’autres témoins vous en ont parlé aussi. Le médiateur spécial est une recommandation intéressante.

Je dirais que le gouvernement fait de la politique électorale depuis presque 12 mois.

La sénatrice Dasko : Plusieurs siècles.

M. Moffatt : Oui. Il est très difficile de parler de la question des syndicats dans ce contexte. La création de la Commission sur les relations de travail était donc la bonne chose à faire.

Les entreprises, les syndicats et le gouvernement doivent s’asseoir ensemble et discuter des mesures à prendre pour garantir que l’activité économique n’est pas entravée quand des transports essentiels risquent d’être interrompus en raison d’un conflit de travail.

Le sénateur Wilson : Ma question s’adresse à Mme Anderson, de la chambre de commerce du Grand Vancouver. Mme Anderson et moi-même avons fait l’expérience d’un certain nombre de conflits dans les ports du Grand Vancouver. Je voudrais parler plus précisément des recommandations de Ready et Rogers. Vous avez dit que vous les appuyez.

Ma question est la suivante : ne faudrait-il pas faire plus? J’ai hâte de pouvoir poser des questions à la ministre au sujet des recommandations de Ready et Rogers quand elle viendra, comme nous l’espérons, rencontrer le comité dans le cadre de cette étude, mais il s’agit surtout du côté portuaire, et nous examinons également le côté ferroviaire.

D’après ma propre expérience, la menace d’une grève est parfois aussi préjudiciable qu’une grève. Les représentants de sociétés de chemin de fer qui ont témoigné nous ont dit qu’il leur faut des semaines pour se préparer, de sorte qu’ils commencent à réduire les activités longtemps avant un éventuel conflit de travail. Du côté maritime, on sait que les expéditeurs détournent des cargaisons vers d’autres ports — malheureusement vers des ports américains dans le cas de la côte Ouest — et que cela entraîne un risque pour la souveraineté.

Outre les recommandations de Ready et Rogers, le comité devrait-il envisager de recommander des mesures concernant les dispositions relatives aux services essentiels, en élargissant celles-ci pour y inclure des facteurs économiques?

Faudrait-il également examiner l’article 107? Celui-ci, justement, fait actuellement l’objet d’une contestation en raison de l’usage général et systématique qui en a été fait. Peut-être qu’en y ajoutant certains paramètres, il pourrait devenir un instrument plus utile et productif. Qu’en pensez-vous?

Mme Anderson : Je vous remercie de la question, sénateur. La chambre de commerce s’est exprimée haut et fort sur les possibilités qui s’offrent à nous. Nous sommes à un moment critique de notre économie. Nous faisons face à beaucoup d’incertitude. La croissance économique est à la traîne et les coûts augmentent, pour les entreprises comme pour les familles.

Dans ce contexte, donc, oui, il faudrait non seulement que le Canada et le gouvernement fassent tout pour régler la situation particulière qui nous occupe — et cela devient alors politique —, mais que les gens et les organisations défendent l’économie nationale dans son ensemble pour que nous gardions prioritairement à l’esprit la croissance économique et notre réputation de partenaire commercial national.

Comme vous le dites, la simple menace d’un arrêt de travail nous nuit et nuit à notre capacité de rester un partenaire commercial fiable.

Beaucoup de nos membres veulent une définition plus large des services essentiels, tout en reconnaissant que le gouvernement a un rôle à jouer à l’égard de la chaîne d’approvisionnement. Qu’il s’agisse de la productivité ou de la consolidation de la chaîne d’approvisionnement, il est temps pour le Canada d’agir compte tenu de la menace qui nous vient des États-Unis.

Il faut s’attaquer au problème sur plusieurs fronts, qu’il s’agisse des services essentiels, de l’article 107 ou de nos chaînes d’approvisionnement. Tout le monde devrait être sur le pont — pardonnez le jeu de mots —, mais, en fait, il nous incombe à tous d’unir nos efforts pour trouver des solutions qui garantiront notre croissance et notre puissance économiques.

Le sénateur Lewis : J’ai une question pour M. Procyk. Je vous remercie de votre exposé. Comme ancien président de l’APAS, je ne crois pas que j’aurais pu mieux dire. Merci beaucoup.

On parle beaucoup de notre réputation internationale, etc., et il est vrai qu’une grande partie des produits agricoles de la Saskatchewan est exportée à l’étranger. Pourriez-vous nous dire en quoi ce préjudice à notre réputation nous affecte à court et à long terme?

M. Procyk : Pour commencer, notre service ferroviaire est considéré, dans le meilleur des cas, comme douteux. En cas de perturbation ferroviaire ou portuaire, la situation devient encore plus flagrante.

Durant la période du premier groupe de témoins, le sénateur Quinn a parlé de la diversification du commerce. La diversification du commerce vers tous ces pays, en dehors de la Chine, des États-Unis et d’autres est un bel argument de vente. Mais, si nous ne pouvons pas acheminer les marchandises au port ou à bord d’un navire pour le livrer au client final, cela ne veut rien dire.

Notre réputation est donc déjà ternie par le manque de service vers le port et à partir du port. Je ne sais pas ce que nous pouvons encore tolérer sans compromettre notre réputation de partenaire fiable et digne de confiance.

Le sénateur Lewis : J’ai une deuxième question. Quand les ports sont fermés ou que, à cause d’un arrêt du transport ferroviaire, il n’y a pas assez de céréales pour remplir un navire, qui paie pour le navire immobilisé, parfois renvoyé jusqu’à Victoria sur la côte Ouest? Qui paie pour cela?

M. Procyk : Je crois que c’est vous et moi, sénateur Lewis, comme agriculteurs de la Saskatchewan, ou comme n’importe quel agriculteur. Cela passe par toute la chaîne pour atterrir sur le pas de notre porte.

Le sénateur Lewis : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : J’aimerais commencer par Mme Anderson. Je suis déconcertée. Je ne savais pas combien de syndicats, combien d’unités de négociation étaient en jeu dans le port de Vancouver. Quand le sénateur Wilson et d’autres témoins ont soulevé la question, je me suis dit, évidemment, qu’il devrait y en avoir moins; ce serait plus sensé.

Et puis les représentants syndicaux sont venus témoigner et ont fait valoir un excellent argument, à savoir que, en vertu de la Constitution, ils bénéficient de la liberté d’association et qu’on ne peut pas les pousser à créer un seul grand syndicat.

Vous qui comprenez l’économie commerciale de Vancouver sous divers angles, pensez-vous qu’il y aurait moyen de convaincre les gens de négocier ensemble dans leur propre intérêt plutôt que d’adhérer à un modèle en raison de pressions externes les incitant à former un seul syndicat s’ils préfèrent ne pas le faire?

Mme Anderson : Je vous remercie de la question, sénatrice. Vince Ready a fait une recommandation concernant l’accréditation géographique, à laquelle nous serions favorables, et, si je me souviens bien, cela couvrirait tout, sauf les terminaux de Trigon et de Westshore. Lui et Amanda Rogers sont les experts en la matière.

Il serait, en effet, très utile d’avoir une certaine accréditation géographique et de permettre à ces syndicats de se rassembler et de négocier ensemble. Le nombre des syndicats en jeu faisait partie du problème à Vancouver au moment de la grève.

Donc, je le répète, pour la chambre de commerce du Grand Vancouver, il s’agit de prendre du recul et de tenir compte des intérêts économiques à l’échelle nationale, en partant du principe que le meilleur accord est toujours négocié, mais la question est de savoir quelle est la meilleure voie à suivre. Et, si l’on ne parvient pas à un accord, c’est alors qu’il faut recourir à d’autres moyens.

La sénatrice Simons : Monsieur Moffatt, vous avez parlé de la façon dont l’article 107 serait fonctionnel ou dysfonctionnel. En vous écoutant, je me suis rendu compte que — la nature humaine étant ce qu’elle est — le gouvernement s’est montré vraiment enclin à invoquer l’article 107 inlassablement au cours des 12 ou 18 derniers mois.

Cela ne rend-il pas les grèves plus probables, puisque tout le monde sait que Papa va rentrer à la maison et régler le problème, de sorte que les gens passent à l’acte? Ils savent que les répercussions ne se feront pas sentir puisque le gouvernement est censé intervenir.

Je ne vous pose pas la question en votre qualité de président‑directeur général de l’Association canadienne de l’industrie de la chimie, mais comme être humain et observateur de la nature humaine. Le recours automatique à l’article 107 ne risque-t-il pas de multiplier la probabilité de grèves plutôt que le contraire?

M. Moffatt : Pour répondre à cette question, je vais vous parler des États-Unis. La U.S. Railway Act réglemente le transport ferroviaire et le transport aérien, et le processus qui permet de garder les parties à la table de négociation est très long.

Aux États-Unis, le Congrès est absolument résolu à préserver le commerce entre les États et il considère que c’est sa fonction première et sa principale responsabilité; cela transcende les lignes de parti. Ce n’est pas nécessairement le cas chez nous. Je ne suis pas un expert en droit du travail. Je comprends pourquoi les entreprises licencient des travailleurs et pourquoi les syndicats déclenchent des grèves. Il se peut qu’ils fassent ce genre de calcul, mais c’est difficile à dire. À mon avis, il vaudrait mieux se concentrer sur les moyens de garder les parties à la table de négociation le plus longtemps possible.

Quant aux gouvernements — pas seulement le gouvernement fédéral, mais aussi les gouvernements provinciaux —, ils devraient veiller à faire comprendre que notre économie est très dépendante. Qu’il s’agisse de céréales, de protéines, de produits chimiques ou de biens durables, notre économie a besoin d’un réseau de transport fonctionnel. Et la situation s’est parfois détériorée dans les dernières années.

La sénatrice Simons : Il me semble cependant qu’il y ait une différence. Quand on parle de services essentiels, on parle généralement du secteur public. Et on parle d’infirmières et de pompiers dont l’absence entraînerait la mort de personnes, non pas hypothétiquement dans trois semaines, mais dans un délai de 20 minutes.

Il me semble que ce vocabulaire, quand on parle d’entreprises du secteur privé qui font des choses que nous considérons comme très importantes et qui sont essentielles avec un petit « e » pour notre avenir commercial ou notre réputation mondiale, ou même dans le cas dont vous avez parlé, pour avoir de l’eau potable deux semaines d’avance, il me semble, dis-je, que ce n’est pas la même chose qu’un travailleur essentiel qui va vous mettre un garrot parce que vous êtes en train de saigner.

M. Moffatt : Je ne suis pas nécessairement en train de dire que nous demandons que les travailleurs du secteur des transports soient considérés comme essentiels, mais l’économie est un facteur important. Il y a un équilibre entre la désignation de services jugés essentiels et l’utilisation des moyens permettant aux parties de négocier le plus longtemps possible afin qu’il soit le plus difficile possible de déclencher une grève ou un lockout. C’est vraiment ce que nous souhaitons.

Le sénateur Quinn : J’ai un commentaire pour M. Procyk. Hier, on nous a dit que ce n’est pas une décision facile pour les travailleurs de déclencher une grève ou de faire grève parce que cela touche leurs familles, qu’ils essaient de nourrir leur famille, etc.

Vous nous avez rappelé ce soir que les grèves ont des répercussions en aval sur la chaîne d’approvisionnement, et donc sur les familles qui sont touchées par l’interruption du transport de marchandises et par l’interruption de la chaîne. Je vous remercie de nous avoir rappelé cette incidence plus large.

Je reviens à vous, monsieur Moffatt, parce que vous avez parlé de l’article 107. Vous avez entendu ce que j’ai dit, et je n’entrerai donc pas dans les détails, mais seriez-vous en faveur de l’idée de donner au Cabinet une capacité semblable à celle qu’il a pendant les périodes électorales, afin qu’il puisse faire une pause pour permettre au Parlement de débattre de la question de savoir s’il devrait y avoir une loi de retour au travail?

M. Moffatt : Je crois que ce serait une mesure valable à envisager.

Le sénateur Quinn : Vous avez parlé du transport par train de certaines marchandises essentielles, mais l’article 87.4 parle de risques « imminents ». En 2001, le CCRI a rendu une décision selon laquelle on considère généralement que le danger doit être à court terme, et pas nécessairement immédiat, voire sous quelques jours. Pourtant, certains produits comme le chlore et le propane sont transportés en vrac partout au pays, notamment en Ontario, au Québec et dans la région de l’Atlantique, et ils sont parfois oubliés dans les décisions du CCRI, qui estime qu’ils peuvent être acheminés par d’autres moyens, par camion par exemple.

Selon vous, le CCRI a-t-il raison — peut-on remplacer les trains par des camions?

M. Moffatt : C’est possible pour certaines marchandises, mais j’ai précisé dans mon exposé qu’il faut trois camions pour chaque wagon. Pour certaines installations, cela représente 240 camions par jour. Ces camions n’attendent pas que le problème soit réglé. Il y a une concurrence avec d’autres secteurs. Ce n’est pas nécessairement une solution.

Le sénateur Quinn : Faudrait-il supprimer le mot « imminents », d’après vous?

M. Moffatt : Oui.

Le sénateur Quinn : Merci. Le conseil a également décidé qu’il n’acceptait pas que le transport par camion ne soit pas une solution de rechange au transport des produits nécessaires au fonctionnement d’activités essentielles, comme le traitement de l’eau. Êtes-vous d’accord?

M. Moffatt : Le chlore est fabriqué au Canada, à Vancouver, près de Saskatoon et au Québec. Il est acheminé sur de longues distances dans des wagons. C’est très réglementé, et il faudrait donc discuter du transport du chlore par camion-citerne sur de longues distances, précisément pour les besoins de traitement de l’eau.

Le sénateur Quinn : C’est exactement ce que j’essaie de dire. Le CCRI ne devrait-il pas avoir l’obligation de faire appel à des experts quand il n’a peut-être pas le savoir nécessaire pour prendre des décisions, pour les entendre et se faire ainsi une idée de ce que cela signifie pour l’acheminement de marchandises essentielles?

M. Moffatt : L’endroit le plus sûr pour le chlore, une fois fabriqué, c’est un wagon. Les wagons sont conçus pour résister à des chocs extrêmes et pour préserver le fonctionnement du conteneur. L’endroit le plus sûr pour le chlore, une fois fabriqué et avant d’être utilisé dans une installation de traitement des eaux usées, c’est un wagon-citerne. Les choses se passent autrement dans un camion-citerne. Ce sont des contenants d’une tonne qui sont acheminés, mais ces contenants sont extrêmement robustes. Le chlore est transporté par camion sur de courtes distances en petites quantités.

Le sénateur Quinn : Qu’il s’agisse des professions de la santé ou d’autres, le CCRI intervient dans un très grand nombre de situations syndicales, comme l’a rappelé mon collègue. On parle ici de transport.

M. Moffatt : En effet.

Le sénateur Quinn : Certaines de ses décisions donnent à penser qu’il ne comprend peut-être pas complètement les enjeux et les réalités de la chaîne d’approvisionnement. Devrait-il être tenu de faire appel à des gens qui ont une expertise et qui peuvent le conseiller?

M. Moffatt : Oui.

Le sénateur Quinn : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Nous avons accueilli avant vous la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, qui a proposé une piste de solution : à chaque grève qui s’annonce, on aurait une tierce partie qui mesurerait les effets possibles de la grève sur les petites et moyennes entreprises et on déciderait par la suite si une grève générale est autorisée. Il pourrait y avoir des moyens de pression plus locaux, des grèves tournantes, mais pas de grève générale.

Est-ce que vous croyez que c’est une façon intéressante de procéder? Vous nous avez parlé de changer l’article 107 et de donner plus de pouvoir au gouvernement, mais est-ce que cette façon de faire vous semble prometteuse?

[Traduction]

M. Moffatt : Les syndicats et les employeurs sont maintenant tenus de donner un préavis, pour qu’on ait une idée du moment où une grève aura lieu.

La Commission sur les relations de travail a proposé de désigner un médiateur spécial qui ferait appel à des instruments permettant que les parties continuent de négocier le plus longtemps possible. À vrai dire, on pourrait cibler l’infrastructure de transport essentielle — les chemins de fer et les ports — pour ce processus plus spécialisé et détaillé afin que les parties puissent continuer à discuter. Il faudrait que je comprenne mieux ce dont parlait la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.

Je rappelle que, dans la plupart des cas — et je crois l’avoir déjà dit —, les conflits de travail sont réglés sans problème. Très peu en arrivent au point où il y a une grève, et la grève a de graves conséquences sur l’économie, comme cela a été le cas des grèves dans les chemins de fer l’an dernier. Il faut essayer de trouver une solution qui permette au processus de négociation collective de suivre son cours et qui rende très difficile le recours à la grève ou au lockout. Au final, en cas de grève ou de lockout, le gouvernement doit avoir les outils et la volonté nécessaires pour relancer l’économie.

Dans le domaine de la chimie, les effets se font sentir bien avant la grève, parce que nos membres commencent déjà à réduire leur production dans un délai de 7 à 10 jours. Ces entreprises fonctionnent 365 jours par an, 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Les produits qu’elles fabriquent vont dans des wagons qui doivent circuler. Dès qu’il y a menace de grève, ces entreprises doivent songer à modifier leur production en fonction du nombre de wagons disponibles. C’est immédiat. Ce n’est pas seulement le cas pour le secteur de la chimie; beaucoup d’autres secteurs ont le même problème.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Rapidement, vous avez dit qu’aux États-Unis, il y a une culture du consensus pour qu’il n’y ait pas de grève des chemins de fer. Il y a quand même eu une grave menace de grève dans les ports au début de 2025. Les États-Unis ne sont pas sans problème eux non plus. Cependant, sur la question des ports, est-ce exceptionnel ce qui s’est passé avec l’International Longshoremen’s Association, ou est-ce qu’il y a aussi des grèves là-bas?

[Traduction]

M. Moffatt : Des grèves sont possibles aussi aux États-Unis. Et elles seront toujours possibles ici, au Canada. Il s’agit simplement de déterminer le meilleur moyen de garder les parties à la table de négociation le plus longtemps possible, et, si une grève est déclenchée, le gouvernement doit avoir les bons outils pour agir très rapidement afin de préserver le bien-être économique du pays.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Merci aux témoins. J’ai beaucoup apprécié vos réponses jusqu’à présent. C’est très intéressant. Vous avez donné plusieurs suggestions que le gouvernement pourrait appliquer.

Ma seule petite question concerne l’article 107. Il se pourrait qu’il soit invalidé par la cour et que l’on se trouve sans article 107. Nonobstant le fait que l’article 107 existe déjà, est-ce que toutes les mesures que vous avez déjà suggérées devraient être prises et appliquées concrètement, pour que les négociations puissent continuer aussi longtemps que nécessaire afin d’éviter la grève?

[Traduction]

Mme Anderson : Merci beaucoup, sénateur. Il y a deux ou trois choses qu’il ne faut pas oublier. Nous sommes convaincus que l’article 107 est un instrument légitime et que d’autres outils devraient être mis à disposition pour maintenir l’activité économique. Il faut aussi rappeler que l’article 107 n’empêche pas les parties de revenir à la table pour conclure un règlement négocié. D’après ce que je comprends, la grève dans les ports a donné un exemple de règlement négocié après l’entrée en vigueur de l’article 107.

D’après nous, compte tenu des ramifications économiques et des répercussions sur notre réputation de stabilité comme partenaire commercial, cela devient la priorité s’il n’y a pas d’entente négociée. Le meilleur moyen d’en arriver à une entente est de négocier, mais, si ce n’est pas possible, il faut accorder la priorité à l’économie, à nos chaînes d’approvisionnement et à la circulation des marchandises, ainsi qu’à notre réputation commerciale. Je ne sais pas si cela répond à votre question au sujet de l’article 107.

La sénatrice Mohamed : Tout d’abord, sachez que j’apprécie, chez vous trois, la spécificité des points de données que vous fournissez. À cet égard, on nous a beaucoup parlé de « préjudice économique ». Pourriez-vous nous dire comment, selon vous, on devrait définir cette notion? Est-ce une formule? S’agit-il d’un seuil? La raison de ma question est qu’on nous a souvent dit à quel point l’ambiguïté est ce qui retient les gens, et c’est de clarté que nous avons besoin. Comment contourner ce problème? Beaucoup de témoins nous ont dit que les préjudices économiques devraient entrer en ligne de compte.

Je m’adresse aux trois témoins. J’aimerais que vous réfléchissiez à la question suivante : comment définir cette notion?

M. Moffatt : La notion de préjudice économique concerne, selon moi, la portée générale de ce préjudice. Dans le cas des deux chemins de fer de catégorie I, on n’a pas le choix. Quand un port ferme, on n’a pas le choix. La capacité de basculer vers une autre solution est très limitée. Pour moi, le préjudice économique est lié à l’ampleur des répercussions sur l’économie. Ce pourrait être une façon de définir plus précisément ce préjudice.

Le président : Madame Anderson, pourriez-vous nous donner votre avis?

Mme Anderson : Certainement. Merci beaucoup. Pendant la grève dans les ports, nous avons lancé le programme Port Shutdown Calculator, qui était une sorte de compteur des dommages économiques, si vous voulez, et cela a permis d’illustrer et de comprendre les répercussions économiques générales. Concernant les ports et les chemins de fer, on pourrait peut-être comparer avec la situation aux États-Unis. S’il y avait une grève chez Delta Air Lines, par exemple, d’autres transporteurs pourraient intervenir et se charger du fret et des passagers. Mais le Canada est un pays vaste, et les solutions de transport des marchandises et des personnes y sont très limitées. Il faut donc fixer des priorités. Autrement dit, en matière de préjudice économique, il y a les chiffres, mais il faut aussi comprendre qu’il n’y a pas beaucoup de solutions de rechange au Canada. Nous sommes un pays immense, et nous dépendons vraiment du commerce, non seulement à l’intérieur de nos frontières, mais aussi à l’extérieur. Il faut reconnaître que ce sont là certains des critères dont il faut tenir compte.

Le président : Allez-y, monsieur Procyk.

M. Procyk : Je suis d’accord avec une bonne partie de ce qui a déjà été dit. Concernant l’agriculture, on peut comprendre certains des chiffres en tenant compte du prix de référence d’un mois à l’autre ou d’une semaine à l’autre, et du coût des surestaries, dont le sénateur Lewis a parlé, en raison de l’immobilisation de nombreux navires, de l’attente des wagons à remplir et du manque de roulement dans l’espace des silos au pays. Il y a beaucoup de chiffres. Ce qui est difficile, c’est de les rassembler et d’en tirer des conclusions, parce qu’il y en a beaucoup.

Dans le secteur de l’agriculture, on peut, à l’échelle systémique, rassembler certains de ces chiffres, et je pourrai essayer de vous soumettre quelque chose, mais ce sera complexe, et je ne vous envie pas la tâche qui vous attend.

J’aimerais aussi faire suite à la question précédente au sujet des mesures, c’est-à-dire que plus il y a d’instruments à disposition, meilleure sera la solution. Qu’il s’agisse de l’article 107 ou des amendements proposés, plus le gouvernement disposera d’instrument pour affronter une situation donnée, plus les mesures qu’il prendra seront appropriées.

Le président : Merci. Monsieur Moffatt, pour conclure, avez‑vous un dernier commentaire à faire à ce sujet?

M. Moffatt : J’ai déjà eu l’occasion de commenter cette notion de préjudice économique. Mais il faudrait préciser le libellé du règlement en matière de sécurité publique et de santé des Canadiens. Il n’y a aucune raison que le préjudice économique ne fasse pas partie de la discussion et de la perspective du gouvernement dans la gestion d’un arrêt de travail.

Le président : Merci à tous les témoins. Nous sommes au terme de notre réunion, et je tiens à vous remercier tous d’être venus aujourd’hui. Nous vous en sommes reconnaissants.

Monsieur Procyk, si vous avez quelque chose à nous communiquer par écrit, puisque vous avez parlé d’autres réponses possibles, le mercredi 26 novembre serait la date limite pour le faire. Nous vous en serions donc très reconnaissants.

Avant de lever la séance, j’aimerais rappeler à mes collègues que notre prochaine réunion aura lieu le mardi 18 novembre à 9 heures. Avant de terminer, je tiens à remercier toute l’équipe de soutien du comité, aussi bien les personnes qui se trouvent devant la salle que celles qui sont en coulisse et qu’on ne voit pas. Merci à tous de votre travail, qui contribue énormément au succès du travail de notre comité.

(La séance est levée.)

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