LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 18 novembre 2025
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le maintien des activités ou des services essentiels dans les secteurs ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale en cas de conflit de travail.
Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices.
Avant de commencer, je vous invite à prendre connaissance des cartes placées sur les tables dans la salle du comité pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son.
[Traduction]
Gardez votre oreillette éloignée de tous les microphones en tout temps. Ne touchez pas aux microphones. Leur activation et leur désactivation sont contrôlées par l’opérateur de la console. Enfin, évitez de manipuler votre oreillette lorsque le microphone est activé. Elle doit rester dans votre oreille ou être placée sur l’autocollant apposé sur la table devant vous. Je vous remercie tous de votre coopération.
Nous avons eu quelques incidents — à titre d’information pour les nouveaux venus — il y a quelques mois, où nous avons dû prendre certaines mesures visant à garantir que nous protégeons les personnes à l’arrière qui assurent la coordination de nos activités.
Je m’appelle Larry Smith. Je suis un sénateur du Québec et le président du comité. Bien sûr, je suis triste, parce que les Alouettes de Montréal, pour qui j’ai joué pendant neuf ans, ont perdu, mais je suis très heureux pour les Roughriders de la Saskatchewan, parce qu’ils méritent cette occasion. Marv Levy est un entraîneur de la LCF et de la NFL inscrit au Temple de la renommée, et il nous disait autrefois : « Un seul jeu peut déterminer un match. » En 1975, il faisait -32 degrés à Calgary pendant notre match de la Coupe Grey. Le dernier jeu du match a été celui de Don Sweet, notre botteur qui n’avait jamais manqué un placement. À partir de la ligne de 19 verges, il a raté le botté. Nous avons perdu 9 à 8. Alors un seul jeu peut déterminer le match. Lorsque vous vous trouvez sur la ligne de trois verges et que la Saskatchewan essaie de vous repousser, que vous êtes frappé et que vous échappez le ballon, non seulement vous ne reviendrez pas l’année prochaine, mais vous avez de gros ennuis parce que vous avez perdu le match.
La Saskatchewan et les gens là-bas ont vraiment tout donné, tout comme leur quart-arrière, Trevor Harris. Il a 39 ans, alors 13 ans… quel accomplissement pour lui et pour l’équipe.
Désolé, c’était mon petit épilogue pour aujourd’hui.
Je vais maintenant inviter mes collègues à se présenter.
La sénatrice Simons : Je ne sais pas du tout comment poursuivre. Je suis la sénatrice Paula Simons. Je viens de l’Alberta, du territoire visé par le Traité no 6, qui accueille les Elks d’Edmonton.
Le sénateur Wilson : Je suis Duncan Wilson, sénateur de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, sénateur du Nouveau-Brunswick. Nous n’accueillons aucune équipe de la LCF.
[Français]
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Robinson : Bonjour et bienvenue. Mary Robinson, représentant l’Île-du-Prince-Édouard, qui n’a pas non plus d’équipe de la NFL.
La sénatrice Mohamed : Bonjour. Je suis Farah Mohamed, de l’Ontario.
Le sénateur Lewis : Todd Lewis, sénateur de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec. Je ne regarde malheureusement pas le football.
Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario. Les Jays et les Raptors sont mes équipes.
Le président : Je suis ravi que tout le monde ait pu libérer ce trop-plein d’énergie.
J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont avec nous aujourd’hui ainsi qu’à ceux qui nous écoutent en ligne sur le site Web du Sénat, sencanada.ca. Nous nous réunissons ce matin pour poursuivre notre étude sur le maintien des services de transport en cas de conflit de travail.
J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons M. Bill Prybylski, directeur de la Fédération canadienne de l’agriculture. Nous recevons M. Scott Hepworth, président, et Mme Kate Sauser, gestionnaire de politiques, des Producteurs de grains du Canada. M. Russ Mallard, président du Conseil des viandes du Canada, est avec nous. Bien sûr, nous n’oublierons jamais M. Ian Petrie, qui vient de l’Île-du-Prince-Édouard et a été animateur à CBC pendant 40 ans. Son père m’a opéré au genou gauche en 1964. Merci beaucoup. M. Petrie était un diplômé de l’Université Bishop et un gars formidable. Je suis très heureux de vous entendre parler de ses progrès. Nous accueillons également Mme Lauren Martin, directrice, Affaires publiques et conseillère juridique d’entreprise, du Conseil des viandes du Canada. Merci à vous tous de vous joindre à nous aujourd’hui.
Les témoins présenteront des déclarations liminaires d’environ cinq minutes. Veuillez vous en tenir à cinq minutes pour que nous puissions poser le plus de questions possible. Vos observations seront suivies par une séance de questions et de réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant M. Prybylski à présenter sa déclaration liminaire.
Bill Prybylski, directeur, Fédération canadienne de l’agriculture : Bonjour et merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis un agriculteur du Centre‑Est de la Saskatchewan et membre du conseil d’administration de la Fédération canadienne de l’agriculture. La FCA est la plus grande organisation agricole générale du Canada et elle représente plus de 190 000 agriculteurs et familles agricoles au Canada.
La fiabilité du transport ferroviaire et maritime est essentielle aux agriculteurs. Mon exploitation agricole produit des grains, des oléagineux et des légumineuses. L’an dernier, nous avons récolté plus de 900 000 boisseaux, dont 867 000 devaient être commercialisés pendant l’année afin de générer les liquidités nécessaires pour nous permettre de mener nos activités. Sur notre ferme, nous devons générer environ 8,2 millions de dollars annuellement pour couvrir le coût des intrants, comme les engrais, les semences, les salaires, les assurances, les taxes et d’autres choses encore.
Nous ne sommes pas payés pour produire une culture; nous ne sommes payés que lorsqu’elle est livrée.
Dans l’ensemble, je sais à quel moment des liquidités sont nécessaires pour honorer nos engagements financiers, et nous utilisons des contrats à livraison différée pour aligner les ventes sur ces besoins financiers; mais nos fenêtres de livraison sont beaucoup plus étroites que ce que pensent la plupart des gens. C’est pourquoi la fiabilité du transport ferroviaire et maritime est si essentielle pour les agriculteurs. Toute perturbation — comme une grève, un lockout ou un ralentissement dû à la météo — crée un effet domino qui ralentit le mouvement des céréales jusqu’à la porte de la ferme. Lorsque cela se produit, nous ne pouvons pas respecter nos contrats ou nos obligations financières. Nous sommes contraints de recourir aux marges de crédit bancaires, lesquelles comportent des frais d’intérêt qui réduisent davantage des marges déjà serrées.
De plus, les frais de surestarie, les pénalités imposées lorsque les wagons ou les navires sont retardés, s’accumulent dans le système et finissent par nous être refilés à nous, les agriculteurs.
Ce qui est peut-être le plus dommageable, ce sont les atteintes à la réputation. Les entreprises canadiennes, comme la mienne, comptent sur les marchés d’exportation. La viabilité de notre exploitation dépend de la réputation du Canada en tant que partenaire commercial fiable. Tandis que nous cherchons à diversifier nos activités commerciales en réponse aux récentes perturbations commerciales, cette réputation est primordiale. Nous sommes à un moment où un seul conflit de travail pourrait paralyser les expéditions agricoles. Pourtant, le Canada a connu plus de 62 arrêts de travail causés par le transport au cours des deux dernières années seulement, y compris le premier double conflit de travail jamais vu, ce qui a une incidence sur le service ferroviaire assuré par les deux chemins de fer de classe 1.
Le niveau de vie du Canada, en tant que grand pays exportateur, est étroitement lié à la circulation ininterrompue des marchandises, en particulier des produits agricoles et agroalimentaires, qui ont généré plus de 100 milliards de dollars en exportations en 2024. Les conflits de travail prolongés ou envisagés compromettent notre fiabilité en tant que partenaire commercial et poussent les clients internationaux à se tourner vers la concurrence, réduisant ainsi notre avantage concurrentiel. À titre d’exemple, les conflits de travail comme les grèves du Port de Montréal en 2020 ont entraîné le détournement d’expéditions et des pertes de ventes de 600 millions de dollars, ce qui montre l’impact financier réel sur les entreprises canadiennes.
C’est pourquoi nous recommandons que le gouvernement lance immédiatement des consultations visant à examiner les causes profondes de ces conflits de travail afin qu’ils ne se produisent pas à chaque négociation de contrat.
Nous recommandons également l’élaboration d’un processus clair, transparent et accéléré visant à régler les conflits de travail, qui s’appuie sur les recommandations décrites dans le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest, publié en mai 2025. Les conclusions de la commission soulignent à quel point ces ports sont essentiels à l’économie canadienne, à notre réputation en tant que pays commercial fiable et aux innombrables entreprises et travailleurs dont le gagne-pain dépend d’activités portuaires uniformes ininterrompues. Le rapport est clair : même de courte durée, une perturbation peut avoir un effet d’entraînement dramatique sur la chaîne d’approvisionnement, notamment sur les chemins de fer, le camionnage et les agriculteurs comme moi. Cela souligne le besoin urgent d’une plus grande stabilité, de coopération et de relations de travail modernisées afin de garantir le respect des droits des travailleurs, tout en protégeant l’intérêt national en maintenant des réseaux de transport fiables.
Pour l’agriculture canadienne, il est essentiel de trouver ce juste équilibre.
L’agriculture dépend de la stabilité des réseaux de transport essentiels. C’est la différence entre respecter nos obligations financières et faire face à des perturbations coûteuses dont il n’est pas facile de se remettre.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et je suis impatient de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Prybylski. Nous invitons M. Hepworth à présenter sa déclaration liminaire.
Scott Hepworth, président, Producteurs de grains du Canada : Je suis un producteur de grains d’Assiniboia, en Saskatchewan, au sud de Moosejaw. Je suis également président des Producteurs de grains du Canada, ou PGC. Je suis accompagné aujourd’hui par Kate Sauser, gestionnaire de politiques de PGC.
En tant que porte-parole national des agriculteurs du Canada, les PGC représentent plus de 70 000 producteurs faisant partie de nos 14 groupes d’agriculteurs nationaux, provinciaux et régionaux. Nos membres gèrent 110 millions d’acres de terres destinées à faire pousser de la nourriture pour les Canadiens et pour 160 autres pays du monde, créant annuellement l’équivalent de 45 milliards de dollars de valeur d’exportation. En tant qu’association du secteur céréalier axée sur les agriculteurs, les PGC défendent les politiques fédérales qui appuient la compétitivité et la rentabilité des producteurs de grains à l’échelle du pays.
Nous remercions le comité de nous avoir invités aujourd’hui. Pour ce qui est des producteurs de grains, 2024 a été et sera reconnue comme l’année des perturbations de travail majeures qui ont eu une grande incidence sur les exploitations agricoles céréalières familiales du pays.
En août dernier, le Canada a connu, pour la première fois de son histoire, un double arrêt de travail de la part de nos deux principaux chemins de fer : le CN et le CPKC. Cette perturbation de travail est arrivée en plein milieu des récoltes, lorsque les transports ferroviaires sont le plus essentiels pour transporter les récoltes jusqu’aux marchés. En fait, notre recherche à l’époque a démontré que l’impact initial coûte aux producteurs de grains canadiens plus de 43 millions de dollars par jour, et ce chiffre augmentait à 50 millions de dollars par jour tout au long de l’arrêt de travail.
Cette grande perturbation de travail a été suivie par celle, en septembre, du Grain Workers Union, section locale 333, au Port de Vancouver, qui a cessé toutes ses expéditions de grains en vrac. Les silos terminaux du port reçoivent plus de 50 % de tous les grains produits au Canada, ce qui en fait le port le plus important pour les agriculteurs céréaliers. Selon les données de la Commission canadienne des grains, l’arrêt de travail a bloqué l’expédition de près de 100 000 tonnes métriques de grains par jour, entraînant une perte quotidienne de 35 millions de dollars en exportations potentielles.
Ces grandes perturbations de travail, ainsi que d’autres, dont celle de l’International Longshore and Warehouse Union ces dernières années, ont eu un effet dévastateur sur le secteur des grains du Canada. Lorsque le grain ne peut se déplacer à cause d’un arrêt sur nos chemins de fer ou à nos terminaux de grains, cela empêche les producteurs de vendre leurs cultures à des moments opportuns, et leur coûte ainsi des dizaines de millions de dollars.
Le coût pour les agriculteurs céréaliers est encore plus élevé pendant la saison des récoltes, comme nous l’avons vu en 2024.
Les conflits de travail non seulement font perdre de l’argent aux producteurs, mais ils nuisent à la réputation du Canada comme fournisseur de grains de qualité.
Lorsque j’ai participé à une mission commerciale en Afrique du Nord en 2018, où on importe beaucoup de notre blé dur, une chose m’est apparue très évidente : nous avons la réputation de produire parmi les cultures de la plus grande qualité qui soit. Le blé dur est la principale importation de l’Afrique du Nord. Mais nous avons également la réputation de ne pas être fiables, et je pense que je suis surtout ici aujourd’hui pour parler de notre fiabilité et de la réputation de ne pas être fiables que nous sommes en train de nous tailler.
Cela dit, il n’y a pas de solution magique pour s’assurer que le grain continue de circuler et que la négociation collective continue d’être respectée. Cependant, pour veiller à ce que les agriculteurs céréaliers soient soutenus et que nous puissions continuer de livrer du grain et des produits céréaliers de grande qualité à l’échelle mondiale, le gouvernement du Canada doit trouver une meilleure voie à suivre. Chez nous, il existe différentes options comme la désignation de service essentiel, l’arbitrage exécutoire et les dispositions du Code canadien du travail.
À l’étranger, comme aux États-Unis, où existe la Rail Labour Act, on a trouvé des moyens de concilier la croissance économique et les relations de travail.
À cette fin, il est primordial que le gouvernement prenne cette question au sérieux et consulte les parties prenantes touchées afin de créer un meilleur système. S’il ne le fait pas, les agriculteurs céréaliers continueront de subir des conséquences annuellement, et les clients internationaux se tourneront vers d’autres marchés.
Je vous remercie de votre temps et je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci. M. Mallard peut maintenant présenter sa déclaration liminaire.
Russ Mallard, président, Conseil des viandes du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Mme Martin prendra la parole en premier.
Lauren Martin, directrice, Affaires publiques et conseillère juridique d’entreprise, Conseil des viandes du Canada : Nous présenterons des déclarations liminaires conjointes. Merci. Je pleure toujours la défaite des Blue Jays en séries mondiales. Dans un autre ordre d’idées, nous sommes heureux de fournir nos commentaires sur cette étude aujourd’hui. Nous pensons qu’elle arrive à un moment critique. Nous devons réaliser tous les gains d’efficience possible en ce qui concerne la circulation des marchandises. Vous avez maintenant l’occasion, avec cette étude, d’entendre plusieurs intervenants. Ce que mon président et moi voulons faire aujourd’hui, c’est parler des réalités uniques de notre secteur d’activité, c’est-à-dire celui de la transformation des viandes. Le Conseil des viandes du Canada représente les transformateurs de viande titulaires de permis fédéraux, qui comptent pour plus de 95 % des produits du bœuf et du porc du Canada. La viande produite par nos membres nourrit les Canadiens avec certaines des protéines de la meilleure qualité au monde. L’industrie de la viande rouge apporte plus de 32 milliards de dollars à l’économie canadienne et assure 300 000 emplois. Comme les membres du comité le savent pertinemment, l’économie du Canada dépend fortement du commerce. En ce qui concerne la viande rouge, le Canada exporte près de 70 % de son porc et 50 % de son bœuf dans plus de 90 pays du monde, ce qui représente environ 9,5 milliards de dollars d’exportation de viande rouge au cours des dernières années. Nous ne pourrions pas acheminer ces marchandises de manière efficace et rentable vers les marchés sans infrastructures de transport fiables, que ce soit pour le transport ferroviaire, aérien ou maritime. En période d’incertitude, les entreprises doivent prendre des décisions difficiles. L’incertitude à laquelle les entreprises sont confrontées aujourd’hui ne connaît pas de fin; le gouvernement du Canada doit donc assurer ce qu’il peut. Nous recommandons que le gouvernement travaille avec ses partenaires, les employeurs et les syndicats afin de modifier le Code canadien du travail pour offrir une protection contre les catastrophes économiques, en procurant au ministère du Travail des outils de règlement des conflits plus solides, afin de veiller à ce que les arrêts n’interrompent pas les chaînes d’approvisionnement critiques. De plus, le gouvernement doit reconnaître et adopter des mécanismes de règlement des conflits de travail adaptés aux activités des infrastructures stratégiques canadiennes, ce qui signifie des règles personnalisées pour un petit ensemble de secteurs de travail de grande portée où un arrêt comporte des conséquences à l’échelle nationale.
M. Mallard : Merci. Monsieur le président, nos membres consacrent des ressources considérables à l’établissement et au maintien de relations avec des clients du monde entier. Lorsque les entreprises ne peuvent pas exécuter les commandes de façon fiable, cela met en péril les relations que nos membres ont travaillé fort pour maintenir. Comme j’aime le dire à mes employés, si nous ne prenons pas soin de nos clients, quelqu’un d’autre le fera, et cela s’applique à toute notre industrie. Pour faire du Canada un partenaire commercial concurrentiel dans l’économie mondiale, les entreprises doivent être en mesure d’acheminer les marchandises jusqu’au marché et les en faire venir de façon efficace et fiable. Lorsque je ne représente pas le Conseil des viandes du Canada en tant que président, je suis président et PDG d’Atlantic Beef Products, situé dans la magnifique ville d’Albany, à l’Île-du-Prince-Édouard. La sénatrice Robinson sait très bien où cela se trouve. Nous sommes le seul transformateur de bœuf inspecté par le gouvernement fédéral à l’est de Montréal. Notre bœuf est exporté dans des pays comme le Japon. Nous travaillons maintenant pour percer en Corée du Sud, et le Mexique est un autre marché pour nous. Pour que nous puissions exporter nos produits — et cela dépasse nos seules activités nationales — nous devons acheminer les marchandises sur le marché de manière efficace et rentable. La viande rouge ne peut pas attendre pendant des jours, voire des semaines, sans se gâter. Compte tenu de la nature de nos produits, notre chaîne d’approvisionnement est conçue pour les expédier efficacement vers les marchés. Nous n’avons pas la capacité de stocker localement, ni même au Canada pour la plus grande partie, des marchandises non expédiées pendant des semaines. Lorsque nos membres sont confrontés à un événement qui dépasse leur capacité de stockage ou qui est même près de la dépasser, ils sont forcés d’arrêter la production, et le produit n’a nulle part où aller. Les animaux ne peuvent pas quitter la ferme, ce qui a des répercussions sur les agriculteurs et sur le bien-être animal. Les effets des situations de ce genre se font sentir chez les entreprises et les particuliers tout le long de la chaîne d’approvisionnement, et il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour redémarrer les activités. Bien que nous respections les droits des travailleurs de faire la grève, ces intérêts doivent être soupesés au regard de l’intérêt public et de la nécessité bien réelle pour le Canada de bénéficier d’une certitude commerciale en ce qui touche la diversification des marchés internationaux. Les grèves des ports de la côte Ouest en juillet 2023 ont, par exemple, perturbé des échanges commerciaux d’une valeur de 10,7 milliards de dollars au cours des 35 jours de grève et ont rompu des relations d’affaires de longue date avec ceux qui ne pouvaient plus compter sur les fournisseurs canadiens pour leurs marchandises. Dans son budget, le premier ministre Carney met le Canada au défi de tirer parti de cette conjoncture, de bâtir la résilience et de diversifier les échanges commerciaux de 50 % dans les marchés à croissance la plus rapide. Avec ses 9,5 milliards de dollars d’exportation, le secteur de la viande rouge du Canada est impatient de répondre à l’appel. Mais nous ne pouvons tout simplement pas atteindre nos objectifs communs si notre infrastructure stratégique peut être bloquée pendant des semaines à la fois. La modernisation des outils de règlement des conflits de travail dans ces secteurs permettra de garantir la fiabilité de nos livraisons vers de nouveaux marchés ainsi que vers nos marchés existants, et de concrétiser l’ambition de diversification commerciale dont nous aurons besoin dans les années à venir. Merci.
Le président : J’aimerais informer les sénateurs qu’ils ont environ cinq minutes pour chaque tour. Nous aurons un deuxième tour de questions si le temps le permet. Si vous souhaitez poser une question à nos témoins, veuillez en aviser la greffière, qui ajoutera votre nom à la liste. J’invite notre vice‑présidente, la sénatrice Dasko, à poser la première question.
La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins d’être ici aujourd’hui et je les remercie de leurs exposés.
Nous avons reçu devant le comité un certain nombre de témoins, qui nous ont raconté des histoires similaires au sujet des répercussions des perturbations de travail sur leurs activités. Nous avons entendu parler de ces types d’impacts pour eux, et nous vous avons entendus énumérer les impacts et l’importance de bonnes relations de travail pour vos industries.
Nous avons également étudié quelques articles du Code canadien du travail. En ce qui concerne la façon de régler ces problèmes, je veux vous poser une question au sujet de l’article 107 du Code canadien du travail, en particulier, qui confère au ministre beaucoup de pouvoirs. J’aimerais savoir si vous pensez que ces pouvoirs sont suffisants pour régler les problèmes.
Madame Martin, vous avez dit que vous recherchez un renforcement des mécanismes de règlement des conflits, mais à l’article 107, le ministre dispose de beaucoup de pouvoirs pour mettre fin aux grèves à l’aide de divers mécanismes.
Ma question s’adresse à tous les témoins. J’aimerais savoir si vous croyez que ces dispositions fournissent un soutien et un pouvoir suffisants pour composer avec les perturbations de travail dans vos industries ou si vous aimeriez une modification de l’article 107. S’il reste du temps, je poserai une question au sujet de l’autre article, mais je vais m’arrêter là.
Kate Sauser, gestionnaire de politiques, Producteurs de grains du Canada : Merci de poser la question.
Il est important de reconnaître que, évidemment, il existe un article qui fournit un certain pouvoir pour faciliter la médiation dans le cas de ces perturbations du travail. Un bon exemple que nous pouvons examiner, surtout en tant que Canadiens, est la Railway Labor Act des États-Unis, qui constitue une référence utile puisque la législation du travail dans le secteur du transport y impose des mesures rigoureuses avant toute grève. Elle contient des lignes directrices complètes sur la façon d’entrer en médiation, la manière dont les procédures préalables aux grèves sont réalisées, puis sur les responsabilités consistant à écarter et à éviter les perturbations, afin de préserver la continuité des chaînes d’approvisionnement critiques.
Ce que nous recherchons avant tout, c’est que cette résolution de médiation soit à portée de main, car il est impératif pour l’ensemble des secteurs représentés autour de la table aujourd’hui que cette loi soit prête et opérationnelle, afin que nous puissions examiner un article comme celui-ci et mettre en place un véritable plan. Le fait de savoir que de nombreuses mesures seront prévues nous assure qu’il y aura matière à agir. Ainsi, en cas de nouvelle perturbation — qu’elle soit maritime ou ferroviaire — le Code canadien du travail procurerait effectivement le pouvoir d’imposer des mesures préalables à toute grève, des mesures de médiation, ainsi que les procédures qui devraient être suivies en vertu du Code canadien du travail.
Mme Martin : Je fais une petite mise en garde à l’intention du Conseil des viandes du Canada : nous ne sommes pas des experts en droit du travail, mais en ce qui concerne nos observations et notre position, nous préconisons — et c’est notre priorité — la poursuite des activités. C’est ce que nous avons observé dans le passé lors des nombreuses interruptions. Nous comprenons que le ministre a le pouvoir d’intervenir, mais, néanmoins, cette intervention s’est assortie d’interruptions du travail d’une forme ou d’une autre, ce qui a entraîné un arrêt de la chaîne d’approvisionnement.
Notre recommandation est précise, mais aussi passablement vague, en ce sens que nous aimerions que le ministre possède une boîte à outils améliorée pour intervenir plus rapidement, afin d’éviter cette interruption de la poursuite des activités.
M. Prybylski : Selon les estimations, pour chaque journée de travail interrompu, il faut environ six jours à la chaîne d’approvisionnement pour se remettre. Cela signifie que, chaque fois qu’il y a une interruption du travail, pour quelque raison que ce soit, la période de récupération est longue.
Je suis d’accord avec mes collègues ici : il est essentiel de prévenir ces grèves ou ces perturbations du travail en premier lieu pour faciliter le règlement.
M. Mallard : Comme je l’ai dit plus tôt dans mes observations préliminaires, si nous ne nous occupons pas de nos clients, quelqu’un d’autre le fera, et cela s’applique à l’échelle internationale. Si nous ne pouvons pas acheminer les biens au marché, que notre ministre n’est pas outillé, et que le processus n’est pas amélioré — il doit y avoir une autre manière de régler cela sans avoir recours à la grève. Nous comprenons que les syndicats aiment faire pression — ils peuvent faire cela par le biais de négociations collectives —, mais, au bout du compte, il doit y avoir une meilleure façon de faire les choses sans avoir à stopper la circulation des biens, car cela a des conséquences sur bien plus que n’importe quelle unité de négociation collective spécifique.
Il s’agit d’un problème national, à coup sûr dans le domaine de l’agriculture, car nous nourrissons le Canada et le monde. Nous sommes de grands exportateurs d’un grand nombre de denrées. Nos biens doivent pouvoir circuler.
Le ministre doit donc être adéquatement outillé, afin d’éviter une grève dès le départ. Je comprends qu’il faut garder une certaine pression sur l’employeur, mais, au bout du compte, nous devons continuer à faire circuler les biens. Si nous ne le faisons pas, cela aura des conséquences considérables en aval, jusqu’aux fermiers eux-mêmes ainsi que sur tous les fournisseurs de la ferme. Cela cause un énorme problème, alors nous devons trouver une meilleure façon de faire les choses.
Le président : Il semblerait que le mot « proactivité » pourrait être incorporé à la réponse à cette question, et cela pourrait être une occasion pour vous, en tant qu’associations et à titre personnel, de renforcer cette proactivité et la lier à votre culture de travail également, car vous avez besoin d’une culture de travail qui fonctionne pour les deux parties.
Le sénateur Lewis : Je vous remercie de vos commentaires jusqu’ici, et je vous remercie de tout ce que vous faites au nom de l’agriculture canadienne.
Nous parlons de denrées agricoles, mais, en fin de compte au bout de la chaîne d’approvisionnement, tous vos produits finissent par se retrouver sur la table à manger de quelqu’un. Il est crucial de comprendre que, lorsque nous parlons de réputation, à l’échelle tant nationale qu’internationale, comme l’a fait M. Hepworth, lors d’une mission commerciale, au bout du compte, on parle de la nourriture des gens, à la fois au Canada et ailleurs. Les gens n’aiment pas avoir faim, et notre volonté à répondre à ce besoin s’illustre dans le temps que nous consacrons et les efforts que nous déployons en tant que pays pour trouver des marchés — encore une fois, à la fois à l’échelle nationale et internationale — et la notion de paix syndicale n’existe pas en ce moment, pour ce qui a trait aux transports. Nous parlons tous de la prochaine grève. Lorsque quelqu’un participe à une mission commerciale, la première ou la deuxième chose dont cette personne parle, c’est la paix syndicale, il n’y a pas de paix syndicale au sein du secteur des transports en ce moment.
Je souhaiterais entendre ce que vous avez à dire là-dessus.
M. Hepworth : Oui, comme vous l’avez dit, si la réputation n’est pas la première chose dont nos clients parlent, il s’agit de la deuxième. Lorsqu’ils me demandent ce que mon pays fait pour régler ce problème, je n’ai pas de réponse à leur donner. Neuf fois sur dix, nous arrivons à un arrêt de travail ou à une grève, et nous devons trouver des solutions pour empêcher cela.
Monsieur le président, vous avez mentionné l’importance d’être proactif. À mes yeux, il faut également prendre des mesures préventives. Nous devons faire en sorte que cela ne se reproduise pas encore et encore. Le monde fonctionne maintenant au jour le jour, alors la fiabilité est absolument essentielle. Beaucoup de pays ne peuvent pas se permettre d’acheter des surplus; ils achètent ce dont ils ont besoin lorsqu’ils en ont besoin, et nous devons pouvoir leur acheminer ces biens lorsqu’ils en ont besoin.
Mme Sauser : Merci de votre commentaire. Je suis également d’avis que la paix syndicale est essentielle, surtout lorsqu’il est question de transport.
En tant que producteurs de grains, nous faisons face à beaucoup d’incertitude. L’incertitude fait partie de notre quotidien, que ce soit par rapport à la météo, au prix des grains, aux intrants ou aux cultures que nous allons planter cette année.
Alors ajouter cette incertitude supplémentaire par-dessus toutes celles avec lesquelles nous composons déjà quotidiennement est quelque chose qui, effectivement, a des conséquences sur les fermiers et qui est nuisible à notre capacité de prendre des décisions. Comme M. Hepworth l’a mentionné, il y a la question de notre fiabilité en tant que partenaire international. Vous ne souhaitez pas avoir ce genre de discussions lors de missions commerciales internationales et que les autres remarquent que le Canada n’est pas un partenaire commercial fiable. Il est impératif que nous nous comportions comme un partenaire avec lequel les gens veulent collaborer.
Le président : Y a-t-il d’autres rétroactions?
M. Mallard : Je mentionnerais simplement que nous avons un problème au Canada; nous avons tendance à être réactifs, surtout au sein du gouvernement. Nous devons cultiver une réputation de proactivité, et empêcher ces choses de se produire avant même qu’elles ne surviennent. Le problème est que, très souvent, au moment où nous nous décidons à réagir, le mal a déjà été fait. Il serait beaucoup plus bénéfique pour le Canada qu’il ait la réputation d’être proactif et d’être un fournisseur fiable en donnant au ministre et à d’autres personnes les outils dont ils ont besoin afin d’être proactifs.
Ils voient ce qui s’en vient : nous avons des processus, et les processus ne résulteront pas en un arrêt de la circulation des produits au sein du Canada. Les produits doivent continuer à circuler. Cela doit aller de soi : les produits vont continuer à circuler.
Il faut trouver d’autres manières d’exercer des pressions sur les employeurs qui ne consistent pas à tenir en otage le pays entier et les secteurs qui fournissent des biens à travers le monde. Il doit y avoir une meilleure façon de faire les choses.
M. Prybylski : Dans mes observations préliminaires, j’ai mentionné que toute perturbation de la circulation des grains affecte le rythme de mes ventes, donc cela a certainement des répercussions sur ma capacité de respecter mes obligations financières.
Cela a également un impact sur le prix. Même lorsqu’il n’y a que la menace d’une perturbation syndicale, le prix des céréales exportées est certainement affecté, et cela a un effet direct sur notre réputation, comme le sénateur Lewis l’a souligné. Si les entreprises céréalières savent qu’elles ne seront pas en mesure de vendre leurs grains en temps opportun à leurs clients, cela se reflète dans le prix que nous établirons à la ferme.
Le sénateur K. Wells : Une des recommandations faites dans le rapport Ready-Rogers de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest était la nomination d’un médiateur spécial pendant le processus. Le comité a entendu les témoins, presque sans exception, parler des répercussions et des défis engendrés par les conflits syndicaux — ou même par la menace de conflits syndicaux — au sein de vos entreprises.
Ma question s’adresse à la personne qui se sentira la plus en mesure d’y répondre. Est-ce que la nomination d’un médiateur spécial similaire dans toute la chaîne d’approvisionnement plutôt que juste au sein du secteur portuaire serait bénéfique? Plus spécifiquement, je suis intéressé à procurer davantage de visibilité au processus. Quant à la proactivité et à la prévention, le médiateur spécial proposé par Ready et Rogers dans leur rapport a pour objectif de donner davantage de visibilité au ministre quant au processus de négociation. Une des choses que j’ai observées au cours de bien des années était le manque de visibilité qui caractérise ce processus dès le départ.
Que pensez-vous de cette possibilité de nommer un médiateur spécial au sein de ce processus, peut-être même dès le départ, dans les systèmes de chaîne d’approvisionnement particulièrement critiques?
Mme Martin : Je dois réitérer mon avertissement : nous ne sommes pas des experts du droit syndical; malheureusement, je ne crois pas avoir une bonne réponse à votre question.
M. Mallard : Je peux affirmer que nous avons un personnel syndiqué et que nous avons des intervenants qui sont très intéressés à savoir ce qui se passe. Ils ne devraient pas être surpris si les choses ne vont pas bien. Si le processus empêche les hauts fonctionnaires de comprendre à quel point les choses vont mal, à mon sens, il serait bénéfique que quelqu’un s’occupe de faire des comptes rendus sur ce qui se passe. C’est une idée intelligente et pratique.
M. Prybylski : Nous avons parlé de proactivité, alors nommer un médiateur au sein du processus de négociation dès le départ a beaucoup de sens, selon nous, en tout cas, oui.
Mme Sauser : Il est également important de reconnaître que l’article 87.7 du Code canadien du travail établit que le transport de grains devrait évidemment continuer même en cas d’arrêt de travail. Cela s’applique aux syndicats des débardeurs et devrait également s’appliquer à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement direct, puisque cela permettrait non seulement de s’occuper de certains travailleurs au port, mais également de procurer davantage de certitude au sein des chaînes d’approvisionnement.
Le sénateur K. Wells : J’ai une question de suivi. Madame Sauser, je veux m’assurer que je vous comprends bien. Vous suggérez que l’article 87.7 pourrait être élargi pour englober l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, c’est bien cela? D’accord. Merci.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup à tous les témoins.
Au cours des trois dernières années, j’ai siégé à titre de présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, et je suis également Albertaine, alors je suis tout à fait consciente de l’importance des chaînes d’approvisionnement efficaces pour la production agricole de l’Ouest canadien plus spécifiquement.
Je suis étonnée, toutefois, par le fait que bien que nous souhaitions peut-être obtenir une paix syndicale, on ne peut pas arriver à cette paix syndicale en excluant les syndicats de l’équation. Beaucoup des discussions que nous avons semblent présupposer que les syndicats font des arrêts de travail par pur plaisir et non parce qu’ils ont des préoccupations légitimes envers leurs employeurs.
Monsieur Prybylski, vous avez dit quelque chose dans vos remarques préliminaires quant au besoin d’examiner les causes profondes de ces grèves récurrentes. Je me demande si je pourrais vous demander d’examiner cette question du point de vue des syndicats un moment. Que souhaiteriez-vous comprendre quant aux raisons pour lesquelles ces grèves continuent à survenir, du point de vue des travailleurs en colère?
M. Prybylski : J’ai mentionné qu’il devait y avoir un équilibre. Nous respectons les droits des travailleurs, et les syndicats sont essentiels, de ma ferme jusqu’à la côte. Bien sûr, ils sont importants. Nous entendons dans les médias qu’il y a une possibilité que ces grèves surviennent, mais nous ne savons pas toute l’histoire. Voilà des cas dans lesquels un médiateur spécial, comme l’a mentionné le sénateur Wilson, pourrait certainement nous éclairer quant à ces causes profondes. En tant que fermier, je ne sais pas quelles sont ces causes, mais il serait certainement bénéfique si nous pouvions comprendre les raisons qui motivent de tels arrêts de travail pour ainsi être proactifs dans la recherche de pistes de solutions afin de prévenir les grèves dès le départ. Cela suppose de prendre en considération les questions syndicales ainsi que les questions de gestion.
La sénatrice Simons : En tant que consommatrice et citoyenne, je trouve que les grèves sont ennuyeuses — et, dans certains cas, catastrophiques — mais c’est leur raison d’être. Je crois que quelqu’un a affirmé que les syndicats doivent trouver d’autres manières de convaincre la direction de changer leur façon de faire, mais le droit fondamental que nous accordons aux travailleurs syndiqués dans notre pays est le droit d’arrêter de travailler afin d’exercer des pressions à des fins de négociation. Je crois que c’est M. Mallard qui a dit qu’il devrait y avoir une autre manière de faire les choses. Comment suggérez-vous que le syndicat exerce des pressions si nous restreignons son droit de faire la grève?
M. Mallard : Voilà une excellente question. Nous pourrions y répondre de plusieurs façons différentes. De toute évidence, la solution ultime, c’est de les empêcher de travailler. L’employeur pourrait décider de les mettre en lock-out, ce qui, par la même occasion, les empêcherait de travailler.
À l’heure actuelle, cette méthode semble désuète. Évidemment, je comprends que le recours final, c’est de fermer l’entreprise, mais cela engendre des conséquences qui touchent bien plus que les seuls travailleurs locaux. J’ignore la solution appropriée, mais je dirais qu’il faut penser à ce qui fait vraiment mal aux entreprises. De toute évidence, les sanctions financières associées à leur perte de main-d’œuvre sont très réelles.
Je ne veux pas rester assis ici, et suggérer un certain nombre d’options. Je ne dirais pas que j’ai suffisamment réfléchi pour vous donner une réponse concrète à ce problème, mais le fait de retirer votre main-d’œuvre a pour conséquence finale de faire fermer les entreprises, et tous les fournisseurs de cette entreprise perdront l’occasion de fournir leurs services.
La sénatrice Simons : Le souci, c’est que vous n’avez pas d’autres options. Il y a deux chemins de fer. La semaine dernière, nous avons fait venir les représentants des chemins de fer d’intérêt local, mais il y a deux principaux chemins de fer contemporains. Je réalise que le problème ici, ce n’est pas tant l’agitation ouvrière dans les syndicats; que le fait que vous ne disposez pas d’autres solutions de rechange, et que ce sont les entreprises qui ont le gros bout du bâton dans les deux cas : elles ont la responsabilité de vous fournir un service, mais si elles ne respectent pas les règles, vous ne disposez pas de solutions de rechange. Peut-être que les éleveurs peuvent envoyer leurs produits aux États-Unis par camion, mais pour envoyer du porc en Asie, vous n’avez pas d’autres options que celles dont vous disposez actuellement.
Ce n’est pas à vous que je m’adresse, mais plutôt au comité, et, selon moi, nous n’abordons pas vraiment le grand problème structurel, c’est-à-dire, le manque de concurrence dans l’industrie du transport.
Le sénateur Quinn : Merci aux témoins de leur présence. Les observations jusqu’à présent ont été très intéressantes, et les questions ont été excellentes.
J’aimerais revenir à ce que la sénatrice Duncan a brièvement évoqué. Avant cela, je pense que l’un de nos témoins a mentionné que les époques sont différentes, ou que les temps changent. Nous sommes dans une économie où notre gouvernement réalise d’importants investissements pour garantir que nous nous retrouvions dans une meilleure position concurrentielle, à l’échelle mondiale. Cela signifie qu’il faut peut-être que nous regardions les méthodes traditionnelles d’un œil différent.
Pour revenir à l’idée d’un médiateur, la semaine dernière, une question a été posée concernant la négociation collective. Je pense que la négociation collective est un droit essentiel; cela dit, comment pouvons-nous être certains qu’elle est faite en toute bonne foi? Quelqu’un dans la pièce peut aider à déterminer si ces négociations sont faites en toute bonne foi. Dans le cas contraire, y a-t-il quelque chose que nous puissions faire en amont, pour éviter une grève? Existe-t-il un mécanisme pour éviter ce genre de choses? Parce qu’en fin de compte, tout tourne autour de l’économie, de nos jours. Je pose la question à M. Mallard.
M. Mallard : Je dirais que l’arbitrage contraignant réglerait le problème. Vous vous réunissez, et les deux parties sont obligées d’accepter la solution. De cette façon, on évite la grève, et des négociations ont lieu. Si tout va bien, les gens se mettent d’accord pour désigner l’arbitre — ou, les arbitres — et parviennent à une solution équitable et équilibrée, qui répond aux besoins de l’entreprise et aux préoccupations des travailleurs. L’arbitrage contraignant est une solution qui nous permet d’avancer et d’éviter que les grèves ne paralysent les entreprises, et potentiellement, une grande partie de l’économie.
M. Prybylski : J’imagine que du point de vue de la Fédération canadienne de l’agriculture, ou la FCA, nous aimerions que le gouvernement envisage toutes les options. Les méthodes anciennes ne sont pas toujours celles que nous devrions appliquer à l’avenir. Donc, les choses sont différentes, et la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest a émis des recommandations importantes, qui nous ont paru excellentes, et qui devraient être explorées. Encore une fois, regardez toutes les options disponibles.
Le sénateur Quinn : À moins que quelqu’un d’autre ne veuille dire quelque chose, je vais poser une deuxième question.
Mme Sauser : Il est également essentiel de se rappeler que le gagne-pain des producteurs de grains et des producteurs de viandes canadiens dépend des réseaux des chaînes d’approvisionnement. Le fait de mettre en place ces dispositions et ces mesures de médiation préalables, si on suit les recommandations du rapport, serait essentiel pour veiller à ce que les interruptions de travail n’affectent pas les moyens de subsistance de ces personnes.
Le sénateur Quinn : Et merci de votre observation concernant l’article 87.7, car lorsque vous avez des grains dans un port — ils sont au port. Le reste des grains se trouve quelque part dans la chaîne d’approvisionnement.
J’aimerais parler un tout petit peu de l’article 87.4, et des risques sérieux et immédiats pour la sécurité ou la santé du public. Si nous nous retrouvions à une époque différente sur le plan économique et que nous nous intéressions à la diversification commerciale, et que nous voulions renforcer l’économie et tenter de nous remettre de la situation actuelle, devrions-nous ajouter un élément par rapport à la sécurité, la santé ou un élément garantissant la sécurité de notre économie pour le public et pour le Canada? Est-ce qu’il devrait y avoir une disposition permettant au CRI, le Conseil des relations industrielles, d’avoir une interprétation élargie du type de situation qui l’autoriserait à nous dire d’aller de l’avant, en cas de danger immédiat? Je ne sais même pas si le danger doit être immédiat. Que pensez-vous d’élargir un peu cette définition?
Mme Martin : L’une des recommandations qui me viennent à l’esprit, c’est le concept des conséquences à l’échelle nationale. Pour reprendre l’argument de la sénatrice Simons ayant trait à la réalité unique à laquelle nous sommes confrontés, ces droits existent depuis longtemps dans la société canadienne, mais je pense que la différence dont on parle aujourd’hui, c’est que, effectivement, il n’y a pas d’autres options. L’échec du processus entourant la négociation de conventions collectives a des conséquences à l’échelle nationale, et nous n’avons pas d’autres moyens de mettre nos produits sur le marché. Comme ma collègue l’a évoqué, les effets ou les conséquences ne touchent pas uniquement deux parties qui négocient. Pour votre examen, je proposerais le terme « conséquences à l’échelle nationale ».
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais revenir sur ce que Mme Sauser a dit sur la question du service essentiel que l’on pourrait imposer pour le transport des grains.
J’aimerais que vous m’expliquiez un peu plus longuement comment vous voyez les choses. Essentiellement, le grain doit être la commodité la plus importante qui est transportée. Cela diminuerait l’efficacité de la grève de 75 %. Je ne sais pas quelle quantité de viande est transportée par train. Il est certain que le grain doit être la marchandise principale. N’est-il pas plausible de penser qu’on pourrait avoir un service essentiel du grain du début de la chaîne, c’est-à-dire dans les trains, jusque dans les ports, parce qu’il y a déjà des mesures dans les ports?
[Traduction]
Mme Sauser : Oui, absolument. Merci beaucoup d’avoir posé la question. Je pense qu’il est important de reconnaître que les grains sont déjà reconnus comme étant un bien essentiel dans les ports — mais encore une fois, uniquement dans les ports — en vertu de l’article 87.7 du Code du travail. Les grains sont très susceptibles de se détériorer, ce qui en fait un bien essentiel, et de ce fait, leur cheminement dans la chaîne d’approvisionnement doit être efficace. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, même si les grains se trouvent dans le port, et qu’ils sont considérés comme un bien essentiel pendant leur transport, ils sont néanmoins susceptibles de subir une détérioration au cours des étapes ultérieures de la chaîne d’approvisionnement. Je pense donc qu’il est opportun de mentionner que c’est l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement qui doit être reconnue comme un service essentiel, et non uniquement le port.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais quel pourcentage le transport des grains représente-t-il par rapport à celui du transport des marchandises en général dans le secteur ferroviaire? J’essaie d’avoir une idée de l’importance du produit comparativement aux autres marchandises.
Mme Sauser : Parmi la totalité de nos grains, 70 % sont transportés par voie maritime, et la plupart sont transportés par voie ferroviaire. Les grains vont des champs au tracteur, puis dans le chariot à grains, et ensuite, dans le camion avant d’être placés dans le silo à grains. À partir de là, ils sont placés dans le train pour être transportés jusqu’au port. Une grande partie de nos grains transitent par le port, soit environ 70 %, et le reste, surtout dans l’Ouest du Canada, est acheminé par rail. C’est une proportion considérable.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourquoi pensez-vous que cette solution potentielle n’est pas très populaire? Vous ne l’avez pas mentionnée dès le départ. Quel est le problème avec cette solution?
Mme Sauser : Essentiellement, nous devons garantir que la chaîne d’approvisionnement, à toutes ces étapes, sera solide. D’ailleurs, je pense que le président de notre fédération, Scott Hepworth, a mentionné que nous dépendons non pas exclusivement des ports ou des chemins de fer, mais plutôt de l’intégralité du système. Je sais que nous avons parlé du fait que dans le système, les grains passent des chemins de fer au port. Peut-être que nous n’avons pas explicitement mentionné dans nos observations liminaires qu’il est essentiel que l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement soit reconnue comme un service essentiel, surtout lorsqu’il est question de grains, mais c’est capital, étant donné que les grains se détériorent peu importe l’étape de la chaîne d’approvisionnement.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Aimeriez-vous ajouter quelque chose?
Mme Martin : Merci pour votre question, sénatrice.
[Traduction]
Je me souviens que nous avions rejeté la recommandation consistant à reconnaître l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement comme un service essentiel il y a quelques années, donc je vais y revenir. Mais, pour en revenir à l’argument de Mme Sauser, puisqu’il s’agit de l’intégralité d’un système, nous pensions qu’il n’était pas politiquement acceptable de suggérer que l’intégralité du système soit reconnue comme un service essentiel, car, en fait, si vous reconnaissiez que seuls les ports étaient un service essentiel, il y aurait toujours des réactions en chaîne en amont et en aval de la chaîne d’approvisionnement, si tous les autres composants du système n’étaient pas également reconnus comme tels.
C’est, d’après mes souvenirs, la raison pour laquelle nous avions laissé tomber cette recommandation, et je ne l’ai pas incluse dans les commentaires.
M. Mallard : Je tiens à mentionner que si vous demandiez à n’importe lequel de nos membres, il vous dirait qu’il s’agit d’un service essentiel. Je sais qu’il n’est sans doute pas politiquement correct de dire qu’il s’agit d’un service essentiel, mais les choses sont ce qu’elles sont.
Nous disposons d’un transformateur de porcs de taille modeste ici, dans la province de l’Ontario, qui exporte 25 % de ses produits par train vers Vancouver, puis par bateau vers le Japon, la Chine, et d’autres destinations. Cette viande de porc est expédiée fraîche. Évidemment, le délai commence à courir à partir du moment où la viande est placée dans une boîte et dans un sac. Elle doit arriver à destination dans les délais voulus. Si, par hasard, le porc n’est pas transporté, et que l’usine en question ne peut pas transformer de porcs, ce sont 10 000 porcs par semaine qui se retrouvent à nouveau dans le marché, pour cette seule usine, car ils auront dépassé leur poids de marché idéal en deux semaines. Donc, pour que les choses bougent, il importe de reconnaître qu’il s’agit d’un service très essentiel, et ce qu’il faut retenir, c’est que notre réseau de transport doit nous permettre de demeurer compétitifs avec les autres pays producteurs des mêmes denrées. Il coûte extrêmement cher de faire transiter un produit par de multiples moyens de transport jusqu’au marché. Le transport par camion de produits jusqu’à Vancouver n’est même pas viable. Le rail est le moyen le plus rentable de les transporter jusqu’au port.
En Ontario, vous n’allez pas envoyer les marchandises par l’un des ports à conteneurs situés sur les Grands Lacs. Vous essayez d’envoyer vos produits le plus rapidement possible. L’envoi de conteneurs réfrigérés par voie ferroviaire se fait de plus en plus ces quelques dernières années.
Il est donc essentiel de poursuivre sur cette lancée afin que nos membres dont les produits sont destinés aux marchés d’exportation puissent en tirer parti — à vrai dire, de nos jours, cela concerne même les marchés locaux dans certains cas, car certains produits sont également transportés à l’intérieur du pays par voie ferroviaire.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Merci aux invités.
Je vais continuer sur ce qu’a dit la sénatrice Miville-Dechêne. Toutefois, j’en suis au point où je ne sais plus quelle question poser. Ne devrait-on pas déclarer le service par rail ou transitant par les ports comme étant un service essentiel en général, afin que ce service ne puisse pas être interrompu? J’aimerais vous entendre là-dessus. Cela implique toutes sortes de choses, notamment sur le plan des négociations collectives. Devrait-on considérer ce point de vue?
Si je comprends bien, vous nous dites que la viande et le grain sont des denrées essentielles. D’autres nous ont dit la même chose pour leurs denrées. Les relations de travail ne semblent pas s’améliorer. Il y a régulièrement des grèves. Il y en a eu beaucoup ces dernières années. Devrait-on enfin déclarer ou recommander de déclarer les transports ferroviaire et maritime comme étant des services essentiels?
Mme Martin : Merci encore pour la question, sénateur.
[Traduction]
Il y a une autre raison, et j’aimerais avoir l’occasion de faire un suivi par écrit afin de me rafraîchir la mémoire à ce sujet.
En 2023, lorsque nous nous sommes penchés sur la question, laquelle était critique à l’époque — nous exportons énormément sur le marché asiatique — nous avions examiné les services essentiels. Ce n’est pas que je ne partage pas l’avis du président de la fédération selon lequel, pour l’ensemble de nos membres, nous considérons ces services comme étant essentiels, mais les grains en vrac sont désignés comme étant un service essentiel, mais cela n’a pas l’air de vraiment jouer en leur faveur. Il y a une raison qui explique cela, mais j’aimerais faire un suivi par écrit et m’assurer que je n’induis pas le comité en erreur.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Y a-t-il un autre témoin qui veut intervenir?
[Traduction]
M. Prybylski : La Fédération canadienne de l’agriculture a toujours été favorable à ce que les produits agricoles soient désignés comme des services essentiels, sachant que cela est peu probable, compte tenu de la définition actuelle de « services essentiels », dans la mesure où le mot « imminent » exclut les produits agricoles. Si l’on supprime le mot « imminent » pour reconnaître que la chaîne d’approvisionnement est essentielle, cela donnerait beaucoup plus de latitude au moment de formuler des recommandations ou de décider que la sécurité alimentaire est également un aspect très important à prendre en considération quand on examine le transport des produits agricoles.
Le sénateur Loffreda : Je remercie les témoins. Je suis ici ce matin à titre de suppléant, mais c’est un comité intéressant. Je suis heureux de pouvoir profiter de votre expertise.
Voici ma première question : les meilleures solutions seraient‑elles réglementaires ou collaboratives? Autrement dit, les agriculteurs et les syndicats pourraient-ils convenir à l’avance d’un plan visant à assurer l’approvisionnement en aliments pour animaux, en carburant et autres fournitures agricoles essentielles pendant une grève, ou faut-il changer la loi et légiférer pour y parvenir?
Ensuite, à quel point la prévisibilité est-elle essentielle pour la chaîne d’approvisionnement? Qu’est-ce qui nuit le plus, l’incertitude ou la grève elle-même? En affaires, tout le monde veut de la prévisibilité. Quand on entend dire depuis des mois et des mois qu’une grève pourrait être enclenchée, de quelle manière cela vous touche-t-il? Vous pourriez peut-être nous donner quelques exemples concrets aux fins du compte rendu?
M. Hepworth : D’abord, le manque de transparence est une partie du problème général. Pour répondre à votre question sur ce qui est le pire, l’incertitude ou la grève, elles sont tout aussi nuisibles l’une que l’autre. S’il y avait davantage de transparence quant à la cause profonde du problème, on trouverait une meilleure solution. En tant qu’agriculteur, je n’ai jamais bien compris quel était le problème, ces dernières années, et on ne le sait jamais, à la fin, une fois que tout est réglé.
Nous sommes un marché captif : les grains que je produis ne peuvent pas être transportés par voie fluviale jusqu’à Vancouver; ils doivent être acheminés par train. C’est la source du problème, mais nous devons trouver une solution pour prévenir les arrêts de travail, parce qu’elles sont par trop fréquentes.
Il semble y avoir aujourd’hui au Canada une envie d’améliorer la productivité. Commençons par le secteur ferroviaire.
En tant qu’agriculteur, je ne peux pas répondre à votre question quant à savoir laquelle est la pire. Elles sont toutes deux nuisibles.
Mme Sauser : Merci beaucoup de votre question. Il est essentiel qu’il vous dise que c’est très difficile. C’est très équivoque, ce qui est le pire, l’incertitude ou la grève elle-même.
Mais j’aimerais revenir à ce que vous avez dit concernant une approche plus collaborative. Je pense qu’il serait absolument essentiel d’avoir une consultation avec l’industrie, que ce soit le secteur du grain ou celui des viandes, pour trouver des solutions à l’avenir, surtout en cette période très délicate où nous sommes sous pression. Je pense que ce serait utile de tenir de véritables consultations avec l’industrie et les membres impliqués dans ces conflits de travail et ces grèves pour trouver des solutions afin de transporter le grain et d’assurer nos services pendant ce temps.
M. Mallard : J’aimerais mentionner que, récemment, au cours des 18 derniers mois, nous avons commencé à expédier des produits surgelés au Japon. Ils vont à Halifax, et il faut de 50 à 60 jours pour qu’ils arrivent à Osaka ou à une autre porte d’entrée. C’est un problème. Les gens cherchent des ressources fiables. L’idée d’une grève ou d’une interruption des services portuaires suffirait à dissuader les acheteurs potentiels ou les clients actuels d’acheter chez nous s’ils se disaient que le produit qu’ils achètent pourrait ne pas être livré.
Les gens sont bien informés. Le monde est à la fois grand et petit. En résumé, les nouvelles vont vite, et les mauvaises nouvelles, encore plus vite. S’il y avait une possibilité de grève qui empêcherait le transport des produits, nos clients du monde entier le sauraient, et ils décideraient d’acheter ailleurs. C’est ce que nous constatons et ce que nous craignons. Les personnes à qui je parle à l’étranger nous demandent s’il est possible que le produit n’arrive pas ou s’il sera bloqué en cours de route.
La menace est absolument un problème, et les nouvelles vont très vite.
La sénatrice Robinson : Si les témoins n’ont pas le temps de répondre à ma question, je leur demanderai de répondre par écrit.
Le président : Vous avez le temps.
La sénatrice Robinson : D’accord. Merci.
Nous savons que vous n’êtes pas des spécialistes du droit du travail, mais vous êtes des experts en production alimentaire et en transformation des aliments. Vous avez tous travaillé dur pour nous permettre de mettre sur le marché des produits de grande qualité. Monsieur Prybylski, vous avez expliqué comment vous deviez gérer les flux de trésorerie pour payer des coûts s’élevant à 8,2 millions de dollars, sur votre ferme, pour semer, cultiver, récolter et stocker vos cultures. D’après vos observations, il faut six jours pour rattraper un jour d’arrêt de travail, et, selon M. Mallard, le système canadien ne dispose pas d’une capacité de stockage suffisante pour stocker plusieurs semaines de production, ce qui signifie que les produits doivent être mis sur le marché... quand j’entends cela, je pense à une truie qui met bas après une gestation de 114 jours. Je pense à la santé des animaux et au stress que subissent les producteurs qui doivent gérer l’incertitude quant à la durée de l’arrêt. Ils doivent être prêts à reprendre la production pour répondre aux besoins des marchés. Je pense au bœuf et au fait que, actuellement, nous assistons à l’une des plus fortes hausses des prix de l’histoire. En ce qui concerne le bœuf, je pense à ma province — notre province, monsieur Mallard — et au fait qu’un apport en fumier serait bénéfique pour la santé de nos sols, mais je sais que le nombre de troupeaux de bovins est extrêmement faible.
Oui, tout revient au rapport du Comité de l’agriculture et des forêts sur la santé des sols, sénatrice Simons.
Pendant les récents arrêts de travail, nous avons entendu parler de la nécessité de voir en priorité à ce que les aliments pour animaux, les semences et les engrais arrivent à leur destination à temps, qu’il s’agisse de chauffer un poulailler ou d’ensemencer un champ, pour garantir la qualité et la quantité de la récolte. Nous avons entendu dire qu’il fallait saisir l’occasion et percevoir plus d’argent au Canada en ajoutant de la valeur.
Nous avons également appris que l’âge moyen d’un agriculteur au Canada est de 57 ans. Une transition majeure nous attend, et je pense à la rentabilité.
Et nous avons entendu dire combien il est coûteux de se lancer dans l’agriculture; c’est un secteur à forte intensité de capital.
Je pense ici aux conséquences à l’échelle nationale. Pouvez‑vous nous dire comment le transport et le manque de fiabilité influent sur la confiance des investisseurs en ce qui concerne la valeur ajoutée ainsi que sur la relève agricole?
M. Prybylski : Merci, sénatrice Robinson. Il y a beaucoup à dire sur cette question, évidemment.
En ce qui concerne la relève, je pourrais certainement y répondre. Dans ma ferme, nous avons entamé un processus de planification de la relève. J’ai pris la relève de mon père au début des années 1990. Actuellement, nous faisons en sorte que mon fils reprenne ma ferme. Il est compagnon soudeur, et il hésitait à se lancer dans l’agriculture, car il y a beaucoup d’incertitude. Alors qu’il réfléchissait à sa décision, nous avons subi, l’année dernière, les grèves des deux réseaux ferroviaires. Cela a donc certainement pesé dans sa décision à savoir s’il était prêt à miser son avenir sur ce secteur. C’est certainement un facteur à prendre en considération. En fin de compte, tout se tient à son amour pour l’agriculture et pour la vie à la ferme. Je suis heureux de dire qu’il a pris la décision de se lancer dans l’agriculture, mais certainement pas sans inquiétude.
M. Mallard : Je voulais mentionner que, à l’Île-du-Prince-Édouard — et je peux parler du secteur agricole de l’Île-du-Prince-Édouard un peu mieux que la moyenne des gens, puisque je travaille régulièrement avec des producteurs de bœuf —, il y a beaucoup de petits producteurs dans les familles de fournisseurs. Probablement, sur les 400 fournisseurs de bétail, 300 expédient moins de 20 bovins par année à notre usine. Nous sommes très importants pour eux, et les producteurs nous disent qu’ils ont de la difficulté à planifier la relève et qu’ils ne savent pas à qui ils vont laisser leur ferme. Bon nombre de nos producteurs ont également des emplois à temps partiel en dehors de la ferme. Ils n’y consacrent pas tout leur temps, parce que certains éléments n’ont pas fonctionné dans le passé et qu’ils sont désormais prudents. Ils prennent de l’âge. Ils ne savent pas s’ils peuvent se lancer dans un autre cycle de 7 à 10 ans d’élevage de bovins. Ils gagnent de l’argent maintenant, mais quand vont-ils s’arrêter? Quand vont-ils commencer à cultiver des céréales et à prendre congé en hiver? Il y a beaucoup de choses comme cela. Ces décisions sont réelles.
Les jeunes qui s’intéressent à l’agriculture sont peu nombreux, pour toutes sortes de raisons. Où vont-ils trouver de l’argent? « D’accord, papa, tu as de l’argent? Merci beaucoup. » Mais nous devons trouver des solutions pour les producteurs et pour les jeunes qui ont de l’intérêt, mais qui n’ont pas les ressources financières. Mais au bout du compte, si vous produisez et que vous vendez vos produits à une usine, votre activité est soudainement menacée parce que les marchés d’exportation sont fermés.
Un propriétaire d’usine à qui j’ai parlé justement ce matin, en Ontario, m’a dit que 25 % de ses activités sont axées sur l’exportation. S’il ne peut pas acheter de porcs, cela crée un engorgement. Il y a une usine au Manitoba qui exporte 85 % de ses porcs. Si ce produit ne peut pas être mis sur le marché, les exploitations familiales sont menacées, parce qu’elles ne peuvent pas vendre mes porcs. Que vont-elles en faire maintenant? Les produits étaient de qualité supérieure deux semaines plus tôt. Où va-t-on les expédier? Il est vraiment important que le produit arrive à destination. Disons que je suis un jeune agriculteur, que je fais face à des interruptions constantes et que l’entreprise de transformation avec laquelle je travaille me dit qu’elle ne peut pas les prendre cette semaine et qu’elle n’a nulle part où les envoyer. Elle dit : « Désolée pour le prix. Je sais que c’est très dur. C’est le mieux que nous puissions faire. » Pourquoi considérez-vous cela comme un excellent choix de carrière?
M. Hepworth : J’ai deux enfants. Je suis agriculteur depuis 23 ans. Pour être honnête, je me demande vraiment si je veux que mes enfants soient agriculteurs. Il y a déjà assez de risques. La météo nous apporte déjà suffisamment d’incertitude. Je ne suis pas sûr de vouloir qu’ils vivent ce que j’ai vécu ces 23 dernières années, et c’est pourquoi je suis ici au nom des Producteurs de grains du Canada. C’est pour cela que je me suis engagé, pour essayer de changer cela et de trouver des solutions pour que nous n’ayons pas à composer avec davantage d’incertitude et de risques.
Le président : Merci à tous. Nous arrivons à la fin du temps alloué pour ce groupe de témoins. J’aimerais vous remercier d’avoir comparu aujourd’hui. C’est très apprécié. J’aimerais informer les témoins qu’il y a, je crois, deux ou trois questions qui nécessitent un suivi. Vous pouvez nous soumettre vos réponses par écrit d’ici le 2 décembre 2025.
Permettez-moi maintenant de vous présenter nos prochains témoins. Nous accueillons Mme Natashia Stinka, directrice, Affaires publiques, de Canpotex; et M. Marc Bibeau, président exécutif, d’OEC Consolidateurs Outre-Mer Express Inc. Merci d’être avec nous aujourd’hui. Chaque témoin aura cinq minutes pour faire sa déclaration préliminaire, puis il y aura une séance de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite Mme Stinka à faire sa déclaration préliminaire.
Natashia Stinka, directrice, Affaires publiques, Canpotex : Merci. Canpotex est l’un des plus grands fournisseurs mondiaux de potasse. Depuis plus de 50 ans, nous sommes l’une des réussites commerciales les plus discrètes du Canada. Notre entreprise, qui compte 170 employés, est fière d’avoir établi son siège social à Saskatoon, mais notre impact va beaucoup plus loin.
Pour le compte de nos deux actionnaires, Mosaic et Nutrien, nous exportons chaque année 14 millions de tonnes métriques de potasse vers 40 pays. Nos exportations, d’une valeur de 5 milliards de dollars américains, soutiennent 5 000 emplois dans l’ensemble du Canada et aident à nourrir près de deux milliards de personnes.
Je suis ici aujourd’hui pour parler de l’effet dévastateur des perturbations fréquentes du travail dans les secteurs portuaires et ferroviaires sur nos exportations de potasse et de nos observations directes de l’atteinte à la réputation du Canada et des avantages de la situation pour la Russie.
Il n’existe aucun autre moyen pour l’exportation de la potasse que les services ferroviaires et portuaires, puisque 100 % de notre potasse est transportée par chemin de fer des mines de la Saskatchewan au port. Chaque semaine, le trafic ferroviaire de Canpotex équivaut au trafic de 10 000 camions sur les routes.
Le Port de Vancouver est l’une des portes d’entrée les plus importantes pour les exportations de potasse, comptant pour près de 70 % de nos expéditions. Toutefois, nous utilisons aussi les ports de Saint John’s et de Thunder Bay, au Canada, et nous exploitons un terminal à Portland, en Oregon. Bref, quand aucune résolution n’est atteinte à la table des négociations, c’est nous qui écopons.
En ce qui concerne les répercussions, la potasse a été le secteur le plus touché par les six arrêts de travail survenus dans les ports et les chemins de fer entre 2022 et 2024. Des expéditions de près de deux millions de tonnes métriques de potasse prévues ont été retardées, détournées ou manquées. Ces exportations, évaluées à 1 milliard de dollars canadiens, étaient destinées à des marchés importants pour le Canada, y compris l’Europe, l’Asie du Sud-est et l’Amérique du Sud.
En 2023, Nutrien a annoncé une réduction de la production de deux de ses plus grandes mines en raison de la grève au Port de Vancouver. Quand Canpotex ne peut pas expédier sa potasse, les mines de nos actionnaires débordent. Pendant la même grève, Canpotex a annoncé, pour la première fois en 50 ans d’existence, qu’elle retirait ses offres de vente en raison de l’incertitude. Et la reprise a été lente. Le ralentissement a commencé au moins une semaine avant chaque arrêt de travail, et les partenaires de la chaîne d’approvisionnement ont mis jusqu’à sept mois à s’en remettre complètement. En résultat, la Russie en a bénéficié. Après la grève du Port de Vancouver, en 2023, la Russie a remplacé le Canada en tant que principal fournisseur de potasse dans de grands marchés comme l’Indonésie et la Malaisie. D’autres conflits de travail sont survenus en 2024 et le Canada n’a pas regagné sa part du marché, alors que la Russie a conservé la sienne.
Les clients n’en reviennent pas que ces problèmes persistent au Canada, d’autant plus que nos compétiteurs livrent leur marchandise malgré les guerres, les sanctions et les attaques maritimes.
La fiabilité est essentielle pour exporter de la potasse. Nos expéditions sont parfaitement coordonnées avec la saison des récoltes et elles sont planifiées des mois à l’avance; une livraison de potasse manquée peut empêcher l’application du produit en temps opportun, ce qui réduit le rendement des cultures. Il faut savoir que près de la moitié des aliments cultivés dans le monde ont besoin d’engrais, et la fiabilité est un élément important de notre marque. Nous sommes un fournisseur reconnu pour livrer la marchandise à temps. Nous avons investi plus ou moins 3 milliards de dollars, ces 20 dernières années, dans nos propres wagons, terminaux portuaires et navires affrétés pour protéger cette réputation.
Les retards dans les expéditions de potasse canadienne ont d’importantes conséquences géopolitiques inconnues des autres types d’exportations. Le Canada détient une part disproportionnée de l’approvisionnement mondial en potasse, représentant près de 40 % des exportations mondiales de potasse. Et si le Canada ne peut pas livrer sa potasse, seules la Russie et la Biélorussie peuvent combler le vide; ce sont les pays où les ventes de potasse soutiennent des régimes autoritaires et, dans le cas de la Russie, la guerre en Ukraine.
Donc, que pouvons-nous faire? Le Canada reconnaît déjà que certaines expéditions sont essentielles à l’intérêt national. En vertu du paragraphe 87.7 du Code canadien de travail, les exportations céréalières doivent être maintenues pendant les perturbations du travail dans les ports. Inclure la potasse dans cette exemption serait logique, puisque les céréales et la potasse sont d’une égale importance pour la sécurité alimentaire mondiale. Il est aussi logique d’inclure les services portuaires et ferroviaires dans cette exemption, car ils sont tous deux des éléments importants de la chaîne d’approvisionnement.
Même s’il n’y a eu aucun conflit de travail dans les ports ou les chemins de fer en 2025, l’instabilité de la main-d’œuvre est toujours d’actualité. D’ici six mois, quatre conventions collectives vont expirer, ce qui pourrait affecter notre chaîne d’approvisionnement. Et si le Canada veut réellement pénétrer de nouveaux marchés et tirer profit des minéraux critiques, il n’y a qu’à prendre exemple sur nous. Canpotex est un modèle de diversification commerciale au Canada. Nous avons donné une solide réputation à la potasse canadienne, et nous avons bâti notre propre chaîne d’approvisionnement conçu pour en assurer la livraison. Mais, présentement, le plus grand enjeu est la fiabilité de la chaîne d’approvisionnement au Canada.
Merci, j’ai hâte d’entendre vos questions.
Marc D. Bibeau, président exécutif, OEC Consolidateurs Outre-Mer Express Inc. : Bonjour monsieur le président, et honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je tiens à saluer le travail du comité. C’est une question qui concerne tous les Canadiens.
Je m’appelle Marc Bibeau, je suis le fondateur et président exécutif du Groupe OEC, ici, au Canada, un transitaire international exerçant ses activités sur six continents. J’ai aussi été président de l’Association canadienne des transitaires internationaux, ou l’ACTI, pendant trois ans. L’ACTI est la voix du gouvernement et l’interlocuteur du gouvernement en ce qui concerne les chaînes d’approvisionnement et la logistique. Je siège au Nishitetsu, le NNR, un conseil d’administration japonais coté en bourse en Corée, dans la division de la chaîne d’approvisionnement et de la logistique. Je viens aussi de terminer un mandat au sein de l’International Federation of Freight Forwarders Associations, la FIATA, en tant que vice‑président principal, à Genève. La FIATA représente 105 pays et environ 10 000 membres de la chaîne d’approvisionnement et de la logistique mondiale.
Aujourd’hui, je comprends que l’unique raison pour laquelle nous sommes — ou que je suis — dans cette industrie, c’est pour représenter le commerce canadien. Avant que le Canada et les États-Unis ne signent leur premier accord de libre-échange, je savais que l’ouverture des marchés chinois et vietnamiens changerait en profondeur notre commerce mondial et que le Canada devait être prêt.
Depuis 40 ans, ma conviction fondamentale est la suivante: la prospérité du Canada. Et notre capacité à financer les infrastructures, les soins de santé, l’éducation et les services sociaux dépend d’un accès fiable aux marchés mondiaux. Le commerce n’est pas facultatif. Il soutient notre assiette fiscale, notre compétitivité et notre bien-être national. Tout au long de ma carrière, j’ai aidé les chefs d’entreprises canadiennes, le gouvernement et les hommes et femmes d’affaires partout dans le monde à comprendre comment fonctionne réellement la chaîne d’approvisionnement. Aujourd’hui, les défis viennent peut-être d’ailleurs. Je suis ici pour mettre l’accent sur les solutions, c’est‑à-dire des solutions concrètes et réalistes que le Canada pourrait mettre en œuvre immédiatement.
J’ai cinq solutions qui donneront des résultats immédiats et concrets. Premièrement, il faut avant tout prioriser la productivité des points d’entrée nationaux et la fluidité du système. Avant d’ajouter de nouveaux ports et terminaux, le Canada doit améliorer ses actifs existants, ses ports et ses aéroports, pour qu’ils atteignent des niveaux de performance de classe mondiale. Cela suppose une manutention portuaire efficace, un traitement du fret aérien efficace, le respect des créneaux d’accostage, un calendrier et une capacité fiables des chemins de fer et des activités ferroviaires entièrement coordonnées pour maintenir la fluidité d’un bout à l’autre du pays dans nos activités et nos ports. L’augmentation de la productivité et de la fluidité est le moyen le plus efficace et le moins coûteux de renforcer notre compétitivité ici, au Canada.
Deuxièmement, il faut moderniser les données nationales, les capacités de l’IA et les systèmes visibles. Les nations compétitives s’appuient sur des données en temps réel, l’automatisation et la prise de décisions fondée sur l’IA. Le Canada a besoin d’une plateforme numérique commune — une couche de visibilité nationale neutre — soutenue par l’IA, l’apprentissage machine, les grands modèles linguistiques, l’analyse prédictive et l’automatisation pour prévoir la demande, anticiper les congestions, coordonner les capacités, examiner les besoins et permettre une prise de décisions plus rapide et fondée sur les données probantes pour tous les intervenants.
Ces technologies sont déjà accessibles et répandues dans les principales portes d’entrée mondiales. Le Canada ne peut pas se permettre de prendre du retard.
Troisièmement, il s’agit d’harmoniser la planification dans l’ensemble des ports, des aéroports, des activités ferroviaires et de camionnage et des services frontaliers. Les chaînes d’approvisionnement modernes s’appuient sur des systèmes intégrés; non compartimentés. Le Canada a besoin d’une planification coordonnée et multimodale, qui aligne les investissements dans la capacité et les activités sur la demande réelle selon les prévisions de croissance. Aucun pays ne peut faire fonctionner efficacement une chaîne d’approvisionnement avec des éléments disjoints.
Quatrièmement, il faut renforcer de manière collaborative notre fiabilité opérationnelle et notre main-d’œuvre. Nous avons entendu le mot « collaboration » deux ou trois fois ce matin, et c’est ce qui nous aidera à surmonter ce défi. Je ne suis pas un négociateur syndical, mais je comprends les conséquences de l’instabilité. Le Canada a besoin d’un engagement plus précoce et structuré entre les syndicats, les employeurs et le gouvernement pour garantir la prévisibilité et la fiabilité de la main-d’œuvre. Nous devons également investir dans la modernisation de la main-d’œuvre, les compétences numériques, la sécurité et la préparation à l’automatisation, afin que les travailleurs canadiens puissent tirer profit de la technologie indissociable des chaînes d’approvisionnement d’aujourd’hui.
Cinquièmement, les investissements publics devraient être axés sur des projets visant à améliorer la fiabilité, le débit et la productivité, plutôt que la simple expansion. Le financement doit être accordé sur cinq ans, être axé sur la performance et être harmonisé à l’échelle nationale. Être de classe mondiale à un coût, mais ne pas investir coûterait beaucoup plus cher aux Canadiens.
Le budget fédéral proposé pour 2025, qui inclut l’initiative « Achetez canadien » et le fonds d’investissement dans les corridors logistiques, témoigne de la volonté de faire de la chaîne d’approvisionnement une priorité nationale. Si le Parlement adopte ces mesures, nous devrons rapidement passer de l’engagement à l’action. Les syndicats, l’industrie et le gouvernement doivent être prêts à travailler ensemble. Le secteur privé est prêt à faire sa part. L’industrie, y compris les entreprises comme la nôtre, qui possède une expérience internationale, est prête à intervenir et à collaborer avec le gouvernement et tous les intervenants pour aider le Canada à reprendre sa place sur la scène mondiale de la chaîne d’approvisionnement.
Pourquoi est-ce important? Le Canada perd des volumes considérables au profit de portes d’entrée américaines et internationales. Quand un volume quitte un corridor, il revient rarement. Chaque conteneur détourné représente des emplois, des revenus et des recettes fiscales perdus pour le gouvernement et réduit notre influence économique. Les chaînes d’approvisionnement ne sont pas seulement des actifs économiques; ce sont aussi des actifs de sécurité nationale. La sécurité alimentaire, les biens essentiels, les fournitures médicales, la stabilité de l’énergie, la fiabilité du secteur manufacturier et les interventions en cas d’urgence dépendent de la fluidité de la chaîne d’approvisionnement. Le Canada doit décider s’il veut être un chef de file ou s’il accepte de continuer à prendre du retard.
En conclusion, monsieur le président et honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m’avoir invité. Je suis prêt à répondre à vos questions et je suis toujours disponible pour aider les comités, les groupes de travail et tous les intervenants à travailler de concert pour renforcer la chaîne d’approvisionnement canadienne à l’avenir. Si nous ne renforçons pas nos portes d’entrée, d’autres prendront avec plaisir notre place — et ils l’ont déjà fait. Le monde n’attend pas le Canada. Le moment est venu en tant que Canadiens de choisir entre prendre les devants avec détermination ou laisser passer les occasions au profit de ceux qui agissent plus rapidement, puisque, sans vouloir vous manquer de respect, la seule mauvaise décision, c’est de ne pas prendre de décision. Merci.
[Français]
Le président : Merci, monsieur Bibeau.
[Traduction]
Les sénateurs vont maintenant poser leurs questions, et nous aimerions avoir une copie de votre déclaration préliminaire, si possible. Elle était très impressionnante. Merci, monsieur.
La sénatrice Dasko : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui.
Je vais commencer par Mme Stinka. Vos commentaires offrent un lien parfait vers ma question : que devrions-nous faire à ce sujet, selon vous? Je suis bouleversée d’apprendre que la Russie a remplacé le Canada dans la production de potasse. Je trouve cela étonnant, car j’ai toujours considéré la Russie comme un pays possédant du pétrole et du gaz, mais qui est presque désespéré dans tous les autres domaines. Je suis donc bouleversée d’apprendre qu’elle est également présente dans le secteur de la potasse et qu’elle prend des parts de marché au Canada. C’est une mauvaise nouvelle.
Vos commentaires semblent indiquer que vous souhaitez modifier l’article 87.4 du Code canadien du travail, qui traite de la définition de ce qui doit être considéré comme un service essentiel en cas d’interruption de travail. Pourtant, certains témoins qui ont comparu plus tôt aujourd’hui nous ont dit qu’ils ne proposaient pas de modifier cet article. Ils recherchent d’autres solutions, mais, selon vos commentaires, vous préconisez une solution qui consiste à élargir la définition de « services essentiels ». Je me demandais si vous pouviez parler spécifiquement de ce point, mais aussi, de façon plus générale, de la manière dont nous devrions régler le problème.
Mme Stinka : Bien sûr. Je commenterai d’abord vos premières remarques sur la Russie. Pour replacer les choses dans leur contexte, le Canada représente environ 40 % des exportations mondiales de potasse. La Biélorussie et la Russie représentent une autre tranche de 40 %. Cela nous donne également une idée de l’ampleur de leurs exportations de potasse.
Au sujet de l’article 87.7, je...
La sénatrice Dasko : Je parlais de l’article 87.4, mais allez-y, je vous prie.
Mme Stinka : Je parlais de l’article 87.7, qui traite spécifiquement du maintien des services portuaires de transport des céréales pendant les conflits de travail dans les ports, ou plus précisément les conflits de travail des débardeurs.
De notre point de vue, ce serait la solution la plus efficace à certains des défis qui se sont posés lorsque les expéditions de potasse ont été retardées, comme les répercussions sur la sécurité alimentaire mondiale et la réputation du Canada en tant que partenaire commercial fiable et stable et les conséquences géopolitiques de tout cela. Cependant, cet article présente actuellement certaines lacunes. Les services portuaires ne sont pas tous couverts par cette exemption, et le service ferroviaire, essentiel pour atteindre un port, n’est pas couvert non plus. Je crois comprendre qu’elle n’inclut pas la définition de « services essentiels » de l’article 87.7, et nous avons soulevé cette question afin de faire une suggestion qui serait à la fois restrictive et efficace.
La sénatrice Dasko : Alors, vous ne souhaitez pas modifier l’article 87.4...
Mme Stinka : Non.
La sénatrice Dasko : ... en ce qui concerne l’élargissement des services essentiels. Est-ce que vous vous occupez uniquement de l’article 87.7?
Mme Stinka : C’est exact.
La sénatrice Dasko : D’accord.
Monsieur Bibeau, en ce qui concerne les modifications législatives ou réglementaires que le gouvernement pourrait apporter, que jugeriez-vous nécessaire? Bon nombre de vos commentaires portaient sur les changements nécessaires des relations entre les syndicats et les entreprises et les syndicats et le secteur privé, les changements au chapitre de la productivité, la collecte de données, etc. Plus précisément, en ce qui concerne le Code canadien du travail, souhaiteriez-vous modifier certains de ces articles?
M. Bibeau : Oui, c’est une excellente question. Merci.
Comme je l’ai dit, je ne suis ni un expert en droit du travail ni un avocat spécialisé dans ce domaine, donc je crois que nous devons considérer cela comme un partenariat collaboratif qui fonctionne, car ce qui ressort clairement de ce que j’ai entendu ce matin — et je suis certain que vous entendez cela depuis des années, voire des décennies, parce que je travaille dans ce domaine depuis longtemps —, c’est que, lorsqu’il y a un arrêt de travail, l’activité économique de tout le Canada est nulle. Les dommages que cela nous cause sur la scène mondiale — et je parcours le monde huit mois par année, depuis 40 ans.
J’ai rencontré le premier ministre du Vietnam il y a deux semaines, et si je puis rapporter le discours d’ouverture qu’il a prononcé devant 1 200 personnes venues du monde entier, il a dit que son pays était ouvert aux affaires et au commerce international et que son gouvernement était là pour le soutenir.
L’éthique de travail des Vietnamiens est sans égal et nous savons tous qu’en matière d’éthique de travail, l’Asie n’a pas son pareil, et les arrêts de travail sont inexistants.
Ils comprennent donc le coût des activités commerciales et les dommages qu’ils subiraient si leur chaîne d’approvisionnement n’était pas de calibre mondial. C’est le domaine prioritaire des multinationales du monde entier, des entreprises du classement Fortune 100 et des pays prêts à s’associer à d’autres pays pour garantir l’entrée et la sortie des produits et favoriser les échanges commerciaux.
Encore une fois, je ne suis pas un expert en droit ou en droit du travail. Je crois que, du point de vue du gouvernement, pour le dire simplement, si nous avions, comme d’autres pays, un mécanisme selon lequel un médiateur ou un arbitre intervient au premier palier, et qu’il ne parvient pas à trouver une solution convenant aux deux parties, il y a un accord mutuel entre les syndicats et les employeurs pour que l’affaire soit soumise à un nouvel arbitre indépendant et neutre. Cette décision est laissée à la discrétion du ministère, qui dispose de pouvoirs plus étendus pour garantir que le travail ne s’arrête pas pendant la durée des négociations.
Mais pour l’instant, d’après ce qu’a dit ma collègue ici présente, Mme Stinka, cela paralyse les entreprises du pays. Nous perdons des emplois. Nous perdons des débouchés et des revenus que nous ne pourrons jamais récupérer, qu’il s’agisse du porc livré avec deux semaines de retard que nous n’avons pu vendre sur aucun marché, ou d’autres choses. Nous avons une petite population, ici, nous ne pouvons pas en manger autant. En fin de compte, nous devons trouver un mécanisme collaboratif tourné vers l’avenir et axé sur les affaires, qui profite aussi aux employés.
Je suis favorable aux négociations et aux employés, mais nous devons trouver quelque chose qui fonctionne.
Le président : Nous avons un petit problème de logistique, car nous devons quitter les lieux à 11 heures pour laisser la place au groupe suivant. Il reste neuf sénateurs qui souhaitent poser des questions. Je leur demanderais donc de limiter leurs questions à trois minutes maximum afin que nous puissions entendre tout le groupe.
Le sénateur Wilson : J’ai une petite question pour Mme Stinka et ensuite une question pour vous deux.
Madame Stinka, nous avons entendu parler des nombreux problèmes qui sont apparus, mais nous n’avons pas encore traité de la question du déploiement des capitaux. J’aimerais savoir dans quelle mesure les relations de travail au Canada influent sur les décisions de vos membres en matière de déploiement des capitaux, particulièrement au chapitre des investissements dans les terminaux. Par exemple, il est de notoriété publique que Nutrien envisage actuellement la construction d’un nouveau terminal sur la côte Ouest et qu’elle pourrait choisir de le construire aux États-Unis.
Dans quelle mesure les relations de travail sont-elles un facteur?
Mme Stinka : Je dirais que, dans l’ensemble, la fiabilité est un élément clé lorsque nous réfléchissons à notre chaîne d’approvisionnement, peu importe le contexte, que ce soit au regard des destinataires actuels ou des investissements prévus, disons, dans 10 ans. C’est essentiel.
Selon nous, le Port de Vancouver deviendra la principale porte pour les exportations de potasse. C’est déjà le cas aujourd’hui, et cela devrait le rester encore longtemps. Notre terminal principal est le Neptune Bulk Terminals, situé sur la rive nord. Il s’agit de la plus grande installation de manutention de potasse au monde. Nous avons investi massivement pour en faire le terminal le plus rentable et le plus efficace qui soit. De plus, il bénéficie d’un emplacement géographique idéal : il est situé à la distance la plus courte entre le chemin de fer reliant les mines de nos actionnaires et un port, et il est également à la distance de navigation la plus courte vers les principaux marchés asiatiques. Il y a donc là une formidable occasion à saisir.
Nous envisageons également un investissement important dans Neptune, car nous voulons faire notre part pour maintenir la fluidité du corridor. Mais, pour respecter nos engagements, il n’y a pas que les actifs qui sont nécessaires, la stabilité de la main‑d’œuvre l’est également pour assurer la circulation des produits.
Le sénateur Wilson : Croyez-vous que la situation au Canada rend plus probable le développement de ces projets au sud de la frontière?
Mme Stinka : Je ne peux pas me prononcer à ce sujet, mais je sais que l’instabilité des relations de travail au Canada a eu des répercussions importantes, non seulement dans ce domaine, mais aussi en ce qui concerne les décisions globales relatives à la chaîne d’approvisionnement ainsi que la réputation du Canada à l’étranger.
Le sénateur Wilson : Je serai très bref, et j’adresserai ma question à M. Bibeau.
Vous avez parlé de la productivité, et j’aimerais beaucoup avoir une longue conversation à ce sujet. Nous devrions mener une autre étude là-dessus. Vous avez parlé tout à l’heure de la participation structurée au processus de négociation collective. Le rapport Ready-Rogers recommande la nomination d’un médiateur spécial pour les ports.
Que diriez-vous si un médiateur spécial était nommé au début des négociations, tant pour les ports que pour les chemins de fer?
M. Bibeau : Voilà une autre excellente question.
Nous souhaiterions que les deux parties comprennent l’importance du développement économique et du commerce ici au Canada. Il est important de préserver les emplois afin que nous soyons perçus sur la scène mondiale comme un pays qui a une main-d’œuvre fiable et où il fait bon faire des affaires. Nous avons plutôt mal réussi à ce chapitre ces trois ou quatre dernières décennies.
Nous devons leur donner une chance de discuter — et, encore une fois, cela dépasse mes compétences, honnêtement, du point de vue d’un avocat spécialisé en droit du travail ou d’un spécialiste —, mais, si nous donnons aux deux parties l’occasion de discuter, d’avoir des discussions ouvertes et équitables, c’est formidable. Si cela ne mène nulle part dans les délais prescrits, alors le médiateur spécial intervient. Le médiateur spécial doit informer le gouvernement et le ministère de sa recommandation, et les deux parties doivent comprendre que cette recommandation devrait ou pourrait être appliquée en vertu des pouvoirs ministériels, car le ministère peut décider au nom des deux parties. À l’heure actuelle, c’est une partie de ping‑pong : vous obtenez un arbitrage exécutoire, puis, dans les 12 mois, nous sommes de retour à la table de négociation. C’est un cercle vicieux qui ne s’arrête jamais.
Le sénateur Lewis : Je parlerai brièvement de la potasse. Les parts de marché sont respectivement de 40 % et 40 %. Dans un monde idéal, quelle part du marché le Canada pourrait-il approvisionner si nous avions une chaîne d’approvisionnement parfaite, par exemple? Pourrions-nous fournir 100 % de la potasse utilisée dans le monde? C’est une énorme ressource en Saskatchewan. Monsieur Bibeau, nous avons parlé des occasions manquées, et il y a beaucoup de nouvelles productions qui voient le jour en Saskatchewan, mais je ne cesse d’y repenser : la potasse a tiré son épingle du jeu malgré ce qui est arrivé. Je me demande vraiment où notre industrie en serait si nous avions une chaîne d’approvisionnement fiable et de qualité.
Mme Stinka : Je dirais que la demande mondiale se situe autour de 70 millions de tonnes métriques, ce qui est un volume considérable. Comme je l’ai dit, nous fournissons actuellement environ 14 millions de tonnes métriques.
Vous soulevez un point intéressant : une grande partie du travail que nous avons pu faire pour établir des relations avec nos clients et livrer notre produit de manière fiable à temps pour la saison des récoltes a été fait malgré les nombreuses perturbations de la chaîne d’approvisionnement survenues au Canada. Nos livraisons arrivent, juste à temps, pour la saison des récoltes.
Le respect du délai de nos livraisons est donc essentiel.
La sénatrice Simons : Ma question s’adresse à M. Bibeau.
Entre juin 2024 et août 2025, le gouvernement fédéral a invoqué l’article 107 huit fois pour court-circuiter un conflit de travail plutôt que d’appliquer ce qui était auparavant le protocole, qui consistait à se présenter devant la Chambre des communes et le Sénat avec un projet de loi. Je me demandais si cela vous inquiétait d’une quelconque façon, compte tenu de votre dernière réponse au sénateur Wilson, de savoir que, si nous continuons de court-circuiter le processus de grève et tentons de... je ne me rappelle pas de vos mots exacts. C’est comme quand vous gardez quelque chose sous pression dans une bouteille; si vous l’agitez et que vous retirez le bouchon, le contenu explose partout. Ce qui m’inquiète vraiment, c’est que, à long terme, il pourrait y avoir un risque pour nos chaînes d’approvisionnement du transport si nous forçons les grévistes à aller directement en arbitrage avant même qu’ils aient exercé leur droit légal de faire la grève.
M. Bibeau : Vous posez une autre excellente question.
Si vous avez bien compris ce que j’ai dit, j’ai dit que j’étais en faveur des négociations, et j’aime appliquer une approche collaborative pour trouver une solution et garder notre pays en vie. Pour une raison ou une autre, cela ne semble pas fonctionner ici, au Canada.
Je crois que les deux parties doivent comprendre que, s’il n’y a pas d’échanges commerciaux, il n’y a pas d’emplois. Et je crois vraiment que la question primordiale est, disons, les dommages collatéraux pour les deux parties, sans oublier la réputation de notre pays. Donc, je pense que l’article 107 — d’après ce que j’ai lu et mes connaissances limitées sur les tribunaux —, fait l’objet d’un examen juridique. Il y a des pour et des contre. Certains disent que l’article sera éliminé avant longtemps. D’autres disent que des modifications y seront apportées dans l’avenir, mais je crois que le juge tranchera la question à un moment ou à un autre.
Vous savez, nous devons vraiment y revenir et apprendre très rapidement des pays voisins quels sont les avantages d’avoir un partenariat et une main-d’œuvre collaborative qui font rouler l’économie, conservent leur emploi aux citoyens canadiens et poussent le PIB vers le haut. Nous devons travailler sur la productivité, qui nous place au dernier rang des pays du G7 et sans doute aussi du monde, aujourd’hui.
Mme Stinka : L’article 107 est un outil imparfait. Si le ministre a fini par s’en servir, cela veut dire que les négociations à la table de négociation n’ont mené à aucune entente; on est en arrêt de travail, et la chaîne d’approvisionnement est perturbée. Comme nos collègues du secteur du grain l’ont dit plus tôt, un arrêt de travail d’une journée perturbera la chaîne d’approvisionnement pendant au moins une semaine, puisque les services ferroviaires ralentissent en prévision d’un arrêt de travail, pour ensuite reprendre tranquillement. Donc, il est évident que ce n’est pas un outil parfait. Et, compte tenu des conséquences géopolitiques que nous avons vues, des conséquences sur la sécurité alimentaire mondiale et des risques pour la réputation du Canada, nous envisageons de meilleurs outils, y compris une extension de l’exemption prévue à l’article 87.7 afin d’y inclure également la potasse et les services ferroviaires.
La sénatrice Simons : Je ne comprends tout simplement pas comment le fait de priver les gens de leur droit constitutionnel de faire la grève parce que cela nuit aux exportateurs amènera la paix syndicale.
Le sénateur Quinn : Ma question s’adresse à M. Bibeau. Vous avez formulé cinq recommandations, souligné cinq aspects sur lesquels vous aimeriez que le gouvernement se penche pour ce qui est de la productivité et de la fluidité; trouver une façon d’harmoniser la planification des modes de transport — une approche coordonnée multimodale; et renforcer la collaboration des effectifs, mettre en place un processus syndical-patronal-gouvernemental très structuré. Et même si je crois que nous respectons tous les négociations collectives, j’ai parlé plus tôt de la situation économique dans laquelle nous nous trouvons actuellement, et je vais tout simplement aller à l’essentiel. Devrait-il y avoir un processus de médiation ou quelqu’un dans la pièce qui s’assure que l’on négocie de bonne foi, et, si ce n’est pas le cas, que l’on passe directement à l’arbitrage, niant ainsi le droit de grève existant? L’économie d’aujourd’hui n’est plus la même, et nous faisons concurrence aux États-Unis, qui nous attaquent.
Pouvons-nous prendre des mesures pour empêcher les arrêts de travail tout en ayant des négociations collectives sérieuses?
M. Bibeau : Je pense que la réponse courte est oui. Vous ne pouvez pas plaire à tout le monde, et les gens ont le droit d’avoir des valeurs et de prendre les décisions. Je pense que nous devons examiner le tableau d’ensemble, et cela veut dire qu’il faut garder le Canada ouvert aux affaires, ce qui profite aux employés et à tous les intervenants de la chaîne d’approvisionnement.
Le sénateur Quinn : Merci. Je vais maintenant céder la parole à un autre collègue.
Le sénateur Loffreda : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse à M. Marc Bibeau. Vous formulez toujours des commentaires pertinents et d’excellentes recommandations. Vous avez dit qu’il fallait prioriser les portes d’entrée nationales, moderniser nos données nationales et nos capacités en matière d’IA et harmoniser la planification, la fiabilité des effectifs et les possibilités d’investissements. Vous avez aussi parlé des décennies de rendement insuffisant dans certains secteurs, et nous parlons souvent de rendement insatisfaisant. Pensez-vous que c’est un manque d’investissements publics ou de ressources ou un autre enjeu que nous pouvons régler?
M. Bibeau : C’est une excellente question, sénateur. C’est un gouffre sombre, très profond et très gros. Nous devons vraiment nous donner des points de référence et nous comparer aux entreprises qui font bien les choses, qui améliorent constamment leur productivité et qui sont très axées sur les affaires, parce que cela crée des emplois, augmente les recettes fiscales et crée des opportunités.
Ce problème systémique dure depuis des décennies. Il ne vient pas d’apparaître il y a 12 mois ou trois ans. Je pense que nous devons vraiment rétablir l’équilibre, petit à petit, pour reprendre notre place sur la scène internationale. Nous devons dire au monde que nous sommes prêts à faire des affaires et que les opérations de notre chaîne d’approvisionnement sont de calibre mondial et offrent des emplois et du travail stables, mais que nous sommes aussi un lieu de travail concurrentiel qui peut être une bonne option pour les investisseurs étrangers.
Donc c’est une question multidimensionnelle, qui mériterait peut-être que l’on en discute autour d’un café.
Le sénateur Loffreda : Merci.
M. Bibeau : Toutefois, à l’avenir, nous devons arrêter de mettre le Canada sur pause et, année après année, de suspendre nos activités. Ces deux dernières années, aucun autre pays du monde n’a connu 42 ou 43 jours d’arrêt de travail. Ces arrêts ne font qu’empêcher notre pays de faire des affaires. C’est ce qui me frustre.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La sénatrice Mohamed : Madame Stinka, vous avez parlé de l’article 87.7 et de faire de la potasse un bien essentiel. Je présume que vous avez défendu cette cause, et je me demandais si vous pourriez nous dire quelle réponse vous avez reçue et pourquoi selon vous cela n’était pas inclus dès le départ?
Mme Stinka : Dès le départ?
La sénatrice Mohamed : Oui, dans l’article 87.7.
Mme Stinka : Quand il a été adopté la première fois? Je crois que l’article se trouve dans le Code canadien du travail depuis des décennies, avant mon arrivée, et veuillez m’excuser, mais je ne connais pas l’historique. C’est un sujet que nous avons mis sur le tapis durant les dernières interruptions de travail, parce qu’elles duraient longtemps, qu’elles survenaient très fréquemment et que leurs répercussions étaient très profondes; elles allaient bien au-delà de Canpotex. Donc, nous avons examiné les autres leviers à la disposition du gouvernement et exploré un certain nombre d’options de politiques, mais celle-ci est très limitée selon nous. Elle est fondée sur les précédents, et elle existe déjà pour un secteur : le secteur du grain. Nous avons soumis la question au gouvernement. Il l’étudiera et je vais le laisser formuler ses commentaires.
La sénatrice Mohamed : Vous n’avez pas eu de réponse jusqu’à présent. D’accord, merci.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Merci, monsieur Bibeau. J’ai vraiment aimé vos commentaires sur le système. Vous avez aussi de l’expérience sur la scène internationale. Comme vous faites des affaires à plusieurs endroits dans le monde, avez-vous des exemples à partager avec nous — autres que les États-Unis, car on en a déjà entendu parler — de pays qui ont mis en place un système de médiation qui fonctionne? Dans l’affirmative, comment leur système de médiation fonctionne-t-il?
M. Bibeau : Merci de cette très bonne question, dans les circonstances.
Les pays qui ont des règles et des droits en la matière favorisent le travail et le développement économique. Prenons l’exemple de la Chine, du Vietnam, de Singapour, du Japon et de l’Asie dans son ensemble. Les gouvernements ne tolèrent pas que les employés cessent de travailler pour une longue période. Les grèves en Asie ne durent que deux ou quatre heures. Une grève en Europe ne dure que trois ou quatre heures, voire une journée. Dans notre secteur, avec les ports et ce que je représente en termes de logistique, les données sont plutôt bonnes. L’envers de la médaille au Canada, c’est que les employés ont un droit constitutionnel. Il faut considérer le pays globalement, ainsi que les valeurs et l’importance d’avoir une chaîne d’approvisionnement qui n’arrête pas et qui continue de créer des emplois, des revenus, des taxes et des investissements étrangers.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Mme Stinka.
Je me demande si vous savez pourquoi on a permis que le grain soit un service essentiel. Dans le cas de la potasse, votre minerai ne se dissout pas. Il n’y a pas de problème avec le minerai, il peut attendre. Par ailleurs, dans le cas du grain, celui‑ci pourrit. C’est peut-être cela qui explique qu’on en a fait un service essentiel.
Plus largement, pourquoi donner le statut de service essentiel à la potasse, alors que la viande voudrait aussi obtenir ce statut? L’industrie perd des millions de dollars en allant au Japon. Où commence-t-on et où finit-on? Je m’intéresse vraiment à la première partie de ma question. Pourquoi la potasse? Vous pouvez attendre au port même si cela vous coûte des contrats.
[Traduction]
Mme Stinka : Je suis ravie que vous ayez posé la question. J’aimerais d’abord dire ceci : Dans l’article 87.7, le secteur du grain n’est pas considéré comme un service essentiel ou comme un bien essentiel. C’est seulement une exemption qui vise les interruptions de travail dans les ports, surtout pour l’amarrage, l’arrimage et les déplacements d’un navire céréalier. C’est tout. Ce n’est pas considéré comme un service essentiel.
Pour ce qui est de la nature périssable des céréales — ou peut‑être de la viande —, la potasse ne peut pas être entreposée trop longtemps. Comme je l’ai dit précédemment, le délai de livraison est important durant la saison des récoltes. Toutefois, ce n’est pas un produit que l’on peut entreposer longtemps, par exemple, en prévision d’un arrêt de travail. Tout d’abord, il n’y a tout simplement pas suffisamment de place dans le monde pour entreposer la quantité de potasse que nous exportons sur une courte période. Nous pouvons en entreposer environ 700 000 tonnes dans nos installations portuaires. Cela semble beaucoup, mais nous pouvons remplir et vider un entrepôt en deux ou trois jours. Les choses bougent très rapidement.
Toutefois, en réalité, la qualité de la potasse se dégrade si elle est entreposée, et ce, peu importe la durée. Tout d’abord, cela veut sans doute dire qu’elle est manutentionnée un certain nombre de fois, et la qualité de la potasse commencera à se dégrader. Elle deviendra poudreuse. Notre potasse doit respecter les critères de nos clients, et la taille peut en être un. Elle peut également se détériorer de cette façon. Aussi, si elle est entreposée un certain temps, elle peut commencer à s’agglutiner comme du ciment, et elle devient alors inutilisable. En soi, il s’agit d’un produit périssable qui doit être livré rapidement, sinon, on ne peut plus utiliser la potasse qui a été extraite et préparée.
La sénatrice Miville-Dechêne : Si on compare la potasse et la viande, pourquoi seriez-vous un service essentiel, contrairement au service ferroviaire de transport de viande?
Mme Stinka : Je vais laisser les représentants de l’industrie de la viande répondre eux-mêmes, mais la potasse est unique compte tenu de l’énorme contribution du Canada au chapitre de l’approvisionnement en potasse à l’échelle mondiale. Je ne crois pas qu’il y ait un autre produit d’exportation au Canada qui atteint les mêmes quantités que nous. Nous représentons environ 40 % des exportations mondiales.
La potasse peut entraîner des conséquences géopolitiques qui n’existent pas pour les autres produits d’exportation. Si le Canada ne livre pas sa potasse, seules la Russie et la Biélorussie peuvent combler le vide. Il s’agit de régimes autoritaires que le Canada et ses alliés ont tenté de restreindre. Selon moi, c’est une raison convaincante. Nous avons sans contredit vu la réputation du Canada ternie parce que les expéditions de potasse ont été retardées, détournées ou manquées.
Le président : Le temps que nous avions pour notre réunion est écoulé. J’aimerais remercier tous les témoins qui ont comparu aujourd’hui. C’est très apprécié. Veuillez soumettre par écrit vos réponses à la greffière, si vous en avez, au plus tard le mardi 2 décembre. Vous nous avez donné beaucoup d’informations très intéressantes, et si vous voulez en faire un résumé et nous le communiquer, ce serait apprécié.
J’aimerais rappeler aux sénateurs que notre prochaine réunion se tiendra demain, le mercredi 19 novembre, à 18 h 45. Avant de lever la séance, j’aimerais remercier toute l’équipe technique de notre comité — les gens qui sont en première ligne et ceux qui travaillent en coulisse et que l’on ne voit pas. Merci à vous tous de votre travail qui contribue énormément au succès de notre travail en tant que sénateurs.
(La séance est levée.)