LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 19 novembre 2025
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui à̀ 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le maintien des services de transport en cas de conflit de travail.
Le sénateur Larry W. Smith(président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je m’appelle Larry Smith. Je suis un sénateur du Québec et je préside le comité. J’invite mes collègues à se présenter. Commençons à ma gauche.
La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta. Je viens du territoire visé par le Traité no 6.
Le sénateur Wilson : Sénateur Duncan Wilson, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Mohamed : Farah Mohamed, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Arnold : Dawn Arnold, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Lewis : Todd Lewis, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.
Le président : Merci, chers collègues. Je souhaite la bienvenue à tout le monde ici présent aujourd’hui ainsi qu’à ceux qui nous suivent en ligne sur le site Web du Sénat, sencanada.ca. Nous sommes réunis pour poursuivre notre étude portant sur le maintien des services de transport en cas de conflit de travail.
Je vais maintenant présenter le premier groupe de témoins. De l’Association canadienne des carburants, nous recevons David Schick, vice-président pour l’Ouest du Canada, Innovation et affaires réglementaires. De l’Association canadienne du propane, nous accueillons en direct, en ligne, Katie Kachur, vice-présidente, Relations gouvernementales, Ouest. Merci à vous deux de vous être joints à nous aujourd’hui.
Les témoins présenteront un exposé liminaire d’environ cinq minutes, après quoi ils répondront aux questions des sénateurs. J’invite maintenant M. Schick à faire son exposé.
David Schick, vice-président, Ouest du Canada, Innovation et affaires réglementaires, Association canadienne des carburants : Merci, monsieur le président. Je remercie les membres du comité et les autres témoins de me permettre de prendre la parole au nom des raffineurs et des fournisseurs de carburant qui ont un intérêt direct dans les activités ferroviaires et portuaires au Canada.
Le système des carburants de transport du Canada dépend d’un réseau logistique intégré. Ce secteur emploie environ 115 000 Canadiens et produit chaque année environ 110 milliards de litres de produits raffinés et plus de 5 milliards de litres de biocarburants. Il exploite également environ 80 terminaux de distribution et approvisionne plus de 11 500 points de vente au détail et sites commerciaux à l’échelle du pays.
Les membres de l’Association canadienne des carburants fournissent presque tous les produits pétroliers et près de 80 % des biocarburants produits au Canada. Ils exploitent 16 raffineries et 13 installations de production de biocarburants. Ces carburants sont distribués grâce à des pipelines et à des moyens de transport maritime, routier et surtout ferroviaire. Ils sont utilisés dans tous les secteurs de l’économie, de l’agriculture aux mines en passant par le tourisme et les services d’urgence. De plus, notre offre de carburants pour le transport évolue et utilise davantage de combustibles à faible teneur en carbone. La production, la distribution et le mélange de ces produits exercent encore plus de pression sur nos réseaux ferroviaires et portuaires.
Lorsque les chemins de fer et les ports fonctionnent de façon fiable, les raffineries reçoivent des produits chimiques, des carburants renouvelables, des matières premières et d’autres intrants dans les délais prévus, et les combustibles finis arrivent aux terminaux régionaux et aux points de vente à temps. Lorsque la fiabilité se dégrade, les répercussions sont immédiates et concrètes : coûts d’exploitation plus élevés, insuffisance des stocks, pressions sur les prix régionaux et risques plus élevés pour la sécurité énergétique.
Les observations récentes des intervenants font ressortir trois points interreliés qui méritent de retenir l’attention du comité. Premièrement, le transport ferroviaire est un complément stratégique des pipelines. Lorsque les pipelines sont soumis à des contraintes ou que les signaux du marché changent, le transport ferroviaire offre une souplesse essentielle pour le transport du pétrole brut et des produits raffinés entre les régions de production, de raffinage et de consommation. Le maintien et l’amélioration de cette capacité ferroviaire ne sont pas un choix parmi d’autres. Il s’agit d’une nécessité stratégique si nous voulons avoir un approvisionnement en carburants résilient.
Deuxièmement, la fluidité dans les activités des ports et des terminaux est importante. Les témoignages des représentants des chemins de fer et des ports révèlent que le temps d’attente dans les ports et la congestion aux terminaux ont augmenté ces dernières années, ce qui a entraîné directement une réduction du débit, une augmentation des coûts et une incidence sur la fiabilité de la logistique pour les expéditeurs et les fournisseurs. Ces retards peuvent se traduire par des perturbations localisées de l’approvisionnement à un moment où les consommateurs et les services essentiels ne peuvent pas se permettre des interruptions. Les goulots d’étranglement dans les ports limitent la fiabilité du transport des marchandises essentielles à notre secteur et à l’économie canadienne. Pour préserver la compétitivité de la chaîne d’approvisionnement nationale, il est essentiel de s’attaquer au problème de la congestion aux portes d’entrée maritimes.
Troisièmement, l’investissement, la transparence et la coordination sont des leviers qui fonctionnent. Les expéditeurs réclament constamment des investissements ciblés dans les raccordements ferroviaires aux terminaux et la capacité de manutention portuaire, une meilleure mise en commun des données sur les mesures de la capacité et de la congestion ainsi qu’une réglementation claire pour assurer l’interopérabilité et la sécurité.
Les intervenants demandent aussi que toute mesure gouvernementale soit liée à des résultats, à des améliorations démontrables du débit, à la performance en matière de sécurité, à la réduction des émissions et à la résilience aux perturbations syndicales ou aux conditions météorologiques extrêmes.
Je recommande respectueusement au comité de songer aux mesures suivantes :
Accélérer le financement des infrastructures ciblées pour faire disparaître les goulots d’étranglement : raccordements de chemin de fer sur courtes distances, agrandissement des terminaux et modernisation des postes d’amarrage et des parcs ferroviaires autant de mesures qui peuvent manifestement accroître le débit.
Rendre obligatoire et appuyer la communication de données en temps réel entre les ports, les transporteurs ferroviaires, les raffineurs et les principaux expéditeurs afin que toutes les parties et tous les organismes de réglementation puissent prévoir la congestion et revoir les flux de façon proactive.
Encourager une meilleure sécurité et une décarbonation plus poussée, par exemple en soutenant l’interopérabilité et l’amélioration du contrôle des trains ainsi que les investissements qui réduisent les émissions par tonne-kilomètre.
Intégrer la planification d’urgence et les cadres patronaux-syndicaux aux efforts de modernisation des ports et des chemins de fer afin de réduire le risque d’arrêts de travail perturbateurs et d’assurer la continuité des flux de carburants essentiels.
La mise en œuvre de ces mesures permettra de protéger l’accès pour les Canadiens à des carburants sûrs et abordables, de préserver les emplois et de renforcer la position du Canada dans les réseaux énergétiques et commerciaux mondiaux.
Je conclus. La fiabilité des activités ferroviaires et portuaires n’est pas une préoccupation qui se limite à l’industrie; il s’agit d’une priorité nationale, économique et de sécurité publique. Les arguments qui vous sont présentés constituent une position unie et claire. Des investissements ciblés, une meilleure coordination et une mesure transparente des résultats sont les moyens d’assurer une plus grande sécurité de l’approvisionnement et la compétitivité économique et d’atteindre les objectifs en matière d’environnement et de sécurité.
Merci de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Schick.
J’invite maintenant Mme Kachur à présenter son exposé liminaire.
Katie Kachur, vice-présidente, Relations gouvernementales, Ouest, Association canadienne du propane : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître.
L’Association canadienne du propane, l’ACP, représente plus de 400 entreprises actives dans la chaîne de valeur du propane au Canada, de la production à la distribution en passant par le transport et la fabrication d’équipement. Le travail de nos membres s’inscrit dans une chaîne d’approvisionnement qui repose sur un transport efficace et ininterrompu. Lorsque ce système est perturbé, les Canadiens le ressentent immédiatement.
Le propane est une source d’énergie vitale pour des millions de Canadiens, alimentant des maisons, des exploitations agricoles, des entreprises et des parcs de véhicules d’un bout à l’autre du Canada. Environ 300 000 Canadiens utilisent le propane comme principale source d’énergie pour chauffer leur maison. Il est utilisé quotidiennement dans les hôpitaux, les établissements de soins de longue durée, les usines de transformation des aliments, les serres, les sites de fabrication et les services d’urgence.
Dans les régions rurales et éloignées — où le gaz naturel n’est pas distribué —, le propane est un choix obligé. C’est la principale source de chaleur et d’électricité abordable et fiable. En hiver, perdre l’accès au propane n’est pas simplement un inconvénient; cela peut devenir en quelques jours une crise aux plans de la santé et de la sécurité.
Le propane est une énergie produite au Canada qui est fiable, polyvalente et transportable. Il a un faible impact sur l’eau, l’air et le sol. Et grâce au propane renouvelable, l’industrie continue de réduire l’intensité en carbone de ce carburant.
Environ 75 % du propane produit au Canada est transporté par chemin de fer. Le transport ferroviaire est l’épine dorsale de la chaîne d’approvisionnement en propane et, pour de nombreuses régions, il s’agit de la seule option. Pour remplacer un seul train‑bloc de popane, il faudrait plus de 300 camions, ce qui n’est pas possible du point de vue de la sécurité, des coûts, de la main‑d’œuvre, de la logistique ou des émissions.
Cette dépendance est particulièrement marquée dans l’Est du Canada, où plus de 80 % des expéditions de propane arrivent par chemin de fer. Près d’un demi-million de Canadiens du Québec et du Canada atlantique dépendent directement du propane pour le chauffage des locaux et de l’eau, et les besoins essentiels de la vie quotidienne.
Les terminaux maritimes d’exportation sur la côte Ouest dépendent également entièrement du service ferroviaire pour assurer la liaison vers les marchés mondiaux. Si le transport ferroviaire ralentit ou s’arrête, ces exportations le font aussi.
Les perturbations ferroviaires sont importantes toute l’année, mais la saison automnale est particulièrement critique pour l’agriculture. Les agriculteurs ont besoin d’un approvisionnement constant en propane pour le séchage des céréales, la production en serre et le chauffage et la climatisation des étables. L’interruption de l’approvisionnement au moment de la récolte peut entraîner des pertes de récoltes, des retards dans la transformation des aliments et un préjudice financier important pour les producteurs.
En hiver, les enjeux sont encore plus conséquents. La pénurie de propane peut mettre en danger les personnes âgées dans les établissements de soins de longue durée, entraver les activités hospitalières et compromettre la capacité des services d’urgence à intervenir. Ce sont des situations où l’insécurité énergétique devient un danger immédiat et grave pour la santé et la sécurité publiques.
Lorsque les stocks sont gérés selon le principe « juste à temps » — formule essentielle pour assurer l’efficacité —, même de brèves interruptions provoquent des pénuries.
Selon le récent rapport de la Western Canadian Shippers’ Coalition, entre 2023 et 2025, les arrêts de travail dans le secteur des transports ont entraîné des pertes de plus de 54 milliards de dollars. Une seule fermeture de chemin de fer peut coûter 1 milliard de dollars par jour à l’économie, et la reprise complète peut prendre des semaines.
Les perturbations répétées sont un signal pour les clients étrangers : le Canada n’est pas un fournisseur fiable. Sur les marchés mondiaux de l’énergie, la fiabilité est essentielle, et le Canada perd leur confiance.
Nos membres ont pris toutes les mesures possibles pour atténuer les répercussions des perturbations répétées. Les membres de l’ACP ont maximisé leurs stocks dans la mesure du possible pour réduire au minimum les répercussions sur les clients, une tâche difficile lorsque la capacité d’entreposage est limitée et qu’une grande partie du Canada compte sur le transport ferroviaire ininterrompu pour assurer l’approvisionnement. Mais aucune préparation ne peut compenser entièrement les arrêts de transport prolongés ou répétés. Le système n’a tout simplement pas été conçu pour fonctionner sans transport ferroviaire.
Les marchandises essentielles, dont le propane, doivent continuer de circuler pendant les interruptions de travail sur les réseaux de transport. Des pays du monde entier ont établi des niveaux de service minimaux pour les produits énergétiques essentiels. Le Canada doit faire de même.
La perturbation répétée de la chaîne d’approvisionnement du Canada fait ressortir une vérité toute simple : le transport ferroviaire doit être reconnu comme un service essentiel dans un pays aussi vaste que le Canada, avec les défis climatiques qui sont les siens. Le propane doit être reconnu comme une ressource essentielle.
Dans de nombreuses régions, les biens essentiels et l’énergie parviennent aux consommateurs uniquement par le train. Laisser ce mode de transport essentiel menacer continuellement la sécurité publique et miner notre réputation internationale est irresponsable et insoutenable.
Au moment où le Canada doit s’adapter à des risques géopolitiques, à une hausse de la demande mondiale d’énergie et à la nécessité de construire et de moderniser son infrastructure, nous devons renforcer les systèmes qui assurent son bon fonctionnement. Il faut absolument assurer un accès fiable à des carburants essentiels comme le propane si nous voulons protéger notre souveraineté, sécuriser nos chaînes d’approvisionnement, soutenir l’industrie et les emplois et positionner le Canada comme chef de file mondial capable de fournir de l’énergie sûrement et rapidement.
Honorables sénateurs, le propane est plus qu’un carburant; il est indispensable à la survie de millions de Canadiens. Il garde les foyers au chaud, assure notre approvisionnement alimentaire, fournit des services essentiels et soutient la compétitivité du Canada à l’échelle mondiale. Assurer un transport fiable n’est pas seulement une question économique; c’est une question de sécurité publique, de résilience nationale et de crédibilité au plan international.
Je vous remercie de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Kachur.
Je tiens à informer les sénateurs qu’ils auront cinq minutes pendant la première série de questions. Veuillez nous indiquer votre nom si vous souhaitez poser des questions.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être là.
Au cours de notre étude, nous avons entendu parler de l’importance de l’impact des perturbations dans le monde du travail sur diverses industries. Nous avons entendu parler de l’importance du transport ferroviaire et des conflits de travail dans ce secteur. Après les observations que vous avez faites tous les deux, je voudrais aller un peu plus loin. Madame Kachur, vous avez parlé en détail de l’impact des perturbations dans le transport ferroviaire. Selon vous, quelles sont les solutions à ce problème?
Nous avons étudié le Code canadien du travail, en particulier l’article 87.4 concernant les services essentiels, la façon dont ils sont décrits dans le code, ainsi que l’article 107, qui permet au gouvernement d’intervenir et de mettre fin aux conflits de travail par divers mécanismes. Nous avons également discuté d’autres aspects du Code canadien du travail.
Après vos observations, je voudrais creuser davantage. Souhaitez-vous que soient modifiées certaines dispositions du Code canadien du travail? Voudriez-vous quelque autre modification de la réglementation ou de la législation pour qu’on puisse mieux gérer les conflits de travail?
Mme Kachur : La priorité du secteur du propane est simple : nous devons continuer à recevoir des ressources énergétiques, y compris des combustibles de chauffage domestique, pendant tout conflit de travail. Ce mécanisme relève du Parlement, mais le résultat des délibérations en cours et des décisions futures doit assurer la fiabilité.
La sénatrice Dasko : Recommanderiez-vous au gouvernement de modifier quelque élément particulier du code ou...
Mme Kachur : Nous ne voulons pas nous prononcer là‑dessus. Nous voulions vous parler de l’énergie et du propane comme services essentiels et souligner les répercussions de toute perturbation des transports. Ils ont été assez fréquents au cours des dernières années, comme je l’ai dit dans mon exposé.
La sénatrice Dasko : Vous parlez de « service essentiel ». L’expression se trouve dans le libellé de cette partie de la loi.
Mme Kachur : Nous voudrions que le propane soit considéré comme un service essentiel, un bien essentiel. C’est ce que nous demandons au comité.
M. Schick : Nous considérerions également nos produits et leur transport comme essentiels pour les Canadiens. C’est encore plus important aujourd’hui, compte tenu des possibilités de diversification du commerce et de nos préoccupations en matière de sécurité énergétique. Néanmoins, j’ai travaillé dans une raffinerie pendant la plus grande partie de ma carrière et j’ai un profond respect pour la négociation collective. Nous devons trouver un cadre qui nous permette de respecter ces droits, mais sans que ceux-ci soient illimités, afin que notre économie demeure forte grâce à un approvisionnement fiable en produits énergétiques.
La sénatrice Dasko : Compte tenu de la structure actuelle du Code canadien du travail, pensez-vous pouvoir vous accommoder du statu quo en matière de réglementation et de législation, ou souhaitez-vous proposer des modifications?
M. Schick : Comme je ne connais pas très bien les particularités du code, je ne peux pas en parler en détail, mais il me semble que ce serait une amélioration que le gouvernement dispose de moyens d’agir plus rapidement au besoin.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Lewis : Je vous remercie de vos observations et merci d’avoir accepté de comparaître.
D’autres témoins nous ont dit que les grèves ou les lock-out sont précédés d’une période où il y a un ralentissement important de l’acheminement. Quelles sont les conséquences pour vos produits? Ils sont parmi les premiers ou les derniers touchés par la menace d’un arrêt de travail?
M. Schick : Nous utilisons le système ferroviaire de bien des façons. Nous faisons venir des catalyseurs et d’autres matières premières, et également des carburants renouvelables pour les mélanger. Lorsque nous entendons parler d’une perturbation à venir, nous réagissons rapidement pour essayer d’accroître l’inventaire afin de pouvoir composer avec les changements ou les grèves possibles.
Notre organisation fait appel à des comités pour faire son travail. Nous recueillons donc des renseignements auprès de tous nos membres pour connaître leur situation du moment afin de pouvoir cerner les problèmes précis qui risquent de surgir. Ces efforts se poursuivent et nous cherchons des solutions de rechange pour éviter que l’approvisionnement en carburant ne se soit perturbé.
J’ignore si quelqu’un d’autre en a parlé, mais il est en fait très stressant pour le secteur et les industries que des grèves surviennent, pour tous les types d’expéditeurs et de fournisseurs qui se sentent vraiment déterminés à approvisionner leurs clients. La menace ou la survenue de grèves et la crainte qu’elles ne se produisent ont également des répercussions importantes sur le secteur à cet égard.
Mme Kachur : Je suis d’accord. Dans le secteur du propane, tout le système est conçu pour circuler d’ouest en est, de la production à la distribution. Nos stocks suffisent pour une période de 7 à 14 jours, selon l’endroit où se trouvent les entrepôts et selon la saison. Nous faisons de notre mieux pour maintenir les stocks là où ils doivent être, selon le moment de l’année. Par exemple, juste avant l’arrêt de travail d’août 2025, nos membres ont travaillé fort pour accumuler le maximum de stocks en prévision d’une grève.
Outre ce qu’a dit M. Schick, je signalerais seulement les atteintes à la réputation qui découlent de ces perturbations. Par exemple, lorsque les consommateurs de propane ne reçoivent pas leurs livraisons, il se peut qu’ils ne soient pas au courant des défis liés au transport et des retards à l’échelle du réseau. Ils savent seulement qu’ils ne reçoivent pas leur propane quand ils en ont besoin et à telle date. Ce risque d’atteinte à la réputation est présent tant au Canada qu’à l’étranger. Nous avons entendu le point de vue de nos clients à l’étranger. Ils veulent plus de propane canadien. Nous en exportons beaucoup à partir de la côte Ouest de la Colombie-Britannique vers des clients asiatiques. Ils veulent s’assurer que nous sommes un fournisseur fiable. Je ne sais pas si nous avons déjà répondu à cette question.
Le sénateur Lewis : Vos membres exportent-ils beaucoup?
M. Schick : Pas vraiment. Nous exportons certains carburants finis sur le marché américain, mais ce n’est pas une activité de premier plan. Il reste que, lorsque l’approvisionnement en carburant est perturbé, le secteur du camionnage est touché parce que nos produits sont utilisés dans les transports. Les produits ne sont ni expédiés ni reçus. De toute évidence, les chemins de fer utilisent également nos carburants, ce qui a un impact sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Nos carburants sont également utilisés dans les navires. Les perturbations dans les ports ont donc des conséquences. Nos carburants sont utilisés dans l’ensemble du système qui subit des perturbations, ce qui crée des problèmes de stocks et des défis également sur ce plan.
Le sénateur Lewis : Merci.
Le sénateur Wilson : À propos des services essentiels, les compagnies de chemin de fer nous ont dit entre autres choses que nous ne pouvons pas choisir uniquement certaines cargaisons qui seraient considérées comme essentielles, car le réseau fonctionne comme un système intégré, ce qui me semble logique. C’est ce que je comprends de mon expérience passée dans les activités portuaires.
Par contre, c’est peut-être aller trop loin que de dire que nous allons faire de toute la chaîne d’approvisionnement un service essentiel, car cela minerait la négociation collective, un droit qui, avec certaines limites, a été protégé par la Cour suprême.
Je voudrais trouver une solution originale pour prévenir les perturbations et les dommages à la réputation tout en protégeant le droit de négocier.
Après le différend survenu dans les ports de la côte Ouest en 2023, une commission a été nommée par Vince Ready et Amanda Rogers, et la commission Rogers-Ready a recommandé, entre autres choses, qu’un médiateur spécial soit nommé plus tôt pour participer au processus et aider les parties à parvenir à un règlement. Cela permettrait aussi au gouvernement de voir ce qui se passe dans le processus de négociation.
Pour l’heure, le message que j’entends de toutes parts, c’est qu’il y a vraiment un manque de visibilité dans le déroulement des négociations. Y jeter un peu de lumière pourrait également aider à régler les différends. Que pensez-vous de la recommandation prévoyant la nomination d’un médiateur spécial — pour les chemins de fer et les ports, pas seulement pour les ports? Deuxièmement, quel est votre avis sur la mise en place d’un mécanisme permettant à l’industrie et au public de voir plus clairement ce qui se passe dans ces négociations à partir d’un certain moment?
Il serait formidable que vous puissiez tous les deux me dire ce que vous en pensez.
M. Schick : Il me semble tout à fait logique que nous respections les positions individuelles des différentes organisations et entités en cause, mais que nous ayons aussi un processus qui permet de préciser et de comprendre ces positions grâce à une médiation. Lorsque le public sait à quoi s’en tenir, cela a des chances d’atténuer son anxiété, parce qu’il comprend mieux la situation.
Mme Kachur : Nous sommes d’accord. Je comprends la proposition que vous avez décrite, et elle me semble tout à fait logique. Il n’y a pas de transparence, et la démarche n’est pas assez rapide. Au cours des derniers différends, on n’a pas agi assez vite pour trouver une solution à ces problèmes graves.
Même si, comme l’a dit M. Schick et comme je le pense moi‑même, nous sommes réticents à nous mêler de mécanismes précis en matière syndicale, votre proposition, sénateur, semble logique et touche les éléments clés dont nous avons parlé, soit qu’il faut essayer de maintenir une chaîne d’approvisionnement sûre, durable et fiable en éliminant ou limitant les interruptions de service grâce à un mécanisme de règlement des différends qui aboutit rapidement à une solution afin que les conséquences pour les Canadiens soient bien moindres que celles que nous avons vues jusqu’ici.
Le sénateur Wilson : À en juger par votre réponse, madame Kachur, cette question s’adresse probablement davantage à vous. Comme le temps est un facteur qui compte beaucoup, je me demande si les parties ne pourraient pas négocier librement, comme elles le font d’habitude, pendant une période donnée, après quoi, si elles ne parviennent pas à un règlement, une sorte de médiateur spécial serait nommé et un mécanisme apporterait une certaine visibilité dans le processus. Que penseriez-vous d’une telle proposition? Disons 60 jours, juste pour donner un chiffre.
Mme Kachur : La certitude, un calendrier connu et l’assurance qu’il y aura un règlement au plus tard à une certaine date, tout cela est plein de bon sens. Le marché saurait bien mieux à quoi s’en tenir. Sans connaître tous les détails, je dirais que nous appuierions cette proposition.
M. Schick : Il est utile que certaines attentes soient définies dans le système, comme vous l’avez expliqué. Cela aiderait peut‑être à mobiliser l’attention pour arriver à un règlement rapide. Sachant que certains paramètres encadrent les échéances, les parties en cause trouveraient peut-être là une solution efficace.
La sénatrice Simons : Monsieur Schick, j’ai été vraiment impressionnée par ce que vous avez dit dans votre exposé liminaire au sujet de la nécessité d’accroître la capacité et la résilience de la chaîne d’approvisionnement. En vous écoutant, je pensais à toutes les autres choses qui ont nui à la capacité du Canada d’expédier des exportations et même de recevoir des importations.
Des chemins de fer ont été bloqués par des incendies. Des réseaux ferroviaires et routiers ont été paralysés par des inondations. Des réseaux ferroviaires ont été entravés par des protestations politiques. Notre système a été bouleversé par la pandémie de COVID-19 et les droits de douane variables du régime Trump, compliquant la vie des exportateurs nord-américains qui doivent décider vers quelles destinations envoyer leurs marchandises.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Le terme « fragilité » n’est pas le bon, mais notre réseau ferroviaire a beaucoup de problèmes de fiabilité inhérents qui sont loin de se limiter aux conflits de travail. Que souhaitez-vous voir pour rendre notre réseau ferroviaire plus résilient afin qu’il puisse résister à toutes sortes de chocs?
M. Schick : Les conflits de travail ne sont qu’un élément du problème. Au Canada, nous dépendons beaucoup du transport ferroviaire pour l’acheminement de toutes nos marchandises. Notre pays est très vaste, et il n’y a pas d’autre façon de transporter des marchandises en quantité suffisante.
Je pense aux inondations de 2021 en Colombie-Britannique. Nous avons dû faire des pieds et des mains pour maintenir l’approvisionnement en carburant. Je me demande aussi ce que nous pourrions faire pour atténuer les risques que cela ne se reproduise. Il a été dit qu’il est peu probable que le port de Prince Rupert connaisse le même genre de difficulté que celui de Vancouver en cas de catastrophe naturelle. C’est une ligne de chemin de fer différente qui passe plus au nord. Il y aurait donc lieu de consentir un investissement ciblé pour assurer une capacité d’approvisionnement en carburant sur ce marché et ainsi aider à soutenir le transport maritime jusqu’au sud de la côte, par exemple.
Pour renforcer la résilience, il faut également réfléchir au fait que nos approvisionnements en carburant changent. Lors des inondations survenues en Colombie-Britannique, nous n’avons pas manqué d’essence, mais nous avons manqué d’éthanol et nous avons eu du mal à l’acheminer sur le marché.
La sénatrice Simons : Intéressant.
M. Schick : Ensuite, nous avons eu besoin d’éthanol pour avoir également de l’azote, qui est acheminé par chemin de fer, afin d’assurer la sécurité.
À juste titre, nous décarbonons notre économie et prenons de nouvelles mesures, mais il ne faut pas oublier qu’on en arrive de la sorte à un niveau de complexité plus élevé.
Il est vraiment important de consentir des investissements ciblés pour s’assurer qu’il y a des communications et des plans d’urgence pour gérer tout cela, car dans notre secteur, nous avons été touchés par les feux de forêt de Jasper. C’est la même chose. Je dois reconnaître le mérite du Bureau national de la chaîne d’approvisionnement, mis en place après les problèmes survenus en Colombie-Britannique, mais il serait également utile de prendre note des points de vue les uns des autres et de les comprendre afin que nous puissions établir des priorités et prendre de bonnes décisions.
Le sujet est très vaste. Je suis désolé.
La sénatrice Simons : Nous ne pensons pas à cela. Il y a quelques semaines, j’ai rencontré des dirigeants du port de Prince Rupert. Comme je viens d’Edmonton, je sais que ce port est extrêmement important pour les chaînes d’approvisionnement du nord de l’Alberta. Ils m’ont expliqué le problème qu’ils ont à Prince Rupert. Le système d’aqueduc municipal est en si mauvais état qu’ils ne peuvent faire venir plus de gens pour venir travailler là-bas. Ils n’ont pas l’infrastructure requise pour agrandir la ville et entreprendre des travaux d’expansion portuaire comme ils le souhaiteraient. Ils ne peuvent pas offrir aux gens des logements raccordés à un système d’égout.
La vulnérabilité de nos chaînes d’approvisionnement est attribuable à des facteurs que nous ne prenons pas toujours en considération. Je tiens donc à vous remercier d’avoir soulevé ce point et de nous rappeler que ce n’est pas seulement une question d’amélioration des relations de travail. Il faut aussi veiller à ce que tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement fonctionnent au maximum de leur capacité afin que nous ne perdions pas notre réputation internationale de fiabilité.
M. Schick : Je suis tout à fait d’accord. Nous devons faire très attention et nous assurer que notre énergie est acheminée rondement, car elle alimente littéralement toutes nos activités. Nous devons également veiller à ce que nos infrastructures soient maintenues, tout en reconnaissant les vulnérabilités, en nous adaptant et en investissant judicieusement pour renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement face à une diversité de défis. Cela ne s’applique peut-être pas seulement à un arrêt de travail, comme vous l’avez dit, mais à tout ce qui peut perturber les chaînes d’approvisionnement.
En tant que pays, qu’allons-nous faire pour nous assurer que nous dépensons là où nous devons dépenser, parce que notre budget n’est pas illimité, tout en répondant à nos besoins d’approvisionnement énergétique? D’autres produits sont évidemment tout aussi importants. Pour assurer notre prospérité économique, je pense que nous devons commencer à consacrer plus de temps à cette question et à faire preuve d’intelligence à cet égard.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Mme Kachur : Pour donner suite à ce que vous venez de dire, sénatrice, j’ajoute que les deux terminaux canadiens d’exportation de propane se trouvent au port de Prince Rupert. Ce port joue donc un rôle essentiel pour le propane.
Pour faire écho aux commentaires sur la création d’une chaîne d’approvisionnement durable et fiable, je signale que nous parlons de tous les modes de transport et dans toutes les directions. Comme vous l’avez dit, les Canadiens sont extrêmement vulnérables aux répercussions de l’un ou l’autre de ces éléments. Des investissements judicieux profitent donc à la fois à nos secteurs et au pays.
Le président : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Aucoin : La discussion et vos réponses sont très intéressantes. Vous dites que la ligne d’approvisionnement est importante d’un bout à l’autre, qu’il faut s’assurer que les infrastructures sont adéquates qu’il faut faire des investissements pertinents. J’ai aimé les questions du sénateur Wilson. J’ai des questions par rapport aux articles 87.4 et 87.7. Si je comprends bien, vous ne voulez pas discuter ou intervenir s’il s’agit de changer la loi. Dans le cas d’une grève, êtes-vous consultés pour voir si vos carburants et vos propanes sont une denrée ou une énergie essentielle, comme le grain, par exemple? Selon la loi, seuls le syndicat et l’employeur peuvent discuter. Il n’existe aucune obligation de vous consulter.
[Traduction]
M. Schick : C’est une observation judicieuse. Pour ce qui est de notre secteur, nous essayons de tenir Ressources naturelles Canada au courant des vulnérabilités en cas de perturbation. Nous collaborons avec les fonctionnaires pour nous assurer qu’ils comprennent bien où sont les vulnérabilités sur le marché et où il y a une pénurie de stocks parce que les réserves sont épuisées. Je pense que c’est pareil pour les autres secteurs. Nous ne participons pas aux discussions, mais nous informons le gouvernement des problèmes qui risquent de se poser. Il est important d’avoir ce canal de communication pour comprendre quelles pourraient être les répercussions d’une perturbation sur le consommateur et sur notre économie.
Le président : Madame Kachur, vous avez un commentaire?
Mme Kachur : Je suis d’accord. Au début de la pandémie, l’Ontario et le Québec ont classé le propane parmi les biens essentiels. Ces provinces ont déclaré que la production, l’acquisition, le transport et la distribution d’énergie étaient des activités essentielles.
Si jamais nous anticipons des perturbations potentielles — des perturbations prévisibles — dans la chaîne d’approvisionnement, ce que M. Schick et moi-même demandons, c’est que l’énergie soit classée comme un bien essentiel, au même titre que le grain, comme vous l’avez dit. Pour le moment, il n’existe aucun mécanisme nous permettant de le faire et les discussions en cours avec les transporteurs de classe 1 n’ont pas donné les résultats escomptés.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Vous avez répondu à ma deuxième question sur l’article 87.7, selon lequel le grain est une denrée essentielle, car dans le libellé du Code canadien du travail, on indique qu’il faut assurer la sécurité et la santé. Toutefois, si je comprends bien votre commentaire, si le propane était identifié comme une énergie essentielle comme d’autres carburants, à ce moment-là, on pourrait continuer la chaîne d’approvisionnement. Avez-vous des commentaires à ce sujet, monsieur Schick?
[Traduction]
M. Schick : Je ne connais pas bien les numéros des articles du code, mais nous sommes d’accord pour dire qu’aujourd’hui, compte tenu de tous les événements qui ont une incidence sur notre économie — changements climatiques, incendies de forêt et tout le reste —, nos produits sont essentiels. Je tiens également à mentionner que nous travaillons en étroite collaboration avec l’Association canadienne du propane et que nous comprenons bien nos points de vue respectifs. Nous reconnaissons l’importance du propane. Tous les produits énergétiques que les Canadiens consomment pour leurs activités quotidiennes sont considérés comme des services essentiels qui ne peuvent soutenir de perturbations importantes, parce que notre capacité d’adaptation a des limites.
Le sénateur Aucoin : Je vous remercie.
La sénatrice Arnold : Je remercie nos deux témoins d’être parmi nous ce soir. Nous avons entendu dire que c’est une situation stressante. Je ne sais pas si quelqu’un ressent du stress à l’approche des négociations collectives, mais presque tous les témoins nous ont dit que le service qu’ils fournissent est essentiel, qu’il n’existe aucune solution de rechange et que les répercussions se font sentir à l’échelle du pays.
Ce que nous essayons de déterminer, ce sont des solutions à ce problème. La sénatrice Duncan a parlé du médiateur spécial; c’est un point. J’ai discuté avec la sénatrice Robinson aujourd’hui, et elle m’a parlé du propane et de son impact sur les poulets. Il sert à chauffer et à refroidir les poulaillers. Si le propane vient à manquer durant un certain nombre d’heures, cela causera la mort de beaucoup de poulets.
Tout le monde peut faire valoir des arguments semblables, mais nous devons trouver des solutions qui n’enfreignent pas le droit constitutionnel à la négociation collective et ce genre de choses.
Monsieur Schick, au début de votre allocution, vous avez parlé des mesures que vous souhaitez voir en place. Vous avez aussi parlé de la sécurité de l’approvisionnement et d’une meilleure coordination des résultats. La question des communications revient sans cesse dans ce contexte. Les gens ne se parlent pas des graves implications de tout cela au sein de nos collectivités. Ma question est la suivante : parmi les mesures que vous souhaiteriez voir en place à l’avenir, certaines pourraient-elles contribuer à une meilleure gestion des relations de travail? Lesquelles pourraient améliorer les relations de travail?
M. Schick : Je vais parler des inondations survenues en Colombie-Britannique. J’ai dit que l’énergie est le bien le plus important parce que sans énergie, nous ne pouvons rien transporter. Par la suite, d’autres intervenants ont attiré mon attention sur d’autres produits auxquels je n’avais jamais pensé et qui sont tout aussi importants que l’énergie, voire davantage. Il y a d’abord le chlore pour l’eau potable. Quelqu’un a parlé des aliments pour le bétail. Si ces produits ne sont pas disponibles, cela créera de graves problèmes au bout de quelques jours.
Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que la communication et la transparence sont au cœur du problème. J’ai été surpris, dans le cadre des discussions dirigées par des fonctionnaires de Transports Canada, de constater le grand respect dont faisaient preuve les intervenants les uns envers les autres, après avoir compris ce qui se passait quand tout le monde pense que ses propres produits sont les plus importants.
Je sais que c’est compliqué pour vous de proposer des solutions quand tous vos interlocuteurs vous disent que leurs problèmes sont les plus importants. Pourquoi ne pas établir un cadre permettant aux gouvernements de prendre des mesures immédiates — je ne vais pas dire à quel moment — pour nous éviter de nous retrouver dans des situations qui pourraient avoir des répercussions durables sur l’économie?
Le président : Madame Kachur, vous avez des commentaires à faire?
Mme Kachur : Je suis d’accord avec ce que vient de dire M. Schick. Nous avons tous les deux proposé une solution ou une option à votre groupe aux fins d’examen. Le libellé actuel du Code canadien du travail met l’accent sur les menaces à la santé et à la sécurité du public, mais pas sur les répercussions économiques. Nos observations d’aujourd’hui visent à démontrer que les répercussions économiques sont tout aussi essentielles et qu’elles devraient être prises en compte dans le Code du travail, au même titre que les facteurs de santé et de sécurité du public.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Quinn : Je remercie les témoins de leur présence. Madame Kachur, je vous remercie pour votre dernier commentaire. Vous avez tous les deux dit que vous n’alliez pas parler de réglementation, mais c’est ce que vous êtes en train de faire. D’après ce que j’ai entendu, vous seriez en faveur de l’ajout, après les mots « ... la sécurité ou la santé du public », d’une disposition comme « ... ou la sécurité économique du Canada et des Canadiens... » ou quelque chose du genre. C’est ce que je crois vous avoir entendu dire, mais j’ai besoin que vous me confirmiez officiellement que vous êtes d’accord avec cela.
Mme Kachur : Oui. Je m’excuse de ne pas avoir été assez claire là-dessus tout à l’heure. Nous n’avons pas compétence pour parler de négociations, de syndicats, du droit à la représentation et de la grève. Mais pour répondre directement à votre question, oui, nous pensons que les critères économiques devraient être pris en compte dans le libellé du Code du travail, particulièrement en ce qui concerne le secteur de l’énergie.
Le sénateur Quinn : Merci. Monsieur Schick, êtes-vous également d’accord là-dessus?
M. Schick : Oui. En ce qui concerne l’énergie — qui est notre domaine de compétence —, je dirais que la santé et la sécurité du public sont nécessaires pour nous permettre d’acheminer l’énergie aux endroits où le carburant de transport est nécessaire.
Le sénateur Quinn : Les facteurs économiques devraient-ils être inclus dans le libellé?
M. Schick : Les facteurs économiques sont reliés à la sécurité et à la santé du public.
Le sénateur Quinn : Je vais continuer en vous demandant, à l’un ou l’autre d’entre vous, si les camions seraient une option pour transporter vos produits partout au pays, en cas de grève des chemins de fer, afin de maintenir l’approvisionnement aux niveaux requis?
M. Schick : Non, pas à une si grande échelle.
Mme Kachur : Je suis d’accord. Nous n’avons pas assez de camions ou de camionneurs.
Le sénateur Quinn : Je vous pose la question parce que dans certaines de ses décisions, le Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI, a indiqué que le recours à des camions pourrait être une solution de rechange en cas de grève. Nous devrions peut-être suggérer au CCRI de consulter des experts afin de comprendre clairement les répercussions de certaines des recommandations qu’il pourrait formuler comme solution de rechange pour l’acheminement des produits le long de la chaîne d’approvisionnement.
Ayant moi-même une bonne connaissance des chaînes d’approvisionnement et d’après ce que j’ai lu, certaines décisions du CCRI ne sont pas logiques. Pensez-vous que si le CCRI avait accès à des conseils d’experts, cela aiderait ses membres à faire des recherches dans les domaines qu’ils connaissent moins bien et à en arriver à de meilleures conclusions?
Mme Kachur : Je me permets de rappeler ce que le président de l’Alliance canadienne du camionnage a dit durant la dernière grève. Il a déclaré publiquement qu’il n’y avait pas suffisamment de camions ou de camionneurs pour compenser l’interruption du service ferroviaire.
Le sénateur Quinn : Serait-il avantageux que le CCRI demande l’aide d’experts du secteur afin de rendre des décisions plus pertinentes?
Mme Kachur : Certainement.
Le sénateur Quinn : Étant originaire du Canada atlantique, je m’intéresse au propane et à la chaîne d’approvisionnement qui achemine ce produit vers les Maritimes. D’après ce que je comprends, le propane est acheminé de Sarnia jusqu’aux Maritimes, mais la capacité de stockage étant limitée, elle est très rapidement écoulée. Après, il n’y a plus de propane.
Mme Kachur : C’est exact.
Le sénateur Quinn : Est-ce que j’ai bien compris?
Mme Kachur : Oui, c’est une bonne analyse.
Le sénateur Quinn : Cela me ramène à l’article 87.4 du Code canadien du travail. Je sais que vous avez dit ne pas vouloir aborder la réglementation, mais je vais poursuivre quand même. Voici ce que dit cet article : « ... pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public. » Faudrait-il supprimer le mot « imminents » afin de donner au CCRI une plus grande latitude dans sa compréhension que le risque ne se posera peut-être pas tout de suite, ni dans la prochaine heure? Je pose la question parce que ce libellé semble empêcher les membres du conseil de voir ce qui est essentiel et de comprendre ce qu’on entend par « risque pour la sécurité ou la santé du public » ainsi que pour l’économie, comme nous l’avons déjà dit. Selon vous, y aurait-il lieu de supprimer le mot « imminents » de l’article 87.4, que vous connaissez sûrement?
Mme Kachur : Vous soulevez un point important parce que la signification du mot « imminent » varie selon les produits, comme M. Schick vient de le faire remarquer. Je crois savoir que, tout au long de la chaîne d’approvisionnement, certains produits ne peuvent pas rester bloqués dans les réservoirs ou dans l’aire d’entreposage de wagons durant une période prolongée, contrairement à d’autres produits.
Le sénateur Quinn : Êtes-vous d’accord pour supprimer le mot « imminents »?
Mme Kachur : Oui, c’est une proposition intéressante.
M. Schick : Je suis d’accord.
La sénatrice Mohamed : Je m’intéresse au laps de temps. Compte tenu de tous les éléments qui doivent être soupesés, c’est un équilibre délicat que nous devons trouver entre le droit de grève, la nécessité de faire rouler l’économie, la nécessité de protéger notre réputation internationale plus que jamais auparavant, le pouvoir discrétionnaire du ministre et ce dont il a été question au cours des dernières semaines, soit la protection des biens contre les répercussions découlant de leur blocage le long de la chaîne d’approvisionnement et de ce qui leur arrivera.
En termes de temps, nous devons tenir compte de la période précédant la grève ainsi que de la durée de la grève jusqu’au règlement du conflit. Certaines mesures peuvent être prises à un moment ou l’autre : le pouvoir discrétionnaire du ministre d’intervenir ou l’émission d’un ordre de retour au travail. Mais presque tous les témoins que nous avons entendus nous ont parlé du facteur temps.
Je suis curieuse de savoir à quel moment, idéalement, l’équilibre est atteint entre tous ces intérêts. Comme je suis nouvelle au comité, je ne sais pas si vous pouvez répondre à cette question. Même si vous laissez tomber le critère de l’imminence, vous devez quand même vous soucier du facteur temps. À quel moment peut-on dire que le délai est trop long ou qu’il est trop court pour trouver un équilibre entre tous ces critères?
Y a-t-il une limite de temps à ne pas dépasser? Par exemple, y a-t-il un seuil de X jours à ne pas dépasser? Comment pouvons‑nous procéder pour que tout le monde comprenne que nous devons essayer de régler le problème dans un laps de temps donné, sans que cela porte atteinte au droit de grève ou à l’économie. Je vous demanderais de me répondre de manière très précise afin de m’aider à comprendre cette partie de la dynamique.
M. Schick : Je dirais que cela dépend souvent du produit et des stocks disponibles. Il est donc difficile d’établir un laps de temps précis. Pour certains produits, une semaine c’est long. Certaines de nos raffineries peuvent tenir une semaine ou deux, mais d’autres tiendront moins longtemps. D’après mon expérience, pour le chlore, il n’y a parfois que trois ou quatre jours d’approvisionnement, nous devons donc acheminer ce produit à destination. Il m’est donc difficile de vous indiquer un laps de temps général.
L’un des problèmes, selon moi, c’est notre approche en matière de négociation, la stratégie du bord de l’abîme, n’est-ce pas? La tension est maintenue jusqu’à la toute fin. Cette approche pose un problème parce que nous travaillons toujours jusqu’au dernier moment avant une crise.
J’ignore si quelqu’un peut trouver une solution qui n’encourage pas cette approche. Comme chacune des deux parties tente de trouver la solution la plus avantageuse pour elle‑même, chacune tient son bout jusqu’à la toute fin. Cela pose un problème par rapport aux défis dont nous parlons. Il serait logique, selon moi, d’avoir un cadre qui fixe une période au terme de laquelle une mesure attendue sera prise.
Mme Kachur : Je suis d’accord avec ce que vient de dire M. Schick. Il est difficile de s’y retrouver. Dans le rapport de la Western Canadian Shippers’ Coalition, dont j’ai parlé tout à l’heure, les auteurs ont voulu aborder cette question en se basant sur des indicateurs économiques du seuil. Ils ont proposé trois idées : le pourcentage du PIB qui serait touché si vous additionnez tous les biens touchés, la valeur de ces biens en dollars et le nombre d’industries dépendantes touchées. Ce sont trois indicateurs dont nous venons de parler, en tant que groupe de producteurs spécialisés, pour répondre à votre question, parce que nous parlons de la même chose. Comment indiquer le seuil d’urgence? Comment mesurer l’urgence? J’espère que cela vous sera utile.
[Français]
Le sénateur Cormier : Depuis le début de l’étude que l’on fait, on entend les mêmes choses qui reviennent, c’est-à-dire le besoin d’un équilibre entre les entreprises et les travailleurs, le besoin de déterminer ce que sont les services essentiels et le besoin de déterminer quand le gouvernement interviendra. On se demande aussi quel est le moment opportun pour faire appel à un médiateur. Comment déterminer le moment où il sera nécessaire de faire appel à un arbitre?
Je fais une mise en situation. Vous êtes tous les deux des entrepreneurs et nous sommes des employés. Vous voulez que l’entreprise fonctionne le mieux possible et vous voulez éviter, autant que faire se peut, les conflits de travail, puisqu’on est tous d’accord pour dire que c’est important pour l’ensemble des citoyens. Que direz-vous à vos employés au départ? Quelles sont les valeurs que vous énoncerez? Quelles sont les bases de la relation de travail que vous énoncerez?
C’est peut-être une question philosophique, mais on essaie de comprendre quelle est la source qui mène à un conflit de travail. Je ne suis pas sûr que cela nous amènera à changer le Code canadien du travail, mais cela nous aidera peut-être à mieux comprendre. Pourriez-vous me donner trois valeurs ou trois priorités que vous transmettriez à vos employés dès le départ?
[Traduction]
M. Schick : Dans le cadre de nos discussions avec les employés, il est clair que nous devons leur donner un portrait global des répercussions d’une grève. Pour cela, il faut d’abord entretenir de bonnes relations avec eux. Si la relation est conflictuelle dès le départ, cela devient difficile à cause du manque de confiance entre les deux parties.
En tant qu’employeur, si vous expliquez à vos employés le rôle essentiel de leurs emplois et la raison pour laquelle ils sont liés à la réussite future de l’entreprise, si vous leur expliquez que le succès du pays dépend d’eux et si vous reconnaissez le rôle important qu’ils jouent pour soutenir le pays — je ne sais pas si les discussions avec les syndicats commencent nécessairement de cette manière, et je ne sais pas dans quelle mesure cela serait utile —, mais il faut sérieusement essayer de rétablir le lien de confiance. C’est une discussion qu’il faut avoir si nous voulons éviter les conflits d’une ampleur que nous voyons parfois.
Mme Kachur : M. Schick soulève de bons points. Dans mon évaluation des défis potentiels entre un employeur et un employé, j’essaie souvent d’établir un équilibre entre les droits des travailleurs, les impératifs économiques, une rémunération équitable, tout en évitant d’utiliser exagérément la désignation de service essentiel. Ce sont là, à mon avis, les trois points de discussion entre l’employé et l’employeur. Il faut maintenir un équilibre entre ces trois points en raison du duopole ferroviaire que nous avons ici au Canada. Ce qui a un impact sur un chemin de fer a aussi un impact sur l’autre. Des représentants du CPKC et du CN m’ont confirmé que ce qui arrive à un chemin de fer a une incidence sur l’autre parce qu’ils ne sont que deux.
Comme l’a dit M. Schick, il faut vraiment trouver un juste équilibre entre ces éléments dans le contexte national. Il n’est pas facile de répondre à cette question. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui. Mais ce sont les trois points de friction ou les trois points qui ont été soulevés dans les négociations des dernières années. Je pense qu’il faut plus de transparence et une meilleure communication, comme nous le disions tout à l’heure.
[Français]
Le sénateur Cormier : Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : Le gouvernement du Québec a adopté une nouvelle loi concernant les services essentiels en ajoutant le critère du bien-être de la population. On n’est pas allé aussi loin dans ce qui nous concerne ici, c’est-à-dire la question des préjudices économiques, qui est ce que certains voudraient que l’on inclue dans notre législation. Cependant, on a parlé du bien-être de la population. Pour le Québec, qui a toujours été syndiqué et où le nombre de grèves est le plus élevé au Canada, c’est une petite révolution, et cela change le rapport de force dans des conflits comme celui des transports en commun que l’on vient de voir. Or, c’est essentiellement un rapport de force qui va au-delà des valeurs. Les employés des trains et des ports ont un rapport de force extraordinaire, parce que ce n’est pas à leur employeur qu’ils nuisent le plus, mais à toutes les compagnies qui dépendent de ce système.
J’essaie de voir clair, parce que plusieurs témoins sont venus nous dire qu’ils considèrent que ce qu’ils offrent doit être vu comme un service essentiel, mais par définition, s’ils se considèrent tous comme un service essentiel, cela ne voudra plus rien dire. Ce n’est donc pas forcément la voie à suivre pour trouver une solution. Il y a notamment la potasse, le grain, la viande et le carburant. Je comprends que tout cela est important, alors je ne vois pas comment trouver une solution. J’en reviens donc à cette idée de l’arbitrage obligatoire, qui est une solution beaucoup plus radicale. Toutefois, je ne sais pas si c’est ce à quoi vous pensez.
J’ai un dernier point. Quand vous avez parlé de lumière et de visibilité sur les négociations, cela va complètement à l’encontre de tout ce que les parties disent toujours sur la négociation, soit qu’il faut que tout reste parfaitement secret, parce qu’autrement, cela ne fonctionnera pas, et que toutes les fuites seront utilisées pour saper la négociation. Or, je ne dis pas que vous n’avez pas raison, mais je trouve que c’est quand même assez original comme proposition.
J’aimerais donc vous entendre sur cette idée de services essentiels. Vous en parlez tous, mais il me semble très difficile de départager ce qui l’est de ce qui ne l’est pas. Si tous les trains sont remplis de services qui ne sont qu’essentiels, ce ne sera pas une grève.
C’était une longue question, j’en conviens.
[Traduction]
M. Schick : Et la réponse n’est pas facile. Vous soulevez un bon point. Tous les produits ne sont pas considérés comme des services essentiels.
Je comprends ce que vous dites au sujet du critère du bien‑être, car j’estime que le préjudice économique a une incidence importante sur le bien-être de la population. Il est important que le critère du bien-être soit pris en compte parce que si les gens n’ont pas accès aux produits dont ils ont besoin, cela nuit à leur bien-être. Ce n’est pas un préjudice imminent, mais leur bien‑être est menacé. Le préjudice économique serait donc fondé sur ce raisonnement.
Tous les services ne sont pas essentiels, mais si vous manquez de propane dans le Nord à cause d’une interruption de travail, c’est un service essentiel, à mon avis.
Je comprends que les producteurs de grains ne peuvent pas laisser leurs céréales immobilisées dans les gares de triage parce qu’elles vont pourrir. Cela devient alors un préjudice économique important.
C’est une question de circonstances et, malheureusement, ce sera toujours le cas. Il est difficile d’établir une liste générale des services essentiels, mais il est possible de mieux définir ce qui peut devenir un service essentiel, pour différents produits.
Mme Kachur : Je suis d’accord avec ce que M. Schick vient de dire. Nous devons ajouter les critères économiques aux critères de la santé et de la sécurité du public qui figurent déjà dans le code.
Le dernier élément sur lequel je veux insister, c’est que les options de transport au Canada — je peux parler précisément des carburants, mais je suppose que c’est pareil pour d’autres produits — sont très limitées. Pour répondre à la question précédente, en cas d’interruption du transport ferroviaire, il n’y a pas suffisamment de camions pour transporter nos produits là où ils doivent aller. On peut dire la même chose pour les pipelines et les navires.
Dans l’ensemble, notre chaîne d’approvisionnement est si fragile que toute interruption a des conséquences immédiates. Pour revenir à ce que vous disiez, tout est essentiel parce qu’en cas de grève, tout est immobilisé. Il n’y a pas de solutions de rechange.
J’insiste sur le fait que nous avons besoin d’un service ininterrompu. Comme nous avons seulement deux transporteurs ferroviaires, pour utiliser l’exemple du transport ferroviaire, toute interruption cause un préjudice immédiat.
Comment répondre à cette question? Ma réponse est que toute interruption cause un préjudice immédiat. Par conséquent, les interruptions ne peuvent plus continuer à faire partie du contexte canadien, quel que soit le mode de transport.
Le président : C’est ainsi que s’achève notre discussion avec notre premier groupe de témoins. Je tiens à vous remercier de votre participation. Vos observations ont été très instructives et nous vous en remercions.
Si vous souhaitez nous faire parvenir par écrit d’autres commentaires relatifs aux questions abordées durant notre discussion sur la chaîne d’approvisionnement et les relations entre les syndicats et les employeurs, nous vous saurions gré de nous les transmettre d’ici le 3 décembre. Tous les sujets sont importants et urgents, mais si vous pouviez nous faire parvenir un résumé de vos commentaires, nous l’apprécierions.
[Français]
Permettez-moi maintenant de vous présenter notre prochain témoin. Nous accueillons Maryse Tremblay, présidente du Conseil canadien des relations industrielles.
[Traduction]
Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Me Tremblay nous parlera du travail du tribunal, mais elle a indiqué dans une lettre que nous avons transmise à tous les membres du comité qu’elle sera en mesure de nous fournir seulement des renseignements généraux sur les procédures du CCRI et la liste des cas. Je demande à mes collègues de s’en souvenir quand ils poseront leurs questions.
Me Tremblay fera une déclaration préliminaire de cinq minutes, après quoi les sénateurs pourront lui poser des questions.
[Français]
J’aimerais maintenant inviter Me Tremblay à faire sa déclaration liminaire.
[Traduction]
Maryse Tremblay, présidente, Conseil canadien des relations industrielles : Bonsoir, monsieur le président et honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant votre comité dans le cadre de votre étude sur le maintien des activités dans les secteurs ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale en cas d’interruption de travail.
Comme nous l’avons indiqué dans la lettre que nous avons adressée à la greffière du comité le 10 novembre et dont le président vient de parler, le Conseil canadien des relations industrielles — le conseil — est un tribunal quasi judiciaire indépendant. Il a le mandat d’interpréter et d’appliquer le Code canadien du travail. Nous sommes également assujettis à la Loi sur le statut de l’artiste et à la Loi sur le programme de protection des salariés.
Le conseil est communément appelé le tribunal fédéral du travail.
Pour tous les différends dont le conseil est saisi, des médiateurs offrent une aide à la médiation pour aider les parties à parvenir à un règlement. Lorsque les différends ne peuvent être réglés par la médiation ou la négociation, ce sont les décideurs du conseil — que nous appelons souvent des juges administratifs — qui doivent trancher. Le conseil se compose de moi-même, de huit vice-présidents à temps plein et de deux vice‑présidents à temps partiel, ainsi que de quatre représentants à temps plein et de deux représentants à temps partiel.
Les groupes chargés d’entendre et de trancher les affaires se composent d’un vice-président ou du président et de deux membres, soit de trois personnes, ou d’un vice-président ou du président siégeant seul. Les membres ne siègent jamais seuls pour trancher les différends.
Le code comprend quatre régimes législatifs distincts. La partie I, que vous connaissez sans doute, régit les relations du travail; la partie II traite de la santé et de la sécurité au travail; la partie III porte sur les normes minimales du travail et la partie IV porte sur les sanctions administratives pécuniaires.
Le projet de loi C-58, qui a force de loi depuis le 20 juin 2025, modifie la procédure prévue à la partie I du code pour déterminer les services qui doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out légal. Comme vous le savez, il s’agit des services essentiels. Les changements apportés au régime de maintien des activités n’ont pas modifié les critères législatifs utilisés pour déterminer ce qui constitue un service essentiel. Comme vous le savez, le projet de loi C-58 comportait également une disposition interdisant le recours à des travailleurs de remplacement.
Il est important de comprendre que le conseil interprète et applique le code dans le contexte des demandes ou des plaintes particulières qui lui sont soumises. Étant donné sa nature de tribunal quasi judiciaire indépendant, le conseil doit exercer ses pouvoirs à l’abri de toute influence externe et ne peut donner son opinion sur des questions ou des enjeux susceptibles d’être soulevés dans le contexte des demandes ou des plaintes dont il est saisi.
Par conséquent, comme je l’ai mentionné, mes observations devant le comité seront limitées et respectueuses de la réalité du rôle décisionnel du conseil et de la neutralité associée à ce rôle. Par conséquent, je m’abstiendrai de donner mon point de vue sur les questions de fond qui font l’objet d’une étude importante du comité dans le cadre de son ordre de renvoi, car ces sujets relèvent de questions qui ont été, font ou peuvent faire l’objet de décisions du conseil.
[Français]
Le rôle du conseil est d’appliquer et d’interpréter sa loi habilitante, telle qu’elle a été adoptée par le Parlement. Il ne serait pas approprié pour moi de commenter les questions de politique soulevées dans le cadre des discussions devant ce comité, comme la question de savoir si le critère relatif au maintien des activités prévues dans le code devrait être modifié ou élargi, ou si des changements au cadre juridique actuel de règlement des conflits de travail devraient être adoptés pour certaines industries.
Pour les mêmes raisons, mes observations ne porteront pas non plus sur des considérations de politiques sous-jacentes au code.
L’ordre de renvoi fait référence à l’utilisation de l’article 107 du code. L’utilisation de l’article 107 a donné lieu à plusieurs instructions ministérielles adressées au conseil au cours des deux dernières années. Pour les mêmes raisons, il ne serait pas approprié pour moi de commenter le recours par le ministre aux pouvoirs prévus par cette disposition.
Cela dit, afin d’aider le comité, nous avons trouvé quelques informations qui pourraient vous être utiles. Nous avons préparé des tableaux et vous avons remis un document. L’un des tableaux comprend la liste des décisions rendues par le conseil dans les deux dernières années, soit en 2024 et 2025, relativement aux instructions ministérielles adressées au conseil en vertu de l’article 107 du code. Vous y trouverez des références. Nous espérons que la liste vous sera utile, à tout le moins comme outil rapide de référence aux décisions du conseil.
Dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne l’interprétation et l’application de l’article 87.4 du code, dont vous avez parlé à plusieurs reprises ce soir, nous avons préparé un tableau comprenant la liste des décisions rendues par le conseil depuis l’adoption de cette disposition en 1999 afin de faciliter la consultation.
Comme on en a discuté lors des réunions précédentes de ce comité, le critère prévu par le code pour déterminer si une activité est essentielle en vertu du paragraphe 87.4(1) est de savoir si la prestation de services, le fonctionnement d’installations ou la production d’articles est nécessaire « pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public ». Dans les décisions, le conseil a conclu que ce critère était restrictif et qu’il n’incluait pas les difficultés économiques ni les inconvénients pour le public. Cette observation générale ressort clairement des décisions du conseil. Je ne déborderai pas de cela, mais c’est un constat très clair et il vient des décisions du conseil.
En préparant le tableau concernant les décisions rendues en vertu de l’article 87.4 il y a quelques jours ou à la fin de la semaine dernière, nous avons remarqué qu’une nouvelle décision a été rendue par le conseil dans les derniers jours. Je vais la mentionner rapidement. Elle ne figure pas dans la liste, au cas où vous voudriez la consulter. Elle sera publiée très bientôt, mais elle a été transmise aux parties. C’est la décision portant sur les opérations de gaz de pétrole liquéfié de la compagnie AltaGas à Ridley Island. Elle porte le numéro 2025 CCRI 1210 et elle date du 17 novembre. Pour rendre les choses plus faciles, je serai heureuse de transmettre une copie de la décision au comité, si vous le désirez.
Enfin, si cela peut également aider le comité, nous avons préparé un graphique sur le volume de dossiers devant le conseil qui concernent l’article 87.4 du code. Il s’agit de la troisième partie du document. Le graphique donne un aperçu du nombre de décisions qui relèvent de l’article 87.4 du code au cours des cinq derniers exercices financiers et de l’exercice financier en cours, soit à partir du 1er avril de cette année jusqu’à la semaine dernière. Ces dossiers comprennent aussi les ententes déposées par les parties auprès du conseil en vertu du paragraphe 87.4(3), qui est maintenant une obligation depuis les modifications de juin dernier. Cela comprend également les demandes déposées lorsqu’il n’y a pas d’entente entre les parties, les demandes déposées par les parties en vertu du paragraphe 87.4(4) et les renvois effectués par le ministre en vertu du paragraphe 87.4(5) du code.
[Traduction]
Sur ce, je vous remercie de votre invitation. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions du comité dans les limites du rôle quasi judiciaire du conseil.
Le président : Merci, maître Tremblay. Nous allons commencer par la sénatrice Dasko, la vice-présidente.
La sénatrice Dasko : Merci, maître Tremblay, d’être ici aujourd’hui. D’après votre lettre, nous comprenons que vous ne pouvez pas parler de tout, mais nous voulions quand même discuter avec vous, alors voilà où nous en sommes. Nous verrons ce que nous pourrons apprendre, dirons-nous.
Je pourrais peut-être commencer par une question de haut niveau. Des témoins nous ont fait part de leurs sérieuses préoccupations au sujet des conflits de travail, de la fréquence à laquelle ce secteur a été touché et des répercussions économiques de ces conflits. Ils ont proposé diverses solutions pour essayer d’y remédier.
Vous êtes au cœur des relations de travail. Selon vous, où devrions-nous chercher des solutions? Ces perturbations ne sont bonnes pour personne — ni pour les entreprises, ni pour les syndicats, ni pour le pays. À votre avis, où pouvons-nous trouver des solutions?
Me Tremblay : C’est une question qui touche précisément à ce sur quoi je ne peux pas me prononcer. Cependant, je peux dire que le travail du comité est très important à mes yeux. Pour ce qui est de la conception d’une solution — je sais que vous examinez, potentiellement, la définition du concept de « services essentiels »; vous examinez le cadre de négociation collective —, autant que je puisse avoir moi-même quelques idées, dans le rôle qui est le mien, je ne peux pas me prononcer sur cette question. Au bout du compte, lorsque le Parlement et le Sénat approuvent une nouvelle loi, nous avons pour rôle de l’interpréter et de l’appliquer. Nous devons donc nous abstenir de faire des commentaires sur sa conception.
La sénatrice Dasko : Pensez-vous qu’il y a quelque chose dans le système qui fonctionne vraiment bien et dont vous pourriez parler? Je ne dis pas cela à la blague.
Me Tremblay : Lorsqu’il y a des améliorations possibles, nous sommes toujours tentés de faire des commentaires. C’est tentant pour moi, mais je vais m’abstenir de le faire.
La sénatrice Dasko : Sur ce qui fonctionne bien, selon vous?
Me Tremblay : Oui, sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Cela fait partie de l’analyse pour la définition d’une nouvelle conception potentielle ou des changements que vous pourriez envisager.
Au bout du compte, nous devons garder à l’esprit que le conseil est un tribunal et que nos décisions portent sur le fond de l’affaire dont nous sommes saisis. Nous devons rester à l’abri de tout préjugé, par exemple, et nous prenons nos décisions en fonction des cas précis dont nous sommes saisis et des circonstances particulières.
La sénatrice Dasko : Je vais essayer de poser une autre question.
D’après les notes que nous avons étudiées, ainsi que la documentation de base, il semble y avoir eu des préoccupations au sujet du temps qu’il faut au conseil pour prendre des décisions. Avez-vous des commentaires à faire au sujet des délais?
Me Tremblay : Si vous me permettez de vous poser une question, est-ce dans un type particulier de cas, ou est-ce une observation générale?
La sénatrice Dasko : Nous avons eu des notes qui laissaient entendre que le délai était long dans certains cas.
Me Tremblay : Il m’est difficile de répondre sans savoir précisément à quoi vous faites référence, mais de façon générale, je peux dire que nous avons des ressources limitées, comme beaucoup d’institutions gouvernementales. C’est alors que nous avons des retards, ou c’est du moins ainsi que les gens perçoivent le temps nécessaire pour rendre une décision, et cela peut être pour diverses raisons. Parfois, les preuves qui doivent être examinées sont très complexes. Nous avons un nombre limité de décideurs et également un nombre limité d’employés pour aider les décideurs.
Nous faisons de notre mieux pour rendre nos décisions aussi rapidement que possible, avec les ressources dont nous disposons, mais nous reconnaissons qu’avec plus de ressources, évidemment, nous pourrions agir un peu plus rapidement.
Je peux également dire qu’en ce qui concerne les différents types de cas que nous traitons, il y a des affaires que nous traitons en priorité. Par exemple, si nous recevons une demande concernant une grève illégale, une demande de redressement provisoire ou un renvoi ministériel en vertu de l’article 107, nous avons une liste de différents dossiers prioritaires que nous traitons en premier et nous devons mettre de côté d’autres dossiers en cours. C’est pourquoi je vous demande de quels types de cas vous parlez. Mais peu importe ce que nous faisons dans le cadre de notre travail habituel, si une question urgente se présente, nous devons nous y atteler immédiatement, et simplement mettre tout le reste de côté pour travailler sur la question urgente dont nous sommes saisis.
La sénatrice Dasko : Je comprends. Merci.
Le sénateur Wilson : Je vais poser une question sur le processus, car je crois que nous pourrons obtenir une réponse plus approfondie.
Avant de poser ma question sur le processus, je devrais connaître la réponse à cette question, mais je l’ai oubliée. Je ne vous demanderai pas votre opinion au sujet du rapport Ready-Rogers, mais l’une des recommandations était la nomination d’un médiateur spécial. Je ne me souviens pas qui devrait nommer ce médiateur spécial selon cette recommandation. Est-ce le CCRI?
Me Tremblay : Si je me souviens bien du rapport, les parties devraient tenter de s’entendre sur le choix de cette personne. Si elles ne sont pas en mesure de s’entendre, ce devrait être le ministre. C’est ce dont je me souviens. Je me trompe peut-être, mais c’est ce dont je me souviens.
Le sénateur Wilson : Bien, merci.
Je pense que ce serait un exercice utile pour les membres du comité et un rappel pour moi si vous pouviez nous expliquer le processus à partir du moment où une convention collective expire, ou lorsque les négociations échouent. Comment le CCRI intervient-il? Comment pouvez-vous être appelés à intervenir? Quelles sont les étapes du processus? Quels sont les délais associés à ce processus? Pourriez-vous nous expliquer cela?
Me Tremblay : Le CCRI ne participe pas aux négociations collectives. C’est le Service fédéral de médiation et de conciliation du ministère de l’Emploi et du Développement social, ou EDSC, qui intervient.
Je vais expliquer le processus, et ensuite, le cycle de négociation, mais pour ce qui est de la répartition des tâches, les médiateurs du conseil sont chargés d’aider les parties à parvenir à un règlement des conflits de travail dont nous sommes saisis. S’il y a une plainte de pratique déloyale de travail, par exemple, ou une demande concernant une grève illégale — tout type de procédure dont nous sommes saisis —, si les parties peuvent régler ces conflits avec l’aide de nos médiateurs, ce sont nos médiateurs qui interviennent.
Pour ce qui est du cycle de négociation d’une convention collective ou de son renouvellement, le processus commence par l’avis de négociation. Les parties ont l’obligation de négocier et de le faire de bonne foi. À tout moment du processus, l’une ou l’autre des parties peut envoyer un avis de différend au ministre du Travail. Cela relève du Service fédéral de médiation et de conciliation que je viens de mentionner. Ce service nommera un conciliateur pour aider les parties, et cette personne proviendra non pas du CCRI, mais d’Emploi et Développement social Canada.
Les parties tenteront de parvenir à un règlement avec l’aide du conciliateur. Si cela ne fonctionne pas et que le conciliateur signale qu’il y a impasse et que les parties n’ont pas été en mesure de parvenir à un règlement, on passe à une période de réflexion de 21 jours. Après cette période de réflexion, les parties peuvent envoyer un avis de grève ou de lock-out.
Pour ce qui est de la place des services essentiels dans ce processus, si les parties ont une demande de détermination des services essentiels en instance devant le conseil, elles ne peuvent pas faire la grève ou le lock-out tant que le conseil n’a pas statué sur la question des services essentiels.
Voilà, en résumé, comment le processus fonctionne. Si les parties ne sollicitent pas l’aide du conseil pour déterminer si les services sont essentiels, le ministre peut aussi nous renvoyer la question. Parfois, même si les parties ne nous ont pas demandé de faire cette détermination, le ministre nous renvoie la question et nous rendons notre décision. La dernière décision dont je viens de parler dans l’affaire AltaGas en est un bon exemple. Il s’agissait d’un renvoi ministériel en vertu du paragraphe 87.4(5) du code.
Le sénateur Wilson : À l’exception des situations où on vous demande de rendre une décision au sujet d’un service essentiel ou d’une autre disposition, les autres choses que vous avez énumérées, essentiellement, le CCRI intervient seulement après que le conflit s’est matérialisé, en général, n’est-ce pas?
Me Tremblay : Oui. Il arrive aussi que, lorsque nous traitons de questions liées aux services essentiels ou à d’autres sujets liés à la négociation collective, nos médiateurs aident les parties à conclure une convention collective parce qu’elles sont maintenant devant nous et qu’elles ont suivi le cycle de négociation. Le mandat du conciliateur est terminé, et nous les avons devant nous pour telle ou telle raison — parfois une grève illégale ou quoi que ce soit d’autre — et nous les aidons alors à conclure une convention collective. Mais notre intervention ne fait pas partie du cycle de négociation habituel.
Le sénateur Wilson : Merci.
Le sénateur Lewis : Je vous remercie de votre présence ici, et je sais que vous avez des contraintes. Quand on regarde le volume de dossiers par exercice, à quelle date se termine l’exercice? Est-ce de juin à juin?
Me Tremblay : C’est du 1er avril au 30 mars.
Le sénateur Lewis : En 2025-2026, le volume a considérablement augmenté.
Me Tremblay : C’est exact. Évidemment, il ne s’agit que des questions relevant de l’article 87.4. Je peux vous expliquer un peu pourquoi il y a une hausse en 2025-2026.
Depuis le 1er avril, ce qui s’est passé, tout d’abord, avec la nouvelle loi et un nouveau mécanisme en vertu de l’article 87.4, nous avons maintenant le paragraphe 87.4(3) qui exige que les parties déposent leur entente de maintien des activités auprès du CCRI, ce qui n’était pas le cas auparavant. Cela augmente le nombre de dossiers — et elles doivent aussi l’envoyer au ministre du Travail. Elles l’envoient au ministre du Travail et au CCRI, puis nous en prenons note. La loi dit qu’une fois que l’entente est déposée auprès du conseil, elle est assimilée à une ordonnance du conseil. Plus tard dans le processus, une disposition prévoit que s’il y a grève, etc., et qu’il faut réexaminer l’entente, le conseil peut l’étudier et la modifier éventuellement. C’est la raison pour laquelle il y a une augmentation. C’est en partie la raison. Nous recevons environ 17 de ces dossiers. Ils sont traités et éliminés assez rapidement, car il s’agit simplement de constater que l’entente a été conclue par les parties.
Mais le reste de l’augmentation est attribuable aux aéroports. Dans l’ouest du pays, il y a Paladin et dans l’est, il y a Garda. Leurs conventions collectives ont pris fin à peu près au même moment. Il y a donc de nombreux aéroports dans l’Est et dans l’Ouest qui ont chacun déposé une demande de détermination des services essentiels. Ces dossiers sont en cours de traitement, et certains d’entre eux sont en suspens à la demande des parties simplement parce qu’elles sont en train de négocier, et qu’elles préfèrent se concentrer sur la négociation plutôt que sur les services essentiels. C’est ce qui explique cette augmentation. Il y a donc 17 dossiers, plus ou moins, pour Paladin et 19, plus ou moins, pour Garda. Cela vous donne une idée de la raison pour laquelle le chiffre est assez élevé de ce côté-là.
Le sénateur Lewis : Vous avez parlé plus tôt de capacité. Vous a-t-on donné plus de ressources pour faire face à cette augmentation? Cela exige-t-il beaucoup de temps?
Me Tremblay : La réponse est oui, pour ce qui est des vice-présidents. Deux nouveaux postes de vice-président ont été créés à la suite du projet de loi C-58, et les nominations ont toutes été faites avec des remplacements en octobre. Nous avons quatre nouveaux vice-présidents depuis octobre. Il y en a huit au total. Avant cela, nous en avions environ six. Nous avons aussi deux vice-présidents à temps partiel. Donc, sur ce front, oui.
Mais nous avons aussi le personnel qui nous soutient, à savoir le Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs, ou SCATA. Il ne fait pas partie du CCRI, mais du groupe d’appui aux tribunaux administratifs. Comme dans le cas de toute institution gouvernementale, il y a des réductions et des limitations. C’est le défi à relever. Et nous devons y faire face.
Le sénateur Lewis : Merci.
Le sénateur Quinn : Merci d’être ici ce soir. Je sais que vous êtes dans une situation difficile et que vous ne pouvez pas répondre à des questions portant sur des dossiers et ce genre de choses. Je n’irai donc pas sur ce terrain-là. Mais j’aimerais mieux comprendre, en ce qui concerne la question des services essentiels, qui vous donne son avis. Est-ce les employeurs et les employés?
Me Tremblay : Je peux vous en parler.
Le sénateur Quinn : Qui vous dit :« Nous croyons qu’il s’agit d’un service essentiel ». Qui fait cela pour vous?
Me Tremblay : Lorsque nous recevons une demande de détermination des services essentiels, qu’il s’agisse d’une demande ou d’un renvoi du cabinet du ministre, la première chose que fait le conseil est de solliciter les observations des parties. Comme pour toute affaire dont le conseil est saisi, nous tranchons en fonction des éléments de preuve et des observations qui nous sont présentés par les parties. Dans le cas des services essentiels, évidemment, le fardeau de la preuve incombe aux parties, mais il arrive parfois que d’autres parties qui s’estiment concernées demandent le statut d’intervenant devant le conseil. Cela arrive. Nous traitons ces demandes conformément à notre réglementation, et la façon dont nous traitons les intervenants — il y a évidemment différents critères que je n’aborderai pas ici. Mais oui, dans le cas des services essentiels, ce sont principalement les parties elles-mêmes, et parfois des intervenants.
Le sénateur Quinn : Et les intervenants sont des tierces parties?
Me Tremblay : Oui. Dans le cas, par exemple, des renvois ministériels, il est déjà arrivé que les parties se soient entendues pour dire qu’il n’y avait pas de services essentiels. Le conseil n’a donc pas été saisi de la question, mais le ministre nous a demandé de l’examiner pour voir s’il s’agissait, en fait, de services essentiels. Étant donné que les parties elles-mêmes avaient décidé que ce n’étaient pas des services essentiels, le conseil a sollicité d’autres personnes — quiconque était intéressé à formuler des commentaires et des observations sur la question de savoir si les services étaient essentiels et si cela le touchait, conformément aux critères énoncés dans la loi.
Le sénateur Quinn : Plusieurs de mes collègues ont dit, et vous l’avez dit vous-même, que vous aimeriez avoir plus de ressources. Je ne pense pas que ce soit la première fois qu’on entend cela. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, par exemple, en a parlé aussi. Mais vos ressources sont limitées. Consultez-vous d’autres personnes, comme des experts de la chaîne d’approvisionnement, qui ont participé à des groupes de travail dirigés par le gouvernement et ce genre de choses? Cherchez‑vous activement à obtenir l’avis de ces experts, en plus de celui des participants?
Me Tremblay : Le conseil n’a pas pour rôle d’enquêter. Son rôle consiste à recevoir les mémoires des parties et de quiconque demande le statut d’intervenant...
Le sénateur Quinn : C’est la raison pour laquelle je pose cette question. Au cours de ces délibérations, j’ai lu les antécédents d’un conseil impressionnant. Je dis cela parce qu’il y a beaucoup de lois, beaucoup de conciliateurs, beaucoup de médiateurs, des représentants syndicaux et des personnes qui ont travaillé dans le domaine syndical. Je ne vois pas beaucoup de gens qui ont travaillé dans des fonctions de type chaîne d’approvisionnement. Ne serait-il donc pas avantageux que ces experts viennent donner leur avis aux décideurs afin qu’ils puissent prendre des décisions plus éclairées?
Me Tremblay : Je ne sais pas exactement quelles sont les personnes que vous suggérez d’intégrer au conseil. Je ne suis pas sûre de comprendre votre question.
Le sénateur Quinn : Je ne suggère rien au sujet de la composition du conseil. Ce n’est pas à moi d’en décider. À mon avis, le conseil n’a peut-être pas toute l’expertise voulue. Je dis cela parce que, par exemple, nous avons entendu dire que les camions pouvaient remplacer les trains. Et les intervenants de la chaîne d’approvisionnement diraient que ce n’est même pas faisable.
Me Tremblay : Mais c’est aux parties de décider. Je ne me mêle pas des décisions. Pour ce qui est de la procédure que suit ce genre de tribunal, en fait, nous décidons en fonction de ce que les parties nous présentent. Il n’est pas rare qu’une des parties fasse comparaître un témoin expert devant le conseil.
Le sénateur Quinn : Permettez-moi de vous poser la question suivante, parce que j’ai déjà dirigé un port, et qu’en ce qui concerne la composition du conseil d’administration, il fallait répondre à différents critères pour être nommé au conseil et diriger une administration portuaire. Certains de ces critères nous assuraient de disposer d’un groupe de personnes ayant des antécédents diversifiés, une certaine compréhension des ports et du transport, et de l’expérience sur le terrain. Le gouvernement devrait-il tenir compte de l’ensemble des compétences au sein du conseil d’administration du CCRI?
Me Tremblay : Vous parlez donc du profil des décideurs du conseil.
Le sénateur Quinn : Oui.
Me Tremblay : Pour vous donner une réponse simple à cette question, si vous examinez notre code, il y a une disposition qui prévoit que nous devons avoir des connaissances et de l’expérience en matière de relations de travail.
Le sénateur Quinn : Pourriez-vous avoir un ensemble plus large de compétences? Parce que vous avez un certain nombre de membres à temps partiel et à plein temps. Devrait-il y avoir une plus grande diversité de représentation?
Me Tremblay : Nos membres sont des représentants de syndicats et d’employeurs, donc ce sont nos membres.
Le sénateur Quinn : Je comprends cela. Il n’y a personne qui représente les chaînes d’approvisionnement, par exemple, pour ce qui est de l’expérience.
Me Tremblay : La loi ne prévoit aucune exigence spécifique concernant la représentation d’un secteur particulier, par exemple.
Le sénateur Quinn : Je ne parle pas de représentation, mais d’expérience afin de pouvoir prendre des décisions plus éclairées.
Me Tremblay : La loi n’exige pas d’expérience dans la chaîne d’approvisionnement, si c’est là la question.
Le sénateur Quinn : Cela m’aide à mieux comprendre certaines des décisions qui ont été prises. Je n’ai pas d’autres questions.
Le président : Vous avez fait du bon travail.
La sénatrice Mohamed : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous expliquer le processus. Cela nous aide vraiment à comprendre comment cela fonctionne. J’ai deux questions dont une à laquelle vous pourrez peut-être répondre, mais peut-être pas. La première est la suivante : le conseil devrait-il intervenir plus tôt dans le processus? C’est la question que je vous pose au sujet du processus.
Me Tremblay : Le conseil ne participe pas au cycle de négociation. Nous intervenons si une des parties allègue que l’autre a négocié de mauvaise foi, par exemple. Nous recevons alors une plainte selon laquelle une partie a négocié de mauvaise foi et nous intervenons. À ce moment-là, nous aidons aussi parfois les parties à régler leur convention collective. Mais quant à savoir si nous devrions ou non le faire, compte tenu des modifications apportées à la loi actuelle, je m’abstiendrai de tout commentaire.
La sénatrice Mohamed : J’ai tenté ma chance.
Deuxièmement, je ne maîtrise pas encore très bien ce vocabulaire, mais j’ai trouvé ce document très utile. À la page 11, il y a un tableau. On dit qu’il y a eu 74 affaires au total : 10 ont été accueillies, 7 ont été rejetées et 57 ont été retirées. Pouvez-vous m’aider à comprendre ce qui entre dans la catégorie des affaires retirées?
Me Tremblay : Bien sûr. Pour vous expliquer la page dans son ensemble — cela sera peut-être plus clair —, dans la colonne de gauche, il s’agit des demandes déposées par les parties. À droite, ce sont les renvois ministériels. Dans la colonne de gauche, toutes les affaires retirées sont les demandes retirées par les parties qui les avaient déposées.
La sénatrice Mohamed : Volontairement.
Me Tremblay : Cela se produit lorsque les parties ont négocié leur convention collective, qu’elles sont satisfaites et qu’elles ne veulent pas passer du temps à s’occuper des services essentiels, car cela n’a plus vraiment d’importance. C’est à ce moment-là que les affaires sont retirées. La plupart d’entre elles sont retirées parce que les parties ont fini par négocier leur convention collective.
Dans la colonne des renvois, il est indiqué que les affaires sont non pas « retirées », mais « fermées » parce qu’une partie ne peut pas retirer un renvoi ministériel. Mais l’affaire est fermée lorsque les parties arrivent à une convention collective, et qu’il n’est alors plus nécessaire de trancher l’affaire qui nous a été renvoyée. Donc, la grande majorité des affaires n’ont pas besoin d’être tranchées parce que les parties finissent par négocier leur convention collective.
La sénatrice Mohamed : Par simple curiosité — vous n’avez peut-être pas ces données —, quel est, en moyenne, le nombre de jours dont elles ont besoin pour trouver leur propre voie? Observez-vous des tendances à cet égard?
Me Tremblay : Je n’ai pas ce chiffre en tête. Ce que nous suivons, c’est le temps de traitement des demandes. Néanmoins, le délai de traitement ne nous dit parfois pas grand-chose, en ce sens que les parties nous demandent simplement de laisser ces demandes en suspens. Elles veulent simplement qu’elles soient déposées — ce qui suspend, en fait, le droit de grève ou de lock‑out — et qu’elles restent en suspens pendant qu’elles se concentrent sur la négociation collective au lieu de passer des journées entières devant nous à expliquer ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas.
Nous avons le temps de traitement des demandes, mais cela n’indique pas nécessairement la rapidité avec laquelle nous traitons ces affaires, simplement parce que cela ne dépend pas de nous. Les parties nous demandent parfois de les laisser de côté pendant un certain temps.
La sénatrice Mohamed : Est-il possible d’avoir une idée du temps que cela prend? J’essaie de voir jusqu’où les gens sont prêts à aller avant de dire : « Nous devons retirer cette demande et régler cela nous-même. » Pourriez-vous fournir une ventilation du nombre de jours que cela prend afin que nous puissions voir s’il y a une tendance?
Me Tremblay : Nous pouvons certainement vous fournir des chiffres. Il faudrait que je vérifie si nous les avons, mais je pense que nous avons, dans la liste des 57 demandes retirées, par exemple, le délai écoulé entre le dépôt de la demande et la date de son retrait. Nous avons ces données. Je peux me renseigner sur la façon de les compiler, et les soumettre au comité.
La sénatrice Mohamed : Ce serait formidable. Merci.
La sénatrice Simons : Cela a été extrêmement utile. Nous avons examiné les graphiques à barres des différents processus. Je voudrais revenir au tableau de l’article 107, au début.
Il y a eu un très grand nombre de renvois en vertu de l’article 107 au cours de la dernière année, et vous en avez fourni la liste de juin 2024 à août 2025. Avant juin 2024, en aviez-vous un par année, un tous les deux ans?
Me Tremblay : Vous trouverez des renseignements complets à ce sujet dans l’une des décisions du conseil, où nous décrivons l’historique de l’article 107 en ce qui concerne l’historique législatif et l’utilisation de cet article au fil des ans. Si vous avez la liste des décisions du CCRI sur les renvois ministériels, c’est à la page 3. Pour le Canadien National et la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, dans la deuxième case, je crois, voyez‑vous les motifs des décisions, dans la quatrième colonne?
La sénatrice Simons : Oui.
Me Tremblay : La deuxième décision, en date du 22 octobre 2024, porte la référence « 2024 CCRI 1162 ».
La sénatrice Simons : Je le vois.
Me Tremblay : Les paragraphes 22 à 42 de cette décision résument l’historique de l’article 107 : comment il a été présenté au Parlement, comment il a été adopté et à quoi il ressemblait au départ. Vous verrez, par exemple, qu’en 1984, cette disposition conférait au ministre le pouvoir de donner des directives au conseil et de lui renvoyer des dossiers. Avant 1984, l’article existait déjà, mais sans la partie concernant les renvois au conseil. Ces renvois au conseil ont commencé en 1984, et pas avant. C’est le point de départ.
Dans la même décision, aux paragraphes 43 à 53, vous verrez l’utilisation qui a été faite de l’article 107 au cours des années précédant 2024. La liste que nous vous avons fournie, aux pages 3 et 4, indique les décisions prises au cours des deux dernières années. Mais tous les renvois qui ont eu lieu de 1984 à 2024 sont expliqués et décrits dans cette décision.
La sénatrice Simons : Mais il n’y en a pas autant, c’est ce que je veux dire.
Me Tremblay : Non. Il y en a une dizaine.
La sénatrice Simons : Donc, 10 en 30 ans, et ensuite plus de 10 dans une année. De toute évidence, cela a accéléré le rythme.
Vous nous avez également fourni un tableau indiquant quelles sont les décisions qui ont fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale, et vous nous avez très gentiment fourni les numéros des appels. Pouvez-vous nous dire lesquels, le cas échéant, ont été entendus? Combien d’entre eux ont été remportés, ou y en a-t-il eu?
Me Tremblay : Aucun d’entre eux n’a encore été tranché, et ils sont donc tous en instance devant la cour. Les contestations devant la Cour d’appel fédérale portent sur des décisions du conseil qui ont mis en œuvre les renvois ministériels. Il y a également, devant la Cour fédérale, une série d’instances, dont nous n’avons pas donné la liste, qui contestent les renvois ministériels eux-mêmes.
La sénatrice Simons : C’est donc un processus très complexe. Autrefois, les gens devaient s’adresser au Parlement et une loi était adoptée pour ordonner le retour au travail. Cela donnait-il également lieu à un renvoi au CCRI lorsqu’il y avait des ordonnances de retour au travail prévues par la loi?
Me Tremblay : Le CCRI n’est généralement pas mentionné dans les lois de retour au travail. Ce que nous voyons dans une loi de retour au travail, c’est la fin de la grève et l’imposition d’un processus d’arbitrage exécutoire. La loi établit le processus d’arbitrage obligatoire et exécutoire, mais le conseil n’y participe généralement pas.
La sénatrice Simons : Mais le recours à l’article 107 a aussi beaucoup augmenté votre charge de travail.
Me Tremblay : Cela a augmenté la charge de travail.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Cormier : Mes questions vont un peu dans la même direction que ma collègue, soit la question du temps, mais de manière plus large. Est-ce que vous avez des données? J’imagine que vous faites une analyse après la résolution du conflit ou le cas que vous avez traité. Faites-vous une analyse de ces cas pour comprendre plus clairement quels sont les défis ou les éléments qui reviennent? Avez-vous des données? En fait, on cherche à mieux comprendre le processus qui fait qu’un employeur et un employé entrent dans un conflit de travail. Avez-vous des données sur cette question? N’avez-vous pas ce type d’analyse?
Me Tremblay : Non. Ce n’est vraiment pas dans notre mandat. On est là pour rendre une décision dans les dossiers qui nous sont soumis et régler les litiges qui sont devant nous, que ce soit par médiation ou par adjudication. Toutefois, les motifs ou les raisons pour lesquels les parties se trouvent dans une impasse ou dans une situation particulière ne sont pas des choses qu’on analyse.
Du côté d’Emploi et Développement social Canada, je ne sais pas quel type d’analyse ils font à cet égard. Cependant, ce n’est pas chez nous qu’on fait cela.
Le sénateur Cormier : Je vais me permettre de poser une question qui sort du sujet, parce que je sais que vous traitez aussi de la Loi sur le statut de l’artiste. C’est un sujet de grand intérêt. Recevez-vous énormément de plaintes de ce côté?
Me Tremblay : Très peu de dossiers.
Le sénateur Cormier : Très peu de dossiers? Comment l’expliquez-vous?
Me Tremblay : Je ne pourrais pas vous le dire, sauf que j’ose présumer qu’il y a une stabilité qui fait en sorte qu’ils n’ont pas besoin de venir nous visiter très souvent. On a quelques dossiers en cours, mais cela reste vraiment rare.
Le sénateur Cormier : Merci.
Le sénateur Aucoin : Merci, maître, de comparaître devant le comité.
J’ai été commissaire à la Commission des libérations conditionnelles du Canada à temps partiel pendant trois ans. Je comprends exactement quel est votre rôle et pourquoi vous devez penser à vos commentaires avant de les émettre.
J’ai une question pour vous. Je vais essayer de faire vite. Je suis à la page 9 de votre document. Parmi les décisions qui sont déjà rendues, avez-vous le nombre de décisions qui ont été rendues en faveur des employeurs par opposition aux employés? Par exemple, en 2023 et 2024, il y a eu 22 et 26 demandes. Avez-vous des statistiques à cet effet?
Me Tremblay : Voulez-vous savoir qui a présenté les demandes?
Le sénateur Aucoin : Non, plutôt qui a gagné, plus ou moins. Le pourvoi a été accueilli dans combien de cas?
Me Tremblay : D’accord. On n’a pas divisé le montant annuellement, mais si vous regardez du côté gauche de la dernière page, vous verrez qu’il y en a 10 qui ont été accueillies sur les 74 demandes des cinq dernières années.
Le sénateur Aucoin : Cela représente les cinq dernières années?
Me Tremblay : Oui. Les cinq dernières années et l’année en cours.
Le sénateur Aucoin : Combien provenaient de l’employeur par opposition aux employés?
Me Tremblay : On pourrait certainement fournir cela au comité. Il faut simplement aller dans chaque dossier pour voir qui avait déposé la demande dans un premier temps, mais c’est de l’information qui est à notre disposition et que l’on pourrait fournir au comité si cela peut vous être utile.
Le sénateur Aucoin : Merci.
J’ai une deuxième question. Vous avez mentionné que, dans certains cas, vous pouviez aider le groupe. Ai-je raison de dire qu’au moment de déterminer si un service est essentiel, il y a déjà une grève ou un lock-out?
Me Tremblay : Non. Ce serait fait au début du processus, dans le fond. Il y a deux régimes. La plupart des dossiers qui sont ici ont été traités sous l’ancien régime, avant les modifications du 20 juin, mais il y a des délais pour déposer des demandes. Sans trop aller dans les détails, sous l’ancien régime, ils devaient transmettre un avis dans les 15 jours suivant l’avis de différend. Après cela, ils avaient 15 jours pour faire leur demande. Cela se faisait donc au début du processus. Parfois, la négociation collective était entamée, parfois, pas tout à fait, mais c’était au début du cycle de négociation.
Le sénateur Aucoin : Quel serait le moment le plus hâtif dans les négociations où vous pouvez intervenir à la suite d’une demande de l’employeur, des employés ou du syndicat?
Me Tremblay : Conformément à la législation actuelle, s’il n’y a pas d’entente entre les parties, les parties peuvent faire une demande au conseil. Cela se trouve au paragraphe 87.4(4) du Code canadien du travail. On y dit simplement que si les parties n’ont pas conclu d’entente, le conseil peut trancher une demande déposée par les parties. Il n’y a pas de délai prescrit pour cela.
Le sénateur Aucoin : Lorsque le paragraphe 87.4(4) s’applique, il peut être déjà tard dans le processus de négociation entre le syndicat et l’employeur, n’est-ce pas?
Me Tremblay : Typiquement, cela se fait relativement tôt, mais oui, il y a des parties qui, à l’occasion, ne le font pas. C’est la raison pour laquelle on reçoit des renvois de la part du ministre nous demandant de trancher une question, parce que les parties n’ont pas fait appel au conseil.
Le sénateur Aucoin : Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez aiguisé ma curiosité. Est-ce que ce sont des arbitres qui travaillent chez vous? Je ne sais pas comment vous les appelez, mais je parle de ceux qui sont appelés à trancher.
Me Tremblay : En fait, il y a moi qui suis présidente, on a des vice-présidents, des vice-présidentes et des membres. Les membres sont des représentants des côtés syndical et patronal.
La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord. Justement, sur ce sujet, quand vous avez un dossier, est-ce que vous vous assurez qu’il y a des membres issus du monde syndical et du monde patronal de façon équitable et égale?
Me Tremblay : Toujours. En vertu de la législation, c’est moi qui ai le pouvoir et le devoir d’assigner les dossiers. On fonctionne avec des bancs. On les appelle les bancs du conseil. Le banc peut être formé de la présidente ou des vice-présidents siégeant seuls, ou ce peut être un banc de trois. Dès qu’il s’agit d’un banc de trois, ce sera soit un vice-président ou la présidente siégeant avec deux membres, soit un membre du côté syndical et un autre du côté de l’employeur.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce qu’on s’attend à ce que les membres prennent parti pour le côté syndical ou pour la partie patronale aussi clairement que cela, ou est-ce plutôt leur passé qui les amène là? En effet, c’est le Code canadien du travail qui doit être interprété. Comment le voyez-vous?
Me Tremblay : Ils sont reconnus comme représentant le côté patronal ou syndical. Quand ils décident des dossiers, ils le font sur la base des faits, de la preuve et d’arguments qui sont présentés devant eux. La réponse sera donnée en fonction de la législation, de nos contraintes juridiques et de la preuve. Qu’ils aient le chapeau syndical ou patronal, la plupart du temps, la réponse se dessine avec les contraintes juridiques et la loi qu’il faut mettre en application.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ultimement, c’est le vice-président qui prend la décision ou c’est quelqu’un d’autre?
Me Tremblay : Ce sont les trois. Les trois ont le même poids, le même vote, alors si l’un des membres n’est pas d’accord avec les deux autres, il lui est possible d’écrire une dissidence. C’est la majorité qui l’emporte pour la prise de décision, mais il peut y avoir des dissidences.
Le conseil doit en être très fier : c’est rare qu’il y ait des dissidences. Il y a une vingtaine ou une trentaine d’années, il y avait quand même beaucoup plus de dissidences. Les membres n’étaient pas représentatifs. Ils sont représentatifs au conseil seulement depuis 1999. Or, on ne voit pas beaucoup de dissidences, parce que la législation est relativement bien définie et que la jurisprudence est bien développée. Il y a donc une prévisibilité dans les décisions rendues au conseil. Quand cela transparaît facilement à partir de la preuve et des arguments, les décideurs vont facilement se ranger tous du même côté. Toutefois, il peut y avoir malgré tout des dissidences, même si cela n’arrive pas fréquemment.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une dernière question. Parmi les vice-présidents ou la présidence, vous avez tous un passé, quand même. Si vous devez avoir de l’expérience avec le Code canadien du travail, vous avez alors sûrement représenté la partie syndicale ou la partie patronale à un certain moment; tout cela se sait.
Me Tremblay : Tout à fait. C’est public, et c’est pour cela qu’on nous choisit. D’ailleurs, c’est prévu dans la législation : il faut avoir une expérience et une expertise en relations de travail pour être nommé au conseil. C’est prévu depuis 1999. C’était là informellement auparavant, mais maintenant, c’est codifié, parce qu’il est logique que ce soit des gens qui ont exercé ce métier qui puissent trancher les litiges.
La sénatrice Miville-Dechêne : Il y a aussi la nature du litige, comme le sénateur Aucoin le mentionnait, qui est une autre question.
Merci. Je vous ai assez torturée.
Le président : Merci.
Nous en sommes à la fin de notre réunion. Je tiens à vous remercier, maître Tremblay, pour votre présence aujourd’hui. C’est grandement apprécié.
[Traduction]
Avant de mettre fin à la réunion, je tiens à remercier toute l’équipe de soutien du comité — ceux qui sont devant, derrière et en coulisse — pour tout le travail que vous faites. Je vous remercie de ce travail qui contribue énormément au succès de notre travail de sénateurs.
(La séance est levée.)