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Projet de loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et comportant d'autres mesures

Deuxième lecture

2 juin 2016


L’honorable sénateur Claude Carignan, c.p. :

Honorables sénateurs, j'aimerais remercier le parrain du projet de loi et le féliciter de son objectivité. À mon avis, tous les sénateurs ont pour but de faire des lectures objectives des projets de loi et de tenter de trouver une façon de les améliorer. À la première lecture du projet de loi C-7, plusieurs éléments m'ont sauté aux yeux, des éléments fondamentaux qui doivent se retrouver dans un système d'accréditation et de négociations collectives. C'est donc avec beaucoup de plaisir, honorables sénateurs, que je prends la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-7.

Ce projet de loi fait suite à plusieurs années de litige devant les tribunaux. C'est pourquoi il faut l'étudier avec beaucoup d'attention, et plus particulièrement, sous l'angle constitutionnel tracé dans l'arrêt Association de la police montée de l'Ontario, une décision incontournable de la Cour suprême en matière de droit du travail qui a été rendue en 2015.

Il s'agissait d'une contestation constitutionnelle intentée par deux associations privées d'agents de la GRC qui cherchaient à exercer le droit de négocier collectivement au nom des policiers. Les juges devaient se prononcer sur deux questions. D'abord, sur l'exclusion des membres de la GRC du régime de négociation collective établi par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et, deuxièmement, sur le régime non syndical des relations de travail en vigueur depuis plusieurs années dans le cadre du Règlement de la GRC, c'est-à-dire le fameux Programme des représentants des relations fonctionnelles.

Plus particulièrement, dans l'arrêt Association de la police montée de l'Ontario, la Cour suprême a interprété la constitutionnalité du régime de négociation des conditions de travail en place à la GRC au sens de l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'alinéa 2d) de la Charte est supposé garantir le droit des employés de s'associer en vue de réaliser des objectifs collectifs relatifs à leurs conditions de travail.

J'avoue qu'il est particulièrement intéressant de débattre du projet de loi C-7 au même moment où l'on débat du projet de loi C-14, car ce sont deux situations dans lesquelles la Cour suprême avait rendu des jugements antérieurs, au cours des 1990 et au début des années 2000, et où, récemment, dans les deux situations, la Cour suprême a complètement changé d'idée, autant en ce qui concerne l'aide médicale à mourir qu'au chapitre de l'inclusion de la protection constitutionnelle du droit de négocier collectivement.

Les juges ont déterminé que le Programme des représentants des relations fonctionnelles excluait les agents de la GRC du champ d'application de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et imposait un régime de relations de travail qui laissait énormément de place à l'arbitraire. Le « Programme », comme on l'appelait, a donc été jugé inconstitutionnel.

La Cour suprême a déclaré ce qui suit, et je cite :

[...] un processus de négociation collective n'aura pas un caractère véritable s'il empêche les employés de poursuivre leurs objectifs.

J'attire votre attention sur ce passage. La Cour suprême ajoute ceci :

[...] l'exclusion d'une catégorie particulière d'employés du régime de relations de travail en vue de les priver de l'exercice de leur droit à la liberté d'association contrevient de façon inacceptable aux droits constitutionnels des employés touchés.

Qui plus est :

[...] le législateur ne doit pas entraver substantiellement le droit des membres de cette organisation à un processus véritable de négociation collective [...]

Honorables sénateurs, au terme de cet exercice, la cour a constaté que les mesures du programme perturbaient complètement l'équilibre du rapport de force qui doit exister entre les employés et l'employeur.

J'approuve sans réserve le principe sur lequel le projet de loi repose. Je ne crois pas que quelque compromission soit possible quant à l'obligation de respecter le droit constitutionnel des membres de la GRC « de s'associer en vue de réaliser véritablement des objectifs collectifs relatifs au travail », pour reprendre les propos de la Cour suprême.

Cependant, nous devons tenir compte du cas particulier qui se présente à nous. Nous reconnaissons tous la nature unique du travail de la GRC en tant que force de police nationale et, dans ce contexte, la nécessité pour ses membres de négocier leurs conditions d'emploi dans un contexte d'équilibre des forces.

D'ailleurs, tout au long de l'étude, il faudra garder en tête le fait que les hommes et les femmes qui font l'objet de ce projet de loi, c'est-à-dire les agents de première ligne de la GRC, chaque jour, mettent leur vie en péril pour nous protéger.

Nous ne devons pas oublier les quatre agents de la GRC qui ont été abattus à Mayerthorpe, en Alberta. Récemment, nous avons été secoués par la mort brutale d'agents de la GRC à Moncton pendant qu'ils étaient au service de leur collectivité. Ces incidents dramatiques ont trouvé un écho dans les témoignages sur le projet de loi C-7 entendus au comité de la Chambre des communes, car le projet de loi porte notamment sur les conditions de travail de la GRC et leur matériel de sécurité.

Pendant les audiences du comité de la Chambre des communes, les députés ont entendu le point de vue d'un représentant de l'Association canadienne de la police montée professionnelle, qui a rappelé aux parlementaires que les agents de la GRC, à cause de leur travail, ne sont pas des fonctionnaires. Je le cite :

Nous ne sommes pas des fonctionnaires, pourtant on nous compare à eux. Nous sommes une agence de police nationale et l'on devrait nous comparer à de grandes agences de police comme la Police Provinciale de l'Ontario, la Sûreté du Québec, la Police métropolitaine de Toronto, le Service de police de Vancouver ou le Service de police de Winnipeg.

En effet, honorables sénateurs, ce projet de loi, s'il est adopté dans sa forme actuelle, aura un impact considérable sur le droit de négocier les conditions de travail des membres et réservistes de la GRC. L'étude en comité à la Chambre des communes a mis en lumière les préoccupations légitimes des témoins, dont la plupart étaient des agents ou des ex-agents de la GRC. Ceux-ci ont fait référence à des exemples concrets recueillis auprès d'autres corps de police au Canada.

Chers collègues, en tant qu'avocat qui a longtemps plaidé des causes en droit public et en droit du travail, en tant qu'enseignant dans les facultés de droit en relations de travail, je dois vous avouer que j'ai été complètement estomaqué de découvrir à quel point le régime des relations de travail au sein de la GRC était anachronique et combien des conséquences graves pouvaient découler de cet anachronisme juridique que constituait le régime en place à la GRC, qu'on appelait le « Programme ».

Toutefois, il est tout aussi préoccupant de constater que le nouveau régime de négociation collective proposé par la GRC et le président du Conseil du Trésor est extrêmement limité dans sa portée et son application, comme l'a souligné le sénateur Campbell. Il est loin des paramètres et des niveaux de structure modernes qui encadrent les relations de travail.

Le projet de loi C-7 prévoit en effet des restrictions importantes sur les éléments pouvant faire l'objet de négociations. Le sénateur Campbell en a traité, et je tiens à les réitérer, car il s'agit pour moi d'éléments fondamentaux qui doivent faire partie d'une convention collective. Or, ils en sont exclus expressément.

Une entente collective ne pourrait porter, notamment, sur les transferts, un aspect qui est tout de même assez fréquent en matière de mouvements d'emploi au sein d'une force de police comme la GRC. Les nominations, les stages, le licenciement, le congédiement, la rétrogradation, la conduite — y compris le harcèlement —, les compétences de base pour l'exercice des fonctions à titre de membre de la GRC, l'uniforme, la tenue vestimentaire et l'équipement — vous m'avez bien entendu! —, tous ces sujets sont exclus d'une négociation de convention collective.

Personnellement, je n'ai jamais vu cela. Il ne reste, en fait, à peu près que les salaires et les vacances, et, si les parties ne s'entendent pas, il y a un arbitrage de différend obligatoire.

Honorables sénateurs, comme le dit la Cour suprême en matière de droit du travail, un des objets fondamentaux de l'alinéa 2d) de la Charte est de faire en sorte que, en s'unissant pour réaliser des objectifs communs, des personnes soient capables d'empêcher des entités plus puissantes de faire obstacle aux buts et aux aspirations légitimes qu'elles peuvent partager.

Vous comprendrez qu'il est légitime pour des travailleurs de vouloir négocier sur des éléments liés à la sécurité au travail. Lors des témoignages entendus à la Chambre des communes, un agent de la GRC est venu expliquer l'importance de négocier, dans le cadre des conditions de travail, des pièces d'équipement aussi importantes et vitales que des vestes de sécurité (ou vestes pare-balles) qui peuvent protéger les policiers contre des carabines à longue portée. Pourtant, cet élément, comme je l'ai dit, fait l'objet d'une exclusion.

D'autre part, au cours des dernières années, nous avons entendu dans les médias plusieurs histoires troublantes sur des cas de harcèlement au travail, notamment à la GRC. Il est étonnant de constater que le projet de loi exclut des négociations collectives la conduite au travail. En fait, la législation propose même expressément d'exclure le harcèlement. Il n'était pas clair si cette question était ou non liée à la conduite, alors on le précise, pour plus de certitude.

Plusieurs témoins à la Chambre des communes ont partagé leurs préoccupations sur une question aussi sensible, au moment où notre force de police nationale s'efforce d'être diversifiée dans sa composition.

Selon moi, honorables sénateurs, il est important que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense puisse se pencher sur ces exclusions, en ce qui a trait aux éléments pouvant faire l'objet de négociations. Si la Cour suprême a reconnu le droit d'association des membres de la GRC pour négocier leurs conditions de travail, comment le législateur peut-il limiter à ce point les éléments pouvant faire l'objet de cette négociation, de sorte que celle-ci n'ait presque plus de sens?

D'autre part, les articles portant sur l'arbitrage ne couvrent, par le fait même, que les éléments permis dans la négociation; or, l'arbitrage est un processus essentiel lorsque des problèmes surviennent au cours des négociations collectives.

Leland Keane, qui est membre du conseil d'administration de l'Association professionnelle de la police montée du Canada, a déclaré ceci :

Pour ce qui est de l'arbitrage, l'arbitre indépendant examine et soupèse tous les facteurs pertinents. Nous souhaiterions également que les facteurs relatifs à la classification des employés, par exemple, figurent dans la convention collective. Les membres de la GRC ne sont pas des fonctionnaires et il n'est pas pertinent de nous comparer aux autres fonctionnaires.

C'est là, chers collègues, un autre élément que le comité pourra examiner.

J'aimerais également attirer votre attention sur un autre point qui ressort de l'arrêt de la Cour suprême. La cour a déterminé que l'alinéa 2d) garantissait le droit à une véritable négociation collective et le droit de formuler véritablement des revendications collectives. La Cour suprême est toutefois allée plus loin et a précisé que ces deux concepts se divisaient en deux volets.

Le premier correspond au choix des employés. Dans une organisation démocratique, le processus d'accréditation ou d'élection de l'agent négociateur doit donner lieu à un scrutin avec bulletin de vote secret pour permettre à tous les membres d'exprimer librement leur choix sur l'accréditation. Or, le projet de loi C-7 ne codifie pas ce choix de l'employé qui, dans notre démocratie moderne, passe par un scrutin secret dans presque toutes les législations provinciales au Canada.

Les droits collectifs des membres de la GRC, en vertu de l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, peuvent être exercés en premier lieu par le choix d'association des employés, et ce choix doit être fait d'une manière qui soit conforme à nos principes démocratiques, soit par scrutin secret. Il faut que le projet de loi C-7 en tienne compte, puisqu'il s'agit d'un principe fondamental.

Dans le cadre de ma pratique en droit du travail — mes collègues qui ont été membres de la GRC pourront vous le confirmer —, j'ai constaté qu'il ne peut y avoir un équilibre des forces dans le cadre d'une négociation collective si le seul élément mis sur la table est de nature salariale. La cour le dit elle-même en précisant ce qui suit, et je cite :

Les employés se trouvent dans une position désavantageuse et vulnérable parce que le PRRF n'établit pas, entre eux et l'employeur, l'équilibre essentiel à la tenue d'une véritable négociation collective.

[...] La garantie prévue à l'al. 2d) de la Charte ne peut faire abstraction du déséquilibre des forces en présence dans le contexte des relations du travail. Le permettre reviendrait à ne pas tenir compte « des origines historiques des concepts enchâssés » à l'al. 2d).

Par conséquent, nous devons nous demander si, dans sa forme actuelle, ce projet de loi respecte les droits des hommes et des femmes qui se dévouent pour la GRC et qui mettent leur vie en jeu pour protéger les Canadiens.

Il faut se demander, honorables sénateurs, si le projet de loi C-7 respecte l'esprit et la lettre de ce que la Cour suprême a délibérément choisi de requérir de la part du législateur. J'ajouterais qu'il faut déterminer si ce projet de loi est compatible avec le courant jurisprudentiel.

En effet, la Cour suprême a été très claire dans l'interprétation qu'elle a énoncée dans l'arrêt Association de la police montée de l'Ontario, et je cite :

Tout comme l'interdiction pour des employés de s'associer porte atteinte à la liberté d'association, le modèle de relations de travail qui entrave substantiellement la possibilité d'engager de véritables négociations collectives sur des questions relatives au travail porte également atteinte à cette liberté. De même, un processus de négociation collective n'aura pas un caractère véritable s'il empêche les employés de poursuivre leurs objectifs.

Je vous invite donc, chers collègues, à adopter le projet de loi C-7 à l'étape de la deuxième lecture, afin que celui-ci puisse faire l'objet d'une étude approfondie par le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je suis convaincu que les interrogations soulevées par le sénateur Campbell et moi au sujet du projet de loi seront analysées.

Qui sait, peut-être trouverons-nous des façons d'améliorer ce projet de loi, car le Sénat a le devoir de s'assurer que les projets de loi respectent les fondements juridiques de notre pays, notamment la Charte canadienne des droits et libertés. Il serait malheureux que ce projet de loi, qui est censé répondre aux vœux des membres de la GRC, devienne au contraire un poids de plus sur le moral de nos policiers et policières.

Merci.

 

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