Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2016
Troisième lecture - Ajournement du débat
21 juin 2016
L’honorable Sénateur Percy E. Downe :
Merci, Votre Honneur. Je tiens à prendre la parole sur la question dont nous sommes saisis afin d'indiquer qu'il y a de nombreux éléments du budget que j'appuie. Je suis particulièrement ravi que le sénateur Harder en ait parlé dans ses observations, mais je souhaite en dire un peu plus à ce sujet.
Le gouvernement a décidé d'accorder 444,4 millions de dollars de plus à l'Agence du revenu du Canada afin de l'aider à lutter contre l'évasion fiscale à l'étranger, un problème auquel je m'intéresse depuis de nombreuses années, comme le savent bon nombre de sénateurs qui ont dû écouter mes longs discours. Je suis ravi que le gouvernement ait mis sur pied un comité de cinq spécialistes chargés de conseiller le ministère, car je crois que ce dernier aura grandement besoin de conseils.
De plus, le gouvernement embauche des milliers de personnes. Normalement, lorsqu'on apprend que le gouvernement embauche des milliers de personnes, on pense à ce que cela va coûter. Or, dans le cas de l'Agence du revenu du Canada, chaque vérificateur embauché rapporte de 7 à 10 fois la valeur de son salaire et de ses avantages sociaux grâces aux recettes supplémentaires qu'il génère en percevant les sommes dues au gouvernement du Canada et aux Canadiens.
Grâce à ce financement supplémentaire de 444.4 millions de dollars et à ces embauches, le gouvernement s'est fixé comme objectif de recouvrer, au cours des cinq prochaines années, 2,6 milliards de dollars en recettes non perçues à cause de l'évasion fiscale à l'étranger. C'est un montant considérable, mais je crois que le ministère n'aura aucune difficulté à recouvrer cette somme, et probablement plus encore.
Je dis cela parce que, en 2005, le gouvernement de l'époque a fait un investissement ponctuel de 30 millions de dollars afin de créer au sein de l'Agence du revenu du Canada une équipe chargée de lutter énergiquement contre l'évasion fiscale à l'étranger, une cette initiative qui a permis de recouvrer 4 milliards de dollars sur sept ans. C'est un montant considérable.
J'ai commencé à m'intéresser à la question en 2006, quand j'ai lu dans un journal qu'au Liechtenstein, un employé de banque avait volé les renseignements personnels de tous les titulaires de compte de cette banque, renseignements ensuite achetés par le gouvernement allemand, qui les a transmis aux gouvernements du monde entier.
Ainsi, en mars 2007, le gouvernement du Canada a reçu des données à propos des 106 Canadiens qui détenaient un compte dans la banque en question. Comme on le sait, détenir un compte bancaire à l'étranger n'a rien d'illégal, mais il est illégal de ne pas déclarer les revenus que produit ce compte.
Le gouvernement du Canada a découvert que ces 106 Canadiens détenaient plus de 100 millions de dollars dans la banque en question. En avril 2012, l'Agence du revenu du Canada a déterminé qu'ils devaient au Canada 16,5 millions de dollars d'impôt sur ces 100 millions de dollars, ce qui a de quoi désoler tous ceux qui suivent les activités de l'ARC.
Un an plus tard, un autre employé a volé les données de la banque où il travaillait, en Suisse cette fois-ci; 1 785 Canadiens y détenaient un compte.
Cela vous donne une idée de l'ampleur du problème auquel s'attaquait l'ARC. Elle a malheureusement obtenu des résultats déplorables, car elle manquait de ressources. L'ARC perdait des employés, qui optaient pour des postes beaucoup mieux rémunérés dans des cabinets de comptables ou d'avocats. Le gouvernement n'arrivait pas à conserver ses employés chevronnés. Ceux-ci, au sommet de leur carrière, étaient particulièrement bien placés pour contribuer aux travaux du gouvernement, mais ils étaient aussi très attrayants pour les entreprises privées.
D'autres pays ont vécu une expérience différente de celle du Canada. L'Australie, qui avait aussi reçu des renseignements bancaires du Liechtenstein en 2006, est passée immédiatement à l'action : elle a formé des comités interministériels et fixé des cibles. Alors qu'elle espérait récupérer 603 millions de dollars, elle a réussi à en récupérer 985 millions. Elle a porté des accusations contre de nombreuses personnes. Certains contrevenants se sont vu imposer des amendes, d'autres, une peine de prison.
Le gouvernement australien a constaté que, après avoir vu toute la publicité, les poursuites criminelles et les verdicts de culpabilité, les gens trouvaient beaucoup moins d'attraits à l'évasion fiscale à l'étranger. L'évasion fiscale perdait rapidement de son charme quand on voyait des voisins être reconnus coupables, que leur nom et leur photo étaient publiés dans les journaux.
En plus de récupérer d'énormes sommes, l'Australie a aussi empêché que d'autres sommes importantes quittent le pays. Comparons leur méthode à ce qui s'est produit au Canada lorsque celui-ci a appris que 106 Canadiens avaient un compte au Liechtenstein. Il a fallu des années avant que le gouvernement canadien détermine que ces personnes devaient 16,5 millions de dollars d'impôts, et aucune d'entre elles n'a été poursuivie en justice ou reconnue coupable. L'écart entre la façon de traiter l'évasion fiscale à l'étranger et au Canada est au cœur des problèmes de l'Agence du revenu du Canada.
Si vous vivez au Canada et tentez de contourner l'impôt ici au pays, vous courez de grands risques de vous faire prendre et d'être poursuivi en justice et reconnu coupable. D'ailleurs, tout le monde peut consulter le site de l'Agence du revenu du Canada et voir le nom des Canadiens qui ont été reconnus coupables. Par contre, le site web ne mentionne aucune personne qui aurait été reconnue coupable d'évasion fiscale à l'étranger. Cette différence s'explique par le manque de financement, selon moi. C'est pourquoi je me réjouis que le budget du gouvernement prévoie des sommes considérables pour la lutte contre l'évasion fiscale à l'étranger.
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Le gouvernement s'était également engagé à calculer le manque à gagner fiscal, c'est-à-dire la différence entre ce qui est dû aux Canadiens et ce que nous percevons. Bien des pays, dont les États- Unis, le Royaume-Uni et la Turquie, font une estimation du manque à gagner fiscal. Même l'État de la Californie le fait.
Pourtant, le gouvernement du Canada n'agit pas. L'Agence du revenu du Canada n'a pas voulu coopérer, c'est le moins que l'on puisse dire. Il y a quatre ans, j'ai demandé au directeur parlementaire du budget de faire une estimation du manque à gagner fiscal. Il a donc pris contact avec l'agence du revenu, qui a refusé de coopérer. Elle refuse de fournir les données. Je dois souligner qu'il ne s'agit pas de données sur des renseignements personnels, mais de données brutes qui pourraient servir à estimer ce manque à gagner.
L'agence a systématiquement refusé de coopérer avec le directeur parlementaire du budget. Sous l'égide du nouveau gouvernement, elle procède maintenant à une analyse du manque à gagner fiscal par rapport à la TPS. Je crois savoir qu'elle publiera cette analyse dans quelques jours.
Par ailleurs, l'agence répugne toujours à établir un manque à gagner fiscal sur les comptes ouverts à l'étranger, mais nous lui laisserons du temps pour le faire. La ministre a fait toutes ses annonces le 11 avril. Un an après, je demanderai au gouvernement une mise à jour de ce qui a été réalisé en regard des promesses faites.
C'est un excellent début et c'est la raison pour laquelle je voterai en faveur du budget, qui comprend bien d'autres choses. Merci beaucoup, chers collègues.