Projet de loi C-21
Loi modifiant la Loi sur les douanes
18 octobre 2018
L’honorable Sénateur Pierre J. Dalphond :
On n’aura jamais autant entendu parler de douanes dans une même journée. Un sujet fort intéressant, sans doute.
Honorables sénatrices et sénateurs, comme mon collègue, le sénateur Gold, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer, à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes, et pour vous demander de le transmettre au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, où il fera l’objet d’une étude détaillée.
J’ai lu attentivement ce projet de loi, j’ai assisté à la réunion d’information des représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada, et j’ai pris connaissance de l’analyse préparée par la Bibliothèque du Parlement ainsi que de celle de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles.
Honorables sénatrices et sénateurs, à la fin de cet exercice, il est indéniable que ce programme apporte des améliorations à l’égard de notre système intégré de protection de la sécurité de l’espace nord-américain, comme l’ont indiqué la sénatrice Coyle et le sénateur Gold.
En effet, s’il est adopté, le projet de loi permettra à l’Agence des services frontaliers du Canada de recueillir des renseignements sur les personnes qui quittent le pays, y compris les citoyens canadiens. Il donne ainsi effet à un autre aspect de l’entente intervenue en 2011 entre le premier ministre Harper et le président Obama.
J’aimerais, pour ma part, vous faire part de quelques autres effets positifs de l’adoption de ce projet de loi qui ne sont pas liés à la sécurité nationale.
Chers collègues, il y a plusieurs années, alors que j’étais juge dans une affaire familiale à la Cour supérieure du Québec, j’ai été très surpris d’apprendre que le Canada était l’un des rares pays dans le monde qui ne recueillait pas d’information sur les sorties hors du pays de ses citoyens, que ce soit par une route pour les États-Unis ou par un avion qui décolle d’un aéroport canadien. On m’a alors indiqué que si le père — auquel je proposais d’accorder la garde des enfants les fins de semaine et pendant quelques semaines l’été, à la condition que les enfants ne quittent pas la province de Québec — décidait tout de même de quitter le Canada avec les enfants, le système frontalier ne serait pas en mesure de l’en empêcher. La mère craignait donc qu’il en profite pour les amener dans son pays d’origine, où toute la famille paternelle résidait, un pays non signataire de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur l’enlèvement international d’enfants. En d’autres mots, si les enfants quittaient le Canada, il ne serait pas possible de forcer leur rapatriement si la famille de monsieur les retenait dans un autre pays.
Cette triste réalité a été confirmée par le témoignage de M. Martin Bolduc, vice-président, Direction générale des programmes de l’Agence des services frontaliers du Canada, devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, où il a déclaré ce qui suit, et je cite :
Même au Canada, il y a eu des cas où des parents ont appelé la police ou l’ASFC parce qu’ils craignaient que leurs enfants prennent l’avion pour se rendre en Turquie ou en Syrie. Notre capacité d’agir et d’empêcher de tels départs est très limitée, à moins que nous ayons des détails très précis sur le lieu et le moment du départ. Si le projet de loi reçoit la sanction royale, nous pourrons faire une recherche et voir si une personne prévoit de prendre un vol particulier.
Si le projet de loi C-21 est adopté, cela pourrait changer. En effet, les représentants de l’agence m’ont indiqué qu’il est possible de faire enregistrer dans leur système les jugements qui imposent des restrictions sur la sortie d’enfants du Canada. Il en ira de même lorsqu’une alerte AMBER est émise. La GRC pourra alors aviser l’agence et demander la diffusion d’un avis de surveillance pour l’enfant disparu. Dans ces circonstances, l’ASFC pourra faire en sorte que l’on mette en place des mesures pour prévenir l’enlèvement d’enfants.
Voilà, à mon avis, une nette amélioration par rapport au système actuel.
Le troisième avantage de ce projet de loi, selon moi, c’est qu’il nous procurera des renseignements qui pourront servir à améliorer l’intégrité des programmes sociaux et du système d’immigration.
Les données de sortie permettront aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada d’accroître l’efficacité de leurs activités.
À titre d’exemple, une personne qui fait l’objet d’une mesure de renvoi peut très bien choisir de quitter le pays de son propre gré. Si nous n’avons pas de données indiquant qu’elle a quitté le pays, les autorités risquent toutefois de continuer à mobiliser des ressources pour tenter de la retrouver.
À cet égard, on peut lire ceci dans un rapport publié en 2015 par le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense:
À l’heure actuelle, la base de données des mandats d’arrestation de l’ASFC renferme de l’information sur quelque 44 000 personnes interdites de territoire qui ne se sont pas conformées aux mesures de renvoi prises contre elles, bien que l’Agence ne sache pas combien de ces personnes sont encore au Canada.
Le projet de loi C-21 offre une solution à ce problème en fournissant à l’agence des renseignements sur les personnes quittant le Canada — sans toutefois régler la question des personnes qui ont déjà quitté le Canada.
De plus, en l’absence de données sur les sorties, il peut être difficile d’appliquer les obligations en matière de résidence contenues dans divers programmes d’avantages sociaux ainsi que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Songeons, par exemple, à l’assurance-emploi, qui exige que les prestataires demeurent au Canada en tout temps, à moins de circonstances exceptionnelles.
Pour l’heure, les agents du ministère de l’Emploi et de l’Immigration se fient aux renseignements que fournissent les prestataires pour confirmer l’admissibilité de ces derniers. Je suis certain que la majorité des prestataires disent la vérité. Néanmoins, je crois que ce serait une bonne chose que les agents soient en mesure de confirmer l’exactitude des réponses fournies.
Le projet de loi n’ajoute pas de conditions d’admissibilité aux programmes d’avantages sociaux. De même, il ne change pas les obligations en matière de résidence de ceux qui cherchent à conserver leur statut de résident permanent ou à obtenir la citoyenneté canadienne. Tout ce qu’il fait, c’est d’offrir un nouvel outil pour assurer le respect des obligations.
Par une question fort pertinente posée à la sénatrice Coyle lors de sa présentation du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Joyal s’est interrogé sur l’impact qu’aurait le projet de loi sur le droit à la mobilité, prévu à l’article 6 de la Charte des droits et libertés.
J’aimerais aujourd’hui le rassurer, de même que tous les Canadiens, quant au fait que le projet de loi ne prévoit pas la création de postes de contrôle des sorties dans les aéroports internationaux ou à la frontière canado-américaine, comme cela se fait dans beaucoup de pays ailleurs dans le monde.
En effet, le projet de loi autorise la collecte d’information sur les Canadiens qui sortent du Canada. Pour ceux qui voyagent en avion, les renseignements seront recueillis directement par le transporteur aérien, puis transmis à l’agence. Pour ceux qui traversent la frontière terrestre, les renseignements seront recueillis directement par les agents de l’agence américaine de la sécurité des frontières, au moment de l’entrée aux États-Unis.
En d’autres mots, les Canadiens n’auront pas à subir une formalité additionnelle à celles qui existent actuellement pour entrer aux États-Unis ou pour prendre un vol international. Leur liberté de mouvement ne sera nullement entravée.
Finalement, je vous souligne que le projet de loi, tel qu’il a été amendé à l’étape de la troisième lecture par la Chambre des communes, a reçu l’appui de presque tous les partis politiques. Cela me semble indiquer un large consensus sur le bien-fondé des principes généraux du projet de loi C-21.
Pour tous ces motifs, honorables sénateurs et sénatrices, je vous invite à adopter sans plus tarder, à l'étape de la deuxième lecture, le projet de loi C-21 afin qu’il soit renvoyé à un comité pour y faire l’objet d’une analyse détaillée.
Je vous remercie de votre attention.