Projet de loi S-250: Loi modifiant le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
8 novembre 2018
L’honorable Sénateur Pierre J. Dalphond :
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel en matière d’interception de communications privées, que notre collègue, le sénateur Wetston, a présenté au printemps dernier.
Ce projet de loi est très simple : il s'agit d'un seul et court article qui propose de modifier l’article 183 du Code criminel afin d’ajouter à une liste de 137 infractions une nouvelle infraction, soit celle du délit d’initié. Puisqu’il s’agit d’un projet de loi très court et très simple, je serai bref — peut-être même plus bref que certaines questions.
Le délit d’initié est commis lorsqu’une personne utilise des informations privilégiées qu’elle détient pour réaliser des opérations boursières profitables, et ce, avant que les autres actionnaires et les membres du public n’aient connaissance de l’information en question. Elle peut ainsi vendre ou acheter en fonction d’informations qui lui donnent une position avantageuse, faussant les lois du marché et les règles en matière de valeurs mobilières. Non seulement cette activité est illégale et injuste, mais elle compromet l’intégrité des transactions boursières et mine la confiance des investisseurs envers le marché. En vérité, il ne serait que normal d’ajouter le délit d’initié à une liste qui comprend, notamment, la fraude, la transmission de faux renseignements, l’abus de confiance et la manipulation frauduleuse d’opérations boursières.
Lors de son allocution à l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Wetston nous a expliqué que, au Canada « la répression des délits d’initié fait appel à diverses approches administratives, pénales et criminelles. » Cependant, seule la condamnation criminelle donne lieu à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans et entraîne un casier judiciaire — ce qui est une sanction appropriée pour les cas les plus graves.
Comme les sénateurs Wetston et Boniface l’ont mentionné, s’il est adopté, ce projet de loi offrira aux services policiers un outil additionnel et surtout efficace pour mener une enquête sur les délits d’initié les plus graves. Ces derniers méritent des accusations criminelles et la tenue d’un procès qui expose l’accusé, s’il est trouvé coupable, à une lourde peine d’emprisonnement et à un dossier criminel. C’est ce que prévoit l’article 382.1 du Code criminel.
Cependant, il faut aussi se rappeler que, pour obtenir une condamnation criminelle, la Couronne doit prouver l’intention de commettre un délit d’initié, ce qu’on appelle en droit la mens rea.
Lors de son allocution à l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Wetston a souligné la difficulté d’obtenir une condamnation criminelle, compte tenu du fait que la preuve de l’existence de cette intention dans la tête de l’accusé reste une opération complexe, puisque la preuve ne peut souvent en être faite que par déduction et inférence.
En réalité, comme l’indiquait un article qui est paru le 30 septembre 2010 dans le New York Times :
Il s’agit du genre de cas qui serait presque impossible à prouver en l’absence de preuves comme celles provenant de l’écoute électronique, car le délit n’était pas fondé sur une seule activité commerciale qui pouvait être retracée à la source.
On pourrait consulter un article sur le même sujet qui a été publié le 27 mars 2014 dans le Globe and Mail. On y lit ceci :
Il est bien connu qu’il est difficile d’entamer des poursuites pour infraction criminelle dans les cas de délits d’initié, car il faut prouver que des personnes ont fait une transaction en fonction de renseignements importants non divulgués qu’elles avaient découverts sur une entreprise. Les gens accusés du crime soutiennent généralement qu’ils ont acheté ou vendu des actions pour d’autres motifs, comme leurs propres recherches en matière d’investissements, et non en raison de renseignements d’initiés.
Honorables collègues, le temps est venu de donner à l’enquêteur des délits d’initié un outil fiable pour prouver l’intention criminelle de tirer profit de tuyaux ou de renseignements d’initiés. Il est aussi grand temps de mettre fin à cette pratique troublante et contraire à l’éthique en dissuadant quiconque pourrait être tenté de commettre un acte illégal, sachant que celui-ci est très difficile à prouver.
Il est facile de fournir cet outil. Il suffit d’ajouter quelques mots — trois mots — à une longue liste d’infractions possibles, dont certaines présentent des similitudes avec le délit d’initié.
Cela ne nécessite aucune modification de fond du Code criminel. Soyons clairs. La procédure d’obtention d’une autorisation judiciaire ne serait nullement modifiée. Je vous renvoie au discours prononcé par la sénatrice Boniface le 23 octobre dernier, où elle a expliqué les diverses exigences du Code criminel visant à prévenir le recours abusif à l’écoute électronique.
La modification met par ailleurs en œuvre une recommandation formulée à l’unanimité, en 2014, par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, un organisme qui, entre autres, cherche à relever les lacunes dans les lois pénales fédérales et, le cas échéant, formule des recommandations pour y remédier.
La modification placera les pratiques canadiennes sur un pied d’égalité avec les pratiques prédominantes aux États-Unis, où, selon Neil Gross, ancien directeur général de la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs : « L’écoute électronique joue un rôle déterminant lorsqu’il s’agit de poursuivre en justice les auteurs de délit d’initié [...] ». Comme le conclut M. Gross, il est fort probable que l’écoute électronique soit tout aussi utile au Canada.
En effet, lorsque les États-Unis ont adopté une loi autorisant l’écoute électronique, en 1968 — soit bien longtemps avant le Canada —, le recours à l’écoute électronique dans le cadre d’une enquête était restreint à une liste d’infractions précises qui omettait complètement les crimes en col blanc et se concentrait principalement sur les infractions relatives au crime organisé et aux stupéfiants. Au fil des ans, la loi a été modifiée pour y inclure de nombreux crimes en col blanc, y compris le délit d’initié.
En ce qui concerne le délit d’initié, je crois qu’il est maintenant urgent d’apporter de telles modifications au Code criminel du Canada. Je vous rappelle, honorables sénateurs, que ce n’est pas un changement considérable à apporter à la liste, déjà longue, des infractions prévues pour la criminalité en col blanc. On pourra ainsi combler les lacunes du Code criminel et fournir aux autorités responsables de l’application de la loi un outil efficace pour réglementer les marchés des valeurs mobilières et en assurer l’intégrité.
Je vous remercie, sénateur Wetston, d’avoir porté cette question à notre attention. Vous êtes un spécialiste chevronné dans ce domaine. Grâce à vos connaissances, vous avez su sensibiliser le Sénat à des lacunes du Code criminel qui devaient être corrigées.
Je vous remercie tous de m’avoir accordé votre attention en cette heure tardive de la dernière journée de séance de cette semaine. Merci.