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Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu

Deuxième lecture—Suite du débat

16 octobre 2018


L’honorable Sénateur Pierre J. Dalphond :

Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole aujourd’hui pour vous inviter à compléter l’adoption, à l’étape de la deuxième lecture, du projet de loi C-71, intitulé Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu. Nous pourrons ainsi le renvoyer au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pour y faire une étude approfondie de ses dispositions, à la lumière des nombreux commentaires que nous avons reçus, y compris un petit livre intitulé Stop C-71, et des témoignages que nous entendrons.

Ma contribution aujourd’hui qui, je l’espère, sera utile au débat, portera d’abord sur quelques principes juridiques généraux, puis sur des éléments précis que le Comité des affaires juridiques devrait examiner, selon moi.

Dans le renvoi rendu en 2000 par la Cour suprême du Canada, qui portait sur la première loi visant à encadrer la possession des armes à feu au Canada, soit celle de 1995, les juges ont conclu unanimement que cette loi constituait du droit criminel valide dont l’objectif était la protection de la sécurité publique.

Dans le renvoi, la Cour suprême a déclaré que les armes à feu constituent un risque immédiat pour la sécurité dans plusieurs usages, voire tous les usages qui en sont faits. Elle a fait remarquer que les armes à feu sont souvent utilisées dans les crimes de violence, et notamment de violence familiale. Elles sont également utilisées pour commettre le suicide. Enfin, leur usage abusif — par exemple, par un enfant — peut causer des blessures graves et même la mort accidentelle.

Dans le renvoi, la Cour suprême dit également ce qui suit :

On ne peut pas diviser clairement les armes à feu en deux catégories — celles qui sont dangereuses et celles qui ne le sont pas. Toutes les armes à feu sont susceptibles d’utilisation criminelle. Elles sont toutes susceptibles de tuer et de mutiler. Toutes les armes à feu sont donc une menace pour la sécurité publique. À ce titre, leur contrôle relève de la compétence en matière criminelle.

Ainsi, le Parlement a cherché à lutter contre ce danger en adoptant, au fil des ans, des dispositions régissant la possession, l’utilisation, la vente, le transfert, le transport et l’entreposage des armes à feu.

En fait, le contrôle des armes à feu est une matière de droit criminel qui précède l’adoption du Code criminel. Avant 1892, il y a plus de 150 ans, les juges de paix avaient le pouvoir d’infliger une peine d’emprisonnement pour la possession d’une arme de poing sans avoir de motif raisonnable de craindre pour sa vie ou ses biens. Voilà le premier principe juridique.

Le deuxième principe juridique est qu’il n’existe pas au Canada de droit constitutionnel de posséder une arme à feu, contrairement à ce qui a été décidé aux États-Unis par une certaine interprétation du deuxième amendement de la Constitution américaine. En effet, ce droit a été reconnu par la Cour suprême des États-Unis, notamment dans l’affaire District of Columbia v. Heller en 2008.

Cependant, la situation est très différente ici au Canada. Dans le jugement R. c. Wiles, rendu en 2005, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

La possession et l’utilisation d’armes à feu est un privilège fortement réglementé [...]

C’est un point important qu’il faut rappeler à plusieurs personnes qui nous écrivent des lettres parfois trop inspirées de la situation aux États-Unis, où elles invoquent le droit de posséder ou d’utiliser une arme à feu.

Une première exception peut cependant exister en faveur de nos concitoyens membres des Premières Nations, qui ont conclu des traités leur reconnaissant des droits à cet égard, droits protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, soit 100 ans plus tard. Il faut souligner que le projet de loi C-71 ne modifie pas le paragraphe 3 de l’article 2 de la loi qui est en vigueur, et qui se lit comme suit :

(3) Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte aux droits — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada visés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

En d’autres mots, les droits constitutionnels des peuples autochtones ne devraient pas être modifiés par l’adoption de ce projet de loi.

Je passe maintenant aux principaux amendements présentés dans le projet de loi C-71. Ils se résument ainsi : modifier certaines règles d’admissibilité pour la délivrance d’un permis; exiger que les armes soient cédées à des personnes possédant un permis de possession d’armes à feu; retirer des autorisations automatiques de transport d’armes prohibées ou à autorisation restreinte; interdire deux catégories d’armes semi-automatiques.

Mon examen des modifications proposées dans le projet de loi C-71 m’ont convaincu que cette mesure législative, par son « caractère véritable », vise à réglementer l’accès aux armes à feu au moyen de restrictions, d’interdictions et de pénalités. Il relève donc du droit criminel fédéral.

Je tiens aussi à souligner que le projet de loi ne tente pas de reconstituer un registre canadien des armes à feu. Bien au contraire, un amendement adopté à la Chambre des communes et proposé par le député conservateur Pierre Paul-Hus lors de l’étude en comité ajoute à l’article 2 du projet de loi le texte suivant :

Il est entendu que la présente loi ne permet ni n’exige l’enregistrement des armes à feu sans restriction.

Cet amendement confirme que le projet de loi C-71 ne permet pas la création d’un registre des armes à feu déguisé, même de façon très déguisée.

En gros, le projet de loi semble valide d’un point de vue constitutionnel et il ne permet pas au gouvernement de créer un registre des armes à feu. Il reste cependant qu’il revient au Parlement, et non aux tribunaux, de déterminer s’il serait utile ou non de resserrer le contrôle des armes à feu, si le projet de loi est juste ou injuste envers les propriétaires d’arme à feu actuels ou s’il permettra ou non de réduire les différents problèmes qui peuvent être causés par une mauvaise utilisation des armes à feu.

Je propose donc que le projet de loi soit renvoyé le plus rapidement possible au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pour que ce dernier puisse en faire une analyse approfondie.

Dans le cadre de cette analyse, je propose que le comité se penche sur diverses questions, y compris les suivantes : quels sont les problèmes que le projet de loi veut régler? Quels sont les éléments factuels sur lesquels le gouvernement s’appuie? Quels citoyens seront touchés par ce projet de loi? Quels sont les bénéfices anticipés des mesures proposées? Quels seront les impacts sur les propriétaires en règle d'armes à feu? Quels seront les impacts sur les peuples autochtones? Y a-t-il une proportionnalité entre les bénéfices recherchés et les obligations imposées? Enfin, quel sera le coût de ces mesures pour le Trésor canadien ainsi que pour les propriétaires d’armes à feu?

En conclusion, je crois qu’il nous reste beaucoup de travail à faire. Il serait donc regrettable de reporter le vote à l’étape de la deuxième lecture, ce qui nous priverait de la possibilité d’entendre dès que possible ceux et celles qui souhaitent ardemment venir témoigner devant le comité lors de l’étude article par article et nous aider à répondre aux questions que je viens de poser, et, s’il y a lieu, de la possibilité d’amender le projet de loi. Je vous remercie de votre attention.

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