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Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

5 juin 2018


L’honorable Sénateur Percy E. Downe :

Comme certains autres sénateurs, je n’avais pas l’intention de participer à ce débat. Cependant, après avoir lu le texte de l’amendement, je dois admettre qu’il m’impressionne beaucoup.

Le problème, bien entendu, c’est que nous ne savons pas si les paradis fiscaux reconnus qui se trouvent sur la liste que le sénateur Joyal a lue constituent des éléments criminels ou non, et c’est ce que cherche à faire l’amendement : il vise à favoriser l’ouverture et la transparence. Le fait que nous ne savons pas ces choses entrave le travail des organismes d’application de la loi au Canada, nuit à nos conventions fiscales internationales et gêne le travail de l’Agence du revenu du Canada. Nous sommes dans l’ignorance la plus complète.

Le Comité sénatorial des banques a entendu le témoignage de Jon Allen, de Transparency International, un des nombreux groupes qui tentent de convaincre le Canada de divulguer qui est propriétaire de quoi, comme le font déjà depuis de nombreuses années beaucoup d’autres pays.

Lors de cette réunion, M. Allen a dit quelque chose qui m’a frappé. Il a affirmé qu’il fallait fournir davantage de renseignements pour obtenir une carte de bibliothèque à Toronto que pour constituer une société et en dissimuler les propriétaires. Imaginez cela. Il y a, au Canada, des organismes d’application de la loi et des organismes de recouvrement qui cherchent à recouvrer les impôts qui sont dus à l’État, mais ils ne connaissent pas l’identité des propriétaires d’entreprises. Leur identité est dissimulée derrière des murs que nous ne pouvons pas franchir.

Le Canada accuse un retard considérable par rapport aux autres pays. Au cours des derniers mois et des dernières années, l’Union européenne a réalisé d’énormes progrès dans ce domaine. Si nous nous contentions de simplement copier ce qu’elle fait, nous serions bien plus avancés qu’aujourd’hui.

L’amendement proposé nous permettrait d’avoir la transparence, les renseignements et toute l’information financière nécessaires. Cela permettrait donc aux organismes d’application de la loi, entre autres, de savoir si une activité criminelle a été commise ou non. Si l’amendement en question est adopté, ces derniers auront l’information requise pour déterminer ce que nous voulons tous savoir, soit si les entreprises sont légitimes ou si elles sont contrôlées par des organisations criminelles.

La deuxième partie, dont a parlé, il me semble, le sénateur Joyal, est la perception des revenus. Comme on le sait, il n’est pas illégal d’avoir un compte à l’étranger. Toutefois, il est illégal de ne pas en déclarer les revenus. Au Canada, il se pourrait qu’une foule de personnes et de sociétés, plutôt que de payer les sommes dues au pays, envoient leur argent à l’étranger et évitent de payer des impôts.

L’année dernière, le Conference Board du Canada, qui est un groupe de réflexion très respecté, a publié un rapport soulignant que le manque à gagner fiscal, soit la différence entre les sommes que le gouvernement perçoit et les sommes qu’il devrait percevoir, pourrait atteindre les 48 milliards de dollars. Le Conference Board ne connaît pas le montant exact. Nous ne le connaissons pas non plus. Ce qui est plus important encore, l’Agence du revenu du Canada n’en sait pas plus en raison du manque de transparence concernant la propriété effective et qui possède quoi.

On nous demande maintenant d’approuver des entreprises dans ce domaine très important sur lequel nous allons voter. Des milliards de dollars semblent être en jeu, compte tenu de la valeur de ces entreprises. On ne sait pas où va l’argent et à qui il appartient. À mon avis, le fait que ces entreprises soient liées à des paradis fiscaux bien connus est hautement suspect, mais cela ne prouve rien. Cela donnera aux fonctionnaires l’information dont ils ont besoin pour faire le travail que nous voulions tous qu’ils fassent. On ne veut pas que les organisations criminelles arrivent par la porte de derrière parce qu’on leur a fermé la porte de devant, ce qui est un des grands objectifs du projet de loi, soit d’extirper la vente et la distribution du cannabis des milieux criminels au Canada.

Je félicite l’auteur de l’amendement et je l’appuierai.

Son Honneur le Président : Sénateur Downe, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Downe : Bien sûr.

Le sénateur Woo : Sénateur Downe, vous travaillez à ce dossier depuis beaucoup plus longtemps que moi et je sais que vous connaissez le sujet beaucoup plus intimement que moi.

Aurais-je raison de dire que vous aimeriez voir des renseignements sur la propriété effective et des précisions sur l’écart fiscal pour toute l’économie canadienne plutôt que pour seulement une industrie? On peut, en effet, supposer que le recours aux paradis fiscaux et aux structures nébuleuses pour dissimuler la propriété effective s’étend à bien d’autres domaines que l’industrie du cannabis.

Le sénateur Downe : Absolument. Bien entendu, le problème, c’est que, pour une raison ou une autre, qui demeure un mystère, le gouvernement du Canada refuse d’adopter les règles que d’autres pays adoptent pourtant de plus en plus rapidement. Rien n’indique que le gouvernement soit prêt à intervenir à court ou à long terme. Des groupes se réunissent, on tient des discussions, on convoque des réunions fédérales-provinciales. Il ne s’agit pas de réinventer la roue, mais simplement de regarder ce que font les autres pays et de voir ce qui pourrait s’adapter à la situation canadienne pour corriger le problème.

Comme je l’ai dit, je ne comprends pas. J’ai examiné à fond ces dossiers au fil des ans et le gouvernement canadien se sert de toutes les excuses possibles.

Je ne me répéterai pas, mais, en ce qui a trait à l’écart fiscal, par exemple, tout le monde sait qu’une foule de pays dans le monde prennent des mesures, notamment la plupart des pays du G8 et de l’OCDE, la Turquie, la Suisse, le Royaume-Uni, et j’en passe. Même l’État de la Californie et les États-Unis le font depuis des années pour toutes sortes de raisons, de bonnes raisons de planification financière, afin d’aider leur gouvernement à percevoir le revenu requis pour faire fonctionner leur système de soins de santé, leur système d’éducation et toutes les infrastructures que nous tenons pour acquises lorsque les gens paient leur juste part d’impôts.

Depuis le début, le gouvernement canadien a résisté. Le directeur parlementaire du budget a menacé d’aller devant les tribunaux. Il y a eu des rencontres il y a trois ou quatre ans où le gouvernement avait un avis juridique en main et le directeur parlementaire du budget en avait un aussi. Le gouvernement a fini par remettre les informations requises au directeur parlementaire du budget pour mesurer l’écart fiscal après que ce dernier ait menacé d’aller devant les tribunaux.

Pour donner une image — les finales de la Coupe Stanley battent leur plein, après tout —, le gouvernement tricote et tricote avec la rondelle, mais il ne prend aucune initiative et n’exerce aucun leadership, et ce sont les Canadiens qui en paient le prix.

Si les données du Conference Board sont exactes et que l’écart fiscal pourrait atteindre 48 milliards de dollars, imaginez ce que cela signifierait pour le Canada. Il n’y aurait plus de déficits. Le Canada aurait la possibilité de baisser les impôts et de financer d’autres programmes même si on ne percevait que la moitié de la somme. Le pays serait dans une bien meilleure situation.

(1500)

Rien ne m’agace plus que d’entendre des gens se plaindre d’avoir à payer de l’impôt. Pourtant, nous en comprenons tous l’utilité pour l’ensemble de la population. Nous avons un excellent système de soins de santé. On s’en plaint un peu, mais quel pays dans le monde ne nous l’envierait pas? Nous avons un système d’éducation et des infrastructures. Comparativement au reste du monde, nos problèmes sont mineurs. Or, le maintien de cette harmonie sociale coûte cher. Le maintien des infrastructures coûte cher.

En ce qui concerne les personnes qui évitent de payer de l’impôt au Canada, je pose toujours la question : si une de ces personnes ou, encore, un membre de sa famille tombe malade, pensez-vous qu’elle va opter pour les soins au Panama ou dans les Bahamas ou rentrer au Canada pour se prévaloir de notre système de soins de santé? Cependant, elle ne veut pas payer l’impôt nécessaire pour le maintenir. Où est la justice dans cette façon d’agir?

Le sénateur Joyal a de nouveau soulevé la question des pertes de revenus. Nous ne savons pas qui possède ces sociétés, qui sont les investisseurs derrière elles. Chose certaine, ces personnes ne reculent devant rien pour éviter de payer de l’impôt, comme d’autres entreprises et personnes l’ont fait avant elles. Qui plus est, l’Agence du revenu du Canada et les responsables de l’application de la loi du pays n’ont pas les outils nécessaires pour poursuivre ces personnes, puisqu’ils ne savent pas qui elles sont. Qu’en coûterait-il au Canada?

Le deuxième point, tout aussi valable, est qu’on veut écarter les criminels de la distribution de la marijuana. Or, on ne sait pas vraiment s’ils sont impliqués dans la distribution.

En fait, cet amendement serait aussi excellent pour un large éventail d’autres secteurs de l’économie canadienne. Cependant, comme nous sommes saisis de ce projet de loi aujourd’hui, je pense que l’amendement est conforme à son objectif, soit la transparence et l’ouverture. Qu’on fasse la lumière sur ces gens des îles Caïmans et d’autres paradis fiscaux, lorsqu’il n’existe aucun autre renseignement à leur sujet.

Lorsque j’ai pris connaissance de la liste il y a quelques mois, j’ai été frappé par les noms des pays d’où viennent ces gens. Il s’agit d’une grande brochette de paradis fiscaux. Tout cela est fort suspect, mais, encore une fois, nous n’avons aucune preuve. Cet amendement nous aidera à découvrir ce qui se passe vraiment. Ces gens sont peut-être innocents, comme ils ne le sont peut-être pas. À nous de le découvrir.

 

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