Projet de loi de mise en œuvre de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste
Deuxième lecture
17 octobre 2018
L’honorable Sénateur Percy E. Downe :
J’aimerais émettre une réserve. Le sénateur Marwah a très bien fait valoir l’importance de l’accord dont nous sommes saisis et des contraintes de temps. Ma collègue de l’Île-du-Prince-Édouard, qui préside le Comité de l’agriculture, a exprimé une inquiétude, mais il y en a bien d’autres. Peut-être que l’Île-du-Prince-Édouard connaît une situation unique, mais ses 165 producteurs laitiers ont fait d’intenses démarches et sont très inquiets en raison de certaines parties de l’entente, de l’Accord économique et commercial global et de la prochaine entente avec les États-Unis.
L’argument en faveur de la ratification est fondé, et les sénateurs Marwah et Smith ont plaidé pour que cela se fasse. Ne retardons pas les choses. Il y a toutes sortes de possibilités. Toutefois, chers collègues, nous devons souvent, dans cette enceinte, examiner soigneusement ce que la Chambre des communes a fait.
Il s’agit d’un accord commercial conclu par le Canada. L’autre endroit l’a-t-il examiné convenablement? Avons-nous des suggestions à faire? Je comprends qu’il est presque impossible de l’amender et il faut l’accepter ou le rejeter tel qu’il est. J’aimerais revenir sur un point que j’ai fait valoir à maintes reprises depuis ma nomination au sujet de la Charte des anciens combattants, qui remonte à bien des années. À l’époque, le premier ministre Martin, le chef de l’opposition, Stephen Harper, et le chef du NPD, Jack Layton, se sont tous les trois rendus à une cérémonie émouvante organisée en hommage aux anciens combattants en Europe. À leur retour en avion, le premier ministre et les deux autres ont convenu qu’ils adopteraient la Charte des anciens combattants. Tout cela a été fait avec les meilleures intentions du monde. Personne au Parlement ne s’opposait à l’aide à apporter aux anciens combattants et à leur famille. La mesure a été adoptée à toute vapeur à la Chambre des communes, sans avoir été renvoyée en comité pour étude. Une seule personne était intervenue à la Chambre des communes, soit le ministre des Anciens Combattants. Le discours était composé de trois phrases. Ensuite, la motion a été adoptée et le projet de loi était réputé avoir été lu pour la deuxième fois, étudié en comité, avoir fait l’objet d’un rapport, avoir été agréé, lu pour la troisième fois et adopté. Le débat à la Chambre des communes sur la Nouvelle Charte des anciens combattants a duré deux minutes.
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Le projet de loi est ensuite arrivé au Sénat, la Chambre de second examen objectif, où nous sommes tous très fiers du travail que nous faisons aux comités. Je pense à la sénatrice Andreychuk, qui siège au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel sera renvoyé ce projet de loi. Ce comité fait un excellent travail. Nous sommes très fiers des travaux des comités du Sénat. Le projet de loi est arrivé à ce moment-là au Sénat, et qu’avons-nous fait? La première et la deuxième lectures ont eu lieu le même jour. Il a alors été convenu qu’il n’y aurait qu’un seul intervenant et une demi-heure de questions, puis le projet de loi a été renvoyé au comité.
On aurait pu penser que le projet de loi sur la Charte des anciens combattants serait renvoyé au Sous-comité des anciens combattants ou, à tout le moins, au Comité de la défense nationale. Toutefois, les sénateurs ont décidé que, pour faire ce qui s’imposait et pour accélérer les choses — nous voulions éviter de faire attendre les vétérans, leur famille et leurs personnes à charge —, il fallait renvoyer le projet de loi au prochain comité du Sénat à siéger. Il s’agissait du Comité des finances. Autrement dit, le projet de loi a été renvoyé au Comité des finances puisque, selon l’horaire, c’était le prochain comité qui devait se réunir. Cela aurait pu être le Comité de l’agriculture, mais ce fut plutôt le Comité des finances. À l’époque, je faisais partie de ce comité. Nous avons tenu une réunion à ce sujet. Le projet de loi a été adopté au cours de cette séance, puis il a été renvoyé au Sénat.
Je ne veux dire du mal de personne : le premier ministre, le chef de l’opposition, le chef du NPD, Jack Layton, les députés de la Chambre des communes et les sénateurs. Nous pensions tous faire une bonne chose. Nous ne voulions pas retarder l’adoption du projet de loi. Nous souhaitions aider les personnes qui étaient dans le besoin. Toutefois, la réalité est que nous avons manqué à notre devoir en tant que sénateurs. Nous n’avons pas étudié soigneusement le projet de loi. Nous n’avons pas corrigé les erreurs qui y figuraient. Nous avons fait notre travail à la hâte, alors que notre travail consiste justement à ne pas faire les choses de manière précipitée.
Comme les gens qui ont suivi ce dossier le savent, la Nouvelle Charte des anciens combattants n’a pas donné les résultats escomptés. Les anciens combattants et leur famille ont payé et continuent de payer le prix de notre manquement au devoir. Nous cherchons encore à régler le problème. Le ministère des Anciens Combattants et le gouvernement tentent toujours de corriger les lacunes de cette charte. Le travail des sénateurs consiste à examiner attentivement les mesures législatives, et tout cela prend malheureusement du temps. Il faut du temps pour écouter les témoins, étudier le projet de loi, réfléchir à ce que nous avons entendu, discuter du projet de loi avec les groupes touchés dans nos provinces et régions, et solliciter le point de vue des citoyens. Précipiter l’adoption de mesures législatives aussi cruciales que celle-ci ne sert pas les intérêts des Canadiens.
En terminant, je veux citer ce qu’a dit un témoin qui a comparu devant le Comité sénatorial des finances, le comité qui a finalement été saisi de la Nouvelle Charte des anciens combattants. Je parle du capitaine à la retraite Sean Bruyea qui — et il s’agit là de renseignements d’ordre public — souffre du trouble de stress post-traumatique. Lors de la réunion du comité, il a dit ceci :
Nous savons tous que le gouvernement veut paraître honorer les anciens combattants, mais cela ne veut pas forcément dire que sa charte des anciens combattants est exempte d’erreurs. Étant donné qu’on dit que la contribution des anciens combattants à la société est, à bien des égards, intemporelle, il y a lieu de se demander pourquoi on se précipite pour faire adopter un projet de loi en seulement deux jours, alors qu’Anciens [C]ombattants Canada traîne les pieds depuis plus de 15 ans. Nous croyons que les anciens combattants handicapés et les FC préféreraient que la charte soit bonne, plutôt qu’imparfaite et injuste comme elle l’est maintenant.
Nous, sénateurs, avons manifestement manqué à notre devoir d’examen à l’égard de la Charte des anciens combattants. Lorsqu’on nous pousse à adopter les projets de loi immédiatement, prenons plutôt le temps qu’il faut pour bien faire les choses.
J’ai un autre exemple plus récent. Celui que je viens de citer remonte à 2005.
Lors de la réunion du 22 novembre 2016 du Comité sénatorial des affaires étrangères, dont je faisais partie à l’époque, la ministre Freeland, alors ministre du Commerce international, a témoigné en faveur de l’adoption d’un projet de loi visant à ratifier un accord de l’Organisation mondiale du commerce que le Canada avait signé. Comme c’est souvent le cas, on voulait faire adopter le projet de loi rapidement. La ministre a dit ceci :
[...] le Canada [doit] ratifier cet accord le plus rapidement possible [...]
[...] cet accord doit, avant d’entrer en vigueur, être ratifié par 108 pays membres de l’OMC. Jusqu’à aujourd’hui, 96 pays l’ont ratifié. Il est vraiment important, pour confirmer sa stature comme participant efficace et énergique dans le monde du commerce, que le Canada soit parmi les pays qui, en le ratifiant, permettront l’entrée en vigueur de l’accord.
Il convient de souligner que, à ce moment-là, le Sénat était saisi du projet de loi depuis 5 semaines, mais que la Chambre des communes en avait été saisie pendant 27 semaines, alors même que ce projet de loi avait joui de l’appui de tous les partis à la Chambre. Pourtant, tout à coup, il fallait que le Sénat s’active.
J’ai interrogé la ministre sur la nécessité d’un échéancier aussi serré :
[...] si le Canada ratifie l’accord après les 110 premiers pays, nous y adhérerons toujours. Je comprends que nous veuillons sauver la face, comme la ministre l’a dit tout à l’heure, mais prévoit-elle que 14 pays ratifieront l’accord au cours de la prochaine semaine?
La ministre a répondu : « Absolument. » Et lorsque j’ai mis cela en doute, elle a dit :
Oui. Tout le monde a fait avancer le dossier.
En d’autres mots, le temps pressait, et nous avions intérêt à agir rapidement.
Comme la ministre estimait qu’il y avait urgence, le comité a tenu une séance de plus. Il a fait rapport du projet de loi le 24 novembre et le Sénat l’a adopté le 30 novembre. Le projet de loi a été à l’étude sept semaines au Sénat, le quart du temps passé aux Communes. Savez-vous à quelle date on a finalement obtenu les 110 ratifications? C’était le 22 février 2017, donc trois mois plus tard, alors que la ministre était convaincue qu’il faudrait seulement une semaine.
Si je raconte cette histoire, ce n’est pas pour dénigrer le jugement de la ministre ni ses pouvoirs de prédiction. Elle faisait simplement son travail, puisque les ministres et le gouvernement ont pour tâche de faire adopter les projets de loi aussi vite que possible. Notre tâche à nous est toutefois différente. Rien, dans la Constitution, n’indique que le Sénat a pour mandat d’adopter les projets de loi du gouvernement ou des parlementaires aussi vite que possible. Même si la personne qui propose un projet de loi le trouve fantastique, un examen est toujours nécessaire.
N’oublions pas ce fait, chers collègues. Un des aspects qui m’intéressent particulièrement dans ce débat, c’est l’incidence sur notre balance commerciale de la signature d’un si grand nombre d’accords commerciaux par le gouvernement. Selon les plus récentes statistiques d’Industrie Canada, les deux tiers des 12 récents accords commerciaux que nous avons signés ont entraîné une détérioration de notre balance commerciale. De toute évidence, le gouvernement du Canada est très bon pour signer des accords. Cependant, en ce qui concerne la deuxième partie de l’équation, que fait-il pour aider les entreprises canadiennes à profiter des débouchés découlant de la signature des accords? Le sénateur Marwah pourra peut-être se pencher là-dessus et se renseigner auprès du gouvernement avant de comparaître devant le comité.
Par exemple, l’année précédant la signature de l’ALENA, le déficit commercial du Canada avec le Mexique s’élevait à 2,9 milliards de dollars; en 2017, il était de 27 milliards de dollars. La situation se répète avec Israël. Dans le cas du Chili, le Canada avait un excédent de 73 millions de dollars avant de signer l’accord commercial; l’année dernière, il accusait un déficit de 1,1 milliard de dollars. C’est la même chose avec le Costa Rica, et j’en passe. Ce ne sont que certaines des questions qui m’intéressent.
Je suis conscient de l’urgence de la situation et il se peut fort bien que nous adoptions le projet de loi rapidement et que nos réponses soient sûres. Nous devrions toutefois nous assurer de savoir ce que nous adoptons et de prendre le temps de faire notre travail.