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La Loi sur la statistique

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

19 octobre 2017


L’honorable Sénatrice Raymonde Gagné :

Honorables sénateurs, c’est avec beaucoup d’attention que j’ai écouté, lu et relu les propos de la sénatrice Cordy, marraine du projet de loi C-36, et ceux de l’honorable sénatrice Frum.

Mes propos au sujet du projet de loi C-36, à l’étape de la deuxième lecture, seront brefs. Ils ne se rapportent pas tant, d’ailleurs, au fond du projet de loi qu’à la discussion et au vocabulaire qu’on y retrouve en ce qui concerne l’indépendance de Statistique Canada.

Si le but de ce projet de loi est effectivement d’accroître l’indépendance de Statistique Canada, j’ai été soulagée d’apprendre que l’indépendance qu’on souhaite désormais consacrer à la Loi sur la statistique se limite en grande partie aux décisions méthodologiques et opérationnelles. Comme l’exprimait M. Paul Thomas, professeur émérite de l’Université du Manitoba, avec ce projet de loi :

[…] la politique demeure la prérogative du gouvernement et du Parlement, tandis que les aspects opérationnels et techniques sont censés être du ressort du statisticien en chef et des autres spécialistes de Statistique Canada.

L’honorable Navdeep Bains, ministre responsable de Statistique Canada, a confirmé aussi ce partage des responsabilités lors de l’étude de ce projet de loi par un comité de l’autre endroit. Je le cite :

Pour ce qui est du déroulement des activités, de décider de la façon dont les données seront recueillies ainsi que du genre de données à recueillir, que ce soit obligatoire ou volontaire, par exemple, tous les pouvoirs reviennent au statisticien en chef.

En ce qui concerne les données qui seront recueillies et le genre d’information dont nous avons besoin, c’est-à-dire les domaines d’intérêt, la décision revient au ministre.

C’est clairement établi dans le projet de loi. On prend la convention en vigueur et on l’entérine dans ce projet de loi. On dit très clairement que c’est le ministre qui détermine le genre d’information à recueillir, et que la façon dont les données seront recueillies est laissée aux soins et à l’expertise de Statistique Canada et du statisticien en chef.

L’article 21 de l’actuelle Loi sur la statistique, qui donne au gouverneur en conseil le pouvoir de prescrire par décret les questions à poser lors du recensement décennal, n’est donc pas touché par ce projet de loi.

Je tenais à m’exprimer à ce sujet à l’étape de la deuxième lecture, avant que le projet de loi ne soit transmis à un comité pour y être étudié de façon approfondie, afin de sensibiliser mes collègues quant à l’enjeu important de la détermination des questions du recensement décennal et à l’importance de maintenir le pouvoir du gouverneur en conseil à ce chapitre.

Le recensement décennal est l’outil principal dont nous disposons pour avoir une image claire de notre pays et des tendances qui marqueront notre avenir. Ce recensement revêt une importance particulière pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, car les données recueillies, si elles sont les bonnes, permettent de faire l’inventaire des besoins des communautés et des obligations du gouvernement fédéral à leur égard.

Les plus perspicaces d’entre vous, honorables sénateurs, ont peut-être remarqué, lors du dernier recensement décennal, l’ajout de questions portant sur la langue au formulaire court obligatoire. Nous avons tous dû indiquer, lors du recensement national de 2011, si nous parlions suffisamment bien le français ou l’anglais pour mener une conversation, la langue que nous parlons le plus souvent à la maison, et si nous parlons régulièrement d’autres langues.

L’ajout de ces questions, pourtant assez inoffensives, a été le fruit de combats juridiques, de pétitions et de demandes d’injonction devant la Cour fédérale. Pour vous mettre en contexte, le gouvernement fédéral avait décidé que l’enquête auprès des ménages, le formulaire long, ne serait plus obligatoire en 2011. Ce formulaire contenait cinq questions portant sur la langue, et la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) craignait, à juste titre, la disparition d’une source importante de données. Le gouvernement n’a pas cédé quant au caractère non obligatoire du formulaire long, mais a fini par ajouter des questions pertinentes à la langue au formulaire obligatoire court.

Avec ce projet de loi, il revient au statisticien en chef de déterminer si la participation à un recensement est obligatoire ou pas, puisqu’il s’agit d’une question méthodologique. Cependant, le gouvernement garde la maîtrise, et surtout la responsabilité, des données recueillies. Comme le démontre la bataille juridique menée par la FCFA, cette responsabilisation est importante, et il est rassurant de savoir qu’elle ne disparaîtra pas avec ce nouveau projet de loi, au nom de l’indépendance institutionnelle. Cette imputabilité demeure pertinente aujourd’hui.

Par exemple, les questions du recensement décennal, telles qu’elles sont formulées à l’heure actuelle, ne permettent pas un dénombrement exact des ayants droit, ceux pour qui le droit à l’éducation dans la langue officielle minoritaire est protégé par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans les provinces à majorité anglophone, ce droit est garanti aux enfants dont les parents ont le français comme langue maternelle, dont les parents sont allés à l’école primaire en français, ou dont le frère ou la sœur a fréquenté une école de langue française.

Le recensement permet simplement de dénombrer ceux qui tombent dans la première catégorie et ne pose aucune question sur le type d’école fréquentée. L’enjeu est immense, et un dénombrement complet et cohérent des ayants droit pourrait aider des milliers de Canadiens hors Québec à avoir accès à une éducation en français. Le gouvernement actuel s’est dit prêt à revoir cette question.

Il est important pour les communautés francophones en situation minoritaire de savoir que le gouvernement fédéral demeure responsable à l’égard de ce processus, et que l’indépendance accrue de Statistique Canada, un objectif louable, ne pourra servir de prétexte à l’inaction.

Je réitère donc mon appui au principe de ce projet de loi, car il atteint le juste équilibre entre l’indépendance opérationnelle de Statistique Canada et le maintien de la responsabilité du gouvernement quant à ses priorités politiques. Je suivrai avec attention l’étude en comité, et je prie mes collègues qui seront chargés de cette étude de bien tenir compte du rôle clé que joue Statistique Canada pour ces petites communautés qui continuent toujours de s’épanouir partout au pays. Merci.

L’honorable Claudette Tardif : Mon honorable collègue accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Gagné : Certainement.

La sénatrice Tardif : Sénatrice Gagné, comme vous l’avez indiqué dans vos propos, l’ajout de questions au recensement de 2021 afin de dénombrer les ayants droit pour assurer la pleine mise en œuvre de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés est d’une importance capitale pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.Pouvez-vous nous assurer que le projet de loi C-36 ne sera pas préjudiciable aux intérêts des communautés de langue officielle en situation minoritaire, compte tenu du fait que le gouvernement pourrait ne pas agir dans sa quête d’indépendance?

La sénatrice Gagné : Je remercie l’honorable sénatrice de cette question. J’aimerais vous dire que j’avais les mêmes inquiétudes que vous. Selon ma lecture et ma compréhension, l’article 21 de la loi stipule que le gouverneur en conseil prescrit par décret les questions à poser lors d’un recensement qui est mené en vertu des articles 19 ou 20. Il détient toujours cette responsabilité et ce rôle. J’estime donc qu’il a toujours ce pouvoir.

Encore là, comme je l’ai mentionné dans mon discours, l’indépendance accrue de Statistique Canada ne peut et ne doit pas servir de prétexte à l’inaction. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Tardif : Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, au nom de la sénatrice Griffin, le débat est ajourné.)

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