La Loi sur la citoyenneté
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
3 mai 2017
L’honorable Sénatrice Raymonde Gagné :
Honorables sénateurs, je me prononce aujourd'hui sur les deux premiers éléments du projet de loi, soit la suppression des motifs de révocation de la citoyenneté canadienne liés à la sécurité nationale, ainsi que la suppression de l'exigence pour un demandeur d'avoir l'intention, s'il obtient la citoyenneté, de continuer à résider au Canada. Je m'attarde sur ces deux éléments, parce que leur objectif est louable et mérite notre appui : assurer l'égalité de tous les Canadiens devant la loi, peu importe leur pays d'origine. Je partagerai ensuite brièvement avec vous mes réflexions au sujet du troisième élément du projet de loi, qui concerne la connaissance des langues officielles.
J'ai suivi attentivement le débat sur la suppression des motifs de révocation de la citoyenneté canadienne liés à la sécurité nationale. Le projet de loi C-6 n'élimine pas le pouvoir du gouvernement de révoquer la citoyenneté quand celle-ci a été obtenue frauduleusement ou par de fausses déclarations. Bref, les Canadiens qui sont touchés par ce projet de loi le sont devenus en bonne et due forme. S'ils sont trouvés coupables de crimes odieux, il n'en demeure pas moins qu'ils demeurent Canadiens. Certains se sont peut-être même radicalisés au Canada. Le problème est donc un problème canadien. La révocation de la citoyenneté ne viendra pas améliorer notre sécurité. Au contraire, plusieurs de nos collègues ont expliqué pourquoi il est plus dangereux d'envoyer ces criminels ailleurs que de les garder ici.
Qu'aurions-nous donc accompli? On envoie un message, diront certains, mais lequel? Que nous avons deux classes de citoyens? Je ne trouve aucune valeur dans une telle réponse. Le message que je souhaiterais plutôt qu'on véhicule et qu'on retrouve dans ce projet de loi, c'est que tout Canadien qui obtient dûment sa citoyenneté est Canadien pour le meilleur et pour le pire. Pensons-y bien. À qui veut-on envoyer un message? Est-ce aux terroristes?
Je perçois mal que la possibilité de perdre sa citoyenneté puisse convaincre une personne radicalisée de s'abstenir de commettre un acte terroriste. Les personnes qui entendent le message, ce sont plutôt nos concitoyens, des immigrants à qui on dit que, malgré tout, leur statut en tant que citoyen sera toujours différent.
Je cite les propos de M. Craig Forcese, professeur à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, lorsqu'il a comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le 16 février dernier :
Pour ceux dont le travail est de contrer l'extrémisme violent — et je suis un disciple de ceux qui font de la recherche dans ces domaines —, ce genre de discours qui consiste à dire que ces personnes ne sont pas tout à fait comme nous risque de nuire grandement aux efforts d'intégration et de lutte contre la radicalisation qui devraient être au cœur de nos démarches visant à éviter la radicalisation menant à la violence.
On peut voir les deux côtés de la médaille, mais le discours qui m'interpelle le plus est celui selon lequel nous risquons, en ciblant cette sous-catégorie de la population pour contrer ce risque particulier, de faire de la propagande au détriment de nos objectifs ultimes de sécurité.
Chers collègues, c'est aussi ce discours qui m'interpelle le plus. J'ai entendu, dans le cadre du débat sur l'amendement, la question de l'honorable sénateur Lang au sujet des Canadiens qui conservent la double citoyenneté et en conservent les avantages. Pourquoi ne devraient-ils pas aussi en subir les inconvénients? Je me range, sur cette question, du côté de la marraine du projet de loi au Sénat, sénatrice Omidvar, qui a expliqué que la double citoyenneté n'est pas toujours un choix et que certains pays, qui ne sont d'ailleurs pas reconnus pour leur respect des droits de la personne, considéreront toujours leurs ressortissants comme des citoyens, et ce, quoi qu'en disent ces derniers.
Tout au long de ce débat, j'ai envisagé ce projet de loi selon la perspective qui doit être la nôtre au Sénat, et je me pose la question suivante : est-ce un projet de loi qui limite indûment les droits des Canadiens, y compris le droit à l'égalité? Des législateurs partout dans le monde sont confrontés au délicat équilibre entre la sécurité et les droits et libertés des citoyens. Nous serons peut-être nous- mêmes confrontés à une telle étude un de ces jours, et notre travail sera sans doute ardu. Or, nous ne sommes pas devant une telle situation aujourd'hui. Cet élément du projet de loi permet d'assurer une meilleure sécurité tout en renforçant l'égalité de statut entre les Canadiens. Il ne revient pas au Sénat d'affaiblir ce droit à l'égalité, et c'est pour cette raison, entre autres, que j'ai voté contre l'amendement proposé par l'honorable sénateur Lang.
La réponse à cette question est encore plus évidente pour ce qui est du deuxième élément de ce projet de loi, soit la suppression de l'exigence, pour un demandeur, d'avoir l'intention, s'il obtient la citoyenneté, de continuer à résider au Canada. Je trouve impossible de concilier cette exigence de résidence avec l'article 6 de la Charte, qui énonce ce qui suit :
Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir.
Je peux comprendre que certains peuvent ne pas souscrire à l'idée de réduire le nombre de jours pendant lesquels on doit vivre au Canada avant de pouvoir demander la citoyenneté. Je ne partage pas leur avis, mais je comprends leurs motivations. Je ne peux tout simplement pas comprendre comment on peut accorder une citoyenneté de seconde classe à certains Canadiens, en leur disant que, pour ce qui est de leur citoyenneté, contrairement à celle de leurs voisins, amis et collègues, le gouvernement n'est pas tenu de respecter l'article 6 de la Charte.
Je comprends notre honorable collègue, le sénateur Ngo, quand il affirme qu'il voit la citoyenneté comme un privilège. Il est vrai que plusieurs immigrants et réfugiés se sentiront privilégiés et reconnaissants, le jour de l'obtention de leur citoyenneté. Or, ce privilège, c'est de devenir citoyen canadien à part entière avec tous les droits et responsabilités qui en découlent, sans aucune exception.
Je souhaite vous rappeler, chers collègues, que nous n'étudions pas un projet de loi qui pourrait, potentiellement, violer les droits constitutionnels des Canadiens au nom de la sécurité. Il s'agit d'un défi et d'un exercice d'équilibre difficile auquel se prêtent de nombreux législateurs partout dans le monde. Récemment, le Canada a été confronté à cette situation et il est possible que celle-ci se présente de nouveau, dans un avenir proche ou éloigné. Aujourd'hui, cependant, nous examinons une initiative ministérielle qui renforce ces droits constitutionnels.
Le Sénat a adopté deux amendements qui orientent aussi le projet de loi dans cette direction. Le premier, proposé par la sénatrice McCoy, a amélioré l'application régulière de la loi. Le second, proposé par le sénateur Oh avec mon appui, améliore et élargit le droit des enfants à la citoyenneté. En tant que sénateurs, nous devons tenir compte de ces facteurs dans notre analyse.
Enfin, j'aimerais partager avec vous certaines réflexions au sujet d'un troisième amendement, celui de la sénatrice Griffin. Malheureusement, je n'étais pas présente pour le vote sur cet amendement, mais j'appuie l'esprit qui l'animait. Comme vous le savez, avec le projet de loi C-6, le gouvernement souhaite restreindre aux demandeurs âgés de 18 à 54 ans l'exigence de démontrer leurs connaissances du Canada et de l'une de ses langues officielles. L'amendement proposé par la sénatrice Griffin et adopté par cette Chambre hausse le seuil d'exemption à 60 ans.
Permettez-moi d'expliquer pourquoi j'appuie le nouveau seuil tel qu'il a été adopté. Je comprends l'intention et l'esprit de l'initiative du gouvernement. On ne veut pas priver les parents et grands- parents, qui arrivent au Canada et travaillent d'arrache-pied pour subvenir aux besoins de leur famille, de la possibilité de bénéficier de la citoyenneté canadienne au même titre que leurs enfants.
Il ne faut cependant pas perdre de vue le fait que la dualité linguistique de notre pays est l'une de ses caractéristiques clés. L'apprentissage de l'une de nos deux langues officielles est aussi un grand facteur d'intégration, et il y a une certaine sagesse dans l'idée de rattacher cet apprentissage à une récompense, soit l'obtention de la citoyenneté.
À 55 ans, on est, habituellement, encore sur le marché du travail, et la connaissance d'une ou des deux langues officielles est un atout majeur. Il faut empêcher que la connaissance d'une de nos deux langues officielles soit perçue comme étant moins importante. Il faut surtout, et je parle en toute connaissance de cause, empêcher le gouvernement de décider qu'il peut, grâce à ce relâchement législatif, diminuer les ressources consacrées à l'apprentissage de nos langues officielles pour les nouveaux arrivants. Au contraire, le gouvernement doit redoubler d'ardeur pour encourager l'apprentissage de nos langues officielles afin, justement, de ne pas priver nos citoyens potentiels qui ont la capacité de les apprendre. Aurons-nous, maintenant, l'instinct d'économiser de l'argent dans ce domaine? Il faut surveiller cela de près.
Le message que je souhaiterais que le gouvernement entende dans cet amendement est non pas que le Sénat ne souhaite pas intégrer les nouveaux arrivants dans la grande famille canadienne, mais plutôt qu'on ne veut pas voir le gouvernement se servir de cette exemption pour couper dans les ressources permettant l'intégration linguistique de ces nouveaux arrivants dans un pays où ils vivront, on le souhaite, 20, 30 et 40 années encore.
Encore une fois, je comprends les motifs humanitaires qui sous- tendent cette initiative. Je comprends également que la Chambre des communes devra se prononcer sur cet amendement et que nous devrons tirer les conclusions qui s'imposent sur son vote au moment où il aura lieu. Cependant, je tiens à réitérer le fait qu'il y a des motifs humanitaires tout aussi valides pour investir dans l'intégration linguistique de tous les nouveaux arrivants. Le gouvernement doit proposer un plan concret à cet effet.
Honorables sénateurs, j'appuie ce projet de loi tel qu'il est amendé par le Sénat. Il incarne les principes d'ouverture et d'inclusion qui définissent notre pays. Merci.