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Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

6 juin 2018


L’honorable Sénatrice Rosa Galvez :

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45.

Le projet de loi C-45 doit promouvoir la santé et la sécurité des Canadiens. Il doit être fondé sur des faits, des preuves et des résultats de recherche. Bien des questions ont été soulevées lors de l’analyse du projet de loi que nous avons menée. Dans sa forme originale, le projet de loi C-45 était loin d’être parfait, comme en témoignent les 44 amendements, dont 29 de forme, qui ont été adoptés jusqu’à maintenant. Nous avons progressé.

Je tiens à saluer la diligence dont a fait preuve le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie dans son étude du projet de loi C-45 et les travaux complémentaires qui ont été faits par d’autres comités. Je tiens, en outre, à remercier le parrain, le sénateur Dean, pour le travail qu’il a accompli en pilotant le projet de loi C-45 au Sénat.

Nous en sommes aux derniers jours de l’examen du projet de loi. Aujourd’hui, les thèmes de la discussion sont la santé publique, la consommation et les questions autochtones. Je parlerai des risques auxquels sont exposés les populations vulnérables, notamment les jeunes, les membres des Premières Nations et les Autochtones.

Le régime actuel, qui est axé sur la prohibition et la criminalisation de la consommation du cannabis à des fins récréatives, présente des risques élevés pour les jeunes : criminalité, crime organisé, risques pour la santé. Le régime proposé par le projet de loi C-45, quant à lui, fait du cannabis à usage récréatif une substance légale facilement accessible, mais soumise à certaines restrictions. Le nouveau régime crée une industrie avide de profit : les entreprises sont fort impatientes de vendre du cannabis sur le marché licite. Le passage d’une prohibition totale à la légalisation de cette substance et à la création d’un nouveau secteur, y compris la création d’un lobby du cannabis qui exercera probablement des pressions pour assouplir les règles, posera des difficultés sur le plan de la mise en œuvre, de la sensibilisation du public et de l’application. Selon des spécialistes en politique et des fonctionnaires qui ont parlé de leur expérience dans d’autres pays où le cannabis a été décriminalisé ou légalisé, le nouveau régime pose tout autant de risques pour les jeunes que le régime existant.

Les personnes qui soutiennent que les problèmes de société et de santé liés à la consommation de cannabis seront réglés une fois cette substance légalisée ne tiennent pas compte de ce que nous avons entendu durant l’étude du projet de loi C-45.

Je ne peux pas cacher que je m’inquiète à propos de ce changement radical qui se produira sans transition logique ni graduelle. Mon instinct me dit de procéder avec prudence et de déployer tous les efforts nécessaires afin de réduire le risque pour les populations vulnérables. J’estime toujours que la décriminalisation et la limitation des points de vente où des produits du cannabis strictement contrôlés seraient offerts seraient un meilleur moyen d’atteindre les objectifs du gouvernement et de réduire les préjudices et les risques associés à l’usage et à l’abus du cannabis. Pour nous assurer que moins de jeunes consomment du cannabis, il est essentiel d’empêcher les sociétés lucratives de faire de la publicité et des promotions attirantes pour les jeunes, comme c’est le cas pour l’alcool et le tabac.

À mon avis, nous devons logiquement nous attendre à ce que les entreprises cherchent à accroître la consommation de la substance qu’ils vendent au public. La légalisation et la disponibilité du cannabis sur le marché licite augmenteront probablement la consommation de cannabis, du moins au début. Il est malhonnête de prétendre le contraire.

Il faudra que l’on vende et que l’on consomme beaucoup de cannabis pour que les taxes perçues sur les ventes de cannabis paient l’infrastructure, les contrôles, les services, l’éducation, les programmes de santé et les études scientifiques. Or, les adultes seront également autorisés à cultiver et à produire leur propre cannabis. Selon mes calculs, les chiffres ne font pas le compte. Je n’ai toujours pas vu d’estimation réaliste des coûts par rapport aux recettes, ni d’estimation de la quantité de cannabis qui devra être vendue par habitant pour payer le régime légalisé et quand même battre le crime organisé.

La légalisation du cannabis exposera les collectivités des Premières Nations et autochtones à des risques accrus, elles qui sont déjà aux prises avec des problèmes tels que l’abus d’alcool et de drogue et des taux de suicide élevés. Il est irresponsable de ne pas tenir compte de ces faits.

Certaines collectivités réclament un régime à participation volontaire en vertu duquel elles pourraient décider d’interdire ou d’autoriser le cannabis. D’autres réclament que la taxe d’accise et les recettes servent à financer l’éducation et les programmes de prise de conscience sociale. Les recettes fiscales seront sans doute proportionnelles aux ventes et à la consommation. À mon avis, c’est un cercle vicieux.

Au cours des dernières décennies, des centaines d’études médicales et psychologiques ont été menées et ont révélé les dangers de la consommation de cannabis pour le développement du cerveau. En plus de diminuer temporairement les capacités, le cannabis aurait des effets à long terme sur la cognition par l’altération de différents mécanismes cérébraux en raison du caractère irréversible de certains effets du cannabis, même après qu’on ait cessé d’en consommer.

La consommation de cannabis aurait des incidences sur le fonctionnement du cerveau des jeunes, notamment sur la capacité de planification, de raisonnement et de résolution de problèmes, sur le processus d’inhibition et sur le contrôle de soi. Les recherches médicales ont montré que ces effets pourraient être liés à la concentration de la substance, à la fréquence et au mode de consommation. Des études récentes ont montré un lien entre la consommation de cannabis et la manifestation d’épisodes psychotiques. Il faut étudier ces effets afin de bien comprendre les incidences du cannabis sur un cerveau en développement.

C’est pourquoi j’appuie fermement l’observation du comité quant à la nécessité pour le gouvernement fédéral de financer une initiative de recherche continue sur les incidences de la consommation de cannabis sur le développement du cerveau. En recueillant des données sur les groupes démographiques qui consomment du cannabis, sur le type de produit de cannabis qui est consommé, sur le mode de consommation et sur la concentration du cannabis, nous permettrons aux scientifiques et aux fonctionnaires de la santé publique d’évaluer les effets de la consommation de cannabis sur les Canadiens au moyen de méthodes scientifiques.

Un pourcentage élevé de jeunes Canadiens consomment déjà du cannabis et la majorité des sénateurs semblent convaincus que le projet de loi C-45 fera diminuer cette donnée troublante. Je l’espère vraiment. Je ne me lasserai jamais de dire que les jeunes sont notre richesse intellectuelle et sociale et que nous devons les protéger. Si nous échouons, c’est toute la société qui échoue.

J’ai les mêmes préoccupations que mes collègues en ce qui concerne la plus grande disponibilité du cannabis que nous créerons pour les jeunes Autochtones. J’appuie les recommandations du Comité des peuples autochtones concernant la mise en place de programmes et de documents de sensibilisation, ainsi que le financement de programmes en santé mentale et en toxicomanie qui sont adaptés à la culture et aux besoins particuliers des Autochtones.

Dans la mesure où la fumée, celle du tabac autant que celle de la cigarette, peut causer de graves problèmes de santé, les Canadiens ont le droit de ne pas être exposés à la fumée. La consommation de cannabis dans les écoles et les milieux de travail dangereux doit donc absolument être surveillée.

Même si je ne suis pas tout à fait convaincue que les amendements ont réglé tous les problèmes liés au projet de loi C-45, j’estime malgré tout que ceux qui ont été adoptés, en les combinant aux recommandations formulées ici et au comité, ont permis d’améliorer le texte. Grâce à ces amendements, il s’agit d’un meilleur projet de loi qu’au départ. Je suis impatiente de savoir ce que le gouvernement va en penser et de voir s’il tiendra compte des observations et des recommandations du Sénat. Le gouvernement doit continuer d’informer les jeunes et les populations vulnérables sur les dangers du cannabis.

Cela dit, je voterai en faveur de la motion portant troisième lecture du projet de loi C-45.

Honorables sénateurs, à cette période-ci l’an prochain, je m’enquerrai des effets qu’aura eus le projet de loi C-45, des résultats obtenus et des problèmes occasionnés par la légalisation du cannabis. Je demanderai des comptes au gouvernement si jamais les résultats obtenus en matière de santé publique ne sont pas à la hauteur. Je vous remercie.

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