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Projet de loi interdisant l'importation de nageoires de requin

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

13 juin 2017


L’honorable Sénatrice Rosa Galvez :

Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole au sujet du projet de loi S-238. C'est ma première intervention au sujet d'un projet de loi en tant que porte-parole. Dans ce cas-ci, je tiens à dire que, à mon humble avis, je jouerai davantage un rôle de médiateur qu'un rôle de porte-parole dans ce débat.

Premièrement, j'aimerais saluer le travail du sénateur MacDonald, qui parraine le projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d'espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin), que l'on appelle communément le projet de loi interdisant l'importation de nageoires de requin.

J'estime qu'il s'agit d'un projet de loi important. J'approuve pleinement le principe qui le sous-tend. La protection de la faune et de la flore ainsi que des écosystèmes mondiaux est essentielle à la survie du genre humain. J'espère que le débat au sujet de ce projet de loi nous aidera à sensibiliser les gens à l'importance de la conservation des habitats et de la préservation des espèces et enchâssera davantage ces protections dans la loi.

Le projet de loi porte sur les requins. Apprenons donc à les connaître.

Les requins jouent un rôle important dans les habitats marins des océans du monde et ce, depuis des centaines de millions d'années. Ce sont des superprédateurs, une espèce au sommet de la chaîne alimentaire. Les requins sont des prédateurs clé, contrôlant les populations de poissons et de requins plus petits. Par exemple, la perte de grandes populations de requins dans l'Atlantique Nord, où ils géraient efficacement l'écosystème, a entraîné un déclin marqué des pêches de coquillages bivalves, dont les pétoncles, les palourdes et les huîtres.

La disparition de superprédateurs, tels que les requins, en raison de l'activité humaine ces dernières années a eu une incidence majeure sur les écosystèmes et la santé des habitats marins et mondiaux. Si les requins sont une espèce ancienne, ils ne sont nullement primitifs. La preuve la plus reculée de l'existence des requins remonte à l'époque silurienne, il y a 420 millions d'années. Les requins modernes nagent dans nos océans depuis les périodes triasique et jurassique, il y a 200 millions d'années.

Pour employer l'analogie de l'horloge géologique, si l'on condensait en un an les 4,5 milliards d'année d'histoire de la Terre, les premiers requins apparaîtraient le 26 novembre, soit bien avant nous, les humains.

Les humains sont une espèce très jeune qui inflige des changements radicaux aux cohabitants de la planète. Les requins sont une espèce beaucoup plus ancienne et prospèrent dans l'océan. Ce n'est qu'au cours du dernier siècle que la demande de nageoires de requins pour des raisons culturelles a causé la surpêche de ces importants prédateurs jusqu'à les mener au bord de l'extinction.

Les requins se servent de leurs nageoires pour avancer dans l'eau. Sans elles, ils coulent. En effet, la plupart des espèces de requins appliquent le principe du statoréacteur, ce qui signifie qu'elles doivent nager vite pour faire passer l'eau à travers leurs branchies et pouvoir respirer. Imaginez un peu. Après avoir sorti le requin de l'eau, on tranche ses nageoires à l'aide d'une lame dentelée chaude. Puis, on rejette le requin dans l'océan. Or, sans nageoires, il ne peut pas se mouvoir dans l'eau, et il ne peut donc pas respirer. Le résultat de tout cela est le suivant : il coule lentement au fond de l'eau où il meurt, ou bien il se fait déchiqueter par des charognards.

La Wildlife Conservation Society estime que 25 p. 100 des espèces de requins sont menacées d'extinction à cause de la surpêche. Il vaut la peine de signaler que les requins ne sont pas la seule espèce touchée par la surpêche. En effet, d'autres espèces de poissons cartilagineux comme la raie, le pocheteau et la chimère sont aussi vulnérables.

Le projet de loi S-238 interdit l'importation de nageoires de requin au Canada afin de protéger les requins contre la pratique mondiale qui consiste à prélever leurs nageoires. Il serait difficile de s'opposer au principe du projet de loi. Cependant, il ne propose qu'une seule mesure pour protéger cette espèce d'une pratique qui est en train de mener à son extinction. Jusqu'où devrions-nous aller pour protéger des espèces menacées d'extinction?

[Français]

La demande de produits d'origine animale en raison de coutumes et de fêtes culturelles a causé la dissémination par l'humain de plusieurs espèces de fleurs et de faune sur la base de croyances que certains animaux procurent des pouvoirs et de la puissance aux humains. Ces croyances ne sont pas ancrées dans la science.

(2050)

Des centaines de rhinocéros sont chassés et tués pour leurs cornes à chaque année, et les cinq espèces de rhinocéros sont maintenant en voie de disparition. Des efforts contre le braconnage ont réussi à provoquer une petite croissance de population, mais ils sont toujours à risque de disparition.

Chaque année, 150 millions d'hippocampes sont pêchés. Les hippocampes pourraient être appelés à disparaître au cours des prochaines décennies.

Plus près de chez nous, bien qu'il soit légal de chasser avec un permis, le braconnage de l'ours noir pour sa bile et ses pattes est toujours présent.

[Traduction]

Les produits d'origine animale mentionnés précédemment sont désignés dans la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, ou CITES, ce qui signifie que leur importation au Canada est interdite. Environ 5 000 espèces d'animaux et 29 000 espèces de végétaux sont protégées par la convention et, pourtant, leur commerce illicite se poursuit partout dans le monde.

La demande pour ces produits, provenant de la classe moyenne de plus en plus riche de nombreux pays émergents, est à l'origine d'une crise de la conservation à l'échelle mondiale. Le résultat de tout cela, c'est qu'une multitude d'espèces risquent l'extinction, y compris les requins.

Les organismes qui combattent la pratique de l'enlèvement des nageoires de requins se butent à divers obstacles. Comme dans bien d'autres contextes, la médaille a ici deux côtés. En Indonésie par exemple, où l'on pêche intensément le requin et la raie, l'enlèvement des nageoires de requins fournit un gagne-pain à beaucoup de gens. Des organismes comme la Wildlife Conservation Society travaillent avec les pêcheurs pour qu'ils explorent d'autres façons de gagner leur vie.

L'un des défis associés au commerce mondial des ailerons de requins consiste à créer des systèmes qui assureront une consommation responsable des produits du requin, y compris les ailerons et la viande, et des produits de la raie issus d'une pêche légale, bien gérée et durable.

Il y a un autre défi, et c'est de réduire la demande en sensibilisant le public et l'informant que les ailerons de requins n'ont pas de valeur nutritive ou de propriétés particulières, et que leur usage dans des pratiques culturelles est fondé uniquement sur des croyances. C'est par l'éducation qu'on atteindra cet objectif.

Le commerce responsable du requin doit atteindre un équilibre pour que les gens qui dépendent de cette industrie puissent gagner leur vie grâce à la pêche au requin durable ou à un autre métier, sans quoi la demande poussera la vente des ailerons de requins vers le marché noir et les stocks de requins continueront de décroître.

J'aimerais donc savoir ce qui est fait pour aider les travailleurs du domaine de la pêche au requin du monde entier à adapter leurs compétences afin de garantir une pêche aux requins durable et une pêche générale durable. Est-ce réaliste de penser que l'on soit en mesure de favoriser une pêche aux requins durable à l'échelle internationale, régionale et nationale?

[Français]

Ces questions n'ont pas de réponse facile. Toutefois, nous continuons de les poser grâce au travail important qui est mené sur ces enjeux, comme celui du regretté Rob Stewart, dont le documentaire intitulé Sharkwater a souligné le rôle et le sort des requins dans les océans, ainsi que la nécessité de faire un effort mondial en matière de conservation. Grâce à son travail, l'enjeu de l'amputation des ailerons de requin a été exposé au public, ce qui a permis de sensibiliser et d'éduquer les populations à travers le monde. À présent, nous comprenons davantage le sort de ces créatures et pourquoi il est si important de protéger et de préserver ces espèces.

[Traduction]

Selon le rapport de 2015 de l'Initiative de défense des requins et des raies, le manque de données biologiques sur les requins et sur les populations de requins pose un vrai problème en matière de surveillance et de protection.

Il y a des requins partout dans le monde. Ils migrent partout dans les eaux internationales. Il y a plusieurs endroits où la demande en matière de pêche au requin est forte, notamment en Asie orientale. Les flux de produits dérivés du requin sont difficiles à repérer entre les différents pays, régions et continents, puisque les réglementations contrôlant le commerce varient d'un endroit à l'autre. Les efforts de conservation, là où on en déploie, sont malheureusement fragmentaires et mal financés.

Une étude publiée en 2016 révèle que, depuis 2003, le nombre de requins capturés a baissé d'environ 20 pour cent. Toutefois, cette baisse n'est pas liée à une réduction de la pêche au requin, mais plutôt à une baisse considérable des populations de requins attribuable à la surpêche. Évidemment, cette terrible statistique démontre que la surpêche a des conséquences importantes sur les requins qui vivent dans les océans et des impacts négatifs cumulatifs sur les populations de requin.

Il y a d'autres problèmes écologiques qui contribuent au déclin des populations de requins, notamment les prises accidentelles. Une prise accidentelle a lieu quand un poisson ou autre animal non ciblé est pris au moyen d'une palangre ou d'un filet. Ce ne sont pas que des requins qui meurent comme cela. Il y a également des baleines, des dauphins, des phoques, des tortues et des oiseaux. Selon l'organisme OCEANA, les prises accidentelles peuvent représenter jusqu'à 4 p. 100 du total des prises mondiales. En 2014, on estimait que cela représentait 30 milliards de kilogrammes par année.

Comme c'est le cas pour de nombreuses espèces de requins, les prises accidentelles ne sont pas suffisamment surveillées ou ne sont pas surveillées du tout. Cela donne lieu à des estimations inexactes des espèces protégées qui se noient ou qui sont blessées dans des filets ou des palangres lors d'activités de pêche. Pendant les années 1990, environ 12 millions de requins et de raies étaient tués accidentellement chaque année dans les eaux internationales. On exclut de ce nombre les 100 millions de requins tués chaque année pour leurs nageoires.

[Français]

Quelle est la solution pour freiner la décimation des populations de requins par la capture accessoire et l'amputation des ailerons? La Global Shark and Ray Initiative a présenté un rapport soulignant les plus grands enjeux et les objectifs liés à la conservation des requins et des raies. Bien qu'il n'y ait pas une seule stratégie qui s'applique à la conservation des diverses espèces, il faut cibler les espèces à risque, étudier les populations sur lesquelles nous avons peu de données, tenter de changer la demande des marchés pour les produits du requin, encourager les pratiques d'échange commercial responsable et, surtout, éduquer et sensibiliser les populations.

[Traduction]

Le projet de loi S-238 vise à faire cesser la pratique de l'enlèvement des nageoires de requin en interdisant l'importation de nageoires de requin au Canada. Cependant, le projet de loi soulève plusieurs autres questions. L'interdiction de pratiquer l'enlèvement des nageoires de requin va-t-elle assez loin? Pouvons- nous étendre la portée de l'interdiction à d'autres poissons cartilagineux, comme les raies, qui peuvent également être ciblées? Comment pouvons-nous empêcher les requins et d'autres espèces marines, notamment les tortues de mer, les dauphins, les phoques et les oiseaux marins, d'être pris accidentellement?

Nous devons accroître nos efforts pour protéger la faune marine, afin de préserver la biodiversité de nos océans, qui est menacée par les activités humaines et les changements climatiques.

[Français]

Le 8 juin dernier, nous célébrions la Journée mondiale des océans. Nous aurions dû souligner cet événement dans la Chambre du Sénat. Bien que nous soyons aujourd'hui quelques jours plus tard, j'espère que mon discours aura pu rendre hommage à cette journée.

[Traduction]

Je vais conclure en citant un livre, intitulé Last Chance to See, de Douglas Adams et Mark Carwardine. Ils ont voyagé de par le monde à la recherche d'espèces menacées d'extinction en raison des activités humaines. Je les cite :

Il est facile de croire qu'en raison de l'extinction du dodo, nous sommes maintenant plus tristes et plus sages, mais tout indique que nous sommes simplement plus tristes et mieux informés.

C'est une vision plutôt sombre de l'avenir de la biodiversité. Faisons en sorte qu'elle ne devienne pas réalité.

 

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